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Principauté de Liège

Les échevins de la souveraine justice à Liège

par le chevalier Camille de Borman - 1892

Les échevins de la souveraine justice

Période de 1247 à 1312

Période de 1314 à 1386

Période de 1386 à 1468

Les mayeurs

Les clercs

Les chambellans

PREMIERE PERIODE

Depuis Henri de Gueldre jusqu'au Mal Saint-Martin

1247-1312

LE règne de Henri de Gueldre ouvre, pour l'histoire des échevins de Liège, une ère nouvelle. Le nuage qui l'obscurcissait jusqu'alors se dissipe et laisse entrevoir l'institution dans tout son jour. Non seulement les chartes nous permettront de reconstituer, depuis 1260, la série non interrompue de ces magistrats, mais, pour la première fois, les chroniques du temps nous les montreront à l'oeuvre, dominant la Cité, et entrant bientôt en lutte avec les éléments populaires.

Deux classes de citoyens formaient à cette époque le noyau de la population liégeoise. Les Petits, c'est-à-dire les artisans, tous ceux qui vivaient du travail de leurs mains ou qui, péniblement, demandaient au négoce de quoi subvenir à leurs besoins quotidiens, étaient les plus nombreux. A côté d'eux, un groupe considérable de gens fortunés, que l'extension du commerce, la découverte de la houille, l'ouverture des marchés et des foires avaient insensiblement mis en possession de la richesse. On les appelait les Grands; et vraiment, à les voir revêtus de leurs pourpoints rehaussés de fourrures, on les eut pris pour des chevaliers. Ils ne sont pas nobles pourtant; ils ne possèdent ni terres ni châteaux; ils marchent encore sous la bannière du métier; mais volontiers ils se qualifient de « seigneurs »; déjà ils recherchent les alliances de la noblesse; bientôt ils prendront ses blasons et le XVIe siècle s'ouvrira à peine sur leurs descendants, que ceux-ci se presseront en foule dans les rangs de la chevalerie. C'est dans cette classe d'élite que l'évêque recrutait ses échevins; elle seule, en effet, possédait assez de prestige, assez d'indépendance, assez de traditions juridiques pour fournir à la magistrature des éléments convenables.

A cette rapide esquisse de la société liégeoise du XIIIe siècle, il faut ajouter un trait essentiel, le clergé. On appelait clerc celui qui, ayant fait les études nécessaires, avait obtenu la tonsure ainsi que l'habit clérical et continuait à les porter. Si la plupart des clercs se destinaient à l'état ecclésiastique, il s'en faut que tous fussent prêtres: le mariage même ne leur était pas interdit. A l'époque où nous sommes, les clercs étaient les seuls érudits; aussi est-ce à eux que les cours de justice devaient recourir pour la tenue de leurs écritures, et ce nom de clerc restera, longtemps encore, le seul terme par lequel on désignera le greffier des échevins ou du mayeur.

Tous les clercs indistinctement jouissaient des immunités dont nous avons parlé plus haut, et formaient, au point de vue judiciaire, une caste à part. A Liège, où tant de bénéfices ecclésiastiques pouvaient tenter leur convoitise, ils étaient extrêmement nombreux. Sans parler des trente églises paroissiales et des fondations qui s'y rattachaient, huit collégiales offraient des positions enviables à des centaines de clercs. Le chapitre de la Cathédrale, composé de soixante chanoines, formait le clergé primaire; puis venait, en ordre déterminé, le clergé secondaire des chapitres de Saint-Pierre, Saint-Martin, Saint-Paul, Sainte-Croix, Saint-Jean, Saint-Denis et Saint-Barthélemy.

La plupart de ces chanoines vivaient dans une certaine opulence, tenaient des serviteurs (maisnie) et faisaient envie aux Petits. C'est avec le clergé que naîtront les premiers conflits des échevins.

Vers 1253, le serviteur de Henri de Ferrières, chanoine de Sainte-Croix, en voulant défendre son maître dans une rixe, avait causé une blessure grave à un bourgeois, et, pour se soustraire à la poursuite, s'était réfugié dans l'asile de l'église.

Le coup avait été donné au moyen d'un « pestel », arme prohibée par la loi Charlemagne, qui disait: « si quis laedat aliquem ex cultello, reus percussor ex lege forensi percutiatur ». Les échevins aussitôt revendiquèrent la connaissance du délit et condamnèrent au bannissement le serviteur coupable.

En agissant ainsi, ils violaient l'immunité et outrepassaient leurs pouvoirs. Avaient-ils oublié l'excommunication que Robert de Thourotte avait fulminée contre eux lorsque, au mépris du privilège de Henri V, ils s'étaient arrogé, en 1244, le droit de condamner le forestier de la Cathédrale ? Faisaient-ils valoir quelque exception juridique, que l'histoire n'a point retenue ? Toujours est-il que, bravant une nouvelle excommunication, ils persistèrent dans leur erreur.

Peu de temps après, le mayeur d'Awans, en passant un jour par Liège, rencontre au Marché un de ses ennemis, et le met à mort. Puis, sans le moindre obstacle de la part de la justice, il monte à cheval et reprend sa route. Aussitôt des clameurs surgissent de toutes parts dans le peuple. On se plaint de l'incurie de l'Elu qui laisse ainsi fouler aux pieds les libertés. Henri de Gueldre ne résidait pas à Liège; dès que ces murmures lui parviennent, il convoque à une assemblée générale dans la Cité le clergé, les Grands et les Petits: et sur les instances de ces derniers, se déclare prêt à faire régner la paix et la justice, pour le pauvre comme pour le riche, pourvu qu'on veuille déférer, à son tribunal suprême, la répression de tous les délits. A ces mots, le mayeur, les échevins et les Grands se récrient et protestent contre un projet qui violerait manifestement leur juridiction.

Pendant ces débats, un artisan s'était levé en vociférant; invité par un archidiacre à faire silence, il n'en continue pas moins à pérorer; alors le chanoine impatienté lui cingle le visage d'un coup de baguette. Le malheureux s'enfuit en criant: « Le clergé veut notre mort, aux armes ! aux armes ! » On sonne la cloche banale, le peuple ameuté court enfoncer les portes de la maison de l'archidiacre. Mais déjà, l'Elu et les chanoines s'étaient mis en lieu sûr.

Quand l'alerte fut calmée, Henri de Gueldre et son clergé, emportant les trésors des églises, abandonnèrent la Cité et la mirent en interdit.

L'interdit était une censure par laquelle l'autorité ecclésiastique défendait la célébration de l'office divin et l'administration des sacrements. C'était, pour les fidèles d'alors, un moyen de coercition énergique et qui ne manquait jamais son effet. Aussi, quelques semaines étaient à peine écoulées, que le peuple vint supplier le clergé de rentrer. Il alla même au-devant de lui, nu-pieds, portant des cierges allumés, et lui faisant cortège jusqu'à Saint-Lambert (18 novembre 1253). Le pardon fut accordé, moyennant une amende de neuf aimes de vin que le peuple payerait, chaque année, le jour de la Saint-Martin. De leur côté, les échevins, condamnés par l'empereur, jurèrent de ne plus juger aucun serviteur du clergé, pour quelque délit que ce fût.

Ces incidents tumultueux étaient le prélude d'événements autrement graves qui surgirent bientôt après et, pendant deux ans, troublèrent le repos de la Cité; nous voulons parler de la révolution communale fomentée par Henri de Dinant. Hocsem consacre à ces faits cinq longues pages de sa chronique; malheureusement, il écrivait quatre-vingts ans après, et, à défaut de documents, il n'a pu consigner que les souvenirs un peu confus de ses devanciers. Son récit sec et condensé se borne à exposer la marche des événements et nous laisse dans l'ignorance de leurs causes intimes et surtout de l'état politique des villes du pays, à cette période si intéressante de l'histoire.

Jean d'Outremeuse, postérieur encore d'une cinquantaine d'années à Hocsem, entre dans beaucoup plus de détails. Toutefois, si l'on compare sa narration à celle du chanoine de Saint-Lambert, on verra que ses développements, si véridiques en apparence, ne sont d'ordinaire que le produit d'une imagination plus soucieuse d'intéresser le lecteur que de servir la vérité historique. Il commence par mettre en scène le tribunal des échevins de Liège en 1254. C'était, dit-il, un noble siège, composé de quatorze chevaliers. Le mayeur, chevalier également, s'appelait Adam de Neuvice, les échevins étaient: « sangnour Arnuls des Preis,» (il fallait s'y attendre !) « Eustasse de Fléron, Ogier de Lardier, Pires de Hozémont, Johan d'Isle, Radus sires de Chaynée, Gérars Malhars del Savenier, Tybals, Clerebals et Rause, freire à Gerart Malhart, Giele de Rocourt, qui estoit milancolieux et hayoit les commones fortement (!), Colart de Haccourt, Lambert le Sapir de Saint-Servais et Guys de Féronstrée. »

Il est fâcheux pour Jean d'Outremeuse, que cette belle liste soit en contradiction formelle avec les documents contemporains. Neuf, au moins, des échevins de 1254 sont connus, savoir: Henri de Neuvice, Alexandre delle Ruelle, Adam delle Ramée, Everard del Low, Alexandre et Baudouin de Saint- Servais, Gérard des Changes, Jean de Lardier et Jacques de Saint-Martin; aucun d'eux ne fut chevalier. La fertilité d'invention de Jean d'Outremeuse est bien faite pour nous enlever toute confiance dans ses affirmations. S'il avait eu le respect de l'exactitude historique, combien il lui eut été facile de dresser, au moyen de documents vingt fois plus abondants, la série que nous avons pu reconstituer, nous-mêmes, cinq siècles plus tard !

Laissons donc ce chroniqueur à ses fables, et attachons-nous aux pas du véridique Hocsem.

En 1254, dit-il, les classes populaires, fatiguées de l'espèce de servitude dans lequel elles végétaient depuis des siècles, et entraînées par les discours éloquents de Henri de Dinant, faisant prévaloir l'égalité numérique sur toute espèce de dignité, instituèrent deux maistres chargés de défendre la liberté des citoyens, et leur imposèrent le serment de s'acquitter fidèlement de ce devoir.

Qu'est-ce à dire?

Pourrait-on se prévaloir de ce passage pour soutenir que jusqu'alors la maîtrise n'existait pas à Liège ? Semblable thèse aurait contre elle les témoignages irrécusables invoqués dans le chapitre précédent. Telle ne peut avoir été la pensée du chroniqueur; sinon, pour être conséquent avec lui-même, il eut au moins du nous apprendre quel fut le sort de cette magistrature nouvelle et comment elle fut accueillie par l'évêque, par les Grands. Là-dessus, pas un mot; et, dès l'année suivante, nous voyons reparaître des magistri le plus naturellement du monde.

Tout ce qu'on peut déduire, à notre sens, du récit de Hocsem, c'est qu'en 1254 l'élection magistrale aboutit au triomphe du parti populaire conduit par Henri de Dinant, et qu'à la suite de ce succès, le peuple imposa aux maistres le serment de défendre ses libertés.

Ce serment ils voulurent l'imposer également aux échevins, qui refusèrent. Alors Henri de Dinant organisa des compagnies de vingt hommes, disséminées par toute la Cité, afin qu'à la moindre menace des Grands, les citoyens pussent s'assembler plus facilement.

Les choses en étaient là, lorsque Jean d'Avesnes, comte de Hainaut, en guerre ouverte avec la comtesse de Flandre, sa mère, vint demander à Liège une armée de secours. Henri de Gueldre accède facilement aux prières de son vassal et invite les échevins à proclamer l'ost. Ceux-ci, alléchés par l'appât des prébendes que l'Elu promettait à leurs fils, ne soulevèrent aucune objection et firent crier l'ost au péron. Mais ils avaient compté sans l'intervention de Henri de Dinant, dont la parole vibrante fit ressortir l'illégalité de ces procédés. « Liégeois, dit-il, votre sang n'appartient qu'à la patrie. Vous avez à défendre les droits de l'Elu ou de l'Eglise; mais nul ne peut vous forcer à tirer le glaive pour l'étranger! ».

Le peuple entraîné refuse de s'armer, et l'Elu, au comble de l'irritation, quitte la Cité, en lançant aux Liégeois les menaces les plus graves.

L'occasion de les mettre à exécution ne devait pas tarder. A quelques jours de là, les citoyens étant réunis au Chapitre pour régler l'accise du vin, Henri de Dinant est violemment pris à partie par un Grand, qui lui reproche la bassesse de son extraction. La querelle s'envenime et déjà le fer menace la poitrine du tribun, quand un flot de peuple averti du danger se précipite, brise les portes du Chapitre et délivre son idole. A la vue de Henri de Dinant, le tumulte s'apaise.

Cependant les chanoines exigent une réparation. Le peuple arrive à pieds nus et implore merci. Le pardon est accordé, les portes seront refaites et les perturbateurs fouettés de verges.

Mais cela ne pouvait suffire. La loi du pays réservait, en effet, à l'évêque seul le droit de châtier toute espèce de bagarre ou de révolte armée (stuer et burine). Dès que la nouvelle de la sédition parvint à l'Elu, n'écoutant que son ressentiment, il exigea des bourgeois une satisfaction en rapport avec l'énormité du forfait, et entre-temps mit la Cité et le peuple en interdit. Une vengeance aussi excessive révolta même le clergé; le prévôt de la Cathédrale, ami du peuple, se pourvut en appel à Rome, mais ce fut en vain.

Ces discordes, ces excès, l'absence de l'Elu, tout concourait à renforcer l'influence de Henri de Dinant. Qu'il parvienne encore à éloigner les échevins, et bientôt la Cité ne reconnaîtra plus d'autre autorité que la sienne. Pour parvenir à ses fins, il ne reculera pas devant la menace. Les échevins auront à jurer de respecter les libertés du peuple, sinon, l'on ne répond plus de leur vie. Qu'ils y réfléchissent, ou plutôt qu'ils se mettent en sûreté ailleurs !. Effrayés, mais non ébranlés, les échevins quittent Liège avec leurs femmes et leurs enfants.

Ce fut le signal d'une horrible guerre civile: on pille, on brûle, on cherche, de part et d'autre, à se nuire par tous les moyens possibles. Henri de Dinant court soulever les bonnes villes de Huy et de Saint-Trond et y organise les compagnies de vingt hommes. L'Elu, au comble de l'exaspération, livre divers assauts aux rebelles, fait jeter dans les fers tous ceux qui tombent dans ses mains. Les Hutois font invasion à Liège pour piller toutes les maisons des chanoines. Au bout de quelques semaines, Pierre Capuce, légat du Pape, parvient à procurer certain apaisement. Les hostilités sont suspendues et, après quelques conférences, la paix est signée à Maestricht. Tous les exilés regagnent la Cité, à l'exception de quatre échevins, pris à la guerre, et que les Saintronnaires prétendaient garder en otage, jusqu'à ce qu'on les eût indemnisés de leurs pertes. L'interdit est levé, les excommuniés sont absous. Enfin, grâce à l'intervention du légat, les échevins sont rendus et, à la date du 13 décembre, tout était rentré dans l'ordre.

La paix est faite, mais les classes rivales restent séparées par un ferment de haine qui lèvera à la moindre occasion. A Huy, six jeunes gens du peuple s'étant introduits de force dans une taverne et ayant grièvement blessé le tavernier, les échevins de cette ville, sans observer les citations légales, sans avoir établi la culpabilité des délinquants, prononcèrent contre eux le bannissement. Le peuple en fut indigné. Henri de Dinant saisit habilement l'occasion de rentrer en scène. A la tête d'une foule de partisans, il part pour Huy, et somme les échevins de révoquer leur sentence. Vains efforts, les échevins sont inexorables. Alors Liégeois et Hutois irrités dévastent leurs vignes, abattent leurs maisons et brûlent leurs pressoirs,

L'Elu, profondément irrité, prépare, contre les deux villes, de nouveaux décrets d'excommunication et d'interdit; mais personne ne veut se charger de les notifier. Finalement, il les confie à une femme et à un enfant qui les remettent clandestinement aux Mineurs et aux Frères Prêcheurs. Cette mesure détermine une nouvelle retraite du clergé, et la Cité est plus troublée que jamais.

Dinant et Saint-Trond prennent parti pour la bourgeoisie: toutes les bonnes villes font cause commune.

Dans cette situation périlleuse, Henri de Gueldre se décide à frapper un grand coup; il cherche des alliés: Hougarde, Malines, Beauvechain sont donnés en gage pour une somme de 1,300 marcs, moyennant lesquels le duc de Brabant, les comtes de Gueldre, de Juliers et de Looz consentent à mettre en campagne leurs innombrables vassaux.

Bientôt la Hesbaye est mise à feu et à sang; les milices urbaines sont impuissantes en face d'un ennemi rompu aux exercices de la guerre. Saint-Trond se rend à merci, les Hutois sont contraints de se soumettre et jetés dans les fers; Liège seule résiste encore (10 août 1255).

L'Elu tente de la prendre d'assaut, mais il est vigoureusement repoussé et sa chevalerie va camper sur les hauteurs de Vottem contre les limites de la banlieue. Alors, protégés par l'armée, les échevins de Liège s'assemblent sur le territoire de la franchise, et là, réunis en séance solennelle, ils prononcent contre Henri de Dinant et ses complices un décret de bannissement pour s'être rendus coupables du crime d'effraction.

A ce coup inattendu, la fureur du tribun est au comble; il précipite le peuple vers les maisons des échevins, les fait abattre et s'empare des matériaux pour s'en construire un hôtel.

Les gens paisibles se demandaient avec anxiété s'ils verraient bientôt la fin de ces désordres; déjà des projets de pacification circulaient de bouche en bouche, mais les maistres de la Cité ne voulaient rien entendre, tant que le décret des échevins ne serait pas retiré. « S'il leur est permis, disaient- ils, de juger ailleurs qu'au Destroit, quelle garantie aurons-nous encore de leur impartialité ? »

De guerre lasse, on se mit d'accord sur les bases suivantes. Les parties nommeront quatre arbitres avec mission de faire enquête sur les forfaits commis de part et d'autre, et de les corriger à leur appréciation; les compagnies de vingt hommes et les alliances des bonnes villes seront dissoutes; l'Elu s'engagera à traiter le pauvre comme le riche et les échevins pourront siéger légalement à Vottem, chaque fois que nécessité en sera reconnue.

Le prévôt de la Cathédrale et ses adhérents, qui avaient fait cause commune avec les bourgeois, prétendirent être compris dans la paix. Mais l'Elu demeura inflexible sur ce point et tout fut remis en question. Les Liégeois, traqués de plus en plus, se tournèrent alors vers le roi des Romains et lui proposèrent de faire décider par une commission de juristes la controverse soulevée sur la sentence de Vottem.

En dépit de ces propositions, l'Elu continuait à poursuivre ses ennemis. Le frère d'un des maistres, surpris un jour dans les vignobles, est arrêté et jeté dans les fers avec quatre autres. Désespérés de ce revers, les Liégeois députent vers le roi deux hommes de chaque métier, pour hâter la solution demandée.

Entre-temps, le bruit se répand dans la Cité que l'Elu négociait avec les Hutois. Aussitôt, les Petits de s'écrier unanimement qu'ils veulent accepter les conditions faites à ces derniers, quelles qu'elles soient. Enfin les bases de la paix sont arrêtées le 9 octobre. Elles étaient plus dures encore que les précédentes: non seulement l'Elu se refusait au retrait du décret de Vottem, mais il excluait formellement du bénéfice de la paix le grand prévôt avec ses adhérents. On vit le fier Henri de Dinant solliciter en pleurant la faveur du pardon général et le peuple répondre dédaigneusement qu'on ferait pour lui ce qu'on pourrait.

Le jeudi 14, jour fixé pour l'amende honorable, les Petits se rendent en grand nombre auprès de Henri de Gueldre à Bierset et lui jurent fidélité et obéissance. L'Elu les relève de l'excommunication et retire l'interdit. Trois jours après, la charte est définitivement scellée. En voici les dispositions essentielles:

Tous les dommages éprouvés par l'évêque, les chanoines, les clercs, le mayeur et les échevins, par tous ceux, en un mot, qui ont quitté la Cité à l'occasion de la guerre, seront compensés d'après l'estimation de quatre arbitres, savoir: Otton comte de Gueldre, Arnold comte de Looz, Henri comte de Luxembourg et Arnold de Diest, chevalier, lesquels, en cas de désaccord, auront pour déciseur suprême Jean d'Avesnes, fils de la comtesse de Flandre. Cent bourgeois de Liège seront livrés comme otages pour assurer l'exécution de la sentence arbitrale, si cette exécution rencontrait la moindre entrave, les otages seront obligés de se rendre à l'abbaye de Saint-Jacques et de demeurer dans le pourpris de l'église, jusqu'à l'aplanissement des difficultés. Enfin, pour mettre les bourgeois dans l'impossibilité de tenter quelque coup de main, le comte de Looz avec cinq chevaliers occupera la porte de Sainte-Walburge, jusqu'au payement intégral des indemnités.

Henri de Dinant et son collègue en maîtrise, ainsi que les autres condamnés au bannissement obtiennent un sauf-conduit pour quitter la Cité, et, le 28 octobre, l'Elu y fait sa rentrée triomphale avec son clergé, ses chevaliers et ses échevins.

Les faits qui s'accomplirent ensuite, le retour momentané de Henri de Dinant et sa fuite immédiate n'intéressent plus l'histoire échevinale. Le règne de Henri de Gueldre s'achèvera sans que le tribunal suprême du pays soit encore troublé dans sa sérénité.

Quelques mois après l'avènement de Jean d'Enghien, les échevins paraissent avoir fait de nouvelles tentatives pour soumettre à leur juridiction les serviteurs des chanoines. Cette fois, le clergé ne se borna pas à en référer à l'empereur qui, par un rescrit du 10 septembre 1275, défendit aux mayeurs et aux échevins de porter la moindre atteinte aux immunités, aux privilèges et aux droits de l'église de Liège; il prit, en outre, son recours au Souverain-Pontife, le sollicitant d'intervenir auprès de l'évêque, mollement disposé, semblait-il, à seconder le clergé. Le pape délégua à Liège le cardinal-diacre Ubert, qui obtint la satisfaction réclamée. L'évêque, en présence de plusieurs chanoines, donna sa parole que non seulement il n'empêcherait pas le mayeur et les échevins de jurer les libertés et les privilèges accordés aux serviteurs des chanoines, mais qu'il leur imposerait ce serment.

D'autres contestations surgirent encore entre le clergé et la bourgeoisie, relativement à l'exemption de l'impôt de la Fermeté; elles ne prirent fin qu'en 1277, après avoir été soumises par le pape à l'arbitrage d'Etienne, doyen de Laon. La paix fut scellée le dimanche de la Loetare (7 mars) entre les maistres, les échevins, les jurés et toute la communauté de la Cité, d'une part; la Cathédrale et les églises secondaires, de l'autre. Les premiers s'obligent à se rendre, le jour qui leur sera fixé, au chapitre de Saint-Lambert en présence du clergé assemblé, et de reconnaître « debunairement, ke por nul orguel et por nul utrage, » ils n'ont levé la Fermeté, qu'ils n'en avaient d'ailleurs aucun droit et n'y ont été contraints que par une urgente nécessité. Ils promettent aux chanoines la restitution de tout ce qu'on a perçu sur eux, selon l'arbitrage de deux preud'hommes. Il est statué « ke on ne leverat mais dedens Liége Fermeteit, ne choese ki por Fermeteit soit contée, par kel non k'on l'appelast. » Cependant, comme il peut arriver, que « li chachies, li pons, li entrées et li murs » de la Cité aient absolument besoin de réparations et qu'on « n'ait mies bien où prendre si grandes costenges,» les parties conviennent, qu'en ce cas, il y sera pourvu au moyen d'une accise sur la cervoise, dont la répartition se fera par l'intermédiaire d'une commission mixte composée de six chanoines et de six bourgeois: sous la condition expresse que l'argent ainsi prélevé ne sera pas détourné de sa destination spéciale.

A cette époque, on voit Liège et les principales villes du pays conclure des traités de commerce avec les villes de l'empire. A chacun d'eux les échevins figurent parmi les contractants. On érigea en principe que toutes les difficultés qui surgiraient entre les bourgeois de ces villes seraient jugées par les échevins.

Jean d'Enghien mourut le 24 août 1281 et le siège épiscopal resta vacant pendant plus d'un an. Le chapitre de la Cathédrale qui s'était empressé de nommer mambour de l'évêché, Henri de Louvain, seigneur de Herstal, semble avoir eu à ce sujet quelque difficulté avec l'empereur. Aussi demanda-t-il aux échevins un record sur les droits qu'il pouvait exercer en cas de vacance du siège épiscopal. On ne se contenta pas d'interroger Jean de Lardier et Mathieu Mathon, les deux échevins les plus âgés, les plus distingués et les plus sages, on fit sortir de leur retraite claustrale deux vieillards, qui depuis plus de vingt ans avaient quitté la toge échevinale pour revêtir le froc du moine. Ces respectables témoins déclarèrent les faits, tels qu'ils les avaient toujours vu pratiquer, et conformément à ce que la tradition de leurs prédécesseurs leur avait enseigné. D'après leur déposition, dès que le siège épiscopal devenait vacant, le Chapitre prenait possession des forteresses du pays, faisait percevoir tous les revenus de l'évêché, et nommait un mambour chargé de veiller à la garde de la principauté. Le nouvel évêque inauguré, on lui remettait aussitôt les sommes perçues, déduction faite des frais. Ils se rappelèrent encore qu'à la mort de Hugues de Pierrepont (1230), l'empereur Frédéric envoya à Liège l'avoué d'Aix-la-Chapelle, qui y exerça pendant trois ou quatre jours les fonctions de mayeur, et y conféra un échevinage vacant. Enfin, il était à leur connaissance qu'après la mort de Jean d'Aps (1238), le roi des Romains députa, de même, un personnage qui se chargea pendant deux ou trois jours, à Liège, de l'office du mayeur et y conféra une place d'échevin. Voilà à quoi se bornaient les droits de l'empereur; jamais on n'avait entendu parler d'autre chose.

L'affaire en resta là.

Les événements qui s'accomplirent à Liège, sous le règne de l'évêque Jean de Flandre et les documents législatifs auxquels ils donnèrent naissance, méritent de fixer spécialement notre attention. Pour la première fois, peut-être, tous les pouvoirs publics, l'évêque, le Chapitre et les églises secondaires, d'une part, les maistres, les échevins et la bourgeoisie, de l'autre, se sont mis d'accord pour modifier l'ancienne législation coutumière et pénale qui régissait le peuple et qu'on appelait la Loi Charlemagne.

Malgré la réconciliation opérée en 1277, malgré les stipulations du traité, le pouvoir communal renouvelait à chaque instant ses tentatives pour imposer les marchandises et lever cette Fermeté dont ses finances avaient si grand besoin. Le clergé, de son côté, s'obstinait à invoquer ses privilèges pour repousser toute contribution. Mais ce n'était pas là seulement tout ce qui les divisait. Les rixes entre les bourgeois et les serviteurs des chanoines étaient devenues intolérables; quand ces derniers étaient poursuivis en justice, ils avaient soin de réclamer le bénéfice de l'immunité pour se faire juger par le tribunal de l'official, d'où ils revenaient avec une condamnation légère et plus insolents que jamais. Une véritable haine régnait entre les classes rivales. Il fallait y porter remède.

Dès le 26 mars 1284 (n. st.), un pas dans la voie de la conciliation fut tenté. Huit arbitres, nommés moitié par le clergé, moitié par la Cité, et parmi lesquels nous trouvons deux échevins de Liège, furent chargés d'élaborer un concordat sur les griefs réciproques, articulés en seize points. Leur travail fut déposé le jour de Pâques, 9 avril suivant, mais n'amena aucune entente durable. Dès l'année suivante, les rapports entre adversaires devinrent si tendus, que l'évêque trouva opportun de se transporter à Huy avec sa cour et son clergé (9 octobre 1285).

Ils y demeurèrent vingt-deux mois.

Entre-temps les Grands de la Cité ne restèrent pas inactifs. Ils cherchèrent soit un appui, soit un médiateur, et le trouvèrent en la personne de Jean Ier, duc de Brabant, qui, de son côté, tâchait de se créer des alliés en vue de la succession du Limbourg.

Une alliance fut conclue le 5 août 1286 entre Jean Ier, d'accord avec les bonnes villes du Brabant, d'une part, et les maistres, les échevins, les jurés et toute la cité de Liège, d'autre part. En voici les clauses principales:

Le duc promet de maintenir les Liégeois « en droit, en loi et en franchises, si avant que li eskevins de Liége wardent; » de défendre, en outre, les statuts de la ville, les privilèges des bourgeois, leurs maniements et leurs usages.

Et s'ils prélèvent sur les « venaulz » qu'on vend dans la Cité, de quoi pourvoir soit à l'entretien des ponts, des chaussées et des murs, soit aux autres dépenses communales, le duc les y aidera, en tant que la taxe atteigne seulement les laïcs, et à l'exclusion des valets des clercs habitant avec eux. Que si l'évêque ou les églises de Liège s'avisaient d'aller à l'encontre, le duc s'oblige à appuyer les Liégeois, même en faisant arrêt sur les biens du clergé et par tous les moyens qui seront en son pouvoir.


Main-forte sera prêtée, de même, contre toute attaque de la part de l'évêque ou de ses auxiliaires. Enfin, dans l'hypothèse d'un désaccord des citoyens entre eux, le duc promet de se ranger toujours au parti des maistres de la Cité; à leur première réquisition, il viendra en personne, et, selon les circonstances, enverra des gens de son Conseil ou de ses hommes d'armes, le tout à ses frais.

Des engagements aussi précis, aussi formels et aussi énergiques n'étaient pas noués sans compensation. Voici les obligations contractées, en retour, par les Liégeois envers le duc.

Ils reconnaissent ce prince pour leur haut avoué. Mais comme l'avouerie de Liège est toujours entre les mains de Baudouin de Beaumont, ils promettent au duc de lui payer une aide de 3,000 livres de Louvignois, ou 1,000 esterlings de Brabant, s'il parvient à l'acquérir endéans les douze ans. Entre-temps on lui comptera annuellement 300 livres de petits Louvignois. Si, après l'expiration du terme de douze ans, le duc n'est pas acquéreur de l'avouerie, la somme de 3,000 livres sera consignée, à Liège, à son profit, et la rente de 300 livres prendra fin. Le duc devra alors appliquer le capital susdit à l'achat d'immeubles situés à Liège, qu'il sera obligé de conserver sa vie durant et de transmettre à ses successeurs, ducs de Brabant. On stipula, en outre, que si, à la requête des maistres de la Cité, le duc mettait arrêt sur les biens du clergé et était attrait, de ce chef, en Cour romaine, les Liégeois lui payeraient annuellement une somme de 100 livres Louvignois, tant que le procès durerait.

Après la conclusion de ce traité, le duc de Brabant, qui avait épousé la soeur de l'évêque, loin de chercher à envenimer les querelles des Liégeois avec leur prince, parait, au contraire, s'être appliqué à ménager leur réconciliation. Ce qui prouve, en tout cas, qu'il n'était pas hostile à l'évêque, c'est l'alliance qu'il conclut avec lui, le 15 avril suivant, sous un dédit de 10,000 livres petits tournois.

Au bout de quatre mois, la paix se fit et elle fut signée à l'intervention du duc de Brabant. L'histoire l'a surnommée la Paix des Clercs; avec les Loys muées, qui en sont le complément, elle forme l'un des monuments les plus instructifs de l'ancienne législation liégeoise. C'est une oeuvre soigneusement élaborée par des juristes demeurés inconnus. On peut présumer que les échevins, ou tout au moins ceux qui avaient fait partie de la commission instituée en 1284, y prirent une large part.

Tout d'abord, nous voyons que si l'impôt de la Fermeté avait été le motif principal de la querelle, d'autres questions encore étaient débattues entre le clergé et la bourgeoisie. Elles concernaient:

- La juridiction sur les valets des chanoines (art. 16 à 22).
- Les marguilliers de Saint-Lambert (art. 23).
- Les sept fieffés de Saint-Lambert (art. 24).
- La juridiction de la Sauvenière (art. 25 et 26).
- La capacité du setier (art. 27).
- La franchise des églises (art. 28 à 30).
- Celle des maisons claustrales et des maisons des clercs (art. 31).

Nous n'examinerons ici que les deux points principaux, dont la connaissance se rattache plus spécialement à l'objet de notre étude.

L'abolition de la Fermeté, est le point fondamental du traité. Tous les chanoines promettent de jurer de n'en tolérer jamais le rétablissement et d'astreindre au même serment les nouveaux chanoines lors de leur réception. Engagement identique sera solennellement pris et juré par les échevins, au chapitre de Saint-Lambert, par les maistres et les jurés, à la maison de ville.

Pour subvenir à l'entretien des chaussées, des ponts, des murs, des portes et des fossés, la ville est autorisée à prélever, pour un terme de dix-huit ans, une accise sur les cervoises, à raison de 8 deniers par aime, dont la perception se fera par un comité composé de douze membres, nommés moitié par le clergé, moitié par les bourgeois. L'élection des membres de ce comité devra se faire annuellement le jour de la Saint-Hubert et nul de ceux qui seront élus n'aura le droit de se récuser, sous peine d'une amende de 10 marcs; à moins pourtant qu'il n'ait été en fonctions l'année précédente.

A l'expiration de chaque exercice, un compte fidèle des recettes et des dépenses sera rendu par les douze commissaires, au chapitre de Saint-Lambert, devant une réunion plénière des chanoines et des bourgeois. S'il est reconnu que les constructions publiques sont en bon état, l'accise cessera momentanément d'être perçue.

Voilà pour le premier point. Quant au second, celui qui concernait la juridiction sur les valets des chanoines, on décida la création d'un tribunal mixte, dont les membres nommés à vie, au nombre de quatorze, seraient désignés par le clergé, mi-partie parmi les bourgeois résidant en ville, mi-partie par les échevins. Ces jurés ne pourraient se soustraire à leurs fonctions, sous peine de 10 marcs. Le juré-bourgeois qui deviendrait échevin devrait aussitôt être remplacé. La plainte devait se faire soit devant le mayeur de l'évêque, soit devant le sergent du prévôt.

Cette juridiction nouvelle reçut pour mission d'instruire tous les délits auxquels les maisnies des chanoines seraient impliquées activement ou passivement, et de condamner les délinquants aux amendes comminées par un code nouveau, la Loy muée, édicté de commun accord. S'agissait-il d'un crime entraînant peine de mort, perte de l'honneur ou privation d'un membre, l'enquête des jurés était transmise au tribunal suprême de l'évêque qui prononçait la sentence, sans pouvoir recevoir d'autres preuves que celles qui lui avaient été fournies par le tribunal mixte.

« En résumé, » dit Poullet, « les varlets des chanoines passaient donc sous la juridiction des juges ordinaires de la Cité comme les autres laïcs; seulement, par forme de transaction, on leur accordait une garantie spéciale: celle d'être, dans tous les cas, jugés sur des preuves recueillies par des enquêteurs délégués des églises elles-mêmes. »

« Ce dernier vestige des anciens privilèges des maisnies canonicales finit par disparaître, à une époque qu'il est impossible de préciser. On sait cependant que le Collège des XIV n'est plus mentionné dans le terrible arrêt du 18 novembre 1467, par lequel Charles le Téméraire bouleversa tout l'ordre établi des juridictions liégeoises. »

La publication de la Paix des Clercs fut accueillie par les Liégeois avec une faveur exceptionnelle: du coup elle mettait fin à ces conflits malfaisants qui, depuis un demi-siècle, troublaient le repos des citoyens. Cependant il restait encore un pas à faire: « c'était de fixer et de corriger au profit des bourgeois eux-mêmes, et dans leurs relations mutuelles, ce que les coutumes dites la Loi Charlemagne avaient de défectueux et d'incertain. » Ce fut l'oeuvre de la seconde Loy muée, du 9 octobre suivant. A la différence de la première, celle-ci n'était nullement applicable au clergé, qui n'eut pas à y intervenir; elle fut promulguée par l'évêque, chef de l'Etat, à la demande expresse « des maistres, esquevins, jureis et la communiteit » de la Cité, parce que la loi en vigueur jusqu'alors leur semblait « trop débonnaire et légère; » ils voulaient une plus grande égalité dans la répression des délits, de manière que « li povres puist demourer deleis le riche, et li riches deleis le povres. »

La deuxième Loy muée est donc, avant tout, une loi pénale, destinée principalement à réprimer les actes de violence. Les plus graves, c'est-à-dire l'homicide et l'amputation d'un membre, sont frappés de la peine du talion; les lésions moins importantes, punies d'amendes. Pour les premiers, l'évêque s'interdit d'exercer le droit de grâce, tant qu'on n'aura pas indemnisé la partie offensée. Et si c'est un « afiorain » qui se rend coupable de l'un de ces crimes, tous les bourgeois de Liège ont le droit de l'arrêter, pour le livrer à la justice, en quelque endroit qu'il soit, sauf dans les églises et les encloîtres.

Il y a plus: celui qui refuserait son concours à une arrestation ordonnée par la justice, encourrait une amende de 10 marcs.

Si l'auteur d'un forfait pénétrait dans une maison, le propriétaire n'en pourrait défendre l'accès à la justice.

La loi se montre d'ailleurs particulièrement sévère pour les « afforains. » S'ils commettaient le moindre acte de violence contre un bourgeois ou quelqu'un de sa maison, il était loisible à quiconque de les livrer à la justice.

Toute plainte à laquelle ils donnaient matière, les exposait à un décret d'expulsion, eux et leurs familles.

Il est défendu d'héberger un afforain armé, à moins qu'il ne dépose ses armes.

Chaque fois qu'un homicide ou un forfait sera commis dans la Cité, le mayeur accompagné de deux échevins, ou, en cas d'empêchement, les maistres de la Cité, assistés de deux jurés, se présenteront chez la victime ou, si elle n'est plus en vie, chez son plus proche parent, et lui imposeront une trêve de quarante jours, qui pourra se renouveler de quarantaine en quarantaine, jusqu'à ce que la paix soit faite. Si la victime ou son représentant était absente ou cherchait à se dérober à cette signification, il suffirait de faire crier la trêve au Péron.

Celui qui violait une quarantaine était poursuivi sur son honneur; or la perte de l'honneur entraînait le bannissement. C'était une espèce de mort civile.

Telles étaient les principales dispositions de cette Loy muée, qui devait durer cinq cents ans, et à laquelle personne ne pouvait se soustraire qu'en quittant la ville, dans les trois jours après sa publication,

Tandis que cette espèce de fièvre de législation s'était emparée des Liégeois, l'évêque Jean de Flandre convoqua un synode général, dans lequel tous les points de la discipline ecclésiastique et cléricale furent examinés et réglés de nouveau (1er mars 1388). Mais cette réforme qui touchait à de nombreux intérêts civils, souleva de vives protestations aussi bien de la part des nobles et des Grands, que des villes de la principauté, se plaignant de ce que le prince « allait contre la loi du pays. » Il fallut l'intervention de Guy de Dampierre, comte de Flandre, père de l'évêque, pour amener celui-ci à d'autres sentiments. Cinq arbitres, parmi lesquels l'échevin Jean de Saint-Martin, furent nommés de part et d'autre, le 7 janvier 1291, pour examiner les points litigieux; l'évêque promit de se conformer à leur décision. Elle lui fut défavorable et il fut contraint de modérer ses statuts.

Cependant, le Conseil de la Cité, à court d'argent depuis l'abolition de la maletôte, s'ingéniait à trouver le moyen de se créer les ressources indispensables à sa gestion. Il imagina le droit de chausséage, par lequel il soumit à un impôt tout char, tout bateau entrant en ville. C'était, au fond, le rétablissement indirect de la Fermeté. Le chapitre de la Cathédrale en fut vivement irrité et comme il ne trouvait pas d'appui auprès de l'évêque, il fit porter ses doléances à l'empereur Rodolphe qui, dans une assemblée plénière tenue à Erfurt, le 20 janvier 1290, déclara le nouvel impôt illégal, et défendit aux magistrats de Liège de le prélever à l'avenir.

Jean de Flandre ne survécut pas longtemps à ces événements: il termina ses jours le 14 octobre 1291; par suite de diverses compétitions, le siège épiscopal resta vacant pendant quatre ans.

Le règne de Hugues de Châlon, son successeur, fut marqué par de nouvelles dissensions entre les Grands et les Petits. Cette fois, le mouvement partit de Huy où le peuple se souleva contre la domination des échevins. Le silence des chroniqueurs et le laconisme ou la rareté des documents nous commandent ici une grande prudence. Nous tâcherons néanmoins de débrouiller les faits en les exposant le plus simplement possible. Par un diplôme donné à Cologne, le 28 août 1298, Albert, roi des Romains, concéda à Hugues de Châlon le pouvoir de révoquer et de remplacer les échevins (en général) qui refuseraient de rendre justice, si, avertis, ils n'obéissaient pas endéans les six semaines. Fort de cet octroi, Hugues de Châlon, dont les tendances étaient manifestement pour le peuple, cassa les échevins de Huy et les remplaça par d'autres. Les magistrats déposés, entraînant avec eux leurs familles et leurs adhérents, vinrent se fixer à Liège où ils firent alliance avec les Grands, tandis que l'évêque, mécontent des Liégeois, transporta sa résidence à Huy.

Ses bidarts parcouraient les routes, faisant escorte aux marchands qui se rendaient à Huy, dévalisant sans scrupule ceux qui amenaient des denrées vers la Cité.

Dans ces circonstances critiques, les maistres, les échevins et les jurés de Liège se réunirent en assemblée générale au Destroit, le 12 mai 1299, pour aviser au maintien des « droitures du pays » et au plus grand profit de la Cité. Il fut statué que désormais quiconque serait membre du Conseil de régence ou de l'échevinage ne pourrait plus faire partie du Conseil de l'évêque ni « d'aultruy encontre les franchieses; » et que celui qui oserait accepter une fonction d'échevin de Liège, contrairement à la volonté du corps, serait banni à perpétuité, lui, sa femme et ses enfants. Les quatorze échevins s'engagèrent par un serment solennel à observer ce statut et à l'imposer de même à tout nouvel échevin, à tout maistre ou juré futur.

Telle était alors l'influence du corps échevinal, que l'évêque n'osa pas lui appliquer la mesure violente dont il avait fait usage envers celui de Huy. Mais pour répondre autant que possible à cette provocation légale par un acte également licite, il s'adressa à l'empereur et lui arracha, pour ses nouveaux échevins de Huy et pour ceux de Dinant, le droit de ne plus prendre recharge à leur chef-sens à Liège, et la défense, sous peine de 3 marcs d'or, d'appeler de leurs décisions à tout autre qu'à l'évêque seul.

Le pays de Liège livré à l'anarchie, gravement lésé par des émissions monétaires de mauvais aloi, désolé enfin par la guerre des Awans et des Waroux qui sévissait depuis trois ans, aspirait à se débarrasser d'un évêque qui servait si mal ses intérêts. Le chapitre de la Cathédrale partageait le mécontentement général, depuis le jour où les bidarts s'étaient permis de faire incursion sur ses terres de Bleret et de Pousset et d'y mettre à mort plusieurs tenanciers. Une plainte rédigée de commun accord par le Chapitre, la Cité et les bonnes villes, fut dirigée contre l'évêque et transmise au Souverain-Pontife.

Le pape somma Hugues de Châlon de comparaître en personne et le déposa (1301).

Adolphe de Waldeck, qui succéda à ce dernier, fit la paix avec les Hutois et y rétablit les anciens échevins, non cependant sans condamner la ville à une amende de 6,000 livres. Son règne fut de très courte durée; il mourut le 12 décembre 1302, empoisonné, dit-on, par les Juifs, qu'il avait expulsés de la principauté.

Quinze années s'étaient écoulées depuis l'abolition de l'impôt de la Fermeté: les échevins ne voyaient pas sans inquiétude approcher le terme de dix-huit ans, pour lequel on avait autorisé l'accise sur les cervoises. Ils avaient, en effet, avancé certaines sommes pour subvenir aux nécessités pressantes de la Cité, et ils se demandaient comment celle-ci serait jamais en état de les rembourser. Rétablir la Fermeté, ces hommes prudents n'osaient y penser: n'était-ce pas s'exposer fatalement aux châtiments des parjures et encourir l'excommunication ? Néanmoins l'intérêt privé l'emporta. Affublant d'un manteau percé à jour l'acte illicite qu'ils allaient poser, n'eurent-ils pas la singulière idée d'enrégimenter toute une troupe d'adolescents, pris dans les meilleures familles de la Cite, auxquels ils donnèrent le nom d'enfants de France. Coiffés de chaperons de drap blanc, ces jouvenceaux se rendaient de porte en porte exigeant la maletôte sur toutes les marchandises.

C'était un coup d'audace. Le chapitre de la Cathédrale ne put le tolérer. Jean des Canges, le doyen, ayant convoqué les Grands dans la salle capitulaire, leur déclara sévèrement qu'il s'agissait de faire cesser cette plaisanterie, sous peine d'excommunication et d'interdit. Et comme ces menaces ne semblaient produire aucun effet, elles furent aussitôt mises à exécution.

Quoique fils d'un ancien échevin, et apparenté aux principaux de la Cité, ce Jean des Canges n'en était pas moins l'ami du petit peuple; il manda secrètement les gouverneurs des métiers et leur proposa de conclure une alliance. Enhardis par ce pacte, les Petits commencèrent à résister; plus un mangon ne vendait sa marchandise que la hache au poing. On cite le fait d'un enfant de France qui, en voulant s'emparer de l'argent de la savate, eut aussitôt la main tranchée.

Voyant leur tentative échouer, les Grands retournent au Chapitre et promettent de se désister, pourvu qu'ils soient relevés de l'excommunication et de l'interdit. « Fort bien, leur répondent les chanoines, mais rendez d'abord ce que vous avez perçu. » — « Pardieu, dit Jean de Coir, » en lançant son chaperon par terre, il en sera ainsi fait ! »

Mais les deniers n'arrivaient pas. Le peuple, qui entre-temps avait réussi à faire triompher l'un des siens à l'élection communale, exige alors une vérification de tous les comptes de la Cité depuis nombre d'années. Une réunion extraordinaire est décrétée à cet effet à Saint-Barthélemy. Après de longues discussions, quatre points principaux sont mis par écrit et proposés au scellement des échevins: 1° Promesse formelle de ne plus faire de collecte ni de renouveler la Fermeté; 2° Engagement de ne plus emprunter de l'argent, si ce n'est avec l'assentiment du peuple; 3° Renonciation au droit de proclamer l'ost; 4° Défense de faire aucun don aux princes, des finances de la Cité.

Pendant les préparatifs de l'acte, les échevins étaient parvenus à s'éclipser un à un. Le peuple irrité court au Destroit, s'empare de ceux qui s'y sont cachés, arrache les autres à leurs demeures et les ramène sceller la charte.

Cet épisode se passa, selon Hocsem, au commencement de l'année 1303, avant l'arrivée de l'évêque Thibaut de Bar, qui fut intronisé le 6 novembre.

Le 24 juillet de la même année, les maistres, échevins, jurés, métiers et communauté de la Cité, reconnurent les droits de l'évêque dans l'administration de l'hospice de Cornillon.

La ville de Malines ayant fait retour au domaine des princes-évêques, Thibaut de Bar lui restitua ses anciens privilèges et lui octroya un nouveau règlement sur la composition et les attributions du magistrat, l'administration de la justice et de la police (18 mars 1305, n. st.). Nous y remarquons cette clause que les échevins de Malines pourront au besoin consulter ceux de Liège, qui sont leurs chefs.

Cependant de nouvelles et graves dissensions surgirent entre les Grands, soutenus par l'évêque, et la petite bourgeoisie. Les chroniques du temps n'indiquent pas les motifs de la querelle et se bornent à nous apprendre que les échevins quittèrent la Cité. Peut-être y furent-ils contraints. Quoi qu'il en soit, ils cherchèrent à se créer des alliances. Un premier traité, du 22 mars 1307, leur assura celle du duc de Brabant; par un second, du 21 mai suivant, ils obtinrent d'Arnold V, comte de Looz, la promesse jurée de leur prêter main-forte contre le peuple de Liège pour le rétablissement de l'autorité de l'évêque.

Confiant dans l'armée qu'il s'était ainsi procurée, l'évêque proposa aux échevins de le suivre à Vottem, où, à l'instar de ce qui avait eu lieu sous Henri de Gueldre, ils pourraient ériger valablement leur tribunal et lancer contre les séditieux des arrêts de proscription. Mais les Liégeois, informés de ce plan, allèrent occuper Vottem avant le 17 août, jour fixé pour le jugement. Le prince voyant que la milice urbaine allait lui opposer une vive résistance et éprouvant de la répugnance à verser le sang de ses sujets, écouta favorablement les propositions des médiateurs, échangea des otages et conclut la paix.

Le pouvoir communal, implanté depuis plus d'un siècle à Liège, s'y était développé sans entraves. Suppléant à l'action insuffisante du mayeur en matière de police judiciaire, il n'avait pas tardé à édicter, sous le nom de Statuts, des ordonnances pénales destinées, le plus souvent, à réprimer ces actes agressifs, auxquels le caractère violent des citains ne se laissait que trop souvent aller. Ce pouvoir des maistres de la Cité, qui avait pour corollaire celui de poursuivre et de punir les infracteurs, devait donner naissance à des conflits. Un jour que maistres, échevins et jurés se trouvaient réunis « en pleine obédience et consistoire sur sainct Michiel », la question de droit fut nettement posée par Jean de Pont, l'un des deux maistres en exercice. Il voulut savoir si les échevins ont à connaître des faits posés par les maistres ou les jurés agissant, en vertu de leurs fonctions, dans l'intérêt de la Cité. La réponse fut négative. On invoqua plusieurs précédents dont quelques-uns remontaient à bon nombre d'années. Ainsi, le fait « del maison saingneur Mathon defours Casteal, adont eschevin de Liège, que ly maistres et ly jureis brisarent à une hye, pour les besongnes de la Citeit,» et pour lequel jamais ni maistres, ni jurés ne furent inquiétés. Ainsi encore, la maison « de Dragon en la rue de Pont », et la maison « Mourseaul » sur Meuse, dans lesquelles les maistres et les jurés pénétrèrent de force, du temps d'Olivier d'Othée, mayeur de Jean de Flandres. Bien mieux, il fut « recordeit » que les maistres et jurés « brisèrent » plusieurs fois la tour de l'official, qui était la prison de l'évêque, et que « oncques eschevins nen jugat. »

Ces faits et plusieurs autres, ayant été reconnus exacts par tous les maistres et jurés anciens et nouveaux, il en fut dressé un record en due forme, le dimanche 9 janvier 1312.

L'évoque Thibaut de Bar périt à Rome, le 13 mai suivant.

Ce fut l'empereur lui-même qui se chargea de notifier son décès au chapitre de Saint-Lambert, lequel aussitôt prit date, sinon pour élire un nouvel évêque, du moins pour constituer un mambour de la principauté. Le voeu du Chapitre aurait été de conférer la dignité épiscopale à Arnold de Blankenheim, son prévôt, mais comme l'évêque était mort en Cour romaine, le pape seul avait le droit de lui désigner un successeur. Entre-temps Blankenheim fut nommé mambour, malgré l'opposition des Grands.

Issu d'une famille très considérable d'Allemagne, Blankenheim était envié des nobles liégeois, qui ne lui pardonnaient pas ses sympathies pour le parti populaire. Il ne parvint pas à se faire accepter. Le lignage de Waroux surtout ne voulut pas reconnaître son autorité et ne tint aucun compte des trêves imposées par le mambour. Le mécontentement des Grands fut à son comble, lorsqu'on apprit que Blankenheim avait forcé le château de Harduemont et fait exécuter trois des plus vaillants hommes d'armes de ce lignage.

Un groupe d'échevins et de nobles se rendirent au Chapitre et prétendirent que l'élection du mambour s'étant faite sans leur consentement devait être annulée. Le Chapitre répondit: « Puisque, sans vous consulter, nous avons le pouvoir d'élire un évêque qui est votre seigneur spirituel et temporel, pourquoi ne pourrions-nous, dès lors, créer un mambour ? » — « Hé pardieu ! répondit l'échevin Jean de Coir, nous allons en nommer un, quelque dépit que vous en ayez ! »

Les Grands et les nobles vont trouver le comte de Looz, le créent mambour et l'amènent à Liège. Le Chapitre le repousse; c'est l'anarchie.

Le comte de Looz, suivi des échevins et de leurs partisans, se retire à Huy et y mande les maistres des bonnes villes de Dinant, Tongres et Saint-Trond. On se décide à recourir à un stratagème d'une loyauté douteuse. Le comte se rendrait au Chapitre et le prierait de convoquer le pays, sous prétexte de s'entendre sur la situation et d'éviter une guerre civile. Tandis que les Etats délibéreraient et que le peuple non armé serait en sécurité, les alliés pénétreraient dans la Cité nuitamment et se rendraient maîtres des Petits

Ce plan fut adopté et la journée d'Etats fixée au jeudi, 3 août.

Le peuple apprenant que l'accord allait se faire, fut tout à la joie, mais le Chapitre et le prévôt soupçonnant quelque piège, ordonnèrent que le jeudi soir toute la population fût armée et que personne ne quittât sa demeure, afin d'éviter toute surprise. Les métiers se concertent: ce sera la cloche des drapiers qui sonnera l'alarme: aussitôt tanneurs, vignerons et houilleurs viendront à l'appel. Quant aux mangons, ils garderont leur halle, de crainte qu'on y mette le feu. Les rues seront bien tendues de chaînes et toutes les maisons pourvues de pierres et de cailloux.

Au jour convenu, les députés des bonnes villes et les nobles du pays s'assemblèrent au Chapitre. Le comte de Looz prit la parole et exposa que ses ancêtres ayant été nommés mambours à chaque vacance du siège, il venait réclamer son droit et se mettre à la disposition du pays. Nicolas Payen, le vice-doyen, répondit que l'allégation du comte n'était nullement fondée; il prouva que L'office de mambour revenait en premier lieu au prévôt, comme prince de l'Eglise, et subsidiairement au comte de Looz, en cas d'absence du prévôt.

Quand le comte s'aperçut que son auditoire lui échappait, il changea de ton. « Mes seigneurs et mes amis, dit-il, ne prolongeons point ce débat; remettons la séance à demain. Je vais prendre conseil, et si mes droits ne sont pas fondés, je suis prêt à y renoncer. »

Il partit pour Looz, ayant soin d'informer secrètement les échevins qu'il reviendrait le lendemain matin, à la tête de ses vassaux.

Cependant vers la soirée, une grande réunion de nobles, d'échevins, de Grands se tint chez le mayeur Goffin des Changes. Le chef du parti populaire Jean de Pont, circonvenu depuis longtemps par les Grands et tout disposé à trahir, y vint également. Bientôt les têtes sont échauffées par les fumées du vin; les projets les plus violents se font jour. On ira brûler la halle des mangons.

Il était nuit noire quand les conjurés sortent en armes de la maison du mayeur, prêts à mettre le complot à exécution. Arrivés à la « manghenie, » ils la trouvent gardée de toutes parts. La bataille s'engage aussitôt: en quelques instants le sang coule, les morts jonchent le sol. Un Liégeois plus hardi s'était juché sur le toit d'où il faisait pleuvoir pierres et projectiles sur les assaillants. Goffin des Changes s'approche de lui et cherche à l'atteindre de sa lance, mais un projectile lancé d'une main sûre vient l'abattre dans la fange.

Relevé dans un piteux état, le mayeur est transporté à domicile par un groupe de fidèles, quand arrivés en face de sa demeure, ils sont dispersés ou massacrés. Des forcenés s'acharnent sur le cadavre du malheureux Goffin dont la tête et les membres sont cloués sur sa porte.

Les Grands désespérant de s'emparer de la « manghenie » se replient sur le Marché et s'y maintiennent vigoureusement, lorsque à la pointe du jour le prévôt de Blankenheim sort de la Cathédrale à la tête de ses chanoines, armés de pied en cap pour fondre sur les nobles. Ce secours inattendu rend du coeur aux Petits, dont le nombre grossissait sans cesse. Les Grands, jugeant la position intenable, se décident à gagner les hauteurs de Publémont, où ils espèrent rencontrer bientôt les troupes du comte de Looz. Ils marchent en bon ordre, serrés de près par leurs ennemis. Après plusieurs engagements, où le prévôt Blankenheim, le chanoine de Brunshorne et l'échevin Jean Surlet sont tués, la débandade se met dans l'armée des Grands, qui fuient de toutes parts. Les uns tâchent de se cacher dans les hôtels avoisinants; d'autres, au nombre d'environ cent et vingt, se jettent dans l'église de Saint-Martin et s'y barricadent de leur mieux. Mais rien ne peut arrêter une populace en délire: l'église est entourée de monceaux de paille et de bois sec: bientôt un vaste brasier consume le temple et tous ceux qu'il renferme. Le peuple, ivre de fureur, fouille les maisons des environs et massacre sans pitié tous ceux qui s'y sont réfugiés.

Quand le comte de Looz arriva aux portes de la Cité, le 4 août au matin, il était trop tard: l'aristocratie liégeoise était détruite. De tous les échevins, trois ou quatre seulement avaient échappé au trépas.

Cette sanglante journée a gardé dans l'histoire le nom de Mal Saint-Martin.

ECHEVINS

Ce fut sous le règne de Henri de Gueldre que, pour la première fois, les échevins de Liège délivrèrent des actes scellés de leurs quatorze sceaux et contenant tous leurs noms. Deux de ces chartes, au moins, sont parvenues jusqu'à nous. Il faut mettre textuellement en regard les noms des échevins qu'elles révèlent:

1260 1268
Henricus de Novo Vico,
Alexander de Ruella,
Adam de Rameia,
Evrardus de Lupo,
Alexander de Sto Servatio,
Balduinus, frater eius,
Gerardus de Cambiis,
Johannes de Lardario,
Egidius, eius frater,
Egidins Sirelet,
Radulphus de Insula,
Petrus Boveaz,
Matheus dictus Matons,
Egidius de Novo Vico.
Henricus de Novo Vico,
Gerardus de Cambiis,
Egidins Sureles,
Johannes de Lardario,
Radulphus de Insula,
Matheus dictus Matons,
Petrus Boveas,
Egidins de Novo Vico,
Egidius dictus Crasmadar,
Johannes Godons,
Lambertus li Fouz,
Johannes dictus d'Anis,
Rigaldus li Oveiz,
Jobannes dictus Kokeles.

Il suffit de comparer les deux listes pour s'apercevoir que, dans l'intervalle de ces huit ans, six échevins avaient été remplacés. Les six nouveaux étant énoncés les derniers, et les autres défilant assez sensiblement dans le même ordre, il est clair que, dès cette époque, les échevins observaient entre eux les règles de la préséance, basée sur la date de leur admission. La liste de 1260 va donc nous servir de point de départ, et dans la classification subséquente de nos échevins nous nous attacherons à les présenter, autant que possible, dans leur ordre chronologique. Pour éviter des répétitions fastidieuses, nous placerons en tête de chaque notice la nomenclature de tous les documents où le personnage figure comme échevin. La durée de ses fonctions sera délimitée approximativement par les deux dates qui suivent son nom. Dans un petit nombre de cas seulement, où il a été possible de découvrir l'année de la réception ou du décès, le texte aura soin de l'indiquer.

HENRI DE NEUVICE, 1233-1272.

1257, Chart. de la Paix-Dieu. — 1260, Lib. prim. chart., n° 439. — 1261, Pièces justificatives, n° 1. — 1261, Chart. du Val-St-Lambert, n° 267. — 1262, Pièces justificatives, n° 2. — 1265, Chart. du Val-St-Lambert, n° 288. — 1268, Chart. de la Cathéd., n° 300.

Parmi les familles qui florissaient à Liège au milieu du XIIIe siècle, celle de Neuvice fut certes l'une des plus notables. Enrichis par le commerce des laines d'Angleterre, les Neuvice s'allièrent bientôt à la noblesse du pays et leur lignage, grâce à une fécondité merveilleuse, devint très puissant. Hemricourt, en parlant de cette famille, rapporte une particularité qu'il tenait de Louis, sire de Diepenbeek, sénéchal de Brabant, vivant en 1350 et qui, par sa mère, descendait des Neuvice. Le vieil Henrotte de Neuvice, dit-il, avait épousé une dame fort riche mais fort avare, nommée dame Segraz, de Saint-Trond. Son extrême parcimonie l'emportait souvent sur sa bonne foi et rarement ceux qui avaient été en rapports d'affaires avec elle, étaient revenus sans avoir subi quelque préjudice. Aussi, quand on voulait désigner un homme « avaricieux et ryouteuz, » on disait qu'il était de la race de dame Segraz. Dame Segraz fut la mère de Henri ou Henrotte de Neuvice, l'échevin de Liège. Or, comme celui-ci est constamment nommé avant Alexandre delle Ruelle, il y a présomption qu'il était plus ancien que lui. Sa nomination remontait donc à 1233, au moins. Nous trouvons d'ailleurs un acte de la cour allodiale, donné en 1248, où parmi les « alluens » figurent Arnold, chevalier de Fléron, Henri de Nuvis, Alexandre de Ruel, Gérard de Cambiis, Louis Naveas, Pierre de Skendremale, Pierre Crekelons, Lambert Pancerons, etc. Dans les noms imprimés en italique nous reconnaissons trois échevins, à cause de l'ordre dans lequel ils sont constamment rangés.

En 1254, on rencontre Wauthier de Neuvice, qui est désigné comme frère de Henri, et semble avoir été également échevin.

Henri de Neuvice fut, vers 1234, le fondateur du couvent des Dominicains à Liège, connus alors sous le nom de Frères Prêcheurs. Jean d'Outremeuse, il est vrai, attribue cette fondation à Jean et à Pirard de Neuvice; mais les récits de ce chroniqueur, très souvent inexacts quand ils ne sont pas fabuleux, ne sauraient prévaloir sur l'épitaphe même de notre échevin qui le dit FUNDATOR HUIUS LOCI. Non content de cette grande fondation, il légua à l'hôpital de Saint-Jean-Baptiste la somme considérable de 100 marcs liégeois, à charge de donner annuellement aux Frères Prêcheurs 40 sols pour la célébration de son anniversaire.

Il mourut le 12 février 1272 (n. st.) et sur sa tombe on lisait l'inscription suivante, qui rappelait en même temps la mémoire de Henri Polarde, son fils:

Anno Dni M. CC. LXXI. Il idus februarii obiit Henricus de Novo Vico scabinus Leodiensis, fondator huins loci. Orate pro eo. Anno Dni M. CC. XCIX. in die beati Gregorii obiit Henricus dictus Pollarde scabinus Leodiensis, anima eins requiescat.

Outre Henri Polarde, Henri de Neuvice eut pour fils Gilles li Mas, mort le 24 novembre 1286 et enterré aussi aux Dominicains; et Jean de Neuvice, religieux aux Frères Prêcheurs.

ARMES. Henri de Neuvice a-t-il fait usage d'armoiries ? Je ne le crois pas. Son sceau, qui est conservé aux chartes de 1262, 1265, 1268, représente un faucon déchirant un lièvre. Légende: S. HENRICI DE NOVICO SCHABINI LEOD.

ALEXANDRE DE SAINT-SERVAIS, 1248-1266.

1248, Cartul. du Valbenoît, t. II, fol. 19. — l260, Lib. prim. chart., n° 439. — 1260, Chart. de Robermont. — 1261, Ibid. — 1265, Chart. du Val-St-Lambert, n° 281 et 288. — 1266, Cartul. du Val-Dieu, fol. 357.

Les chartes de 1261 et 1265 précitées sont encore munies du sceau de cet échevin, portant la légende: S. ALEXADRI DE HALLA. SCAB. LEOD.

Un Alexandre de Halla, bourgeois de Liège, peut-être le père de notre échevin, avait fait en 1235 une donation de deux bonniers à l'abbaye du Val-Saint-Lambert; c'est lui probablement qui, en 1260, était entré au couvent des Prémontrés, étant père de quatre fils: Henri, Alexandre, Lambert et Jean.

BAUDOUIN DE SAINT-SERVAIS, 1250 (?)-1265.

1260, Lib. prim. chart., n° 439. — 1261, Chart. de Robermont. — 1265, Chart. du Val-St-Lambert, n° 281 et 288.

La charte de 1260 et celle du 3 janvier 1265 (n. st.) le désignent comme frère d'Alexandre de Saint-Servais.

Ni l'un ni l'autre n'étaient plus en fonctions en 1268.

Baudouin intervient à une sentence arbitrale rendue en faveur de l'abbaye du Val-Saint-Lambert, contre les frères Gérard et Godefroid de Hombroux, chevaliers.

ARMES. Sceau attaché à la charte de 1261, avec cette inscription: S. BALDVINI. SCAB. LEOD.

GERARD DES CANGES, 1250-1272.

1250, Cartul. d'Alne, p. 161. — 1257, Collég. St-Jean, n° 457, fol. 9, 15 v°. — 1260, Lib. prim chart., n° 439. — l26l, Pièces justificatives, n° 1. — 1261, Chart. de Robermont. — 1261, Chart. du Val-St- Lambert, n° 267. — 1266 (n. st.), Cartul. de Herckenrode, t.I, fol. 101. — 1266, Cartul. du Val-Dieu, fol. 357. — 1268, Chart. de la Cathéd., n° 300. — 1270, Hospices civils de Liége, case 253. — 1272, Chart. de St-Jacques.

La grande diversité des monnaies au moyen age nécessitait le recours fréquent aux changeurs. Ceux-ci, à Liège, étaient constitués en confrérie ou corporation et habitaient, selon l'usage, à proximité les uns des autres. De là, le nom de de Cambiis ou des Canges, donné à notre échevin, qui, il faut le croire, exerçait cette profession.

Dès 1275, il était remplacé dans sa charge échevinale. On faisait sa commémoration au couvent des Ecoliers, auquel il avait laissé une rente de deux muids d'épeautre.

Gérard des Canges avait épousé Catherine, fille de Richard de Beaurieu, chevalier. Elle mourut le 28 janvier 1302 (n. st.) et fut enterrée aux Frères Mineurs. Hemricourt relate toute leur descendance.

Elle était veuve de Gérard des Canges lorsqu'elle conclut, le ler août 1277, une transaction avec le chapitre de la Cathédrale relativement aux mines de charbon existant sous les vignobles qu'elle tenait du Chapitre.

Voici son épitaphe:

Anno ab incarnatione dnica M. CCC. primo, V kalendas febrnarii obiit dna Katherina filia dni Rigaldi militis quondam advocati de Cumesta, relicta quondam dni Gerhardi de Cambiis civis et scabini Leodien. O. p. ea.

ARMES. Sceau attaché à la charte de Robermont de 1261; légende: S. GER[ARDI DE CAMBI]IS...

JEAN DE LARDIER, 1253-1282.

1253, Cartul. d'Alne, p. 130. — 1257, Chart. de la Paix-Dieu. — 1260, Lib. prim. chart., n° 439. — 1261, Chart. deRobermont. — 1261, Pièces justificatives, n° 1. — 1262, Ibid., n° 2. — 1265, Chart. du Val-St-Lambert, n° 288. — 1268, Chart. de la Cathéd., n° 300. — 1270, Chart. de Robermont. — 1272, Ibid. — 1273, Ibid. — 1274, Chart. du Val-St-Lambert, n° 119. — 1275, Cartul. de St-Paul, p. 75. — 1276, Cartul. du Valbenoît. — 1278, Chart. du Val-St-Lambert, n° 133. — 1279, Chart. de Cornillon. — 1280 (n. st.), Cartul. de Beaurepart, fol. 1O9 V°. — 1281, Chart. de la Cathéd., n° 363.

Il y avait à Liège sur le Marché, près de l'hôtel-de-ville, une maison que l'on trouve mentionnée dès l'année 1229 avec l'enseigne du Lardier, c'est-à-dire le lieu où l'on conserve le lard, le garde-manger. Ce devait être un édifice d'un certain aspect, car il servit longtemps de résidence à des familles importantes. Celle qui l'occupait au XIIIe siècle a fourni plusieurs échevins.

Jean de Lardier paraît avoir été le fils d'un Jacques de Lardier, dont la veuve Elisabeth prend, le 25 juillet 1235, en accense une maison du chapitre de Saint-Lambert.

Dans une charte du 16 août 1277, il se qualifie: « nos, Johans de Lardier, citains et eskevins de Liège, et sires delle justiche et des biens d'Avroit, de par mon saigneur Johan par la Deu grasce, eveke de Liége. »

Le 27 décembre 1281, il fut appelé à donner son avis, pour le record dont il a été question à propos d'Alexandre delle Ruelle. On le qualifie, à cette occasion, de l'un des plus anciens et des plus sages d'entre les échevins.

Jean de Lardier fut choisi avec le chevalier Walter Berthold, de Malines, pour terminer une contestation que Thierry de Farciennes, chevalier et maréchal du Hainaut, avait avec le chapitre de Saint-Barthélemy à Liège, relativement à des biens situés à Châtelineau. Ils rendirent, le 30 juin 1280, une sentence arbitrale qui fut confirmée.

Il mourut le 21 septembre 1282 et fut enterré aux Frères Mineurs avec l'épitaphe suivante:

Anno ab incarnatione Dni M. CC. LXXXII in die beati Mathei apostoli obiit dominus Johannes de Lardario civis et scabinus Leodiensis. Orate pro eo. Anima eius per misericordiam Dni nri...

Sa commémoration se faisait aussi le 21 septembre en l'église Saint-Denis, où il avait un fils chanoine.

Beatrix d'Awans, veuve de notre échevin, mourut le 22 décembre 1292 et reçut la sépulture à Saint-Denis sous une pierre qui la représentait avec un manteau doublé de vair, conformément à son blason.

ARMES. Nous avons vu quatre sceaux plus ou moins intacts aux chartes de 1261, 1268, 1270 et 1278, avec cette légende: S. IOHIS DE LARDARIO SCABINI LEODIENSIS. Toutefois sur l'épitaphe de Beatrix d'Awans l'écusson du mari présente une fasce accompagnée de trois macles. Jean de Lardier aurait donc changé de blason sur la fin de sa vie.

GILLES SURLET, 1257-1284.

1257, Chart. de la Paix-Dieu. - 1260, Lib. prim. chart., n° 439. — 1261, Chart. de Robermont. —1261, Pièces justificatives, n° 1. — 1266, Cartul. du Val-Dieu. — 1268, Chart. de la Cathéd., n° 300. — 1275, Cartul. de St-Paul, p. 75. — 1276, Cartul. du Valbenoît, t. 1, fol. 96 v°.— 1276, Chart. du Val-St-Lambert, n° 352 — 1278, Ibid., n° 362. — 1279, Chart. de Cornillon. — 1279, Cartul. de Herckenrode, t. I, fol. 45 v°.—1280 (n. st.), Cartul. de Beaurepart, fol. 62 v°.

La généalogie des Surlet, telle que Jacques de Hemricourt l'expose, se trouve en concordance parfaite avec les documents. Suivant ce chroniqueur, Gilles Surlet, surnommé « le Beyr», était fils de Louis Surlet qui fut, de son vivant, le bourgeois le plus puissant de la Cité. Sa mère appartenait à la famille des comtes de Hozémont, dont les Surlet adoptèrent les armes, par la suite.

Il mourut, ajoute-t-il, en 1284 et fut enterré dans 1'église des Frères Mineurs.

Marguerite d'Aaz, sa femme, était fille d'Albert d'Aaz, bourgeois de Liége, et de la soeur de Percheval de Ville.

Ils laissèrent huit fils et deux filles.

Les chartes de 1275 et 1279 qualifient Gilles Surlet d'exécuteur testamentaire de Thiry de Flémalle, chevalier.

ARMES. Il existe des empreintes du sceau de Gilles Surlet, aux chartes de 1261, 1268 et 1278. Elles représentent un homme debout sous un dais à pinacles, tenant sur le poing gauche un faucon, et de la main droite un leurre. Légende: S. EGIDII DTI SVRELET SCABINI LE0D. Faut-il voir dans ce sceau une allusion à une charge de fauconnier qu'aurait eue son possesseur, ou simplement l'indice de sa prédilection pour la chasse ?

RADOUX D'ISLE, 1260-1273.

1260, Lib. prim. chart., n° 439.— 1261, Pièces justificatives, n° 1. — 1264, Cartul. de St-Denis, n° 47. — 1266, Analectes ecclésiastiques, t. XII, P. 47. — 1266, Chart. du Val-St-Lambert, n° 296. — 1268, Chart. de la Cathéd., n° 300. — 1271, Chart. de St-Jacques.—1271, Cartul. de Heylissem, fol. 32. — 1272, Chart. de Robermont. — 1273, Ibid.

Radoux d'Isle, riche bourgeois de Liége, fils de Radoux à l'œil et petit-fils du seigneur Louis aux chausses rouges, épousa une fille de Richard de Beaurieu, chevalier.

Si notre échevin portait le nom d'Isle à cause de sa résidence dans cette partie de la ville, l'ile, en revanche, prit le nom de son propriétaire ou, tout au moins, de son principal habitant. Nous voyons, en effet, qu'en 1267, les curés des paroisses de Saint-Adalbert et de Saint-Martin se disputaient la juridiction « in parra insula que dicitur insula Radulphi, Civis Leodiensis.

La maison de Radoux paraît bientôt avoir été convertie en béguinage, à en juger par cet extrait: « Domus... sita in insula Leodiensi, inter domum pauperum beghinarum domus dicte quondam domini Radulphi et domum Lamberti dicti le Bernier. »

Il laissa deux fils et deux filles:

1° Radoux.
2° Gilles, chanoine de Saint-Pierre.
3° Catherine, mariée à Everard d'Isle, plus tard échevin.
4° N., mariée à Jean de Huy, écuyer, frère du sénéchal des Prez.

ARMES. Sceau, à la charte de 1268. Sur un fond étoilé une griffe de lion. Légende: S. RADULFI SCABINI LEODIENSIS. Les armes d'Isle, selon Hemricourt, étaient à quatre griffes de lion.

MATHIEU dit MATHON, 1260-1285.

1260, Lib. prim. chart., n° 439. — Pièces justilicatives, n° 1. — 1261, Chart. de Robermont. — 1268, Chart. de la Cathéd., n° 300. — 1272, Chart. de St-Jacques. — 1274 (n. st.), Chart. de Robermont. — 1275, Cartul. de St-Paul, p. 75. — 1276, Chart. du Val-St-Lambert, n° 352. — l278, Ibid., n° 363 et 364. — 1279, Cartul. de Herckenrode, t. 1, fol. 45 v°. — 1280 (n. st.), Anal. ecclés., t. XII, p. 51. — 1280 (n. st.), Chart. de Cornillon. — 1281, Chart. de la Cathéd., n° 363. — 1281, Poswick, Hist. du comté de Fallais, p. 163. — 1284 (n. st.), Cartul. du Valbenoît, t. II, fol. 162 v°.

Etant, en 1281, l'un des échevins les plus anciens et les plus sages, Mathieu Mathon fut appelé, avec Jean de Lardier et les deux échevins moines, à donner le record, dont il a été question plus haut.

Par un autre record du 9 janvier 1312, nous savons que la maison de l'échevin Mathon, située rue Hors-Château, fut un jour forcée par les maistres et les jurés de la Cité; toutefois nous ignorons les circonstances dans lesquelles ce fait se produisit.

Si l'on interroge Hemricourt au sujet de l'échevin Mathon, on ne découvre que ceci: Radoux Surlet fut marié deux fois: « ly première de ses femmes fut une des Mateneresses, filhe al viez Mathon de four casteal, à Liége. »

Il mourut le 26 février 1285 (n. st.), selon son épitaphe qu'on voyait jadis aux Frères Mineurs et qui était conçue en ces termes:

A nece jam tutus, jacet hic a morte solutus
Legibus imbutus, verax, jus, fasque secutus
Non linquens verum propter dispendia rerum.
Consul egenorum, procuratorque Minorum,
Nomine Matheus, huic miserere Deus !
Anno Dni M. CC. LXXXIIII quarto kal. martii obiit
Dns Matheus dictus Mathos civis et scabinus Leodiensis.

Dans la même église, une autre pierre consacrait la mémoire de sa femme et de deux de leurs enfants:

Chi gist dame Anès femme sire Mathier condist Matos jadit eskiviens de Liege qui trespassat alle S. Grigore lan de grasce M. CC. LXXXXVIII. Priés por li. Et ci gist Colins Matos ses fis. q. tpassat. V jours de auost lan de grasce M. CCC et XII. priés por li. Et chy gist damoiselle Isabeal condist Mathos le filhe sire Mathier Matos eskevien q tpassat alle sainte Gertrus en marche lan de grasce M. CCC et XL priés por lei.

ARMES. Les trois têtes de léopard, indiquées par Hemricourt comme étant les armes de Féronstrée, sont empreintes sur les sceaux des chartes de 1261 et 1268, avec cette inscription: S. MATHEI... SCABINI LEOD.

PIERRE BOVEAZ, 1260-1282.

1260, Lib. prim. chart., n° 439. — 1261 et 1262, Pièces justicatives, n° 1 et 2. — 1268, chart. de la Cathéd., n° 300 — 1272, Chart. de Robermont. — 1275 (n. st.), Chart. du Val-St-Lambert, n° 341. — 1276, Cartul. du Valbenoît, t. I, fol. 96 v°. — 1278, Cartul. de Herckenrode, t. I, fol. 51 v°. — 1279, Chart. de Cornillon. — 1280 (n. st.), Cartul. de Beaurepart.

Fondateur d'un autel dans l'église Saint-Jean-Baptiste, il y fut enterré sous une pierre décorée de ses armes et portant cette légende:

Chi gist sire Piere Boveal, eskns de Liége, fondator de present alteit, ki trespassat l'an M. CC. et LXXXII. le ...

L'épitaphe de Catherine d'Aywaille, sa femme, décédée le 12 avril 1269, se trouvait aux Dominicains et était conçue comme suit:

Clemens et lenis fuit haec et pastus egenis.
Anno ab incarnatione Dni M. CC. LX nono, pridie Idus Aprilis obiit Dna Katerina de Eiuualhe uxor Dni Pet. Boveal scabini Leodien. anima eius requiescat in pace. Amen.

ARMES. L'écusson aux trois lions est reproduit sur les sceaux qui appendent aux chartes de 1268 et 1279, avec l'inscription: S. PETRI BOVEA SCABINI LEODIENSIS.

GILLES DE NEUVICE, 1260-1280.

1260, Lib.prim. chart., n° 439 — 1260, Chart. de Robermont. — 1261, Ibid. — 1262, Charte de Cornillon. — 1264, Cartul. de St-Denis, n° 47. — 1268, Chart. de la Cathéd., n° 300. — 1272 , Chart. de Robermont . — 1275, Chart. du Val-St-Lambert, n° 341. — 1276, Ibid., n° 352. — 1278, Cartul. de Herckenrode, t. I, fol. 51 v°. — 1280 (n. st.), Chart. de Cornillon. — 1280 (n. st.), Cartul. de Beaurepart, fol. 109 v°.

Gilles de Neuvice était soit le fils, soit le neveu de l'échevin Henri de Neuvice mentionné plus haut. Hemricourt n'est pas très explicite sur ce point. Tantôt il l'appelle « un fils de Biersez, » tantôt il se borne à le dire petit-fils du vieux Henri de Neuvice, père de l'échevin. Ses deux versions sont d'ailleurs parfaitement conciliables, si l'on considère que les noms de famille commençaient à peine à devenir héréditaires à cette époque et se transmettaient souvent de la mère au fils.

En 1275, il exerçait les fonctions de mayeur.

Abry prétend qu'il mourut en 1286 et qu'il fut enterré aux Dominicains. Cette date est probablement erronée, puisque Gilles de Neuvice cesse d'être cité après 1280 et qu'il n'était positivement plus en fonctions le 31 octobre 1285.

Il épousa Marguerite de Withem, fille d'Arnould sire de Withem, de la maison de Julémont; il eut d'elle deux fils, savoir « messire Ernus de Charneur et Herman de Charneur ». L'autorité de Hemricourt est ici corroborée par un document contemporain: parmi les témoins appelés le ler mars 1310 (n. st.), au record des échevins de Bassenge touchant les droits de l'abbaye de Saint-Jacques dans cette localité, nous remarquons: « Herman de Charnoir, fis signor Gilon de Nuvis, jadis eschevin de Liége. »


ARMES. Le sceau de cet échevin, conservé à la charte de 1260 et à celle de Cornillon en 1280 n. st., porte un écusson burelé, au lion couronné, brochant sur le tout. Légende: S. GILES: DE NVVIS: ESQEVNS D' LIEGE. C'étaient les anciennes armes des Bierset.

JEAN GODONS, 1261-1288.

1261, Chart. de Robermont. — 1267 (n. st.), Cartul. du Valbenoit, t. I, fol. 92 v°. — 1268, Chart. de la Cathéd., n° 300. _ 1270, Chart. de Robermont. — 1275, Cartul. de St-Paul, p. 75. — 1276, Cartul. du Valbenoit, t. I, p. 96 V°. — 1278, Cartul. de Herckenrode, t. I, fol. 51 V°. — 1280 (n. st.), Chart. de Cornillon. — 1280 (n. st.), Cartul. de Beaurepart, fol. 109 v°. — 1282, Cartul. du Valbenoît, t. I, p. 202. — 1285, Cartul. du Val-Dieu, fol. 386. — 1288, Chart. des Dominicains.:ÁcD

Succéda à Gilles de Lardier.

ARMES. Trois sceaux, aux chartes de 1261, 1268 et 1270. Légende: S. IOHAS GODOS ESKEVIS DE LIEGE

GILLES CRAMADARS, 1266-1291.

1266, DEVILLERS, Cartul. d'Alne, p. 150. — 1267 tn. st.), Cartul. du Valbenoît, t. I, fol. 92 v°. — 1268, Chart. de la Cathéd., n° 300. — 1270, Chart de Robermont. — 1274, Chart. du Val-St-Lambert, n° 336. — 1275, Cartul. de St-Paul, p. 75. — 1276, Chart. du Val-St-Lambert, n° 352. — 1276, Cartul. du Valbenoît, t. I, fol. 96 V°. — 1278, Cartul. de Herckenrode, t. 1, fol. 51 V°. — 1280 (n. st.), Cartul. de Beaurepart, fol. 109 v°. — 1281, POSWICK, Hist. du comté de Fallais, p. 163. — 1282, Cartul. du Valbenoît, t. I, fol. 202 v°. — 1285, Cartul. du Val-Dieu, p. 386. — 1288 (n. st.), Chart. de la Cathéd., n° 392. — 1291, Chart. des Dominicains.

Cet échevin, qui dans les chartes de 1267 et 1274 est désigné comme frère de Jean Godons, tenait un fief appartenant à l'avouerie de Liège.

Il était créancier, aussi, d'une rente de trente-six muids due par le nouvel hôpital de Liège, sur le moulin de Villers, situé au lieu appelé Enbruek.

En 1288, il fut choisi pour l'un des arbitres d'une contestation entre la Cathédrale de Liège et Thierry des Prez, relativement à des biens situés à Longdoz et à Jupille.

Il doit être mort en 1291, car nous trouvons au 21 juillet 1292, mention de « Johan Fongnars, li fis singnour Cramadar, ki fut. »

ARMES. Trois empreintes du sceau de Gilles Cramadars sont conservées aux chartes de 1268, 1280 et 1288. Comme on le voit, les quatre griffes de lion attribuées par Hemricourt aux armes d'Ile, sont mouvantes des flancs de l'écu. Légende: S. EGIDII DCI CRASMADAR SCABINI LEODIEN.

LAMBERT LE FOU, 1268-1276.

1268, Chart. de la Cathéd., n° 300. — l270, Chart. de Robermont. — 1272, Ibid. — 1274, Cartul. du Val-Dieu, p. 371. — 1275, Cartul. de St-Paul. — 1275, Chart. du Val-St-Lambert, n° 341. — 1276, Cartul. du Valbenoît, t. I, fol. 96 v°.

ARMES. La charte de 1268 conserve un beau sceau de Lambert le Fou, et celle de 1270 en retient un fragment. Légende: S. LAMBERTI SCABINI LEODIENSIS.

JEAN D'ANIXHE, 1267-1282.

1267 (n. st.), Cartul. du Valbenoît, t. I, p. 92 v°. — 1268, Chart. de la Cathéd., n° 300. — 1270, Chart. de Robermont. — 1275 (n. st.), Cartul. du Valbenoît, t. I, fol. 197 v°. — 1275, Cartul. de St-Paul, p. 75. — 1276, Chart. du Val-St-Lambert, n° 128. — 1276, Cartul. du Valbenoît, t. I, p. 96 v°. — 1278, Cartul. de Herckenrode, t. I, fol. 51 v°. — 1280 (n. st.), Chart. de Cornillon. — 1282, Cartul. du Valbenoît, t. I, p. 202 v°.

Son nom se trouve sous les formes Danis, Danich, Danex, de Anegh, qui toutes se rapportent incontestablement à Anixhe, dépendance de Fexhe-Slins.

ARMES. Empreintes de sceaux aux chartes de 1268, 1270 et 1279 avec la légende: S. IOHAIS. DCI. DE ANIS. SCABINI. LEOD.

JEAN KOKELET, 1264 (?)-1273.

1264, Cartul. de St-Denis, n° 47 — 1268, Chart. de la Cathéd., n° 300. — 1269 (n. st.), Cartul. de Heylissem, fol. 31. — 1270, Chart. du Val-St-Lambert, p. 113. — 1273, Chart. de Robermont.

Dans une charte de la Cour allodiale de l'an 1266, Jean Kokelès est cité comme « alluen », immédiatement après Gilles Crasmadars, qui seul est désigné comme échevin de Liége. Cette circonstance permet de douter si la date de 1264 du Cartulaire de Saint-Denis est bien exacte. Le rang occupé par notre échevin ne s'accorde pas non plus avec cette date.

La famille Kokelet florissait encore à Liége au XVe siècle. Jean de Stavelot rapporte, sous l'année 1433, que Colart Coquelet, homme puissant, portait la bannière des fèvres, lors de l'échauffourée des d'Athin.

Jean Kokelet n'était plus en fonctions le 16 octobre 1275.

ARMES. Sceau à la charte de 1268; inscription: S. IOHIS DCIK0... INI LEODIEN. L'écu d'azur aux croisettes recroisettées d'or, était le blason du vinâve de Neuvice, « condist maintenant le vinaule de Soverain pont ».

HENRI POLARDE, 1272-1300.

1272, Chart. de Robermont. — 1275, Cartul. de St-Paul, p 75.— 1275, Chart. du Val-St-Lambert, p. 123. — 1276, Cartul. du Valbenolt, t. I, fol. 96 V°. — 1278, Chart. du Val-St-Lambert, n° 363. — 1278, Cartul. de Herckenrode, t. I, fol 51 V°. — 1279, Cartul. de Herckenrode, t. I, fol. 45 v°. — 1280, Chart. de Cornillon. — 1283, Chart. du Val-St-Lambert, n° 375. — 1285, Cartul. du Val-Dieu, fol. 386. — 1286, Cartul. de Ste-Croix, fol. 242. — 1288 (n. st.), Chart. des Dominicains. — 1289 (n. St.), Cartul. de St-Paul, p. 91 — 1291, Chart. des Dominicains. — 1294, Chart. du Val-St-Lambert. — 1299, LOUVREX, Edits, t. II, P. 9.

Henri de Neuvice dit Polarde était fils de 1'échevin Henri de Neuvice, mort en 1272, et semble l'avoir remplacé dans sa charge.

Il mourut le 12 mars 1299 ou 1300 (n. st.) et fut enterré aux Dominicains sous la tombe de son père.

Il avait donné aux pauvres de Liége, dont il fut le mambour, sept bonniers de terre situés à Fetinne, à charge de faire exonérer aux Frères Precheurs son anniversaire, ceux de « dame Abresylhe et de dame Katherine » ses épouses, ainsi que celui de Gilon le Mat, citain de Liége.

GODEFROID DEL FALCON, 1272-280.

1272, Chart. de Robermont. — 1275, Cartul. de St-Paul, p. 75. - 1275, Chart. du Val-St-Lambert. - 1276, Ibid. - 1276, Cartul. du Valbenoît, t. I, fol. 96 v°. - 1278, Cartul. de Herckenrode, t. I, fol. 51 v°. - 1280 (n. st.), Cartul. de Beaurepart, fol. 109 v°. - l280 (n. st.), Chart. de Cornillon.

L'échevin Godefroid ou Goffin del Falcon est dit frère de Lambert le Fou dans la charte de 1272.

Il figure, en 1269, sous le nom de Goffin li Oveiz, parmi les hommes « delle cise Dieu », et comme il paraît avoir remplacé Richard li Oveiz, on peut supposer qu'il était aussi le frère de ce dernier.

ARMES. Le beau sceau que nous reproduisons est attaché à la charte de 1280 de Cornillon. Légende: S. GODEFRIDI DCI LOVEIT SCABINI LEOD. Le doute ne peut exister sur son identité; aucun autre échevin ne portant alors le nom de Godefroid.

LOUIS SURLET, 1275-1299.

1275, Cartul. de St-Paul, p. 75. — 1275, Chart. du Val-St-Lambert, n° 341. — 1276, Ibid., n° 352. — 1278, Ibid., n° 363. — 1278, Cartul. de Herckenrode, t. I, fOl. 51 V°. — 1279, Ibid., t. I, fol. 45 V°. — 1280 (n. st.), Chart. de Cornillon. — 1281, POSWICK, Hist. du comté de Fallais, p. 163. — 1283, Chart. du Val-St-Lambert, n° 375. — 1285, Chart. de St-Jacques. — 1285, Cartul. du Val-Dieu, fol. 386. — 1289 (n. st.), Cartul. de St-Paul, P. 91. — 1291 (n. st.), Chart. du Val-St-Lambert, n° 387. — 1299, LOUVREX, Edits, t. II, P 9

Louis Surlet était le fils aîné de l'échevin Gilles Surlet, mort en 1284; il est donc certain qu'il siégea en même temps que son père pendant près de dix ans.

Il épousa Ode Boveal, fille de Jean, riche bourgeois de Liège.

Fondateur de la chapelle de saint Louis en l'église paroissiale de Saint-Jean-Baptiste, Louis Surlet n'était plus en vie en 1301. Outre un fils du nom de Gérard, et deux filles, que lui attribue Hemricourt, il laissa Gilles Surlet, chanoine de Saint-Denis, qui apparaît en 303, comme exécuteur testamentaire de son père.

ARMES. Sceaux aux chartes de 1280 et 1285, avec l'inscription: S. LVDOVICI... On voit donc que cet échevin ne portait pas encore les armes de Hozémont, mais celles des de Ville, modifiées.

THIERRY DE SAINT-SERVAIS, 1275-1304.

1275, Cartul. de St-Paul, p. 75. - 1276, Cartul. du Valbenoît, t.I, fol. 96 V°. - 1276, Chart. du Val-St-Lambert, n° 349 et 352. - 1278, Ibid., n° 363. - 1277, Chart. de Robermont. - 1280 (n. St.), Chart. de Cornillon. - 1281, POSWICK, Hist. du comté de Fallais, p. 163.—1282, Cartul. du Valbenoît, t. I, fol. 202 V°. - 1285, Cartul. du Val-Dieu, fol. 386. - 1288 (n. St.), Chart. des Dominicains. — 1291, Chart. du Val-St-Lambert, n° 398. - 1293, Ibid., n° 393. - 1299, LOUREX, Edits, t. II, P. 9. - 1303 (n. St.), Paweilhars.

Le 26 mars 1284 (n. st.), les échevins Johan de Saint-Martin et Thiri de Saint-Servais furent pris pour arbitres, avec Louis de Pilechoule et maistre Wauthier de Hannut, clerc et juré de la Cité, pour aplanir le différend que la ville avait avec le clergé touchant l'impôt de la Fermeté.

Notre échevin parait avoir été un grand propriétaire de houillères: par acte du 15 octobre 1278, l'éveque et le chapitre de la Cathédrale lui cèdent « l'ovrage des hulhes » d'une parcelle de terre. En 1291, c'est Yvelette del Poncheal qui lui accorde une « eraine et aisemens parmi une vingne et parmi terre » qu'elle tenait du Val-Saint-Lambert.

Enfin, en juin 1293, il obtient le droit d'extraire du charbon sous deux pièces de terre du même monastère, situées entre Besonhez et le bois de Bernalmont.

Thierry de Saint-Servais mourut le 16 septembre 1304 et fut enterré dans l'église paroissiale de ce nom. Voici son épitaphe:

Anno Dni M°. CCC° IIII° in vigilia beati Lamberti obiit Dns Theodericus de Sto Servatio scabinus Leodiensis. Orate pro eo, amen. Anno Dni M° CCC°. XXVII° mensis martii die VII obiit Dna Aleidis de R... uxor Dni Theoderici de Sto Servatio. Orate pro ea. Amen.

ARMES. Sceau, à la charte de 1280. La feuille de marais, emblème caractéristique des armes de Saint-Servais, est placée ici en abîme.

JACQUES DE LARDIER, 1275-1308.

1275, Cartul. de St-Paul, p. 75. — 1276, Cartul. du Val-benoit. — 1278, Cartul. du Val-St-Lambert, n° 363. — 1280 (n. st.), Cartul. de Cornillon et de Beaurepart. — 1282, Cartul. du Valbenoît et de Robermont. — 1284 (n. st.), Cartul. de Robermont. — 1285, Cartul. du Val-Dieu, fol. 386.—1289, Cartul. du Valbenoît, t. II, fol. 148 v°. — 1299, LOUVREX, Edits, t. II, p. 9. — 1303 (n. st.), Paweilhars. — 1304, Cartul. du Valbenoît, t. I, fol. 226 v°. — 1307 (n. st.), Chart. du Val-Notre-Dame.

Jacques de Lardier, qui semble avoir été le fils aîné de l'échevin Jean de Lardier, mort en 1282, se trouvait au déclin de sa carrière quand on entreprit la rédaction du Paweilhars; comme il était alors l'échevin le plus ancien, ses opinions et ses avis furent très appréciés.

Il n'est pas question de notre échevin dans Hemricourt et ce que dit de lui le chanoine Jalheau est inexact.

L'église paroissiale de Saint-Etienne renfermait, entre autres épitaphes, la suivante, que nous transcrivons d'après Van den Berch.

Anno dni M. CCC. XVII in die purific. Be. Marie obiit dns Jacobus dcs de Lardario civis et scabinus Leodien. orate pro eo. hic jacet dna Ida de Novo Vico uxor dni Jacobi de Lardario scabini Leodiensis que obiit a° dni M. CCC. XXXV. VI die Julii. Orate pro ea. Hic Jacobi nati de Lardario tumulati sunt. Animae quorum dnum laudent dominorum.

Si cette épitaphe avait été fidèlement copiée, il faudrait admettre que Jacques de Lardier a résigné ses fonctions échevinales, car il n'est guère admissible qu'on ne le trouverait plus mentionné de 1307 à 1317. En outre, la date de 1317, jour de la Purification, correspond en réalité au 2 février 1318, selon le style moderne. Or nous avons une charte du 6 décembre 1317, qui énumère les quatorze échevins, parmi lesquels ne se trouve plus Jacques de Lardier. Il est probable qu'il faut lire dans l'épitaphe anno M. CCC. VII, en supprimant un X ajouté par une inadvertance du copiste, ce qui fixerait le décès de notre échevin au 2 février 1308 et concorderait parfaitement avec les documents énoncés en tête. Cette conjecture est d'autant plus plausible, qu'il existe dans un des manuscrits de l'Université une copie (incomplète) de la même inscription avec la date de 1307. Quant à l'année du décès d'Ide de Neuvice, elle paraît entachée de la même erreur, sinon il en résulterait que cette dame aurait encore vécu soixante ans après l'entrée en fonctions de son mari, ce qui semble peu vraisemblable.

ARMES. A la charte de Cornillon de 1280, qu'il scella en même temps que son père, leurs sceaux sont différents. Celui de Jacques représente les armes d'Aywaille.

JACQUES DE COIR, 1285-1312.

1285, Cartul. du Val-Dieu, fol. 386. — 1288 (n. st.), Chart. des Dominicains. — 1289, Chart. de Robermont. — 1289, Cartul. du Valbenoît, t. II, p. 147 V°. — 1292, Lib. secund. chart., n° 53. — 1297, Chart. des Dominicains. — 1299, Chart. de la Cathéd., n° 445 et 448. — 1299, LOUVREX, Edits, t. II, p. 9. — 1303 (n. St)., Palreilhars. — 1305, Lib. prim. chart., n° 559. — 1307, Chart. de la Cathéd., n° 480. — 1309, Chart. de St-Jacques. — 1310, Cilart. de St-Denis. — 1311, Cartul. de St-Paul, p. 127. — 1312 (n. st.), Cartul . d'Alne, fol. 250.

Nous savons par la charte de 1289, que Jacques était fils « à singnor Gilon jadis de Cor, skevien de Liège. »

Hemricourt, qui l'appelle « Jacquemon de Coir al gros neis, » fait mention de ses trois filles, dont l'une, Dioule, épousa Jacques Festeau; la seconde, Jean Huwenial, puis Eustache Franchomme de Hognoul, chevalier; la troisième enfin, Agnès, Jean Henroie des Prez.

Par lettres de 1295, Guy, comte de Namur, donne à Jakemon dit de Cor, échevin et citoyen de Liège et à ses hoirs, à perpétuité, une rente annuelle de 20 livrées en noirs tournois petits, sur la halle des draps, à Namur, à tenir en fief des comtes de Namur: le comte se réservant pour lui et ses hoirs la faculté de racheter cette rente moyennant 200 livres qui seront employées à l'acquisition de biens-fonds tenus en fief du comté de Namur. Cette donation est faite à condition que le dit Jacques et ses hoirs seront obligés de servir et de conseiller le comte de Namur, toutes les fois qu'ils en seront requis.

Jacques de Coir fut mayeur en 1299, maistre de la Cité en 1306 et périt le 3 août 1312, au mal Saint-Martin.

ARMES. Un sceau intact de Jacques de Coir pend à la charte de 1307, et se trouve reproduit planche II. On voit que l'écu représente les armes des Saint-Martin, brisées en chef d'une étoile. Cela dément l'attribution de Salbray, donnant à Jacques des armes que les de Coir n'ont portées que plus tard.

JEAN DE LARDIER, 1285-1307.

1285, Cartul. du Val-Dieu fol 386. — 1292, Chart. de St-Jacques. — 1299, LOUVREX, Édits, t. II, p. 9 — 1303 (n. st ), Paweilhars. — 1304, Cartul. du Valbenoît, t. I, fol. 226 V°. — 1307, Chart. de la Cathéd., n° 480.

« Saingneur Johan de Lardier, le viez, quy estoit vinier et de linage de Souwengnez delle coistie d'Eawaylhe », comme le dit Hemricourt, fut, selon toute apparence, le fils du premier Jean de Lardier, mort en 1282. Le Fort l'affirme même et lui donne pour femme Ide de Jupille, fille de Gérard Balar de Jupille.

Il mourut le 29 juillet 1307, et fut enterré aux Frères Mineurs.

ARMES. Sceau à la charte de 1307.

JEAN SURLET, chevalier, 1285-1312.

1288, Cartul. de Beaurepart, fol 63 V°. — 1292, Chartt. de St-Jacques. — 1299, Louvrex, Edits, t. Il, p. 9. — 1303 (n. st.), Paweilhars. — 1305 Lib. prim. chart., n° 559. — 1307, Chart. de la Cathed., n° 480. — 1308, Cartul. de St-Denis, t. IV, fol. 129. — 1311, Cartul. deSt-Paul, p. 127.

Dans la charte de 1288, Jean Surlet est indiqué comme frère de l'échevin Louis Surlet. Il était, en effet, d'après Hemricourt, fils de l'échevin Gilles Surlet, dont il fut sans doute le successeur, et de Marguerite d'Aaz. Il épousa la soeur de l'échevin Jean de Lardier, qui précède.

Jean Surlet fut le premier fils de bourgeois qui prit à Liége l'ordre de la chevalerie. Cette assertion de Jacques de Hemricourt s'est vérifiée, car nous lui trouvons, pour la première fois, le titre de chevalier dans la charte citée de 1311.

Il était mayeur en 1285 et 1288, fut maistre de la Cité en 1310, avec Jean le Moine, tanneur, et périt au mal Saint-Martin.

ARMES. Les sceaux des chartes de 1292 et 1307 nous montrent le sautoir, apparaissant, pour la première fois, comme armes des Surlet.

JEAN DE COIR, 1301-1308.

1301, JEAN D'OUTREMEUSE, t. VI, p. 5 (Cartulaire du Valbenoît, t. II, fol 12). — 1303 (n st ), Paweilhars A. — 1304, Cartul. du Valbenoît, t. II, pp. 21 et124 v°. — 1307, Chart. de la Cathéd., n° 480.

Jean de Coir devenu échevin postérieurement au 12 mai 1299, était, au témoignage de Hemricourt, du lignage de Saint-Martin, dont il portait les armes. On ne peut toutefois le confondre avec l'échevin Jean de Saint-Martin, son contemporain. Il épousa Agnès de Fontaine, fille d'Antoine de Fontaine, chevalier, et de N. de Prez.

ARMES. Sceau à la charte de 1307.

FASTRE BARE, chevalier, 1301-1332.

1301, JEAN D'OUTREMEUSE, t. VI, p. 5. — 1303 (n. st.), Paweilhars. — 1304, Chart. de Flone. — 1307, LE FORT, 2e série, t.VIII, p. 331. — 1308, Cartul. de St-Denis, t. IV, p. 129. — 1313 (n. st.), JEAN D OUTREMEUSE, t. VI, pp. 175 et 180. — 1314, Lib. secund. chart., n° 50. — 1316, Chart. de St-Jacques. — 1317, Pièces justificatives. — 1318, Chart. de St-Martin, n° 169. — 1321, Record de l'avouerie de Hesbaye. — 1323, Cour féodale, n° 39, fol. 59 V°. — 1325, Paweilhars. — 1326, Cartul. de St-Barthélemy.—1332, Cartul. de St-Paul, p. 183.

Fastré Baré, parfois surnommé delle Cange, est l'un des premiers échevins liégeois qui aient été pris dans les rangs de l'ancienne noblesse terrienne. Descendait-il du chevalier Fastré Baré d'Alleur, qui vivait en 1259 et qui fut seigneur de Beaufraipont ? Hemricourt ne le croit pas, mais il appartenait, dit-il, à une branche collatérale de la même famille, celle des Allemans. Ayant été l'un des rares échevins qui échappèrent au désastre de 1312, il fut avec Pierre Boveal, chargé par le comte de Looz, de collaborer au traité de paix qui fut signé le 14 février 1313. Il obtint plusieurs fois la maîtrise de la Cité et fut armé chevalier après 1321. Seigneur de Voroux par sa seconde femme, il acquit la terre de Beaufraipont, après l'extinction de la branche aînée de sa famille.

Après la bataille de Dammartin, Fastré Baré entra dans le parti de Waroux.

Fastré Baré a résigné son échevinage; il résulte, en effet, d'une charte du 9 octobre 1335, scellée par tous les échevins, qu'il n'était plus en charge à cette date. Ce n'est donc pas comme échevin qu'il scelle, avec huit de ses anciens confrères, un acte de la Cour allodiale du 5 avril 1337.

Le 22 juin 1336, Fastré Baré, sire de Voroux, et Hubin, son fils, chevaliers, cèdent au comte de Hainaut, représenté par Henri de Roloux, écuyer, plusieurs parties de rentes et terres qu'ils tenaient en alleu, au village de Forest, près de la Rochette.

Il vivait encore en 1339, comme on le verra plus loin, à 1'article de son fils. L'épitaphe de l'église des Dominicains, rapportée par Jalheau et d'après laquelle notre échevin serait mort en 1335, est donc apocryphe ou erronée quant à la date. Au surplus, Jalheau commet une seconde erreur en distinguant deux échevins du nom de Fastré Baré.

Fastré Baré laissa de ses deux femmes six enfants, au moins:

1° Hubin, qui fut échevin de Liége.
2° Fastré, chanoine de Saint-Paul et de Saint-Martin (1369). « Bon homme d'armes. »
3° Berthold, chevalier, sire de Voroux, marié à la soeur d'Antoine le Blavier.
4° Maître Gérard, chanoine de Saint-Denis.
5° Une fille mariée à Walter Carpeal de Hallet, chevalier.
6° Une autre, alliée à Jacques de Lardier.

     

SOURCE:

LES ECHEVINS
DE LA SOUVERAINE JUSTICE
DE LIEGE

TOME I

C. DE BORMAN
500 Pages

LIEGE - 1892

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