On s'étonnera peut-être que le fonctionnement des hypocaustes figure à l'ordre du jour de ce Congrès. Mais cet étonnement cessera lorsqu'on apprendra que cette question est, à ce jour, encore loin d’être complètement élucidée. On a beau, en effet, consulter les manuels d'archéologie même les plus récents, on a beau parcourir les nombreuses relations de fouilles, faites en ces dernières années, on ne trouve nulle part un renseignement utile sur le mécanisme des hypocaustes. On dirait même - et ceci est de nature à étonner - que les archéologues évitent d'aborder ce problème. En d'autres domaines, lorsqu'une solution est à chercher, les savants font au moins des hypothèses et essayent de percer le mystère; mais ici, on ne voit nulle part un effort sérieux en ce sens.
Il ne semble pas pourtant que la question soit insoluble. Que trouve-t-on, en effet, dans la généralité des hypocaustes? Un fourneau et un souterrain sur piliers, les deux reliés ensemble par un canal. Ces trois éléments, fourneau, canal et souterrain, situés au même niveau, forment un tout inséparable.
Le fourneau (prae furnium) est un endroit muré, voûté et suffisamment spacieux pour y entretenir un feu de bois ou de braise; il est muni de deux ouvertures dont l'une sert à y introduire le combustible et dont l'autre communique avec le canal.
Le canal (cuniculus), d'une longueur fort variable, mesure en largeur environ 50 à 60 centimètres et en hauteur 60 à 70. I] relie directement le fourneau au souterrain.
Le souterrain est une construction en sous-sol, une sorte de cave très basse - de 50 à 70 centimètres de hauteur située à la suite et au niveau du fourneau; elle s'étend en dessous d'une salle qu'elle est destinée à chauffer et dont elle a d'ordinaire les dimensions. Les briques, à cause de leur propriété de conserver longtemps la chaleur, sont employées à profusion dans sa construction: le sol en est dallé; le plafond, qui sert de sol à la chambre supérieure est fait de grosses dalles de terre cuite, et repose sur de nombreux piliers construits également au moyen de petites briques rondes ou carrées.
Pour être complet nous devons ajouter que le souterrain est en communication avec la salle supérieure au moyen d'un certain nombre d'ouvertures pratiquées dans le plafond, le long de la paroi opposée au canal. Ces ouvertures sont formées de tubes carrés, en terre cuite, appliqués verticalement sur le mur de la salle supérieure, et présentent l'aspect de petites cheminées.
Voilà sommairement décrits, les éléments essentiels que les fouilles nous font découvrir dans un chauffage par hypocauste. Il suffit de les examiner, même d'une façon superficielle, pour constater la relation intime qui existe entre eux: le fourneau communique directement avec le canal; le canal, avec le souterrain; et celui-ci, avec les tubes qui montent dans la salle supérieure.
Etant admis par tout le monde que le fourneau est le foyer, qu'il produit par conséquent, quel que soit le combustible qu'on y emploie, des flammes, des gaz et des fumées, la question qui se pose tout naturellement est celle-ci: Ces produits de la combustion passent-ils, oui ou non, du fourneau dans le souterrain par le moyen du canal? La question est d'importance; car si on répond oui, on sera fatalement acculé à considérer le chauffage par hypocauste comme un chauffage ordinaire, et les tubes qui s'ouvrent dans le souterrain ne peuvent plus être regardés que comme des cheminées d'évacuation pour les fumées et les gaz. Si, au contraire on répond par un non, le fonctionnement de l'hypocauste reste inexpliqué, bien plus il devient inexplicable et impossible.
En effet, si les flammes ne passent pas par le canal, elles devront nécessairement s'échapper par une ouverture ou cheminée placée à proximité ou au-dessus du fourneau et communiquant avec lui. Mais alors, le canal, situé au niveau du foyer deviendra, tout comme la porte d'entrée une prise d'air; c'est-à-dire, l'air contenu dans le canal, dans le souterrain et dans les tubes se précipitera vers le foyer et établira un tirage en sens contraire de celui qu'on escompte pour le chauffage de l'hypocauste. Le souterrain, au lieu d'être une chambre de chaleur, devient de la sorte une vraie glacière. Cette conséquence ne peut faire de doute pour quiconque a la moindre notion du fonctionnement d'un chauffage.
Dès lors, les choses étant comme elles sont, c'est-à-dire, le fourneau s'ouvrant sur le canal, il est radicalement impossible de faire passer l'air chaud par le canal dans le souterrain: cet air sera continuellement refoulé vers le foyer et entraîné dans la cheminée.
Pour faire pénétrer l'air chaud dans le souterrain sans y entraîner en même temps les flammes, il n'y aurait qu'un seul moyen: ce serait celui de prolonger le canal, hermétiquement clos, à travers le fourneau et à travers le mur opposé jusqu'au dehors pour s'y ouvrir et y cueillir l'air frais. Ce canal formé d'une matière incombustible et facile à chauffer, aurait fait un calorifère parfait. L'air cueilli au dehors se serait admirablement chauffé au contact du feu et se serait automatiquement précipité vers le souterrain et de celui-ci dans la salle à chauffer par des ouvertures pratiquées dans le plafond. Cette installation eût été simple à établir, peu coûteuse et fort efficace, malheureusement elle n'a jamais existé.
Car, au cours des nombreuses fouilles d'hypocaustes pratiquées jusqu'à ce jour, on n'a jamais découvert ni dans, ni sur le fourneau un système quelconque de tubulation pouvant dénoter un calorifère. Et c'est pourtant là, dans le fourneau, que cette tubulation aurait dû se trouver. Car un calorifère, pour fonctionner, a besoin d'un foyer pour surchauffer l'air contenu dans les tubes et produire ainsi le déséquilibre nécessaire à sa circulation.
On ne peut pas non plus objecter que ces tubes ont pu être dispersés, lors de la ruine de la villa, car, se trouvant dans les substructions, ils se seraient tout aussi bien conservés que les piliers et les autres parties souterraines qu'on retrouve invariablement. Il reste donc acquis que si les flammes ne passent pas par le canal, le fonctionnement de l'hypocauste est impossible à établir.
Si, maintenant, nous examinons la seconde réponse donnée à la question posée plus haut, si nous admettons que les flammes passent par le canal dans le souterrain, l'explication du chauffage par hypocauste devient chose aisée: la voûte du souterrain sera fortement chauffée et cette chaleur rayonnera et se répandra facilement dans la salle supérieure.
Cette explication est celle du bon sens. Le fourneau étant directement réuni au souterrain par le canal, n'est-il pas naturel de penser que les produits de la combustion se répandent du premier dans le second.
Le nom de praefurnium, avant-four, que les Romains ont donné au fourneau ne s'explique parfaitement qu'en faisant du souterrain le vrai four, celui où les flammes, plus que dans le fourneau, se développent, se répandent et produisent leur maximum d'effet utile.
En faisant passer les flammes dans le souterrain nous restons dans la catégorie des chauffages ordinaires, c'est-à-dire de ceux qui propagent la chaleur par rayonnement ou par contact avec des surfaces chauffantes. Ce faisant, nous décuplons nos chances d'être dans le vrai. Car, malgré l'affirmation contraire de nombre d'archéologues, il n'est pas probable que l'hypocauste ait été une espèce de calorifère, dans lequel l'air chaud aurait été capté par des tubes et expédié dans les différentes salles de l'édifice à chauffer. Comme nous l'avons dit, on n'a jamais trouvé des traces de semblable installation.
Mais il ne suffit pas de dire que les flammes et les fumées passent par le canal dans le souterrain, il faut aussi montrer pourquoi elles s'y dirigent. La raison ne se peut trouver que dans un tirage puissant qui s'établit vers le canal et le souterrain et qui y attire tous les produits de la combustion. Et ce tirage lui-même ne peut être obtenu que par le concours d'une cheminée active. La chose est trop évidente pour avoir besoin d'être prouvée.
La nécessité d'admettre une cheminée au bout du souterrain reste la même, quel que soit le combustible employé. Que le fourneau soit alimenté avec des braises ou avec des bûches de bois, il faut un tirage sérieux vers le souterrain, aussi bien pour activer le feu lui-même que pour produire une chaleur capable de chauffer à travers la voûte la salle sur hypocauste.
C'est une utopie de croire qu'un feu de braises, tel qu'il est requis pour le chauffage d'un hypocauste, puisse se faire sans cheminée ou sans produire des gaz délétères et des cendres (1).
Au point de vue du fonctionnement de l'hypocauste, il importe peu que la cheminée soit construite en pierres ou en briques, placée sur la paroi ou dans l'épaisseur du mur, pourvu qu'elle s'ouvre au bout du souterrain afin de permettre aux flammes de chauffer toute la voûte, et pourvu aussi qu'elle assure un bon tirage, c'est tout ce qu'on est en droit de lui demander.
Dans la plupart des hypocaustes on trouve des briques creuses à ouvertures carrées ou rectangulaires, que les auteurs désignent sous différents noms, mais que les Romains appelaient tubuli, petits tubes. Elles ont en effet l'aspect de tubes destinés à s'aboutir et à former un canal plus ou moins long. On rencontre dans les musées des spécimens de formes et de dimensions différentes. Les deux modèles les plus fréquemment employés sont ceux reproduits par la figure 1 (2).
Fig. 1
Ils ont leurs ouvertures rectangulaires. En prenant pour base une de ces ouvertures, on a pour le grand modèle les dimensions suivantes: base 23 cm x 11 cm, hauteur 20 cm; et pour le petit: base 16 cm x 9 cm, hauteur 17 cm. Les parois du grand tube ont environ 15 millimètres d'épaisseur et celles du petit 10 mm.
Ces tubes ont une particularité qu'il faut signaler. Ils ont en effet, chacun, deux petits trous percés dans deux parois opposées. Dans le grand modèle, ces trous sont carrés (6 x 6 cm) et se trouvent au milieu des parois principales; dans le petit modèle, ils sont rectangulaires (2 x 4 cm) et percés dans les parois latérales. Cette particularité donne aux tubes un aspect original et l'on se demande à quoi ils ont pu servir.
Pour les archéologues qui regardent l'hypocauste comme une simple fabrique d'air chaud, ils n'ont pu servir qu'à véhiculer cet air chaud du souterrain à la salle supérieure et à l'y répandre par les petites ouvertures latérales.
Cet usage des tubes a été trop longtemps accepté de confiance, et il est temps de le contrôler et de le soumettre à un examen sérieux.
Si le souterrain ne contient que de l'air chaud, l'établissement de tubes sur les murs pour le faire monter dans la salle supérieure constitue un gaspillage parfaitement inutile; tout le monde sait en effet - et les Romains le savaient aussi - que l'air chaud plus léger que l'air froid, monte automatiquement dans, les couches supérieures; il suffit par conséquent de ménager dans la voûte du souterrain un certain nombre d'ouvertures pour que l'air chaud monte de lui-même dans la salle supérieure, et cela plus rapidement et plus facilement que par des tubes. On ne peut donc pas croire que les Romains se soient obstinés pendant cinq siècles à construire et à entretenir à grands frais un système de tubulation absolument superflu.
Un chauffage à air chaud exige des cheminées, tout comme un chauffage ordinaire. Que ses partisans nous disent donc où elles étaient posées. Mais ils se taisent, et pour cause, car ils ne savent pas où les situer. Comme elles doivent de toute nécessité avoir été en communication directe avec le fourneau, elles n'ont pu se trouver qu'au-dessus du fourneau ou au bout du souterrain. Or, elles n'ont certainement pas été au-dessus du fourneau parce qu'on n'a jamais, au cours des nombreuses fouilles qui ont été faites à ce jour, trouvé la voûte du fourneau percée d'une ouverture pour cheminées; et aussi, parce que, comme nous l'avons dit plus haut, cette disposition des cheminées aurait rendu le fonctionnement de l'hypocauste radicalement impossible. Il faut donc qu'elles aient été placées au bout du souterrain.
Mais alors, on aura dans le souterrain deux genres de tubes absolument différents: les uns destinés à y cueillir l'air chaud, les autres à recevoir les fumées. Comment expliquerat-on, dans ces conditions, le fonctionnement de l'hypocauste? Par quel ingénieux système séparera-t-on l'air chaud des fumées?
Au cours de mes recherches sur le fonctionnement des hypocaustes, j'ai trouvé dans un auteur allemand (3) la description d'un chauffage intéressant, installé dans la célèbre villa romaine de la SaaIburg. C'est un hypocauste ordinaire, constitué par un praefurnium, suivi d'un souterrain à piliers, au bout duquel il y avait une cheminée formée de six rangées de tubes appliqués sur la paroi. Mais il avait une disposition curieuse et originale: les murs du souterrain étaient à doubles parois, et formaient ainsi une espèce de couloir étroit dans lequel l'air frais pouvait circuler. Ce couloir, complètement fermé du côté du souterrain, communiquait avec la salle supérieure par sept ouvertures rectangulaires pratiquées dans la voûte. Ces ouvertures, espacées le long des murs, étaient formées, chacune, au moyen d'un tube en terre cuite, semblable à ceux que nous avons décrits plus haut. On devine facilement l'utilité de ce couloir: l'air qu'il contient, en contact continuel avec la paroi du souterrain, s'échauffe et monte par les ouvertures dans la salle à chauffer.
Voilà certainement une installation qui réalise à merveille le rêve caressé par les partisans du chauffage à air chaud: elle produit de l'air chaud dans le souterrain et elle l'expédie dans la salle supérieure.
Et pourtant cette installation si ingénieuse confirme en tous points la thèse que nous soutenons, car:
1° Les produits de la combustion, c'est-à-dire les flammes, les gaz et les fumées passent du praefurnium dans le souterrain, où ils échauffent les parois et la voûte, et de là ils passent dans les cheminées;
2° La chaleur n'est produite que par le contact de l'air avec des surfaces chauffées; dans l'hypocauste qui nous occupe, celles-ci sont au nombre de trois: les parois du souterrain, sa voûte et les parois des cheminées;
3° L'air, chauffé dans le canal qui entoure le souterrain, n'est pas véhiculé dans la salle supérieure au moyen de canaux de chaleur placés sur les murs, mais il y monte automatiquement par les sept ouvertures pratiquées dans la voûte.
Nous pouvons donc affirmer que les tubes qu'on appliquait sur le murs de l'hypocauste et qu'on faisait communiquer avec le souterrain n'étaient pas destinés à véhiculer l'air chaud, mais servaient exclusivement à évacuer les fumées.
Pour compléter cette étude, il nous reste à montrer que les tubes, tels que nous les avons décrits, étaient parfaitement adaptés à l'usage auquel on les destinait.
Les cheminées, dans les hypocaustes, devaient être très importantes, parce que le feu qu'on y entretenait était violent et exigeait pour son bon fonctionnement un tirage très actif. Ce résultat pouvait être obtenu, soit au moyen d'une seule grande cheminée, soit au moyen de nombreuses petites cheminées.
Les Romains donnèrent la préférence à ces dernières et, en les appliquant sur le mur, à l'intérieur de la salle à chauffer, ils en firent un sérieux appoint pour le chauffage de cette salle.
Ces cheminées étaient ordinairement construites au moyen des tubes du petit modèle, aboutés les uns aux autres et placés verticalement sur la paroi. Alignées ainsi au nombre de 10, 20, 30 et parfois davantage, elles étaient parfaitement juxtaposées, en sorte que les ouvertures latérales d'un tube s'appliquaient exactement sur celles du tube correspondant de la cheminée voisine de droite et de gauche.
De cette façon, toutes les cheminées étaient reliées entre elles et formaient un véritable réseau dans lequel la chaleur et les fumées pouvaient se répandre à volonté.
Mais comment étaient fermées les ouvertures latérales extérieures des deux dernières cheminées de droite et de gauche? Car il est impossible qu'elles soient restées ouvertes et aient laissé les fumées envahir la salle.
Au cours de nos fouilles, nous avons trouvé quelques tubes munis seulement d'une ouverture latérale, ce qui laisse croire que le fabricant livrait, à la demande du client, des tubes spéciaux pour les rangées extrêmes. A défaut de tubes spéciaux, les ouvertures latérales étaient fermées par des briques ou du mortier. Le plus souvent cependant les rangées extérieures s'appuyaient contre une saillie de mur. Nous avons constaté la chose à différentes reprises.
Les tubes du grand modèle, ayant leurs trous de communication dans les deux faces principales, ne pouvaient pas comme ceux du petit modèle s'appliquer à plat sur le mur; ils devaient y être appliqués par leur côté latéral, et alors ils formaient des cheminées lourdes et épaisses, faisant fortement saillie dans la salle. Pour éviter cet inconvénient, on était obligé de les encastrer profondément dans le mur. Aussi ne croyonsnous pas qu'on les ait souvent employés de cette façon.
Mais lorsqu'il y avait lieu d'établir une cheminée dans un mur de refend, leur emploi était tout indiqué. Ils y remplaçaient la cloison et pouvaient efficacement servir au chauffage de deux salles contiguës.
Cet usage des tubes de grand modèle, que nous avons cru pouvoir déduire de leur conformation, s'appuie aujourd'hui sur une constatation qui a été faite récemment dans un hypocauste découvert à Tongres: on y a, en effet, mis à jour une cheminée-cloison construite au moyen de ces tubes.
Nous pouvons résumer notre travail en quelques mots.
L'hypocauste n'a pas été un chauffage à air chaud, mais un chauffage ordinaire fonctionnant absolument comme nos poêles d'appartement (voir figure 2).
Fig. 2
De même que nos poêles ne chauffent nos appartements que par leurs surfaces chauffantes, ainsi aussi les hypocaustes ne chauffaient la salle supérieure que par le contact de l'air avec le sol et les cheminées. Toutes les autres théories, émises à ce jour, ne résistent pas à un sérieux examen. (4).
(1) Il est certain également, malgré l'avis contraire de M. F. COURTOY, (dans Namurcum, Chronique de la Sté archéol. de Namur, 8e année, 1931, pp. 61, 62) que les cendres seront entraînées dans le souterrain par la force du tirage.
(2) Les deux clichés qui illustrent ce travail ont été gracieusement mis à notre disposition par l'Institut arch. du Luxembourg.
(3) Das Roemerkastell Saalburg, par JAKOBI. Inutile de dire que cet auteur n'a rien compris au fonctionnement de cet hypocauste!
(4) Nous remercions tous ceux qui, au cours de nos fouilles et de nos études, nous ont aidé à élucider le problème des hypocaustes, et, en particulier, M. Léon Halkin, professeur à l'Université de Liège, qui a bien voulu nous fournir des références précieuses pour contrôler l'exactitude de nos déductions.