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D. ETUDE DIPLOMATIQUE

1. LES CHARTES DE FONDATION ET LES ACTES DE LA FAMILLE C

La charte de fondation de 1016 est mentionnée une première fois dans le diplôme accordé le ler juin 1101 par l'empereur Henri IV à Saint-Jacques. Elle est décrite et résumée d'une manière précise, qui ne laisse aucun doute sur son identité.

La plus ancienne copie date du XIIIe siècle. D'autre part, dans la seconde moitié du XIVe siècle, un litige entre l'abbaye et les tréfonciers des moulins établis en aval du Courant Saint-Jacques obligea les moines à produire les documents concernant l'étendue des biens qu'ils détenaient aux abords immédiats du monastère. Le 29 mai 1373, Henri de Freeren, moine-procureur de Saint-Jacques, requit Lambert de Columpna, notaire public, de lui délivrer une transcription en langue romane d'une partie de la charte de Baldéric. Le fragment traduit s'étend de Ea ergo spe jusqu'à ab omni exactione decrevi. La traduction est complète, à l'exception de la date et de l'insertion des reliques dans l'autel, détails accessoires que le notaire a volontairement omis et dont il a signalé l'absence par une ligne brisée.

Entre 1634 et 1636, le héraut d'armes Henri Van den Berch en copie le texte, dessine le pourtour et la légende du sceau. Enfin, préparant Les Délices du Pays de Liège, Saumery a l'occasion de consulter la charte qui depuis ce moment n'est plus signalée. Retrouvée au début de ce siècle, elle fait l'objet, de la part de M. P. Harsin d'une édition qui remplace avantageusement les versions défectueuses de Martène et Durand, Miraeus et Foppens, et Saumery.

Ainsi qu'on l'a dit plus haut, nous souscrivons pleinement à l'opinion de M. Niermeyer qui nie l'authenticité de la charte en s'appuyant sur le fait qu'elle est due au scribe de deux chartes de 1111 et 1112.

Comme le diplôme de l'empereur Henri IV du 1er juin 1101 invoque le témoignage de la charte de 1016 pour mettre fin aux abus d'un avoué sur deux domaines de l'abbaye, il est inutile de chercher plus loin: la rédaction du diplôme a été l'occasion de la fabrication de l'acte de fondation. C'est notre conclusion définitive, tout au moins en ce qui concerne le motif du faux. Quant à la date, il est nécessaire, avant de pouvoir la fixer avec certitude, que nous tenions compte de la conclusion à laquelle s'est arrêté M. Niermeyer.

Celui-ci considère en effet comme faux non seulement l'acte de 1016, mais également les chartes de 1111, 1112, le diplôme de 1101, et une charte d'Otbert de 1112 écrite, selon une opinion que nous partageons avec Schubert et lui, par la même main que le diplôme. Tous ces faux auraient été rédigés à l'extrême fin du XIIe siècle.

Dès le premier examen, il semble étonnant de suspecter l'authenticité des chartes de 1111 et 1112. Caractères externes et internes ne présentent rien d'insolite et M. Niermeyer ne réussit qu'à réunir quelques faibles précomptions. On jugera de leur gravité: à la charte de 1112 est attaché un sceau dont il ne reste plus qu'un fragment. M. Niermeyer s'autorise de celui-ci pour prétendre que le sceau entier était de forme ovale. Or celui-ci n'apparaît que peu avant le milieu du XIIe siècle.

On ne voit pas d'abord comment cette constatation peut servir à placer la rédaction de l'acte à la fin du siècle. Ensuite l'exiguïté du fragment conservé ne permet pas de déterminer s'il était rond ou ovale. Mais à défaut de contrôle direct, on a, grâce à Van den Berch, de très bonnes raisons de croire que le sceau était rond. En effet, celui-ci existait encore au XVIIe siècle et le héraut d'armes, en le dessinant, lui a donné un contour d'une rotondité parfaite. Or il suffit de parcourir le recueil des Monumenta Patriae Leodiensis pour constater que chaque fois que le copiste reproduit un sceau ovale, il le fait avec une précision qui écarte toute possibilité d'erreur ou de doute. Il semble en outre avoir apporté un soin particulier à la reproduction graphique du sceau puisque ce dernier est le seul de Saint- Jacques dont il ait dessiné le champ.

Les mots suivants de la corroboration: tam sigillo quam nomine et auctoritate sancti Iacobi fecimus sanciri seraient, paraît-il, directement empruntés à cette expression du diplôme de Conrad III de 1141: sigilli nominisque nostri impressione communimus.

Si M. Niermeyer avait avancé contre l'authenticité de la charte des arguments plus convaincants que ceux du sceau, on pourrait peut-être retenir ce détail comme une présomption supplémentaire. Mais la fragilité de sa démonstration ne peut nous autoriser à utiliser cette ressemblance au détriment de l'authenticité de la charte, surtout lorsqu'il s'agit d'une expression appartenant à la partie formulaire de deux actes. Dans ce cas la rencontre de mots identiques ou similaires n'a rien d'étonnant et n'implique pas nécessairement une relation entre les documents dans lesquels ils figurent. La même fin de non-recevoir doit s'appliquer à l'argument que M. Niermeyer tire du rapprochement de la sanction de 1112 avec celle de la bulle de Lucius III pour Saint-Jacques.

Il faut cependant dire un mot encore de la corroboration de l'acte de 1112 dans laquelle, selon M. Niermeyer, le faussaire se trahirait en empruntant à la corroboration du diplôme de Conrad III un terme qui ne conviendrait qu'à ce dernier. Il s'agit de l'expression nominis impressione qui manifestement désigne le monogramme impérial. Et M. Niermeyer de demander à quoi pourrait correspondre, dans la charte, le nomine sancti Iacobi.

Nous n'invoquerons pas une synonymie d'un nomine dans le sens de numine qui renforcerait auctoritate auquel il est joint. La réponse est plus facile; elle se trouve sur le sceau qui porte en toutes lettres Sanctus Iacobus et, dans le champ, l'effigie de l'apôtre dans l'attitude de la prédication.

Contre l'authenticité de la charte de 1111, M. Niermeyer n'apporte que des arguments tirés du rapprochement de certaines expressions avec d'autres, contenues dans des chartes de Saint-Jacques qu'il considère comme fausses. Comme on vient de le dire, c'est trop peu pour rejeter l'authenticité d'un document qui ne présente par ailleurs aucune anomalie. On pourrait répondre, avec autant de raison, que ce sont les faussaires qui se sont inspirés de la charte de 1111. D'autre part, c'est encore parmi les expressions des parties formulaires que l'on a choisi des rapprochements prétendument intentionnels. Nous n'insisterons pas, et nous demanderons simplement de juger s'il y a lieu de suspecter l'authenticité d'une charte lorsque le diplomatiste hollandais dresse un tableau comparatif de ce genre:

Jc 1 (1015): Ego igitur B. Leodiensis presul indignus.

St. 3208 (1125): Ego igitur H. gratia D. R. imporator.

St. 3209 (1125): Id.

1111: Ego autem Stephanus.
1084 (Jc 4): Pium esse credimus.

1067 (Jc 3): collaudantibus et attestantibus... comitibus tam quam viris nobilibus.

1141 (St. 3424): contra omnem controversiam; quorum nomina
subscripta sunt. Sciendum igitur...
1111: Pium et summe credimus esse prudentie.

astantibus et collaudantibus summis et ingenuis viris, quorum nomina ad omnem controversiam refragandam subscripta sunt Sciendum quoque...


En outre on cherche en vain, dans la critique de M. Niermeyer, le passage précis qui lui semble suspect dans la charte de 1112: acte qui relate une donation d'un serviteur de l'abbaye, destinée à tout usage que les moines jugeront utile. Même fond dans la charte de 1111, par laquelle une pieuse veuve assigne quelques revenus pour l'entretien des moines afin de célébrer les anniversaires de ses parents défunts. La charte de 1112 est munie du sceau de Saint-Jacques. M. Niermeyer s'appuie sur l'autorité d'Oppermann pour remarquer en passant, contre l'authenticité de la charte, que les sceaux des monastères non exempts sont très rares dans le premier quart du XIIe siècle. Sans doute, mais il en existe, et nous avons, d'autre part, le témoignage de Redlich qui signale que, dans le cours du XIe siècle, non seulement les grandes abbayes exemptes de l'Empire, mais les autres monastères possédaient leur sceau. La charte de 1111 est scellée par l'abbé qui ordonne qu'elle soit conservée à perpétuité dans la salle capitulaire. M. Niermeyer s'empare de ce seul fait pour imaginer qu'un différend s'est élevé entre l'abbé et les moines et que cette querelle est le motif de la fabrication non seulement de la charte de 1111, mais également de l'acte de 1112. C'est faire montre d'une méfiance manifestement exagérée. Nous pensons donc que la faiblesse des arguments de M. Niermeyer ne peut sérieusement mettre en danger l'authenticité des deux chartes. Mais avant de pouvoir utiliser leur authenticité en faveur de la rédaction du faux de 1016, il faut surmonter un dernier obstacle: l'accusation de faux portée contre le diplôme du 1er juin 1101 de l'empereur Henri IV.

Rappelons que nous avons ratifié, dans la partie paléographique, l'identité de main, établie par Schubert et contrôlée par M. Niermeyer, du diplôme et d'une charte de l'évêque Otbert, de 1112.

L'examen diplomatique auquel M. Niermeyer soumet le premier document est, en réalité, très favorable à son authenticité. Parfaite concordance du monogramme et du sigle MP avec l'authentique diplôme délivré en 1088 par Henri IV à Saint-Jacques et d'autres documents émanant du même auteur. Il en est de même de la formule de date, construite selon les règles de la chancellerie impériale et tellement proche de celle du diplôme de 1088 qu'elle ajoute comme elle une année à la date de l'année de l'élection et du règne. En raison de cette étroite parenté, il nous est permis, dans ce cas, d'envisager une relation entre certains passages des arengue et des promulgations de ces deux documents. Nous sommes heureux ici de souscrire à l'opinion de M. Niermeyer, contre l'avis de Schmeidler qui, par des comparaisons peu convaincantes, tentait d'attribuer l'entière rédaction du diplôme à un dictator de Mayence dont on connaîtrait une quinzaine de chartes. Si le rédacteur du diplôme de 1101 s'est inspiré d'un diplôme de 1088 de préférence à des diplômes plus contemporains, il appartenait certainement à l'abbaye de Saint-Jacques. Comme la date est écrite, dans le diplôme, de la même main que celle du texte, le scribe de Saint-Jacques a sans doute rejoint la cour impériale à Aix, à la fin du mois de mai. La procédure s'est, en effet, déroulée en deux temps: une première assemblée (in primis) a réuni, à Liège, à la fin du mois d'avril, les fidèles de l'évêque; une seconde session a rassemblé, probablement à Aix, les fidèles de l'empereur, afin de confirmer les décisions prises antérieurement. C'est à l'issue de cette séance finale que le diplôme aura été rédigé.

Pour le diplôme en faveur du chapitre d'Andenne (ler juin 1101), délivré le même jour par le même auteur et transcrit par la même main C, l'éventualité d'une intervention de la chancellerie est beaucoup plus douteuse, et l'ordonnance de la liste des témoins n'indique pas que les débats ont fait, dans ce second cas, l'objet de deux assemblées séparées et chronologiquement distinctes. M. G. Despy pense — et, selon nous, avec raison — que la date a été écrite par le même scribe lors de l'apposition du sceau à Aix. Mais le texte du diplôme d'Andenne, à la différence de celui de Saint-Jacques, n'a pas été nécessairement transcrit à Aix. Cette particularité expliquerait son écart, plus visible que pour le diplôme de Saint-Jacques, par rapport aux règles de la chancellerie impériale. Il n'empêche qu'on ne peut dissocier le sort de ces deux diplômes et accorder sa confiance à l'un sans garantir, du même coup, l'authenticité de l'autre.

M. Niermeyer n'aurait sans doute pas suspectée celle-ci, si le fait de placer la rédaction de la charte de 1016 à la fin du XIIe siècle ne l'avait obligé à assigner une même date de fabrication à ces deux documents incontestablement jumeaux.

Passons sur la similitude intentionnelle que l'on croit relever entre les passages suivants de St. 3424(1141) et de St. 2953:

St. 3424: propter quorumdum advocatorum iniustitiam et rapacitatem.
induxi animo indicium et iustitiam facere. St. 2953: super advocatorum iniuria et subadvocatorum rapaci turba.
cum... iudicium et iustitiam imploraret.

Même s'il y avait inspiration — et c'est encore douteux, vu le peu de développement du texte et le caractère formulaire que lui impose le sujet — il est tout aussi loisible de considérer le diplôme de 1101 comme la source.

Entre une partie des contextes d'un diplôme accordé en 1131 par Lothaire III à la collégiale de Saint-Jean de Liège, et le diplôme qui nous occupe, M. Niermeyer relève une concordance d'expressions plus convaincante. Si l'on veut absolument retenir l'hypothèse d'une imitation volontaire, pourquoi s'étonner qu'un document liégeois de 1131 s'inspire d'un acte liégeois antérieur?

La même remarque s'applique au diplôme de Henri IV délivré au chapitre d'Andenne le même jour que celui de Saint-Jacques et au diplôme rédigé vers 1111 en faveur de l'abbaye de Saint-Laurent. M. Niermeyer devrait reconnaître que l'imitation de St. 2953 dans ces deux diplômes n'a rien à voir avec l'authenticité de ce dernier. Pour le diplôme de Saint-Laurent par exemple, on comprend fort bien qu'un moine de Saint-Laurent ait pris comme modèle le diplôme de Saint-Jacques, car à la fin du XIIe siècle, date de composition du faux de Saint-Laurent selon M. Niermeyer, la communion des deux établissements était fort intime. L'authenticité du diplôme pour Andenne a été, d'autre part, définitivement rétablie par une récente étude.

Dans le plan de la démonstration de M. Niermeyer, la non authenticité de la charte de l'évêque Otbert de 1112 est fonction de la non authenticité du diplôme de 1101, puisque tous deux sont écrits par la même main.

Dans la charte incriminée l'évêque confirme que l'église Saint Léonard forme désormais un prieuré et une dépendance de l'abbaye de Saint-Jacques. Si quelque fidèle désire entendre la messe conventuelle à Saint-Léonard, demander les prières des moines pour le salut de ses parents, y choisir sa sépulture on lui conférer une donation, il a toute liberté de le faire sans que les prérogatives de l'église-mère de Notre-Dame-aux-Fonts en subissent un préjudice quelconque. Si l'église de Saint-Léonard était simplement devenue cella et membrum de l'abbaye et rendue liberam ab omni subiectione, quels seraient donc encore les droits de Notre-Dame-aux-Fonts et des églises paroissiales qui devraient être sauvegardés ? Tel est l'argument qu'avance M. Niermeyer.

Il y a deux réponses possibles:

Ou bien les cas mentionnés plus haut constituent des cas d'exception, comme l'indiquerait l'expression quod si fidelis aliquis. Ces cas d'exception n'empiétaient pas sur les droits de Notre-Dame qui restaient sauvegardés. L'église-mère ne pourrait les faire valoir que si un jour l'exception devenait la règle. Tel serait le sens de l'expression salvo iure sancte Marie filiarumque eius.

Ou bien l'évêque a voulu simplement insister sur le fait que la liberté accordée à Saint-Léonard, cas particulier, n'infirmait en rien le principe des prérogatives reconnues à Notre-Dame.

En réalité, les deux solutions se rejoignent: on ne veut pas faire d'une dérogation, jurisprudence. Il s'agit seulement d'un acte de non-préjudice.

Dès lors, quand M. Niermeyer accuse l'abbaye d'avoir rédigé un faux, à la fin du XIIe siècle, pour ranger sous sa dépendance l'église de Saint-Léonard, où résidaient peut-être des moniales, et y obtenir l'exercice des droits paroissiaux, cette argumentation semble reposer sur une interprétation abusivement péjorative des données de la charte. A notre avis, on ne peut la faire valoir contre l'authenticité d'un document qui, faute de caractères plus suspects, a droit à notre confiance.

M. Niermeyer verse enfin au dossier de la charte de 1016 un acte qui n'intéresse pas l'abbaye de Saint-Jacques mais le chapitre d'Andenne. Il s'agit d'une charte de l'évêque Otbert datée de 1107.

Ce diplomatiste veut y reconnaître l'écriture de la main C. Puisque la personnalité qui se cache sous ce sigle est, suivant lui, l'auteur de deux actes faux rédigés à la fin du XIIe siècle, l'authenticité de la charte épiscopale de 1107 doit être rejetée.

Comme la simple confrontation des deux écritures permet d'écarter l'identité proposée, il est inutile de retenir cette charte dans un débat où elle n'a que faire.

Arrivés au terme de la chaîne, nous pouvons avancer quelques conclusions au sujet de la charte de 1016:

Avec M. Niermeyer, nous la considérons comme un faux, élaboré par un moine de Saint-Jacques à l'occasion de la rédaction du diplôme de 1101.

Le contrôle des arguments invoqués par M. Niermeyer contre l'authenticité de ce dernier et des actes dont on le rendait solidaire s'est, en fait, réduit à un travail d'élimination. Il nous autorise à défendre l'authenticité des chartes de 1101, 1111, 1112 (Adélard), 1112 (Saint-Léonard), contre lesquelles M. Niermeyer n'a pas recueilli de preuve convaincante, et, par conséquent, de reporter à l'année 1101 la confection de la charte de 1016.

Le faux apparaît clairement dans le passage qui suit immédiatement celui où est relatée l'élection de l'avoué. Baldéric, nous dit-on, a choisi son frère comme avoué parce que lui et ses descendants ont tout intérêt à veiller à la sécurité d'une abbaye fondée pour le salut de leur âme et de celle de leur frère. Mesure de sage politique. Aussi s'étonne-t-on qu'à la phrase suivante, Baldéric envisage, avec un luxe de détails qui dénote vis-à-vis d'un frère une méfiance au moins singulière, l'éventualité d'une usurpation violente des droits qu'il vient d'accorder. On devine aisément que cette diatribe vise, non pas Gislebert, comte de Looz, mais ses descendants, dont le scribe nous rappelle l'existence chaque fois qu'il est question du frère de l'évêque.

Quant à la charte de 1015, l'examen paléographique l'a rendue suspecte, puisque son écriture est étroitement apparentée à celles des chartes de Saint-Jacques du début du XIIe siècle.

Contre l'authenticité de la charte, Schubert avait avancé certains arguments d'ordre diplomatique qui furent, avec raison, combattus par M. P. Harsin. M. Niermeyer, reconnaissant le peu de fondement des arguments de Schubert, s'est efforcé de démontrer l'inauthenticité de la charte épiscopale, en comparant les données avec la narration de la Vita Baldrici.

Parmi les donations dont Baldéric gratifie l'abbaye, celle du domaine de Silva devrait chronologiquement se placer en tête. La charte de 1015 attribue au défunt comte Arnoul de Valenciennes une active participation à cette donation que les termes de la charte présentent comme définitivement achevée à cette époque: Defuncto igitur Arnulfo comite de Valencines... quo etiam cooperante allodium quod Silva dicitur... supradictae tradidi ecclesiae. On ne sait pas la date exacte de la mort du comte Arnoul. Vanderkindere la situe avec vraisemblance en 1011, puisque c'est vers cette date que l'empereur Henri II inféoda le comté de Valenciennes à Baudouin IV de Flandre. Or, s'il faut en croire la charte de 1016, l'actio de la donation de Silva, par Baldéric, a eu lieu en même temps que celle d'autres domaines, le 6 septembre 1016.

La Vita Baldrici dit que le comte Arnoul de Valenciennes, sentant sa fin approcher, envoya quérir l'évêque de Liège pour qu'il l'assistât dans ses derniers moments. Quand celui-ci fut arrivé à Valenciennes, Arnoul lui confia qu'il désirait lui céder ses biens. Mais la possession du castrum de Valenciennes était convoitée par le comte de Flandre. A la mort d'Arnoul, sa veuve serait trop faible pour s'opposer aux attaques de son puissant voisin. Il était donc urgent de lui fournir une aide militaire. Baldéric retourne à Liège pour renforcer son armée. Arnoul meurt et, aussitôt, son comté est en proie à une telle anarchie que sa veuve Leugarde part à Liège implorer l'intervention de l'évêque. L'occasion paraît bonne au comte de Louvain, qui souhaitait se réconcilier avec l'évêque, de tendre une embuscade, de s'emparer de Leugarde et de lui proposer d'intercéder en sa faveur auprès de Baldéric: elle abandonnerait au comte Lambert une partie de ses biens, et celui-ci les céderait à Baldéric.

L'acceptation de Leugarde combla les espoirs de Lambert. La veuve du comte de Valenciennes lui céda son alleu de Hanret, et il transporta ce domaine à l'évêque en gage de paix. Ce dernier en dota finalement Saint-Jacques.

La charte de 1015 nous donne de ces événements un exposé moins étendu, mais qui concorde dans ses grandes lignes avec celui de la Vita Baldrici. Une divergence importante cependant: la donation de Hanret s'effectue, non plus par l'intermédiaire de Lambert de Louvain, mais par l'intermédiaire de Gislebert, comte de Looz. Le document précise que le comte de Louvain retint pour lui l'avouerie de Hanret. En vertu d'anciennes coutumes du domaine, l'avoué avait droit à certaines redevances. Ce que nous connaissons de l'histoire du comté de Valenciennes au début du XIe siècle s'accorde-t-il avec la relation de la Vita Baldrici ?

Le comte de Flandre Baudouin IV, allié à Lambert de Louvain dans sa lutte contre Godefroid, duc de Basse-Lotharingie, assiégea la ville en 1007 et l'occupa. Cependant, concluant la paix avec Henri II, il lui remit la ville la même année. Peu avant 1012, Henri II, voulant s'attacher la fidélité de Baudouin, inféoda en sa faveur le comté de Valenciennes. Ainsi l'appel d'Arnoul à Baldéric et sa mort doivent se placer logiquement entre 1007 et 1012, au moment où Arnoul, libéré de l'occupation de Baudouin, craint que celui-ci ne recommence ses attaques. Quant à la bataille de Hoegaarden (1013) au cours de laquelle les armées de l'évêque de Liège furent défaites par celles du comte de Louvain, elle est postérieure à l'inféodation de Valenciennes au comte de Flandre.

Trois constatations s'imposent:

1° La charte de 1015 fait coopérer Arnoul de Valenciennes à la dotation d'une abbaye fondée trois ans au moins après sa mort.

2° Par là même, la charte de 1015 se trouve en contradiction formelle avec la Vita Baldrici, qui considère la fondation de l'abbaye de Saint-Jacques comme une conséquence de la bataille de Hoegaarden.

3° Le guet-apens de Lambert de Louvain se place après la bataille de Hoegaarden, entre les années 1014-1015. On ne comprend pas alors pourquoi Leugarde se rend à Liège implorer l'assistance de l'évêque, puisque, depuis au moins 1012, Valenciennes est gouverné par le comte Baudouin.

Ce ne sont pas les seules difficultés auxquelles se heurte la charte de 1015.

Comment se fait-il que l'alleu d'une personne noble laïque possédât un avoué à qui était reconnu le droit d'en retirer des redevances ? Le chanoine Roland a été frappé de cette anomalie. Il juge qu'il est difficile d'expliquer l'origine des droits d'Arnoul, de Leugarde et de Lambert sur Hanret. Les droits de Lambert ne se justifient, selon lui, que parce que ce domaine appartenait à l'abbaye de Lobbes dans le courant du IXe siècle. Pour M. Niermeyer, le passage concernant l'avouerie est faux: il a été rédigé dans le but de dénaturer les droits héréditaires des comtes de Louvain sur Hanret. Il conclut que le domaine de Hanret est devenu la propriété de l'abbaye de Saint-Jacques par une simple donation du comte Lambert de Louvain, dans laquelle Arnoul et Leugarde n'ont rien à voir. Hanret appartenait donc jadis à Lambert de Louvain. Dès lors il serait naturel qu'en cédant le domaine à Saint-Jacques, il s'en réservât l'avouerie.

Notons tout de suite que rien ne s'opposerait catégoriquement à ce que Hanret ait été propriété du comte de Louvain. Au IXe siècle, le pays de Hesbaye était divisé en quatre comtés: Louvain, Brunengeruz, Avernas, Haspinga. Au début du XIe siècle, Lambert le Barbu acquit par héritage le comté de Bruxelles. En 1013, il reçoit en engagère de l'évêque de Liège, le comté de Brunengeruz. Il possédait également au début du XIe siècle le domaine de Villers-le-Bouillet. Si l'on examine la carte III de l'Atlas de géographie historique de la Belgique, on s'aperçoit que Hanret n'est pas loin du bloc principal des possessions des comtes de Louvain, sans parler des droits d'avouerie qu'ils exerçaient à Incourt, Nivelles, Gembloux.

Cependant, ce n'est là qu'une hypothèse et le manque de documents ne permet pas de lui donner la force d'une certitude. A notre avis, les contradictions dans la teneur de la charte de 1015 ruinent une authenticité que rendait déjà douteuse l'examen paléographique. Le faussaire a imaginé de faire participer le comte Arnoul de Valenciennes à la donation de Silva, pour introduire et rendre plus véridique la donation, par Leugarde, d'un domaine dont il reconnaît lui-même l'anomalie des coutumes.

Son but n'est pas surtout, selon nous, de dévaluer les droits pléniers des comtes de Louvain sur Hanret. Il veut mettre fin aux exactions auxquelles se livre à ce moment le comte de Looz, avoué du domaine, et il rédige la constitution de telle manière qu'elle réponde à deux éventualités:

1° Le comte de Looz n'a aucun droit sur l'avouerie de Hanret puisque l'évêque Baldéric en a investi le comte de Louvain.

2° S'il n'y a pas moyen de frustrer le comte de Looz de l'exercice de ses droits, les restrictions apportées à ceux-ci constituent tout de même un résultat.

La comparaison concluante de l'écriture des chartes du début du XIIe siècle avec celle de 1015, le même recours que la charte fausse de 1016 à l'autorité de Baldéric, le fait que les abus auxquels le comte de Looz se livre vers 1101 dans l'avouerie des domaines de l'abbaye ont donné lieu à cette époque à la confection d'un acte faux: tous ces éléments nous portent à placer la rédaction de la charte de 1015 dans les vingt premières années du XIIe siècle.

L'inauthenticité des deux chartes de l'évêque Baldéric laisse donc ouvert l'irritant problème de l'apposition du sceau épiscopal à Liège au début du XIe siècle, puisque, sur les trois chartes qui nous sont parvenues de cet évêque, celles de Saint-Jacques étaient les seules à en porter. A l'époque où Van den Berch prit copie des deux actes épiscopaux, le sceau de 1016 avait disparu. Il n'en restait plus que l'empreinte de la circonférence sur le parchemin. Le héraut d'armes l'a reproduite en signalant le développement remarquable du diamètre (9 cm. et 4 mm. de bande). Le sceau de 1015, dont il subsiste encore un petit fragment blanchâtre était à peu près intact en 1634-1636. Van den Berch en donne la description suivante: figure d'un demi evesque revestu des ornements épiscopaulx, la croche à dextre, a gauche ne se peult distinguer. Son diamètre n'a que 5 cm. et demi et 7 mm. de bande. On peut difficilement admettre qu'à cette époque où la chancellerie épiscopale est loin d'être organisée, l'évêque ait utilisé deux sceaux de format différent. Comme le remarque E. Poncelet, les évêques de Liège n'ont usé, de 959 à 1312, que d'un type de sceau. Le même érudit, signalant le texte de la légende du sceau de 1015, transcrit par Van den Berch, estime que la qualification Leodien, jointe à episcopas ne devait pas figurer sur le sceau de l'original. A notre avis, cette addition suspecte n'est pas due à une distraction du scrupuleux copiste. Celui-ci n'a fait que la reproduire, telle qu'il l'a déchiffrée sur le fragment, et sa présence révèle une fois de plus l'oeuvre d'un faussaire.

Enfin, on est en droit de se demander si les faux de Saint-Jacques ont pour base des chartes de Baldéric. La rareté des chartes authentiques des premiers évêques de Liège du XIe siècle ne constitue pas une présomption que l'on puisse retenir en faveur de la renaissance à Liège, dès cette époque, de la charte scellée.

Nous pouvons dès maintenant fixer définitivement le sort de la charte abbatiale de 1067, puisque sa transcription vers 1103 l'a rendue nettement suspecte et la rattache à la même période de rédaction que les chartes dont on vient de terminer l'examen.

La charte concerne un échange conclu entre le comte Albert II de Namur et Saint-Jacques, dont la réalité est confirmée par un passage de la Fundatio ecclesiae sancti Albani Namucensis rédigé après 1067. La charte n'est cependant pas un acte récrit ou une rénovation, car le développement et le caractère des clauses d'avouerie trahissaient l'oeuvre et les buts d'un faussaire. On peut considérer, à la suite de M. Niermeyer, que le comte de Namur émettait, au début du XIIe siècle, des prétentions sur l'avouerie d'un domaine qui avait jadis fait partie du patrimoine des comtes de Namur. Rédiger un acte antérieur dans lequel l'avouerie du domaine en question appartient à un autre que l'intrus, est un procédé que les premières chartes étudiées nous ont rendu familier. Mais comme on ne peut, pour sauvegarder les apparences, substituer au comte de Namur que le comte de Looz, et que celui-ci commet à cette époque les mêmes abus dans l'exercice de son pouvoir, les moines s'empressent de limiter strictement l'étendue de ce dernier. Le document fabriqué est donc en mesure d'être approprié à d'autres circonstances qu'à la situation particulière qui en a déterminé la genèse. On aura d'ailleurs l'occasion de reparler de la charte de 1067 dans la conclusion, lorsque la comparaison diplomatique et paléographique des chartes rédigées au début du XIIe siècle nous autorisera à dégager des principes d'élaboration communs à ces documents.


2. LES DIPLOMES ET LES CHARTES CONCERNANT DONCEEL

Les quatre premiers actes qui vont maintenant nous occuper concernent tous le même domaine et ont retenu maintes fois l'attention des diplomatistes. On sait qu'à la suite de ces examens répétés, l'authenticité des documents de 1034 et 1084 ne peut plus être défendue. Il semblerait, à première vue, que cette quasi- unanimité de la critique rende inutile un nouveau débat. Il n'en est rien cependant, car la détermination de la date exacte de fabrication du diplôme de 1034 et de la première partie de la charte de 1084 - 1086 constitue un problème complexe.

Du moins nous efforcerons-nous de situer clairement la question. Pour réaliser ce but, il convient de partir d'un document très sûr, qui serve dans la suite de point de repère stable. Le diplôme de Henri IV de 1088 remplit parfaitement ces conditions, bien qu'on doive déplorer la perte de l'original. La copie de Van den Berch en a sauvé quelques éléments: le monogramme, le sigle MPR, dont l'aspect concorde avec les exemples d'autres diplômes du même auteur, ainsi que le sceau d'un diamètre de 11 cm. (1 cm. de bande) portant l'inscription: + HEINRICVS DEI GRATIA ROMANORVM IMPER. et montrant dans le champ un empereur, la couronne en teste et assis dans une chere, a dextre le monde et a gauche un sceptre sommé d'un lys qui correspond à des exemplaires authentiques.

Bresslau a remarqué que l'arenga était empruntée aux diplômes de Henri II, de 1006, pour Notger de Liège, et de 1007' pour les chanoinesses de Thorn, sur la demande de Notger.

Ces emprunts décidèrent Bresslau à attribuer la rédaction du diplôme de 1088 à un membre de la cour épiscopale liégeoise. M. Niermeyer adopta cette manière de voir: pour lui, cette personnalité a rédigé et écrit trois diplômes, deux pour Saint-Jacques (1088, 1101 A), un pour Bamberg (1103), ainsi qu'une charte fausse de 1067, et se trouvait, par conséquent, en relations étroites avec l'abbaye.

Le domaine dont l'empereur confirme la possession à Saint-Jacques avait appartenu à la comtesse Mathilde de Toscane. Or celle-ci avait été mise au ban de l'Empire en 1085 et l'empereur pouvait disposer de ses biens. Il est donc clair que c'est dans le but de voir dûment ratifiés leurs droits sur le domaine que les moines ont demandé à l'empereur, par l'intermédiaire de l'évêque de Liège, de leur délivrer le diplôme de 1088.

La donation de Mathilde à l'abbaye avait-elle fait l'objet d'une charte antérieure? Une charte épiscopale de 1084 prétend donner à cette question une réponse affirmative.

Mais on s'est aperçu déjà qu'elle était fausse puisqu'elle est due au scribe d'une charte de 1140. Du point de vue diplomatique les anomalies n'y manquent pas: insertion d'une lettre de la comtesse Mathilde relative à la donation, substitution, comme avoué de Saint-Jacques à Donceel, de l'avoué de Saint- Lambert au comte de Looz dont il est fait mention en 1088, et limitation sévère de ses droits, alors qu'il n'en est pas du tout question dans le diplôme. Est-il besoin d'insister sur un procédé qui devient systématique à mesure qu'on avance dans l'examen du chartrier?

La charte de 1084-1086 comprend deux parties reliées par une phrase de transition. La première n'est autre que la reproduction à peu près complète de la charte de 1084, et cela seul constitue un indice nettement défavorable à son authenticité. Cependant les clauses d'avouerie font totalement défaut. On a l'impression que l'explication du faux ne doit pas être cherchée dans ce premier acte, mais dans la seconde partie, où Henri de Verdun relate un échange conclu, en 1086, entre Saint-Jacques et la collégiale de Saint-Pierre, ainsi qu'un jugement relatif à la dîme d'une terre dont un curé disputait la possession à l'abbaye.

La lecture du texte rend immédiatement suspect le document: redondances et recherche de style, formule d'anathème dont l'exagération et la solennité ampoulée conviendrait à peine à un privilège papal, tous ces détails trahissent nettement le faussaire, qui se découvre par l'excès même du soin qu'il met à composer son oeuvre.

La charte fausse de 1084-1086 a donc été rédigée pour assurer au monastère la jouissance d'un droit de dîme sur un domaine. Comment expliquer alors que le faussaire ait jugé nécessaire d'insérer le texte de la charte de 1084?

A notre avis, ce souci prouve, de sa part, l'intention de ne rien laisser au hasard. Il est possible, en effet, qu'il ait eu des motifs particuliers de craindre que le curé qui contestait alors les droits de l'abbaye ne se laissât pas convaincre par l'énoncé d'une condamnation d'un cas trop fidèlement semblable au sien et que cette circonstance ne l'amenât même à se méfier de l'authenticité de la charte. Pour prévenir cette éventualité, comment mieux faire que d'introduire le faux par un acte concernant un tout autre objet, et à en retirer, par une suprême habileté, les clauses d'avouerie suspectes afin de rendre le document tout à fait neutre.

Ainsi l'acte de 1084 n'a été reproduit que pour servir de garant à l'authenticité de celui de 1086, et non à l'occasion d'abus dans l'avouerie du domaine de Donceel. On se demande d'ailleurs comment la version de la charte de 1084, telle qu'elle figure dans la charte de 1086, aurait pu être utilisée dans ce but, puisque les clauses d'avouerie y font défaut. Invoquer cette lacune comme preuve que le domaine de Donceel n'avait pas d'avoué et que, par conséquent, les droits qu'on prétendait y exercer sont nuls, semble une argumentation peu apte à faire triompher le point de vue de l'abbaye: les moines de Saint-Jacques avaient trop l'habitude des faux pour se contenter des demi-mesures.

Le diplôme de 1034 se présente sous une forme et des dehors tellement fantaisistes qu'il n'a jamais pu tromper la sagacité des spécialistes et des historiens qu'avait attirés la singularité de son contenu. C'est ainsi que M. Boeren, méconnaissant les travaux diplomatiques qu'on lui a consacré depuis le début du siècle, a pu juger en passant, au seul aspect du document, qu'il ne se trouvait pas en présence de l'original, mais d'une copie non scellée du commencement du XIIe siècle.

Nous ne reviendrons pas en détail sur tous les éléments qui interdisent de rattacher ce diplôme à la série des actes authentiques de Conrad II: absence d'un ordre impérial de conscription et de scellement, absence du monogramme et du sceau, caractère tardif de l'écriture, rédaction insolite des clauses pénales, terminaison inaccoutumée du protocole final. Schubert, Bresslau, Roland, M. Niermeyer ont relevé chacun ces anomalies.

Mais le texte même est de nature à nous étonner.

Conrad II, mécontent de l'attitude d'un officier de sa cour, lui retira l'alleu de Donceel qu'il lui avait probablement donné en bénéfice et en favorisa le duc Thierri. Une parente de ce dernier, Judith, était la maîtresse de Gozelon, comte d'Engis, Thierri, désirant régulariser l'union de Judith et de Gozelon, leur céda, avec l'approbation de Conrad II, son domaine de Donceel. Cette traditio eut lieu, dit le diplôme, en 1034, en la dixième annce de l'épiscopat de Réginard de Liège. En 1075, à la mort de son mari, Godefroid le Bossu, Mathilde de Toscane reçut le bien qui, on l'a vu, passa ensuite à l'abbaye de Saint-Jacques.

Les recherches de Roland, de Bresslau, de Schubert confirmées par les résultats de l'enquête de M. Boeren, menée sans connaître les conclusions de ses devanciers, permettent de proposer, pour certains personnages du diplôme, les identifications suivantes:

Thierri, dux Alliesedis, est peut-être le duc de Haute-Lotharingie, mort le 11 avril 1026 ou 1027.

Gozelon d'Engis ne serait autre que Gozelon le Fainéant, frère de Godefroid le Barbu, duc de Haute (1044-1047) et de Basse-Lotharingie (1065-1069), et qui, après avoir été investi pendant deux ans (1044-1046) du gouvernement de la Basse-Lotharingie, mourut en 1046, l'année même où l'empereur lui retira cette dignité.

Veuf et sans postérité, il a sans doute transmis à son frère aîné Godefroid le Barbu ses droits sur Donceel. On ne peut expliquer autrement, semble-t-il, l'origine des droits de la comtesse Mathilde sur un domaine qu'elle avait reçu dans la succession de son mari, fils de Godefroid le Barbu.

Pour éclairer ces considérations, il suffit de tracer ce crayon généalogique:

Gozelon I, duc de Basse-Lotharingie (+ 1044)

Godefroid le Barbu (t 1069) Judith Gozelon II (t 1046)
duc de H.-L. (1044-1047) (selon Roland duc de B.-L.
de B.-L. (1065-1069) et Boeren )

Godefroid le Bossu — Mathilde de Toscane


De toutes ces personnalités, seule Judith reste dans l'ombre. M. Boeren, d'habitude plus hardi, propose très prudemment son identification avec son homonyme, mère de Limbourg II, tout en faisant remarquer avec raison que le terme neptis ne donne - aucune certitude sur la nature exacte du lien de parenté qui l'unissait au duc Thierri.

L'identification de ce dernier, comme duc de Haute- Lotharingie, revêt une particulière importance pour la concordance des éléments chronologiques du diplôme. Or ceux- ci sont loin de réaliser une parfaite harmonie:

1° L'évêque de Liège étant qualifié de venerabilis memorie, le scribe doit avoir écrit le diplôme au moins après le 5 décembre 1037, date de la mort de Réginard.

2° La donation de Thierri se serait effectuée lors d'un séjour de Conrad II à Liège, pendant les fêtes de Pâques. Or les données de l'itinéraire de cet empereur n'apportent que des indices nettement défavorables à la réalité de l'installation de la cour impériale à Liège, durant la semaine pascale.

3° Si Thierri est le duc de Haute-Lotharingie mort en 10261027, la donation a dû avoir lieu avant cette date puisqu'on le voit effectuer lui-même la donation devant l'empereur

Il s'ensuit évidemment que la date de 1034 ne peut être retenue ni pour l'actio ni pour la conscriptio. Le diplôme est faux, comme l'examen des formules et de l'aspect extérieur l'avaient déjà nettement établi.

Dans quel but les moines de Saint-Jacques l'ont-ils rédigé?

Le passage relatif au jugement, devant l'empereur, des délits contre les droits du détenteur, en donne l'explication. L'abbaye avait sans doute à écarter les prétentions de l'avoué de Donceel et la date que le faussaire avait assigné à sa composition ne lui permettait pas d'insérer en termes clairs un règlement restrictif d'avouerie. La situation juridique — ratione personae — dans laquelle se trouvait alors le bien lui imposait de recourir à des formules vagues, mais suffisantes pour servir d'argument dans les circonstances présentes. Elles ne revêtent cependant pas assez de précision pour avancer, comme le fait M. Niermeyer, qu'il s'agissait d'arracher ou de contester à l'avoué la juridiction criminelle sur le domaine.

Cependant, malgré cette précaution qui dénote au moins une fois chez le faussaire le souci de soigner son oeuvre, peut-on croire sérieusement qu'elle a, ou qu'elle ait pu, faire illusion et qu'on ait pu la produire, comme preuve instrumentaire, lorsqu'il s'est agi de régler le différend qui est à l'origine de sa fabrication? Mis à côté des autres faux de Saint-Jacques, dont on a eu maintes fois l'occasion de reconnaître l'habileté, le diplôme de 1034 détone visiblement par la maladresse de sa présentation.

Ce n'est pas que le style dans lequel il est rédigé et le choix des expressions ne pâtissent de la même carence. Au contraire, on sent nettement chez le rédacteur la préoccupation de polir ses phrases, d'en rechercher le tour le plus élégant, d'arranger d'une manière habile les différents éléments de sa narration, comme un élève à qui l'on aurait donné un canevas sur lequel il base son développement.

Pour poser sans détour le problème: le diplôme de 1034 est-il un exercice scolaire ? Bresslau avait déjà pressenti cette solution. Différents indices nous engagent à nous y arrêter. Notamment les emprunts à Virgile et à Salluste et cette indécision dans le tracé des lettres, qui nous avait déjà frappée au cours de l'examen paléographique, comme si elle marquait les efforts d'un novice à reproduire un modèle (1086). Et ce devoir n'aurait pas seulement pour but d'apprendre au jeune moine les secrets du bien-écrire. Par la même occasion il lui rendrait familiers les procédés qui assuraient à l'abbaye le triomphe de ses droits lorsqu'on attaquait les biens de l'apôtre.

Ainsi donc les trois actes de 1084, 1084-1086 et 1034 sont des faux. Un problème reste à résoudre: celui de la date.

En ce qui concerne l'acte de 1084, il est certain qu'il faut le placer non loin de l'année 1140. Comme le privilège d'Innocent II de 1137 reproduit un fragment de la clause d'avouerie contenue dans la charte, on peut même préciser que celle-ci a été rédigée peu avant le 28 novembre 1137, bien que nous sachions que, pour M. Niermeyer, ce témoignage pontifical soit loin d'être une sûre garantie, puisque l'original est perdu et qu'il reste toujours une chance qu'il ait été interpolé.

La charte de 1084-1086 offre des points de repère chronologiques d'une autre espèce. Le prénom du comte de Looz y est orthographié Gilebertus, comme dans la charte de 1084, les diplômes de 1034 et de 1125. En outre, du point de vue paléographique, la deuxième partie présente des particularités similaires à celles du diplôme de Lothaire III de 1134 et de la charte abbatiale de 1146. Enfin, comme son rédacteur se base sur le texte de la charte de 1084, il paraît donc fondé d'en placer la confection après 1137 et non loin de l'année 1146.

Quant au diplôme de 1034, il apparaît immédiatement qu'on doit situer sa rédaction très près de celle des deux actes précédents. En effet, la graphie du prénom du comte de Looz est identique, l'écriture révèle une proche parenté avec celle de la charte de 1086 et, de plus, des témoins sont communs aux trois chartes. Si l'hypothèse que nous développions tantôt au sujet de la nature du diplôme de 1034 était mieux qu'un essai d'explication, ce dernier serait postérieur à son modèle calligraphique de 1086. D'autre part, si l'on ne craignait pas de tomber dans un abus que l'on reproche à M. Niermeyer, la présence de l'expression Honor regis est iuditium diligere dans le diplôme de 1141 contribuerait à confirmer notre supposition et à préciser un terminus a quo. Qu'il nous suffise de choisir, pour le diplôme de 1034, les mêmes repères chronologiques que ceux de la charte de 1086, en avouant nos préférences pour une date postérieure à 1141.


3. LES CHARTES DU DEBUT DU XIIe SIECLE

L'examen paléographique nous a permis de constater, à la suite de Schubert et de M. Niermeyer, que les chartes abbatiales de 1101 et de 1103 étaient fausses puisque la première était due à un scribe d'une charte de 1146 et la seconde au scribe du diplôme de 1134. Le contenu des deux actes ne contient aucune donnée suspecte et susceptible de nous éclairer sur les motifs de leur fabrication. M. Niermeyer s'est efforcé de confirmer l'évidence paléographique du faux par des arguments supplémentaires. Concernant la charte de 1101 il estime étrange la graphie Olbertus du nom de l'évêque. Soit. Que le sceau annoncé soit le sigillum sancti Iacobi lui paraît insolite, car les sceaux conventuels sont très rares dans le premier quart du XIIe siècle. On a vu tantôt que cette rareté, toute relative d'ailleurs, n'excluait pas son existence à l'abbaye de Saint-Jacques dès cette époque. Enfin, le diplomatiste hollandais juge inadmissible que dans les deux chartes Etienne II soit titré abbé alors qu'il s'appelle encore provisor dans des actes de 1107.

Ce dernier argument nous paraît irrecevable. Bien que la réalité des faux ne fasse aucun doute, l'explication que nous proposons de cette apparente anomalie n'est pas inutile, parce qu'elle contribue à préciser un des aspects de la querelle des Investitures à Liège.

Mais avant d'évoquer les événements de cette période troublée, une précaution philologique s'impose.

Madame von Winterfeld, dont ce problème avait retenu l'attention, a fait justement remarquer qu'en général provisor désignait le personnage revêtu de la dignité immédiatement inférieure à celle d'abbé et qui possède la direction d'un groupe de biens du monastère. La même érudite constatait ensuite avec raison qu'on ne pouvait voir, dans l'auteur de la charte qu'elle éditait, un autre personnage que l'abbé Etienne, étant donné l'autorité et la liberté avec lesquelles ee provisor réglait les dispositions du domaine mentionné dans le document. Le bien-fondé de cette identification trouve, par ailleurs, une confirmation indiscutable si l'on examine les deux autres chartes restées inconnues de Madame von Winterfeld.

Puisque le provisor sancti Jacobi est, sans doute possible, l'abbé Etienne, pourquoi celui-ci revêt-il ce titre dans la suscription des deux chartes qu'il délivre vers 1107 ? Madame von Winterfeld, qui n'avait pu dater la charte von Solemacher que par les années-limites de l'abbatiat d'Etienne (1095-1112), émettait l'hypothèse que le document avait été rédigé vers 1095, au moment où Etienne n'était pas encore abbé, mais successeur désigné, qui dirigeait déjà la communauté.

Faudrait-il admettre qu'Etienne fût resté neuf ansj de 1095 à 1112, sans jouir de la plénitude du pouvoir abbatial? Certainement pas. Même en négligeant le témoignage des chartes d'autres établissements dans lesquelles on le voit figurer avec le titre d'abbé, il est évident qu'Etienne n'aurait pu poser les actes importants que nous le voyons accomplir durant cette période, si son autorité sur la communauté n'eût été intégralement sanctionnée par la consécration épiscopale. Pour lever tout doute à cet égard, il suffit de signaler que, dans la charte de 1107 où il s'intitule provisor et dont il n'y a pas lieu de suspecter l'authenticité, Etienne annonce son sceau personnel, et sur la reproduction qu'en a laissoe Van den Berch figure l'inscription: STEPHANVS ABBAS.

Le problème se résume donc à chercher pourquoi, vers 1107, l'abbé de Saint-Jacques s'est cru obligé d'abandonner provisoirement son titre.

Quel jour en avait-il été investi? Son prédécesseur était mort le 14 janvier 1095, et, le 21 mars, l'évêque Otbert confie à l'abba Etienne des moines du monastère de Saint-Laurent. C'est donc entre ces deux dates que ce dernier a été consacré. A¢cepter cette intronisation à ce moment-là risquait fort de constituer une prise de position dans le conflit qui commençait à secouer le monde chrétien et la principauté de Liège. Les partis n'étaient cependant pas encore rigoureusement fixés. L'excommunication d'Otbert nous est connue par une lettre d'Urbain II à Bérenger, abbé de Saint-Laurent à Liège, et les érudits ont émis des opinions divergentes sur la date exacte de l'événement. Martène et Durand la plapaient à l'époque du concile de Clermont, entre le 18 et le 28 novembre 1095, Hirsch la reculait avant la réhabilitation de Bérenger, en août 1095. Enfin, Wattenbach, Cauchie et le R. P. de Moreau ont défendu le mois de mars 1095, coïncidant avec le concile de Plaisance. Ces trois érudits apportent à leur thèse des arguments qui entraînent la conviction. Partant du fait certain que læ lettre pontificale a été rédigée à un concile célébré par Urbain II, les termini chronologiques se situent entre la réunion de Metz de mars 1093 et le concile de Clermont (18-28 novembre 1095). Or à l'époque du concile de Clermont, Bérenger est réconcilié avec Otbert. On n'a donc le choix que du concile de Plaisance. Ce concile eut lieu à la mi-carême (ler mars) et dura au moins sept jours. C'est au cours de la septième session qu'on rédigea les quinze articles des décisions. Les ordonnances des Saints Pères concernant les simoniaques furent confirmées, la validité des consécrations réglées suivant les cas, et l'anathème fulminé contre Guibert et ses partisans. Il n'était pas explicitement fait mention d'Otbert: avec Guibert étaient condamnés omnes ejus complices. Mais comme Urbain II dit, dans sa lettre à Bérenger, qu'il a excommunié Otbert par un canon du concile, il est certain que l'évêque de Liège était compris dans le lot.

Etienne savait-il la condamnation d'Otbert lorsqu'il reçut de ce dernier la consécration? Si celle-ci a eu lieu au mois de mars, les chances sont minimes. Etienne aurait dû apprendre la nouvelle entre le 8 et le 20 mars et il est peu probable que les décisions du concile fussent déjà parvenues à Liège durant ces douze jours. Si la consécration a eu lieu avant le concile de Plaisance, entre le 14 janvier et le 7 mars, Etienne ne pouvait cependant pas ignorer qu'Otbert fût simoniaque et susceptible de tomber sous le coup d'une imminente condamnation. Dès le second semestre de 1094, le pape avait envoyé les convocations pour le concile de Plaisance; l'objet de ce dernier n'était pas douteux puisqu'une consultation avait été demandée au moine Bernold, en vue du concile, sur les ordinations faites par des excommuniés. D'ailleurs, les manoeuvres qui avaient permis à Otbert de s'installer dans la chaire épiscopale n'étaient, à Liège, un secret pour personne. Quand les articles du concile de Plaisance furent portés à la connaissance du clergé liégeois, Etienne dût probablement constater que l'article qui le concernait était le n° 4, affirmant la non-validité de la consécration si l'élu savait que son consécrateur était simoniaque.

L'insistance que l'on met dans l'analyse de ces préliminaires peut paraître excessive. Mais n'y a-t-il pas lieu d'être surpris en s'apercevant que la personnalité unanimement considérée

comme l'introducteur et le représentant le plus autorisé, dans la principauté de Liège, des idées clunisiennes, entretient, de 1095 à 1107, dans la période la plus aiguë de la crise, des rapports étroits avec le principal adversaire de l'idéal réformateur? Cette ~situation paradoxale mérite bien qu'on s'y arrête.

A notre avis Etienne était profondément attaché au mouvement clunisien et il avait déjà mûri avant 1095 le dessein d'en introduire les idées à Liège. A la mort de l'abbé Robert, son élection lui donnerait l'occasion de mettre en oeuvre le plan qu'il s'est tracé, mais la présence d'Otbert sur le trône épiscopal et l'imminence de sa condamnation risquent de constituer un obstacle insurmontable. Privé de la consécration de l'ordinaire et en butte à son hostilité s'il la refuse, comment obtenir l'autorité nécessaire pour faire triompher une cause dont il sent, plus que tout autre, la particulière urgence? Faisant taire ses scrupules, il reQoit du schismatique la consécration qui lui assure le prestige et le pouvoir d'action attachés à la dignité abbatiale.

Qu'Otbert ne se soit pas mépris sur la sincérité de l'attitude du nouvel abbé, c'est fort probable. L'évêque comprit sans doute qu'il fallait composer avec ce caractère énergique et que la situation d'Etienne pourrait servir, le cas échéant, ses intérêts. D'autres facteurs, qui nous échappent, incitèrent peut-être Otbert à ménager, seul de tous ]es abbés des grands monastères liégeois, le chef de Saint-Jacques. En tout cas, il entendit se servir tout de suite de ce dernier lors du conflit qui l'opposa, en mars 109O, aux moines de Saint-Laurent. Otbert avait placé à la tête de ce monastère une de ses créatures, Wolbodon, à la place de Bérenger, contraint à l'exil. Les moines s'étant rebellés contre l'intrus, Otbert dispersa les éléments indociles. Sa tentative de les remettre aux mains de seigneurs laïques ayant échoué, il se décida à les confier à l'abbé de Saint-Jacques. Manoeuvre particulièrement habile: en évitant une rupture totale, il manifestait ainsi à Bérenger un espoir d'accommodement et il semblait lui signifier qu'il n'oubliait pas les intérêts spirituels des moines de SaintLaurent; en même temps Bérenger devait se sentir rassuré en voyant ses moines confiés à la protection d'un homme dont il ne pouvait méconnaître ]a valeur et les véritables convictions.

Dans la suite, l~tienne ne répugne pas à assister, en qualité de témoin, à la confirmation, par l'évêque, de transactions relatives à des établissements ecclésiastiques de la principauté. Le 10 mars 1099, il est présent à la ratification épiscopale d'un jugement du synode d'Ocquier. En outre, soutenu par l'autorité de l'évêque, il obtient de l'empereur le diplôme du 1er juin 1101 qui sanctionne sa politique domaniale.

Cette attitude résolue pouvait égarer ceux qui ne soupQonnaient pas ]es véritables motifs des agissements d'Etienne. Lorsqu'après le 24 janvier 1098, Otbert l'envoie à Saint-Hubert pour convaincre les moines de ne pas s'opposer à la consécration de Wired, le futur abbé, les porte-parole de la communauté, expri-mant la méfiance du troupeau fidèle envers la brebis galeuse, lui répondirent en substance qu'on ne le jugeait pas qualifié pour donner un conseil de ce genre, et le rôle médiateur d'Etienne échoua.

Ce n'est pas seulement de la part des moines de Saint-Hubert que l'abbé de Saint-Jacques vit ses intentions mal interprétées. Vers 1103, il juge le moment venu d'introduire en son abbaye les coutumes clunisiennes. Si la réforme ne parut pas rencontrer de difficultés au sein de la communauté, elle suscita une. vive résistance à Saint-Trond et une opposition irréductible à Lobbes, où Etienne avait délégué des moines instructeurs.

Etienne avait pu, au moins, faire comprendre les raisons de son attitude à Bérenger de Saint-Laurent qui, avant 1095, était un prosélyte intransigeant de l'idéal réformateur. L'abbé de SaintJacques eut-il l'occasion de jouer un rôle médiateur dans la réconciliation de l'évêque et de Bérenger, en 1095? On n'en conserve pas de témoignage. Mais le chanoine Cauchie note, qu'après cet événement, qui suivit le retour d'exil du chef de Saint-Laurent, celui-ci accepta le schisme en reconnaissant la légitimité du pouvoir d'Otbert et en entretenant des relations avec Henri IV et Henri V. En même temps, au dire du mêrne historien, son amitié pour Rupert, le projet de Thierri II de confier Saint-Hubert à Bérenger, et, plus encore, l'introduction des coutumes de Cluny à Saint-Laurent, prouve qu'il restait attaché aux idées réformatrices. Cette position n'offre-t-elle pas une analogie frappante avec celle d'Etienne ? Ce dernier suivait ou inspirait Bérenger quand celui-ci, pour atténuer la violence des passions, affirmait que la bénédiction n'était pas d'Otbert mais de Dieu.

Aussi n'est-il pas étonnant de voir, le 10 mars 1104, les abbés de Saint-Jacques et de Saint-Laurent appelés auprès de l'archevêque de Cologne pour confier à ce dernier les sujets de plainte de Wired à l'égard d'Otbert. Etienne et Bérenger apparaissent nettement comme les médiateurs attitrés entre les partis rivaux. Ce rôle devenait d'ailleurs de jour en jour plus aisé à mesure que la lassitude s'emparait des moines intransigeants et que les principes pâlissaient devant l'urgence des intérêts.

Mais la papauté ne désarmait pas. Le 22 octobre 1106, le concile de Guastalla édictait une grâce générale pour un grand nombre d'évêques, clercs schismatiques et excommuniés, ainsi que la confirmation de tous ceux qui avaient été ordonnés dans le schisme, pourvu qu'ils ne fussent ni intrus, ni simoniaques ou criminels, Otbert fut exclu de cette mesure de clémence et l'excommunication qui le frappait fut renouvelée. Peu après cependant, l'évêque bénéficia d'une amnistie définitive dont on ne connaît pas la date exacte et qui nous est révélée par une lettre de Pascal II à Brunon de Trèves, du 10 novembre 1106.

Selon nous, c'est dans l'attente des décisions du concile de Guastalla et de l'absolution d'Otbert qu'Etienne de SaintJacques, sachant sa consécration non valide, renon,ca provisoirement à la dignité abbatiale et ne voulut porter que le titre de provisor, marquant par là que si l'élection de la communauté l'avait désigné, il attendait que Rome se pronon,cât pour reprendre son titre. Ce geste confirmait son attachement à l'idéal clunisien et le sens véritable des intentions qui l'avaient guidé lorsqu'il avait accepté la consécration d'Otbert.

On ne peut nier que cette politique n'ait porté d'heureux fruits pour le développement de l'abbaye de Saint-Jacques. Dans son Poome sur les malhe?'rs de Lièpe, rédigé pendant l'exil de Bérenger, Rupert de Saint-Laurent révèle les plaintes des saints patrons des monastères brimés et dépouillés par Otbert; seul saint Jacques n'apparaît pas.

De tous les abbés liégeois Etienne a été le seul à choisir délibérément une politique et à s'y tenir, coûte que coûte. Bérenger, après une intransigeance cassante, fait une volte-face complète, Wired, après avoir hésité, finit par accepter la consécration, Rupert, intraitable, préfère l'exil. Mais l'énergique décision d'Etienne et son acceptation du risque lui assurent un succès qu'il ne partage qu'avec ceux que son iniluence a manifestement entraîné. Il n'en faut pas plus pour le considérer comme une des personnalités monastiques les plus marquantes de la principauté au début du XIIe siècle.

La datation des chartes du provisor Etienne concorde avec l'hypothèse que l'on vient de développer. Celle qui ne porte pas d'indication chronologique a dû être délivrée après le 10 novembre 1106. L'autre porte la date de 1107. En admettant que la nouvelle de l'amnistie d'Otbert ne fut pas immédiatement connue à Liège et la situation complètement éclaircie, on ne peut, comme la première, la reculer très loin dans l'année.

Les deux documents ne présentent aucun indice qui fasse douter de leur authenticité et M. Niermeyer les a jugés inattaquables. Le caractère de leur écriture coïncide parfaitement avec la date de leur rédaction. Du sceau d'Etienne il ne reste, dans l'un et l'autre que des fragments informes. Madame von Winterfeld a pu déchiffrer l'inscription STEPHAN... sur le sceau de la charte de la collection von Solemacher, et Van den Berch en donne la description suivante: + STEPHANVS ABBAS... Demi figure teste nue, tenante en main droite la croche et en la gauche un livre fermé. Quant aux lignes du texte—dont dix sont restées vierges—elles sont réglées à la mine de plomb jusqu'au bas de la charte et séparées par un espace très régulier de 1 cm. Avant de les tracer on a déterminé leur emplacement par„~n trou d'épingle pratiqué le long du bord gauche du parchemin. Ajoutons que les deux chartes ont les mêmes dimensions: H. 0,350 X L. 0,275.

La charte du chanoine Etienne de 1107 a également droit à notre confiance, et M. Niermeyer ne lui refuse pas la sienne.

Rédigée avec concision et sobriété, elle présente cette particularité d'être munie du sceau de l'évoque Otbert, de forme ronde, en cire brun clair, rivé sur une croix faite de languettes de parchemin insérée dans une incision cruciforme et sur lequel est représenté, dans le champ: un evesque la mittre en teste, tenant la dextre a l'estomac, les 2 doipts relevés pour donner la bénédiction et à la gauche la croche episcopale. Il est iusques au nombril. Dans la bande, l'inscription: + OTBERTVS GRATIA DEI EPS.

De la charte de 1112 relatant un échange entre les abbayes de Lobbes et de Saint-Jacques, munie de la confirmation et du sceau de l'évêque, M. Niermeyer attribue la transcription à la même main que celle d'une charte de Sai^nt-Jacques de 1126. Comme cette dernière charte est fausse, selon lui, et qu'elle a été fabriquée à la fin du XIIe siècle, il conclut nécessairement à la non-authenticité de la charte de 1112.

La démonstration serait suffisante si la preuve de l'identité des mains s'imposait avec évidence. Rappelons qu'il n'en est rien. A la lumière de cette rectification, les arguments d'ordre diplomatique risquent fort de perdre leur valeur.

Passons sur le rapprochement établi entre les formules de corroboration de 1112 et du diplôme de 1101. Répétons que, même si la ressemblance des termes était le produit d'une intention, il faudrait, pour que l'argument soit valable, que l'inauthenticité du diplôme de 1101 fût manifeste. Nous avons vu qu'il en est tout autrement. Quant au second argument qui consiste à suspecter une charte parce qu'elle concerne une partie du même domaine dont il est question dans une charte fausse, c'est un procédé que nous nous permettons de juger abusif.

M. Niermeyer est plus heureux lorsqu'il trouve étrange que l'on mentionne uniquement ce que Saint-Jacques a re,cu et que l'on passe sous silence ce que l'abbaye a donné à Lobbes en contrepartie, puisqu'il s'agit d'un échange. Et le diplomatiste de conclure que le faux s'appuie manifestement sur une notice, car dans ce genre de document la mention de la contrepartie n'est pas nécessaire, alors qu'elle est requise dans une charte scèllée par l'évêque.

L'argument ne manque pas de pertinence. Mais faudra-t-il, pour cette seule difficulté, condamner une charte qui ne présente pas d'autre anomalie ? Nous ne le pensons pas. L'obstacle, certes, serait difficile à surmonter si l'on était certain que Saint-Jacques a dû donner un domaine en échange. Mais le silence du scribe s'explique si la contrepartie consistait en numeraire ou en un certain poids de métal monnayable. L'opération changerait dès lors sensiblement de nature et équivaudrait à un achat. Or il est courant, à cette époque, de camoufler les tractations basées sur l'argent sous l'apparence d'une opération d'un genre plus bénin. Le chartrier de Saint-Jacques contient précisément un diplôme dont les termes ne permettraient de voir qu'une donation pure et simple si un autre document ne révélait qu'il s'agit en réalité d'un achat, précédé d'un emprunt.

L'authenticité de l'acte de 1112 subsiste donc tant que l'on n'aura pas apporté d'argument plus convaincant que celui de M. Niermeyer.

Le même auteur ne relève aucune anomalie dans une charte non datée, de l'abbé Olbert II (1112-1134). L'écriture très voisine de celle de la charte du provisor de 1107 nous engage à en placer la rédaction dans les premières années du gouvernement d'Olbert II. La feuille de parchemin (H. 0,237 x L. 0,395) est vigoureusement réglée à la mine de plomb. Un espace de 0,017 à 0,019 sépare les lignes, dont les quatre dernières sont restées vierges. Le sceau conventuel disparu était plaqué au coin gauche du verso, sur double bandelette de parchemin insérée verticalement au coin inférieur droit du recto. Ses empreintes couvrent un diamètre d'environ 6 cm.

Le sceau de l'abbé Olbert est attaché de la même manière à une charte de Richer, moine de Saint-Jacques, datée de 1126. Il semble cependant qu'on ait laissé de la place pour un scellement éventuel au recto, car les deux dernières lignes sont plus courtes. Le sceau a laissé, sur le verso, des empreintes très faibles, d'environ 8 cm. de diamètre. Le texte est imperceptiblement réglé à la mine de plomb. L'écart entre les lignes, de 0,014 aux premières, atteint vers la fin 0,017 cm.

Cette charte est un acte de rénovation. L'acte primitif a été dressé sous l'abbatiat de RoLert (1076-1095) et renouvelé une première fois sous son successeur Etienne (1095-1112). M. Niermeyer a fait valoir contre son authenticité les arguments suivants:

Du point de vue paléographique, elle est due à une main qui a écrit une charte datée de 1112 mais qui, en réalité, ne remonte pas plus haut que la fin du XIIe siècle.

Diplomatiquement, elle se rattache, par certaines expressions suspectes, au diplôme de 1101 pour Andenne que ce diplomatiste considère comme faux, ainsi qu'aux privilèges pontificaux Jaffé 9044 et 1562, certainement faux.

En outre, on ne comprend pas pourquoi Richer fait rédiger seulement en 1126 une charte concernant des dispositions arrêtées avant 1095. Il est vrai que la charte avait été rénovée chaque fois, mais on ne peut pourtant pas avoir changé les expressions au point qu'elles puissent valoir seulement en 1126. Le bien est décrit comme q?`icq?bid ecclesia (s. Iacobi) in villa R. possirlet; donc, par la désignation, non du premier, mais du dernier possesseur. Il est également étrange, qu'indépendamment de sa dignité actuelle, la-dignité ancienne de Richer soit mentionnée dans l'intit?blatio. Le diplomatiste conclut que la charte a été fabriquée à la fin du NIIe siècle dans le but de sauvegarder les droits de l'abbaye sur des revenus qui lui étaient contestés, vraisemblablement par un abbé.

Cette impressionnante accumu]ation d'arguments met-elle sérieusement en danger l'authenticité du document ?

On peut déjà répondre que les arguments d'ordre paléographique ne sont pas valables puisque l'on ne peut accepter l'identification de mains proposée. D'autre part, l'authenticité de la obarte de 1125 de l'évêque Albéron pour Wilendis, écrite par la même main que celle de 1126, est certaine. Il est très naturel que deux chartes de 1125 et 1126 soient dues au même scribe.

Quant au rapprochement entre:

St. 2954: O. episcopus perpotuo anathemate segregavit, quicumque hoc aliquo usu, aliquid temeritate infringere presumeret

et

1126: abbas perpetuo constrinxit anathemate, si quis hoc statutum ausu temerario presumpserit infringere.

la banalité de la formule interdit de rien conclure de ce rapprochement, d'autant plus que celui-ci n'est même pas absolument identique.

M. Niermeyer rapproche ensuite:

Jaffé 9044, 1562: statuimus ut defectus unius ville alterius abundantia suppleatur.

1126: ne forte causetur de aliquo defectu... unius anni penuria alterius anni abundantia suppleatur.

Mais il n'a pas vu que les deux passages étaient visiblement inspirés par le texte suivant de saint Paul:

In presenti tempore vestra abundantia illorum inopiam suppleat ut et illorum abundantia vestrae inopiae sit supplementum.

Rien n'indique donc que l'un des moines ait copié l'autre. Ils puisent tout simplement à la même source scripturaire.

Admettons, enfin, avec M. Niermeyer, que tout un passage de 1126 soit en prose rythmée. Cette constatation nous donnet-elle le droit de nier son authenticité parce que les chartes soi-disant fausses écrites par la main C contiennent, elles aussi, des passages rythmés !

M. Niermeyer se demandait enfin pourquoi Richer renouvelle la charte en 1126. Les dispositions qu'elle promulgue lui donnaient la réponse. Le donateur insiste, en effet, sur le désir qu'il a de voir célébrer avec solennité la fête de sainte Marie- Madeleine: ce jour-là trente deniers seront destinés à acheter du vin et deux sous pour la « charité » (repas). Ces clauses sont, à coup sûr, une des manifestations, à Saint-Jacques, de la campagne que l'évêque Albéron avait entreprise peu de temps auparavant pour promouvoir le culte de cette sainte dans le diocèse et à laquelle les personnalités ecclésiastiques et laïques avaient aussitôt répondu en élevant à cette dernière des oratoires, notamment à Caster et près de l'abbaye de Saint-Jacques, et en rehaussant, comme on le voit à Saint-Trond, la solennité de la fête.

On peut donc affirmer, sans crainte d'erreur, que la charte de Richer a été rénovée en 1126 pour déplacer certaines attributions de revenus et les destiner à la fête de la sainte, afin de répondre au voeu de l'évêque. Ce détail prouve combien il est nécessaire, dans la critique diplomatique, d'interpréter les moindres particularités à la lumière des événements historiques de la région où le doeument étudié a été rédigé.

Nous ne devrions pas nous attarder aux derniers arguments de M. Niermeyer. L'expression q~bicqu~d etc. est pleinement valable aussi bien en 1076-1095 qu'en 1126 puisque la charte, rédigée après le fait de la donation de Richer à l'abbaye, est un acte d'institution, non de donation.

D'autre part, on ne voit pas pourquoi on devrait trouver suspect que P`icher nous dise qu'il a été chanoine de Saint-Denis avant d'entrer à l'abbaye. Cette mention se justifie sans doute par les liens sentimentaux très légitimes qui l'unissent encore à la collégiale. Il destine, en effet, le jour de la fête de saint Denis, quelques revenus pour la commémoraison de l'écolâtre Madechon. Ceci nous porte à croire que ce personnage était, non pas, comme le pense Schubert, un écolâtre de l'abbaye, mais celui de Saint-Denis.


4. LES DIPLOMES IMPERIAUX DE 1125, 1125, 1134, 1136, 1141

De tous les doeuments sur lesquels s'exerce la critique diplomatique, les préceptes des empereurs germaniques sont peut- être les plus difficiles et les plus délicats à traiter. L'absence d'une édition complète des actes de Henri IV &Mac245; et de Henri V est particulièrement regrettable, et quand on dispose, pour Lothaire de Supplinburg, de l'excellent volume de Hirsch-Ottenthal, on s'aperçoit que la question d'authenticité est laissée le plus souvent à l'arrière-plan, à l'attention de ceux qui sont amenés, comme nous, à la poser pour un nombre restreint de diplômes concernant un sujet déterminé. Les pages que M. Niermeyer a consacrées aux cinq diplômes de Saint-Jacques ont la légitime ambition de contribuer d'une part à la préparation de l'édition des actes de Henri V, d'autre part à la révision partielle de l'édition des diplômes de Lothaire III.

Dans l'examen du premier 2, daté du 1er mars 1125 (St. 3208), le dip]omatiste a malheureusement recours à ces rapprochements de bouts de phrases et de mots dont il prétend tirer des conclusions défavorables à son authenticité. Il suffit, selon nous, de constater, par endroits, des analogies, des similitudes, parfois même d'accepter l'hypothèse d'une dépendance plus ou moins directe, sans que la question d'authenticité doive être, dans ce cas, nécessairement posée. Ainsi en est-il des comparaisons sur lesquelles insiste M. Niermeyer:

St. 3121 (narratio): postulans, quatinus... et auctoritate regia confirmarem et sigilli nostri astipulatione oommunirem.
(corroboratio): sigilli nominisque nostri impressione oommunimus et contra omnem controversiam et violentiam auctoritate regis confirmamus.
tot tantique testes fuerunt quorum nomina subscripta sunt.

St. 3208 (arenga): iure et auctoritate imperiali confirmare et tueri atque regalis sigilli astipulatione contra omnem in perpetuum controversiam communire.
testes... fuerunt quorum nomina subscripta sunt.
signi sigillique mei astipulatione confirmavi ac tot tantorumque virorum testimonio comprobatum est, quorum nomina subscripta sunt.

Jc 20 b: quascumque possessiones... oblatione fidelium... poterit adipisci.
usibus omnimodis profutura.
Dilecto filio... in perpetuum.

St. 3208: ecclesiasticas facultates oblatione fidelium divinis usibus traditas...
contra omnem in perpetuum controversiam.

1081: abbas R. advocationem eiusdem predii... R. concessit, ea conditione... firmiter interposita, ut numquam nisi vocatus ab abbate accedat et cum accesserit... tertium denarium accipiens abeat in pace... De cetero nullomodo se de quacumque causa intromittat in eodem allodio, quamdiu abbas poterit corrigere. Sciendum tamen quod sive vocetur sive non, sive veniat sive non, singulis annis a rusticis constitutam annonam... accipiet.

St. 3208: Advocatum autem utriusque allodii A. oonstituit ea conditione firmiter interposita, ut ipsa vivente nullo modo de eadem advocatione absque eius consensu se intromittat, nullum inde servitium recipiat, ea vero defuncta si eum abbas sibi necessarium iudicaverit, accedat et absque rogatu abbatis se nunquam debere accedere pro certo sciat, tamen sive veniat sive non veniat de tribus generalibus placitis in E. habebit tres solidos... sed apud W. nonnisi sextarium vini.

Andenne 1107: Huius igitur recuperationis testamentum... auctoritate confirmatum, testimonio astipulatum, litteris commendatum, sigillo sanccitum.
St. 3208: supradicte traditionis testamentum ut ratum maneat et inconvulsum, signi sigillique mei astipulatione confirmavi ac tot tantorumque virorum testimonio comprobatum est.

St. 3021 Henri V, 23 décembre 1107 pour Liège.
Huius igitur rei testatementum ut ratum maneat et inconvulsum, sancitum est et astipulatum tot tantorum auctoritate virorum.

Par contre, quand M. Niermeyer relève des similitudes entre l'arenga de St. 3208 et l'arenga ou les promulgations d'autres diplômes du même Henri V, il serait difficile de les interpréter autrement que comme des indices nettement favorables à l'authenticité de St. 3208.

La comparaison de l'eschatocole de St. 3208 avec celles des actes de Henri V met cependant à nouveau le même érudit en méfiance. Le chancelier Philippe B qui procède à la recognitio du diplôme use d'une eschatocole invariable. Or, l'eschatocole de St. 3208 s'écarte sensiblement de la formule habituelle de ce personnage et concorde visiblement avec l'ordonnance des différents éléments de l'eschatocole des diplômes de 1088 et de 1101 pour Saint-Jacques, à l'exception de l'intitulatio, conforme à la formule de Philippe B.

Ces constatations paraissent suffisantes à M. Niermeyer pour juger faux le diplôme. Son rédacteur se serait inspiré d'une tradition authentique pour le fait de la donation et la liste des témoins, et d'un diplôme original, rédigé en partie à la chancellerie impériale.

Il est clair que ces raisons manquent de la force probante nécessaire pour rejeter une authenticité qu'on estime pouvoir être conservée malgré celles-ci. Le diplôme original supposé par M. Niermeyer est bien celui qui figure dans le chartrier de SaintJacques. Ce document a été écrit et rédigé à l'abbaye, comme en témoignent les particularités empruntées aux diplômes antérieurs délivrés au même monastère. Quant aux traces d'une rédaction de la chancellerie impériale, elles s'expliquent aisément par l'existence d'éléments fournis par elle à Saint-Jacques, en vue de l'établissement de l'acte. Les clauses d'avouerie ne trahiraient donc pas le faux: le mouvement général qui, en ces années, pousse les avoués à empiéter sur les droits des monastères et qui détermine ceux-ci à réagir vigoureusement justifie leur présence, sans qu'il faille, systématiquement, invoquer une intention frauduleuse dans tous les documents où elles figurent, surtout si ceux-ci, comme c'est le cas pour notre diplôme, ne présentent — nous ne dirons pas aucune difficulté — mais aucune décisive anomalie.

En va-t-il de même pour le diplôme jumeau (St. 3209), délivré le même jour et concernant des domaines cédés par le même donateur ?

Encore une fois on ne peut rien déduire des rapprochements d'expressions tentés par M. Niermeyer. Mais il semble avoir trouvé une objection plus grave en mettant en relief le caractère inusité des formules: « ipsum approbantibus multis summisque regni mei primoribus, quorum nomina ad ipsa corroboranda infra subscripta sunt ». Comme il le fait justement remarquer, dans la première moitié du XIIe siècle, la conception est encore vivante qui veut qu'un diplôme impérial possède une autorité qui se suffit à elle-même et n'a pas besoin de garants. A plus forte raison se passe-t-il d'une approbation du scellement impérial. Pour vérifier l'opinion de M. Niermeyer, nous avons cherché dans les diplômes de Lothaire III des exemples similaires. Sur 131 actes, les n° 20, 33 et 40 contiennent des formules proches, mais beaucoup moins catégoriques, et encore le dernier de ceux- ci est-il d'une authenticité douteuse. Le diplôme de Saint- Jacques apparaît donc comme un isolé, et cette position singulière n'est pas de nature à renforcer son authenticité. Même remarque pour l'étrange qualification multis regni summis primatibus appliquée au comte de Montaigu, aux avoués de Liège et de Saint-Lambert et à neuf seigneurs de la principauté. L'argumentation de M. Niermeyer porte ici pleinement. Avec lui, nous ne chercherons pas à aggraver ces constatations significatives en y ajoutant l'intitulatio fautive quintus Romanorum imperator. Il s'agit, en effet, d'une copie, et d'une copie amputée de la recognition. Pour être absolument probant l'examen devrait s'exercer sur l'original, aujourd'hui disparu. Nos conclusions doivent donc être nuancées d'un « peut-être ,. Cette circonstance ne peut cependant nous empêcher de suspecter l'authenticité du diplôme, fabriqué dans l'intention d'évincer les prétentions d'un avoué. Il n'est pas interdit de supposer que le faussaire se soit inspiré d'une charte épiscopale authentique, si l'on en juge par les témoins, et qu'il ait cherché des éléments complémentaires dans le diplôme de 1125 dont il a emprunté la date.

Avec les deux diplômes de Lothaire III de 1134 et 1136, on a affaire à des documents dont la critique d'authenticité est particulièrement malaisée à conduire, pour la première en raison de l'équivalence des arguments opposés et, pour la seconde, à cause de la disparition de l'original.

Le débat relatif au précepte impérial de 1134 se localise principalement autour de la récognition et du monogramme.

Dans leur introduction à l'édition du texte, Ottenthal et Hirsch attribuent la transcription des deux lignes de la souscription au notaire Ekkehard A que ces éditeurs identifient avec Bethaldus ou Bertolf, chapelain royal et chanoine de Bamberg. Un esprit non prévenu s'associe aisément, en comparant les écritures, à l'opinion des deux diplomatistes, malgré quelques différences de détail.

M. Niermeyer, au contraire, estime que la souscription est de la main D de Saint-Jacques qui a écrit le texte. La frappante ressemblance des caractères allongés de la souscription s'explique, selon lui, par l'effort de D pour reproduire fidèlement l'écriture de EA.

Le diplomatiste hollandais avance en faveur de cette identification le fait que la même encre a servi pour la transcription du texte, de la recognition et du monogramme. Avant lui, les «éditeurs du diplôme avaient fait la même constatation, mais comme ils laissaient à l'arrière-plan la question d'authenticité, ils en avaient conclu logiquement que la rédaction du document avait dû suivre immédiatement la conclusion de l'acte. Explication qui apparaissait d'autant mieux fondée que la préparation de l'expédition de Saxe n'avait retenu Lothaire III que peu de temps à Aix.

A cela M. Niermeyer rétorque à bon droit qu'il faudrait, au contraire, admettre un laps de temps beaucoup plus considérable entre l'action et la conscription puisqu'un passage du diplôme, introduit par: « Quando haec traditio facta est ~ modifie une convention qui était en vigueur au moment de l'accomplissement de l'acte juridique. La présence du verbe en passé défini renforce

donc, pour lui, la supposition d'un faux écrit par une seule main, le scribe D de Saint-Jacques.

Quant au monogramme, qui diffère quelque peu de celui de EA, il est semblable, à une diagonale près, au monogramme du diplôme de 1136 pour Saint-Jacques reproduit par Van den Berch. Ottenthal, Hirsch et M. Niermeyer en concluent avec raison qu'il a été dessiné par D. Mais l'interruption des deux lignes de la souscription par le dessin du monogramme, et l'agencement ordonné des différents éléments de la souscription et de la recognition incitent M. Niermeyer à y voir l'oeuvre d'une seule personnalité. Bien que Ottenthal et Hirsch ne se soient pas posé la question, ils n'auraient cependant rien trouvé d'insolite à la coupure de la souscription par le monogramme puisqu'ils supposaient tacitement que le scribe impérial et le moine de Saint-Jacques s'étaient passé la plume, et qu'ils s'étaient penchés ensemble sur le parchemin.

En résumé, le problème de l'authenticité du diplôme repose en majeure partie sur l'emploi d'une seule encre et sur le passage insolite cité plus haut. La présence de ce dernier peut seule nous amener à voir avec M. Niermeyer dans les deux lignes de la souscription l'imitation d'un modèle plutôt qu'une écriture originale; sans lui, avouons que cette expertise subtile, appliquée à une écriture allongée, et par là même plus posée que la minuscule caroline, serait pratiquement impossible.

A l'issue de cette première phase où la balance des positions était sensiblement égale, M. Niermeyer marque donc un léger avantage. Celui-ci va d'ailleurs s'accentuer au cours de l'enquête et, notamment, à propos d'un autre passage dont l'ambiguïté est loin d'être favorable à l'authenticité du diplôme.

Dans la sanction qui suit la modification apportée à certains usages en vigueur dans le domaine, l'empereur défend à toute puissance ecclésiastique ou séculière de citer à comparaître ou d'écouter la partie qui manifesterait l'intention d'enfreindre ou de changer ce règlement, car, ajoute-t-il, « mes prédécesseurs ont jugé que toute action passée en présence de l'empereur et confirmée de son sceau échappe, par le fait même, à toute contestation >> (indicentes omnibus... maneut inconvulsum). Mais dans ces conditions, comment le bénéficiaire pourra-t-il défendre efficacement ses droits?

De fait, à ce moment, l'abbaye défend, contre les prétentions du curé de l'église du domaine, les deux tiers de la dîme que ce dernier lui réclamait. Le passage du diplôme qui a pour but d'affirmer le droit de Saint-Jacques, apparaît comme un hors-d'oeuvre par rapport au contexte. Le texte qui précède forme un tout par lui-même; grâce à lui, nous connaissons le donateur, les circonstances et la matière de la donation; on n'attend plus que la corroboration impériale. Or, le rédacteur ajoute les clauses d'avouerie et c'est alors seulement qu'il introduit la narration suivante:

Quando autem hec traditio facta est, presbiter qui tunc illi ecclesie deserviebat, duas partes decime tenebat, quas mater eiasdem Widichini in vita saa tantum ei concesserat, sed noverint alii qui futuri sant illins ecclesie presbiteri, solam tertiam decime in prebendam se post illum habituros esse, du«s autem partes ad ecclesiam sancti Jacobi et participes eins esse reversuras.

Que ce passage constitue un hors-d'oeuvre, cette supposition trouve un nouvel aliment dans le fait, avoué par le rédacteur même, que le règlement de la dîme n'a été promulgué que quelque temps après la donation. Il est difficile d'admettre que l'on ait oublié une mise au point d'une telle importance lors de la conclusion de l'acte juridique, d'autant plus que l'on ne se présentait devant l'empereur pour ratifier une donation que lorsque toutes les clauses de celle-ci avaient fait l'objet d'un accord.

D'autre part, nous avons déjà rencontré, dans le chartrier de Saint- Jacques, une charte fausse (1086) précisément rédigée dans le but d'écarter les prétentions d'un curé sur la dîme d'un terrain de l'abbaye. En plus des arguments que fournissent les éléments de critique externe contre la charte épiscopale de 1086, le style dans lequel le passage suspect était rédigé cadrait mal avec les dispositions précédentes. Un faussaire trop soucieux de convaincre soigne les moindres détails, les accumule, et le passage interpolé finit par trancher sur le contexte d'une manière insolite Dans la charte de 1086, par exemple, le passage interpolé constituait une petite narration, dont la rédaction châtiée et les détails circonstanciés différaient nettement des dispositions qui précédaient et qui, d'ailleurs, suffisaient amplement à la compréhension de la charte.

A notre avis, c'est le même cas pour le passage suspect du diplôme de 1134 où le style trahit une préciosité dont nous ne voulons pour exemple que la redondance: presbiter qui tunc illi ecclesie deserviebat, la métathèse: alii qui futuri sunt illins ecclesie preshiteri, l'emploi soudain de la formule solennelle: norerint alii qui futuri sant..., sans compter les nombreuses assonnances.

Ces constatations, jointes aux éléments suspects antérieurs, confirment le bien-fondé de la méfiance de M. Niermeyer à l'égard d'un diplôme qu'il nous paraît conforme à la réalité de considérer comme faux. Son occasion résiderait plus dans des contestations au sujet de la dîme que dans les tracasseries des avoués qui ne sont invoquées ici que pour mémoire et comme appoint, à une époque où, à Saint-Jacques, elles sont devenues monnaie courante.

Comme, de l'aveu même de M. Niermeyer, le reste du diplôme présente des traces nombreuses d'une rédaction authentique de la chancellerie impériale, il est inutile de faire intervenir, comme le fait le diplomatiste, à la base de sa fabrication un diplôme de Conrad III perdu, destiné à Saint- Lambert, dont il suppose gratuitement, et l'existence et le transfert des archives du chapitre cathédral dans celles de l'abbaye. A notre avis, le faussaire a utilisé une donnée du début du diplôme original de Lothaire III qui nous apprend que le donateur tenait de sa mère le domaine dont il est question et il a combiné, en parlant des copartageants de l'abbaye, les données de son interpolation avec un renseignement du diplôme authentique de Conrad III de 1141 pour Saint-Jacques.

L'existence d'une charte épiscopale relatant la donation, dont M. Niermeyer n'entend pas exclure la possibilité, comporte moins de probabilité que l'existence d'un diplôme puisqu'il s'agit d'une donation effectuée par un membre de l'entourage impérial. La réalité des faits est, de toutes façons, solidement étayée par le diplôme de 1141 et le privilège d'Innocent II.

Sur le second diplôme de Lothaire III (D 80) en faveur de Saint-Jacques la critique diplomatique ne peut s'exercer que d'une manière incomplète puisque l'original est perdu. Copie en a été prise par Van den Berch qui lui a joint la reproduction du monogramme, de la circonférence et de la partie subsistante de la légende du sceau. L'édition d'Ottenthal-Hirsch repose sur eette copie du XVIIe siècle.

M. Niermeyer admet la réalité de la donation relatée dans le diplôme, mais voudrait démontrer l'inauthenticité de ce dernier en affirmant, en premier lieu, que son rédacteur a fait de larges emprunts au diplôme de Conrad III de 1141. La comparaison des deux textes ne per net de relever aucune phrase identique; l'équivalence de certaines expressions est due simplement au fait qu'elles appartiennent aux parties formulaires des actes. L'identité d'un grand nombre d'expressions de St. 3209 (faux diplôme de Henri V de 1125) et de D 80, qu'Ottenthal-Hirsch avait déjà mise en relief, s'explique aisément par un emprunt de l'un des deux à l'autre. On peut en déduire que si le diplôme de 1136 est authentique, St. 3209 aurait, par conséquent, été rédigé après cette date.

Le diplomatiste hollandais trouve inadmissible que ce soient les mêmes témoins qui figurent aux deux actions juridiques notifiées dans le diplôme, l'une s'étant effectuée nec multo post. Comme on ne connaît rien de l'intervalle qui sépare les deux donations ni des circonstances dans lesquelles elles ont été effectuées, on ne peut considérer comme tout à fait impossible que les mêmes témoins fussent présents à l'une et l'autre.

Mais il y a difficulté plus sérieuse. A la suite des témoins de condition libre, d'autres témoins sont introduits sous la rubrique: De familia ecclesie. On s'attendrait naturellement à relever les noms de famuli de l'abbaye de Saint-Jacques. Or, les deux premiers au moins sont, sans aucun doute possible, de la familia épiscopale: il s'agit de Wéry et d'Anelin de Pré. Quant aux deux autres, si l'on rencontre comme ministerialis épiscopal un homologue du premier dans deux chartes de 1124 et 1142, M. Niermeyer n'a pas noté que des homonymes de ces deux ministeriales figuraient parmi les membres de la familia de l'abbaye de SaintJacques dans des actes de 1112, 1112-1134, 1126 (ensemble), 1140 (ensemble), 1141 (ensemble), 1146.

Cependant, on peut difficilement croire qu'un faussaire ait commis la grossière erreur de ranger sous la même rubrique des ministériaux de l'évêque et de l'abbaye. Comme Wéry et Anelin, Evrard et Adélard font sans doute partie de la mesnie épiscopale. On ne trouve cité Evrard que deux fois, en 1124 et 1142; quant à Adélard, c'est la seule fois que nous le rencontrons.

Le problème se résume donc à déterminer si la présence des membres de la seule familia épiscopale parmi les témoins d'une donation à un établissement religieux autre que Saint-Lambert constitue une anomalie telle qu'on doive nécessairement conclure à l'inauthenticité de la charte où ils figurent. M. Niermeyer adopte résolument ce point de vue puisqu'il prétend que la liste des témoins a été empruntée par le faussaire du diplôme à une charte épiscopale.

La présence des ministeriales épiscopaux à ces donations à l'abbaye de Saint-Jacques peut se justifier par l'intervention ou le droit de regard de l'évêque dans les transactions d'un monastère soumis à sa juridiction. A fortiori son intervention s'imposerait-elle lorsqu'il s'agit, dans le cas présent, de l'acquisition de domaines éloignés. Nous avons relevé deux exemples similaires. Des ministeriales de l'évoque assistent, le 30 mai 1157, à un échange entre l'abbaye de Waulsort et le chapitre de Saint-Jean l'Evangéliste. En 1189, un membre de la familia épiscopale assiste, en ce titre, à une déclaration du chapitre de la collégiale de Sainte-Croix. Il n'était pas non plus nécessaire, bien que le cas fût plus rare, d'ajouter sancti Lamberti après de familia ecclesie. Les sénéchaux figurent comme témoins sous cette rubrique abrégée.

En résumé la difficulté n'est pas dirimante puisqu'il existe des cas semblables, mais leur rareté rend impossible une certitude absolue. Si l'on ajoute — en plus des clauses d'avouerie — que l'exacte ressemblance du monogramme de 1136 avec celui de 1134 prouve qu'il est l'oeuvre d'un scribe de Saint-Jacques et que les lignes de la souscription sont, par conséquent, peutêtre dues, comme dans le plus âgé de ces deux diplômes, à la même main que celle du texte, bref si l'on entend lier le sort du précepte faux de 1134 à celui de 1136, on parvient de la sorte à rassembler autour de ce dernier une atmosphère de méfiance et de suspicion. Cependant celle-ci reste encore trop vague pour conclure au faux; la disparition de l'original nous oblige à la prudence. Il est donc naturel de laisser à ce document le bénéfice du doute. Précisons seulement que si le diplôme est authentique et si la transaction dont il confirme les dispositions a fait l'objet d'une charte, l'authenticité de celle-ci est certaine, puisque trois des principaux témoins de la donation figurent à nouveau parmi les témoins du diplôme. Cette charte devrait, dans ce cas, avoir été rédigée entre 1128 et 1130 ou peu après cette date, car un témoin, Gozuin Ier de Valkenburg, ne porte ce titre que depuis 1128 et un autre, Anelin de Pré, disparaît des chartes à partir de 1130.

Les hésitations relatives à l'authenticité des diplômes dont on vient d'achever l'étude sont superflues dans l'examen du dernier diplôme reçu par l'abbaye au XIIe siècle et délivré par Conrad III en 1141. Seul, Bernhardi a pu être un moment troublé par certaines anomalies: suscription au singulier, mélange du singulier et du pluriel, transcription de la charte d'après un projet dû au destinataire. Après lui, Hirsch y a reconnu avec raison la rédaction d'un scribe wurzbourgeois qui a composé la majeure partie du doeument. Il est vraisemblable de supposer, avec M. Niermeyer, que la partie contenant la relation de la cession du domaine a pour rédacteur un scribe de Saint-Jacques. L'acte est donc d'une authenticité certaine et, pour notre part, nous n'ajouterons aux analyses de nos devanciers que quelques considérations au sujet du sceau et du monogramme. Du premier, il ne reste qu'un petit fragment sur l'original. Rompant ici avec ses habitudes, Henri Van den Berch, au lieu de décrire en deux lignes le motif du champ qui, dans la reproduction, reste ordinairement vierge, a dessiné l'empereur, assis sur son trône, couronné, tenant dans la droite un sceptre et dans la gauche la sphère sommée de la croix. La fidélité de cette copie est attestée par les détails que l'on peut encore relever sur le fragment original: dossier du trône formé de croisillons et dont la partie supérieure est ornée de petits globes, ample robe de l'empereur serrée à la taille par une ceinture et, divisée, de la nuque aux chevilles, par une torsade sur laquelle se greffe, au col, un cabochon; la manche ornée d'une large bande s'arrêtant au coude du bras droit, tandis que la manche du bras gauche descend jusqu'à la main qui tient le globe crucifère, nettement visible.
Comme légende: + CUNRADVS • DI • GRA ROMANORV • REX • II •

Quant au monogramme il est très exactement reproduit par le héraut d'armes; pour le sceau, le copiste a adopté les dimensions exactes de l'original.

Dans la série des diplômes impériaux de Saint-Jacques, celui de Conrad III constitue un point de repère précieux. Tout en étant authentique, il contient, en effet, des clauses restrictives d'avouerie et l'empereur insiste sur les convoitises et les abus oroissants des avoués. Le milieu du XIIe siècle représente donc, pour Saint-Jacques, une période de résistance aux prétentions des protecteurs laïques de son domaine et se révèle, par le fait même, particulièrement propice à la rédaction de faux ou d'interpolations. Le précepte impérial de 1141 offre, pour d'éventuels faussaires, un témoignage et un modèle remarquables. C'est une constatation dont il importe, dès à présent, de retenir la valeur pour la fixation prochaine de la date de fabrication des chartes fausses de l'abbaye.


5. LES PRIVILEGES PONTIFICAUX

En 1934, M. J. Ramackers publiait un privilège d'Innocent II pour Saint-Jacques d'après une copie du XIIIe siècle, conservée dans le chartrier de l'abbaye et qui ne reproduisait ni les souscriptions, ni la formule de date. On ne pouvait lui assigner que les termini chronologiques de l'abbatiat d'Etienne II (1134- 1138).

En consultant la notice que Théodore Gobert consacre à l'église de Saint-Remy dans son monumental ouvrage, nous avons eu l'attention attirée par le libellé d'une référence à un registre de la paroisse de Saint-Remy, contenant des copies de documents dont le plus ancien remontait à 1137. Or, l'existence de l'église de Saint-Remy n'était attestée pour la première fois que par le privilège. Le document de 1137 ne pouvait être qu'une copie datée de celui-ci. Peu après, nous étions à même de contrôler le bien-fondé de notre hypothèse. La copie est due à Jean-Henri Manigart, curé de Saint-Remy depuis 1641, protonotaire apostolique, licencié en théologie, chanoine de Saint-Barthélemy et examinateur synodal, mort le 25 septembre 1682 à l'âge de 67 ans. C'est à lui que l'on doit d'importants travaux d'aménagement dans la paroisse dont il était le chef, et notamment la construction d'une nouvelle église en style néogrec, de 1643 à 1651. Il fallait, en effet, encourager la piété des pèlerins qui affluaient pour honorer, à Saint-Remy, Notre-Dame consolatrice des Affligés, dont l'église possédait une statue miraculeuse.

C'est dans ce but également que le curé, actif et entreprenant, décida de fixer aux murs de l'abbaye de Saint-Jacques, qui faisaient face à Saint-Remy, les stations des Sept Douleurs de la Vierge. Or, comme il dépendait de l'abbaye, il devait demander à l'abbé s'il avait le droit d'user d'un terrain situé dans les immunités de l'abbaye. Le prieur de Saint-Jacques, Gilles Gryte, lui transmit, le 3 janvier 1654, un document qui, raconte Manigart, commençait par ces mots: Innocentius episcopus servus servorum Dei dilecto filio Stephano abbati monasterii S. Jacobi siti in insula, omnibusque fratribus in perpetuum, et dans lequel étaient énumérés tous les biens de l'abbaye à la date du 3 des calendes de décembre 1137. Pour plus de sûreté, le curé de Saint-Remy recopia dans son registre le texte entier du privilège, et c'est à cet heureux hasard que nous devons de connaître la date exacte à laquelle Innocent II prit le domaine de Saint-Jacques sous sa protection. Le copiste ajoute qu'une bulle de plomb y était appendue, et reproduit le dessin de la rota.

Que vaut la copie de Manigart?

Il est évident qu'il éprouve de la difficulté dans la transcription du texte. Son embarras s'accuse nettement dans la reproduction des souscriptions des cardinaux dont il estropie les noms, ou l'appellation de l'église dont ils sont titulaires. Cette lecture pénible est encore aggravé par la distraction: un passage relatif à un domaine est sauté et, au lieu d'écrire pontificatus domini Innocentii, il recopie pontificatus domini nostri Innocentii.

Bref, la copie de Manigart n'est pas excellente et elle n'a d'in?térêt que parce qu'elle nous livre la date du document. Sur nos indications, M. J. Ramackers a publié la date et les souscriptions dans ses Papsturtunden in Frankreich.

Même si la description du curé de Saint-Remy permet de supposer que le document recopié se présentait sous la forme d'un original authentique, on ne peut, malheureusement, affirmer avec une certitude absolue qu'il ne contenait pas d'interpolations. A vrai dire, nous ne le pensons pas; mais l'absence de l'original et le manque de preuves ont été habilement exploités par M. Niermeyer.

Lorsqu'il s'agit de démontrer qu'une charte relatant une donation antérieure à 1134-1138 est fausse et que le bien qui fait l'objet de cette charte a été donné à Saint-Jacques après la date indiquée sur le document, le diplomatiste hollandais insinue comme argument le silence du privilège.

Lorsque dans le privilège figure un élément qui semble infirmer sa thèse, il avance au contraire que l'acte pourrait bien contenir des interpolations.

Ainsi le privilège est une sorte de passe-partout, tantôt considéré comme témoignage irrécusable, tantôt réduit au rang des documents remaniés.

On ne peut tirer du silence du privilège concernant un bien, aucun argument contre la réalité de la possession de ce bien par Saint-Jacques à l'époque où le privilège a été rédigé. Nous aurons l'occasion de vérifier souvent, au cours de notre exposé, le bien-fondé de cette hypothèse. En voici un à titre d'exemple:

Le privilège de 1137 ne mentionne pas le domaine de Chokier. Le récit de la translation des reliques cite comme bien de SaintJacques l'alleu de Chokier, de 1056 à 1095 au moins. Il en est de même dans la charte de 1086; comme elle est fausse et qu'elle a été fabriquée dans le courant du XIIe siècle, l'abbaye possédait ce bien pendant la même période. Enfin, le privilège d'Innocent IV de 1248 le mentionne également. Il est donc certain que Chokier appartenait au monastère en 1137. Dès lors, on peut, dès à présent, affirmer que le privilège d'Innocent II ne peut prétendre donner une liste complète des domaines de Saint-Jacques.


Quant à la bulle de Lucius III, du 25 septembre 1184, on conserve deux copies de l'original perdu: l'une, prise sur l'original, est due à Henri Van den Berch; Martène et Durand ont édité l'autre d'après une copie qu'avait prise le baron de Crassier. Le texte qu'en donne Migne est la reproduction pure et simple de l'édition des Bénédictins.

Le document ne mentionne que le jour et non l'année où il été délivré.

Martène et Durand proposent, en marge du texte, la date de 1181, sans justifier les raisons de leur choix. A vrai dire celui-ci est étonnant, car les deux érudits ne devaient pas ignorer que Lucius III ne se trouvait pas cette année à Vérone, d'où il délivre le privilège. Le pape y arrive le 22 juillet 1184, il y réside jusqu'à sa mort, le 25 novembre 1185. S'autorisant de ces indications chronologiques fournies par les Annales Veronenses, Jaffé estimait avec raison que la rédaction avait eu lieu en l'une ou l'autre de ces deux dernières années.

Or, un passage des Annales de Renier de Saint Jacques qui avait échappé à l'attention du savant éditeur des Regesta Pontificum, permet d'éliminer l'imprécision qui subsistait encore.

Renier partit en effet à Rome en 1184, une première fois au début de l'année jusqu'en avril, une seconde fois du 24 août au 23 octobre, très probablement pour mettre le pape au courant des conflits qui divisaient la communauté. Il en aura profité pour demander à Lucius III de confirmer à Saint-Jacques la donation de l'église Sainte-Marie-Madeleine.

Comme pour confirmer le bien-fondé de cette explication, le pape dit d'ailleurs que la réalité de la donation, dont il résume les circonstances, ad notitiam nostram certa relatione pervenit.

Les lacunes de la formule de date doivent-elles rendre l'acte nécessairement suspect? Au contraire, puisque c'était la règle courante pour ces privilèges confirmatifs d'un bien en particulier, qui revêtait moins de solennité que les privilèges confirmant l'ensemble d'un domaine d'une abbaye. Ils avaient cependant de commun avec ce dernier genre de documents le mode d'appension du sceau sur cordons de soie jaune et rouge qui caractérisait les actes à effet durable. La remarque de Van den Berch: cauda flavo et rubro serico destructa à propos de l'acte qui retient notre attention concorde donc parfaitement avec les usages de la chancellerie pontificale. Le dessin des deux faces de la bulle que le héraut d'armes joint à la copie et qui est en tous points conforme avec le type utilisé sous le pontificat de Lucius III, de même que la parfaite concordance des parties formulaires du privilège, achèvent de nous donner une complète confiance dans son authenticité. L'unique difficulté que présente un passage du texte n'infirme pas cette certitude. Rappelant la charte délivrée par Henri de Leez dont il confirme les dispositions, Lucius III mentionne que la donation de l'église Sainte-Marie- Madeleine à l'abbaye de Saint-Jacques s'est faite avec l'assentiment des fondateurs de l'église. Or le fondateur, Anelin de Pré était mort bien avant 1151 et il n'est pas explicitement

question de l'assentiment des fondateurs dans la charte épiscopale. Cependant la présence, parmi les témoins, de Wéry de Pré, descendant d'Anelin peut justifier l'interprétation de la bulle pontificale qui est le résultat d'une lecture peut-être trop rapide de la charte ou d'une compréhension incomplète des données fournies par Renier.


6. LES DERNIERES CHARTES

On nous permettra de passer rapidement sur les chartes abbatiales de 1140 et 1146, dues aux faussaires des chartes de 1084 et de 1101. Rien de suspect dans les marques extérieures, ni le contenu qui, en 1140, nous livre de précieux renseignements sur la nature véritable de la donation relatée dans le diplôme de 1141. Le sceau de l'abbé, remarquable du point de vue artistique et dont la conservation est parfaite, retiendra notre attention au chapitre des conclusions. Celui de 1146 montrait, suivant Van den Berch, une effigie du Saulveur donnant la benediction de sa dextre et en la gauche tient ung livre fermé. Le cercle entoure de sa teste la chevelure az 2 costez; dans un cercle de grenetis, l'inscription: + SCS IACOBVS IN INSVLA. On est en droit de se demander si le copiste n'a pas pris pour une représentation du Christ celle du saint patron de l'abbaye.

Quant à la charte épiscopale de 1151, on a vu qu'une bulle de Lucius III de 1184 se fondait sur son témoignage, non sans corriger ou appuyer le sens d'un passage. Une critique sourcilleuse pourrait en déduire qu'une autre charte de Henri de Leez a servi de base à la confirmation pontificale et que cet original a été remplacé après 1184 par la charte de 1151 qui nous est parvenue. Cette substitution aurait eu pour but d'insister sur le fait que l'abbé de Saint-Jacques détenait, sur l'église voisine de Sainte-Marie- Madeleine, la plénitude des droits du propriétaire —il lui était loisible, en effet, de l'échanger et de la vendre à sa convenance—afin de repousser éventuellement les prétentions des héritiers du fondateur ou de la collégiale de Saint-Jean l'Evangéliste qui, jadis, percevait la dîme du fundus sur lequel était édifié le sanctuaire. Mais ce sont là des suppositions pessimistes. Si l'évêque laisse au monastère la faculté de se défaire du bien dont il le gratifie, c'est que l'abbaye traverse en ce moment une crise financière et qu'il s'entend ne pas aggraver des charges déjà lourdes. Le développement de la narration n'a d'autre but que d'expliquer que cette donation—que Saint-Jacques n'accepte peut-être qu'avec hésition — a été faite sous le coup d'une urgente nécessité. On n'a donc rien à ajouter au sujet de ce document authentique, sinon peut-être relever quelques traces de prose rythmée et de cursus, notamment à partir de: Que videlicet....

La charte d'Alexandre II pose des problèmes plus intéressants, en raison des anomalies suivantes:

1° Bien que le sceau de l'évêque soit annoncé, on ne remarque de trace, ni de scellement, ni d'incision dans le parchemin;

2° La date fait complètement défaut.

Cependant il ressort de l'examen des actes de l'évêque Alexandre II que le texte révèle, notamment dans l'arenga et certaines expressions, une rédaction épiscopale authentique. L'écriture est bien contemporaine du gouvernement de cet évêque. Enfin la liste des témoins ne contient aucun élément suspect.

C'est donc uniquement la présence de ces singularités qui nous porterait à suspecter le caractère original du document. Et le moine-archiviste du XIIIe siècle a été certainement guidé par les mêmes motifs lorsqu'il a jugé qu'il ne se trouvait pas devant un original mais une copie. Même si le terme copia n'a pas toujours signifié nécessairement copie, mais document en général, c'est, en effet, le sens que Gérard d'Awans donne à toute charte où n'apparaît, comme en 1034, aucun témoignage d'un scellement annoncé.

Si l'on admet cette manière de voir, pourquoi les moines auraient-ils cru bon, vers 1168, de copier un document qui venait d'être dressé peu de temps auparavant?

S'il s'agit d'un faux, le motif ne pourrait résider que dans les clauses interdisant toute institution d'avouerie dans le domaine. Jamais faussaire n'a trouvé plus belle occasion de fabriquer une charte interpolée parfaite: écrivant vers 1168, il dispose d'une charte-modèle de 1164-1167 dont il n'a qu'à recopier le texte en y glissant une légère addition, et il lui est loisible d'appendre à son oeuvre le sceau de la charte originale. Or ce faussaire néglige ces aubaines: il omet de dater et de sceller. Bien plus, il ne se soucie même pas d'inciser le parchemin, d'insérer dans la fente une languette de parchemin, pour faire croire à la disparition du sceau.

Ces négligences paraissent inadmissibles. Alors que le problème reste entier, si l'on persiste à suspecter l'authenticité de la charte, la solution qu'on va proposer rend compte des anomalies apparentes et permet de considérer la charte comme originale.

Le chanoine Roland plaçait vers 1166 la donation du domaine dont il est question dans la charte parce que les témoins étaient les mêmes que ceux d'une charte du même auteur, datée du 13 mars 1166. D'autre part, il est certain qu'un laps de temps s'est écoulé entre l'ordre de rédaction et l'ordre de scellement, si l'on en juge par les termes de la jussio épiscopale.

Il suffit donc de supposer que la charte a été rédigée peu de temps avant la mort de l'évoque Alexandre, survenue le 9 août 1167, et que ce décès a empêché l'accomplissement des dernières phases de la conscriptio.

Les probabilités d'une telle éventualité sont renforcées par le fait que le scellement devait nécessairement se faire quelque temps après la mise par écrit puisque le mundum avait été dressé à l'abbaye de Saint-Jacques; il fallait que celle-ci le transmît à la chancellerie épiscopale pour y recevoir le sceau.

Plus encore peut-être que ces marques extérieures le contenu de la charte autorise des développements inattendus. En effet, l'arenga s'impose, par son ampleur, à l'attention. Or, quand on compare entre elles les douze chartes d'Alexandre II dont le texte nous soit parvenu, il est incontestable qu'elles présentent à peu près toutes une frappante unité de style et d'inspiration. On en jugera par ces quelques exemples:

Arengue:

Saint-Jacques (8) c. 1167.
Pastoralitatis nobis a Deo credite cura nos ammonet ut ea que a fidelibus ad subsidium dominici gregis eeclesiis conferuntur ecclesiastica conservemus auctoritate eorum quibus collata sunt utilitatibus omnimodis profutura. Cum enim dierum malicia tanta increverit ut in possidendo quam in acquirendo propensius elaborandum sit, non imparis meriti esse credendum est et conferentis devotionem et sollicitudinem collata conservantis.

Corbie (2) 1165.
Que ecclesiarum utilitatibus conferuatur et donationis auctores et tuitionis equaliter apud Deum mercedem remunerant.

Heinsberg (3) 13 mars 1165-1166.
Si officii nostri locum et dignitatem consideremus, necessarium est ut bona, non tantum coram Deo, sed coram omnibus hominibus faciamus et piam fidelium intentionem erga sanctam Ecclesiam debita auctoritate roboremus.

Waulsort (5) 1166.
Metuentes a Domino dictum: « Si vos tacetis lapides clamabunt », opera divina debemus non tacere, sed pro officio nobis a Deo collato scriptis commendare, ut in posterum seculo viventes, veritatis seriem cognitam, equitatem et iusticiam firmiter teneant filiisque suis succedentibus perpetualiter teneri et observari persuadeant.

Lobbes (7) 1166 ( ?).
Ex officio curae pastoralitatis oves Domini debemus defensare, luporumque rapacitati qui eas lacerare et vexare conabantur, baculum et vocem apponere.

Aulne (2 bis).
Ex credito nobis officio... debuimus...

Autres expressions:

(8): utilitatibus omnimodis profutura.

(2bis): possessiones... omnimodis usibus... ecclesie profuturas.

(8): cum enim dierum malicia tanta increverit.

(9): ne... dierum malitia deleatur.

(8): in presentia et testimonio personarum Leodiensis eccleaie et francorum hominum.

(2 bis): consensu... personarum Leodiensis ecclesie... De francis hominibus.

Si l'on cherche la tradition et les échos de cette arenga qui, manifestement, caractérise les actes de la chancellerie épiscopale liégeoise entre 1164 et 1167, on découvre, pour la période postérieure a cette dernière date les exemples suivants:

1° Charte d'Everelme, abbé de Saint-Laurent, et de Marsile de Saint-Gilles. de 1170, écrite par Henri, moine de Saint-Gilles.

Officii nostri sollicitudo nos admonet ut saluti animarum et paci ecclesiarum providentie nostre commissarum studeamus invigilare et ne per aliquam discordiam spirituale vel temporale damnum patiante, eongrua in Domino provisore consulere.

2° Charte de Raoul de Zaehringen, de 1171 pour Saint-Laurent.

Quoniam ea que ecclesiis Dei conferuntur omnia integra ennservanda sunt, eorum pro quorum gubernatione et sustentatione concessa sunt usibus omnimodo profutura, sciant presentes et futuri Dei fideles universi quod...

3° Charte de Hugues de Pierrepont, de 1207, pour Saint-Paul

Ex debito officii nostri ecclesiis nobis commissis fideliter preesse et utiliter prodesse tenemur, earumque profectui et paci propensiori sollicitudine intendere.

4° Charte de Hugues de Pierrepont, de 1213, pour Averbode.

Licet totius commissi nobis gregis dominici, ex officio pastorali curam gerere debeamus.

Pour la période antérieure, différentes chartes dont l'abbaye de Saint-Hubert est bénéficiaire:

1° Elinand, éveque de Laon.

1071. Quoniam pastorali vigilantia ecclesiis videmur presidere, satagamus oportet...

1082. Quia pastorali prerogativa in vinea Domin Sabath preesse laboramus...

2° Henri de Verdun, éveque de Liège.

1082. Ex ipso debito pastoralis curae sollicitus pro augmentatione commissae nobis ecclesiae.

1082 et 1087 (authentieité contestée). Ex ipso debito pastorali...

3° Barthélemy, éveque de Laon.

1141. Pastoralitatis nostre officio commonemur.

On peut y ajouter l'arenga d'une charte d'Arnold Ier, archevêque de Cologne de 1141 :

Offieii nostri est veritati testimonium perhibere et ecclesiam Dei nobis commissam cura pervigili sic regere...

Ces quelques exemples montrent la faveur qu'ont rencontrée, dans la principauté de Liège, depuis le dernier quart du XIe siècle jusqu'au premier quart du XIIIe siècle les éléments qui mettaient particulièrement en relief les devoirs du pasteur sur le troupeau du Seigneur confié à ses soins. Sous Alexandre II on tient à y ajouter, comme corollaire, la considération que méritent la piété des donateurs et la vigilance des bénéficiaires.

Sans vouloir en déduire nécessairement que ces différents rédacteurs avaient à leur disposition un recueil commun de formules, en usage à la chancellerie épiscopale liégeoise, il n'est pas impossible de chercher l'origine et les sources d'inspiration de ce texte.

A notre avis, c'est au pontificat de Grégoire le Grand qu'il faut remonter, à cet « âge d'or des arengae » dont l'influence s'est prolongée loin dans le XIIe siècle et qui se distingue par la clarté et la simplicité de la rédaction. Réparties en différents groupes, l'un des plus importants, celui des Fursorgearengen insiste sur la sollicitude que le prêtre doit manifester à l'égard des institutions qui lui sont confiées ou subordonnées. Cette catégorie est habituellement introduite par des expressions telles que: nostra debet sollicite cura prospicere, pastoralis nos cura constringit, pastoralis officii cura nos ammonet, propositi nostri cura nos ammonet. Il suffit d'ouvrir le registre de Grégoire Ier pour lire cette arenga, d'un évident intérêt pour le sujet qui nous occupe:

Pastoralitatis officii cura nos ammonet, destitutis ecclesiis proprios constituere sacerdotes, qui gregem dominicum pastorali debeant sollicitudine gubernare.

Peut-on parler d'influence directe des arengae de Grégoire le Grand sur celles d'Alexandre II?

Une réponse affirmative est imprudente quand on songe combien les premières ont inspiré la rédaction des diplômes impériaux et notamment, peu avant l'épiscopat d'Alexandre II, d'un groupe de préceptes de Conrad III.

Il serait moins téméraire d'admettre que le moine de SaintJacques rédacteur de la charte était employé à la chancellerie épiscopale ou du moins qu'il entretenait avec elle des rapports étroits. Le fait que des arengae similaires et immédiatement postérieures à celles d'Alexandre II figurent dans les chartes de Saint-Laurent n'indiquerait pas nécessairement que le rédacteur des chartes d'Alexandre II était moine de Saint-Laurent. Il peut s'expliquer par l'intime communion qui unissait, à cette époque, Saint-Jacques à la communauté voisine: comme le prouve, entre autres, la conclusion, en 1168, d'un acte de confraternité dont la transcription fut confiée précisément au scribe de la charte d'Alexandre II.

Cet acte, dont aucun élément n'empêche d'accepter l'authenticité, se présente sous la forme d'un chirographe. Au bas du parchemin subsistent encore les deux bandelettes sur lesquelles étaient pendants les sceaux de Saint-Jacques et de Saint- Laurent, aujourd'hui disparus. Dès le XIIe siècle, ce surcroît de validation n'est plus un illogisme. On s'était vite rendu compte que la preuve chirographaire était facilement réduite à néant si l'un des détenteurs refusait la confrontation des deux titres ou niait l'existence, dans ses archives, de la contrepartie qu'on lui réclamait.

La charte de Gérard, comte de Looz, délivrée en 1176, aux lignes vigoureusement réglées à la mine de plomb jusque sous le repli, possédait un sceau appendu sur double queue de parchemin nouée dans le repli. H. Van den Berch en a dessiné la circonférence (7 cm. de diamètre), reproduit ce qui restait lisible de la légende et visible du motif central dont il donne la description suivante: Un homme a cheval, armé de pied en cap, tenant à dextre en arrier une espee nue, a gauche le bouclier ou escu lui courant la poitrine armé des armes des comtes de Los. Le rest est illegible.

En comparant cette représentation avec celle du sceau de Louis II, comte de Looz, appendu à une charte de 1213, l'on peut tenter de reconstituer de cette manière le texte de la légende: S. Gerardi comitis de Los et de Hollandie. Quant à l'espèce de tige ornée de feuilles en volutes que le héraut d'armes place à la partie inférieure du champ, il semble que sa présence soit le résultat d'une interprétation erronée du motif iconographique déjà fort abîmé à cette époque.

Des deux chartes de l'évêque Raoul de Zaehringen de 1187 et de 1189-1190 il y a peu de choses à dire. L'édition qu'a donnée Schoolmeesters de la première d'entre elles est fautive, car l'érudit liégeois s'est servi de la copie de Van den Berch au lieu de recourir à l'original. Celui-ci, comme l'acte de confraternité de 1168, est un chirographe muni d'un sceau. Le mot CYROGRAPHYM a été scindé de façon irrégulière pour renforcer la rigueur de la preuve. La contrepartie était certainement destinée au curé de Saint-Remy qui, en 1187, avait demandé confirmation du règlement fixant la nature des liens qui le rattachaient à l'abbaye.

Chirographe également, mais triple cette fois-ci, telle est la charte de l'abbé Gozuin de 1189, qui intéressait à la fois l'abbaye, le donateur et un ayant droit de ce dernier. Comme celui-ci se disposait à partir à la croisade, il était naturel qu'une tierce personne détînt la preuve de ses droits si son protecteur venait à mourir. Les sceaux de la collégiale de Saint-Paul et du monastère, annoncés à la fin de l'acte et qui étaient appendus sur double queue de parchemin, ont disparu.

Du même abbé Gozuin on conserve une charte de 1195 à laquelle étaient appendus, sur double queue de parchemin, trois sceaux dont il ne reste aujourd'hui que des fragments informes. Van den Berch remarquait déjà: Il y at 3 cachets tous brises. Le ler représentant encor 2 figures et est en rondeur. Les 2 autres en oval chacun une figure. Celui du milieu est certainement le sceau de l'abbaye de Saint-Laurent dont l'abbé participait aux opérations qui firent l'objet de l'acte. On distingue encore dans la légende le mot (LAVREN)TIVS, et la tête du martyr. Le sceau de droite montre un personnage en robe, debout, tenant un livre dans sa main gauche. Il s'agit peut-être du sceau de la collégiale de Saint-Paul dont les dignitaires et les familiers figurent parmi les témoins.

Du sceau rond de Saint-Lambert appendu, sur double queue de parchemin, à une charte non datée émanant du chapitre cathédral, il reste au moins un fragment où l'on peut distinguer le buste d'un personnage vêtu de la dalmatique. Les élections de Gozuin comme abbé de Saint-Jacques et d'Albert de Louvain comme évêque de Liège fournissent les points de repère les plus rapprochés: 7 décembre 1188-8 septembre 1191.

Quant à la charte de 1211 qui a fait l'objet d'un examen particulier du point de vue paléographique, elle n'offre rien qui puisse susciter une enquête diplomatique approfondie.


7. LES CHARTES CONSERVEES DANS D'AUTRES CHARTRIERS

(Saint-Laurent, Notre-Dame de Maastricht, Rolduc, Saint-Paul)

Les chartes originales de l'abbaye de Saint-Laurent de Liège sont perdues, au moins pour les XIe et XIIe siècles. Les volumineux registres du XVIe siècle qui composent le cartulaire en conservent heureusement le texte. C'est au premier d'entre eux que nous devons de connaître une charte de l'évêque de Liège Henri de Verdun, confirmant un échange conclu entre Saint-Jacques et Saint-Laurent. Cependant, les déchirures du feuillet sur lequel Winand de Fraiteure a transcrit le texte empêchent une lecture parfaite et, de plus, la date fait défaut.

Daris avait choisi l'année 1092, parce qu'elle était ajoutée au bas de la copie, par une autre main. Dans leur édition de l'oeuvre composite d'Adrien d'Oudenbosch, Martène et Durand introduisent le passage relatif à la même transaction par l'expression: Eodem tempore... Or, la donation qui précède immédiatement porte la date de 1082.

Parmi les témoins, sont présents les quatre archidiacres: Théoduin, Lanzon, Henri et Thierri. Le premier apparaît dans les chartes en 1076, et c'est en 1096 qu'il est remplacé. Le second n'est cité que dans la présente charte et dans une seconde, des environs de 1094. Le troisième est cité de 1082 à 1094 (?), et le quatrième de 1082 au 10 mars 1099. Or, trois d'entre eux, Lanzon excepté, figurent dans une charte de 1082 recopiée dans le même livre du cartulaire de Saint-Laurent.

Enfin, il est impossible que l'évêque Henri délivre une charte en 1092, puisque Otbert lui avait succédé l'année précédente. La date de 1083 qui figure également au bas de la copie correspondrait donc mieux à la vérité.

Deux chartes de Henri de Leez pour l'abbaye de Rolduc, datées respectivement de 1147 et de 1151, signalent des transactions passées entre ce monastère et Saint-Jacques. Concernant la première, nous nous rallions au jugement d'Oppermann qui, en la comparant à un passage des Annales Rodenses, en a prouvé la fausseté. Quant à la seconde, la critique diplomatique exhaustive qu'en a donnée D. Brouwers nous dispense d'y revenir. Il s'agit d'un faux du XVe siècle, muni d'un sceau authentique de l'évêque.

La présence d'une apparente anomalie dans une charte de Henri de Leez, conservée dans le chartrier de Notre-Dame de Maastricht et qui rapporte un accord conclu entre cette collégiale et l'abbaye, n'est pas de nature à jeter un doute sur son authenticité, Dans l'analyse liminaire de la charte dont il édite le texte, Franquinet lui assigne la date de 1148 qui concorde avec l'indiction onzième et la troisième année de l'épiscopat de Henri de Leez. C'est cependant 1149 qui figure, avec l'indiction valable pour 1148, dans la formule de date de la charte. E. de Marneffe a démontré que cette discordance entre le millésime et l'indiction dans certaines chartes liégeoises des XIe et XIIe siècles, provenait de l'adoption du style de la Nativité et que les documents où elle apparaissait avaient été délivrés entre le 24 décembre et le 1er janvier. Dans le cas présent, c'est donc 1148 qui est la date réelle de rédaction.

Dans le chartrier de la collégiale de Saint-Paul figure une charte-chirographe, écrite entre 1176-1191, qui a fait l'objet, au XIVe siècle, d'un intéressant débat de critique diplomatique.

Un document fragmentaire en langue romane, conservé avec le chirographe, que Thimister date étourdiment du XIIe siècle et dont Poncelet replace à bon droit la rédaction vers 1350, rapporte le conflit dans les termes suivants:

Alle cedule donnee pour le partie dommes venerables monsignor le doien et le capitle de saint Poul en Liege, par le vertu delle quelle ilh demandent a hommes religiouz monsignor labbeit et le covent de saint Jakeme en Liege pour une pesserie, une aime de vient de relief ou de requisition: respont li partie des dis religiouz que la ditte cedule et li saial qui i pent, que on dist que ceist li saiauz la ditte eglieze saint Jakeme, li sont del tost desconus et que li dit religiouz nusent point de cel saial et useit nen ont del tens que ilh neist point de memoire del contraire, ains usent ont useit de cel tens... echa don autre saial qui de riens nest semblans mais del tout diveirs ail saial desoirdit, et chu sont ilh pres et appareilbies de mostrer al oelh et de faire prouve. — Ancors dist li partie des dis religiouz que la ditte cedule ne contient ne daultre ne tens quelle fut faite, et nest contenut en lei riens que li dit religiouz i aient mis ou appendut ou fait mettre ou appendre ou mandoit appendre le saial de lour eglieze: par quoi la ditte cedule est de droit de nul valour et de nulle vertut....

Le problème se résume donc à déterminer si le document dont il est question dans ce texte de 1350 doit être identifié avec le chirographe de 1176-1191.

L'absence de date est le premier rapprochement à faire entre le document mentionné vers 1350 et la charte de 1176-1191. D'autre part, l'objet des deux actes est identique. La présence de deux queues de parchemin dans l'un, alors qu'on ne signale dans l'autre qu'un seul sceau, nous dissuaderait-elle d'envisager l'identification ?

Au contraire, elle la renforce. Car les annotations dorsales du chirographe qui, elles aussi, trahissent une main contemporaine du milieu du XIVe siècle contiennent, après la mention de l'objet du document, cette remarque significative: caret data et uno sigillo. Manifestement cette indication doit être mise en rapport direct avec le litige qui opposa les deux établissements vers 1350. Grâce à ces notes dorsales nous savons qu'à ce moment déjà un des deux sceaux avait disparu: seul subsistait celui de SaintJacques dont les moines contestèrent l'authenticité.

On pourrait objecter que le scellement est annoncé. Mais si l'on examine attentivement les termes du document de 1350 on s'apercevra qu'au fond les moines ne prétendent pas qu'un sceau n'est pas annoncé, mais qu'on ne discerne pas, dans le chirographe, que le sceau de Saint-Jacques ait été appendu sur l'ordre de l'abbé et de la communauté. Enfin il était facile aux moines de prétendre ne pas reconnaître leur sceau, puisque le chirographe n'était pas daté. Evidemment c'est jouer sur les mots. Il semble d'ailleurs que, malgré ses arguties, l'abbaye n'a pu gagner la cause puisqu'en 1377 la confraternité et le règlement de la pêcherie furent renouvelés entre les deux établissements.

Bref, nous pensons qu'il faut accepter l'identité du chirographe de 1176-1191 et de la charte litigieuse. On s'expliquerait alors pourquoi la partie du chirographe destinée à Saint-Jacques ne nous soit pas parvenue: les moines l'ont peut-être fait disparaître au moment de la contestation pour éviter une dangereuse confrontation avec la partie conservée à la collégiale.

La copie que Van den Berch en a prise aurait donc été faite d'après l'exemplaire de Saint-Paul.

En conclusion, malgré les arguments des moines et par le fait même que leurs allégations ont été rejetées, l'authenticité du chirographe de 1176-1191 ne fait aucun doute.


8. ESSAI DE DATATION DES FAUX

On se rappelle qu'arrivé au terme de son enquête paléographique et diplomatique, M. Niermeyer s'était cru autorisé à placer la confection des chartes fausses entre 1173 et 1202, ou plus exactement, dans les dix dernières années du XIIe siècle.

A cette époque, l'abbaye traverse une crise économique profonde. Hypothèques grevant certains domaines, conflits des abbés avec la communauté, querelles intestines: toutes ces manifestations, que relève avec soin l'annaliste, donnent aux conclusions du diplomatiste un caractère de vraisemblance dont il serait vain de ne pas reconnaître la séduction.

Ce n'est cependant qu'une apparence. Car si la datation proposée par M. Niermeyer semble concorder parfaitement avec le contexte historique, elle est loin de s'adapter au cadre paléographique des cinquante dernières années du XIIe siècle.

On a déjà eu l'occasion d'insister sur la beauté ou la parfaite rondeur de la minuscule caroline des chartes de Saint-Jacques et, notamment, de celles que nous avons reconnues comme fausses: l'écriture de 1086, 1103, 1134, par exemple. Or, il est impossible, à notre avis, qu'un scribe de la fin du XIIe siècle, dans ce scriptorium de Saint-Jacques où l'on constate que la gothique règne depuis au moins 1176, ait pu imiter, avec une perfection qui tiendrait du prodige, la régularité de l'écriture diplomatique caroline, non pas en quelques lignes, mais du premier au dernier mot. Supposer la réalité de ce véritable tour de force calligraphique, c'est prêter aux faussaires du moyen âge une habileté technique, une intention, un bagage d'érudition et, surtout, une mentalité qui n'appartiennent en propre qu'aux contrefacteurs modernes. La critique diplomatique médiévale s'est généralement plus attachée à l'examen du sceau—ou du monogramme lorsqu'il s'agissait d'un document impérial ainsi qu'à la comparaison des écritures, lorsque le scribe de l'une des chartes était connu—mais elle se montrait moins exigeante pour juger l'authenticité d'un document d'après le caractère de l'écriture. Le scribe de Rolduc qui, au XVe siècle, a fabriqué la charte épiscopale de 1151, s'est peu soucié de reproduire les caractéristiques de la minuscule caroline, mais le sceau qu'il append à la charte est un sceau du XIIe siècle.

Les chirographes d'asservissement à l'abbaye de Saint-Pierre de Gand, datés de 1071 et 1058 et qu'on a eu l'intention de faire passer pour des originaux, ont été écrits au XIIe siècle. Seul le scribe de la charte de 1058 manifeste un effort plus sérieux pour archaïser son écriture, sans d'ailleurs parvenir à faire illusion. C'est le même cas pour un acte de même nature et pour le même établissement, daté de l'abbatiat de Wichard, mais écrit au XIIe siècle. Enfin signalons le faux privilège du 13 mai 1147 pour Saint-Jean de Liège rédigé au début du XIIIe siècle, ou l'essai de reproduction de la minuscule caroline est nettement visible. Si le scribe a réussi à tromper ses contemporains, il est évident que, pour nous, ses efforts ne servent qu'à mettre en relief l'insurmontable difficulté qu'éprouve un scribe écrivant la gothique a reproduire avec fidélité la diplomatique caroline, même peu de temps après son déclin ou son abandon.

Par contre — et c'est l'argument positif de notre argumentation — il est clair que l'écriture des chartes fausses de SaintJacques présente toutes les caractéristiques de l'écriture des chartes liégeoises aux environs de 1150. Les chartes originales de l'évêque Henri de Leez fournissent, pour cette comparaison, des éléments précieux.

Vers 1140-1150, on distingue deux tendances nettement différentes dans l'écriture des chartes épiscopales liégeoises: d'une part, l'emploi d'une minuscule caroline qui atteint par moments un suprême degré d'élégance et de beauté; d'autre part, les débuts de la gothique dont les prétentions s'affirment quelquefois avec une vigueur et une fermeté remarquables.

Les scribes du premier groupe sont-ils les mêmes que ceux du second? Il est légitime de croire, au contraire, que les scribes partisans des coutumes paléographiques traditionnelles étaient élevés depuis trop longtemps dans leur respect pour modifier leurs habitudes et que les autres représentaient l'élément jeune, désireux d'abandonner les sentiers battus. C'est ainsi que le scribe qui, en 1125; écrivit la magnifique charte concernant l'oratoire de Caster, transcrit en 1145, pour la prévôté de Meersen, une charte dont l'écriture reste identique, à vingt ans de distance.

Tous les spécimens d'écriture des chartes fausses de SaintJacques appartiennent à l'école caroline. On notera, du point de vue qui retient notre attention, entre la charte de 1086 et la charte de Henri II, de 1157, pour Flône, des caractéristiques communes (rondeur remarquable du tracé, contraste accusé des pleins et des déliés) qui établissent, sans aucun doute, la contemporanéité des deux écritures. Même constatation pour les chartes de 1103 et 1134, si on les rapproche d'une charte de Henri II de 1161 pour l'abbaye de Bonne-Espérance: ici, le trait de parenté réside dans l'allongement démesuré de la haste de certains a, 1'E initial, majuscule oncial de Ego. L'allure générale de l'écriture et la liane ornant les hastes donnent le même âge au diplôme de 1034 et à la charte épiscopale de 1154 pour Flône et Heylissem.

S'il était nécessaire d'apporter encore une preuve, on ne pourrait en trouver de plus décisive que celle que fournit la charte fausse de 1084, puisque l'on sait avec certitude que celle-ci est due au scribe d'une charte authentique de 1140. Sa caractéristique principale — forme serpentine de certains s finaux — qui se retrouve dans une charte épiscopale de 1147 pour Afflighem, montre suffisamment que son écriture s'insère parfaitement dans la dernière période de la minuscule caroline à Liège.

Cette argumentation, basée sur des considérations strictement paléographiques, risquerait cependant d'être privée d'un élément convaincant, si les annales de l'abbaye restaient muettes sur des faits qui justifieraient la confection de chartes fausses vers 1150. A première vue, tel semble être le cas.

En lisant attentivement les Annales sancti Jacobi Leodiensis, on relève pourtant qu'en 1155 l'abbé Etienne IV est démis de sa charge par le cardinal Gérard. Donnée bien maigre à côté des abondants renseignements que fournit Renier sur la crise économique de la fin du siècle. Elle résume cependant toute une période de troubles dont l'importance et la signification ont été jusqu'ici méconnues par les historiens de Saint-Jacques.

Après la période heureuse du début du XIIe siècle, l'activité économique de l'abbaye accuse, pour la première fois, des symptômes d'essoufflement vers 1140, quand l'abbé est obligé de recourir à des prêteurs pour acheter un domaine. Un peu plus tard, le monastère échange un domaine éloigné contre un bien plus proche de Liège. En 1151, il est obligé de vendre un autre domaine, et les sources nous apprennent que cette opération a été rendue nécessaire par les besoins pressants de l'abbaye en numéraire. La même année, l'évêque de Liège essaie de réduire les embarras financiers du monastère en plaçant sous sa dépendance une église paroissiale de l'Ile.

La gravité de ces indices reçut une confirmation officielle lors du voyage qu'entreprit, de 1154 à 1155, le cardinal Gérard de Sainte-Marie in-Via-lata, envoyé par Anastase IV en qualité de légat pontifical. Ancien moine de Lobbes, il se rendit dans cette abbaye où il fut saisi, de la part de la communauté, de plaintes amères vis-à-vis des officiers du monastère qui, profitant de l'indifférence de leur abbé à l'égard des biens temporels, s'étaient livrés à de nombreux abus dans leur administration. A la fin de son enquête, le légat ne crut pas devoir déposer l'abbé, mais il prit des sanctions contre les moines coupables. Quelque temps avant, assistant à un synode qui s'était réuni à Liège, il avait d'ailleurs eu à trancher des cas similaires qu'il avait résolus en forçant deux abbés, dont celui de Saint-Jacques, à résigner leur charge.

Ce concours d'événements qui, tous, trahissent une crise profonde dans la gestion du temporel de l'abbaye, revêt donc assez d'ampleur pour justifier, à cette époque, le recours à diverses tentatives de redressement et, notamment, à la fabrication de faux.

Il serait plus difficile de préciser si cette entreprise a été réalisée en vue de la visite prochaine du légat ou à la suite des décisions qu'il avait promulguées. On ignore également si l'abbé y a pris part. En tout cas, une partie au moins de la communauté prit résolument la défense de ce dernier puisque l'annaliste juge sévèrement l'initiative du légat. Celui-ci paraît avoir été une personnalité peu sympathique, orgueilleuse et cassante. La solution qu'il apporta, pendant le même voyage, à un conflit qui opposait les moniales de Sainte-Waudru à la comtesse Aléide, épouse de Baudouin de Hainaut, et à un certain clerc nommé Gérard qui reçut plusieurs prébendes vacantes du monastère, souleva l'indignation des religieuses qui s'estimaient lésées dans leurs droits. Ce qui s'est passé à Mons a pu se passer à Saint-Jacques et se traduire, chez les moines, d'une manière plus silencieuse, mais plus positive et aussi efficace que la bruyante opposition des moniales.

En l'absence d'éléments décisifs, on préfère cependant placer cette éventualité dans la période qui va de 1140 à 1160 qui, tant du point de vue paléographique que du contexte historique, réunit, selon nous, les plus grandes chances et les motifs les meilleurs.

CONCLUSIONS

L'EVOLUTION DU SCRIPTORIUM

Des chartes de Saint-Jacques on n'en conserve actuellement, en expédition originale, plus aucune du XIe siècle. C'est la première constatation, et sans doute l'une des plus frappantes, que l'on peut retirer de leur examen. Les caractéristiques et l'évolution du ductus calligraphique que Schubert et Nélis ont mises en relief n'ont donc de valeur et de signification que si on les reporte au siècle suivant. Ainsi l'abbaye est loin d'être à l'origine de l'école liégeoise, puisque le g et le treillis y sont introduits pour la première fois vers 1150, mais il est certain que la brève floraison de ces courtes années lui doit son plus bel éclat.

Ne pourrait-on supposer, cependant, que l'écriture des chartes de Saint-Jacques du XIe siècle aurait pu accuser des tendances dont les manifestations échappent malheureusement aujourd'hui notre contrôle, par suite de la disparition de ces documents ?

Pour que cet argument soit valable, il faudrait savoir avant tout, d'une manière qui ne souffre aucun doute, si ces chartes ont réellement existé. Or, à notre avis, rien n'est moins certain.

Pour la principauté de Liège, le XIe siècle ne marque pas encore la pleine renaissance de l'acte écrit. En outre, la communauté - d'inspiration qui unit d'une part les chartes de 1015, 1016, 1067, d'autre part celles de 1034, 1084, 1086, entre elles et par rapport aux autres chartes de Saint-Jacques contemporaines, trahit une date de rédaction qui rend vaine l'hypothèse de la confection au XIe siècle, des chartes-modèles originales. Des notices existaient auxquelles on emprunta et dont on altéra souvent les éléments de la narration, et que l'on habilla des ornements caractéristiques, tant d'écriture que de style, de la charte proprement dite.

La personnalité qui est, sinon l'organisateur de la chancellerie abbatiale, du moins l'instaurateur de certaines règles dans l'établissement et la rédaction des actes du monastère, est Etienne le Grand. La défense des droits de l'abbaye, contestés ou méconnus par les avoués, dot contribuer sans doute à cet effort de codification. Mais est-il besoin de rappeler à un clunisien l'importance de la chose écrite? L'influence des mouvements de réforme monastique en Lotharingie sur l'évolution de l'écriture et l'établissement des chartes a été souvent évoquée et le passage de Pierre de Cluny, relatif à la nécessité de l'écriture, est justement célèbre. L'oeuvre d'Etienne à Saint-Jacques en constitue une nouvelle manifestation.

Celle-ci ne manque d'ailleurs pas d'ampleur. Le scriptorium de l'abbaye au début du XIIe siècle compte au moins six scribes et l'un de ceux-ci, en collaborant en même temps à la rédaction d'un diplôme impérial en faveur de l'Eglise de Liège, inaugure une tradition dont on relèvera le témoignage jusqu'en 1154. Cette participation des moines de Saint-Jacques à la confection des chartes épiscopales liégeoises montre évidemment quel prix on attachait à leurs oeuvres. Le milieu dans lequel elles naissent est, en effet, particulièrement propice à l'activité artistique, à la recherche de la beauté des formes. Si la description du sceau abbatial et du sceau conventuel, autre innovation remarquable d'Etienne, laisse seulement entrevoir la complexité des éléments de la composition, ce soin dénote au moins une grande habileté technique de la part de ses auteurs.

La présentation de la charte et la rédaction de ses parties formulaires n'ont pas été établies suivant des règles strictes de chancellerie. Le texte est généralement court, simple, de com?préhension aisée. Malgré la liberté de facture, il est possible de relever pourtant de caractéristiques rapprochements de style, notamment dans les clauses pénales qui se répartissent suivant deux thèmes:

1° sciat se iram Dei incurrere développé littéralement par les chartes de 1015, 1016, 1103, 1112 (Adélard) et très légèrement modifié par celles de 1111 et de 1112 (Saint-Léonard);

2° si infringere presumpserit... nisi respuerit digna penitentia suivi par les chartes de 1067 et 1107 (Masniel).

Dans trois de ces chartes (1015, 1016, 1067) auxquelles il convient d'ajouter le faux de 1084, un autre thème est perceptible et concerne spécialement l'avoué, à qui on assure la récompense divine ou la rémission de ses péchés s'il remplit avec justice les devoirs de sa charge, et la damnation s'il les néglige. Il suffit de parcourir la Règle bénédictine pour rencontrer constamment ce rappel des sanctions divines appliquées à l'accomplissement de la mission dévolue à l'abbé, au cellerier, aux officiers du monastère. Or les allusions directes ou les emprunts textuels à la Règle de saint Benoît sont très rares dans les chartes monastiques au moyen âge. Si notre esprit s'étonne de cette apparente indifférence dans l'utilisation des leçons morales d'un texte célèbre, c'est que nous ne pouvons nous départir, à son sujet, d'une attitude d'érudition et d'exégèse romantiques, d'être guidés, en l'étudiant, par des préoccupations influencées par un contexte historique de plusieurs siècles et que n'ont certainement pas connues les moines du moyen âge. Pour ceux-ci, la Règle bénédictine est avant tout, et à peu près exclusivement, un manuel où se trouvent consignés et codifiés l'horaire de leurs travaux, leur manière de boire, de manger, de dormir, de prier, tous détails dont l'ordonnance concourt, en ne laissant rien au hasard, à donner à la vie monastique un rythme qui facilite l'ascèse et le développement spirituel. Saint Benoît, d'ailleurs, affirme n'avoir eu, en la rédigeant, que des prétentions et un objectif limités, et les commentaires médiévaux de la Règle se cantonnent habituellement dans des essais d'interprétation de détails matériels.

Ces réminiscences qui affleurent dans certains passages de chartes de Saint-Jacques sont donc d'autant plus dignes d'attention.

Dans le domaine des idées, il est curieux de voir implicitement affirmée la conception religieuse du rôle de l'avoué dont le ministerium est ici comparable à celui du moine titulaire d'une charge au sein de la communauté. D'autre part, l'utilisation de la Règle prouve au moins qu'on y attache un intérêt accru, qu'on en lit et relit le texte avec une attention particulière. Bref, elle reflète tout naturellement un climat de réforme dont on a eu l'occasion déjà de signaler quelques manifestations. Les arengae des chartes de l'abbaye au début du XIIe siècle nous donnent l'occasion d'en compléter la reconstitution.

On a généralement tendance, lorsqu'on expose les caractères de la réforme clunisienne, à insister sur le développement de la psalmodie. S'il est vrai que les moines clunisiens abandonnent le faire-valoir direct de leurs terres, si l'office les retient plus longtemps dans leurs stalles, s'ensuit-il que la réforme monastique marque une régression de l'activité économique des abbayes? Au contraire, on le sait, les communautés qui se sont distinguées par leur ferveur dans l'adoption des nouvelles coutumes sont précisément celles qui ont connu en même temps une prospérité matérielle remarquable: harmonieuse conciliation de l'action et de la contemplation, qui est le fruit d'un ordre hiérarchisant les différentes valeurs de l'activité humaine. Cluny n'a jamais songé poursuivre la libération du spirituel par le mépris du temporel. Il s'agissait plutôt de « distinguer pour unir », de faire collaborer le travail de l'un à la prière de l'autre, de rendre à chacun sa part, mais en réservant la meilleure à Marie.

C'est ainsi, par exemple, que le rédacteur de la charte de 1016 fait dire à l'évêque Baldéric que, même s'il est évident que ceux qui ont choisi la part de Marie ont le plus de droit à participer aux effets de la grâce divine, il est certain que ceux qui, comme Marthe, ont choisi d'aider ces privilégiés de leur sollicitude et de leur contribution matérielle, ne seront pas exclus de la répartition des faveurs surnaturelles.

En 1067, l'abbé estime que les intérêts matériels de sa communauté avaient droit aux mêmes soins que les besoins spirituels et, qu'ayant développé le patrimoine de l'abbaye, amélioré les conditions d'existence de ceux qui, avec Marie, sont agenouillés aux pieds du Seigneur, il pourrait ainsi espérer recueillir la récompense de Marthe.

La diffusion des oeuvres du célèbre Hildebert de Lavardin, qui avait développé ce parallèle, a sans doute contribué à son succès. Mais les deux chartes de 1111 et 1112 (Adélard) adoptent une position encore plus nette, dans des termes d'une singulière vigueur. La première nous rappelle le conseil évangélique de se faire des amis en utilisant les richesses de ce monde afin qu'ils nous aident à conquérir une éternité bienheureuse. La seconde affirme sans ambages qu'il faut chercher les gains temporels pour éviter les défaillances spirituelles et user ainsi des biens terrestres pour ne pas être privés des trésors du ciel. Il n'est pas inutile de noter que ce thème est systématiquement employé dans les arengae des chartes de l'abbaye de Cluny, aux XIe et XIIe siècles.

On verra dans l'histoire de l'évolution du domaine, qu'Etienne le Grand et son successeur n'ont pas eu d'autre politique et qu'ils ont appliqué à la lettre le programme qu'ils énoncent lapidairement dans leurs chartes.

Du point de vue paléographique, est-il possible de déceler parmi les scribes de cette période une main directrice, qui impose à des disciples ou a des personnalités plus effacées son style calligraphique, son interprétation des formes de la minuscule caroline diplomatique? Chronologiquement, l'hypothèse est invérifiable, étant donné le trop faible écart qui sépare les dates précises qui témoignent de l'activité de A et des membres de la famille C. Il est évident, rappelons-le, que le fait d'être désigné par cette dernière lettre ne consacre aucunement une prééminence dont pourrait se prévaloir le scribe qui la porte: elle indique simplement une priorité qui, d'ailleurs, pourrait très bien être tout à fait illusoire, puisqu'elle se fonde uniquement sur le hasard des documents conservés.

Mais il n'est nul besoin d'insister plus longtemps sur la vanité d'un essai de classement chronologique. L'examen paléographique, loin de mettre en vedette un scribe déterminé, tend au contraire, à distinguer dans les écritures de Saint-Jacques au début du XIIe siècle deux tendances différentes représentées par deux groupes étroitement contemporains (1101-1125 et 110I-1126) dont aucun des représentants ne manifeste de particulière prétention à jouer le rôle de magister scriptorum.

Le premier de ces groupes se caractérise à la fois par la finesse, ]a discipline et la simplicité du trait. Dépouillement dont l'austérité s'atténue sensiblement, d'ailleurs, à mesure qu'on avance dans le temps et dont les étapes successives sont marquées par Aa (1107), A (1067-1103), E' (1112-1134), Ea (1015), E (1125). A la différence des deux premières, ces trois dernières ont tendance à être oblongues. Du point de vue de l'évolution de l'école liégeoise, c'est dans les plus récentes et les moins enclines à la simplicité que l'on rencontre pour la première fois à Saint- Jacques la double panse du g et, dans la dernière, le triple treillis, qui constituent deux caractéristiques frappantes de l'école liégeoise. Si Aa et E' tentent un très modeste essai de ligature serpentine ou tremblée, la première ligature dont le développement soit vraiment digne d'attention fait son apparition dans Ca (1107). On peut considérer ce scribe comme l'élément de transition entre les deux groupes. Son écriture comporte, en effet, des enjolivements qui le rattachent au second, mais si l'on supprime ces éléments adventices, on se trouve en présence d'une écriture très proche de celles de A (1103) et Aa (1107) dont il conserve la tenue disciplinée et la régularité.

Le second groupe—qui comprend la famille C—se distingue, au contraire, par le relâchement des formes, la grosseur du tracé, l'exubérance des ornements. Cc (1016, 1111, 1112) conserve encore de la finesse, une certaine rigueur de tracé, mais C emprunte une allure plus libre, plus débridée et le tremblement du trait atteint son apogée dans Cc (1112).

En terminant l'examen de la première période du scriptorium de Saint-Jacques, il est, du point de vue paléographique, une constatation qui, à notre avis, prime toutes les autres: dans cet ensemble d'une quinzaine de chartes, on rencontre bien certaines caractéristiques de l'école liégeoise de calligraphie, mais ce ne sont là que des tentatives, des manifestations furtives et sporadiques; à aucun moment on n'assiste à une application systématique des formes propres à nos régions.

C'est seulement durant la seconde période du scriptorium que les chartes de Saint-Jacques refléteront fidèlement et d'une manière continue l'aspect original de l'écriture liégeoise. L'écriture de la famille D y a certes plus de mérite que celle de B et de Ba. D emploie le 9 doublé; Da cumule le triple E, le triple treillis, le 9 doublé, la quadruple boucle de l'us; pseudo-Db ajoute n ces trois dernières caractéristiques le souple enroulement de ses lianes. Ainsi chaque scribe traduit dans un style original l'étonnante richesse de cet âge d'or de l'école liégeoise de calligraphie. La contribution qu'apporte pseudo-Db à la chancellerie épiscopale prouve l'importance qu'on attachait au concours du scriptorium monastique et confirmerait au besoin l'opinion que l'abbaye forme, à ce moment, le foyer de la province liégeoise d'écriture diplomatique.

Et ce n'est pas seulement dans l'écriture que se révèle, à cette époque, le rare équilibre et l'épanouissement de l'art à SaintJacques. Le sceau de l'abbé Elbert appliqué à la charte de 1140 constitue, à cet égard, un précieux témoignage.

Parmi les techniques dont l'épanouissement a consacré, au XIIe siècle, la prééminence de l'art mosan en Lotharingie, l'orfèvrerie occupe incontestablement le premier rang. Pour replacer le sceau de 1140 dans l'évolution des formes artistiques de la vallée de la Meuse, il est indispensable de le confronter avec les vestiges de l'émouvante maîtrise de nos artistes du métal. Méthode d'autant plus sûre qu'« à Liège, comme ailleurs, donner le nom d'un habile orfèvre, c'est donner le nom d'un graveur de sceaux ».

Le sceau rond de la charte de Saint-Jacques est en cire brunâtre, d'un diamètre de 6 cm. 1/2 (8 cm. environ en comptant la frange de cire refoulée). La hauteur considérable du rebord (2 cm.) a préservé la légende: + ELBERTVS ABBAS et la composition centrale inscrite dans un cercle de grenetis de 4 cm. 1/2 de diamètre. L'abbé Elbert est en buste, vêtu de l'habit de choeur bénédictin. La tête s'incline et s'appuie sur la crosse tournée vers l'extérieur; la main droite serre la volute, tandis que la gauche tient le manche. On éprouve irrésistiblement la sensation que cette attitude a été prise sur le vif, notation familière d'un style très différent de celui des figures des sceaux épiscopaux liégeois qui, tout en étant vraisemblablement des portraits, gardent néanmoins dans leur pose un caractère conventionnel et hiératique.

A notre avis, la tendance pittoresque qui se révèle dans le motif central du sceau l'apparente étroitement au style de la châsse de saint Hadelin de Visé dont les huit bas-reliefs d'argent repoussé ornant les longs côtés du reliquaire dateraient précisément du deuxième quart du XIIe siècle. Dans le panneau représentant saint Hadelin faisant jaillir une source devant des moissonneurs assoiffés, le visage du paysan tenant la faucille offre de grandes ressemblances, dans sa facture, avec celui de l'abbé de Saint-Jacques, mais ce dernier a plus de finesse, le cou est beau coup plus mince et la veine jugulaire est délicatement, mais nettement, marquée. Les analogies, déjà facilement reconnaissables dans la facture de l'oeil et de la main, se précisent dans le drapé et la façon des plis: la manche, sur l'avant-bras gauche de l'abbé, est très plissée, comme celle du moissonneur et de son compagnon qui se penche pour puiser l'eau. Il est intéressant de rapprocher également le sceau de Saint-Jacques d'une autre oeuvre d'orfèvrerie contemporaine, le Pied de Croix de l'abbaye de Saint- Bertin, ou la facture du bras et de la main d'un des personnages symbolisant, sur le chapiteau du fût, l'un des quatre éléments, produit une arabesque identique à celle que dessinent les bords de la manche droite de l'habit de choeur, ainsi que le bras et la main de l'abbé.

En résumé, le sceau de 1140 appartient à cette école qui, animée par le mécénat de l'abbé Wibald de Stavelot (1130- 1145), s'est manifestée par des chefs-d'oeuvre comme le retable de saint Remacle, le chef-reliquaire du pape saint Alexandre, la châsse de saint Hadelin de Visé, le retable de la Pentecôte du Musée de Cluny, et qui, contrastant avec le style de Renier de Huy tout en continuant à bénéficier de son enseignement, a substitué à la noblesse de son grand devancier une vision plus directe et plus sensible de la réalité.

L'orfèvre qui cisela l'instrument du sceau de l'abbé Elbert était- il un moine de Saint-Jacques? Certes, si les grands artistes du métal dans la principauté de Liège, au XIIe siècle, furent des laïcs, on peut affirmer avec Madame S. Collon-Gevaert, que l'activité des ateliers monastiques, prépondérante au cours du siècle précédent, n'a pas brusquement cessé dans la suite. Selon E. Poncelet, le sceau du prieuré de Saint-Nicolas d'Oignies, datant de la fin du XIIe siècle, serait l'oeuvre de frère Hugo. Pour Saint-Jacques l'absence de tout document laisse en suspens une réponse affirmative. Du moins la confection du sceau prouve-t-elle l'intérêt que la communauté de Saint-Jacques porte au grand courant artistique de la vallée mosane.

Mais si les moines de Saint-Jacques du milieu du XIIe siècle sont des artistes, ce sont aussi des faussaires. Dans ce dernier genre d'activité, il n'apparaît jamais cependant qu'ils aient suivi les directives d'un rédacteur unique. L'analogie des problèmes provoque naturellement l'analogie des réflexes psychologiques et des méthodes. L'oeuvre des faussaires de Saint-Jacques semble donc plutôt se former au gré des occasions que suivant un plan nettement déterminé, et leurs auteurs préfèrent recourir à une source commune — les actes antérieurs — que de codifier en commun des règles de rédaction. Du point de vue paléographique, la même constatation négative s'impose, mais tempérée par certains indices qui favorisent l'hypothèse d'une maîtrise de B par rapport à Ba, et de pseudo-Db par rapport à D et Da.

Par contre, tout en tenant compte de l'existence du pseudo-Db' et de sa collaboration au scriptorium épiscopal, il est aisé de reconnaître la personnalité qui domine l'activité du scriptorium de Saint-Jacques dans les quarante dernières années du XIIe siècle. Sur les huit chartes conservées, cinq d'entre elles sont l'oeuvre d'un scribe—F—qui, de 1176 à 1191, manifeste une rigoureuse unité de style. Dans l'évolution des coutumes paléographiques à Saint-Jacques, il marque avec autorité la victoire du parti de la simplicité, né au début du XIIe siècle en même temps que la tendance baroque qui semblait devoir l'emporter vers le milieu du siècle. A présent s'affirme une minuscule déjà gothique qui ne conserve des caractéristiques classiques de l'école liégeoise que des rappels insignifiants. La charte de 1211 permet d'autre part à certains motifs chers à l'écriture des diplômes impériaux et utilisés par Ca ( 1111), de connaître un bref regain de faveur

Dans la présentation matérielle des actes, le mode d'application du sceau qui passe, en 1151, du plaquage à l'appension traduit une évolution normale. C'est aussi le règne du chirographe scellé qui semble refléter de la part de l'auteur un surcroît de prudence provoqué par des contestations domaniales.

F, à qui l'on peut, sans crainte, donner le titre de magister scriptorium a-t- il également dirigé la rédaction? Le fait est moins sûr. Il paraît bien que Renier ait composé lui-même le texte de sa charte. La disparition des arengae, à partir de 1176, date dont il faut signaler la précocité, tout au moins pour la principauté, nous prive à cet égard de l'élément de comparaison le plus convaincant. A son défaut, l'examen du protocole final des chartes de 1176 à 1211 dégage certaines similitudes de rédaction dont il nous plaît de souligner l'insuffisance, mais qui, cependant, contribuent à faire admettre une continuité dans le ductus diplomatique.

En résumé, on peut distinguer trois phases dans l'évolution du scriptorium de Saint-Jacques:

1° Une période de formation (1100 à 1125), correspondant à l'introduction et au développement de l'observance clunisienne à l'abbaye, et pendant laquelle apparaissent de timides essais des formes propres à l'école liégeoise.

2° Une période d'efflorescence (1135 à 1155) où l'activité du scriptorium offre une synthèse du bouillonnement généreux qui caractérise à ce moment les productions de l'école liégeoise.

3° Une période de transformation (1165 à 1220) qui souligne la victoire croissante de la gothique, le déclin des formes calligraphiques des deux périodes précédentes et dont l'âge d'or se situe entre les dates extrêmes de l'activité du scribe F (1176-1191).

 

TABLEAU RECAPlTULATlF

Schubert

Sur 29 chartes étudiées: 3 fausses (1015, 1034, 1084)
2 suspectes (1101, 1103).
Date de rédaction des faux: 1015 vers 1146
1034 vers 1086
1084 vers 1140.
Date de rédaction des suspectes:
1101 vers 1146
1103 vers 1134.

Niermeyer

Sur 27 chartes étudiées: 18 fausses (1015, 1016, 1034, 1067, 1084, 1086, 1101 Etienne II, 1101 Henri IV, 1103, 1111, 1112, Adélard, 1112 Lobbes, 1112 Otbert, 1125, 1125, 1126, 1134, 1136).
Date de rédaction des faux: 1067 vers 1103
toutes les autres à la fin du XIIe siècle.

Stiennon

Sur 41 chartes étudiées: 9 fausses (1015, 1016, 1034, 1067, 1084, 1086, 1101 Etienne II, 1103, 1134)
1 douteuse (1136)
1 suspecte (1125).
Date de rédaction des faux:
1067 vers 1103
1016 vers 1101
1015 vers 1100- 1125
1101 vers 1146
toutes les autres entre 1140-1160.

ETUDE
SUR LE CHARTRIER ET LE DOMAINE
DE L'ABBAYE
DE SAINT-JACQUES DE LIEGE
( 1015 - 1209 )

Jacques STIENNON

Société d'édition
LES BELLES LETTRES
PARIS - 1951

500 Pages

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