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GENS DE LIEGE

Philippe-Charles Schmerling
Paléonthologue
1790 - 1836

P.C. Schmerling - 1833

Biographies


BIOGRAPHIE par C MORREN

Le hasard est, on l'a dit cent fois, le père des plus grandes découvertes, mais il n'a d'influence heureuse que lorsqu'il est lui-même fécondé par le talent ou par le génie; c'est une vérité que prouverait au besoin l'histoire entière des progrès de l'esprit humain. La vie, dont nous allons tracer une rapide esquisse, ne fera que confirmer la justesse de cette réflexion générale. Un spirituel auteur de notre pays a dit un jour que "quelque obligation qu'on ait au hasard, on rougit d'en convenir" et que "c'est de tous les bienfaiteurs, celui qui fait le plus d'ingrats." Nous sommes heureux de pouvoir ajouter que la modestie, au moins chez les savants, qui font de la recherche de la vérité le but constant de leurs efforts, est parfois plus juste et plus reconnaissante. Celui dont nous nous proposons de rappeler les travaux et la réputation, se plaisait à redire qu'il devait tout au concours fortuit des événements. Il reconnaissait avec ingénuité que ce concours était la cause première de ses succès; il savait à quelles faibles circonstances remonte souvent l'origine de vérités précieuses entrées aujourd'hui dans le domaine de la science. Il avouait, chose moins commune, que, sans un bonheur inattendu, sa vie se serait écoulée modeste et ignorée de tous, ne laissant après elle que le souvenir, hélas ! bien fugitif qui suit la mort des gens de bien. Il se rangeait lui-même au nombre de ces hommes qu'une éducation ordinaire ne destine point à une carrière glorieuse dont la renommée se propage au loin et qui attire les regards du monde savant, Aussi cette appréciation de ce qui pouvait lui manquer en connaissances, ne l'a-t-elle pas fait rougir de commencer à tout âge l'étude de plusieurs sciences; il est mort savant et écolier à la fois, recevant des lumières d'autrui et propageant les sciences reconnaissant aux autres plus de savoir qu'il n'en avait en faisant aimer et respecter celui que dans sa spécialité il prodiguait en retour se montrant ainsi le modèle de cette philosophie toujours modeste et toujours vraie qui reconnaît le mérite dans autrui et qui trouve dans la culture des sciences, non pas la satisfaction d'un vain amour-propre, mais ce contentement intérieur, intime, qui naît de l'amour et de la possession de la vérité.

N'ayant jamais espéré pour lui même cette brillante illustration qui s'attache au nom des savants distingués, Il ne s'étonnait pas que le génie de la science ne fut venu le visiter que très tard. Il avait accompli sa quarante-deuxième année avant de songer à fournil sa quote part aux archives des sciences naturelles; jusque-là sa vie n'offre aucun trait digne de figurer dans l'histoire de ces sciences. C'est une vie toute bourgeoise toute paisible, toute ordinaire que nous n'allons retracer en peu de mots que pour être fidèle à la vérité.

Philippe-Charles Schmerling naquit à Delft en Hollande, le 24 février 1791, d'une famille originaire de Vienne en Autriche , et qui avait embrassé la religion réformée. Son Père qui était médecin, destina son fils, à la même carrière. Celui-ci fit ses premières études à Delft. Au sortir du collège, il se rendit à Leyde, où il ne séjourna que pendant deux ans. De là il partit pour La Haye, ou il fut confié à la direction du fameux docteur De Riemer homme savant et singulier, qui avait employé une partie de sa fortune à construire un grand cabinet de pièces anatomiques, parfaitement exécutées, conservées et disposées avec cette recherche luxueuse que l'on sait être le caractère distinctif des musées hollandais. Il était difficile dans ce pays de faire un cabinet de ce genre qui méritât quelque attention auprès des riches collections de Bleuland, de Camper, de Vrolick et des musées colossaux de Leyde. De Riemer se distingua pourtant par une circonstance fort curieuse; c'est qu'il ne laissait jamais tomber la lumière du jour sur ses préparations; son musée était une chambre obscure dans toute la rigueur du mot; le soleil ne pouvait y faire pénétrer un seul de ses rayons, Aussi quand il s'agissait de visiter cette collection, fallait-il l'éclairer aux bougies. On ne s'y rendait donc que le soir après avoir sollicité de son heureux possesseur l'honneur insigne de jeter un regard sur ces richesses scientifiques, et si l'on n'était pas porteur de l'un de ces grands noms qui accompagnent plus souvent la fortune que le mérite; si l'on n'avait pour toute recommandation que la science et le désir d'en acquérir davantage, on était éconduit avec une sorte de morgue qui heureusement, je le sais, ne saurait être reprochée à tous les savants de la Hollande.

Il est probable que travaillant avec De Riemer, Schmerling a puisé l'amour des collections dans 1e goût favori de ce dernier. On peut avoir ce désir dé rassembler les choses curieuses, sans être un malhonnête homme, du moins nous nous donnons la liberté grande de le penser contrairement à l'avis de certaine touriste qui est venue dernièrement d'Albion en Belgique, pour représenter ensuite un de nos grands collecteurs de Bruxelles comme un nouveau Schinder-hannes, tourmenté de la rage d'acquérir; ce sont les termes de sa charitable comparaison. Quelques personnes sont beaucoup plus à plaindre sans doute, ce sont celles qui, pillant l'esprit des autres, ne s'avisent pas même d'acquérir le bon sens. Il n'y a pas en Hollande de ville un peu remarquable qui ne possède ainsi de précieuses collections, soit publiques, soit particulières. Cette contrée faisait alors partie de l'empire français, et ce fut l'année même où Schmerling étudiait chez De Riemer que Cuvier fut chargé de faire son voyage dans les provinces bataves. Je possède une lettre autographe de ce célèbre naturaliste, en date du 11 juin 1811, où il exprime son admiration pour ce goût de tout réunir. "Je vois ici, dit-il, un pays superbe qu'on détruit à plaisir. Ces gens-ci avec leur esprit d'économie ont accumulé des collections immenses de toutes choses. Les jardins les cabinets, les bibliothèques, tout y est riche... Les pauvres savants attendent tout de nous mais nous avons bien peur que ce qu'on nous laissera faire ne se réduise à bien peu de chose. " Ce goût de l'arrangement méthodique, Schmerling l'importa plus tard dans sa ville d'adoption, ou sa galerie d'ossements fossiles est encore la collection la plus remarquable de tout l'ancien pays de Liège.

Schmerling fut reçu officier de santé à La Haye vers 1812, et à la fin de 1813, lors de la formation de l'armée des Pays-Bas, il y entra comme médecin militaire. Il fut envoyé en garnison à Venloo. En 1816, il donna sa démission de cette charge et pratiqua la médecine civile dans cette petite ville du Limbourg. En 1821, il y épousa une dame d'une noble extraction, Mlle Sara-Henriette-Caroline De Douglas, de la branche de l'ancienne famille écossaise de ce nom, fixée depuis longtemps en Hollande. A la fin de la même année, il vint s'établir à Liège, dont l'Université jouissait déjà d'une belle réputation. Schmerling voulut avoir le diplôme de docteur en médecine; il se remit à l'étude, et le 6 septembre 1825, il obtint le titre qu'il ambitionnait. Il exerça la profession de médecin à Liège jusqu'à sa mort. Son origine allemande, sa naissance hollandaise et son alliance avec une famille anglaise devaient naturellement le porter vers la littérature étrangère; aussi fut-il l'un des médecins qui en Belgique résistèrent le plus avec ceux des flandres, à l'envahissement des doctrines de Broussais, poussées à l'excès par de maladroits adeptes. Tandis que, dans leur exaltation, ceux-ci proscrivaient la pharmacie tout entière, qu'on devait, disaient-il, expulser à coups de balais, Schmerling, qui n'était pas, comme il l'avouait lui-même, un praticien à l'eau gommée, ne cessait d'employer les moyens curatifs que des siècles d'expérience avaient reconnus comme efficaces, et sa réputation de médecin n'en souffrit pas; sa clientèle devint bientôt fort nombreuse: c'est qu'eu tout temps la meilleure médecine est celle qui guérit. Ce fait ne doit pas être perdu pour l'histoire de cet homme remarquable, parce que la pratique de la médecine fut la cause occasionnelle de sa plus grande découverte, et lui donna mille occasions de prouver la bienveillance généreuse de ses affections. Il donnait ses soins gratuitement à une foule de malheureux auxquels il faisait distribuer les remèdes nécessaires, ne comptant que sur les bénédictions que tant de générosité devait lui attirer. Il était aimé du pauvre comme un père !

C'est à sa manière de voir en médecine que nous devons l'opuscule intéressant qui porte pour titre: Quelques observations sur 1a teinture de colchique ( Liège, 1832). Il avait constaté les puisants effets de cette préparation dans les affections rhumatismales et goutteuses. Ce petit écrit, où Schmerling donne l'histoire littéraire et médicale du colchique, prouve une grande érudition et beaucoup de sagacité. La seconde partie renferme une foule d'observations neuves; elles ont grandement contribué à attirer l'attention des praticiens sur un moyen héroïque dans les circonstances indiquées par le médecin de Liège, j'ai fait remarquer ailleurs que "si une science plus attrayante et plus générale, puisqu'elle mène aux études philosophiques de l'ordre le plus élevé, n'avait absorbé tous ses moments de loisir, la science médicale aurait dû sans doute à un homme aussi laborieux un grand nombre de travaux utiles. "

Mais abandonnons la médecine, l'homme bienfaisant, l'ami des infortunés pour parler spécialement du naturaliste, de l'auteur d'une des plus belles découvertes dont la Belgique puisse s'enorgueillir. J'ai déjà fait pressentir que le hasard ici jouera le premier rôle. Rien n'est plus instructif que d'étudier dans la vie des hommes utiles, les moyens qu'ils ont employés pour faire éclore des plus petites circonstances les plus grands résultats. Outre l'intérêt historique que la relation des découvertes nous offre en elle-même, cette appréciation des causes exerce son influence sur l'observateur lui-même; elle le rend plus apte, en développant son attention, à produire des choses utiles quand des occasions favorables se présentent.

Schmerling comptait, comme nous l'avons vu, parmi ses malades bon nombre de pauvres. Un acte de sa bienfaisance ordinaire le détermina à consacrer désormais son activité et son talent à l'étude du globe que nous habitons. Les bouleversements que la terre a du subir, les cataclysmes qui en ont élevé les montagnes, la distribution et la destruction des races nombreuses d'animaux et surtout l'intéressante, mais si obscure question de la création de l'espèce humaine, tels sont les épisodes dont il va s'occuper et qui se rattachent autant à l'histoire passée aux époques les plus anciennes, qu'aux destinées de notre globe terrestre. Un pauvre ouvrier des carrières de Chokier, village à deux lieues et demi de Liège, était malade. Schmerling se transporta dans sa cabane; surpris de voir les enfants de cet homme jouer avec des os dont les dimensions et les formes lui paraissaient extraordinaires, il interroge le malade, qui lui apprend que la carrière mettait à découvert un nombre considérable de ces os; le pauvre homme ne trouvait à cela rien de remarquable; c'était disait-il, un ancien cimetière de la commune. Mais son docteur lui promit tous les soins, s'il se donnait la peine de conserver tous les ossements qu'il découvrirait avec ses compagnons. En attendant, Schmerling emporta ceux qu'il avait trouvé dans la cabane et aux environs de la carrière.

Peu d'heures lui suffirent pour y reconnaître des ossements fossiles du plus haut intérêt. Ce premier fait ce passa au mois de septembre 1829. Schmerling n'eut, dès ce moment, plus un jour de repos. Il avait découvert à Chokier la première grotte ou plutôt la première excavation à ossements qui fut connue en Belgique. Ses courses se multiplièrent, et en moins de quatre ans il signala plus de quarante grottes semblables dans les seules provinces de Liège et de Luxembourg. Cette découverte était d'autant plus digne d'attention, que de jeunes et ardents géognostes avaient fait connaître la constitution géologique de la première de ces provinces, ses richesses minéralogiques et les débris d'animaux fossiles qu'on y découvre sans qu'aucun eut même soupçonné l'existence de ces énormes cavités, vraies catacombes du monde antédiluvien. Schmerling ne négligea rien pour recueillir tous les fruits de sa mémorable trouvaille. Soins, travaux, études, argent, il mettait tout en oeuvre pour ramasser les richesses paléontologiques de ces cavités souterraine; il affrontait mille dangers pour pénétrer le premier dans ces routes tortueuses et sombres, sa patience ne se fatiguait jamais; son fidèle domestique 1e suivait partout, si bien instruit, par son maître à reconnaître les gîtes des ossements, qu'il savait dire à point nommé si les travaux devaient être couronnés de succès ou demeurer stériles; il reconnaissait les os et les raccommodait. avec beaucoup d'art, quand ils étaient brisés. Schmerling dépensa à ses recherches, d'énormes sommes:, dont le chiffre peut être porté à 20,000 ou 30,000 francs.

Ce qu'il y a de. non moins remarquable, c'est que jusqu'alors, il n'avait pas fait d'étude spéciale de la géologie ni de l'anatomie comparée. Mais rien ne le rebutait. A trente-neuf ans, il apprend à connaître la structure des animaux. Liège ne possédait pas alors un bien grand nombre de squelettes, il s'en faut de beaucoup; mais si les objets y manquaient, il y avait un homme qui pouvait remplir bien des lacunes par sa vaste science; je veux parler de Fohmann, notre immortel anatomiste. Schmerling le pria. de lui donner des leçons d'anatomie comparée, et. le professeur aimait trop les sciences et ceux qui les cultive avec amour pour se refuser à ses désirs. Pour bien connaître les fossiles, il fallait les comparer aux os d'animaux vivants, et bien que les points de comparaison fussent fort peu nombreux, ils parvinrent ensemble à déterminer tous les os anciens de ces cavernes. Il faut soi-même avoir tenté de résoudre de tels problèmes pour savoir combien la solution en est difficile quand on manque des objets les plus nécessaires pour y parvenir. Cuvier à sa disposition les prodigieuses collections de Paris; Buckland avait celle de l'Angleterre; Goldfuss le musée de Bonn, il allait classer les ossements et reconstruire des animaux de race éteinte par la seule puissance de l'analogie, en s'aidant des planches publiées par les auteurs. Il y a peu d'exemple d'un si grand succès obtenu avec si peu de moyen.

Schmerling partagea ses travaux en trois ordres: l'étude des cavernes elles-mêmes, celle des animaux et des ossements humains qu'il eut le bonheur de rencontrer. Ces objets intéressent trop notre curiosité, pour négliger de dire en peu de mots ce qu'il en pensait.

Les cavernes s'annoncent au dehors par des trous ordinairement surbaissés, irréguliers et sans caractère bien fixe. On dirait des trous peu profonds. Aussi le peuple nomme-t-il ces cavités des trous de Sottais. Les Sottais étaient de petits hommes, des nains ou des pygmées forts adroits, restaurant les objets brisés qu'on déposait à l'entrée de leur grotte; on devait y joindre quelques victuailles. Il arriva un jour qu'au fond de Foret, à trois Lieue de Liège, on mit au devant de la caverne un pain dont on avait ôté la mie; les Sottais, indignés de cette conduite, dit Schmerling, quittèrent leur demeure et se retirèrent dans un autre pays. On voit que notre naturaliste ne dédaignait pas ces contes populaires qui recèlent si souvent un fond de vérité, mais dans sa prudence il n'avait garde de tirer de celui-ci aucune conséquence, scientifique. L'histoire des cavernes devait se révéler à lui par l'examen de leur, mode de construction. Remarquons qu'il découvrait lui-même ces cavités et qu'il les étudiait à l'état vierge, avant que des mains téméraires et inhabiles vinssent en détruire les beautés. Il ne pensait pas que les eaux ou les gaz eussent creusé ces souterrains, mais observant qu'ils se trouvent dans les couches relevées du calcaire intermédiaire, il voyait dans le repli de ces couches la cause du creusement. Loin de ces replis point de cavernes. Les couches se sont relevées, redressées et les vides résultant de ces redressements, résultant eux-mêmes des cataclysmes terribles qui ont soulevé les montagnes, sont aujourd'hui ce que nous nommons des grottes. Beaucoup de géologues avaient pensé qu'elles étaient dues à des courants d'eaux acides qui avaient rongé les montagnes. Notre paléontologiste croyait aussi que lorsque ces soulèvements avaient eu lieu, les couches avaient déjà une dureté comparable à celle qu'elles nous offrent aujourd'hui. La terre où sont ensevelis les os, a été amenée, charriée par les eaux diluviennes avec tout ce qu'elle contient; aussi les os sont-ils pèle-mêle et souvent arrondis. Buchland avait soutenu que les hyènes avaient vécu dans ces cavités et qu'elles s'y entre dévoraient quand elles ne trouvaient pas d'autre proie que leur propre espèce. Schmerling voit dans les érosions des os, non pas l'effet des dents, mais le résultat de maladies rachitiques auxquelles ces animaux auraient été sujets; il n'a point, du reste, trouvé dans ces grottes de coprolithes ou fécés fossiles de ces races carnassières. Il nous expliquait un jour ce que nous avons vainement cherché dans son ouvrage, comment il comprenait pourquoi certaines grottes manquaient d'ossements, et comment d'autres en étaient remplies. Il avait remarqué que celles de la première catégorie avaient une direction commune ou des ouvertures dirigées du même coté, taudis que celles de l'autre avaient aussi entre elles une similitude analogue. Cela venait donc des courants d'eaux, charriant les os et les boues ossifères qui dans une direction donnée, étaient entrées dans les ouvertures creusées longtemps auparavant par les bouleversements des couches.

Relativement aux animaux eux-mêmes, les recherches de Schmerling ont encore été des plus utiles. La célèbre caverne de Kirkdall, examinée par M. Buckland, n'avait offert que vingt-et-une espèces; les grottes du midi de la France seulement trente-deux. Or, dans les provinces de Liège et de Luxembourg, on en a signalé plus de soixante. Ce beau résultat provient surtout de ce que les petits os ont été étudiés comme les grands. Ainsi, on y a trouvé des restes de chauve-souris, de hérisson, de musaraignes, de taupe, d'une nouvelle espèce d'ours nommée par l'auteur ours gigantesque, d'autres restes de l'Ours des cavernes (Ursus spoeleus) de l'ours ancien (Ursus priscus), un squelette presque complet d'une nouvelle espèce nommée Ours liégeois (Ursus leodiensis) et des ossements de deux autres plus petites, de blaireau, de glouton, de martres, de putois, de belette, d'un putois de race inconnue, de chien, de loup, de renard, d'hyène, de felis antiqua, d'une nouvelle espèce: felis engiholiensis, d'une autre aussi nouvelle: cattus minuta, et du cattus magna, les débris de castor, de lièvre, de lapin, d'éléphant, de cochon, de sanglier, de rhinocéros, de cheval, de cerf gigantesque, d'une nouvelle espèce de cerf, du cerf commun, de trois espèces de rennes, du chevreuil, d'une espèce d'antilope, d'une espèce voisine de la chèvre, d'un mouton et de trois espèces de boeufs; d'un oiseau de proie, de deux espèces de passereaux, de corbeau, de deux gallinacés, de deux palmipèdes, d'un serpent et de plusieurs poissons. On remarquera dans cette énumération très peu d'espèces éteintes; aussi le travail de notre paléontologiste l'a-t-il conduit à émettre cette grande idée que, lors du dernier cataclysme, le règne animal était formé comme aujourd'hui. C'est en cela que son système est extrêmement curieux, parce qu'il se rallie ainsi aux vérités du livre inspiré qui nous décrit le déluge mosaïque. Il est vrai que l'auteur a admis aussi que des espèces, et même des genres, ont été entièrement détruits à cette époque de désastre, quoique la majeure partie ait échappé et se soit propagée depuis. Mais ici sa théorie devient confuse, car il n'établit pas quelles sont les espèces qui appartiennent aux races détruites par ce dernier cataclysme, et celles qui doivent leur disparition complète aux bouleversements antérieurs. Cette distinction était pourtant essentielle.

Tous ces os sont entassés sans ordre dans le limon qui, comme nous l'avons vu, aurait été entraîné par de grands courants d'eau. Schmerling combattait en cela le système du docteur Buckland, contre lequel d'ailleurs Guillaume Penn s'était déjà élevé en soutenant la même opinion que le naturaliste de Liège. L'éloquent et consciencieux professeur Wiseman a demandé récemment, dans son précieux ouvrage: Discours sur les rapports entre la science et la religion révélée, si l'on a trouvé des ossements humains, "tellement mêlés avec les débris d'animaux, que nous puissions en conclure que l'homme a été sujet à la même catastrophe qui les a enlevés à l'existence ? " Si ce docte prêtre avait eu connaissance de l'ouvrage de notre célèbre concitoyen, il aurait trouvé dans le fait extraordinaire qu'il signale, la réponse péremptoire à sa demande, et justement celle qui confirme l'éclatante vérité de la Genèse.

On sait que l'un des plus beaux titres de Cuvier à l'admiration du monde savant est d'avoir découvert que l'homo diluvii testis était une Salamandre colossale, et d'avoir déterminé d'avance la figure des os que personne n'avait vus, puisqu'ils étaient enfouis dans la pierre. On a reconnu ensuite que les os humains des brèches osseuses de la Méditerranée, signalés par Spallanzani et Fortis, n'étaient pas plus fossiles que le squelette de la Guadeloupe. MM. Boué et le comte Razounovsky trouvèrent sur le bord du Rhin et en Autriche des ossements humains, mêlés à ceux de races animales éteintes. Le comte Von Sternberg et Von Schlotheim dans les plâtrières de Costritz en rencontrèrent aussi. On en signale dans les grottes du midi de la France, et MM. 'Tournal, de Christol et Marcel de Serres les décrivirent avec beaucoup de soin; les tourbières des Flandres contiennent aussi des restes fort anciens de l'espèce humaine, mais tous ces faits avaient néanmoins laissé des doutes dans l'esprit. Ces os pouvaient avoir été amenés dans des temps postérieur au remplissage des cavités, comme M. Noegerath de Bonn l'avait du reste constaté pour ceux qu'il avait découverts dans les cavernes d'Hohlerstein en Westphalie, mélangés avec des restes d'hyènes, d'ours, etc. Ce fut à Engis et à Engihoul que le docteur Schmerling trouva, à un mètre et demi de profondeur et sous une brèche osseuse, le dessus d'un crâne humain avec des dents de rhinocéros, de cheval, d'hyène et d'ours. Une mâchoire inférieure fut exhumée à côté d'une dent de mammouth; le crâne était entier quand il fut découvert; des dents humaines, des os maxillaires, des vertèbres, une clavicule, deux fragments de radius, d'autres de cubitus, des os des mains et des pieds gisaient au même endroit. Ils furent soigneusement conservés. Ceux-ci venait d'Engis. A Engihoul, il trouva des pariétaux, des mâchoires, des omoplates, un humérus, des radius et des cubitus, des os du bassin des femmes, des tibia, etc. En tout, il trouva certainement des restes de six individus, dont la taille moyenne devait avoir été de cinq pieds et demi, quoiqu'une dent ait indiqué une taille bien plus élevée. D'après tous les détails, Schmerling ne doutait nullement que ces os De fussent réellement fossiles et qu'ils ne dussent avoir été ensevelis dans les grottes, non pas postérieurement à la cause qui avait entraîné les ossements des animaux de race antédiluvienne, mais en même temps qu'eux. On sait comment Blumenbach juge des races humaines par l'inspection du haut du crâne. Schmerling soumit à une pareille étude les deux crânes qu'il possédait. Il n'hésita pas à admettre que l'intelligence de ces deux hommes antédiluviens devait avoir été fort bornée, et de plus il leur reconnut des analogies frappantes avec la race éthiopienne. Ce résultat est unique dans la science, mais M. Noeggerath se demande avec raison si l'on peut bien se prononcer sur une chose si délicate par deux exemples ? Nous répondrons que le premier jalon est planté et que c'est à la suite des temps à décider cette question. Schmerling ne se dissimulait pas l'objection qu'on pouvait lui faire; il le dit lui-même, mais il a signale cette analogie pour ne rien négliger dans un problème de si haute importance. Là ne devait pas se borner le résultat de ses recherches. A Pondres et à Souvignargnes (Hérault), M. Christol et Marcel de Serres avaient rencontré des poteries avec des os humains et d'autres os d'hyènes, d'ours, de rhinocéros, etc. On en avait conclu que le charriage de ces os pouvait avoir entraîné le squelette d'une tombe voisine, dans laquelle on supposait avec quelque raison que des vases avaient été enterrés. ? Mais Schmerling découvrit, dans les limons ossifères de Liège, des os taillés en aiguille et troués; des os à perforer, des cornes également taillées et des silex polis à deux faces, l'une plate et l'autre triangulaire. M. Noeggerath a exprimé, depuis, l'opinion que ces pierres sont analogues à celles dont les anciens Mexicains se servaient en guise d'instruments tranchants. Quoiqu'il eu soit, le naturaliste de Liège n'hésitait pas à voir dans ces instruments des restes de l'industrie antédiluvienne. Il ne doutait donc pas que l'espèce humaine n'eut existé avant le dernier cataclysme, et de plus que les hommes ne fussent alors réunis en société, et ne possédassent quelques arts qui, quelque imparfaits qu'ils pussent être, n'en attestaient pas moins une intelligence progressive. Remarquons que nulle part dans son ouvrage il ne cite les textes sacrés, et que la question de mettre en rapport la science et la foi semble ne s'être nullement présentée à son esprit. Les raisons sont toutes géologiques, toutes scientifiques, et c'est là principalement ce que le savant Viseman cherche avec le plus de ferveur dans l'ouvrage que nous avons cité plus haut.

Ainsi, Schmerling, a non seulement rendu de grands services à la géologie, à la paléontologie, mais il a été par ses travaux un savant éminemment utile à l'histoire des temps primitifs, à la science des dogmes, par conséquent à tout ce qui intéresse au plus haut degré l'homme et la société.

En 1832, l'Académie royale des sciences de Bruxelles commença à publier ses utiles bulletins, publication prompte et fort convenable au savant qui veut prendre date de ses découvertes. Le 3 mars de cette année, le docteur Schmerling communiqua à cette compagnie sa Description détaillée des ossements humains fossiles, dont nous venons de parler. Le 12 octobre 1833, il lui fournit la première partie de son grand ouvrage imprimé ou Recherches sur les ossements fossiles découverts dans les cavernes de la province de Liège. Le 5 avril 1834, il fut nommé membre correspondant de l'Académie. Le 8 août l835 il communiqua des renseignements sur une caverne à ossements qu'il venait de découvrir dans le Luxembourg. C'est le seul travail envoyé à cette institution qui ne se trouve pas dans son grand ouvrage. La grotte nouvelle était le trou de Hogheur, situé sur l'Aisne, petite rivière qui se jette dans l'Outre; elle est située à un quart de lieue de Villers Ste Gertrude. Il découvrit encore des animaux, mais semblables à ceux des cavernes de la province de Liège et qui le confirmèrent dans son opinion qu'ils y avaient été charriés avec le limon, sans que les animaux aient vécu dans les souterrains.

Le 7 novembre 1835, justement un an jour pour jour avant sa mort, et alors qu'il souffrait déjà de la maladie qui devait terminer une carrière si utile, il envoya à l'Académie un mémoire des plus originaux. C'est ce dernier travail qui lui a valu en Allemagne une réputation populaire parce que c'est en effet une idée qui aux yeux des gens du monde, doit paraître un vrai rêve de savant quoique rien ne soit pourtant plus simple et plus vrai.

Les immortels travaux de Cuvier ont familiarisé les hommes instruits avec la connaissance de ces races nombreuses à jamais éteintes. Le peuple même n'est plus entièrement étranger aux faits généraux que cette archéologie naturelle a fait découvrir. Mais jusque-là, on ne pensait qu'à augmenter de jour en jour, par des recherches, le nombre de ces habitants des mondes anciens.

Schmerling eut tout-à-coup une idée des plus ingénieuses. Il était médecin; il voulut savoir si ces animaux si anciens n'avaient pas été malades, et il résolut d'étudier leurs maladies. En effet, il découvrit plusieurs altérations morbides auxquelles ils avaient été sujets, et comme tout se lie dans les sciences il tira des faits nouveaux que sa sagacité venait de lui révéler, des inductions utiles à la médecine des vivants. Il avait reconnu des fractures, des caries, des nécroses et chose plus singulière, des os rachitiques, des exostoses. Or, la médecine a tâché d'expliquer ces dernières altérations par l'usage de boissons chaudes, comme le thé, le café; par celui d'aliments mauvais, par l'abus des pâtisseries, par l'effet de l'air humide ou de la malpropreté, toutes causes qui n'ont pu agir sur les animaux antédiluviens. Schmerling concluait de la que le rachitisme est aussi ancien que les races elles-mêmes. Le docteur Buckland, connu par l'originalité de son esprit, autant que par sa science profonde, disait un jour dans un congrès scientifique: Il faut bien que nous croyons à l'histoire des animaux fossiles, telle que nous la donne M. Schmerling, puisqu'il a été le médecin des hyènes antédiluviennes.

Depuis que notre collègue s'était fait connaître par ses travaux paléontologiques il recevait des savants, et surtout des savants étrangers des preuves multipliées d'estime. M. De Humboldt l'encourageait noblement. Les notabilités scientifiques se rendaient à Liege uniquemient pour le voir et pour admirer sa collection. Lui-meme se rendit au congrès de Bonn et à ceux qu'avait etablis la sociélé géologique de France dont il etait membre. Cependant, l'assiduité de ses recherches, les courses qu'il était obligé de faire avec trop de vitesse pour ne pas négliger ses mallades, et la fatale habitude qu'il avait contractée de travailler depuis 9 heures du soir jusqu'à 3 heures de la nuit, au milieu d'un nuage de fumée de tabac, avaient miné sa constitution. Depuis 1934, il souffrait de la poitrine et du coeur. Au mois d'Aout 1836, il alla à Strasbourg pour voir ses deux filles seuls enfans issus de son mariage, mais il revint plus mal que jamais. Malheureusement il ne suivait les conseils d'aucun de ses collegues et en consultait beaucoup. Le 6 novembre, il avait fait descendre son lit et travaillait encore à la classification de ses fossiles. Le lendemain, après que son domestique l'eut laissé un instant sur son lit, dormant légèrement, il expira. M. Habet, jeune et savant médecin auquel il avait confié le soin de ses malades, trouva une demi heure après ce fatal moment, un écrit sur les fémur qu'il avait rédigé peu d'instants avant sa mort.

Tel fut le sort d'un homme aussi instruit que modeste. Son ouvrage sur les fossiles est un des plus beaux livres que la Belgique ait produits dans ces dernières années. Ce n'était pas le seul travail que son auteur eût l'intention de publier. Depuis quelques années, n'ayant plus de grottes à explorer, il s'occupait de la recherche des polypiers fossiles du terrain de Maestricht. Il était parvenu à en découvrir un nombre prodigieux, si j'en juge par les détails qu'il nous communiqua au congrès scientifique de Liège, le 16, août 1836 et jours suivants.

Schmerling, après la mort de Gaude et la retraite de M. Carlier fut chargé pendant un an du cours de zoologie à l'Université de Liège. Sa diction difficile à cause de son éducation hollandaise, ne lui permit pas de réussir dans la carrière si épineuse de l'enseignement D'ailleurs les travaux de cette carrière n'auraient pu qu'abréger des jours trop précieux. Un grand nombre de professeurs de l'Université, des médecins, des députés, des sociétés savantes de Liège, du corps du génie militaire et beaucoup d'étudiants vinrent, avec ses nombreux amis, lui rendre les derniers devoirs au cimetière public où il repose à coté de tant d'illustrations scientifiques et littéraires que notre ville a perdues depuis si peu de temps.

Schmerling avait reçu peu de jours avant sa mort, le diplôme de membre de l'institut des Pays-Bas; il fut extrêmement sensible à ce témoignage d'estime que lui accordait la première institution savante de sa patrie; il était correspondant de l'Académie royale des sciences et belles-lettres de Bruxelles, de la société géologique de France et de plusieurs autres institutions.

Une commission désignée par le gouvernement a été, depuis sa mort, chargée d'examiner son cabinet qui, pour l'honneur du pays et pour la haute utilité qu'en peuvent retirer l'instruction publique et l'avancement des sciences, devrait être acquis par l'Etat. Ce cabinet est un des plus riche qui existent: il renferme les ossements de 56 espèces de mammifères, de 8 espèces d'oiseaux et d'autres ossements de reptiles et de poissons; le nombre des gros objets est d'environ 900, et si l'on énumère les petits débris, qui sont loin d'être sans mérite, il y a de 18'000 à 20'000 ossements. Il s'y trouve au moins 450 canines d'ours et un nombre au moins égal de molaires de ces animaux. Les ossements d'ours sont si nombreux et si diversifiés, qu'il serait possible d'en faire deux ou trois squelettes complets ou à peu près. On ne doit pas oublier les débris si rares de l'homme et les restes de l'ancienne industrie humaine, qui donnent à cette collection un mérite tout particulier.

M. Ch. Morren, professeur ordinaire à l'Université de Liège, est l'auteur de cette notice (Extrait de l'Annuaire de l'Académie pour 1838)



NECROLOGIE par C MORREN

Le convoi de M. Schmerling a eu lieu hier; un grand nombre de professeurs de l'université, des médecins, des députés de toutes nos sociétés savantes, du corps de génie militaire, et enfin beaucoup d'étudiants ont rendu le dernier hommage à sa mémoire.

M. Morren a prononcé le discours funèbre suivant. C'est un excellent résumé de la plupart des travaux dus à notre digne concitoyen.

"La mort d'un homme de bien est toujours pour la cité une perte considérable; mais, quand aux vertus du bon citoyen, il joint une haute instruction, une intelligence rare, un nom distingué, sa perte rejaillit sur le pays tout entier, sur la société, sur l'humanité même. La douleur nous a réuni sur les bords de cette tombe, qui à ce double titre, excite nos regrets.

Philippe Charles Schmerling était, en effet, un de ces hommes qui illustrent leur pays par les qualités du coeur et les travaux de l'esprit. Né à Delft, en Hollande, en 1790, d'une famille originaire de Vienne, en Autriche, sa première vocation fut la pratique de la médecine, profession de son père; attaché en qualité d'officier de santé aux armées hollandaises, l'état de guerre qui pendant si longtemps divisa l'Europe à la suite de la première révolution française, le mit dans la nécessité de voyager et d'exercer par profession et par goût le talent de l'observation qu'il sut plus tard tourner si habilement au profit des sciences. Il avait d'ailleurs puisé ses premières leçons chez Riemer, fameux anatomiste de La Haye. La médecine, science toute d'observations et de raisonnements basés sur le principe de la philosophie péripatéticienne, fut sans doute la cause de la tournure que prit son esprit, naturellement réfléchit et méditatif, lorsqu'une découverte, due au hasard, devint entre ses mains le premier jalon d'un système dont les conséquences se rattachent à l'histoire et aux destinées du globe que nous habitons.

Déjà, dans l'exercice de l'art auquel il vouait la plus grande partie de son activité, le docteur Schmerling ne suivait pas toujours les routes battues; ses opinions médicales n'étaient le plus souvent que le résultat de l'expérience et c'est pour apporter sa part aux lumières qui tous les jours jaillissent d'elle, qu'il publia une dissertation remarquable sur l'emploi de la colchique et de ses préparations dans différentes maladies. Il est certain que si une science plus attrayante et plus générale, puisqu'elle mène aux études philosophiques de l'ordre le plus élevé, n'avait absorbé tous ses moments de loisir, la médecine aurait sans doute reçu d'un homme aussi laborieux un grand nombre de travaux utiles.

Mais, le hasard, cette source intarissable de découvertes, quand elle est fécondée par le talent, est venu changer en quelque sorte la carrière scientifique du collègue dont nous déplorons la perte. Des ouvriers découvrent dans les carrières des environs de Liège, il y a huit ans, une excavation souterraine dont le limon renfermait des ossements. M. Schmerling les examine attentivement et leur reconnaît des signes non équivoques de la plus haute ancienneté et de leur nature particulière. Un premier travail lui fait découvrir qu'ils proviennent de ces races perdues dont les cataclysmes du globe ont à jamais éteint les espèces. Depuis ce moment, il n'a plus de repos, ses recherches sont sans relâche, il étudie l'anatomie comparée, sous la direction de M. Fohmann, pour savoir mieux reconnaître ces ossements. Aussi, peu d'années lui suffissent pour trouver dans les seules provinces de Liège et de Luxembourg, pays devenu classique depuis et visité aujourd'hui par un très grand nombre de géologues, plus de quarante de ces grottes, si mystérieusement ouvertes et remplies, comme des catacombes des mondes antédiluviens, de tant d'animaux dont la structure est révélée à l'homme par la science et le génie.

Profondément convaincu de cette grande vérité, source première de toute science, que c'est dans la nature et par l'observation des faits et non par de vaines spéculations théoriques qu'il faut s'élever à la connaissance des causes premières, le docteur Schmerling interrogeait plus souvent les choses que les livres. L'érudition n'était chez lui que le complément de la science des faits; aussi ses ouvrages, devenus célèbres, et surtout ses recherches sur les ossements fossiles découverts dans les cavernes de la province de Liège et son mémoire sur les ossements fossiles à l'état pathologique sont-ils marqués au coin d'une originalité précieuse. Cuvier, Buckland avaient parlé, le docteur Schmerling, tout en professant le plus grand respect pour ces autorités illustres croyait appartenir à la véritable république des sciences et des lettres, ou le servilisme à fait commettre et perpétuer tant d'erreurs. Sa théorie est sienne. La gloire de l'avoir conçue lui revient toute entière et la Belgique doit être fière, dans cette circonstance comme dans tant d'autres, de marcher dans la voie du progrès avec une direction particulière, un caractère original, un cachet de nouveauté, genre de mérite que toutes les nations n'ont pas le droit de revendiquer.

La question si souvent agitée de l'existence humaine avant les grands déluges qui sont venus abîmer toutes les races animales, a pris entre les mains de notre habile paléontologiste, un intérêt puissant. On a vu naguère tout Paris en émoi parce qu'on avait découvert dans la Foret de Fontainebleau un prétendu homme fossile antédiluvien. C'était une masse informe de grès ou l'imagination seule pouvait découvrir une figure humaine. Liège possède le seul échantillon d'une partie de squelette dont l'origine pourrait bien être antédiluvienne. Il possède l'organisation de la race éthiopienne et c'est aux soins du docteur Schmerling que nous devons cette pièce unique dans les collections paléontologiques. Notre collègue a tiré de ce fait des conclusions du plus haut intérêt qui se sont ralliées aux nouveaux systèmes géologiques et aux vérités inébranlables des livres saints.

Sont activité et ses veilles ne devaient sans doute pas s'arrêter en si bon chemin. Depuis quelques temps, il explorait la célèbre Montagne Saint Pierre de Maestricht et les polypiers, ces animaux si curieux, avaient particulièrement fixé sa fructueuse attention. Un ouvrage nouveau allait paraître sur cette matière et aurait fait un titre de gloire de plus pour lui et le pays, lorsque la mort est venue le saisir inopinément. Peu de jours avant de mourir, il venait d'être reçu membre de l'Institut royal des Pays-Bas; l'académie royale des sciences et des belles-lettres de Bruxelles, la société géologique de France le comptait parmi leur membres correspondants; ses ouvrages étaient traduits ou analysés en Italie, en France, en Allemagne, en Russie, en Angleterre et aux Amériques. Chaque année, il voyageait dans le but de s'instruire; cette année, des soins plus doux, le coeur d'un bon père l'avaient appelé à Strasbourg pour en ramener deux filles chéries; elles n'ont pu jouir longtemps de l'amour d'un père et si sa perte est pour elles un malheur irréparable, l'amitié, la patrie, la science et l'humanité confondront leurs regrets avec leurs larmes."



BIOGRAPHIE par Ch FRAIPONT

Philippe-Charles SCHMERLING est né à Delft, le 24 février 1791, et mort à Liège le 6 novembre 1836.

De famille autrichienne fixée en Hollande, fils de médecin, il se destinait à la médecine; il fit ses premières études à Delft, les continua pendant deux années à Leyde, puis à La Haye. C'est là qu'il puisa l'amour des collections chez le Dr de Riemer, qui avait consacré sa fortune à l'établissement d'un étrange cabinet de pièces anatomiques dans la totale obscurité d'une chambre où jamais ne pénétrait la lumière solaire et où les rares initiés pou­vaient contempler ses richesses à la lueur des bougies.

Il entra comme médecin militaire dans l'armée des Pays-Bas et tint garnison à Venlo jusqu'en 1816; alors il démissionna pour pratiquer son art dans le civil.:

Il épousa en 1821 Sara-Henriette-Caroline de Douglas, issue d'une branche hollandaise de cette noble famille d'Ecosse. Quelques mois après son mariage, il vint s'établir à Liège, où il fut reçu docteur en médecine après soutenance d'une thèse: De studii psychologiæ in medicina utilitate et necessitate.

En 1832, il publia une note « Sur la teinture de colchique » et ses effets dans les affections rhumatismales et goutteuses; là aussi il fut un précurseur.

Il atteignit l'âge de quarante-deux ans sans que rien de saillant pût faire prévoir sa destinée.

En 1829, il se rendit à Chokier, à quelque 20 kilomètres en amont de Liège, dans la vallée de la Meuse, pour y visiter un malade, tailleur de pierres dans une carrière du pays, et il remarqua que les enfants de cet homme jouaient avec de gros ossements dont la forme et les dimensions l'intriguèrent. L'ouvrier lui apprit que de telles pièces se rencontraient fréquemment dans les travaux d'exploitation du rocher et qu'il pensait que ces travaux recoupaient un ancien cimetière communal.

Pour Schmerling, évidemment, aucun doute ne subsista; il n'était question ni d'ossements humains, ni d'ossements d'animaux actuels du pays. Il se réserva ces fossiles et tous ceux que les travaux de la carrière feraient découvrir; en échange, il promettait ses soins gratuits à la famille de son client.

Schmerling avait trouvé la première des quarante grottes qu'il allait fouiller dans un espace de quatre ans, à ses frais, ébréchant sa petite fortune d'une trentaine de mille francs.

N'étant ni géologue, ni familier de l'anatomie comparée, il fut instruit dans cette dernière science par le professeur Fohmann, fils d'un accoucheur distingué d'Assamstadt (Duché de Bade) et ancien élève de la Faculté de médecine d'Heidelberg, où il suivit l'enseignement de Tiedemann, qui le fit nommer prosecteur d'anatomie en 1817. En 1820, Fohmann découvrait les rapports des vaisseaux lymphatiques et des veines et fut promu professeur agrégé d'ostéologie. De là, il passa à Liège comme professeur ordinaire d'anatomie. Elu de l'Académie de Belgique en 1834, il était aussi membre de l'Académie de médecine de France et intime ami de Breschet à Paris. Il mourut à Liège le 25 septembre 1837.

Avec Fohmann, à trente-neuf ans, Schmerling, débutant dans l'étude paléontologique des Vertébrés, détermina la faune des cavernes belges. Il reconnut, dans les cavernes qu'il visita, plus de soixante espèces d'animaux. Buckland n'en avait reconnu que vingt et une à Kirkdale, et les cavernes du Midi de la France n'en avaient fourni que trente-deux à Tournal.

C'est au début de ses recherches, à la fin de 1829 ou au début de 1830, que Schmerling découvrit deux crânes humains dans la seconde caverne d'Engis. Il est donc, de loin, le premier à avoir recueilli des restes d'Homo neanderthalensis, la découverte de Néanderthal datant de septembre 1856,: celle du crâne de Gibraltar de 1848, mais, comme celui d'Engis, ce dernier demeura de longues années sans attirer l'attention. Nous ne parlerons que pour mémoire de la calotte de Cannstadt, qui ne peut être rapportée à ce type que de façon très douteuse.

En 1828, Tournal dans l'Aude et Christol à Pondres, près de Nîmes, avaient reconnu des ossements humains avec des fragments de poterie grossière, des coquilles terrestres et des ossements d'animaux éteints et actuels: Rhinocéros, Hyène, Ours des cavernes. Desnoyers controuvait leurs conclusions. Aux bords du Rhin, Boué, en Autriche, le comte Kozounovsky, dans les plâtrières de Costriz, de Sternberg et von Schlotheim, dans les tourbières des Flandres, Charles-Morren, pensaient avoir trouvé l'Homme fossile. Nœgerrath, à Bonn, considérait que les ossements de ses cavernes d'Hohlerstein, en Westphalie, étaient postérieurs à l'époque du remplissage. Cuvier venait de faire sombrer dans le ridicule l'Homo diluvii testis, la Salamandre de Scheuchzer. C'est dans cette atmosphère que Schmerling, non seulement affirma la coexistence de l'Homme et des grands Mammifères quaternaires, mais déclara qu'il avait recueilli les restes mêmes de cet Homme dans la seconde caverne d'Engis.

Elu membre de l'Académie royale de Belgique le 5 avril 1834, époque où déjà il souffrait de la poitrine et du coeur, il travaillait la nuit, de neuf heures du soir à trois heures du matin, dans un nuage de fumée, ses journées étant consacrées à ses malades, à ses fouilles ou à son enseignement.

Il avait, en janvier 1834, succédé à Henri-Maurice Gaede comme professeur de Zoologie à l'Université de Liège. Gaede est né à Kiel (Holstein), le 26 mars 1795; i1 est mort à Liège, le 2 janvier 1834. Il y enseignait l'Histoire naturelle, la Minéralogie, l'Anatomie comparée, la Botanique et la Physiologie des plantes.

Schmerling était membre de l'Institut des Pays-Bas et correspondant de la Société géologique de France, où parut son premier travail sur les cavernes.

En 1836, rentré de Strasbourg, où il était allé voir ses filles mariées, il s'alita; la veille de sa mort, il fit descendre son lit dans la salle où il rangeait ses collections; il expira en rédigeant un mémoire sur des fémurs, mémoire que le Dr Habets retrouva inachevé entre ses mains.

Si l'Académie de Belgique et la plupart de ses collègues de l'Université reconnurent l'intérêt de son magistral ouvrage sur les Ossemens fossiles des cavernes de la province de Liège, avec ses soixante-quatorze planches in-folio, une grande partie de l'édition de ce travail fut vendue comme vieux papier, l'auteur n'arrivant pas à payer l'éditeur. Les collections SchmerIing, acquises par l'Etat pour l'Université de Liège, grâce à l'intervention de Charles Morren, furent, pendant plusieurs années, reléguées dans un grenier. Depuis longtemps, évidemment, elles ont repris leur place dans les collections de Paléontologie. Une rue de Liège porte le nom de Schmerling et son buste est à Bruxelles au palais des Académies.

Ce travail n'en est pas moins, en quelque sorte, une réparation-vis-a-vis de cet, homme qui, en 1829, prétendait avoir trouvé et qui, réellement et le tout premier, avait trouvé l'Homme fossile; deux Hommes fossiles: Homo neanderthalensis du Moustiérien et Homo sapiens de la race fossile de Brnö de l'Aurignacien, tous deux dans la deuxième caverne d'Engis, près de Liège.



Les aléas des premières fouilles archéologiques.

Les risques auxquels s'exposèrent les pionniers de l'archéologie, la modicité des fonds qui leur furent octroyés et le ridicule qui fut leur lot sont parfaitement illustrés par la carrière d'un médecin belge, P.C. Schmerling, qui, en 1830, découvrit deux crânes humains associés à des ossements de mammouth et de rhinocéros - témoignage de leur ancienneté. Il lui fallut pourtant attendre un quart de siècle pour voir ses trouvailles porter leurs fruits. Ce sera en fait le géologue britannique sir Charles Lyell qui rendra hommage a Schmerling, dans son ouvrage « The Geological Evidences of the Antiquity of Man » - où il résuma les efforts accomplis et les résultats obtenus par ce dernier dans une phrase des plus prolixes.

Descendre jour après jour, comme le fit Schmerling, à une corde fixée à un arbre afin de se glisser jusqu'à l'entrée de la grotte d'Engis, où furent retrouvés des crânes humains merveilleusement conservés; après avoir atteint la première galerie souterraine, ramper à quatre pattes à travers un couloir exigu donnant accès à des salles plus vastes afin de surveiller à la lumière d'une torche, semaine après semaine et année après année, des ouvriers qui s'acharnaient à briser une couche de stalagmites aussi durs que du marbre afin d'en retirer pièce par pièce les fragments d'ossements sous-jacents, pour ainsi dire aussi durs; rester pendant des heures à patauger dans la boue et recevoir sur la tête l'eau suintant du plafond afin d'annoter le lieu de la découverte et ne pas risquer de manquer le moindre fragment de squelette; et, finalement, après avoir trouvé du temps libre, de la force et du courage, envisager, comme fruit de son propre labeur, la publication d'un ouvrage qui sera mal accueilli, allant à l'encontre des préjugés d'un monde scientifique et d'un public ignare - quand on prend en considération toutes ces circonstances, on ne doit pas s'étonner, non seulement qu'un voyageur occasionnel ne daigne même pas examiner ce témoignage, mais surtout qu'il ait fallu attendre un quart de siècle pour que même les professeurs de l'université de Liège reconnaissent l'authenticité des découvertes de leur compatriote inlassable et clairvoyant.

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