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Liège Expo 1939

EXPOSITION INTERNATIONALE DE L'EAU A LIEGE

Rapport de l'Exposition de l'Eau à Liège

EXPO LIEGE 1939 - Aquarelle du palais du Commissariat général par l'architecte Dedoyard
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LA MEUSE LIÉGEOISE ET LE CANAL ALBERT


L'Exposition internationale de Liège 1939 fut organisée, comme on le sait, pour célébrer l'achèvement des travaux du Canal Albert. Elle dressait du reste ses somptueux palais sur les rives de la Meuse, à l'endroit où commence la nouvelle voie navigable. Si des circonstances fortuites ne permirent malheureusement pas d'inaugurer cet ouvrage avec toute la solennité prévue, néanmoins, le 30 juillet, eut lieu, en présence de la Famille royale, l'inauguration du Mémorial au Roi Albert. Cette oeuvre, dressée à la pointe de l'île Monsin, signale majestueusement l'entrée du canal. Elle rappelle le souvenir du grand souverain dont le nom reste attaché à jamais à une des plus belles réalisations techniques du siècle.

L'Exposition, alors dans tout l'éclat de sa splendeur, évoquait dans ce domaine, non seulement l'importance des travaux de cet ouvrage gigantesque, mais encore l'ampleur du programme complet de rénovation de notre réseau navigable. Les belles collections réunies dans ses palais permettaient notamment de se faire une idée de la portée considérable des travaux qui s'achevaient sur la Meuse liégeoise et qui sont étroitement liés à la réalisation du Canal Albert. Et cela rappelait que, à quelques pas de l'endroit où s'élèverait plus tard le mémorial, fut inauguré solennellement, le 17 juin 1930, le barrage de Monsin, la pièce maîtresse, la clef, en quelque sorte, de l'ensemble de ces entreprises.

En raison de leur importance et de leur signification, tant pour l'Exposition qui devait en consacrer l'heureux aboutissement, que pour le pays entier auquel elles offraient des avantages considérables, nous tenons à en rappeler, dans un article liminaire, les raisons, les caractéristiques et les répercussions principales. Cette étude synthétique sera utilement complétée par la description détaillée des objets exposés ayant trait à ces travaux, que l'on trouvera au chapitre III de la première partie de ce rapport.


I. L'AMÉLIORATION DE LA MEUSE LIÉGEOISE


Il y a trois quarts de siècle, la Meuse fut canalisée dans la province de Liège (sauf une section de 5 km. située en aval de Liège et s'étendant jusqu'au pont de Wandre), par la construction d'une série de barrages éclusés. Ceux-ci n'étaient guère distants l'un de l'autre de plus d'une lieue et leur chute moyenne était inférieure à 2 mètres. Dans la traversée de l'agglomération industrielle liégeoise, il y avait trois ouvrages de ce genre: les barrages de Jemeppe, de Liége-Avroy et de Liége-Fonderie. Bien que très économiques, ils présentaient des inconvénients et du danger lors des manoeuvres. Le tirant d'eau était limité à 2 m 10, comme dans le canal de Liège à Maastricht datant de la même époque. Les plus grands bateaux circulant sur la Meuse, les kasts campinois, ne pouvaient porter que 450 tonnes, correspondant à un enfoncement de 1 m 90.

Depuis l'exécution de ces travaux, les conditions du trafic s'étaient complètement transformées, principalement à cause du développement continu des industries de la région. Non seulement le mouillage s'avérait insuffisant et les écluses trop nombreuses, mais celles-ci, sauf celle de Liége-Avroy, n'étaient pas assez grandes pour passer en une fois les trains de bateaux avec remorqueurs, système de navigation qui remplaçait de plus en plus le halage. Cet inconvénient s'ajoutait à l'encombrement croissant des passages et à la mauvaise utilisation de la capacité des bateaux. La navigation se poursuivait, par conséquent, dans des conditions assez médiocres. Une solution s'imposait depuis longtemps, mais on sait que les voies navigables ne furent guère en faveur en Belgique pendant plus d'un demi-siècle, jusqu'après la guerre de 1914-1918.

En 1922, l'Administration des Ponts et Chaussées mit résolument au point un vaste programme de travaux. Le but était non seulement de moderniser la canalisation de la Meuse par la construction de nouveaux barrages, mais encore de protéger les vastes agglomérations riveraines contre les inondations qui, à plusieurs reprises, avaient causé des ravages énormes. Il était prévu, à cet effet, l'approfondissement et la normalisation du lit de la Meuse et de sa Dérivation, à Liège, par des travaux de dragage et de rectification. En outre, le projet portait sur l'exhaussement des digues, la construction de plusieurs kilomètres de murs de quai et de perrés, le renforcement des fondations de certains murs conservés, la reconstruction de ponts, le prolongement des collecteurs d'égouts, etc.

La plupart de ces travaux intéressaient donc autant la navigation que la protection contre les inondations.

Il fallut la crue catastrophique de 1925-1926 pour qu'un programme aussi vaste pût être accueilli avec succès. Cette crue qui dépassait de 0 m 50 à 0 m 60 le niveau de celle de 1880, montra la nécessité d'apporter un remède efficace et définitif à la situation de la région. On se souvient que l'eau atteignit 1 m 50 de hauteur dans de nombreuses rues de la ville de Liège et que, dans la principale artère de Seraing, elle s'éleva à 5 m 50 au-dessus de la chaussée. Rien que dans l'agglomération liégeoise, plus de 2.000 hectares furent envahis par les eaux dévastatrices!

Enfin, le programme de l'Administration se complétait par la création de 50 km de routes modernes, établies en bordure du fleuve sur les nouvelles digues, en vue de dégorger les anciennes voies d'accès de la ville, devenues insuffisantes principalement dans la traversée du bassin industriel. Il prévoyait également la possibilité de récupérer l'énergie hydro-électrique aux nouveaux barrages dont la chute serait de 4 m 45 pour celui de Ramet-Ivoz, en amont de Liège, et de 5 mètres pour celui de Monsin, en aval.

Les travaux furent activement poussés à la faveur de la création, en 1927, du Fonds National des Grands Travaux. Ils étaient en voie d'achèvement au moment de l'ouverture de l'Exposition. On pourra se faire une idée de leur ampleur en considérant que le volume global des terrassements nécessaires atteignit environ 10 millions de m3 et que l'ensemble portait sur un montant de dépenses de plus de 700 millions de francs, somme qui n'est pas hors de proportion avec les avantages que le Pays pouvait en escompter. A titre de comparaison, les seules dépenses faites pour la première canalisation de la Meuse, au siècle dernier, s'élevèrent à environ 30 millions de francs de l'époque.

Le barrage de Monsin, mis en service dès 1930, en constituait l'ouvrage fondamental. Il permettait la suppression des trois anciens barrages de l'agglomération liégeoise et la réalisation d'un bief unique de 18 km de développement s'étendant en amont jusqu'au nouveau barrage de Ramet-Ivoz et dans lequel il assurait un tirant d'eau minimum de 3 mètres. En outre, il permettait la création, à l'île Monsin, d'un important port fluvial moderne. Enfin, comme on le verra dans la suite, la cote (60.00) que cet ouvrage maintenait à Liège, sur la Meuse, serait aussi celle de la première section importante du nouveau canal Liège-Anvers, jusqu'aux confins des charbonnages de la Campine.

Conjointement, les travaux destinés plus spécialement à parer aux dangers des crues furent également conduits méthodiquement, de même que la construction des nouvelles routes dont deux tronçons importants, un sur chaque rive, étaient englobés dans l'enceinte de l'Exposition.

Les avantages économiques qui résulteront de l'ensemble des travaux effectués sur la Meuse sont considérables. Ils sont de nature à donner un nouvel essor à la région. Comme ils se conjuguent en quelque sorte avec ceux que l'on peut escompter de la construction du Canal Albert, nous les examinerons ensemble dans la troisième partie de cette étude.


II. LA CONSTRUCTION DU CANAL ALBERT


La jonction du bassin de la Meuse et de celui de l'Escaut est un problème qui a toujours occupé la première place dans les projets d'aménagement de notre réseau navigable. Elle présente des difficultés naturelles, considérées longtemps comme insurmontables, à raison de la hauteur de la crête de partage des eaux et surtout de la nature des terrains à traverser.

L'idée, lancée pratiquement dès le XVI° siècle, ne vit une premiere réalisation qu'au cours du siècle dernier.

Le premier pas date de 1826, année où, sous l'union belgo-hollandaise, fut achevé le « Zuid-Willemsvaart », canal qui s'embranche sur la Meuse à Maastricht, passe à Bocholt, emprunte un tronçon du Canal du Nord jusqu'à Nederweert et redescend ensuite vers la Meuse à Crève-Coeur, par la vallée de l'Aa.

Après la séparation des deux pays, cet ouvrage fut complété, du côté belge, par sa liaison avec l'Escaut. En effet, en 1846, fut mis en service le canal Bocholt-Herentals qui se prolongeait vers Anvers par la Petite-Nèthe, le Rupel et l'Escaut. Plus tard seulement, fut creusé le canal direct Herentals-Anvers.

Ces canaux formaient avec leurs trois embranchements respectivement vers Bourg-Léopold, Hasselt et Turnhout, les canaux dits « de la Campine ». Ils servaient également à fertiliser les terres pauvres des régions qu'ils traversaient.

Vers la Meuse liégeoise, canalisée comme nous venons de le voir, la navigation était prolongée par le canal Liège-Maastricht, construit à la même date pour suppléer à l'insuffisance de la Meuse. Cela formait un vaste réseau de bonnes voies navigables, proportionnées bien entendu au trafic de l'époque. Un inconvénient se manifesta cependant dès le début, c'était la traversée de l'enclave de Maastricht où se faisait la soudure entre le « Zuid-Willemsvaart » et le canal Liège-Maastricht.

Par la suite, l'accroissement continu du trafic dû au développement du commerce et de l'industrie, tout en rendant plus sensibles les pertes de temps que subissait la navigation dans la traversée du territoire hollandais, fit ressortir l'insuffisance des canaux eux-mêmes dont la longueur, déjà importante, était encore virtuellement accrue par l'existence d'un nombre considérable d'écluses. La navigation était non seulement lente et difficile, mais ne pouvait s'adapter aux nécessités croissantes du trafic. Les canaux, d'une section trop étroite et d'un tirant d'eau insuffisant, avaient atteint leur point de saturation. En outre, la découverte de la houille en Campine contribuait à imposer une amélioration des conditions de transport par eau dans cette partie du pays, en vue de faire face au trafic nouveau qui allait en résulter.

Divers projets furent mis en avant. Plutôt que d'adopter une solution incomplète qui aurait consisté dans l'amélioration de certaines voies existantes, on décida d'établir une voie nouvelle, moderne, à grande section, entièrement belge, passant à proximité des charbonnages du Limbourg et propre à desservir également les intérêts de la région liégeoise. C'était la solution vraiment nationale!

Dès la constitution du Fonds National des Grands Travaux, le Canal Albert - le Roi-Chevalier devait lui donner son nom - entra en voie de réalisation.

Les difficultés techniques de l'établissement d'un canal direct Liège-Anvers n'avaient pas échappé aux promoteurs du projet. La zone difficile à traverser était située entre la Meuse et le Haut-Démer. Elle comprenait la traversée de la vallée du Geer, séparé de la Meuse par un massif crayeux très élevé et le passage à travers le plateau de la Hesbaye qu'il fallait entailler profondément, si l'on voulait éviter le bief de partage. Cette considération était d'importance, car on se rendait compte des difficultés et des dépenses de l'alimentation en eau d'un bief de partage, en cet endroit, pour un canal à grande section.

Aussi, le tracé définitif, dans cette zone, ne fut-il arrêté définitivement qu'après que de nombreuses études géologiques eussent été faites. Et la mise au point de l'entreprise, surtout pour la tranchée d'Eigenbilzen, fut l'un des problèmes les plus ardus qui aient jamais été soumis à la science des ingénieurs des Ponts et Chaussées.

D'une manière générale, le travail fut partagé en diverses sections et combiné de telle sorte que chacune d'elles pouvait être mise en service, aussitôt terminée. C'est ainsi que la section Haccourt-Lanaye-Briegden, complétée par la jonction Briegden-Neerharen avec l'ancien canal vers Bocholt, fut mise en oeuvre en premier lieu, afin de réaliser immédiatement une amélioration substantielle de la navigation entre Liège et Anvers. Cette section fut inaugurée le 16 octobre 1934.

Du côté d'Anvers, le Canal Albert, entre cette ville et Herentals, fut ouvert à la navigation le 13 mai 1935.

Primitivement, le Canal Albert devait être entièrement terminé en 1941. A la demande du Gouvernement, les travaux furent hâtés et, sans l'arrivée d'événements absolument fortuits, l'inauguration solennelle de l'ouvrage devait avoir lieu pendant l'Exposition, soit deux ans avant la date prévue au début. On se rappellera que c'est le 31 mai 1930 que le Roi Albert inaugura les premiers travaux, sur le plateau de Caster.


Le Canal Albert s'embranche, à Liège, sur la Meuse dont le niveau est maintenu à la cote (60.00) par le barrage de Monsin. Il comporte six groupes d'écluses, le divisant ainsi en sept biefs de navigation. Une écluse supplémentaire a été construite à Monsin, pour le cas où le niveau de la Meuse dépasserait la cote (60.00). Cet ouvrage sera ordinairement ouvert; ce n'est que quelques jours par an, au moment des crues exceptionnelles du fleuve, qu'il faudra le mettre en service.

La cote (60.00) est maintenue sur un long trajet de 41 km 4 jusqu'à Genk. De là à Hasselt, le canal descend rapidement (30 mètres en trois éclusées sur une distance de 10 km.) pour rejoindre le niveau des canaux existants. Les trois biefs suivants sont plus longs, ils mesurent respectivement 27 km 2, 18 km 6 et 23 km 9, pour atteindre Wijnegem où une dernière écluse met le canal au niveau des bassins du port d'Anvers.

En principe, le profil transversal minimum du Canal Albert comporte les caractéristiques suivantes: 5 m de profondeur suivant l'axe, 4 m. 70 sur les côtés, 30 mètres de largeur au plan d'enfoncement de 2 m 50 et 150 m2 de section en eau. Le rayon des courbes n'est jamais inférieur à 1.200 mètres et le tirant d'air des ponts est au minimum 6 m 50.

Ce profil type, largement dépassé en de nombreux endroits, est aussi grand que celui du Canal Juliana et dépasse ceux des canaux allemands les plus récents. Il convient pour des bateaux d'intérieur de 100 mètres de longueur, 12 mètres de largeur, 3 m 50 d'enfoncement et 6 mètres d'émergence à vide. Des bateaux de ce genre portant plus de 2.000 tonnes, pourraient s'y croiser et se dépasser sans aucune difficulté. La vitesse autorisée pourra atteindre 12 à 15 kilomètres à l'heure.

Chaque bief est commandé par un groupe de trois écluses, dont deux grandes jumelées de 136 mètres de longueur sur 16 mètres de largeur, et une petite, indiquée pour les bateaux isolés, dont les dimensions sont respectivement de 55 mètres et de 7 m 50. Chaque grande écluse peut recevoir en même temps une traîne de bateaux représentant un chargement total de 2.400 tonnes ou un bateau rhénan de 2.000 tonnes. Pour la petite, le chargement pourrait se monter à 600 tonnes, soit un kast campinois chargé à enfoncement plein.

La longueur du canal entre l'écluse de Monsin, à Liège, et l'entrée du bassin de Strasbourg, à Anvers, est de 126 km 7. Par les anciens canaux, le parcours était de 155 kilomètres environ. A titre de comparaison, la distance à vol d'oiseau entre les deux villes représente 110 kilomètres et le trajet en chemin de fer couvre environ 125 kilomètres.

Il n'est pas sans intérêt de signaler que la construction du Canal Albert entraîna presque automatiquement la mise en chantiers de travaux se rapportant à certaines voies de navigation que l'on pourrait appeler ses « annexes ».

C'est ainsi que l'on a amélioré la jonction Haccourt-Visé, entre le Canal Albert et la Meuse. Cette jonction existait déjà au même emplacement entre le fleuve et le vieux canal de Liège à Maastricht auquel le Canal Albert s'est superposé. Elle permet actuellement le passage de bateaux de 600 tonnes.

De même, à partir de Lanaye où l'ancien canal continue à assurer la liaison vers Maastricht, celui-ci a également été mis en état de recevoir les bateaux de 600 tonnes. Il serait même aisé, dans l'avenir, de le mettre au gabarit de bâtiments de 2.000 tonnes, afin d'assurer une bonne liaison entre le Canal Albert et le Canal Juliana, si les travaux nécessaires étaient également faits dans ce sens du côté hollandais.

La jonction Briegden-Neerharen, dont nous avons déjà parlé, constitue une des annexes les plus importantes du canal. Elle assurait, dès 1934, la liaison entre une première section achevée d Canal Albert et le « Zuid-Willemsvaart », dans sa partie belge. Elle évitait par conséquent la traversée de Maastricht qui faisait perdre beaucoup de temps à la navigation. Cette nouvelle jonction est également calibrée pour bateaux de 600 tonnes.

A Herentals, on a opéré la jonction avec les anciens canaux de la Campine. Des bateaux de 600 tonnes peuvent y passer également; de même, la jonction Viersel-Lierre-Duffel, vers le Rupel, est en voie de modernisation.

Bien entendu, faisait partie intégrante, peut-on dire, des travaux du Canal Albert, l'aménagement des ports charbonniers de la Campine.

La construction du Canal Albert eut un retentissement considérable tant au point de vue de la technique de sa réalisation, que par son importance économique. Il en sera encore question, à différentes reprises, dans la description détaillée de la Section belge. Disons, pour terminer, que l'ensemble des travaux a porté sur un montant de plus de 2 milliards de francs et que les terrassements se sont élevés à plus de 85 millions de mètres cubes.


III. LES CONSÉQUENCES


Pour la populeuse agglomération liégeoise, ce n'est pas un des moindres avantages des travaux effectués sur la Meuse que de la mettre à l'abri des inondations calamiteuses auxquelles elle se trouvait exposée en période de crue du fleuve. La construction des nouveaux barrages, ainsi que la normalisation du lit de la Meuse et de la Dérivation permettent d'abaisser le niveau d'une crue semblable à celle de 1925-1926 d'environ deux mètres en amont de Liège et d'un mètre en aval. En outre, le relèvement et le renforcement des digues apportent une solution définitive au danger de débordement du fleuve.

Certes, une crue comme celle de 1925-1926 est tout à fait exceptionnelle, elle ne peut se reproduire qu'à des intervalles fort longs. La Meuse atteignit alors un débit extraordinaire de 3.000 m3 par seconde, alors qu'en 1880 et 1920, années de crues mémorables également, le débit n'avait pas dépassé 2.400 m3 par seconde. C'est cependant le niveau atteint en 1926 qui a servi de base aux calculs des ingénieurs des Ponts et Chaussées. Et les dernières crues enregistrées, celle de 1939-1940 par exemple, ont permis de contrôler les effets des améliorations apportées.

En corrélation avec ces travaux, il n'est pas inutile de rappeler l'importance des installations de drainage et d'assainissement des régions riveraines, particulièrement celles exposées aux affaissements consécutifs à l'exploitation des mines. Ces travaux sont organisés par l'Association intercommunale pour le Démergement des Communes de la Région de Liège. Ils sont actuellement bien avancés et complètent efficacement ceux entrepris sur la Meuse elle-même et dont il vient d'être question.

Au point de vue de la navigation, la réalisation d'un vaste plan d'eau, entre les barrages de Ramet-Ivoz et de Monsin, englobant ainsi toute la région industrielle mosane, constitue un avantage considérable. Ce bief a une longueur de 18 kilomètres, à laquelle il convient d'ajouter les 4 kilomètres de la Dérivation de la Meuse dans la ville de Liège. Le mouillage est maintenu au minimum de 3 mètres, ce qui permet aux bateaux de naviguer avec un enfoncement de 2 m 60. Le tirant d'air prévu sous les ponts, est de 6 m 50 au-dessus des plus hautes eaux navigables.

Ce long bief, accessible aux grands bateaux d'intérieur belges, dessert les usines métallurgiques, les fabriques de produits chimiques, les ateliers de construction, presque toutes les industries du bassin de Liège. L'ensemble des ports publics et privés qui y sont établis représente un mouvement annuel de plus de deux millions de tonnes de marchandises. Les possibilités nouvelles de la navigation ne manqueront pas de provoquer une extension considérable de ce trafic.

De plus, les travaux de la Meuse ont permis l'aménagement, dans l'île Monsin, sur une étendue disponible de 100 hectares, d'un important port fluvial moderne. Il est raccordé à la voie ferrée vers la station de Bressoux par un pont-rail enjambant le fleuve et il est accessible par trois ponts-routes. Il est constitué par deux darses de 70 mètres de largeur et de 425 et 600 mètres de longueur, une ou deux darses supplémentaires pourront éventuellement y être creusées par la suite.

Le plus brillant avenir est réservé à ce port, fort bien situé dans le quartier nord de la ville, entre les faubourgs de Jupille, de Wandre et de Herstal et près de la grand'route transversale Bruxelles-Aix-la-Chapelle qui passera sur le Canal Albert et la Meuse par le pont de Wandre.

Les industries liégeoises qui retireront un avantage énorme de ces travaux, bénéficieront, en outre, des liaisons nouvelles que leur offre le Canal Albert. La situation industrielle de cette région aurait pu devenir précaire, sinon désespérée, si l'on n'était pas parvenu à assurer, dans les meilleures conditions possibles, l'arrivée des charbons du nord et des minerais d'outre-mer. C'est que ce centre ne trouve plus sur place, comme à l'origine, les matières premières dont il a besoin et dont la présence à cet endroit a provoqué son éclosion et son développement.

Actuellement, le plan d'eau de la Meuse, à Liège, est prolongé par le Canal Albert jusqu'à Genk. Depuis Ramet-Ivoz, cela représente une distance de près de 60 kilomètres, sur laquelle le batelier pourra naviguer sans rencontrer une seule écluse. A titre d'exemple, Seraing, vieille cité de la métallurgie et de la construction mécanique, se trouve maintenant à quelque 52 kilomètres ou huit heures de navigation de Genk, le nouveau centre houiller.

Auparavant, par les anciens canaux de la Campine, il fallait fréquemment seize jours pour effectuer le trajet Liége-Anvers. Par le Canal Albert, le parcours sera accompli normalement en vingt-quatre heures de navigation, soit deux ou trois jours, suivant les saisons. Pour les bateaux isolés automoteurs, le trajet pourrait même être effectué en une seule journée, en bonne saison.

A cette nouvelle liaison rapide et économique vers Anvers et la mer, il convient d'ajouter celles qui, par le Canal Albert également et les voies navigables y raccordées du centre et de l'ouest de la Belgique, permettront à Liège d'avoir des communications par eau plus faciles avec les autres régions du pays, notamment avec la capitale et avec le port maritime de Gand.

L'extension du marché des charbonnages de la Campine fut, nous l'avons dit, une des préoccupations principales des promoteurs du Canal Albert, surtout dans le choix du tracé. Depuis 1918, la Belgique exploite ce nouveau bassin houiller constituant une réserve considérable de combustible. Il était d'un intérêt capital de le mettre « au bord de l'eau », comme nos anciens bassins et la plupart de nos industries de base. Les approvisionnements de nos grands centres de consommation pourront ainsi se faire dans les meilleures conditions possibles, par le moyen d'une voie navigable à grande section, d'un rendement excellent. D'un autre côté, la liaison vers nos ports de mer permettra d'envisager favorablement l'exportation de ce charbon.

Enfin, on sait que les voies navigables intérieures qui convergent vers Anvers et Gand ont une importance primordiale pour le trafic de ces ports. Celle qui pénètre vers Liège dessert un hinterland d'une grande activité industrielle, le bassin mosan, le pays mosellan et la Lorraine. La consolidation et l'amélioration des liaisons de nos ports maritimes avec leur arrière-pays est un des avantages les plus marquants du Canal Albert: voie moderne, directe, ne dépendant en aucune façon de l'étranger.

Les premiers résultats enregistrés répondent parfaitement à ce que l'on attendait. Dès 1934, la mise en service de la première section du Canal Albert (Haccourt-Briegden-Neerharen) modifiait sensiblement les conditions de transport par eau entre Liège et Anvers. Les statistiques montrent, à partir de cette époque, une diminution du fret et une augmentation du trafic.

Il est hors de doute que, par l'achèvement complet du Canal Albert, la réduction au quart de la durée du voyage, la meilleure utilisation des bateaux qui pourront désormais naviguer avec enfoncement plein, la diminution des frais de remorquage, agiront d'une manière très sensible sur les frets et provoqueront une augmentation considérable du trafic.

Le volume de ce trafic sera lui-même influencé par le développement des industries existantes sur la Meuse et le long du Canal, par la possibilité d'en créer de nouvelles et par l'extension de l'hinterland des ports maritimes d'Anvers et de Gand.

Il est trop tôt pour dresser le bilan économique définitif d'ouvrages de l'envergure de ceux que nous venons de décrire brièvement. Si, par l'audace avec laquelle ils ont été conçus et réalisés, ils font le plus grand honneur à la Belgique, ils ne manqueront pas de lui procurer des avantages économiques considérables dans l'avenir. Ils constituent des éléments vitaux de son outillage.

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