Sous la place Saint-Lambert, un espace souterrain a été aménagé pour recevoir les visiteurs. Depuis le 28 août 1910 (1), ceux-ci peuvent y examiner les vestiges d'un hypocauste belgo-romain et de l'ancienne cathédrale Saint-Lambert, de même que le niveau néolithique d'un fond de cabane omalien.
Dans son livre « Liège est fine et belle » (2), Hubert Colleye poétise: « Au milieu de la Place Saint-Lambert, une ouverture rectangulaire à même le sol. L'on descend quelques marches et c'est comme si un sortilège avait agi: l'on est brutalement reporté vingt siècles en arrière. Cette descente, qui na duré que deux secondes, me rajeunit de deux mille ans! D'abord l'on croit se trouver dans une cave alourdie d'informes blocs de maçonnerie. Puis, l'on distingue des étiquettes de musée où l'on peut lire des indications archéologiques et des dates ». Et ailleurs: « Et cette excavation du centre de la place est comme un puits d'où sort la Vérité ». Venons en aux faits.
Décidées par le Conseil communal de la Ville de Liège, les fouilles archéologiques entreprises sous la place Saint-Lambert, au coeur de Liège, à l'endroit même de son berceau, ont été pratiquées en 1907 par l'Institut archéologique liégeois, sous la direction de l'ingénieur Paul Lohest (3). La portée historique des découvertes importantes réalisées par ces fouilles fut telle qu'elles ont permis de compléter les annales historiques de la cité de saint Lambert et de fournir des données précises sur les périodes les plus anciennes.
Ces découvertes fameuses ont nettement établi que, à l'époque néolithique, des hommes de civilisation omalienne s'étaient établis à l'emplacement où, plus tard, une villa belgo-romaine fut édifiée et où la célèbre cathédrale Saint-Lambert affirma l'imposante majesté d'une architecture qui en fit la soeur des cathédrales de France.
Mis au jour le 26 septembre 1907, l'emplacement d'habitation néolithique (4), situé à une profondeur de 4 m. 30 au-dessous du niveau actuel de la voirie, est de même nature que ceux découverts en Hesbaye et appartenant à l'époque omalienne (5), si caractéristique et dont l'industrie offre de grandes analogies avec l'industrie des emplacements d'habitation à céramique rubanée (Bandkeramik) des bords du Rhin. Vestige d'une agglomération analogue à celles de la Hesbaye, il s'agit de fonds de cabane dont le mobilier se composait d'un matériel lithique en silex (grattoirs, scies, éléments de faucilles, nucléus, lames, éclats ayant subi l'action du feu) et en roches autres que le silex, de fragments de poterie grossière et fine - celle-ci décorée -, d'os, de débris de cuisine et de bois de cerf.
Jusqu'au moment où la trouvaille de la place SaintLambert fut faite, les fonds de cabanes omaliens signalés par Marcel De Puydt et ses collaborateurs étaient tous localisés dans les plaines de la Hesbaye, entre la Meuse, la Méhaigne et le Geer. Les fonds de cabane omaliens de Liège furent les premiers révélés dans la vallée de la Meuse. Pour l'omalien, la découverte à Liège de produits osseux est également restée assez exceptionnelle: ils se sont conservés intacts dans le limon brun calcareux, qui provient des inondations de la Légia, petit affluent de la Meuse, et dont une couche d'une épaisseur de plus d'un mètre sépare l'emplacement d'habitation omalien du dépôt romain.
Les fouilles entreprises en 1907 sous la place SaintLambert révélèrent aussi l'existence d'une villa belgoromaine (6), dont une partie seulement fut exhumée, située à proximité de la Légia qui lui fournissait l'approvisionnement en eau. La découverte consista principalement en une petite salle dont le sol était recouvert d'une couche de ciment rouge solide sur lequel s'élevaient, à une distance moyenne de 55 centimètres, d'axe en axe, 24 colonnettes composées de rondelles en terre cuite rouge, de 4 centimètres d'épaisseur et qu'un mortier d'argile crue reliait entre elles. Il s'agit d'un hypocauste (7), terme venant du mot grec latinisé « hypocaustum » (dérivé de « hupo » (dessous) et « kaiein » (brûler) et par lequel les Romains désignaient un ingénieux système de calorifère à air chaud permettant de chauffer les salles des thermes et les appartements des demeures particulières. Les hypocaustes comportent un fourneau (praefurnium), construit en matériaux réfractaires, et le foyer souterrain, bas, avec colonnettes qui soutenaient le carrelage de la salle qui le surmontait; l'un et l'autre étaient reliés par un canal (cuniculus) qui servait à amener entre les piliers les produits de la combustion du bois et, comme le prouve la découverte, de morceaux de houille maigre et de coke du charbon de terre d'affleurement. Après avoir circulé dans la construction grâce à des tuyaux en terre cuite logés dans les murs ou fixés à fleur de ceux-ci, les produits de combustion s'échappaient par une cheminée terminale.
A Liège, outre les colonnettes du foyer souterrain et les murs de la salle qui y correspondait, les vestiges du fourneau et l'emplacement du canal sont toujours visibles. La présence de briques carrées dans deux des colonnettes atteste un remaniement de l'installation.

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Vestiges de l'ancienne cathédrale Saint-Lambert
ABCD: fondements de l'église incendiée en 1185 (bras nord du transept occidental).
M: fragment du pavement de l'église construite sur l'ordre du prince-évêque Notger (972-1008) et consacrée en 1015 par l'évêque Baldéric II.
NO: caveaux.
P: sarcophage.
Q: bloc de pierre.
R: escalier moderne d'accès.
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Plan de l'hypocauste
L: niveau préhistorique de l'habitat néolithique (époque omalienne).
EFGH: hypocauste de 5 m 85 sur 5 m 40.
AI: foyer.
A’J: canal pour les flammes.
C’K: couloir.
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Sur une surface carrée de 40 mètres de côté et à 2 m. 60 sous le sol actuel, s'étendaient les substructions de la villa belgo-romaine qui comprenait, en plus de l'hypocauste proprement dit, au moins cinq chambres combinées avec des couloirs contigus dont les murs subsistent. La salle de l'hypocauste, la plus importante de ces chambres, mesurait 5 m. 85 sur 5 m. 40: elle était située au nord de la villa, pour assurer sans doute au fourneau le meilleur tirage.
Construits en moellons de grès houiller - matériau provenant sans doute de la montagne de Pierreuse -, liés par un solide béton composé de chaux, de sable et de petit gravier, les murs ont une épaisseur moyenne de 3 pieds et, fondations comprises, présentaient encore une élévation de 2 m. 50. Comme il est habituel, les toitures étaient composées de tuiles plates rectangulaires (tegule) couvertes aux jointures par d'autres tuiles (imbrices) de section trapézoïdale. La Section belgoromaine du Musée Curtius expose la reconstitution d'un toit réalisé à l'aide de tuiles semblables provenant de Jupille.
Les parois intérieures de certaines salles avaient été recouvertes de deux enduits, l'un grossier et friable de ciment rose, l'autre plus dur et plus blanc, décoré à la fresque, en rouge vif. Comme dans les villas luxueuses, on a découvert - outre les crépis polychromes, qu'animaient parfois des motifs décoratifs - des débris de revêtements de nombreuses variétés de marbre dont la belle matière provenait non seulement d'Italie, mais de Grèce, d'Egypte et de Tunisie.
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L’Hypocauste de la villa belgo-romaine lors de sa découverte (fouilles de 1907).
(d'après une photo des Archives du Musée Curtius.)
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Les villas les plus anciennes qui aient été reconnues sur le sol belge ne paraissent pas avoir été construites avant le milieu du premier siècle. Celle de la place Saint-Lambert existait en tout cas avant le milieu du troisième siècle à en juger par la découverte des débris de bronze et de vaisselle en céramique. Parmi les documents datés, signalons une pièce de monnaie de l'empereur Hadrien (moyen bronze de 117-138 après J.-C).
La villa fut peut-être détruite au quatrième siècle, lors sans doute d'une incursion barbare. L'endroit où elle était bâtie dut demeurer abandonné fort longtemps, si l'on se base sur deux constatations d'ordre archéologique: d'une part, dans la couche de terre non remaniée recouvrant immédiatement le dépôt romain, la présence de nombreuses racines de broussailles et coquilles de l'helix nemoralis, petit escargot qui vit sur les ronces et les églantiers: d'autre part, sur cette première couche, l'existence d'un limon d'inondation que d'autres racines de broussailles tapissaient. Il n'empêche que la présence d'un cimetière mérovingien sur la « butte Notger » (8), à l'emplacement du square de ce nom, porte à attester que, dans l'occupation du site, il n'y aurait pas eu de rupture entre l'époque romaine et l'époque franque.
Jusqu'à la fin de l'Ancien Régime, l'insigne cathédrale Saint-Lambert fut sans conteste le mémorial de toutes les gloires religieuses et civiles de la cité de Liège. Elle était le temple national des Liégeois. En regard de la façade méridionale du palais de nos princes (9) - l'un des monuments civils les plus importants de Belgique, avec lequel elle formait un complexe architectural digne d'une capitale, - elle dressait une énorme masse conçue et ouvrée à l'égal des cathédrales de France. Depuis le quatorzième siècle, un pont couvert reliait les deux monuments, l'un civil et l'autre religieux, comme pour symboliser le double aspect d'un pouvoir unifié dans la personne du prince, représentant suprême de l'antique patrie liégeoise. Oeuvres grandioses réalisées sous le sceptre et la crosse de plusieurs princes de Liège, elles affirmèrent la plus haute qualité d'une ville qui fut, outre le « chef » d'un bien plus vaste diocèse, une capitale politique.
Là où, au huitième siècle, saint Lambert, le patron de l'Eqlise liégeoise, souffrit le martyre, les fouilles mémorables de 1907 remirent au jour de nombreuses substructions qui avaient appartenu à l'ancienne cathédrale de Liège, détruite lors de la tourmente révolutionnaire au grand détriment de notre patrimoine historique et artistique. Dès le 17 février 1793, la démolition complète de la fameuse basilique était décrétée. Le déblaiement des ruines et le nivellement du terrain ne furent entièrement terminés qu'en 1829. La place Saint-Lambert actuelle put alors être appropriée.
A la fin du dixième siècle, Notger, le grand princeévêque bâtisseur (972-1008), fit construire dans sa capitale un nouveau palais épiscopal et la cathédrale SaintLambert, consacrée par Baldéric II, dont les fouilles exhumèrent les éléments architecturaux (des bases de colonnettes) (10) d'une crypte à trois nefs et à trois travées, sise sous le choeur occidental. Cette cathédrale fameuse, qui, d'après la chronique (première moitié du treizième siècle) de Gilles d'Orval, était décorée de peintures murales dont le vieil annaliste liégeois déplore la perte, fut ruinée par l'incendie de 1185 et remplacée par celle commencée sous l'épiscopat de Raoul de Zaeringen (1168-1190). Les fouilles ont établi qu'elle était polychromée, car elles remirent notamment au jour une arcature portant des traces de couleurs.
Du soul-sol de la cathédrale démolie à la Révolution, les fouilleurs retirèrent des caveaux qui étaient décorés à l'intérieur d'un enduit rouge de brique pilée.
Ces tombeaux construits en pierre de sable ou en moellons, renfermaient encore des ossements humains et d'intéressants témoins archéologiques: parcelles de tissus, des fils d'or de vêtements sacerdotaux, des fragments de cuir de chaussures et des clous. Un seul des dignitaires ecclésiastiques inhumés put être identifié, grâce à une lamelle de plomb où était gravée une inscription latine donnant son nom et la date de sa mort: le prince-évêque Albert de Cuyck (+ 1er février 1200), dont la sépulture, située au centre de la grande nef de l'église, livra également l'anneau pastoral et l'âme de la crosse funéraire.

Lame funéraire d'Albert de Cuyck
Les substructions de la cathédrale Saint-Lambert recoupaient en plusieurs endroits celles de la villa romaine dont des morceaux de tuiles et de briques furent réutilisés dans la maçonnerie de l'église médiévale.
Le produit des fouilles de 1907 (mobilier des fonds de cabane néolithique; trouvailles belgo-romaines; éléments architecturaux, sarcophages et objets divers provenant de la cathédrale Saint-Lambert) est conservé au Musée Curtius où il est exposé partiellement dans les sections préhistorique, belgo-romaine et médiévale. Nous avons fait exécuter, en 1955-1956, deux maquettes (11) de la cathédrale Saint-Lambert et des substructions découvertes en 1907.
Le regretté Professeur Léon Halkin a écrit avec raison de l'hypocauste de la place Saint-Lambert: « Les Liégeois chercheraient vainement ailleurs, réunis dans un espace aussi exigu, un ensemble plus impressionnant de souvenirs relatifs au passé le plus lointain de leur glorieuse cité ».
(1) « Place Saint-Lambert », dans « Chronique archéologique du pays de Liège », t. V (1910), P. 104.
(2) Liège (s. d.), pp. 17-21.
(3) Cf. E. Polain, « Découvertes archéologiques Place SaintLambert », dans « Chronique archéologique du pays de Liège ». t. II (1907), pp. 64-71, 84-91, 98-105; du même, « Place Saint. Lambert ». ibid., t. IV (.1939), pp. 19-20; « Place Saint-Lambert », ibid., t. II (1907), pp. 48, 80. 120, t. IV (1909), p. 36, t. V (1910), p. 104; C. Bourgault, « Les dernières trouvailles de la place Saint-Lambert », ibid., t. VII (1912), pp. 122-127, 4 fig.: P. Lecouturier, « Liège. Etude de géographie urbaine », Liège. 1930, pp. 61-64; R. Lesuisse, « Découvertes faites pendant les travaux en cours place Saint-Lambert », dans « Chronique archéologique du pays de Liège », t. XXI (1930), pp. 25-27: E. Polain, « A propos des fouilles de la place Saint-Lambert à Liège », dans « Leodium », t. XXVIII (1935), pp. 77-84; J. Philippe, « Les fouilles archéologiques de la place Saint-Lambert à Liège », Liège, Musée Curtius (1956).
(4) Cf. M. De Puydt, « Le fond de cabane néolithique découvert à Liège sous la place Saint-Lambert », dans « Annales de la Fédération archéologique et historique de Belgique ». XXIe session (Congrès de Liège, 1909), t. II, pp. 33-47. ill.
(5) Cf. J. Hamal-Nandrin, J. Servais et M. Louis, «L'omalien », dans « Bulletin de la Société royale belge d'anthropologie et de préhistoire ». t. LI (1936), pp. 25-125.
(6) Cf. Léon Halkin, « L'hypocauste belgo-romain de la place Saint-Lambert, à Liège ». Liège. Imprimerie Chantraine et Griffe, 1918. 8 pp.
(7) Cf. J. Breuer. « Les études archéologiques au pays de Liège. Coup d'oeil rétrospectif », dans « Liège, capitale de la Wallonie ». Liège, 1924, p. 131 ss.; V. Balter, «Le fonctionnement des hypocaustes ». dans « Annales de la Fédération archéologique et historique de Belgique», XXIXe session (Congrès de Liège. 1932), fasc. IV, pp. 135-144; E. Polain, dans « Bulletin de l'institut archéologique liégeois». t. LXI (1937). p. 84 s.
(8) Découvert en 1865 et signalé en 1868 par le baron Albert d'Otreppe de Bouvette dans ses « Tablettes liégeoises ». p. 53 s.
(9) Cf. J. Philippe. « L'ancien palais des princes-évêques de Liège», dans « Province de Liège ». Liège. 1955, n° 79 et 80.
(10) Cf. C. Bourgault, « Chapiteau et bases de l'ancienne cathédrale Saint-Lambert », dans « Chronique archéologique du pays de Liège », t. V (1910), pp. 123-126, fig.; du même, « Les colonnettes de Saint-Lambert », ibid., t. VI (1911). pp. 41-44. 1 fig.
(11) Ces maquettes ont été réalisées par Mlle S. Giltay Veth, de Maastricht, que nous nous faisons un plaisir de remercier ici.