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GENS DE LIEGE

Philippe-Charles Schmerling
Paléonthologue
1790 - 1836

P.C. Schmerling - 1833

Biographies

C'est à Chokier que le célèbre docteur P.C. Schmerling fit en 1829 la découverte de la première grotte, ou plutôt de la première excavation à ossements qui fut connue en Belgique. Il devait en 1830 découvrir dans la seconde grotte d'Engis des ossements humains associés à ceux d'Ours, d'Hyène et de Rhinocéros.

Fondateur de la paléontologie humaine, il déduisit de cette découverte que les grands animaux préhistoriques devaient être contemporains des premiers hommes.

"J'ai abandonné les hypothèses établies jusqu'à présent, et j'ai fini par conclure que ces restes humains ont été enfouis dans ces cavernes à la même époque, et par conséquent par les mêmes causes qui y ont entraîné une masse d'ossements de différentes espèces éteintes."

Schmerling découvrit des os taillés en aiguille et percés; des os à perforer, des cornes également taillées et des silex polis. Il vit dans ces instruments des restes de l'industrie antédiluvienne et conclut que les hommes étaient alors doués d'intelligence.

"Toute réflexion faite, il faut admettre que ces silex ont été taillés par la main de l'homme, et qu'ils ont pu servir pour faire des flèches ou des couteaux..."

Médecin, il observa que les animaux anciens avaient été sujets aux maladies et reconnu des fractures, des caries, des nécroses et chose plus singulière, des os rachitiques, des exostoses.

"Mais dans les dépouilles si nombreuses de ces races primitives, la majeure partie ne nous est connue qu'à l'état normal. Une nouvelle étude doit venir prendre place à côté de celle qui est déjà si vaste, pour faire utilement marcher de front tout ce qui a rapport à l'histoire et à la structure de notre globe. En effet, les ossements malades que l'on rencontre parmi ces fossiles, méritent, ce me semble, de fixer toute notre attention..."

En 1833, il publia une série d'ouvrages scientifiques qui amenèrent Darwin, 29 ans plus tard, à éditer son traité sur l'évolution des espèces.

"Le règne animal a pu, avant ce dernier cataclysme, être tel qu'il existe aujourd'hui; cette catastrophe a pu détruire pour toujours des espèces, même des genres, mais une partie a échappé, et a continué à se propager. La marche graduelle et régulière de la nature ne nous autorise point à adopter des phénomènes apparaissant trop brusquement dans la succession des êtres organisés..."

Recherche sur les ossements fossiles

PC Schmerling



AVANT-PROPOS.

La constitution géologique de la Province de Liège a attiré depuis longtemps l'attention des savants de différents pays, et c'est à juste titre qu'elle mérite une place distinguée dans les annales de la structure de notre globe. Mais une branche très importante pour l'état actuel de cette science était restée inconnue jusqu'à présent; nous voulons parler des cavernes et des ossements qu'elles renferment.

En effet, les collines de calcaire anthraxifère de notre Province contiennent beaucoup de cavités dont on n'avait pas soupçonné l'existence. Au mois de Septembre 1829, j'en fis la première découverte à Chokier; les recherches auxquelles je me suis livré depuis m'en ont fait connaître plus de quarante, dont une certaine partie contient des ossements fossiles. A cet égard, mes travaux ont été couronnés du plus heureux succès; un nombre considérable de fossiles a été exhumé de quelques-uns de ces souterrains. Ils ont prouvé que nos cavernes rivalisent en quelque sorte avec les plus riches et les plus anciennement connues de l'Allemagne; ce n'est pas seulement par le nombre, mais c'est surtout par la variété et la quantité d'espèces nouvelles dont les nôtres fournissent peut-être les plus beaux échantillons. C'est ce qui m'a déterminé à rendre au public un compte exact du produit de mes recherches, pour que l'on fut à même de comparer la richesse des fossiles de Liège, avec tous ceux que l'on connaît jusqu'aujourd'hui dans d'autres pays.

Une collection aussi abondante en fossiles, que celle dont je suis en possession aujourd'hui, est, il faut l'avouer, un succès inattendu, obtenu dans un aussi court espace de temps. Mais combien n'ai-je pas à me louer de l'obligeance des propriétaires du terrain où gisent ces antiques débris! M. le baron de Goër de Forêt, MM. Bernimolin et Delvaux, Malherbe de Goffontaine, et d'autres, tous ont contribué à me fournir les moyens de poursuivre mes découvertes. Je saisis cette occasion de leur exprimer ici la reconnaissance dont je suis pénétré, pour les procédés délicats qu'ils ont eus plus d'une fois à mon égard; la science leur saura gré aussi des importantes découvertes auxquelles ils ont participé par ce généreux concours.

En ouvrant le champ d'une nouvelle branche d'étude pour la géologie de notre pays, je sens combien il est difficile de vaincre les nombreuses difficultés qui s'y rattachent; mais je compte sur l'indulgence de ceux qui, dans de pareilles occasions, ont éprouvé les embarras auxquels je me vois exposé.

Pénétré comme je le suis de l'importance des faits que je soumets au jugement sévère des hommes les plus éclairés dans cette branche de la géologie, je me résigne d'avance à leur critique, et je serai toujours disposé à accueillir leurs remarques; mais je ne dévierai point du chemin que m'a tracé l'expérience, seul fil conducteur qui puisse guider notre marche, encore chancelante et incertaine, à travers les entrailles de notre antique demeure. Quelques faits viennent remplacer les hypothèses, et je me trouverai amplement dédommagé des veilles que j'ai dérobées aux travaux de ma profession ? pour me consacrer à l'étude de cette science. En effet, y-a-t-il rien de plus doux, pour l'ami des connaissances utiles, que l'idée si flatteuse d'avoir jeté une étincelle de lumière dans la nuit des conjectures ?



INTRODUCTION.

Les difficultés que les naturalistes ont toujours éprouvées pour se rendre compte des phénomènes qui ne se reproduisent plus de nos jours, ont singulièrement contribué à rendre peu satisfaisantes les descriptions que quelques auteurs ont faites des cavernes, objet de leurs recherches. Les nombreuses découvertes de cette nature que je viens de faire dans notre province m'ont convaincu que les opinions émises sur ce sujet peuvent être victorieusement réfutées, et je me suis aperçu, en même temps, que bien des hypothèses fausses et inexactes, puisées dans l'esprit de système, ont pris naissance dans le cabinet des naturalistes.

Sans s'arrêter spécialement aux théories, plus ou moins vagues, qui se sont succédées sur l'origine des cavernes en général, il suffit de remarquer que le grand nombre de faits que la Province de Liège m'a fournis, sont, sous plus d'un rapport, des preuves presque évidentes que, jusqu'à ce jour, on n'avait généralement recueilli, sur cette matière, que des données incomplètes et souvent erronées.

Un fait qui vient à l'appui de cette assertion, c'est qu'un grand nombre de ces cavernes étaient inconnues aux habitants des environs, qui n'avaient même jamais conçu l'idée d'y pénétrer. J'ai pu suivre, pied à pied, les fouilles régulières que j'ai entreprises; par conséquent, j'ai pu étudier l'ensemble et la disposition encore vierge de ces cavités. Je me bornerai donc uniquement à rendre compte de ce que j'ai observé dans notre province; mais j'engage en même temps ceux qui sont à même de faire des découvertes en ce genre, à y apporter les mêmes soins que ceux que j'ai cru devoir prendre, afin de détruire pour toujours les hypothèses spécieuses et contradictoires que l'on reproduit encore de nos jours sur cette matière.

Il m'a paru convenable, après avoir énoncé quelques idées générales, de décrire chaque caverne en particulier, c'est-a-dire celles qui méritent le plus d'être connues.

Pour diminuer les frais qu'exige une pareille entreprise, j'ai renoncé à joindre à cet ouvrage les coupes et les plans de toutes ces cavités. En effet, les géologues connaissent assez bien les formes irrégulières et très variées de ces cavités, pour pouvoir s'en former une idée exacte sans ce secours trop dispendieux.

Le gisement des fossiles, contenus dans ces souterrains a dû fixer plus particulièrement notre attention. J'ai cru nécessaire de représenter ces restes de grandeur naturelle; car la réduction des figures m'a prouvé, plus d'une fois, qu'elle est un grand obstacle à une comparaison exacte.

Quelque soit le nombre d'ouvrages qui aient paru sur cette matière, il me semble qu'il ne sera pas sans intérêt pour la science de rendre publics les faits que j'ai recueilli, et dont quelques-uns sont, si je ne me trompe, entièrement nouveaux. J'ai écarté tout esprit de système, et je n'ai émis d'opinion qu'à la suite de preuves bien établies; il en résultera, sans doute, que je ne serai pas toujours en harmonie avec ceux qui, avant moi, se sont occupés de cette matière.

Beaucoup d'endroits que, jusqu'à présent, je n'ai pu prendre le temps de visiter, restent encore inconnus. Néanmoins, je n'épargnerai aucune peine pour continuer mes découvertes, qui, je l'espère, ne seront pas perdues pour l'étude des fossiles en général, et en particulier pour ceux de la province de Liège.

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A mesure que l'homme s'éloigna de l'état primitif, que son intelligence s'accrut en raison directe des rapports innombrables que lui seul a su se créer en se soumettant à vivre en société, aussitôt qu'il eut renoncé aux limites étroites que les peuples nomades ont tant de peine à franchir, l'état social lui fournit une nouvelle existence. A l'instant même le goût pour l'étude se propagea avec rapidité, et l'homme commença à tourner ses idées vers la contemplation de la nature.

Aussi, depuis que les sciences naturelles ont, pour ainsi dire, intéressé le monde entier, depuis que l'on a recueilli plus soigneusement les faits épars, cette science a pris une forme nouvelle; ses immenses progrès, dus à des découvertes précieuses, et à l'esprit minutieux d'observation, ont déjà détruit une foule d'erreurs.

Il en résulte un immense avantage pour ceux qui se livrent aujourd'hui à l'étude des diverses branches d'une science aussi vaste qu'utile. Ils profitent des faits nombreux recueillis par le zèle des hommes, qui ont séparé le vrai du faux, si répandu dans les vagues traditions de l'antiquité.

C'est en écartant les hypothèses et les opinions conjecturales que l'observation a pris la place qu'elle doit occuper; elle seule peut étendre nos connaissances; elle seule nous permet de rapprocher les faits épars pour former les bases d'une classification raisonnable de différentes branches dont nous connaissons à peine l'étendue et l'importance. C'est à l'aide de l'observation que l'on a détruit des erreurs accréditées, que l'on a sapé des préjugés enracinés depuis longtemps. Ce triomphe a été obtenu dès que l'homme s'est rendu compte des lois invariables de la nature, et qu'il a senti qu'elles s'enchaînent dans un ordre admirable.

Un obstacle qui, au premier abord, paraît insurmontable, se présente toujours à l'esprit humain; c'est qu'il se sent trop borné pour pouvoir jamais pénétrer dans la cause et l'origine des choses; tous les efforts de notre jugement sont insuffisants pour approfondir les lois de la nature. L'observation est donc circonscrite en de certaines bornes qu'il ne nous est pas donné de franchir; nous devons seulement nous attacher à distinguer avec précision les effets des causes, afin de ne point confondre, ni de trop multiplier les distinctions.

Souvent une imagination trop ardente ou trop féconde a entravé la marche progressive des sciences, et surtout de la branche qui nous occupe en ce moment: on devait s'attendre à ce qu'un phénomène aussi abstrait que curieux devînt une source abondante de relations inexactes et hypothétiques.

L'esprit dut, en effet, renoncer aux merveilles, dès qu'une observation exacte remplaça les contes faux et les hypothèses sans nombre qui se répétaient sans cesse; mais qui, nécessairement rentrèrent dans le néant de la fable, où les refoula le génie des bons observateurs.

L'étude de la géologie ne nous offre, sans contredit, aucun phénomène plus curieux que celui des cavernes et des ossements qu'elles renferment. Des cavités plus ou moins vastes, pour l'ordinaire très irrégulières, sont creusées dans le sein des montagnes, et s'étendent souvent à une profondeur très considérable.

De larges ouvertures conduisent dans des galeries très variées, qui, à leur tour, communiquent ensemble par des excavations tellement étroites que l'homme a peine à y pénétrer.

Quand on veut explorer régulièrement ces cavernes, on n'y parvient le plus souvent qu'en rampant; le fond inégal et raboteux les rend souvent d'un accès très difficile.

Les voûtes varient de hauteur et sont très irrégulières, souvent elles sont tapissées de stalactites, d'une blancheur éclatante, dont la forme variée a donné naissance aux idées les plus bizarres.

L'ensemble de ces souterrains a beaucoup contribué à exciter la curiosité; plusieurs d'entre eux sont connus depuis longtemps, et l'on a débité les contes les plus ridicules et les fables les plus absurdes sur ces cavités. Elles ont aussi fixé à diverses époques l'attention des naturalistes. Néanmoins l'esprit de système, quelque subtil qu'il soit, n'a point écarté les difficultés que l'on rencontre à chaque pas, et qui, loin de nous éclairer, nous laissent dans le vague et dans l'obscurité.

Pour expliquer, autant qu'il me sera possible, ce phénomène, source de tant de discussions qui n'ont conduit à aucun résultat satisfaisant, je tâcherai de donner dans cet ouvrage les éclaircissements nécessaires, puisés dans des faits nombreux, et observés avec toute l'attention que réclame un sujet aussi intéressant aux yeux des géologues les plus habiles.




CHAPITRE PREMIER.

DES CAVERNES DE LA PROVINCE DE LIEGE EN GENERAL.

J'ai cru nécessaire de me borner uniquement au sujet qui fait l'objet de mes études; je n'entrerai point dans la description géologique, assez connue d'ailleurs, du calcaire de transition qui renferme ces cavernes; je renvoie mes lecteurs aux ouvrages et mémoires, dans lesquels cette partie du terrain de notre Province a été exposée dans tous ses détails .

Je ferai seulement la remarque que nos bancs calcaires forment une multitude de replis, qui produisent peut-être la quantité de cavités qu'ils renferment.

En effet, le plus souvent on rencontre les cavernes dans les replis mêmes, ou très près, à différentes hauteurs; plus rarement, elles se trouvent dans les flancs très-éloignes des replis de ces bancs calcaires. Un signe caractéristique est le dérangement notable dans l'inclinaison des couches, là où se trouvent des cavités, de sorte que l'oeil exercé distingue déjà de loin les lieux où l'on doit trouver des cavernes.

Esper a été frappé de cette irrégularité des endroits qui avoisinent ces cavernes, car il en parle en passant. (Description des Zoolithes, etc. Nuremberg, 1774, in-fol., édition allemande.)

Il me semble qu'après lui on n'a fait que peu ou point d'attention à cette forme irrégulière; il est évident qu'on étudie ce phénomène particulièrement là où le rocher est nu.

Les deux parois de l'entrée de ces souterrains sont le plus souvent parallèles et perpendiculaires? soutenant des blocs irréguliers qui ne présentent aucun rapport régulier dans leur inclinaison. Des masses considérables ont été détachées en-deçà des ouvertures.

On observe aussi très souvent, au pied de ces cavernes, de grosses masses de calcaire qui ont été précipitées avec violence de la partie qui les avoisine.

J'aurai l'occasion de faire remarquer dans la description de chaque caverne en particulier, leur disposition intérieure, mais je ferai observer que, dans plusieurs endroits, les parois des entrées semblent avoir été arrondies par le courant d'eau.

Les voûtes sont très inégales et représentent des cassures anguleuses, le plus souvent couvertes par des stalactites.

Plus on pénètre dans l'intérieur, plus les parois sont tapissées de stalactites dont l'abondance et la forme varient à l'infini.

Le fond de ces cavernes est partout formé par le rocher; généralement il est très-inégal, offrant dans quelques localités des fentes parallèles ou transversales à la direction de la galerie. Souvent des ruisseaux baignent en différentes directions ces cavernes, soit en partie, soit en totalité.

Très-souvent une couche de gravier, ou une terre argileuse très compacte, se trouve immédiatement sur le fond, et elle contient rarement des ossements; vient ensuite une couche d'une terre argileuse peu compacte, qui varie du gris au noirâtre, contenant beaucoup d'ossements fossiles, des pierres anguleuses, mais le plus souvent arrondies, provenant de la même roche; des cailloux roulés, de silex, de quartz, et des pierres de différente nature.

Des stalactites brisées se trouvent aussi dans cette terre à ossements; on en retire de temps en temps des pierres d'une grande dimension qui parfois la recouvrent; ces pierres montrent souvent une couche de stalactites à leur face inférieure, ce qui annonce qu'elles ont été détachées des parois ou de la voûte au moment même où les ossements de différentes espèces y ont été enfouis.

La formation des stalactites, des stalagmites et des brèches dans les cavernes, dépend de l'abondance des eaux qui filtrent au travers de leurs parois. Il est évident que beaucoup d'endroits sont privés de cette concrétion, tandis qu'elle abonde dans d'autres.

Mais toutefois il est certain, qu'avant le dépôt des ossements, il existait déjà des couches de stalactites; car, comme je l'ai fait remarquer plus haut, elles se trouvent souvent brisées dans la terre à ossements; quelquefois même j'ai trouvé cette terre couvrant une couche de stalagmites, qui reposait immédiatement sur le fond de la caverne, formé par le calcaire.

Souvent des fentes traversent ces galeries jusqu'au jour; des précipices arrêtent tout-a-coup ces excursions souterraines, ou bien dans quelques-unes on remarque des éboulements considérables; les cavernes de Chokier et de Gofontaine présentent surtout ce dernier phénomène.

Les savants ont depuis longtemps agité la question de l'origine de ces cavernes; des hypothèses plus ou moins ingénieuses ont été émises immédiatement après leur découverte; mais, en définitive, nous ne sommes guère plus instruits aujourd'hui de la véritable cause de leur formation.

Une première hypothèse a joui longtemps d'un certain crédit; c'est celle qui attribue l'origine de ces cavités à la dissolution d'une matière soluble contenue dans les bancs calcaires; il résulterait uniquement de cette hypothèse que les cavernes étaient remplies d'une matière qui a été dissoute par l'eau, en supposant même qu'il en ait été ainsi, nous n'avançons en rien pour résoudre la question de savoir comment les cavernes ont été formées, puisqu'elles devaient nécessairement exister; avant qu'elles pussent contenir une substance soluble.

Il est contre les lois hydrostatiques qu'un courant d'eau puisse enlever en totalité des substances solubles à des hauteurs aussi variables; la forme bizarre et anguleuse des galeries s'y oppose également; mais pour qu'une dissolution ait eu lieu, il faut qu'il y ait des contre ouvertures afin qu'un courant régulier soit établi, cas qui ne se présente presque jamais; mais beaucoup de cavernes n'ont aucune issue visible, car c'est en exploitant les bancs calcaires qu'une ouverture se découvre. Il serait difficile en ce cas de se rendre compte de l'endroit par où la dissolution s'est échappée; en outre cette substance saline ( comme le prétendent quelques auteurs ) occupant ce vaste souterrain, aurait pu ou plutôt du échapper en partie a la dissolution et nul indice ne s'en est jamais offert à mes recherches; il me semble superflu de m'arrêter davantage à réfuter cette hypothèse qui se perd de plus en plus dans le néant des fables géologiques.

Une seconde hypothèse a remplacé la précédente; c'est celle du dégagement du gaz comme cause de la formation des cavernes.

La direction horizontale est déjà un obstacle a l'admission de cette cause; il est certain que beaucoup de ces cavernes se trouvent à la partie supérieure des collines sans qu'il y ait fente ou ouverture; cependant le gaz aurait agi en sens perpendiculaire et par conséquent se serait fait jour là ou il y avait le moins de résistance. Aussi il me semble que les cavernes auraient conservé une forme plus arrondie, et moins irrégulière dans leur disposition, et la succession des rétrécissements considérables, qui communiquent à des salles d'une très grande étendue, parle peu en faveur de cette hypothèse.

En considérant donc la forme extérieure de ces cavités, où souvent les parois correspondent exactement à l'inclinaison des couches à l'extérieur, ainsi que les vastes éboulements que l'on observe de temps en temps, soit en avant, soit dans l'intérieur même de ces cavités, vu enfin la distribution irrégulière, la nombreuse quantité de pierres qui se sont détachées de la voûte et de ses alentours; tout me porte à croire que la majeure partie a été formée à une époque où les bancs calcaires avaient déjà acquis un degré de dureté peu différent de celui qu'ils possèdent aujourd'hui.

En effet, partout dans ces cavernes nous voyons les cassures anguleuses, et des masses considérables de pierres qui se soutiennent dans la voûte entre des fentes ou dans les parties latérales; la formation des cavernes me paraît plutôt être due aux redressements des couches calcaires. Plusieurs parties de ces collines sont creuses en tout sens; il est d'ailleurs certain q'un grand nombre de ces cavernes existent au-dessous du point où se sont arrêtées nos recherches; car combien n'avons-nous pas de preuves que les eaux se perdent dans des endroits qui avoisinent la formation calcaire, où des cavernes inconnues leur servent de réceptacles ? Du reste, ces cavernes ne présentent, en général, aucune analogie entre elles, ni pour leur forme, ni pour leur direction; chacune d'elles renferme des particularités; elles ont été toutes tracées sur des plans différents; c'est ce que nous pourrons mieux apprécier lorsque nous traiterons en particulier de quelques-unes de ces cavités.

Mais avant de passer à l'examen détaillé des cavernes et des fossiles qu'elles renferment, il est important de décrire la position et la nature de la terre qui renfermait et qui a conservé si longtemps les débris d'êtres remontant à une haute antiquité.

Cette terre à ossements (Limon) varie d'épaisseur dans chaque localité, et sa face supérieure est disposée horizontalement. Quoique le fond de ces cavernes, comme nous l'avons dit plus haut, soit formé par le calcaire, et qu'il soit rempli d'inégalités représentant des fentes et des éminences; toutes ces inégalités sont régulièrement remplies par la terre, sans que le plan supérieur montre le moindre dérangement.

Ainsi, dans plusieurs de ces cavernes dont le fond forme un plan incliné, la terre à ossements conserve toujours son plan horizontal; de là, la différence de hauteur de cette terre dans les cavernes, dépendant de la forme ou de l'inclinaison du fond sur lequel elle est posée. Ces considérations, jointes à d'autres preuves évidentes que nous rapporterons ci-après, nous déterminent à conclure que cette terre et tout ce qu'elle renferme doit son origine à un dépôt fait par les eaux.

La couleur de cette terre varie du gris au noirâtre; elle est souvent d'une odeur très désagréable, souvent grasse au toucher. Une fois séchée, sa couleur devient grisâtre, même pour la terre qui paraissait la plus noire; du reste, cette terre contient, outre les ossements de différentes espèces, des fragments de calcaire de formes inégales, variant de la grosseur d'un pois jusqu'à la dimension d'un mètre et davantage.

Un mélange de pierres de différente nature, telles que du quartz, du grès, du silex, en forme de cailloux roulés, y est très abondant et s y trouve en grandeur variable. Ces pierres sont quelque fois anguleuses. mais le plus souvent arrondies en tout sens , et provenant de la même roche.

Quoique ce soit dans cette couche que l'on rencontre en général les ossements fossiles, néanmoins j'en ai retiré un grand nombre, ( tel que des demi mâchoires, des os des extrémités), d'une terre purement argileuse, et qui ne présentait aucun caractère différent de l'argile qui couvre les sommets de nos collines.

L'analyse faite de la terre à ossements forme une partie essentielle de cet ouvrage. Je la dois à la complaisance de M. Davreux, pharmacien distingué de cette ville, qui a bien voulu s'en charger à ma demande. Cet habile chimiste m'a fourni le résultat suivant de l'analyse de la terre de la caverne de Gofontaine, la plus abondante en ossements d'ours, située dans notre province.

Terre a ossements de la caverne de Goffontaine.

Cette terre d'une couleur jaunâtre, plus ou moins sale et foncée; est composée de parties fines et grossières, peu adhérentes entre elles, parmi lesquelles on distingue des fragments d'os, de calcaire anthraxifère et d'argile.

On en a séparé autant que possible les parties osseuses, et on l'a soumise à des essais chimiques dont voici les résultats.

1. Elle fait une effervescence assez vive dans les acides nitrique, sulfurique et hydrochlorique.

2. Exposée à la chaleur dans un creuset fermé, elle laisse apercevoir des parties noirâtres, rougeâtres et blanches. Les premières proviennent des fragments d'os, les deuxièmes des parties d'argile, et les troisièmes du calcaire anthraxifère.

3. Les parties noirâtres perdent leur couleur lorsqu'on les fait chauffer à l'air libre.

4. Cette terre a donné par l'analyse:

Carbonate de chaux 0,7110
Carbonate de magnésie 0,0135
Carbonate de fer 0,0018
Carbonate de manganèse traces
Phosphate de chaux 0,1120
Silice coloriées par un peu d'oxyde de fer 0,0440
Alumine coloriées par un peu d'oxyde de fer 0,0327
Acide carbonique et eau 0,0850
Chlorure de sodium et un sulfure alcalin traces
TOTAL 1,0000

Les ossements se trouvent épars, et disséminés à différentes hauteurs, dans la terre contenue dans les cavernes. J'ai souvent rencontré, dans mes fouilles, des groupes d'ossements réunis dans un endroit, tandis que, sur une distance d'un mètre et plus, à peine trouvait on un seul fragment, et la terre avait néanmoins conservé les mêmes caractères.

Quelquefois des ossements fossiles se trouvent sur la terre, entre les pierres, d'autres fois c'est dans la brèche osseuse qui occupe les parties latérales des cavernes, ou bien c'est dans la couche de stalagmites, qui recouvre en partie la terre à ossements, que se trouvent engagés les débris osseux de différentes espèces,

Un fait important qui a toujours attiré mon attention, c'est que la position de ces os est horizontale, ce qui n'aurait certainement pas lieu, si ces animaux avaient vécu et étaient morts paisiblement dans ces cavernes.

Quoique généralement les os de grandes dimensions, tels que les têtes, les humérus, les fémurs, etc. se trouvent plus bas, comme l'avait déjà remarqué Rosenmüller, dans ses recherches, sur les cavernes du Gailenreuth il n'est pas rare cependant d'en trouver aussi, soit sur la terre, ou à peu de profondeur.

Rarement quelques parties d'un même individu se trouvent ensemble; on rencontre, au contraire, plusieurs débris d'espèces très différentes, mêlés dans un même endroit .

En comparant la quantité considérable d'ossements que j'ai retirés de nos cavernes, je suis étonné du petit nombre qui est bien conservé; en général ce sont les dents qui sont les plus abondantes et les plus entières; viennent ensuite les os du carpe, du tarse, du métacarpe, du métatarse, et les phalanges.

Les têtes, les vertèbres, les côtes et les os des extrémités, sont le plus souvent mutilés; en général, les os des petites espèces sont moins fracturés. Le mélange le plus bizarre se présente dans ces fouilles; à côté d'une dent, se trouve une phalange, ou un os du carpe, ou du tarse, du métacarpe, etc. Un astragale, un calcanéum et des os du métatarse gisent à côté, ou sont contenus dans les restes d'un crâne; des vertèbres, des côtes accompagnent des demi-mâchoires, etc.

Le degré de décomposition de ces ossements est très différent; la localité y contribue pour beaucoup: ainsi, dans la même caverne, les os recueillis dans un endroit sec ont été parfaitement conservés, et quoique dépouillés en grande partie de leur gélatine, ils éprouvent peu d'altération lorsqu'ils sont mis en contact avec l'air, tandis que ceux qui ont été recueillis dans les endroits humides, tombent en fragments au premier toucher, ou bien sont réduits en poussière. Ce dernier fait a peut-être contribué à faire tomber dans l'erreur ceux qui prétendent que la terre à ossements des cavernes est exclusivement un produit de la décomposition des parties animales.

Quelques-uns de ces os ont conservé une assez grande partie de leur gélatine; ce sont ceux dont la texture est le plus compacte, tels que les dents, et les os des extrémités, surtout ceux des ruminants, etc. On s'assure facilement de la présence de la gélatine, plus ou moins abondante, dans ces os fossiles, en les tenant, étant humides, devant la lumière; ]a transparence ou l'opacité m'ont constamment servi pour apprécier le degré de décomposition relative de ces débris.

Ces os, une fois séchés, sont durs et rendent un son métallique lorsqu'on les choque l'un contre l'autre. Quoiqu'en général les os fossiles soient plus légers que les os récents, cependant plusieurs d'entre eux ont une pesanteur spécifique plus considérable, qui dépend d'une couche de stalagmite qui les entoure, ou qui a pénétré dans leurs cavités; ou bien, les molécules de gélatine ont été remplacées par l'infiltration calcaire.

Rarement on recueille des os d'une certaine dimension bien entiers. Quelques-uns ont été pris entre deux pierres d'une forte dimension et écrasés par elles. je conserve plusieurs ossements qui, après avoir été cassés, ont été réunis par les stalagmites; les os longs, en général, ont perdu une ou deux extrémités; tantôt ces cassures sont anguleuses, tantôt elles sont arrondies à un ou aux deux côtés; ce dernier cas a le plus souvent lieu.

Je ne puis point entrer dans les vues de M. Buckland, qui admet que ces os ont été arrondis, d un coté, par un courant d'eau passager; je crois qu'il faudrait bien des courants d'eau pour arrondir un fémur, un tibia, etc. d'un rhinocéros; mais nos cavernes fournissent des preuves évidentes d'ossements fossiles roulés et arrondis en tous sens; j'en ai recueilli un grand nombre. et j'en possède de toutes les espèces et de toutes les parties du squelette.

Dans les demi-mâchoires inférieures, c'est ordinairement la partie postérieure qui est arrondie; mais de la mâchoire supérieure je possède plusieurs fragments provenant de l'hyène, de l'ours. du cheval, etc. bien évidemment arrondis en tout sens. La quantité de fragments d'os que l'on retire de ces cavernes, prouve aussi combien de violence ils ont dû éprouver pour être réduits en débris d'une aussi petite dimension.

Quant à la couleur, elle varie au blanc jaunâtre au brun noirâtre, ce qui provient encore de la localité; ainsi dans les endroits secs, ces os sont presque toujours teints d'un blanc jaunâtre, tandis que ceux qui sont retirés des endroits humides sont d'un brun noirâtre. Les dents et os du reste du squelette, retirés d'une brèche sèche, ou d'une terre argileuse pure, se distinguent par une fraîcheur éclatante ? surtout les premières; plusieurs localités m'ont prouvé la constance de la variété de couleur due à cette cause. Souvent les os sont presque blancs; cette circonstance résulte de l'abondance des stalagmites brisées, qui, dans quelques localités, sont mêlées avec la terre à ossements. Les cavernes de Chokier? d'Engihoul et de Goffontaine m'ont fourni cette particularité.

Les ossements retirés de la brèche conservent la couleur de cette concrétion; mais quelquefois on en retire qui sont tachetés de noir.

Je n'ai jamais trouvé un seul os qui portât des traces de rosion, pas même ceux des ruminants, du cheval, etc., quel que soit le grand nombre des ossements fossiles que j'ai recueillis et attentivement examinés depuis peu. Il paraît aussi que nos cavernes n'ont point conservé les excréments d'aucune espèce des animaux qui y ont laissé leurs restes. Malgré tous les soins que j'ai mis dans mes recherches à cet égard; je n'y ai absolument rien trouvé d'analogue.

Il nous reste un mot à dire sur les hypothèses gratuites, que l'on a renouvelées à différentes époques, pour se rendre compte de la cause qui a pu amener tant d'ossements dans ces endroits remarquables.

Rosenmüller, Deluc, Cuvier partagent entre autres la même opinion; ce dernier, dans son important ouvrage s'exprime en ces termes:

On ne peut guère imaginer que trois causes générales, qui pourraient avoir placé ces os en telle quantité dans ces vastes souterrains: ou ils sont les débris d'animaux qui habitaient ces demeures et qui y mouraient paisiblement, ou des inondations et d'autres causes violentes les ont entraînés; ou bien enfin ils étaient enveloppés dans des couches pierreuses dont la dissolution a produit ces cavernes, et ils n'ont point été dissous par l'agent qui enlevait la matière des couches.

Cette dernière cause se réfute, parce que les couches dans lesquelles les cavernes sont creusées ne contiennent point d'os; la seconde, par l'intégrité des moindres éminences des os qui ne permet pas de croire qu'ils aient été roulés: car si quelques os sont usés, comme la remarqué M. Buckland, ils ne le sont que d'un côté, ce qui prouverait seulement que quelque courant a passé sur eux et dans le dépôt où ils sont. On est donc obligé d'en revenir à la première supposition, quelques difficultés qu'elle présente de son côte, et de dire que ces cavernes servaient de retraite aux animaux carnassiers, qui entraînaient pour les dévorer, les animaux dont ils faisaient leur proie, ou les parties de ces animaux.

M. Buckland partage entièrement cette opinion; il dit même avoir vu des endroits, dans la caverne de Kirkdal, Où les hyènes qui les habitaient jadis se seraient frottées contre les parois !!!

M. Goldfuss, qui a visité souvent les cavernes dans les environs de Muggendorf, et qui lui-même y a fait des fouilles, ne partage point cette opinion. Après avoir combattu celles de MM. Rosenmüller, Cuvier et Buckland, il croit, comme l'avaient déjà remarqué Leibnitz et Esper, que ces ossements ont été introduits dans ces cavités par les eaux. M. Marcel de Serres croit aussi que les ossements, dans les cavernes qu'il a visitées, y ont été amenés par l'eau.

Quant à moi, qui n'ai jusqu'à présent visité, et exploité que celles de notre province, je suis porté à croire que les eaux ont amené ces débris d'animaux dans ces cavernes, et je n'hésite point à déclarer que, quel que soit le mérite des savants qui ont adopté une hypothèse d'habitation successive des animaux dont nous recueillons les débris dans les cavernes, tels que les ours, les hyènes, etc. leur erreur a pu trouver sa source dans une suite d'observations trop peu nombreuses et trop incomplètes. Car quiconque aurait fait des fouilles aussi nombreuses que celles que j'ai entreprises depuis trois ans, se verrait convaincu, par le résultat des recherches, qu'il n'y a que le dépôt par les eaux qui puisse expliquer d'une manière raisonnable ce phénomène.

Je tire donc les corollaires suivants de ce que j'ai observé:

1° La terre qui entoure ces ossements fossiles n'est pas purement animale; c'est une terre argileuse, souvent pure, et la même que celle qui couvre les sommités des collines calcaires; quelquefois les os décomposés en forme de poudre sont les seules parties animales que l'on rencontre dans cette terre.

2° Plusieurs cavernes, telles que celles de Chokier, d'Engihoul, de Huy, etc., n'ont pu permettre aux ours, ni à l'hyène, etc., de s'y retirer; en vain voudrait-on soutenir que le temps les a comblées ou rétrécies par les couches de stalactites. Comment en effet un ours d'une grandeur aussi considérable que l'étaient ceux dont nous avons recueilli de nombreux débris dans ces cavernes, aurait-il pu s'y mouvoir ?

3° Au contraire les cavernes dont l'avenue est très facile ne contiennent presque point d'ossements d'ours; celles d'Engihoul et du Fond de Forêt, m'ont fourni la première les restes d'un ours, la seconde ceux de deux individus de la même espèce et d'une seule hyène; d'après hypothèse d'habitation, ces souterrains auraient dû en être remplis.

4° On y trouve les ossements sans ordre, à différentes hauteurs, tantôt entre des pierres d'une forte dimension, tantôt dans la terre; rarement deux os d'un même individu se rencontrent à la même place; pourquoi ne trouverait-on pas un squelette, et même plusieurs presque complets, si ces animaux y avaient vécu, et y étaient morts successivement ? Et ces familles d'ours, qui auraient habité pendant des siècles ces excavations, n'auraient laissé qu'une faible partie d'ossements d'éléphant, de rhinocéros, de cheval, de ruminants, que l'on considère comme leur ayant servi de pâture ?

Beaucoup de cavernes m'ont fourni des résultats opposés en sens inverse; les restes de rhinocéros, de cheval et de ruminants y étaient abondants, tandis que l'ours et l'hyène n'y avaient laissé les débris que d'un seul individu.

5° L'état de décomposition de ces ossements est très variable; plusieurs restes même de têtes d'individus très jeunes sont parfaitement conservés, tandis que ceux des adultes tombent en poussière au premier toucher. Quoique ces restes soient enfouis les uns à côté des autres, les ossements bien entiers sont toujours en grand nombre dans ceux de petites dimensions, et il s'en trouve entre ceux d'une plus forte dimension qui ont conservé leurs plus petites éminences; cependant les pièces très complètes sont rares en comparaison des ossements brisés, et arrondis à leurs extrémités. Enfin un grand nombre sont arrondis en tout sens, et ont été roulés longtemps avant d'avoir été déposés dans l'endroit d'où on les retire.

6° Mais ce qui achève de prouver en faveur de notre opinion, ce sont les restes des animaux marins, de poissons, de coquilles d'eau douce, d'hélix terrestres, de bélemnites et une baculite qui se sont rencontrés dans ces cavernes.

Le terrain meuble nous fournit aussi les débris des mêmes espèces que nous rencontrons dans les cavernes de notre province; ils sont bien moins conservés que ceux des cavernes, parce que l'air et l'humidité ont agi avec plus d'énergie que sur ceux qui sont renfermés dans ces souterrains. Ces derniers sont enveloppés dans une couche de terre, le plus souvent recouverte d'une couche très compacte de stalagmites où l'air ni les eaux n'ont pu exercer leur influence. Du reste, la majeure partie porte les traces de fractures et d'arrondissements qui ont été faits avec une telle violence qu'il est impossible d'en méconnaître la cause, c'est-à-dire le dépôt fait par l'eau.

Quoique plusieurs os aient conservé toutes leurs apophyses et éminences, rien ne répugne à la supposition que ceux-là ont été entraînés dans ces cavernes, étant garnis de chair.

Mais d'autres et, je le répète, le plus grand nombre, ont éprouvé une détrition et un frottement assez violent et pendant un certain temps, pour être réduits à l'état dans lequel on les trouve aujourd'hui.

La glace a pu conserver pendant des siècles tout un cadavre de mammouth garni de sa chair et de son poil; pourquoi nos cavernes n'auraient-elles pas conservé le poil de l'ours et de l'hyène dont on a voulu prouver encore davantage la demeure successive dans les cavernes par la présence d'excréments de ces animaux ? Il est cependant certain que le poil est moins altérable par les agents chimiques que ne le sont les excréments.

Il ne nous reste donc, après tout, que l'unique hypothèse, la plus vraisemblable, c'est-à-dire celle que ces cavernes ont été remplies par les eaux.



CHAPITRE II.

DES CAVERNES EN PARTICULIER.

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SECTION PREMIERE

CAVERNE DE CHOKIER

La colline calcaire qui longe la rive gauche de la Meuse entre Huy et Flemalle, est la continuation du calcaire qui descend de Namur; cette colline forme deux replis très remarquables entre Flemalle et Chokier.

C'est près du second qu'était située la caverne de Chokier ( ), derrière le village de ce nom, à deux lieues et demie, dans la direc-tion du Sud Ouest de Liège, sur la rive gauche de la Meuse.

C'est en déblayant la terre sur le flanc du rocher qui regarde la Meuse, que les ouvrier rencontrèrent des ossements qu'ils croyaient provenir de chevaux que l'on avait enterre dans cet endroit. Un examen attentif sur le lieu même me convainquit bientôt qu'il s'agis-sait d'ossements fossiles d'ours, d'hyène, de rhinocéros, etc.; on avait en effet déjà jeté plusieurs de ces ossements avec la terre, sans que l'on en eut apprécié la valeur.

Aucune ouverture n'était visible jusqu'alors; c'était un mélange de terre et de pierres, contenant des ossements qui se trouvaient devant l'ouverture. En déblayant cette terre, qui continuait à fournir beau-coup d'ossements, le banc calcaire devint visible des deux cotés; ce fut alors que les ossements devinrent plus abondants; une couche de stalagmite apparut à la partie supérieure; en poussant mes fouilles plus avant, tout à coup une partie de la couche de stalagmite, sous laquelle on avait creuse jusqu'alors, s'éboula, et j'aperçus une ouverture tapisse de stalactites, d'où sortait un air froid, d'une odeur désagréable.

L'ouverture de cette cavité regardait le sud; la voûte était tapissée sur toute son étendue de stalactites, dont la longueur excédait rarement trois centimètres; à droite se trouvait une brèche dure, occupant les deux tiers de la largeur de cette cavité, qui était située à soixante-dix mètres environs du au dessus du niveau de la Meuse.

Le composé, qui la remplissait, formait un ensemble de limon argileux, d'une couleur jaunâtre, très gras au toucher, la ou il con-tenait beaucoup d'ossements. Des fragments de pierre arrondis ou anguleux appartenant à la même roche, des cailloux de quartz et de grès entraient aussi dans ce mélange, qui partout alternait avec les ossements.

La hauteur de cette cavité était de cinq mètres, et diminuait pro-gressivement vers le fond en descendant. Sa longueur variait d'un à huit mètres, et la profondeur était peu considérable, vu que la voûte ne couvrait qu'une partie, un tiers environ, de l'étendue du dépôt, contenant les ossements fossiles; mais, en prenant pour point de départ l'endroit ou j'ai recueilli les premiers ossements, disposés en couches régulières sous la couche de stalagmites, elle avait une profondeur de vingt mètres.

Il existait un espace d'un demi mètre entre la voûte et la couche de stalagmite supérieure; sur cette couche reposait de la terre argileuse, qui couvrait une épaisseur de quinze centimètres, contenant quelques ossements d'oiseaux.

Cette première couche de stalagmite s'étendait d'une manière régulière d'un bout à l'autre sur tout le dépôt; elle adhérait de toute part fortement aux parois de cette cavité, s'inclinant, en pente douce, du Sud au Nord et de l'Est à l'Ouest; son épaisseur variait de vingt à trente centimètres. C'était surtout du coté de l'Ouest qu'elle avait le plus d'épaisseur; elle était d'une couleur grisâtre, d'un aspect terne, presque granulaire, très friable, et contenant des ossements dans sa partie inférieure.

Cette couche de stalagmite couvrait une couche de limon d'un mètre d'épaisseur, et qui contenait un dépôt régulier d'ossements fossiles, de l'épaisseur de quarante centimètres. Depuis le commencement des fouilles jusqu'au fond de cette cavité, il a fourni le plus d'ossements, avec cette différence que, vers le commencement, cette couche contenait plus de restes d'hyène, de rhinocéros, d'éléphant et de cheval; tandis que vers le fond, ce n'était presque uniquement que des restes d'ours, et d'autres carnassiers, tels que du loup, du renard, etc.
Une seconde couche de stalagmite formait la séparation de cette couche de limon, et d'une seconde, qui présentait le même caractère.
Cette couche de stalagmite avait une épaisseur de trente à trente-cinq centimètres; elle était parallèle à la couche supérieure, excepté que la direction était moins inclinée, son aspect plus pur, sa texture plus compacte, dans quelques endroits, presque cristalline; ce qui la distinguait essentiellement de la précédente. Elle contenait beaucoup d'ossements; du reste, la couleur de cette couche de stalagmite différait encore de la supérieure, par une plus grande dureté, par sa couleur blanchâtre et par la partie inférieure, qui est régulièrement stratiforme.

La couche de terre à ossements, que celle-ci recouvrait, avait une épaisseur d'un mètre; les ossements y étaient moins nombreux, et ne présentaient point, dans leur disposition, cette régularité que nous avons observé dans la précédente. A différentes hauteurs se trouvait un grand nombre de cornes de renne, du genre cerf, etc.; des dents et des ossements de différentes espèces de carnassiers, de ruminants, et quelques fragments de mâchoire inférieure d'ours ainsi que des dents de cette espèce.

Enfin, immédiatement sous cette couche de terre, il se trouvait une troisième couche de stalagmites, d'une épaisseur de vingt centimètres; elle était peu étendue et occupait uniquement le fond de cette cavité; elle contenait encore des ossements, surtout de rongeurs, de ruminants. Quelques dents d'ours qui sont engagées dans cette couche de stalagmite, et que je conserve, ne forment qu'une masse tellement dure, qu'il m'a été impossible d'en retirer une seule plus ou moins entière, tandis que cela ce faisait facilement dans les autres.

Près de cette couche, et à l'Est de la cavité, se trouvait un petit filon de fer accompagné de chaux carbonatée lamellaire, qui traversait la terre glaise, très compacte, sans ossements, qui formait le fond de cette cavité.

Une brèche dure et compacte remplissait la moitié de la largeur de cette cavité; elle s'étendait du coté de l'est, depuis le commencement jusque dans le fond, sur toute la hauteur. Elle adhérait fortement aux parois, étant régulièrement traversée par la deuxième couche de stalagmite que nous avons décrites précédemment. Les ossements de toutes espèces y étaient très abondants, placés sans ordre, néanmoins dans une position horizontale; les dents, les vertèbres, les cotes, les phalanges y étaient engagées les unes à coté des autres.

La majeure partie d'ossements d'une dimension un peu considérable ont été évidement enveloppés par cette concrétion, après avoir été fracturés et arrondis.

Toutes les pierres retirées de la brèche ont le sangles émoussés, et la plus grande partie sont parfaitement arrondies.

Je conserve de cette brèche des demis mâchoires accolées à des os des extrémités, écrasés entre les pierres et qui les entourent de toute part. Il n'était pas rare d'y recueillir des ossements collés fortement sur les pierres; j'en ai un échantillon formant un mélange de pierres arrondies, qui séparent une vertèbre, d'un fragment de radius, de cubitus et de fragments d'os; le tout est cimenté par le tuf dur.

Enfin des pierres ont pénètre dans la texture des ossements ; ils en portent les traces, et plusieurs os longs, même des dents et des phalanges, ont été brisés dans l'endroit d'où je les ai retirés; car leurs cassures sont réunies par ce ciment.

Cette même brèche se prolongeait vers l'Est hors de la cavité, sur l'inclinaison du banc calcaire, et formant un angle droit avec la brèche de la cavité. Une terre végétale, que l'on avait dégagé du haut de la colline, couvrait cette brèche, dont la longueur était de deux mètres, et la hauteur d'un et demi. Elle était couverte par une couche de stalagmite qui correspondait à la supérieure de celle de la caverne, ou plutôt qui en faisait la continuation.

Cette brèche contenait des ossements d'ours, d'hyène, de félis, de cheval, de ruminants et de rongeurs en quantité immense, d'une petite espèce, qui entouraient les pierres et les ossements des différentes espèces; ou bien ces osselets formaient une masse composée uniquement de leur débris; les pierres renfermées dans cette brèche étaient presque toutes des fragments arrondis en tous sens, et semblables au calcaire environnant; des cailloux de quartz, quelques morceaux de silex et de la terre argileuse étaient intimement réunis par le ciment calcifère.

C'est de cette brèche que j'ai retiré les restes de deux félis et de différents genres de rongeurs, qui n'ont point laissé les moindres traces de débris dans la cavité même.

Il parait que cette grotte a été plus vaste autrefois qu'elle ne l'était lors de la découverte. Car après que tout le contenu en a été retiré, j'ai reconnu nommément, sur le devant, un éboulement considérable, et j'ai aussi rencontré des stalagmites, et des stalactites brisées, entassés sans ordre, comme si cet amas avait été l'effet d'un enfoncement. Quoi qu'il en soit, il n'y avait presque point d'ossements fossiles entre les pierres ni dans le fond, qui était formé de terre argileuse; tandis que la partie supérieure, qui était couverte par la terre formant le fond de la partie antérieure de la cavité, j'ai retiré plusieurs ossements fossiles, surtout des restes de ruminants. Il est donc certain que cet éboulement existait déjà avant que les ossements fossiles aient été déposés dans la cavité de Chokier.

Les fentes latérales qui se trouvaient dans l'intérieur de la caverne même étaient peu nombreuses et peu profondes; elles étaient remplies du même limon que celui de la cavité principale, et contenaient des osselets de rongeurs et de chauve-souris.

Il est remarquable qu'un espace aussi limité contint une aussi grande quantité d'ossements; les dents y étaient les plus abondantes; l'éclat de leur émail est parfaitement conservé. Deux tiers des ossements proviennent de l'ours, une grande partie de l'hyène, du cheval, de ruminants et d'espèces nouvelles dans les fossiles que j'aurai soin d'indiquer lorsque j'en donnerait la description.

Le fait le plus intéressant que la grotte de Chokier a offert, est sans contredit la présence de deux couches de stalagmites; au-dessous de chacune d'elles, se trouvaient des ossements fossiles. Aucun cas semblable ne s'est plus présenté dans les fouilles que j'ai faites depuis dans un grand nombre de cavernes, ni n'a été observé ailleurs jusqu'ici, du moins l'histoire des cavernes n'en fait pas mention.

Une seconde cavité se trouve sous le château de Chokier; elle a peu de longueur et de largeur; du reste elle ne contient aucun ossements, et on n'y pénètre qu'avec peine.


SECTION II

CAVERNES D'ENGIS


A trois quarts de lieue au Nord Ouest de Chokier, se trouve l'endroit connu sous le nom des Awirs situé au Nord derrière le village d'Engis. Vis à vis d'une ancienne exploitation de schistes alumineux, se trouve une colline calcaire très escarpée, remplie de fentes et d'ouvertures dont deux se présentent sur la partie supérieure de ce bord perpendiculaire, mais on les voit sans pouvoir y atteindre de ce côté. Nous fûmes donc obligés de prendre un moyen pour examiner de plus prés ces cavités; à l'aide d'une corde attachée au dessus à un arbre, nous pûmes glisser obliquement vers le pied d'une première ouverture. Un petit chemin s'étend à quelque distance, formé par le rocher qui avance assez pour qu'on puisse le longer. Du gazon et des arbustes se sont multipliés spontanément sur le roc stérile; ils cachent en quelques endroits le précipice que l'on a devant soi.

La première cavité est large de 5 mètres et haute de 6 à l'entrée; la profondeur totale de cette cavité est de 17 mètres; vers la fin la voûte s'abaisse de plus en plus. Le fond, dans la partie postérieure, est peu couvert de terre; une petite galerie existe à droite, et elle est parallèle à l'ouverture principale.

La terre à ossements, qui présentait les mêmes caractères que celle des autres cavernes, était très abondante sur la partie antérieure, ou elle avait deux mètres d'épaisseur; mais vers la partie postérieure, et dans la petite galerie latérale, il s'en trouvait peu.

Les espèces recueillies dans cette caverne sont:

Une dent incisive, une vertèbre dorsale et une phalange d'homme, quelques restes d'ours, d'hyène, de cheval, et de ruminants; plusieurs silex taillés en forme triangulaire.

En se cramponnant aux parois du rocher, on descend de cette première ouverture dans une seconde, après avoir passé sur une pointe de rocher en longeant un petit chemin long de dix sept mètres. l'entrée de cette caverne est haute de cinq et large de quatre mètres; elle a, comme la précédente, vue sur le Nord. Elle se trouve à un mètre au dessous du niveau de la première; près de l'entrée, sont beaucoup d'arbustes qui ont crû naturellement, dans la terre à ossements. La profondeur de la première chambre, qui est la principale, est de douze mètres, sur une hauteur de cinq et une largeur de quatre; près de l'entrée, se trouve une séparation singulière, formée par le calcaire qui passe en ligne droite; en cet endroit, la caverne est coupée en deux en forme d'arcade. Dans le fond de cette chambre, se trouve une galerie peu large qui descend à gauche, de sorte qu'elle décrit un demi cercle toujours en s'abaissant; elle est remplie de terre contenant des ossements. Bientôt on se trouve arrêté par le peu d'espace qu'offre ce couloir, qui finit par une petite ouverture dans laquelle on ne peut pénétrer. Au côté gauche de l'ouverture principale, il y a une seconde galerie, où il est difficile de parvenir à cause de stalactites très glissantes qui se trouvent à la hauteur d'un mètre et demi. Après avoir franchi cette entrée verticale, on se trouve sur le banc calcaire qui se dirige presque parallèlement vers l'entrée. On aperçoit, à droite, une ouverture qui conduit en sens opposé dans une petite galerie dont le sol monte vers le Sud, et au haut de laquelle se trouve une petite chambre dont le lit était jonché d'ossements. Outre les stalactites qui se trouvent dans cette caverne, on rencontre dans la chambre principale une brèche osseuse; elle est placée près de la galerie qui est dans le fond; nous en parlerons avec plus de détails dans la description des ossements humains.

La terre à ossements de cette caverne était en général très sèche, ayant les mêmes caractères que celle des autres localités; elle avait sur le devant une épaisseur de deux mètres et demi a et contenait des ossements et des pierres arrondies et anguleuses sur toute la hauteur; elle recouvrait dans la partie inférieure une terre argileuse plus ou moins compacte, reposant sur le fond formé par le rocher qui partout était très inégal.

Les ossements provenant de cette caverne ont, en général, une teinte d'un blanc jaunâtre, qui varie jusqu'au noirâtre; quelques uns sont entiers, plusieurs ont été cassés; une très grande partie porte à l'évidence les traces d'avoir roulé même pendant quelque temps avant d'avoir été déposés dans l'endroit où nous les avons recueillis. C'est entre autres de cette caverne que j'ai retiré des ossements d'Ours, d'Hyène et plusieurs de Rhinocéros, etc., qui m'ont démontré que ces os n'avaient pu y être déposés que par les eaux.

Enfin, à droite, en entrant dans la seconde caverne, se trouve une galerie qui n'est qu'une continuation du calcaire qui se prolonge sous une voûte en cet endroit, et qui conduit dans une autre galerie, la plus longue de toutes, ayant peu de hauteur et de largeur.

L'une et l'autre m'ont fourni des ossements gisant dans la même terre que celle des cavernes voisines, mais moins nombreux que dans la seconde que nous venons de décrire.


SECTION III

CAVERNES D'ENGIHOUL.


L'endroit appelé Engihoul est situé sur la rive droite de la Meuse, à trois lieues au S.-O. de Liège. C'est le même banc calcaire qui, après avoir formé deux replis entre Flémalle et Chokier, traverse pour en former un troisième en cet endroit. Plusieurs cavités plus ou moins vastes sont creusées dans cette colline; deux d'entre elles méritent spécialement de fixer l'attention.

La première de ces cavernes est située sur le bord de la Meuse à mi hauteur de la colline, à 60 mètres au-dessus du niveau de la Meuse; son ouverture regarde le Nord. Elle est très petite, d'une forme triangulaire; la base a 0,95 de largeur; la plus grande hauteur est de o,80.

Comme elle est environnée de toute part de buissons épais, on ne voit l'entrée que lorsqu'on se trouve vis-à-vis. Il faut y marcher à reculons, et se glisser couché sur le ventre, jusqu'à une longueur de 3 mètres. On arrive dans une galerie longue de 7 mètres, où on peut se tenir sur ses genoux; la plus grande largeur de cette partie de la caverne est de 3 mètres.

Enfin, après être descendu à un mètre de profondeur, on se trouve dans l'endroit le plus large de ce souterrain, qui est en forme de chambre, ayant 5 mètres de large, 10 de long et 2 de haut. A gauche se trouve une petite galerie, qui s'étend en ligne droite, parallèle à l'entrée principale et à deux mètres de longueur; le tout est rempli de pierres et d'une terre qui contenait quelques ossements .

Du même côté se trouve une deuxième galerie plus petite, remplie de même de terre et de pierres.

C'est en remuant les pierres et la terre près de cette galerie que j'ai trouvé, à la profondeur de deux centimètres, un fragment de mâchoire inférieure d'homme; plus bas et dans la même place, j'ai rencontré une brèche fortement adhérente aux parois du rocher, de peu d'étendue, et qui contenait une vertèbre lombaire d'homme, soudée aux pierres par une couche de stalagmites. Il est bon de remarquer que l'infiltration des eaux chargées de molécules calcaires n'a plus lieu dans cet endroit. A peu de distance de là se trouvait un fémur humain dégarni de ses extrémités, collé contre les parois et recouvert de part et d'autre par une couche de stalagmite, qui a même pénétré dans la cavité de cet os.

Quelques phalanges, des os du métacarpe et du métatarse de notre espèce se trouvaient également disséminés dans cette terre, qui entourait et couvrait 1a brèche; ayant les mêmes caractères que celle des autres cavernes à ossements, c'est-à-dire d'être grasse au toucher et d'avoir une couleur jaune grisâtre.

Vis-à-vis de cette petite galerie, il en existe une autre qui se prolonge à trois mètres de profondeur, du Nord au Sud; elle est un peu plus vaste que les deux dont nous venons de parler. Elle était remplie depuis le fond jusqu'à la voûte, de gros cailloux, cimentés ensemble par des stalactites; le fond est couvert de terre jaunâtre, contenant des cailloux roulés de différentes dimensions, des pierres anguleuses, quelques os d'ours, de blaireau, de ruminants, etc.

A côté de cette dernière galerie on en trouve une autre, qui a 1 1/2 mètre de large à son entrée, sur une hauteur d'un mètre; elle se rétrécit de plus en plus, à tel point, que sur la fin on ne peut y pénétrer même en se couchant sur le ventre; cette galerie est longue de 11 mètres, et est en ligne droite avec l'ouverture principale.

Le sol de cette galerie est recouvert d'une couche de terre jaunâtre; on n'y voit pas de couche de stalagmite, la surface en est un peu durcie. Sous cette terre, se trouve une couche de stalagmite étendue d'un bout à l'autre, sur le fond de cette galerie qui est formé par le rocher; elle ne surpasse guère l'épaisseur de 0,02; la texture est stratiforme et cristalline à sa surface inférieure, d'une couleur blanche grisâtre qui passe au jaunâtre; sa partie supérieure est moins compacte, et d'une structure plus granulaire.

Les parois de cette galerie descendent obliquement, du coté droit; elles sont très humides, ainsi que la terre qui les couvre; au contraire, du côté opposé, la terre et les parois sont très sèches. A mi longueur se trouve, du côté gauche, une ouverture allongée, qui correspond directement avec la galerie d'en bas; vis-à-vis de cette ouverture, à la profondeur de 5 mètres, à compter de l'entrée de cette galerie, il existait une élévation dans le sol' occasionnée par un renflement du rocher de ce côté; aucun accident n'avait produit cette élévation, et tout annonçait au contraire que la terre et les ossements y avaient été amenés par les eaux, et que personne avant moi n'y avait pénétré.

En remuant la terre, j'ai trouvé peu d'ossements à l'entrée de cette galerie; mais plus on approchait de l'élévation dont je viens de parler, plus le nombre d'ossements augmenta. Ils se trouvèrent à différentes hauteurs et sur toute la largeur de la terre qui couvrait le fond; l'épaisseur du limon était d'un demi mètre; il contenait une quantité de pierres anguleuses provenant des rochers environnants, dont plusieurs étaient arrondies; des cailloux roulés, de quartz et de grès, des morceaux de stalagmites, des stalactites brisées formaient l'ensemble de ce mélange qui remplissait le fond de cette cavité.

La plus grande partie de ces ossements appartiennent à l'espèce humaine, sauf une petite quantité provenant de ruminants d'une forte taille; mais ils sont trop mutilés pour pouvoir en déterminer l'espèce. Des ossements de glouton, de renard et d'oiseaux se trouvaient ensemble dans cette dernière galerie.

Dans le ravin d'Engihoul qui se dirige du Nord au .Sud, on remarque une grande irrégularité dans la direction des couches des collines calcaires qui s'élèvent des deux côtés, et dont le pied est baigné par un petit ruisseau; en parcourant ce ravin on rencontre dans ces bancs calcaires, à différentes hauteurs, plusieurs cavités, dont la plus grande partie ne contient pas d'ossements. Celle qui nous a en fourni le plus grand nombre est une caverne située à deux cent trente pas derrière celle que nous venons de décrire. Elle se trouve à deux tiers de la hauteur de la pente du rocher; son ouverture est large, et regarde le S.-E.

La forme totale de cette caverne est allongée; l'entrée est haute de 2 mètres sur une largeur d'un et demi. La première galerie tourne immédiatement à gauche; elle est haute de 2 mètres; sa plus grande largeur est de 3 l/2 sur une longueur de 9 mètres, Le jour y pénètre par une ouverture latérale située à gauche près de l'entrée.

Le sol, qui consiste dans une terre jaune argileuse, contient beaucoup de pierres et d'ossements; il s'élève considérablement en pente rapide vers le milieu. En montant cette pente, l'on est bientôt obligé de se coucher sur le ventre, et en rampant de cette manière pendant un trajet de 3 mètres, on arrive dans un endroit plus large et plus élevé, ou l'on peut aisément se tenir debout. C'est une seconde galerie qui s'étend à, droite et à gauche en formant un angle droit avec la première. Cette seconde galerie, dont le sol est de niveau avec la voûte de la première, a, dans sa partie la plus élevée, une hauteur d'un mètre et demi, une largeur de 3, sur une longueur de 10 mètres. Le sol était assez égal, mais s'inclinant vers le côté droit; la voûte descend aussi de plus en plus vers les deux cotés et vers le fond, qui se trouve vis à vis de l'entrée; de sorte qu'en se couchant même sur le ventre, on ne peut pénétrer dans les petites ouvertures latérales qui y sont au nombre de trois. Au côté droit de l'entrée de cette deuxième galerie se trouvent des ouvertures qui communiquent au jour, et ne présentent rien de remarquable; elles sont d'une petite dimension, la plus grande a un demi mètre de haut.

La première galerie ne contient aucune stalactite; sur le devant on trouve une terre argileuse d'une couleur jaunâtre, qui repose sur le rocher, lequel forme partout le fond de cette grotte. Cette terre ne contenait aucun ossements; mais c'est dans l'élévation du sol, ( que nous avons indiqué être composé de terre, de pierres anguleuses provenant du même rocher 7 entremêlées de stalagmites 7 de stalactites brisées 7 et de quelques cailloux roulés), que nous avons retiré des ossements fossiles, tous d'un aspect blanc, plus durs qu'à l'ordinaire, très secs, recouverts en grande partie d'une couche de stalagmite.

En remuant la terre, dans la deuxième galerie, il en est sorti une odeur fétide; cette terre contenait beaucoup d'ossements, et n'avait guère qu'une épaisseur d'un demi mètre; elle repose sur une espèce de gravier contenant des cailloux roulés, de quartz, de grès, et des pierres anguleuses. Cette deuxième couche de terre est plus dure que celle à ossements. Il y a peu de stalactites sur les parois de cette deuxième galerie, et c'était vers les parois du fond que les os se trouvaient ça et là engagés dans une couche peu dure de stalagmite.

En général, les ossements fossiles étaient peu nombreux dans cette localité; les débris d'ours d'un seul individu, appartenant sans contredit à l'espèce priscus, y avaient été conservés parmi les autres. Cependant la position isolée, l'accès facile et l'entrée spacieuse sont toutes des conditions favorables, pour que les espèces d'ours antédiluviennes aient pu habiter cette caverne. Les hypothèses sur l'habitation de ces êtres éprouvent donc par ce fait un nouvel échec, et l'opinion la plus admissible est encore ici, comme ailleurs, celle que ces débris y ont été amenés par l'eau.


SECTION IV.

CAVERNES SITUEES SUR LES RIVES DE L'OURTE.


Les deux rives de l'Ourte sont bordées en général par des collines de calcaire anthraxifère, qui, dans quelques endroits, sont très développées. Voici le résultat des recherches que j'ai faites jusqu'aujourd'hui sous le rapport des cavernes qui se trouvent dans les flancs des rochers compris dans les limites de la province de Liège, sur l'eau d'Ourte. Il y en a deux à Tilf, sur la rive gauche de cette rivière, dont une est très vaste; le fond contient un sable fin sans ossements; côté de celle-ci s'en trouve une autre petite qui m'a fourni quelques ossements. À Esneux quatre cavités se trouvent sur la rive droite de l'Ourte; elles sont toutes de peu d'étendue, une seule, en forme de galerie, regarde le midi, et est à 70 mètres au-dessus du niveau de la rivière; l'entrée est large de 2 mètres, elle est haute de 1 1/2 mètre; la longueur totale de cette cavité est d'environ 10 mètres. Une terre argileuse couvre le fond; c'est dans cette terre que j'ai rencontré des ossements fossiles de rhinocéros, de boeuf, etc.

La hauteur de la terre en cet endroit était de 2 mètres; les autres cavernes ne m'ont point fourni de traces d'ossements fossiles. J'ai visité quatre cavernes à Comblain-au-Pont; mais elles sont peu intéressantes, deux sont situées sur la rive droite, et deux sur la rive gauche de l'Ourte; elles contiennent peu d'ossements fossiles.

De Comblain-au-Pont, jusqu'à Bommale, on trouve des cavités sur les deux rives, à Comblain-la-Tour, à Logne, à Palogne, etc. ; mais quoiqu'on en compte huit sur cette étendue, aucune ne m'a fourni des ossements fossiles.

Sous les ruines du Château de Logne on trouve beaucoup de terre dans deux cavernes on en voit sortir même quelques ossements; mais ils datent tous d'une époque très récente; des fragments de bois de cerf, taillés, des os de boeuf coupés, sont les débris que l'on rencontre dans les ouvertures creusées par la nature dans ce roc escarpé, et qui ont servi de retranchement et de demeure au soi-disant quatre fils Aimons. Ces cavernes méritent donc plutôt d'attirer l'attention de l'historien que celle du naturaliste. Il me parait cependant bien remarquable qu'un si grand nombre de cavités situées sur cette rivière ne contiennent presque point d'ossements; celles au contraire qui se trouvent le long de la Meuse et de la Vesdre, quoique moins nombreuses, ont fourni toutes, à quelques exceptions près, des ossements fossiles.

Une des cavernes les plus renommées dans notre province est celle de Remouchamp, située sur la rive droite de l'Amblève. Elle est creusée dans un roc peu élevé, dont la stratification régulière et peu verticale est le seul exemple que l'on trouve dans le nombre des roches calcaires qui contiennent des cavités aussi vastes et aussi élevées.

L'entrée qui est un peu au-dessus du niveau de l'Amblève, est perpendiculaire et spacieuse; elle conduit dans une salle assez vaste dont le sol est très égal A gauche de ce premier portail, et presque vis-à-vis de l'entrée, se trouve celle d'un vaste souterrain dont la forme variée excite beaucoup l'admiration des visitans; l'imagination ne sait à quelle forme s'arrêter à l'aspect de tant de stalagmites, d'une blancheur rare, tapissant élégamment les parois inégales de ce souterrain, et le ruisseau qui baigne en grande partie cette caverne sur sa longueur, contribue beaucoup à rendre ce spectacle très imposant.

Le sol est inégal, monte et descend rapidement en plusieurs endroits; de grosses pierres, une terre argileuse ou sablonneuse se rencontrent dans le fond.

Nous ne suivrons point le curieux dans tous les détails qu'offre ce souterrain; il nous suffira de dire qu'à différentes distances les fouilles faites entre les pierres et dans la terre qui y est très abondante, n'ont fourni aucun ossements; nous nous arrêtons dans la première chambre, où se trouve à la profondeur d'un demi mètre le diluvium, consistant en pierres arrondies, anguleuses, en terre argileuse et en quelques ossements. Cette couche est peu puissante et repose sur une terre sablonneuse qui ne contient aucun reste fossile. Ceux que l'on retire de cet endroit sont très peu nombreux; ce ne sont que des fragments qui ne paraissent guère être assez abondants pour qu'on puisse entreprendre avec succès des fouilles régulières. Néanmoins dans les fragments que j'en ai retirés, j'ai reconnu l'existence de restes d'ours, d'hyène, de renard, de rhinocéros, de cheval de boeuf, de cerf et d'un oiseau


SECTION V.

DES CAVERNES SITUEES SUR LA VESDRE.


La Vesdre, ou Vèse, prend sa source dans les hautes fagnes, à quatre milles des P.-B; à l'Est-Nord-Est d'Eupen, en Prusse; avant de se jeter dans l'Ourte à Chênée, elle reçoit quelques petites rivières, telles que la Soor, la Hell, la Gelippe, la Hoegne, etc. Il y a vingt ans que cette rivière, qui parcourt une étendue de douze lieues environ, était navigable jusqu'à Nessonvaux; actuellement elle ne l'est plus guère que jusque près de Chaudfontaine.

La pente de la Vesdre depuis Nessonvaux jusqu'à son embouchure dans l'Ourte, à Chênée, sur environ 15 000 mètres de longueur développée, est de 45,065; sa largeur, prise à ligne d'eau dans la partie navigable, varie entre 15 et 20 mètres; dans la sécheresse, la moindre hauteur de la tranche d'eau est de 0,10, à 0,15; le terme moyen des inondations est de 0,30, à 1,20, sur la surface de la vallée, suivant les localités et la largeur de cette rivière.

La Vesdre coule dans une vallée riante, plus ou moins large et profonde, irrégulière et tortueuse, coupée transversalement par une multitude d'autres petites vallées sinueuses, d'où s'échappent une quantité de ruisseaux et de rivières. Quoique présentant parfois des coteaux en pentes assez douces, la vallée de la Vesdre est presque partout bordée par des rochers escarpés, ayant en général une direction du N.-E. au S.-O., et appartenant aux terrains à couches inclinées.

Ces rochers sont, en général, composés de calcaire anthraxifère, de dolomie, de schiste, de psammite et de poudingue siliceux. Toutes ces roches, appartenant aux formations ordinaires, se présentent en bancs plus ou moins puisants, offrant dans leur inclinaison tous les angles possibles, depuis le plan horizontal jusqu'à la position verticale; tantôt ils sont ondés, tantôt repliés ou contournés en zigzags, et ont le plus souvent la crête au N.-O. et le pied au S.-E.

La vallée de la Vesdre possède aussi des eaux thermales, minérales, ferrugineuses et sulfureuses, des mines de fer, de zinc, de plomb, des carrières de marbre, de pierres à chaux et à pavé. L'activité du passage de la grande route établie dans ce vallon s'accroît encore par les établissements industriels qui s'y trouvent en grand nombre, tels que les ateliers de métallurgie, les fabriques d'armes à feu, et surtout par des manufactures de draps, naguère les plus considérables de l'Europe.

Jusqu'à présent j'ai reconnu l'existence de deux cavernes dans cette vallée. Une derrière Chaudfontaine, peu vaste, contenant de la terre glaise sans ossements, trois dans la vallée latérale de la Vesdre, appelée Fond-de-Forêt, une à La Haye, deux à Goffontaine, deux à Flaire, une à Olne, une à Pépinster, deux au-delà de Verviers.


SECTION VI.

CAVERNE DU FOND DE FORET.


A trois lieues de Liège, dans la direction du S.-E., est un joli vallon appelé Fond-de-Forêt, d'une largeur fort inégale, borné des deux côtés par des collines de schiste, de dolomie et de calcaire anthraxifère. Le ruisseau du Fond-de-Forêt, car c'est ainsi qu'on l'appelle, prend sa source dans les environs de Batice, et se jette dans la Vesdre au pont de Prayon. Sur la rive gauche de ce ruisseau on voit des fentes et des ouvertures dans un de ces bancs de calcaire anthraxifère qui se dirige du S.-O. au N.-E.

L'extérieur des replis de cette colline montre en différents endroits des dérangements dans l'inclinaison; des masses plus ou moins considérables se sont détachées, et tantôt se soutiennent sur les flancs en forme de pyramides, tantôt se sont éboulées jusque en bas. Les ouvertures s'y trouvent à différentes hauteurs, et tantôt ce ne sont que des fentes, tantôt de véritables cavernes.

Ces ouvertures sont connues des habitants de l'endroit sous le nom de Trous de Sottais. Ils prétendent que jadis ces grottes servaient d'habitation à une espèce humaine d'une très petite taille, Sottais, nains, pygmées, qui y vivaient de leur industrie, et restauraient tout ce qu'on déposait près des ouvertures, à condition que l'on y ajoutât des vivres. En très peu de temps ces effets étaient réparés, et remis à la même place. La fable ajoute que, un jour, on déposa un pain dont on avait ôté la mie; il ne restait que la croûte; les Sottais, indignés de cette conduite, quittèrent leur demeure et se retirèrent dans un autre pays.

Ces cavernes sont d'ailleurs, en général, assez élevées pour qu'un homme de la plus forte taille puisse s'y tenir debout, chose que l'on ignorait sans doute, avant l'invention de l'histoire des Sottais.

Non loin d'une fabrique de canons de fusils, se trouve une caverne, dont l'ouverture est creusée à mi hauteur de cette colline; l'ouverture est large; elle regarde l'Est; la forme en est ovale, la largeur de la base est de 3 mètres, sur une hauteur de 2 et demi. La première galerie se dirige en ligne droite vers le S.-E., conservant sur toute son étendue, qui est de 19 mètres, la hauteur et la largeur de l'ouverture; en quelques endroits seulement elle présente des enfoncements latéraux; la galerie; a 6 mètres de large et 4 de haut. Près de l'entrée, à droite, on remarque une fente par laquelle on n'aperçoit aucune communication avec l'extérieur.

Cette fente a servi de retraite aux renards; on y reconnaît fort bien les impressions de leurs pattes.

Aucune stalactite ne recouvre les parois de cette première galerie. Le sol en est égal, formé par des pierres et une terre argileuse, sans être couvert d'une couche de stalagmites, et se lève en plan un peu incliné vers le haut. On est arrêté par les parois du roc; là se trouve à gauche une ouverture qui conduit dans une seconde galerie plus ample que la précédente, et forme avec elle un angle droit. L'entrée a une largeur de 5 mètres et 2 de haut; cette galerie est longue de 26 mètres, le sol en est aussi plus élevé, et présente un demi mètre de plus à l'entrée; il est inégal et glissant à cause des masses de pierres qui paraissent s'être détachées de la voûte; la hauteur de cette seconde galerie varie de 2 à 4 mètres. Au milieu se trouve une fente, à gauche. qui traverse la voûte de droite à gauche en sens oblique, et se prolonge de manière qu'elle permet d'y pénétrer à une certaine profondeur, en franchissant un plan incliné et formé par des stalactites qui se trouvent au pied, et qui continuent à s'agrandir près de cette fissure.

La voûte descend de plus en plus vers le bout et des deux côtés; partout se trouvent des pierres de différentes dimensions, qui augmentent la difficulté de pénétrer plus avant.

C'est dans cette seconde galerie que les stalactites, de différentes formes, sont le plus abondantes; un cône entre autre se trouve à droite près de l'entrée, il semble soutenir la voûte; d'autres la tapissent sur toute la largeur et descendent sur ses parois. Elles abondent surtout près de la fente dont je viens de parler; du reste, aucune d'elles ne présente cet aspect d'un blanc éclatant qui les caractérise; leur couleur est d'un blanc sale grisâtre, et même leur cassure est souvent terreuse.

C'est sur le sol de la grotte, et là seulement, que se trouve étendue la terre argileuse d'une épaisseur variable, qui contient les ossements entremêlés de pierres de différentes dimensions, d'un à deux mètres cubes à un poing, appartenant pour la plupart au même rocher, et en général anguleuses; néanmoins quelques unes sont arrondies ou d'un côté ou en totalité; plusieurs fragments de silex et de cailloux de quartz s'y rencontrent. La terre à ossements est assez meuble, repose sur une terre argileuse très compacte, ou sur le fond qui est formé par le rocher, et entre des pierres de différentes dimensions; cette terre, dont la couleur est d'un jaune grisâtre, est grasse au toucher, quelquefois elle prend une teinte plus noirâtre près des ossements.

Ce limon est, en général, recouvert d'une couche de stalagmite plus épaisse surtout là où le roc a des fentes latérales et sur les côtés; son épaisseur varie de quelques centimètres à deux décimètres; la cassure est le plus souvent terreuse, tantôt lamellaire, et dans ces endroits elle est le plus épaisse; elle prend l'aspect cristallin à sa face inférieure; souvent elle couvre les ossements immédiatement; dans ce cas, la couleur est d'un jaune grisâtre; tandis qu'elle est, en général, d'un blanc sale. En certains endroits, cette couche de stalagmite est couverte par la terre végétale, qui a été amenée par les fissures; c'est ainsi qu'à gauche, dans la seconde galerie, il se trouve une ouverture latérale, aujourd'hui remplie de terre végétale, qui en empêche l'entrée.

Mes premières recherches faites dans cette caverne, m'ont fourni plusieurs ossements étendus sur le sol, et même dans les parties les plus reculées, un squelette presque entier appartenant au loup, quelques ossements de renard, de mouton et de chauve-souris; ces derniers se trouvaient surtout dans les coins derrière les pierres. L'aspect de ces os; et la manière dont ils étaient dispersés, prouvaient à l'évidence qu'à une époque peu éloignée, ils y avaient été déposés par un accident quelconque; il en est de même de quelques morceaux de fer, de poterie et de bois très décomposé.

Ecartant tous ces débris étrangers au but de mes recherches, j'examinais avec soin la première galerie, qui ne m'a présenté que quelques ossements, nommément d'ours, d'hyène, de ruminants et de cheval, malgré les fouilles faites avec régularité.

La seconde galerie m'en a fourni davantage, quoiqu'en général ils y soient rares; un seul endroit néanmoins m'a fourni des dents de rhinocéros, de cheval, d'ours, d'hyène, de campagnol, de ruminants, etc. tous couverts d'une légère couche de stalagmite, et dispersés entre des pierres de différentes dimensions.

C'est dans le limon même que j'en ai retiré: le plus; mais cependant en petit nombre, dispersés çà et là à différentes profondeurs, qui varient de quelques centimètres à 4 mètres et davantage; on en rencontre de très bien conservés; d'autres, et c'est le plus grand nombre, sont très mutilés et indéterminables. Aucun n'a été rongé; plusieurs fragments ont les angles arrondis. Enfin; les os des extrémités, de forte dimension, ont été brisés., fendus, et se trouvent à cote de ceux qui ont conservé leurs plus petites éminences.

L'état de conservation est très diffèrent; plusieurs dents, qui ont conservé leur émail naturel, contiennent beaucoup de gélatine, et leur pesanteur spécifique ne diffère pas beaucoup, de celle des os récents; d'autres trouvés dans le même endroit, à la même hauteur, sont décomposés, au point qu'ils tombent en poussière quand on les touche; ils sont beaucoup plus légers, leur cassure est plutôt terreuse que squalleuse; d'autres conservent une certaine élasticité lorsqu'on les plie.

Les os de chauve-souris, de taupe et des oiseaux que l'on y trouve, quoique plus bas que les os d'ours, etc. sont d'un degré de conservation rare.

Un caractère qui est commun à tous, c'est de happer à la langue, caractère qui est en raison directe avec le degré de décomposition dépendant d'une moindre présence de gélatine.

Il est évident que les os d'une texture spongieuse, sont plus altérés que ceux dont la texture est compacte, et ceux-là ont conservé leur émail.

La couleur de ces ossements fossiles est très variable; en général, dans cette localité, elle est noirâtre, néanmoins plusieurs sont d'un blanc jaunâtre, d'autres tachetés en noir; enfin, quelques-uns sont noirâtres d'un côté, tandis que l'autre est jaune.

J'ai remarqué que cette différence de couleur dépend de la présence de l'eau qui y a filtré ou qui y filtre encore; ainsi en certains endroits où le sol est très humide, ils présentent cette teinte noirâtre, tandis que ceux qui sont déposés dans les endroits plus secs conservent la couleur jaunâtre; ceux dont l'aspect est noir offrent une couleur blanche dans la cassure.

Plusieurs sont, en grande partie, revêtus d'une couche de stalagmite; débarrassés du limon et séchés, ils se fendent plus ou moins profondément sur toute leur surface; d'autres se réduisent facilement en fragments.


SECTION VII.

CAVERNE DE GOFFONTAINE.


Mais la plus riche des cavernes dans le vallon de la Vesdre, et peut-être la plus abondante en ossements fossiles de toute la province de Liège, est celle qui est située à Goffontaine, dépendance de la commune de Fraipont, à quatre lieues dans la direction E. S. E. de Liège, sur la rive droite de la Vesdre. Un rocher de calcaire anthraxifère se présente à nu, longeant la grande route dans la direction S. E. jusqu'à Flaire.

A Goffontaine, ces couches calcaires sont dressées perpendiculaire-ment, alternant du côté du N.-E., avec le schiste argileux. A côté de la grande route, on aperçoit une ouverture peu profonde, creusée dans les couches perpendiculaires de ce calcaire; elle regarde le N.-O, est haute de 3 sur 7 mètres de large à sa base. La partie supérieure de cette ouverture est remplie d une masse, consistant en cailloux roulés et en pierres anguleuses de différentes grandeurs, provenant de la même roche, le tout soudé ensemble par des stalactites. La partie inférieure de la cavité, en cet endroit, est remplie de terre et de pierres, entre lesquelles se trouvent des ossements fossiles ( V. la planche VI).

Autrefois cette caverne joignait les bords de la Vesdre, mais la construction de la grande route a exigé que l'on enlevât sur toute la largeur de la chaussée une partie de la colline, qui est aussi devenue plus apparente, et bien certainement une quantité d'ossements a été enlevée et détruite par l'ignorance des ouvriers.

D'ailleurs, quoique l'entrée soit petite et peu profonde, parce qu'elle est totalement remplie, tout porte à croire que cette caverne a une grande étendue, c'est-à-dire, qu'à Flaire où ce rocher de calcaire est très développé (à une demi lieue de Goffontaine), une branche de la Vesdre se perd en cet endroit, et reparaît, en dessous de la caverne, à Goffontaine, à deux mètres plus bas que le niveau du chemin, qui est à la même hauteur que l'entrée de la caverne.

En construisant ce chemin on a été obligé de couvrir ce ruisseau avec des pierres, pour que la terre qui s'éboulait continuellement n'interceptât pas son cours

Comme on a exploité depuis des années le calcaire en cet endroit il serait difficile de se rendre compte d'une manière exacte de la situation de cette colline, surtout à la partie supérieure. Avant l'exploitation du calcaire, dont on a laissé une partie au-dessus de l'ouverture, il est à présumer que là les couches se joignaient, et qu'il n'a pu y avoir fente que sur la partie antérieure, qui a été enlevée lors de la construction de la route.

En exploitant continuellement des pierres à construction à la partie supérieure et latérale de cette caverne, on rencontra une masse de terre et de pierres; ce qui causa un grand désappointement au locataire de cette exploitation. Ce fut au mois d'avril 1831 que je me rendis dans cet endroit, et je vis avec plaisir que cette terre contenait des ossements fossiles; je me félicitais de voir la coupe latérale de cette caverne de 20 mètres de long, sur une hauteur de 2 à 3 mètres. En effet on n'avait touché à cette terre que dans la partie postérieure.

Cette coupe (planche VII) représentait à sa partie supérieure une masse de pierres anguleuses et arrondies, provenant en partie du même rocher, collées fortement ensemble par une concrétion stalactifère, analogue à celle qui remplit la partie supérieure de l'entrée.

Immédiatement sous cette couche, se trouvait une deuxième couche de l'épaisseur d'un demi mètre, composée uniquement de terre argileuse, qui contenait des ossements en petit nombre, mais parfaitement conservés, et des pierres arrondies et d'autres anguleuses provenant des roches environnantes.

Une troisième couche différente se montra sous cette dernière; elle était composée d'un amas de pierres, d'une terre argileuse, mais d'une couleur brun noirâtre sale, qui devient blanchâtre lorsqu'elle est séchée; elle est grasse au toucher et répand une odeur désagréable et de moisi.

Les pierres contenues dans cette terre sont le plus souvent arrondies; quelques-unes sont anguleuses, c'est du schiste argileux, des cailloux de quartz, du silex, des fragments de grès rouge, du tuf calcaire et de grandes masses de calcaire anthraxifère. La dimension de ces pierres varie de la grosseur d'une noisette jusqu'à la grandeur de 3 à 4 mètres; les pierres schisteuses sont souvent très décomposées, et plusieurs d'entre elles offrent des cassures qui datent de leur dépôt.

C'est entre ces pierres et dans la terre qui forme, pour ainsi dire le remplissage de cette grotte, que se trouve une quantité nombreuse d'ossements fossiles à différentes hauteurs. ( Voyez planche VII, A. )

Cette couche était, au commencement, de l'épaisseur d'un mètre, mais plus on avançait vers la caverne, plus elle devenait puissante.

De distance en distance, j'y ai rencontré de la terre durcie, même de la brèche contenant des pierres et des ossements. Mais jusqu'à présent je n'ai pu apprécier exactement l'épaisseur de la couche la plus riche en ossements; tout me porte à croire qu'elle s'enfonce très profondément et il est plus que probable qu'elle s'arrête sur le ruisseau qui passe en dessous de ce dépôt. En effet, dans les fouilles que j'ai faites à l'entrée de ce souterrain j'ai été arrêté par ce ruisseau.

Du reste, dans !a coupe longitudinale dont je viens de parler, j'ai fait enfoncer à la profondeur de plus de 4 mètres, et partout j'ai rencontré des ossements, qui, dans la partie inférieure, en quelques endroits, deviennent plus abondants. Mais la terre étant plus humide, les ossements sont décomposés à tel point qu'ils ne présentent qu'une poussière ayant conservé les contours d'une tête, d'un humérus, d'un fémur, etc.

Les os sont très disséminés dans cette caverne; on en trouve à toute hauteur, comme je viens de l'indiquer, dans la terre glaise et dans la terre à ossements proprement dite, et entre les pierres, sans y découvrir la moindre trace de terre. Ni la pesanteur spécifique, ni le volume des os ne paraissent avoir eu une influence sur cet amas; car quelle que soit l'attention que j'ai apportée dans mes fouilles pour pouvoir tirer quelques conséquences de la stratification de ces ossements, jusqu'à présent je n'y ai trouvé que le plus grand désordre.

Ainsi dans les nombreuses fouilles que j'ai faites depuis deux ans, j'ai retiré de cette caverne seule une suite de vertèbres au nombre de treize, sept dorsales et les six lombaires avec le bassin; ce dernier est mutilé; mais le tout provient d'un même individu.

Ces os gisaient entre deux grosses pierres, sur une largeur de 2 mètres; parmi eux se trouvait aussi une tête mutilée, et des fragments d'os des extrémités.

Il est impossible de se former une idée de la manière dont ces os se trouvent disposés entre les pierres, à tel point qu'il faudrait beaucoup d'adresse pour remettre les os entre les pierres comme on les trouve; les ouvriers les moins attentifs ne manquent pas de faire la réflexion que les plus beaux de ces restes se trouvent constamment entre les pierres d'une dimension plus ou moins forte, et cette circonstance devient le plus souvent un obstacle invincible pour les obtenir bien entiers.

En proportion du nombre d'ossements que cette caverne renferme, peu d'entre eux sont bien conservés, si ce n'est ceux d'une petite dimension qui n'ont éprouvé aucune altération dans leurs éminences.

Les dents, les os du carpe, du métacarpe, ceux du tarse, du métatarse et les phalanges y sont les plus abondants et les mieux conservés. Le nombre de dents que j'en ai déjà retirées, est considérable; elles ont appartenu à plusieurs centaines d'individus, nommément d'ours, qui ont été conservés dans cet endroit.

Des têtes, des demi mâchoires, des os des extrémités, même des dents ont été écrasés entre les pierres; l'humidité de la terre a consumé, en quelques endroits, en partie, les côtes et les vertèbres, dont les débris s'y trouvent en grand nombre.

Il est important de faire observer que l'on distingue parfaitement de vieilles cassures dans ces débris; les fragments se trouvaient déposés dans une même place, ou bien les fragments appartenant à une seule pièce se trouvent éloignés de quelques mètres. Il n'est pas rare d'en retirer des os, qui, après avoir été cassés, ont été réunis par une infiltration calcaire. Plusieurs os longs sont privés d'une ou des deux extrémités; ces cassures sont parfois anguleuses; mais le plus souvent elles sont arrondies, et je possède une quantité de dents et des ossements, entrant dans la composition du squelette, qui marquent à l'évidence que ces os ont été arrondis en roulant longtemps avant d'avoir été déposés dans cette caverne.

Quant à la couleur de ces ossements, elle varie du blanc jaunâtre au gris noirâtre: ainsi ceux que l'on extrait de la terre glaise ont une couleur blanchâtre, tandis que ceux que l'on retire de la terre, qui abonde en ossements, sont d'une couleur brunâtre, variant jusqu'au noirâtre.

J'ai déjà fait observer plus haut que le degré de décomposition de ces os est très différent; il n'est pas rare d'en trouver qui contiennent encore une partie de leur gélatine, à côté d'autres qui en sont totalement dépourvus, et qui tombent en poussière.

Des individus de tout age nous ont transmis la preuve de leur existence, par les débris que nous en découvrons tous les jours; nous avons même retiré des restes de foetus, qui ont appartenu à l'espèce d'ours, dont l'analogue n'existe plus, qui se sont parfaitement conservés, tandis que les débris des individus très vieux ont subi lé plus haut degré de décomposition.




CHAPITRE III.

DES OSSEMENTS FOSSILES HUMAINS.

REFLEXIONS GENERALES.

Réfuter les différentes opinions qui ont existé, et qui, de nos jours, existent encore sur la question de savoir, si l'on a trouvé réellement des ossements humains a l'état fossile, ce serait répéter une foule de conjectures basées sur des cas incomplètement rendus ou mal observés.

On a longtemps nié l'existence de ces ossements, et on a soutenu avec chaleur, que jamais on n'en avait rencontré de notre espèce dans les couches régulières.

Cette assertion appuyait l'hypothèse gratuite, que l'homme n'a paru sur la terre qu'à une époque où notre globe avait pris sa forme actuelle; que, n'ayant point alors de données exactes sur les restes humains que l'on devait avoir trouvés avec ceux de l'ours, de l'hyène, etc., soit dans les cavernes, soit dans les fentes, on en concluait que leur présence n'y est qu'accidentelle.

S'il faut en croire ceux qui admettent que l'apparition de l'homme a eu lieu lorsque la forme de notre terre avait pris son aspect actuel, ce serait donc après la destruction de plusieurs espèces; mais quoique MM. de Luc et Cuvier nient positivement l'existence des ossements fossiles humains, le dernier de ces savants ne conteste pas l'existence de l'homme à l'époque où des espèces gigantesques peuplaient la surface de la terre , lesquelles, lors de la dernière catastrophe, ont été totalement détruites. Mais si, d'un côté, nous savons que souvent les naturalistes ont été obligés de renoncer à des opinions erronées, dues à des relations fausses et à des descriptions fabuleuses; d'un autre côté, nous ne nous étonnerons point de voir anéantir par de nouvelles découvertes faites dans les ossements fossiles, des théories empreintes d'erreurs graves, et qui ont été trop longtemps en crédit.

Ces erreurs ont été d'autant plus faciles à commettre, qu'il a fallu se déterminer d'après des restes le plus souvent mal conservés, provenant pour la plupart d'êtres dont les analogues nous sont inconnus. De là donc les erreurs, les relations bizarres, fabuleuses et idéales que l'on nous a données lors des découvertes d'ossements fossiles.

Mais une autre considération me semble mériter quelque attention. Je dirai que l'on a été inconséquent d'exclure les restes fossiles de l'homme, d'après le peu de surface que l'on a encore fouillé dans les cavernes, et, à plus forte raison, dans le terrain meuble. Lorsque l'on aura exécuté des fouilles sur tous les points du globe que nous habitons, lorsque l'on y aura apporté tous les soins nécessaires, et qu'aucun reste n'aura échappé aux recherches, supposez qu'il ne s'y rencontre aucun os humain, alors nous serons en droit de nier l'existence de notre espèce à une époque très éloignée.

Mais conclure de quelques fouilles, faites le plus souvent au hasard, et même sur une petite étendue de notre globe, c'est, ce semble, trancher avec trop de légèreté une question singulièrement difficile.

Quant aux cavernes que l'on a visitées jusqu'aujourd'hui, je suis porté à croire que l'on a négligé d'y recueillir quantité de restes autres que ceux d'ours, d'hyène; et, à quelques exceptions près, il nous manque absolument des renseignements complets sur les exploitations régulières des cavernes, et tout nous prouve que jusqu'à présent, ces recherches ont été faites d'une manière très inexacte.

Du reste, ne perdons pas de vue qu'aussi longtemps que l'on n'aura pas exploité ces cavernes avec tous les soins possibles, en se rendant compte de la position et de l'état de ces ossements, il serait presque absurde de conclure que l'on n'a pas retiré des restes fossiles humains.

Pouvons-nous parvenir à connaître l'age de l'espèce humaine ? Ces restes, trouvés dans quelques cavernes, datent-ils de l'époque à laquelle ont été détruits l'éléphant, le rhinocéros, l'ours, l'hyène, etc. dont les espèces sont perdues ?

En abordant cette question, dont nous sentons toute l'importance, et dont, d'ailleurs, nous ne voulons que tracer ici les points les plus saillants, nous avouons que nous ignorons complètement l'époque précise où l'homme a paru sur le globe. L'histoire semble ici nous abandonner, et nous nous perdons dans la mythologie ou dans les diverses cosmogonies, aussitôt que nous voulons arriver à la solution de ce problème; mais si l'antiquité ne nous a pas laissé des documents positifs à ce sujet, néanmoins elle nous instruit jusqu'à un certain point des progrès du développement intellectuel de notre espèce. Personne ne soutiendra, en effet, que l'homme primitif soit resté longtemps dans un état d'ignorance, qui le rapprochait de la brute, ne pourvoyant qu'à ses premiers besoins; du reste, d'après l'histoire, qui, pour le dire en passant, ne nous a laissé que des données vagues, incertaines, même contradictoires sur l'origine des premiers peuples, il nous semble impossible de soutenir que l'espèce humaine n'ait pas partagé, au moins jusqu'à un certain point, le sort des révolutions terribles qui se sont succédé avant les temps historiques.

Toute tentative de l'esprit humain s'arrête là où des données positives sont refusées à ses recherches; tout moyen cependant ne lui est point interdit; il recourt à la loi des probabilités, et c'est par ces lois mêmes qu'il remonte souvent à la source des choses.

Deux systèmes, diamétralement opposés, ont partagé les savants sur la question de l'apparition de l'homme sur la terre. L'un l'admet à une époque un peu trop rapprochée, tandis que l'autre exagère peut être sa haute antiquité. Quoique nous n'aimions pas à prendre parti dans cette controverse, nous ne pouvons cependant dissimuler que les deux hypothèses sont hérissées de difficultés.

En effet, admettons que le berceau de l'espèce humaine ait été placé dans les Indes, et, ce qui est peu probable, que c'est d'un seul couple que sont provenues toutes les nations qui habitent la terre connue. Combien, dans ce cas, a-t-il fallu de siècles pour peupler ces contrées, là où l'homme a pris son origine, enfin pour s'étendre sur toute la surface ? L'histoire ne prouve-t-elle pas que les premiers navigateurs ont rencontré dans tous les pays des habitants ? Ces faits me semblent mériter quelque considération pour prouver en faveur de l'antiquité de notre espèce. Les progrès dans les arts et les sciences, faits par tant de peuples différents, déjà même avant qu'ils fussent en rapport avec d'autres nations, la variété des cultes, qui sont toujours si lents à s'organiser, tout enfin nous oblige à considérer avec réserve la question de l'apparition de l'homme, quelques siècles seulement avant l'histoire connue. Combien, au reste, a-t-il fallu de siècles pour créer ces différents cultes, dont quelques-uns n'ont pas perdu, sur une grande étendue, la trace de leur origine, même dans les pays qui avoisinent l'Europe? Cela ne prouve-t-il pas que, dés la plus haute antiquité, ces peuples ont conservé, sans altération, les usages dus à leur première organisation civile; or, si l'on réfléchit à la lenteur progressive du développement de l'esprit humain, on y trouvera une nouvelle preuve de son ancienneté, et quel que soit l'orgueil que nous inspirent les progrès toujours croissants de la civilisation, nous ne pouvons ignorer, dans ce siècle de lumières, que nous devons encore rougir de l'ignorance de la masse, qui a la prétention, mal fondée, d'être si instruite. Si nous appliquons ces considérations à la marche naturellement lente de la civilisation chez les premiers peuples, dénués de notions et d'expérience pour guider leur pas, et forcés, pour ainsi dire, de marcher à tâtons, nous en conclurons que tous les calculs sont infructueux, et même impossibles, pour fixer l'âge de la race humaine.

Les opinions des auteurs, nous ne l'ignorons pas, sont très différentes sur l'origine de l'histoire. En résumé, personne n'est d'accord, et sous ce rapport, nous ne pouvons que nous borner à conseiller la lecture des ouvrages de MM. Belnstad, Kruger, Link, Cuvier et autres.

En effet, nous n'osons point fixer l'origine de notre globe, d'après les idées abstraites qui ont existé à des époques déjà très reculées. C'est dans le grand livre de la nature que nous devons puiser les lumières, lorsque l'histoire ne nous fournit que des données vagues et inexactes.

Il en est de même pour l'origine des peuples; dans les premiers ages, c'étaient les seuls ministres des cultes qui possédaient quelques notions verbales, communiquées par leurs prédécesseurs, sur l'histoire de leur pays; certes de tels renseignements ne sont d'aucun poids pour l'étude des sciences physiques.

Mais abandonnons le champ si vaste des conjectures, et reprenons ce point difficile des fossiles humains, qui ont fait l'objet de tant de discussions entre les hommes célèbres, auxquels la science des fossiles doit à jamais son existence. Si ces mêmes auteurs ont reconnu et rectifié une foule d'erreurs, qu'ils ont eu le mérite de détruire, faut-il s'étonner que tout ne soit pas encore achevé ? Plus que tout autre branche de l'histoire naturelle, celle des fossiles sera toujours, jusqu'à certain point, la plus incomplète, parce que l'occasion ne se présente pas toujours, et que beaucoup de restes ont échappé jusqu'à présent à l'observateur. De nouvelles découvertes seules peuvent nous donner des idées plus complètes, et peut-être plus admissibles, sur l'état de notre globe avant la dernière époque.

Des hommes au niveau des connaissances géologiques doivent, plus que les autres, être dépouillés de préjugés; il est incompatible avec l'étendue de ces connaissances de vouloir resserrer la puissance créatrice dans de certaines limites que nous ne pouvons fixer, et alors les erreurs ne proviennent que du manque d'observation.

Nous possédons déjà des données assez importantes sur les ossements humains pour en indiquer rapidement l'histoire.

Esper, un des premiers qui ait visité la caverne si célèbre du Gailenreuth, avait déjà recueilli, parmi les restes d'ours, si communs dans cet endroit, et dans une des parties les plus reculées de cette cavité, un morceau de la mâchoire inférieure, et une omoplate humaine; il est vrai que Esper, ministre protestant, ne possédait pas les connaissances nécessaires d'anatomie comparée, pour ne point commettre des erreurs dans la détermination des os fossiles; mais déjà à cette époque l'anatomie de l'homme était trop bien connue en Allemagne, pour que les amis de cet auteur eussent pu se méprendre sur les caractères si distincts de ces restes; je suis même surpris qu'aucun auteur moderne n'ait fait mention de cette découverte des fossiles humains faite par Esper.

Rosenmuller, ayant visité ces cavernes quelques années après, y a reconnu des squelettes humains entiers; mais la disposition régulière de ces restes lui a prouvé à l'évidence qu'ils y avaient été déposés par la main des hommes, par conséquent à une époque récente, qui ne nous intéresse point. Les squelettes humains de la Guadeloupe, d'après M. Cuvier appartiennent aussi à une date récente.

La question des fossiles humains a été examinée dernièrement en Allemagne et en France, avec plus d'attention; on trouve des mémoires composés sur ce sujet, par Peghoux. (Lecoq, Annales de l'Auvergne; t. III; 1830; janv. pag. 1-19, avec une note de Croizet); par Boué (Férussac, Bullet. des Sciences natur., 1829); et les relations faites par M. Marcel de Serres n'ont pu donner des preuves positives touchant cette grande question. De nouvelles découvertes peuvent un jour décider, pour ces pays, ce que le nôtre met dès à-présent hors de doute, c'est-à-dire que les ossements humains ont été ensevelis à la même époque et par la même cause que ceux des restes des races éteintes.

Nous trouvons en outre une notice dans le Journal de MM. de Leonhard et Bronn, qui énumère plusieurs faits; le jugement impartial de l'auteur nous paraît conforme à tout ce qui a été dit de plus raisonnable sur ces ossements humains.


DES OSSEMENTS FOSSILES HUMAINS EN PARTICULIER.


L'ordre de notre travail nous prescrit maintenant de jeter un coup d'oeil à travers toutes les opinions divergentes, et d'exposer les faits les plus remarquables que nous avons observés.

Outre les deux cavernes dont il sera spécialement question ici, quant aux ossements humains, je connais encore deux localités qui m'ont déjà fourni des traces de la présence des restes de notre espèce; mais je ne me prononcerai, à cet égard, que lorsque j'aurai étudié soigneusement le gisement, et achevé les fouilles de ces cavernes.

Les ossements humains sont trop connus pour que j'aie besoin d'entrer dans la description détaillée de ces débris. Il est plus important de ne rien négliger sous le rapport de leur gisement, et d'abord j'observe que ces restes humains, qui sont en ma possession, sont, comme les milliers d'os que j'ai exhumés depuis peu de temps, caractérisés par leur degré de décomposition, qui est absolument le même que ceux des espèces éteintes ; tous sont cassés, à quelques exceptions près ; quelques-uns sont arrondis, comme cela a souvent lieu dans les ossements fossiles d'autres espèces. Les cassures sont verticales, ou obliques; aucun ne porte des traces de dérosion; la couleur ne diffère point de celle d'autres ossements fossiles, et varie du blanc-jaunâtre au noirâtre. Tous sont plus légers que les os frais, à l'exception de ceux qui sont couverts d'une couche de tuf calcaire, ou bien dont les cavités sont remplies dune pareille concrétion.

Le crâne que j'ai fait représenter, planche I, fig. 1-2, est d'un individu âgé. Les sutures commencent à s'effacer; tous les os de la face y manquent, et il n'y- a qu'un fragment de l'os temporal du côté droit qui a été conservé.

La face et la base de ce crâne ont été enlevées, avant qu'il fût déposé dans cet endroit, puisqu'après avoir exploité régulièrement toute cette caverne; nous n'avons pu trouver ces restes. C'est à un mètre et demi de profondeur que nous rencontrâmes ce crâne, caché sous une brèche osseuse, composée de restes de petits animaux, et contenant une dent de rhinocéros, et quelques-unes de cheval et de ruminants. Cette brèche, dont nous avons parlé p. 31, avait la largeur d'un mètre, s'élevant à un mètre et demi au-dessus du sol de la caverne, et adhérant fortement à la paroi.

La terre, qui contenait ce crâne humain, n'indiquait aucun dérangement; des dents de rhinocéros; de cheval; d'hyène et d'ours l'entouraient de toute part.

Le célèbre Blumenbach a exposé les différences dans la forme et les dimensions des crânes humains des différentes races. Cet important ouvrage nous aurait été d'un important secours, si la face partie essentielle pour déterminer avec plus ou moins de certitude la race ne manquait pas à notre crâne fossile. Nous sommes convaincu que; d'après un seul échantillon, nous ne pouvons nullement nous prononcer avec certitude; quand même cette tête serait complète; car les nuances individuelles sont si nombreuses dans les crânes d'une même race, que l'on ne peut, sans s'exposer aux plus grandes inconséquences, conclure d'un seul fragment de crâne pour la forme totale de cette tête.

Néanmoins, pour ne rien négliger concernant la forme du crâne fossile que nous avons recueilli, nous ferons observer que la forme allongée et étroite du front a fixé d'abord notre attention.

PL. I - S. MATHIEU D'APRES NATURE ET LITH

En effet, le peu d'élévation du frontal, son étroitesse et la forme des orbites, le rapprochent plus du crâne de l'Éthiopien que de celui de l'Européen; la forme allongée, et l'état développé de l'occiput, sont encore des caractères que nous croyons avoir remarqués dans notre crâne fossile; mais pour écarter tout doute à cet égard, j'ai fait représenter le contour du crâne d'un Européen, et d'un Éthiopien, et les fronts représentés planche II, fig. 1, 2, même planche, fig. 3 et 4, suffiront pour faire distinguer les différences; et un seul coup d'oeil jeté sur ces figures, en dira plus qu'une description longue et ennuyeuse.

PL. II - S. MATHIEU D'APRES NATURE ET LITH

Quel que soit le jugement que l'on porte sur l'origine de l'individu d'où provient ce crâne fossile, on peut, ce nous semble, émettre son opinion sans s'exposer à une controverse dont l'issue serait sans résultat positif. Chacun, du reste, est libre de choisir l'hypothèse qui lui parait la plus fondée; quant à moi, il m'est démontré que ce crâne a appartenu à un individu dont les moyens intellectuels ont été peu développés, et nous en concluons qu'il provient d'un homme dont le degré de civilisation ne devait être que peu avancé, ce dont nous pouvons nous rendre compte en confrontant la capacité du front avec la partie occipitale.

Un autre crâne, d'un individu jeune, se trouvait sur le fond de cette caverne, à côté d'une dent d'éléphant; ce crâne était entier jusqu'au moment où je voulus le recueillir, il tomba alors en pièces que je n'ai pu réunir jusqu'à présent; mais j'ai fait représenter les os de la mâchoire supérieure, planche I, fig. 5; l'état des alvéoles et des dents nous montre que les molaires n'avaient pas encore percé la gencive; des molaires de lait détachées, quelques fragments de crâne humain proviennent de ce même endroit.

La figure 3, représente une dent incisive supérieure humaine qui, par sa grandeur, est vraiment remarquable.

La figure 4, est un fragment de l'os maxillaire supérieur, dont les dents molaires sont usées jusqu'à la racine.

Je possède deux vertèbres, une première et une dernière dorsale.

Une clavicule du côté gauche, ( voyez planche III, figure 1 ); quoique ayant appartenu à un individu jeune, cet os annonce la taille assez grande de cet individu.

Deux fragments de radius, mal conservés, ne m'indiquent pas qu'ils aient appartenu à un individu dont les dimensions surpassaient la taille de l'homme, ayant cinq pieds et demi.

Quant aux restes des extrémités supérieures, ceux qui sont en ma possession se bornent a un fragment de cubitus et de radius. (planche III, fig. 5 et 6 )

PL. III - S. MATHIEU D'APRES NATURE ET LITH

La figure 2 de la planche IV, représente un os du métacarpe, contenu dans la brèche dont nous avons parlé; il se trouvait dans la partie inférieure, au dessus du crâne; joignons à cela quelques os du métacarpe, retirés de distances très différentes, une demi-douzaine de métatarsiens, trois phalanges de la main et une du pied.

PL. IV - S. MATHIEU D'APRES NATURE ET LITH

Voilà l'énumération succincte des restes d'ossements humains recueillis dans la caverne d'Engis. qui nous a conservé les débris de trois individus, entourés de ceux de l'éléphant, du rhinocéros, et des carnassiers d'espèces inconnues dans la création actuelle.

Vis-à-vis de cet endroit, sur la rive droite de la Meuse, est située la caverne d'Engihoul, où le même phénomène s'est présenté à nos recherches. Là, nous avons découvert une quantité plus nombreuse d'ossements humains; là aussi nous avons vu ces restes, mêlés sans distinction, avec les débris d'autres espèces fossiles., dans les conditions identiques à celles qui se présentent dans ces cavités.

Je ne possède de cette caverne que deux fragments des os pariétaux humains; ils sont cassés sur quelques points; et ces cassures paraissent avoir plus ou moins souffert par le frottement.

J'ai fait représenter, ( figure 6 de la planche I ), un fragment de la même mâchoire inférieure, dont les dents sont déjà très usées. J'y ai recueilli quatre dents molaires et une incisive, et plusieurs vertèbres; une entre autre se trouvait isolée à côté d'un fragment du fémur; et engagée dans une stalactite qui tenait fortement à la paroi de cette caverne; à la partie inférieure de cette brèche se trouve cette vertèbre dorsale accompagnée d'un os métacarpe du renard; on voit ce morceau, planche IV, figure 3.

L'omoplate humaine, dont la structure est si friable, s'y est moins conservée; j'en ai retiré un fragment très reconnaissable, ainsi que des restes de clavicules de deux individus au moins.

L'humérus planche III, figure 2, est du côté droit; il a perdu un quart de son extrémité supérieure; j'en ai un autre qui a perdu les deux extrémités; et la tête supérieure d'un troisième.

Cette même caverne m'a fourni trois cubitus, le plus grand a pu appartenir à un individu de la taille de cinq pieds et demi; j'en ai fait représenter un, figure 3, planche III.

J'en possède un autre, qui est très remarquable; la partie supérieure, ainsi que l'inférieure sont enlevées; mais à la partie supérieure de cet os; nous remarquons que la partie supérieure du radius est conservée, tous les deux ont été fracturés et aplatis dans cet endroit, comme nous le voyons dans la planche IV, figure I, A et B, où ces mêmes os sont représentés, vus de l'autre côté. Une couche de stalagmite, qui recouvre en partie la plupart de ces ossements humains, a pénétré dans ceux-ci entre les cassures, et a recollé les fragments, qui sont teints en jaune par l'oxyde de fer.

Quant aux radius, j'en ai deux bien entiers, l'un provient du même individu auquel appartient le plus grand cubitus. Voyez planche III, figure 4.

Plusieurs os du carpe, du métacarpe et des phalanges se font remarquer parmi ces débris humains.

Je n'ai que deux fragments du bassin, un de l'os innominé, l'autre du sacrum, tous les deux très mal conservés.

Je n'ai rencontré que deux fragments de fémur; l'un était collé contre la paroi de la caverne, et couvert de quelques pouces de terre; il a perdu ces deux extrémités, et la cavité de cet os renferme une concrétion stalactifère. L'autre n'est que la moitié inférieure, et mal conservé.

Les tibias y étaient plus rares; je n'en possède qu'un seul fragment de l'extrémité supérieure d'un individu jeune. Car la tête supérieure est épiphysée, tandis que, de cette même localité, j'ai retiré plusieurs fragments de péronés, et quelques rotules.

Enfin, trois calcanéums, cinq astragales, deux os naviculaires et quelques cunéiformes, plusieurs os du métatarse, et des phalanges des trois rangées, ainsi que plusieurs côtes plus ou moins bien conservées. Voilà ce qui forme le nombre assez considérable d'ossements humains, recueillis jusqu'à présent dans les cavernes de notre Province.

En résumé, ces débris trouvés dans la caverne d'Engis proviennent de trois individus. L'autre caverne nous a également fourni des restes certains de trois individus, dont le plus grand ne surpassait guère un homme de cinq pieds et demi, à l'exception de la dent incisive, qui est d'une grandeur énorme.

J'ai déjà fait observer que la couleur, le degré de décomposition et le gisement de ces ossements humains, ne se distinguent point des autres restes d'animaux fossiles de nos cavernes. De même que dans les débris d'ours, espèce la plus répandue dans ces cavités, les dents humaines, les os du carpe, du tarse, du métacarpe, du métatarse et des phalanges, étaient eu grand nombre dans la caverne d'Engihoul, et tous les os des extrémités étaient en général brisés, comme cela s'observe pour les restes fossiles d'autres animaux. Engis nous a fourni deux crânes humains et peu d'os des extrémités; Engihoul plusieurs os des extrémités et deux fragments de tête. En comparant ces deux faits avec ceux que présentent les cavernes qui, jusqu'à présent, nous out fourni le plus d'ossements d'ours, nous observons qu'à Chokier, les dents et les os des extrémités étaient le plus abondants, et à peine en a-t-on retiré des fragments de trois têtes; Goffontaine, la plus riche de toutes les cavernes connues de notre province en restes d'ours, m'a fourni jusqu'à présent un grand nombre de têtes, et elle abondait en même temps en os de tout le squelette.

Un autre fait remarquable, c'est le fragment de radius et de cubitus fracturés, et recollés par la stalagmite. Ce même cas se rencontre souvent dans les cavernes, et je conserve plusieurs os, nommément d'ours, qui, après avoir été brisés, ont été recollés ensemble.

Nous voyons donc l'analogie frappante, en tout point, des restes humains, avec ceux des espèces fossiles que tout le monde reconnaît comme n'ayant pas été déposés par hasard. En effet, si un accident avait introduit ces ossements humains dans ces cavernes, c'est qu'ils y auraient été déposés après par les mains des hommes; mais pourquoi n'ai-je pas rencontré un squelette entier ? Que sont devenus les têtes et les autres restes du squelette des trois individus d'Engihoul ?

D'où vient que nous n'avons retiré que deux têtes, et presque pas de restes du squelette à Engis ? Ceci tient certainement à des causes accidentelles lors du dépôt ; mais ces faits sont trop bizarres pour que nous puissions les attribuer à un accident postérieur: car quoique j'aie redoublé d'attention, aussitôt que j'ai retiré le premier reste d'ossements humains, quoique j'aie épuisé tous les moyens pour en expliquer la présence accidentelle ; j'ai été obligé de renoncer à toute explication à cet égard.

J'ai abandonné les hypothèses établies jusqu'à présent, et j'ai fini par conclure que ces restes humains ont été enfouis dans ces cavernes à la même époque, et par conséquent par les mêmes causes qui y ont entraîné une masse d'ossements de différentes espèces éteintes.




CHAPITRE IV.

DES CAVERNES EN PARTICULIER.

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SECTION PREMIERE.

DES CHAUVE-SOURIS FOSSILES EN GENERAL.


Dans le grand nombre de débris recueillis dans les Cavernes, on distingue surtout ceux qui appartiennent à la classe des carnassiers, très riche en espèces.

Presque partout j'ai retiré des débris des mêmes espèces; cette particularité, assez remarquable, aurait pu fatiguer l'attention, et rendre, à la fin, très monotone, ce genre de recherches, eu égard aux espèces auxquelles ils ont appartenu. Mais quand on est porté d'inclination à suivre attentivement ces fouilles, on redouble de zèle dans l'espoir d'être récompensé par quelque nouvelle découverte. En effet, ce n'est pas sans les plus grands soins que l'on parvient à recueillir des débris d'une classe d'animaux aussi petits et aussi fragiles que le sont ceux des chéiroptères et des insectivores fossiles.

M. Buckland, qui est un des premiers qui ait exploite avec attention la caverne de Kirkdal, y a trouvé aussi des osselets de rongeurs d'une petite espèce; mais il paraît qu'il n'en a point retiré des restes d'insectivores. Les cavernes de notre province m'ont fourni non seulement un millier d'osselets de rongeurs de petites espèces, mais aussi, de plusieurs localités, j'ai retiré une quantité de débris de Chéiroptères et d'insectivores.

Il est probable que les débris de ces êtres ont échappé jusqu'aujourd'hui, à cause de leur petitesse, aux recherches des naturalistes, parce qu'ils gisent toujours entre les pierres, ou dans les petites ouvertures et fentes qui se trouvent dans les parois des cavernes. Quoi qu'il en soit, je crois avoir reconnu plusieurs espèces de la famille des chéiroptères et d'insectivores, que je regarde comme nouvelles parmi les nombreux débris des espèces fossiles des cavernes.

Un fait avéré, c'est que plusieurs espèces de ces familles ont existé déjà à une époque bien antérieure à celle dont nous étudions les restes dans nos environs; car le célèbre Cuvier s'exprime ainsi:

" A la tête des carnassiers je place une chauve-souris, tout récemment découverte à Montmartre, et du propre genre vespertillion, etc. "

Dans l'ouvrage de M. Kruger , je trouve également mentionné, que, près de Solenhosen, on trouva, il y a quelques années, en exploitant la pierre calcaire, deux vertèbres du dos, et deux os des extrémités, qui ont le plus de ressemblance avec les os du milieu des doigts d'une chauve-souris; si je me rappelle bien, je crois que les os, retirés de cette localité, appartiennent à une espèce de vampire.

Ce qui est certain, c'est que le savant Cuvier ne nous donne point le nom de l'espèce; néanmoins l'existence de ce genre n'est plus douteuse, puisqu'on en a retiré des restes hors des couches d'une formation bien antérieure à celle du terrain diluvien, dont nous nous occupons dans nos recherches; toutefois il me semble prouvé qu'avant la dernière époque, le genre vespertillion habitait nos contrées, et les espèces dont je viens de recueillir les débris dans nos cavernes, prouvent qu'ils ont appartenu aux individus qui habitaient, avant cette dernière catastrophe de notre sol, les endroits où nous recueillons leurs restes.

Les savants ont émis des hypothèses différentes sur l'état du globe, sous le rapport de ses habitants, avant l'époque qui fait l'objet de nos recherches.

Je n'entreprendrai point de développer ici tous leurs différents systèmes; mais comme il s'agit d'hypothèses, je veux y ajouter la mienne, en ne la donnant toutefois que pour ce qu'elle peut valoir.

Le règne animal a pu, avant ce dernier cataclysme, être tel qu'il existe aujourd'hui; cette catastrophe a pu détruire pour toujours des espèces, même des genres, mais une partie a échappé, et a continué à se propager. La marche graduelle et régulière de la nature ne nous autorise point à adopter des phénomènes apparaissant trop brusquement dans la succession des êtres organisés.

Les nouvelles découvertes dans les fossiles nous conduiront à admettre une transition d'une époque à l'autre; car l'homme, sans contredit, existait avant le dernier bouleversement de notre planète; dès lors nous devons convenir que la création avait acquis tout son développement, et l'analogie des espèces actuelles avec les espèces fossiles du loup, du renard, de la taupe, du hérisson, de la musaraigne, etc. , porte à croire qu'ils ont dû échapper à cette destruction, pour multiplier leurs analogues comme nous les trouvons encore aujourd'hui.


SECTION II.


A. DES OSSEMENTS FOSSILES DU GENRE CHAUVE SOURIS.

Depuis Linnée., l'étude des Chéiroptères a pris une face toute nouvelle, par les ouvrages des Daubenton, Cuvier, Geoffiroy, Bechstein, Kuhl et Temminck.

L'importance de leurs travaux est justement appréciée par les naturalistes; cependant, malgré ces progrès, les efforts de ces savants distingués n'ont pu, jusqu'aujourd'hui, déterminer exactement une classe d'animaux dont la division est une des plus naturelles parmi les mammifères.

La nature est si variée dans ses produits, que le zèle des hommes les plus ardents ne suffit point pour dérouler un anneau de la vaste chaîne qu'elle a créée.

Et si de nos jours les vespertilions actuels ne sont pas encore bien déterminés, si l'âge et le sexe offrent des obstacles pour tracer irrévocablement les caractères ostéologiques de ces animaux, comment éviter les erreurs dans la comparaison des espèces fossiles ? Je ne me dissimule point que, dépourvu jusqu'à présent des squelettes nécessaires, je ne puis espérer un grand succès, en attendant, je me vois obligé, dans l'intérêt de la science, de signaler rigoureusement les différences des fossiles que je viens de recueillir.


B. DES DENTS DANS LES VESPERTILLIONS VIVANTS.

Dans les espèces existantes, le nombre de dents incisives dans la mâchoire supérieure varie. de 4 à 0, et elles sont presque toutes à l'état rudimentaire

Dans la mâchoire opposée, ce nombre varie de 6 à 2, et elles sont également souvent à l'état rudimentaire.

Les canines supérieures sont au nombre de 2, ainsi que dans la mâchoire inférieure; en n'admettant , dit le célèbre Cuvier, "pour dents canines que des dents à une seule racine, longues et crochues, placées entre les incisives et les fausses molaires, et qui passent en avant des canines supérieures."

Le nombre des fausses molaires varie de 2 à 6, dans la mâchoire supérieure, et de 4 à 6 dans celle qui lui est opposée. Mais toutes les chauve-souris ont trois dents molaires, dont la forme est très remarquable. Les deux premières sont semblables et ont la même grandeur; la dernière est composée d'une pointe, et la partie postérieure est aplatie.


C. DES CHAUVE SOURIS FOSSILES.

l° DES TETES.

En examinant avec soin les débris fossiles des vespertillions, je me suis convaincu que tout ce qui a été décrit sur l'ostéologie des espèces actuelles laisse encore beaucoup à désirer, comme moyens de comparaison dans l'étude des fossiles.

La figure I, A de la planche V, représente une tète en profil, la figure B, la même en dessous; les figures sont une fois plus grandes que nature. C'est la plus complète des trois têtes que j'ai retirées de la caverne du Fond de Forêt.

On y distingue l'étendue énorme du trou occipital, qui est arrondi et vertical. La portion squameuse de l'os occipital est peu élevée, très mince et fort convexe, les condyles presque transversaux, le corps étroit.

Le temporal se distingue par le développement considérable de la portion acoustique.

Les pariétaux sont confondus.

Les os intermaxillaires manquent.

Le jugal est extrêmement étroit, tout droit et dépourvu d'apophyse.

Tous ces caractères, que je viens d'énumérer, appartiennent exclusivement au genre vespertillion.

En examinant les dents de ces têtes, nous y voyons l'absence des incisives, la présence de deux canines, de deux fausses molaires et de six molaires.

Il n'y a que les alvéoles des canines qui nous indiquent leur existence dans les têtes que j'ai recueillies; les dents sont tombées, et il est impossible d'en étudier la forme.

Les fausses molaires sont très développées; une pointe s'élève sur une base triangulaire, qui se prolonge par un bord interne, dirigé obliquement en arrière.

Les deux premières molaires ont la même forme, et sont de la même grandeur; elles présentent, à leur face externe, deux prismes parallèles, terminés par trois pointes, dont les deux antérieures sont de même grandeur, tandis que la postérieure est plus petite. La base sur laquelle s'élèvent les prismes, se développe en dedans en forme d'une pointe triangulaire, et à la partie postérieure de cette même base se trouve une pointe ou bourrelet, qui se porte obliquement en dedans et en arrière.

La dernière molaire est de moitié plus petite que les autres; elle est composée d'un prisme et demi, la moitié postérieure est coupée obliquement; la base ne présente qu'une pointe triangulaire en dedans.

Il est certain que l'âge n'a pas influé sur le nombre de ces dents, dans le nombre de têtes que je possède, car parmi elles il s'en trouve une dont les pariétaux et l'occipital ne sont point encore consolidés; elle offre néanmoins le même nombre de dents.

Du reste, on ne saurait, sans le secours des squelettes nécessaires, se prononcer définitivement sur l'espèce à laquelle ont appartenu ces têtes, vu que le sous-genre Mégadermes, Rhinolophes, etc. Geoffr., a des os intermaxillaires cartilagineux, qui, dans les rhinolophes, portent deux incisives. Si ces os intermaxillaires manquent déjà souvent dans les squelettes des espèces existantes, et par-là augmentent la difficulté d'en déterminer les caractères; à plus forte raison il sera difficile d'en apprécier les différences dans les fossiles.

La figure 2, A et B, planche V, représente une des têtes de chauve souris, une fois plus grande que nature, très différente de celle dont nous venons de parler; elles étaient très abondantes dans la caverne de Goffontaine, d'où j'en ai retiré plus de trente. La grandeur et la forme de ces crânes sont très distinctes des précédents. L'os intermaxillaire manque à tous; le plus grand nombre de ces têtes a 4 incisives, 2 canines, 6 fausses molaires et 6 molaires.

Dans le nombre de ces têtes, il s'en trouve quelques-unes qui, quoique 'ayant la même forme, et étant de la même grandeur, offrent cependant une différence dans le nombre des dents; on en voit une, figure 3, même planche, également une fois plus grande que nature: j'y compte 6 molaires et 2 fausses molaires; le nombre des canines et des incisives étant le même que dans la tête, figure 2.

La première espèce fossile de Goffontaine se rapporte, pour le nombre des dents, aux vespertillion murin, vespertillion à moustache, vespertillion de Bechstein, vespertillion émarginé, vespertillion des terres Australes, vespertillion pipristelle du Brésil, et vespertillion krivoula.

Le même nombre de dents de la deuxième espèce fossile de Goffontaine, se trouve dans les chéiroptères actuels, du genre vespertillion de Geoffroy, Noctulion, Linn., Nyctères, Geoff.


MACHOIRE INFERIEURE.

Nos cavernes ne m'ont pas fourni moins de demi mâchoires que de têtes.

D'après la comparaison que j'ai entreprise sur plus de soixante demi mâchoires, plus ou moins complètes, j'ai obtenu les différences suivantes:

La première sorte, voyez pl. V, figure 8, une fois plus grande que nature, dont j'en possède trois, a 3 molaires; la dernière a la même forme, mais elle est un peu plus petite que les autres, qui se ressemblent parfaitement, tant pour la forme que pour la grandeur.

Dans ces demi-mâchoires, il ne reste que les alvéoles des fausses molaires, qui sont au nombre de 2; il y a une canine et les alvéoles de 2 incisives.

Ces demi-mâchoires se font remarquer par la petitesse de leur apophyse coronoïde, qui ne forme qu'une pointe peu élevée; l'apophyse crochue est au contraire très développée, se dirigeant en bas et en dehors. Il est certain que ces demi-mâchoires ont appartenu aux têtes de la figure 1 de la planche V car elles s'adaptent parfaitement, et la forme et le nombre des dents sont également en rapport avec ceux de ces têtes.

Deux mâchoires inférieures se sont trouvées dans le nombre des ossements fossiles des chauve-souris, dans la caverne du Fond de Forêt; elles sont un peu plus grandes que les précédentes. Je ne saurais indiquer le nombre des dents incisives, parce que dans toutes les deux la partie antérieure a été endommagée, l'alvéole de la canine y est très distincte; il y a les alvéoles de 3 fausses molaires, et 3 molaires; il y a donc une fausse molaire de plus que dans celle que je viens de décrire; mais ce qui la distingue encore de celle-là, c'est l'apophyse coronoïde, qui, dans cette espèce, est très développée; l'apophyse crochue se porte moins en bas et en dehors ( voyez dans la planche V la figure 7, une fois plus grande que nature ); ce qui donne plutôt à ces dernières mâchoires l'aspect et la forme de cette apophyse dans les carnassiers.

Les fouilles faites dans la caverne de Chokier m'avaient déjà fourni quelques demi-mâchoires du genre chauve-souris, d'une dimension plus petite; celle de Goffontaine m'en a jusqu'à présent procuré un très grand nombre, qui ont appartenu à une même espèce. Nous ne devons pas perdre de vue, que le gisement de ces restes, dans ces deux cavernes, était identique; que toute hypothèse, tendant à prouver que ces ossements y avaient été introduits à une époque postérieure, se trouve détruite par la position de ces restes, et par l'impossibilité qu'un seul fragment d'os ait pu être introduit après le dépôt.

Ce fait prouve irrévocablement, comme je l'ai déjà dit, qu'à cette époque plusieurs espèces de vespertillions habitaient nos environs.

Ces demi-mâchoires, dont je possède un grand nombre parfaitement conservées, ont toutes 3 incisives, 1 canine, 3 fausses molaires, dont deux normales, une anomale, et trois molaires qui ne diffèrent en rien des molaires des autres espèces dont nous avons donné la description.

Du reste, ces demi-mâchoires ( voyez sur la planche V la figure 9, A et B, une fois plus grande que nature ), ont appartenu aux têtes de la figure 2, même planche; elles s'y adaptent parfaitement, et on les trouve toujours ensemble.


2° DES OS DES EXTREMITES ET DU TRONC.

Les caractères ostéologiques distincts des chéiroptères en général, et des chauve-souris en particulier, lorsqu'on rencontre ces débris n'induisent nullement en erreur l'anatomiste un peu exercé; il en apprécie sans difficulté les différences.

L'omoplate des chauve-souris est plus grande et plus parfaite dans cette classe d'animaux que dans tous les autres mammifères. Chez tous les chéiroptères, cet os est fort allongé d'avant en arrière; chez les chauve-souris, il est plus étroit à cause des forts muscles qui s'insèrent au milieu de la face postérieure; en cet endroit cet os est fort concave.

On ne croirait point que des écailles osseuses, telles que le sont effectivement les omoplates de chauve-souris dont il s'agit ici, aient pu se conserver pendant un laps de temps aussi considérable que celui d'où date la destruction subite de ces animaux. Cependant j'en ai recueilli un grand nombre, et une quantité d'entre eux sont d'une conservation rare, tels que les représente la figure 14, planche V, qui, outre les caractères déjà décrits plus haut, nous indique par l'épine peu élevée, par l'acromium très long et fortement dirigé en avant, par son apophyse coracoide très longue, dirigée en dedans et en arrière vers le sternum, que ces omoplates ont appartenu à une espèce de chauve-souris, et très probablement à l'espèce des crânes trouvés à Goffontaine; je les ai recueillis dans les mêmes places, où gisent les têtes, les demi-mâchoires, etc.

Pour ne point entrer dans tous les détails descriptifs; que réclament les autres restes du squelette de ces nouvelles espèces fossiles, je me borne à en donner les figures, qui prouveront mieux qu'une longue description, que les os des extrémités et du tronc proviennent également de l'espèce du Fond-de-Forêt, et de celle de Goffontaine. Voyez l'humérus, figure l5, le cubitus, figure 16, 17, l8, 21, des os des doigts, figure 20, 22, une portion du bassin, figure 24, 1e fémur, figure 25, des vertèbres, figure 27, 35, et même une côte figure 26, de la planche V.


D. DES OSSEMENTS FOSSILES DU HERISSON.

DES DENTS DE LA MACHOIRE INFERIEURE.

Le Hérisson ordinaire, ( Erinaceus europas, Lin.) habite l'Europe; l'espèce auritus de Pallas, qui est plus petite, et répandue depuis le nord de la mer Caspienne jusque en Egypte, et les autres connues jusqu'ici, ont toutes une incisive inférieure de chaque côté, fort obtuse et couchée en avant; quatre fausses molaires, les trois premières à une racine dont la moyenne est la plus grande; la quatrième à deux racines, et trois molaires dont la première est la plus grande, et la pointe antérieure dans celle-ci est la plus développée; différence que je ne trouve point signalée par M. F. Cuvier dans son ouvrage sur les dents des Mammifères. La troisième de ces dents est très petite et n'a que trois pointes: une en avant et deux en arrière.

J'ai retiré trois demi-mâchoires de nos cavernes, une de celle d'Engihoul et deux de la caverne d'Engis; j'ai fait représenter la plus complète fig. 12, planche V. L'examen le plus scrupuleux m'a convaincu que ces demi-mâchoires ne diffèrent en rien de celles du Hérisson ordinaire; cette espèce étant bien connue, je m'abstiens de développer plus amplement l'identité de l'espèce fossile avec l'espèce actuelle.

Ce qui me paraît plus remarquable, c'est que ces os se sont trouvés dispersés, isolés, cassés, comme les restes des espèces éteintes, et à différentes profondeurs dans la terre à ossements; ce qui éloigne en même temps tonte possibilité d'expliquer la présence de ces ossements dans les cavernes comme accidentelle, c'est-à-dire, de supposer qu'ils y auraient été introduits plus tard.


E. MUSARAIGNE FOSSILE.

On connaît aujourd'hui déjà plus de 10 espèces de musaraignes surtout en Europe.

Les caractères des dents dans toutes ces espèces sont d'avoir à la mâchoire supérieure une incisive très forte, crochue à la base; postérieurement se trouve une dentelure qui est divisée en deux parties; une fausse molaire très forte vient immédiatement après l'incisive, ainsi que deux autres normales, mais de moitié plus petites que la précédente; elles sont suivies d'une quatrième rudimentaire, tandis que la cinquième est très grande et tranchante. Les 4 molaires suivantes sont de la même forme que celles que nous avons déjà décrites dans les chauve-souris; sauf les différences dans la forme des prismes, que nous extrayons de l'ouvrage de M. F. Cuvier . Il dit: " La base sur laquelle les prismes sont placés se compose antérieurement d'un tubercule pointu, et postérieurement d'une partie lisse aplatie: en outre le prisme antérieur de la première est moins développé que l'autre, et le prisme postérieur de la dernière ne s'aperçoit pas du tout. "

Dans la mâchoire inférieure il y a une incisive forte, pointue couchée horizontalement en avant. Deux fausses molaires succèdent immédiatement; elles sont de forme normale, grosses; la première petite, la seconde plus grande, terminée en pointe à sa partie antérieure. Viennent ensuite trois molaires, dont les deux premières sont de même grandeur, les pointes antérieures le double plus fortes que les postérieures. La dernière est une petite dent composée d'une seule pointe, formée de son prisme postérieur.

TETE DE MUSARAIGNE FOSSILE.

Les différences très marquées dans cette espèce fossile qui les distinguent des autres débris que nous venons de décrire, m'ont guidé, pour en saisir a l'instant même les caractères, dans 1a multitude de ces petits objets. En effet, la tête et les demi-mâchoires que je possède sont si bien conservées qu'il est impossible de s'y méprendre.

Nous voyons, planche V, fig. 5, une fois plus grande que nature, la partie antérieure bien conservée; cette portion est la plus importante, pour nous faire prononcer sur la différence qui existe entre la fossile et l'espèce actuelle; le nombre et la forme des dents de cette portion de tête ne me paraissent différer en rien du sorex araneus, Lin.: le seul point dans lequel la fossile s'écarte de cette dernière, c'est que la première a une fausse molaire de moins. Je ne crois pas cette différence assez notable pour qu'elle mérite d'être considérée comme essentielle à l'espèce fossile; l'âge ou le sexe a pu produire l'absence de cette dent, et quand même cette considération ne serait pas assez valable, on n'oserait pas encore conclure trop positivement d'après un seul échantillon d'une espèce toute nouvelle. Mais attendons jusqu'à ce que de nouvelles découvertes assez nombreuses viennent éclaircir le nombre normal des fausses molaires de la musaraigne fossile. Je suis cependant porté à croire qu'elle ne diffère en rien de l'espèce commune, et les demi-mâchoires, au nombre de quatre, que je possède, confirment ce que je viens de dire; car elles sont parfaitement semblables, tant pour la forme que pour le nombre des dents, à celle de l'espèce vulgaire ( voyez planche V, fig. 10 et 11, une fois plus grande que nature. ) Cette demi—mâchoire a été retirée de la caverne de Goffontaine, ainsi que la tête; les autres débris provenant de celle de Chokier n'offrent aucune différence avec celle-ci.


F. D'UNE AUTRE ESPECE DE MUSARAIGNE FOSSILE.

J'ai fait représenter, planche V, fig. 4, une fois plus grande que nature, la portion de tête d'une musaraigne, qui ne se rapporte aucunement à celle dont nous venons de parler; les os palatins sont moins larges; mais l'examen des dents nous conduit à la conclusion qu'elles diffèrent essentiellement de celles de la musaraigne fossile décrite dans l'article précédent.

Les incisives se portent très en avant, sont crochues, au milieu de la dent, la couronne se divise en deux, de sorte qu'il y a deux pointes sur une même base, dont l'antérieure est plus longue et plus épaisse que la postérieure; viennent ensuite cinq fausses molaires dont la première est la plus grande; les autres vont en décroissant jusqu'à la cinquième qui se fait à peine apercevoir; ce n'est qu'une petite pointe; toutes ces fausses molaires sont très pointues: la base qui porte cette pointe est assez longue et présente un petit bord en dedans; la cinquième seule porte les mêmes caractères que celle des espèces précédentes; les 4 molaires qui suivent ne diffèrent point de celles de la musaraigne ordinaire. Les caractères des dents suffisent pour prouver au premier abord que cette tête a appartenu à une espèce d'insectivores, mais la forme des incisives et des fausses molaires, ainsi que le nombre de ces dernières, ne se rapporte point aux espèces de musaraigne commune.

La comparaison la plus attentive de ces restes fossiles avec ceux des espèces actuelles, me porte à croire que cette portion de tête a appartenu à l'espèce sorex tetragonerus, Herm., dont les individus ne sont pas rares dans nos environs.


G. LA TAUPE FOSSILE.

Il sera moins difficile d'apprécier les différences ostéologiques distinctement tracées dans le squelette de la taupe. La vie souterraine de cet animal demandait une forme appropriée à cette manière d'exister. Pour fouiller la terre, il reçut des membres antérieurs forts, et courts, une tête très allongée et pointue; son train de derrière au contraire est faible, et toute son adresse consiste à franchir rapidement un chemin sous terre, tandis que cet animal se meut avec peine sur le sol.

L'étude du squelette de la taupe, à cause des particularités qu'il renferme, est donc devenue un point saillant en anatomie comparée. Quant aux anomalies qui entrent dans sa structure, elles sont tellement connues qu'il serait superflu de décrire toutes les singularités que l'on y observe, d'autant plus que les débris de la taupe fossile ne diffèrent en rien de la taupe de l'espèce ordinaire.

Les cavernes de Chokier, du Fond-de-Forêt, d'Engihoul, d'Engis, de Goffontaine et d'autres, m'ont fourni des restes de cet animal fossile, des portions de tête, des demi-mâchoires, et plusieurs os du tronc et des extrémités, dont la comparaison la plus attentive m'a convaincu que ces restes fossiles ne diffèrent point de ceux de la taupe commune. En effet, la portion de tête représentée fig. 6, A, B, planche V, ne diffère point de celle de l'espèce actuelle. La forme, la grandeur sont les mêmes; il y a les alvéoles de 6 incisives, 2 canines, chacune à deux racines, 8 fausses molaires, dont 6 rudimentaires et 2 normales; 6 molaires dont les 2 dernières manquent de chaque côté dans les échantillons que je possède.

Cinq demi-mâchoires sont en ma possession; deux sont du côté gauche; on en voit une fig. 13, planche V; dans ces échantillons les incisives sont tombées hors de leurs alvéoles; viennent ensuite quatre fausses molaires et les alvéoles de trois molaires.

Le scapulum de la taupe, si différent par sa forme, de tout ce que nous connaissons de ces os dans la classe des mammifères, n'a pas échappé à nos recherches; nous en voyons un, fig. 28, l'humérus, fig. 29, A et B. le cubitus, fig. 30, le bassin, fig. 23 et 31, 1e fémur, fig. 32, le tibia fig. 33, et le sternum, fig. 34 de la planche V, sont enfin les restes très reconnaissables de cet animal singulier dont les cavernes nous ont conservé les débris.


RESUME.


Tel est le premier résultat des recherches auxquelles je me suis livré jusqu'à présent, tant pour recueillir, que pour déterminer plusieurs espèces d'une classe d'animaux dont les actes du règne fossile n'avaient point fait mention jusqu'ici. Quatre espèces de chauve-souris, un hérisson, deux espèces de musaraignes; plus, les restes d'une taupe identique avec l'espèce actuelle ( talpa europœa ), en tout huit nouvelles espèces fossiles sont donc sorties du néant, et vont prendre à l'avenir leur rang parmi les fossiles abondants que les cavernes de !a province de Liège m'ont fournis.

En effet, ces chauve-souris, ce hérisson, ces musaraignes, et cette taupe, peuplent encore aujourd'hui nos environs. Cette remarque nous conduit nécessairement à la conclusion suivante: que ces animaux existaient déjà avant que nos cavernes fussent remplies de ces restes; ces espèces n'ont pas été détruites; elles out dû échapper à la cause destructive de ce cataclysme pour pouvoir se perpétuer dans les mêmes contrées. J'ai avancé plus haut que la succession des êtres, qui est reconnue dans toutes les époques bien marquées en géologie, n'exclut point, surtout dans la dernière, des êtres qui se multiplient encore aujourd'hui, et j'ai dit que tout porte à croire que la nature, créatrice, peut-être déjà avant ce dernier bouleversement, avait acquis le degré de perfection que nous admirons aujourd'hui.

Dans tous les débris dont il a été question jusqu'à présent, il ne s'agit point d'accident; les cavernes de Chokier et de Goffontaine mettent toute allégation à cet égard hors de doute, et les soins les plus scrupuleux que nous avons apportés dans nos recherches, nous ont convaincu que les espèces d'insectivores ont été contemporaines des espèces dont les analogues n'existent plus, et de nouvelles recherches confirmeront, au moins nous aimons à le croire, que sous 1e rapport des petites espèces fossiles, les cavernes ont été jusqu'ici très incomplètement exploitées


FIN DE LA PREMIERE PARTIE





CHAPITRE X.

DES DEBRIS TRAVAILLES PAR LA MAIN DE L'HOMME..


Il est dans la nature des choses que les nouvelles découvertes en géologie éprouvent souvent de l'opposition de la part de ceux qui, contents de se renfermer, jusqu'à un certain point, dans les progrès de l'observation connue, ne songent pas aux faits à venir, aux faits à arracher des entrailles de la terre, où depuis des siècles ils se dérobent à notre investigation.

Nous voyons, par exemple, les hommes de cabinet façonner, à leur manière, des faits semblables dans leur système tout achevé d'avance, et souvent même, ils rejettent sans examen les productions les plus laborieuses d'hommes qui se sont attachés aux faits, qui ont interrogé scrupuleusement la nature, qui, par conséquent, ne se paient pas d'arguments systématiques: amis de la vérité, ceux-ci veulent rendre compte de ce qu'ils ont observé, et par cela seul ils croient avoir contribué aux progrès des connaissances humaines, tandis que les hommes à système, au contraire, loin d'avancer la marche des sciences, l'entravent, ou même les font reculer.

C'est ainsi que l'esprit de système avait, pour un instant ; pesé sur la science de tout son pouvoir usurpateur; mais bientôt l'observation, en défendant avec persévérance la cause légale, la cause de la vérité, d'opprimée qu'elle était sous le règne des chimères et des hypothèses, l'a rendue victorieuse et triomphante.

Le défaut de solidité des raisonnements basés sur les idées à priori, ne peut plus, dans l'état actuel des sciences, arrêter la marche régulière des faits jugés à posteriori, faits qui seuls peuvent conduire au but que l'étude des phénomènes de la nature doit attendre.

Or, en parcourant le champ des hypothèses, dont quelques-unes sont encore très accréditées, il importe d'examiner avec soin les nouvelles données, afin de combattre les assertions qui n'ont pris naissance, qu'en l'absence de faits nombreux qui seuls peuvent convaincre.

Lorsque, dans le premier volume de mes recherches sur les fossiles de notre province, p. 50 et suivantes, je suis entré dans des détails sur les ossements fossiles humains, je ne me doutais guère que d'autres données, non moins importantes, se présenteraient bientôt à mes recherches. En effet, j'ai rencontré depuis, dans plus d'un souterrain, dans le calcaire anthraxifère, des pièces façonnées par la main de l'homme. Je me fais un devoir de faire connaître ces nouvelles découvertes en détail, afin qu'elles éclaircissent, par leur authenticité et par leur: nombre, cette époque ténébreuse de la paléontologie.

La fig. 9 de la pl. 36 représente un os d'une forme triangulaire taillé grossièrement. Ce fragment a été coupé d'un os long; ses faces sont très polies ; à la base se trouve une ouverture percée obliquement et dont les bords sont inégaux et arrondis: elle n'a point servi au passage d'une artère ou d'un nerf, c'est un trou évidemment foré par la main de l'homme.

PL.XXXVI - S. MATHIEU D'APRES NATURE ET LITH

C'est dans la grotte de Chokier, à gauche, presque contre les parois, que j'ai rencontré cette pièce intéressante parmi des dents de rhinocéros.

Tout en reconnaissant à l'évidence que cet os a été façonné, il est cependant difficile de dire à quel usage il a servi: quelques peuples sauvages, encore aujourd'hui' se parent de fragments d'os taillés ; ne serait-ce peut-être pas un ornement de ce genre ?

J'ai trouvé l'os représenté fig. 7 dans la fameuse caverne d'Engis qui m'a fourni le crâne et d'autres débris du squelette de l'homme.

Cet os a été taillé en pointe ; on y voit parfaitement les traces de coupure; d'ailleurs, aucun animal ne compte dans son squelette d'os semblable. Nous sommes donc portés à croire que cet os a servi à l'industrie de la race antédiluvienne, et il paraît assez probable que c'était un instrument à perforer; l'ensemble, en effet, représente la forme d'une aiguille. Là base de cet os est entourée d'un peu de stalagmite, et est attachée à une petite pierre, et il parait que c'est un os de poisson. Dans la caverne du Fond-de-Forêt, c'est-à-dire celle que j'ai exploitée la première, (Depuis la publication du premier volume, j'ai découvert deux autres cavernes dans le même endroit) j'ai rencontré quelques portions de cornes et d'os taillés. (V. pl. 32, figure 4.). Ces morceaux ont peu de dimension, et quoiqu'il soit indubitable qu'ils ont été taillés assez régulièrement, néanmoins, il est impossible de déterminer à quelle espèce d'animal ils ont appartenu. Des portions de bois de cerf et d'autres os taillés ont aussi été trouvés par MM. Tournal et Marcel de Serres.

PL. XXXII - S. MATHIEU D'APRES NATURE ET LITH

Une chose bien singulière parmi tant de singularités, dans les produits des fouilles des cavernes ossifères, c'est la présence de fragments de silex dont la forme régulière a frappé, au premier abord, mon attention. Dans toutes les cavernes de notre province où j'ai trouvé des ossements fossiles en abondance, j'ai aussi rencontré une quantité plus ou moins considérable de ces silex.

Ces silex, fig. 1o, pl. 36, sont d'une longueur et d'une largeur variables; ils ont une face plane et une autre triangulaire, les faces étant à-peu-près de même dimension; les bords externes sont très tranchants, mais les extrémités sont obtuses. Ce qui prouve que ces silex ont été longtemps exposés aux influences atmosphériques, avant d'avoir été enfouis dans les cavernes, c'est qu'ils sont tous couverts d'une croûte blanchâtre, qui, dans quelques-uns, que j'ai brisés, ne dépasse pas l'épaisseur d'une ligne, tandis que le centre est d'un gris bleuâtre. La forme de ces silex est tellement régulière, qu'il est impossible de les confondre avec ceux que l'on rencontre dans la craie et dans le terrain tertiaire. Toute réflexion faite, il faut admettre que ces silex ont été taillés par la main de l'homme, et qu'ils ont pu servir pour faire des flèches ou des couteaux.

Les exemplaires dus à l'industrie humaine, dont je viens de donner les dessins et la description, n'auraient pas exigé un chapitre particulier, si le gîte de ces os et de ces silex avait laissé matière à quelque doute, c'est-à-dire, si un accident quelconque avait pu amener ces pièces dans les cavernes après leur remplissage.

Comme j'ose garantir qu'aucune de ces pièces n a été introduite après coup, j'attache un grand prix à leur présence dans les cavernes; car, si même nous n'avions pas trouvé des ossements humains, dans des conditions tout-à-fait favorables pour les considérer comme appartenant à l'époque antédiluvienne, ces preuves nous auraient été fournies par les os taillés et les silex façonnés. Si enfin, comme en Allemagne et en France, plusieurs de ces cavernes eussent été connues depuis longtemps, et eussent servi à l'époque du Moyen-Age, soit de refuge ou de cimetière, certes nous aurions eu tort d'attacher la moindre importance aux débris que nous avons trouvés; mais nous répétons que, tout ce que nous venons de dire sur ces restes dus à la main de l'homme, et tout ce que nous avons dit sur les ossements humains, est exact et sans réplique. Le temps seul, au reste, décidera jusqu'à quel point nous avons eu raison de nous exprimer d'une manière aussi catégorique, et aucun géologue éclairé ne voudrait soutenir aujourd'hui que l'homme n'existait point à l'époque où nos cavernes ont été comblées du limon et des fossiles qu'elles recèlent.




CHAPITRE XI.

DES OSSEMENTS FOSSILES A L'ETAT PATHOLOGIQUE.


Un coup-d'oeil jeté sur les archives de la paléontologie, suffit pour prouver que, dans l'enfance de cette science, les observateurs n'envisageaient les débris d'une génération, en grande partie perdue, que comme des objets de pure curiosité; et pendant longtemps les idées mythologiques ou superstitieuses ont, tour-à-tour, entravé la marche rationnelle de cette science, basée uniquement sur une exposition simple des faits que la nature a déposés depuis si longtemps dans les entrailles de notre globe. Peu de géologistes jusqu'alors avaient compris toute la valeur de ces dépouilles; mais, peu-à-peu, la géologie s'éclaira, d'un côté, des lumières de la zoologie, de l'autre, de celles de l'anatomie. Alors la géologie fit des progrès immenses; elle se fit enfin jour dans les entrailles de la terre à l'aide de ces deux flambeaux.

D'un autre côté, les découvertes de genres, d'espèces nouvelles apparaissant sans cesse, ont rendu un grand service aux zoologues, pour les mettre à même de suivre la marche successive que la nature avait adoptée dans le plan de la création du règne animal.

Quelques géologistes, dans ces derniers temps, avaient peut-être attaché trop de valeur à la présence de quelques espèces du règne organique, pour la détermination des différents terrains; mais bientôt, on s'est aperçu que les exceptions sont nombreuses à cet égard, le terrain à défricher pour les géologistes est encore si vaste de nos jours, qu'il est prudent de s'abstenir des théories générales. Malgré les difficultés insurmontables qui se rattachent à la théorie de l'origine du petit point que nous occupons dans l'espace, nous possédons néanmoins dés matériaux qui serviront à cimenter l'édifice que l'on élèvera plus tard; et nous aimons à croire qu'à l'aide de la persévérance que l'on apporte dans les recherches, on aura bientôt levé, au moins un coin du voile mystérieux qui recouvre l'origine des différentes formations, composant l'ensemble de notre demeure.

Et si nous jetons plus spécialement nos regards sur l'étude de la paléontologie, quel champ immense se présente devant nous! Que cette science, même isolée de toute autre, est devenue vaste depuis peu d'années! Comme ses limites s'étendent encore de jour en jour ! Des recherches faites dans un but scientifique dévoilent aujourd'hui les dépôts fossiles dont le hasard seul nous révélait naguère l'existence.

Mais dans les dépouilles si nombreuses de ces races primitives, la majeure partie ne nous est connue qu'à l'état normal. Une nouvelle étude doit venir prendre place à côté de celle qui est déjà si vaste, pour faire utilement marcher de front tout ce qui a rapport à l'histoire et à la structure de notre globe. En effet, les ossements malades que l'on rencontre parmi ces fossiles, méritent, ce me semble, de fixer toute notre attention. D'abord, il est probable que bien de ces débris à l'état pathologique ont échappé aux observateurs, faute de connaissances d'anatomie pathologique; ensuite, il se pourrait que de pareilles pièces difformes fournissent matière à établir de nouvelles espèces; car on a déjà donné de nouveaux noms à des individus jeunes appartenant à des espèces depuis longtemps connues.

Quoi qu'il en soit, ces ossements pathologiques ne sont pas communs, et jusqu'ici, nous n'en connaissons que peu. Sömmerring a décrit en détail (Nova acta physico-medica, etc. Tom. XIV, Pars I, 1-44.) une tête d'hyène malade que Cuvier a reproduite dans ses recherches (Tome quatrième, pl. XXX, fig. 6 et 7.). Ce célèbre paléontologiste considère, ainsi que Sommerring, la lésion comme le résultat d'une morsure. C'est là une hypothèse que nous passerons sous silence.
Mais ce que nous possédons de plus positif, décrit par un homme à même de juger de pièces pathologiques, c'est un mémoire du célèbre de Walter (Journal der Chirurgie und Augen Heilkunde, herausgegeben von C. F. Grafe und Ph. von Walter. Achter Band. Erstes Heft. Berlin 1825. Pag. 1-16), dans lequel il décrit en détail les os malade, de la caverne de Sundwich, appartenant alors à M. Sack, et aujourd'hui à l'université de Bonn, où je les ai examinés.

Cet habile chirurgien et savant professeur décrit dans ce mémoire:

1° Un fémur atteint d'une nécrose interne;
2° l'ankylose de deux vertèbres dorsales;
3° une mâchoire inférieure cariée dans les alvéoles;
4° une demi-mâchoire inférieure gauche, également cariée;
5° une vertèbre lombaire, dont la partie inférieure est tout-à-fait cariée, même une portion de cet os est détruite par l'ulcération;
6° une demi-mâchoire inférieure du côté gauche, qui a la symphyse mentonnière très épaisse, garnie d'une masse osseuse, spongieuse;
7° une autre demi-mâchoire dont les alvéoles sont toutes détruites par la carie, excepté la dernière qui a été conservée;
8° une demi- mâchoire inférieure du côté droit, qui est également cariée en partie;
9° une côte, ou plutôt une portion de côte très cariée;
10° un radius qui porte des exostoses, et qui, par sa légèreté, et par l'ensemble des caractères qu'il présente, dénote un haut degré de rachitisme;
11° enfin une vertèbre cervicale, qui est aussi dans un état de rachitisme bien reconnaissable.

L'auteur de cet intéressant mémoire a comparé ces deux derniers os aux analogues altérés par la même affection chez l'homme, et il y a reconnu une ressemblance frappante pour la légèreté.

Le diagnostic des lésions organiques en général est, dans l'état actuel de la pathologie, bien incomplet encore sous certains rapports, et un traité spécial, bien détaillé, pour les maladies des os, nous manque jusqu'ici. Le petit nombre de bons observateurs qui, depuis Hippocrate jusqu'à nos jours, se sont livrés à bien observer l'état anormal de l'organisme, ont, sans doute, reculé devant une pareille entreprise, à cause des difficultés qu'elle présente.

En effet, il y a dans les altérations du tissu osseux, des passages si insensibles qu'il est bien difficile de tracer nettement les caractères qui appartiennent exclusivement à l'une ou à l'autre de ces affections. D'abord, les causes qui ont produit ces maladies peuvent seules jeter quelque jour sur leur nature; ensuite l'inspection attentive de l'état des parties molles, qui entourent les os malades, peut servir, en second lieu, à faire reconnaître la nature de l'affection. Or, ce qui est donc le plus nécessaire pour remonter à la source des causes qui ont déterminé les lésions du tissu des os fossiles, nous est totalement inconnu, et nous sommes réduits par là, à la simple exposition des faits que nous avons recueillis.

Une partie antérieure de la mâchoire inférieure du côté droit est représentée pl. 38, fig. 1. A partir du trou sous-mentonnier jusqu'au bord antérieur, toute cette partie est épaisse, et la surface externe présente une quantité de petites ouvertures, qui donnent passage à un stylet fin, se dirigeant en sens divers. La surface de l'os est inégale, sa texture est spongieuse, surtout à la partie antérieure et supérieure; du côté de la symphyse elle est normale; mais les alvéoles des incisives et de la canine sont totalement détruites; on ne reconnaît plus la moindre trace des premières, et la lame externe de la dernière est rongée profondément. Le fond de cette alvéole est rempli d'une substance osseuse, inégale, celluleuse, percée de cavités plus ou moins profondes. Les dents ont été probablement poussées hors des alvéoles par la substance osseuse qui remplit ces cavités.

PL. XXXVIII - S. MATHIEU D'APRES NATURE ET LITH

Ce fragment nous offre un exemple de carie bien avancée. La mâchoire d'ours à front bombé est large à l'endroit de la symphyse de 0,034; tandis que la portion malade, dont il est question, a cette dimension de 0,044. Il est probable que cette carie a été la suite d'une lésion externe à laquelle la mâchoire, plus que toutes les autres parties du corps, est exposée dans les combats que se livrent ces animaux.

Une partie de l'extrémité inférieure d'un humérus d'ours du côté gauche se voit fig. 2 pl 39, à la face antérieure. Le condyle externe y manque, une masse spongieuse, criblée de canaux plus ou moins grands, se remarque sur toute la surface. Mais la face postérieure et le bord de ce fragment (voy. fig. 5, pl. 38), sont plus inégaux, les cellules sont plus grandes. Cette portion d'humérus présente la forme d'un triangle très allongé. En quelques endroits, sur la partie malade, on remarque une lame mince qui la recouvre, en même temps que les canaux et les enfoncements qui se trouvent dans cette partie.

L'hypothèse la plus probable à établir sur la nature de cette affection est, ce me semble, celle que la lésion primitive était une fracture très oblique, qui n'a pu se consolider, et au lieu d'un calus compact, une masse cariée s'est formée sur ce bord. Ce qui me porte à croire que c'est la suite d'une fracture, c'est que la partie supérieure offre les traces d'un calus solide. Il est d'ailleurs possible que toute la face de cette masse osseuse ait été couverte d'une lame mince qui a été altérée en partie par le long séjour dans le diluvium.

Les os fracturés ne pouvaient manquer de se trouver au nombre de ceux qui offrent des lésions produites par une cause externe. En effet, nous voyons pl. 40, fig. 4, une portion de fémur d'ours d'un individu jeune: la partie malade présente les caractères d'une fracture oblique, dont les bords sont arrondis en tous sens. Le calus s'est épanché autour de ce bord. Ce calus est poreux, la cavité médullaire est remplie d'une substance analogue à celle qui entoure la fracture; elle s'élève même au-dessus du bord de celle-ci. Que ce soit par une chute ou dans un combat, que ce fémur ait été fracturé, c'est ce que nous n'avons pas besoin d'examiner. Toutefois, il est certain que cette fracture n'a pu se consolider faute de repos, et que l'individu qui a été atteint de cette lésion a dû se traîner le reste de sa vie sur trois jambes.

PL. XL - S. MATHIEU D'APRES NATURE ET LITH

Il n'en est pas de même d'une portion de fibula d'ours, représentée fig. 3, pl. 39; c'est une fracture presque transversale; le calus a réuni les deux bouts qui n'offrent dans cet endroit qu'un léger bourrelet. La cause d'une telle fracture n'a pas besoin de commentaire, et une guérison d'une fracture transversale du fibula, sans secours de la chirurgie, ne surprendra personne.

PL. XXXVIIII - S. MATHIEU D'APRES NATURE ET LITH

On voit représentée, fig. 4, pl. 39, une portion de fémur d'ours d'un jeune individu, qui offre une ouverture ronde sur la partie latérale. Cette ouverture pénètre à deux tiers de la largeur de l'os; à l'extérieur, elle est entourée, de toutes parts, d'un bord large, peu élevé, formé d'une substance osseuse, dont le centre est spongieux, et dont la surface est recouverte d'une lame mince et lisse. L'os a un peu plus de dimension qu'il n'en a dans l'état normal, surtout dans l'endroit où se trouve l'ouverture. La substance corticale est à l'état normal dans les autres parties de cet os, mais la substance spongieuse est changée en une masse compacte, qui remplit tout l'intérieur, et parait offrir la même nature, les mêmes caractères que le calus qui entoure cette ouverture à l'extérieur.

Dans l'impossibilité où nous sommes, de remonter à la vraie cause de l'affection dont il s'agit ici, nous pouvons cependant conjecturer qu'un corps étranger a occasionné d'abord une lésion à l'os. L'action de ce corps a pu être plus ou moins prompte, mais son effet a produit une dégénérescence dans la structure de cet os, laquelle a duré assez longtemps avant d'avoir atteint tout son développement.

Une extrémité inférieure de fémur d'ours est représentée fig. 2, pl. 40. Cette pièce est remarquable à cause d'une exostose placée obliquement de bas en haut, au milieu de sa face antérieure. Elle est inégale à sa base; on y remarque des sillons dont la direction est en tout sens; la partie supérieure de l'exostose est endommagée par le frottement; la partie moyenne est lisse. Au-dessus de l'exostose, le corps du fémur est considérablement aminci, et comme atrophié, et se terminant en fracture dont les bords sont arrondis. En dessous de l'exostose, la face postérieure est plus large; et à la face antérieure, on remarque une arête arrondie, qui s'étend depuis la base de l'exostose jusqu'aux condyles. Toute la face de cet os présente des inégalités qui ne se trouvent point dans l'état normal.

Ici encore, nous reconnaissons la grande difficulté d'assigner la cause qui a endommagé aussi profondément l'état normal de ce fémur. Une cause mécanique externe, seule, n'a pu, ce me semble, produire ce genre d'altération, mais une cause interne peut provoquer et l'exostose et l'état morbide de plus d'un tiers du corps de ce fémur.

La figure 2 et 4 de la planche 38, représente une portion de la mâchoire inférieure du côté gauche. Quoique la partie postérieure ait été presque enlevée, néanmoins, une portion a été assez bien conservée pour qu'on puisse y reconnaître une difformité bien remarquable. En effet, à la face externe, on observe une arête considérable, qui s'étend depuis le bord antérieur de l'apophyse coronoïde jusqu'au condyle articulaire. Ce dernier est enlevé. Cette arête décrit sur toute la longueur une courbure dont la convexité se trouve à la face inférieure. Les faces supérieure et antérieure sont lisses, mais l'inférieure est inégale, sillonnée. La partie antérieure de cette arête est peu élevée et arrondie, mais à mesure qu'elle approche du condyle articulaire, son élévation devient plus considérable, et il parait même qu'elle est plus mince de haut en bas dans cet endroit. Une large cavité est creusée au milieu de cette arête, qui traverse la largeur de sa base: ( voyez fig. 4 ), Cette ouverture se divise en deux canaux dans le fond; le postérieur perce, de part en part, cette excroissance, tandis que l'antérieur se porte horizontalement en avant; mais comme il est rempli en grande partie par une concrétion calcaire, il est impossible d'y introduire le stylet fort avant.

La partie postérieure est brisée de manière qu'il n'est pas difficile de reconnaître la texture interne de cette excroissance osseuse. En effet, je ne trouve aucune différence entre la. structure de celle-ci et celle de la mâchoire sur laquelle elle est placée: elles font corps ensemble, et la substance corticale et la spongieuse offrent le même aspect. Néanmoins, il parait que toute la mâchoire se trouve dans un état pathologique, puisque toute la partie qui est en-dessous de l'arête est inégale, tant à sa face externe qu'à l'interne. On aperçoit aussi une ouverture large à la face externe, vis-à-vis du bord antérieur de l'apophyse coronoïde. Il est digne de remarque que la partie antérieure de ce fragment fournit aussi des traces d'un état anormal. Ainsi, la hauteur de la branche, vis-à-vis de la dernière molaire, est beaucoup moindre que celle d'une mâchoire normale de l'ours à front bombé; le bord alvéolaire est très épais, et les deux dernières alvéoles sont effacées. Il parait aussi que la dernière molaire était plus éloignée au bord antérieur de l'apophyse coronoïde; cette dernière était moins large, était plus inégale à sa face externe que dans les mâchoires dont la structure et la forme n'ont pas été altérées.

Quoiqu'il soit impossible de se rendre compte des causes qui ont concouru pour produire ce genre d'affection, je me permets néanmoins d'avancer ici mon opinion, que ce n'est pas à une lésion externe seule que cette portion de mâchoire doit l'altération de forme et de texture qu'elle nous offre; car, abstraction faite de l'état dans lequel se trouvent les alvéoles, et le corps de cette mâchoire, on peut, sans inconvénient, considérer cette altération comme étant le résultat d'une cause externe. Il est, ce me semble, peu probable que cette affection ait produit l'atrophie de l'apophyse coronoïde, et le développement de l'exostose qui ne montre point de trace de carie. On pourrait, pour ne pas porter un jugement trop exclusif, admettre que l'état de ces dernières parties malades résulte d'une cause morbide interne, tandis que la dégénérescence des alvéoles et de la partie antérieure peut provenir d'une cause mécanique externe.

Je possède un astragale offrant une difformité, qui, au premier aspect, pourrait faire croire à un état carié de cet os ; cependant un examen plus détaillé et la comparaison avec un astragale sain, m'ont convaincu que cette désorganisation n'offre pas les caractères dus ordinairement à la carie. Le bord interne, et une partie de la face inférieure sont criblés de petits canaux, qui pénètrent en partie jusque dans la substance spongieuse. Le bord postérieur est épaissi, l'apophyse est courte, écrasée; tout le bord de la face, qui s'articule avec l'os scaphoïde, est inégal; la face articulaire offre aussi des inégalités, mais ne présente point de canaux, ou d'altérations produites par la carie. La diminution de la longueur de cet astragale n'est point l'effet d'une carie, qui commence à se développer; il a fallu que l'état morbide se fût déjà prononcé avant que l'os eût acquis son développement complet, sa dureté. Or, de nos jours, les affections rachitiques et scrofuleuses produisent encore les mêmes effets dans les parties qui composent le squelette, et notamment dans les os du carpe et du tarse, ce qui m'engage à considérer l'état pathologique de cet astragale, comme provenant d'une cause interne, qui a empêché le développement normal de cet os. En effet, il est difficile de croire qu'une cause externe ait pu atteindre la face inférieure de l'astragale, et moins encore, qu'elle, ait pu gêner le développement de cet os.

Les os malades du métacarpe d'ours paraissent être les plus nombreux, car j'en ai recueilli plusieurs, et j'ai fait représenter, pl. 38, fig. 6; pl. 39, fig. 6; pl. 40, fig. 6, trois de ces os dont les lésions sont les plus prononcées. Ainsi, celui de la pl. 39 a sa partie antérieure tout-à-fait normale, tandis que la postérieure est cariée, et changée en masse spongieuse, et la facette articulaire est presque effacée. Les deux autres ont les deux extrémités à l'état normal, mais le corps a beaucoup plus d'épaisseur, et présente des inégalités qui se dirigent en tout sens sur la surface. Il parait que, dans ces os, il s'est développé un état de nécrose.

Les os de métacarpe d'hyène offrent le même genre d'affection, comme nous pouvons nous en convaincre par les dessins de deux de ces os, pl. 38, fig. 3, et pl. 39, fig. 7. Le premier parait nécrosé; le second a sa partie antérieure épaisse et cariée.

J'ai enfin extrait des cavernes des phalanges d'ours dont l'extrémité postérieure est fortement cariée (V. fig. 1, pl. 40.) Une autre a son extrémité antérieure enlevée; le bout est aplati et lisse, comme si l'os avait été cassé; et le calus a régulièrement recouvert la face lésée.

Je n'ai qu'une seconde phalange de lion, pl. 39, fig. 1. L'extrémité postérieure est considérablement épaissie, et présente un état de carie très avancée.

Les lésions des os des pieds, dont il vient d'être question, sont ce me semble, encore du nombre de celles qu'a produites une cause externe. Or, la majeure partie de ces os morbides proviennent des pieds de devant: cette circonstance ne nous porte-t-elle pas à croire que ce sont des affections de blessures reçues dans des combats ? peut-être à la suite des chutes auxquelles étaient exposés ces anciens habitants du globe ? Toutefois, il est certain que les maladies de cette nature peuvent être produites par des causes mécaniques externes.

J'ai fait représenter, fig. 5, pl. 39, une portion d'humérus d'un jeune ours. C'est l'humérus du côté gauche. La courbure de cet os sur toute la longueur est très visible; la crête deltoïde peu marquée; des inégalités en forme de pointes aplaties se font observer sur toute la surface. La substance corticale est mince, la substance spongieuse presque nulle. Si l'on joint à tant de caractères, déjà assez significatifs, la légèreté de cet os, nous aurons le tableau complet des caractères qu'offrent encore aujourd'hui les os rachitiques.

Une vertèbre dorsale d'ours, et bien la première, se voit, fig. 5, pl. 40. Une exostose se fait remarquer au milieu du corps de l'os. Cette exostose occupe par sa base toute la largeur du corps. La face antérieure est concave, inégale; le bord est festonné inégalement. Toute la face postérieure de cette exostose est convexe et lisse.

C'est à la base de cette face que se trouve une ouverture, qui permet le passage d'un stylet fin jusqu'à une certaine profondeur. Tout le reste du corps et les apophyses latérales de cette vertèbre sont criblés de petites ouvertures. Ces deux faces sont, en général, très inégales; de sorte que tout le corps ne présente qu'une masse spongieuse. Cette vertèbre n'a pas, à beaucoup près, le poids qu'elle doit avoir à l'état normal.

J'ai aussi recueilli une vertèbre cervicale d'ours qui présente des excroissances et des inégalités sur son corps, surtout à la partie antérieure; on remarque des sinuosités de différentes profondeurs, analogues en tout à l'aspect spongieux de la vertèbre dorsale dont nous venons de parler.

J'ai fait représenter sur la pl. 38, fig. 7, une vertèbre lombaire de loup fossile, qui offre le même état morbide que celle de l'ours, c'est-à-dire, que la surface de son corps est inégale; et qu'à son bord antérieur elle porte une arête saillante, inégalement dentelée; et la face antérieure offre les traces d'une carie.

Mais une pièce bien remarquable, ce nous semble, est l'axis et la troisième vertèbre du cou d'un ours fossile représentés, fig. 3, pl. 40. Le corps de l'axis est en tout beaucoup plus court qu'il ne l'est dans l'état normal, mais c'est surtout du côté gauche qu'il a le moins de longueur. L'apophyse odontoïde est placée plus obliquement vers la gauche; l'apophyse épineuse, si considérable dans l'axis de l'ours, n'a été qu'en rudiment, pour ainsi dire, dans celui-ci. L'apophyse latérale est plus courte du coté droit qu'à l'état normal; celle du côté gauche se confond avec celle de la troisième vertèbre. Le corps de celle-ci est plus haut que d'ordinaire, et par son accroissement extraordinaire, du côté gauche surtout, il supplée en quelque sorte à la difformité du corps de l'axis. L'apophyse épineuse est endommagée, mais elle parait avoir eu la même forme que celle de la troisième vertèbre à l'état normal. Le canal médullaire dans l'axis est moins triangulaire et beaucoup plus dirigé vers le côté gauche; de sorte que l'ours, à qui a appartenu cet axis, a dû nécessairement porter la tête vers le côté gauche. La difformité dont nous venons de parler n'est pas le résultat d'une lésion externe, c'est un vice de conformation qui a eu sa source dans une aberration de développement de ces parties. Or, ces difformités dans les parties qui composent la colonne vertébrale, sont souvent la suite d'une affection que l'on appelle ordinairement le rachitisme sans que l'on en connaisse la cause prochaine. Quoi qu'il en soit, cette pièce nous prouve à l'évidence que déjà, à cette époque, il existait des maladies que l'on rencontre encore de nos jours.


RESUME DE CE CHAPITRE.


Il est évident que la majeure partie d'ossements fossiles à l'état pathologique provient de l'ours; et lorsqu'on examine les genres d'affection qui ont altéré leur structure, on peut se convaincre que ces os pathologiques, observés jusqu'ici, doivent, pour la plupart, ces lésions à une cause mécanique externe: des fractures, des caries, même des nécroses sont les maladies les plus communes; mais d'autres portent des caractères d'affections qui n'appartiennent pas à cette catégorie. Parmi les ossements malades, décrits par M. de Walter plus d'un doit son altération à une cause interne. Je renvoie ici à ce que j'ai dit des exostoses de la portion de la mâchoire, et du fémur, qui me paraissent devoir être rangées parmi les lésions dont la cause se trouve dans une aberration des sphères nutritives; par conséquent, une cause interne a dû agir assez longtemps pour produire une pareille dégénérescence. La vertèbre dorsale, la cervicale d'ours, et la lombaire de loup, sont encore du nombre des os qui sont passés à l'état morbide par une cause interne L'humérus, fig. 5, pl. 39, et les vertèbres fig. 3, pl. 40, nous prouvent à l'évidence que déjà à cette époque existaient les maladies que les nosologistes considèrent comme étant l'effet de la civilisation, tandis que ces animaux jouissaient de tous les avantages d'une vie à l'état sauvage. Parmi les pièces qui constatent l'existence de maladies congénères, nous citerons cet humérus. Outre les caractères dont nous avons fait mention, il est important de faire observer que l'individu auquel il a appartenu était très jeune, puisque les épiphyses se sont détachées du corps de l'os. Or, les affections de ce genre sont des vices dans la fonction nutritive. Ces vices se développent encore de nos jours chez l'homme dans l'enfance. Nos animaux domestiques sont souvent victimes de pareilles affections dans le premier age.

La mauvaise conformation des deux vertèbres nous prouve encore qu'une cause interne a empêché le développement normal de ces os, dont les rudiments vicieux existaient déjà avant la naissance; par conséquent, c'est à une cause héréditaire qu'il faut l'attribuer.

Je ne veux pas entrer ici dans le vaste champ des hypothèses si fertile, si inépuisable, même pour définir les causes des maladies. Les nosologistes, lorsqu'ils parlent dès causes du rachitisme, ont soin de les diviser en celles qui favorisent la prédisposition, et en celles qui produisent directement la maladie. Les auteurs ne nous donnent pas l'énumération de ces causes bien distinctement. Ce serait une trop grande exigence en médecine de prétendre trouver l'exposition bien détaillée de l'inconnue sur laquelle on base tous les jours de nouveaux systèmes; cependant, il nous importe d'énumérer la série des causes telle qu'on nous la donne; ainsi ce sont les mets farineux, l'usage du pain noir, du pain mal cuit, des boissons chaudes, telles que le café et le thé, l'usage trop exclusif des pâtisseries, un air humide et la malpropreté: voilà à peu près le catalogue des causes que l'on regarde, en quelque sorte, comme primitives du rachitisme.

Boerhaave, Zeviani, Glisson, Cullen, Stoll, Sommerring, etc., ont chacun inventé une explication pour démontrer la cause prochaine de cette maladie. Ces efforts sont méritoires, mais aucune de ces belles théories n'a procuré de l'avantage dans le traitement rationnel de cette maladie.

Les ossements fossiles à l'état morbide datent certainement d'une époque où la civilisation n'avait pas encore établi son empire sur ces antiques races. Nous devons donc protester dans la justice de la cause, dans l'intérêt de la science, convaincu par l'évidence des faits, que c'est un nouvel échec que la pathologie éprouve; mais, en prévoyant que ce ne sera pas le dernier, je me console d'avoir pu démontrer que le tot capita, tot sensus doit être combattu avec énergie, lorsqu'il s'agit de baser des théories sur la pratique, et que le bon observateur, dans l'intérêt de l'humanité, doit être préféré au faiseur de systèmes à priori. Du reste, les maladies des os dont il a été question dans ce chapitre nous autorisent à conclure qu'elles sont au moins aussi anciennes que l'existence de notre race; et que des affections, identiques à celles de nos jours, altéraient déjà alors les parties les plus solides du corps animal.


FIN.

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