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Collégiale Saint Pierre à Liège

SAINT HUBERT - Le fondateur de Liège

par le Chanoine J. COENEN

Saint Hubert par Delcour à la collégiale St Jacques de Liège
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CHAPITRE I.

LA PECHE DE NIVELLE-SUR-MEUSE

« Notons encore un accident dont l'évêque Hubert fut victime un jour qu'il vint à la villa de Nivelle (dépendance de Lixhe). Il se mit lui-même à pêcher et il monta dans la barque en retenant ses habits au moyen d'une ceinture. Et voilà qu'il mit la main sur un des pieux, qu'on fixait au fond du fleuve, au moment où un des valets (famuli) leva le marteau pour frapper. Ne sachant le retenir il écrasa, malgré lui, les doigts du pontife. Celui-ci, la main blessée, retourna à la maison, mais le lendemain il nous commanda de continuer le travail. Et quand nous étions tous dans la barque un orage éclata, et, par la force du vent, notre bateau chavira et coula au fond de l'eau, emportant tous ceux qui s'y trouvaient. Entendant ce qui nous arriva le saint Evêque Hubert se frappa la poitrine et, les yeux levés vers le ciel, il s'écria en fondant en larmes: « Seigneur Jésus, Toi à qui la mer et le vent obéissent, Toi qui, marchas sur les flots, Toi dont l'esprit se porta sur les eaux avant que la lumière ne fût, je Te supplie humblement, que ta main nous délivre.» Et pourquoi cacher ce qui m'arriva alors, à moi, son serviteur (servus). « Etant enseveli sous l'eau. je sentis un pan de ma tunique s'attacher à un piquet fixé en terre. Et comme, malgré mes efforts trois fois répétés, je ne parvins pas à me détacher, je m'écriai tout d'un coup: « par ses mérites, à lui, aidez-moi, Vous qui avez créé la mer et la terre. » Dégagé aussitôt, je me trouvai entre deux pieux et j'eus à peine besoin de nager pour arriver au bord de l'eau, dont tous les serviteurs (pueri) sortirent sains et saufs. »

Cet épisode se lit au IXe paragraphe de la première Vie de saint Hubert. Plus d'un lecteur sera peut-être étonné, de ce récit, croyant le fondateur de Liège plutôt, chasseur que pêcheur. Son erreur provient de ce que cette première biographie du Saint, la plus véridique de toutes, a disparu de bonne heure, pour faire place à une longue série de légendes.

L'auteur de cette vie, nous venons de l'entendre, est le serviteur simple et naïf, mais sincère, qui nageait vers son évêque debout sur la berge de la Meuse. Sa personnalité attachante se révèle encore à d'autres endroits de son récit, dont voici un court résumé.

Le Saint continua à souffrir de la main pendant trois mois, et, une nuit de fièvre, un ange lui fit comprendre qu'il mourrait dans un an. Après sa guérison il alla visiter les deux églises de Liège qu'il avait construites, Saint-Lambert d'abord, où il pria longtemps au tombeau de son prédécesseur, Saint-Pierre ensuite.

Là, il s'arrêta près de l'autel de saint Aubin et étendant les bras sur le mur, il le mesura en disant: « Voilà la longueur à laquelle il faut creuser mon tombeau. » « C'est pourquoi, dit l'auteur, nous avons déposé son corps à cet endroit, trente jours après. »

Des habitants du Brabant étant venus lui demander de consacrer une église, le Saint y alla et y exhorta le peuple, de la troisième à la sixième heure. Après la dédicace il assista au repas, récita la prière, donna à tous des eulogies (pain bénit), mais mangea peu lui-même; il était malade. Il se leva de table pour se rendre en voyage lorsqu'un des convives, qui était anachorète depuis douze ans, l'engagea à boire encore une coupe, mais le Saint lui dit: « Je te reverrai au royaume de Dieu, mais ici je ne boirai plus. »

Il se rendit à la rivière et fit deux milles en naviguant et, comme au sortir de la barque la fièvre s'accentua, il alla reposer quelque peu. Pendant qu'il dormait, une dispute éclata entre ses valets qui allaient jusqu'à tirer le glaive, mais l'intervention de l'évêque, que quelqu'un avait éveillé (l'auteur sans doute), mit fin à la dispute. Il monta ensuite à cheval soutenu par ses serviteurs, et arriva la nuit dans sa propre maison, à Fura. Après avoir prié dans son oratoire et baisé l'autel, il s'alita et garda le lit du lundi au vendredi, jour où il mourut entouré des soins pieux de son cher fils Floribert et de l'auteur du récit.

Comme le Saint en avait exprimé le désir, son corps fut transféré, au milieu du deuil général et au chant des psaumes, de Fura à Liège. Les trente milles qui séparent les deux endroits, on porta le corps à pied et, partout sur le parcours, cultivateurs et bergers sortaient des villas pour venir saluer leur bienfaiteur.

Près de Liège une foule nombreuse vint à sa rencontre et l'accompagna jusqu'à Saint-Pierre où il fut déposé, revêtu de l'aube et de la chasuble.

La seizième année après sa mort, la troisième du règne de Carloman, comme des miracles se produisirent sur sa tombe, on s'avisa de relever de terre le corps du saint évêque, mais, avant d'y procéder, on eut recours à un moyen non exempt de superstition. Sur l'autel de la basilique on déposa un évangéliaire et un sacramentaire (missel) et, sur les feuillets tournés au hasard, on crut lire des textes favorables à l'élévation du corps.

Ayant procédé à l'ouverture du tombeau on trouva le corps parfaitement conservé. Le bruit en arriva au palais et aussitôt le prince Carloman se rendit à l'église avec sa femme et ses courtisans. Il aida lui-même à porter à l'autel le corps glorieux qu'il honora des présents les plus divers, tandis qu'il dota l'église des biens de son patrimoine en hommes et en terres, attestant ses libéralités par des chartes et diplômes (1).

La composition de ce biographe anonyme doit avoir été bien laborieuse, car, arrivé à la fin de son récit, il respire en s'écriant: Enfin j'ai fini! Explicit feliciter. Deo gratias. Amen.

Le sympathique narrateur doit avoir composé son ouvrage à l'occasion de l'exaltation des reliques, ou peu après. A partir de ce moment on rendait un culte à saint Hubert et, il semble bien, que le récit du nageur servait de lecture à l'office des matines. La division en neuf leçons du deuxième manuscrit l'indique clairement.

Les reliques de saint Hubert, placées sur l'autel, y restèrent jusqu'en 825, année où elles quittèrent la ville pour être transférées à l'abbaye d'Andage en Ardenne. Cet évènement allait devenir fatal à la première biographie de notre Saint et à son histoire véritable. Ce fut, en effet, à l'occasion de ce transfert que l'évêque de Liège, Walcaud, demanda à son ami Jonas, évêque d'Orléans, de bien vouloir remanier le premier vita de saint Hubert dont le mauvais latin offusquait les oreilles de ses contemporains. Jonas, tout en acceptant de bonne grâce, fit remarquer dans sa préface le grand mérite du travail qu'il dut retoucher. « Si l'oreille, dit-il, est offusquée par la rudesse du langage, l'esprit est édifié par la noblesse de la vertu. » Aussi le savant prélat se contenta-t-il d'une refonte purement littéraire, qui n'apporta aucun changement au fond même de l'ouvrage. Il y ajouta toutefois un chapitre nouveau, très intéressant pour nous, relatant la translation du Saint au monastère ardennais.

Par le fait même de ce remaniement la première vie de saint Hubert tomba dans l'oubli et disparut bientôt. C'était une grande perte pour les critiques qui s'efforcent d'étudier l'histoire sur des documents de première main et qui, pour juger les faits du passé, aiment à recevoir les impressions de témoins oculaires.

Les parchemins qui recélaient la précieuse biographie devaient rester cachés pendant près de mille ans. En 1874 on en découvrit un à la bibliothèque de Valenciennes. Ce manuscrit, remontant au VIIIe-IXe siècle, a été publié par le savant allemand Guil. Arndt dans ses Kleine Denkmaeler aus der Merovingerzeit. Quatre ans plus tard le Père Bollandiste De Smedt trouva au Séminaire de Namur un deuxième texte du XIe siècle, provenant de l'abbaye Saint-Gérard de Brogne. Il se hâta de le publier dans les Bulletins de la Commission royale d'Histoire, au tome V de la IVe série.

Le même auteur a donné, en 1887, au premier tome de novembre des Acta Sanctorum, p, 759-930, une édition critique de ce Vita prima, d'après les deux manuscrits, avec de savants commentaires.

Se basant sur les documents publiés par Arndt et De Smedt, trois autres auteurs se sont également efforcés de démêler le vrai du faux dans la vie de Saint Hubert, à savoir: J. Demarteau, Saint Hubert d'après son plus ancien biographe dans Bulletin de l'Institut Archéologique Liégeois, t. XVI (1881), p. 8O à 160; Silvain Balau: Les Sources de l'Histoire de Liège au Moyen-âge, Bruxelles, 1903, et L. Van der Essen: Etude critique sur les Vitae des Saints mérovingiens, Louvain, 1907. Ce sont les conclusions de ces auteurs que nous nous efforçons de vulgariser dans cette étude.



CHAPITRE II

LE NAGEUR

En commençant notre étude par le récit de la pêche, nous avons laissé dans l'ombre les huit premiers paragraphes que le nageur de Nivelle consacre à son héros. Pour nous documenter complètement sur l'auteur, il est nécessaire de prendre connaissance de cette partie de son oeuvre.

Dans le prologue, il insiste sur son inexpérience dans l'art d'écrire et sur son incapacité, mais il pourra pourtant donner un croquis vrai et fidèle du saint évêque parce qu'il a vécu dans son intimité.

Il commence aussitôt à faire une longue description des vertus du Saint, qui succéda à saint Lambert, mort martyr après quarante années d'épiscopat. Dans la treizième année de son pontificat, saint Hubert fit transférer solennellement le corps de son prédécesseur de Maestricht à Liège et le déposa dans l'église qu'il avait fait construire.

Suit une description enthousiaste de l'apostolat du Saint, qui a évangélisé surtout l'Ardenne, la Campine et le Brabant: malheureusement dans ce paragraphe, où il aurait pu tant nous intéresser, le biographe est d'une brièveté décevante. Les miracles opérés par l'homme de Dieu sont décrits avec plus de détails et plus de précision. Il y en a trois qui se sont passés à Wihoux, à Maestricht et à Emael, et sur lesquels nous aurons à revenir plus loin; un quatrième a eu lieu in vico Gabelio, probablement Givet, où l'évêque avait un pied-à-terre (tabernaculum) avec embarcadère sur la Meuse. Un jour d'automne que le pontife voulait s'embarquer, la sécheresse était tellement grande que le bétail traversait le fleuve, mais les barques chargées n'y pouvaient plus passer. Le Saint se mit en prière, la pluie tomba et la rivière devint navigable.

Voilà brièvement exposé tout le contenu de cette biographie, longtemps perdue et heureusement retrouvée, qu'on appelle la « vita prima », la première vie de saint Hubert. Elle fut composée seize à vingt ans après sa mort, non seulement par un contemporain, mais par un de ses compagnons, par celui-là même qui, ayant invoqué Dieu en son nom, se sauva en nageant vers lui lors de la pêche de Nivelle.

Ce nageur a-t-il été longtemps le compagnon de son évêque? Quinze mois, dit le R. P. De Smedt; nous croyons plutôt qu'il n'est resté que treize mois avec lui. Après l'accident de Nivelle, le Saint resta souffrant durant trois mois. Une nuit d'insomnie, un ange lui révéla qu'il mourrait après un an (post anni circulum) et pendant cette année, le pontife s'adonna encore davantage à la pratique de la piété.

Le Père Bollandiste, additionnant cette année et les trois mois de maladie, conclut que le nageur a été au moins quinze mois au service de l'évêque. Cela ne concorde nullement avec la chronologie indiquée clairement par l'auteur. Il nous montre l'évêque allant d'Emael à Maestricht pour la procession des Rogations et revenant le soir à Emael (demum ad villam Aimala veniens), au moment où il se rend au lit, il voit une aurore boréale et éteint un incendie dans sa propre maison. C'est à cette occasion que l'auteur signale pour la première fois sa présence auprès de l'évêque (transivimus quieti, nous allâmes dormir en récitant complies).

Immédiatement après, en se servant de la même expression que plus haut, « ad villam Nivellam veniens », il nous montre l'évêque allant à Nivelle à la pêche. Donc en quelques jours de temps, pendant et après les Rogations, nous voyons le pontife rayonner autour de sa villa d'Emael; il se trouve successivement à Emael, Maestricht, Emael, Nivelle-sous-Lixhe, Emael.

Quelle était cette fête des Rogations? L'auteur ne le dit pas, mais il est clair qu'il s'agit des Rogations de l'an 726.

Elles tombaient cette année-là les 29 et 30 avril et le 1er mai, donc un an et un mois avant la mort de l'évêque, qui a eu lieu, comme nous le verrons, le 30 mai 727.

La révélation de sa mort future lui a donc été faite quatre semaines après l'accident des doigts écrasés.

Où l'auteur a-t-il composé son écrit? Certainement à Liège, « Les adieux du Saint, dit Van der Essen, p. 61, à ses églises de Saint-Lambert et de Saint-Pierre, le récit des funérailles à Liège, l'élévation des reliques à Liège, tous ces détails qui deviennent plus circonstanciés dès qu'il s'agit de la cité de saint Hubert, indiquent celle-ci comme lieu de rédaction. »

Il composa son récit en latin, la seule langue écrite en notre pays jusqu'au XIIIe siècle. Mais du temps de Saint Hubert on ne connaissait plus le latin littéraire, les invasions barbares du Ve siècle l'avaient balayé de notre sol avec la culture romaine et chrétienne. Au retour du christianisme, au VIIe siècle, on se mit à réapprendre le latin dans les milieux ecclésiastiques surtout, mais ce ne fut qu'avec la renaissance carolingienne qu'on apprit à l'écrire correctement.

La langue du nageur est donc nécessairement un latin peu littéraire, même incorrect et barbare. Il dira par exemple: inruente super nos aquarum undas, au lieu de irruentibus super nos aquarum undis. Il écrit le latin comme un mauvais élève de cinquième et cela uniquement parce que, en 743, on ne connaissait plus les règles de la grammaire; sa latinité défectueuse est une note d'authenticité. Malgré son ignorance de la langue, l'auteur a une certaine prétention littéraire; il est prolixe, loquace, verbeux; il lui faut beaucoup de mots pour dire peu de chose. Cette faconde, toutefois, semble provenir en grande partie de la vénération enthousiaste que l'écrivain éprouve pour la sainteté de son évêque, qu'il admire sincèrement et qu'il veut faire admirer par ses lecteurs.

Si la forme du récit est défectueuse, le fond est, pauvre d'idées et maigre en détails intéressants. Dans les huit pages que le « vita prima » occupe dans la grande publication des Bollandistes, il ne nous donne que quatre noms propres; Hugbertus, Lambertus, Florbertus et Carlomannus. Seulement dix noms de lieux sont cités; Trijectum, Ardoinna, Texandria, Brachante, Wiodh, Aimala, Gabelium, Nivella, Fura et Leodium, tandis que quelques lignes seulement sont consacrées à l'activité épiscopale d'un apôtre, qui a déployé pendant vingt-deux ans une activité fiévreuse et a, certainement, été en rapport avec tous les personnages importants de l'Europe Occidentale, pendant le premier quart du Ville siècle. L'auteur nous dit que des évêques assistaient au transfert du corps de saint Lambert, et il n'en nomme pas un seul.

Tout cela est désolant pour l'historien moderne et met sa curiosité à la torture, mais, malgré cette pauvreté, l'oeuvre du nageur est pour nous d'un prix inestimable, parce qu'elle est loyale et sincère. C'est l'homme du peuple qui parle, il ne parle que de la seule chose qui l'a frappé et qu'il veut faire comprendre à d'autres; la sainteté de son évêque. Et comme il a vécu avec cet évêque, il l'a bien connu et nous pouvons nous fier à sa parole.

Cependant, il se pourrait bien qu'à certains endroits, il se soit laisser entraîner trop loin par son enthousiasme. Parmi les six ou sept miracles qu'il attribue à son héros, il y en a trois qu'il a tout bonnement empruntés au Vita de saint Arnulphe, évêque de Metz, comme l'a constaté le premier M. Joseph Demarteau. La citation n'est pas littérale, bien s'en faut, mais de part et d'autre les faits sont les mêmes, et certaines, expressions, qui reviennent dans les deux récits, prouvent jusqu'à l'évidence que l'un a été inspiré de l'autre. Or, comme le « Vita Sancti Arnulphi » (2) a été écrit vers 700, il est clair que c'est le nageur qui a pillé le biographe lorrain.

Les récits de miracles où l'on constate le plagiat, sont les suivants; Un deuxième dimanche de carême (on ne sait de quelle année), le Saint se trouvant dans une villa de son diocèse à Wioth (Wihoux près d'Argenteau) y guérit une femme dont les mains s'étaient contractées pendant qu'elle travaillait à pétrir son pain le dimanche.

Un autre miracle; Au temps, dit l'auteur, où l'Eglise observe partout le jeûne de trois jours (les Rogations), le Saint homme, l'athlète de Dieu, parcourait le pays en prêchant (per oppida et castella praedicando pergebat). Arrivant à Maestricht, il y présida, comme d'habitude, à la procession qui se fit avec croix et reliques en dehors de la ville. Une femme possédée du démon s'étant mise à crier après lui, le Saint la signa, lui donna un léger soufflet, et la femme était délivrée du mauvais esprit.

De retour, à Emael, il y éteignit par le signe de la croix, un incendie qui menaça de dévorer sa maison (domum ejus) et nous pûmes tranquillement aller dormir dans notre lit en chantant les complies (3).

Que faut-il penser de ces emprunts? Ce procédé de copier un autre auteur n'est pas rare chez les biographes mérovingiens peu exercés à manier la plume, et, quand cela se fait uniquement pour donner une belle description des vertus d'un Saint, on n'y voit pas grand inconvénient; mais ici, comme il s'agit de miracles, ce procédé ne devient-il pas un procédé de faussaire, qui a voulu glorifier son héros en lui appliquant les hauts faits d'un autre? Certes, une saine critique ne peut guère admettre que ces faits se soient passés comme ils sont décrits, non pas, parce qu'ils sont miraculeux, mais parce qu'ils sont décrits comme dans la vie de saint Arnulphe. Lorsque le nageur prit la plume, les épisodes étaient vieux d'au moins dix-sept ans; en lisant la biographie de saint Arnulphe, il se sera rappelé certains faits analogues de la vie de son héros, et, faisant un rapprochement entre les deux Saints, dans son admiration pour son maître, il aura fait ce que fait le peuple couramment en disant: Notre Saint en a fait autant qu'un tel et même davantage. Il aura donné une signification surnaturelle à certains faits anodins dont il se souvenait vaguement. Dans tout cela, il n'a pas voulu tromper; s'il y a erreur, c'est qu'il s'est trompé lui-même. Il a été naïf peut-être, mais pas imposteur. De l'ensemble de sa biographie, il résulte que sa bonne foi est au-dessus de tout soupçon; s'il avait cherché à tromper ses lecteurs « il aurait pu de cent manières, dit M. Balau, faire valoir autrement son héros. »

Quel était donc cet auteur si naïf, mais si sincère, ce nageur peu lettré, qui seul nous a laissé un portrait fidèle du saint fondateur de Liège?

Nous le voyons à Emael chanter les complies avec les clercs, à Fura s'associer aux disciples du Saint, et, en toute occasion, citer bien à propos les textes de l'Ecriture. Il est donc très probable qu'il était clerc lui-même. D'autre part, ce clerc s'appelle servus (serf) de l'évêque, se confond avec les pueri (les domestiques) du Saint et il nous dit que ses contubernales (camarades de chambrée) s'effraient justement de sa hardiesse d'oser manier la plume. Son récit, d'ailleurs, est tout superficiel; il ne raconte que ce qu'il a vu, et ne pénètre nullement dans l'âme et dans la vie intime de son héros. Pour ces raisons M. Demarteau, p. 158, a cru qu'il était un de ces serfs d'église qui, dès le cinquième siècle, ont été admis dans les grades inférieurs des ordres sacrés, mais son opinion n'a pas eu l'heur de plaire aux trois auteurs qui ont traité la question après lui. Comme les mots servus et contubernales peuvent se traduire par serviteur ecclésiastique et confrères, nous pouvons admettre avec M. Van der Essen que le nageur n'était pas un domestique, mais un clerc de grade inférieur, comme les évêques du VIIe siècle en emmenaient avec eux pour les besoins du culte et de la charité », p. 61.

Nous allons voir comment son récit a fait place à d'autres plus ornés, mais moins fidèles.



CHAPITRE III

AUTEURS POSTERIEURS

Dans la célèbre collection des Acta Sanctorum, les Bollandistes n'écrivent pas la vie des Saints, mais publient, avec de savants commentaires, tous les documents qui peuvent nous renseigner sur leur histoire. C'est ainsi que le R. P. Ch. De Smedt, pour éclairer la vie de saint Hubert, a mis au jour une dizaine de documents allant du VIIIe au XVIe siècle, et dont plusieurs étaient inédits. En voici la liste par ordre, de date:

Vers 743, le vita I, du nageur;

En 825, le vita II, de Jonas;

Avant 850, le premier livre des miracles;

Vers 1050, le Chanoine Anselme;

Vers 1090, le deuxième livre des miracles;

Après 1143, le vita III du Chanoine Nicolas;

Fin du XIVe siècle, Jean d'Outremeuse, (vita VI);

XVe siècle, le vita IV;

XVe siècle, le vita V (développement du précédent);

En 1526, le vita VII, d'Adolphe Happart.

Un mot sur chacune de ces sources.

Comme le travail de Jonas d'Orléans n'a été qu'un remaniement littéraire de la première biographie, il ne nous apprend rien de neuf. Seul, le dernier chapitre, dans lequel l'auteur informé par l'évêque Walcaud, raconte le transfert du corps de saint Hubert à Andage, est intéressant pour l'histoire.

Du temps de saint Hubert, ou peu d'années avant son épiscopat, un prêtre sorti de l'abbaye de Saint-Trond, saint Bérégise, avait fondé une maison religieuse en pleine forêt d'Ardenne. Elle avait été richement dotée par le maire du palais, Pepin de Herstal, et son épouse Plectrude, à la cour desquels Bérégise était attaché en qualité de clerc séculier.

A l'origine, cette maison, appelée Andage ou Andagina, n'était pas habitée par des religieux, mais par des prêtres vivant en communauté, conformément aux canons des conciles. Ils y desservaient une église consacrée à saint Pierre. La prospérité de l'établissement ne fut pas de longue durée, car, un siècle après la fondation, presque toute la population s'était dispersée et les constructions de saint Bérégise tombaient en ruine. Heureusement le monastère trouva un protecteur puissant dans la personne de l'évêque Walcaud issu, semble-t-il, d'une grande famille de la Famenne ou de l'Ardenne. Avec son frère Archambeau, il fit de grandes donations au couvent et y remplaça, en 817, les prêtres séculiers par des moines bénédictins animés du meilleur esprit, car Jonas les appelle « des maîtres de choix de la vie régulière. »

D'où venaient ces religieux? De Stavelot ou de Saint-Trond? L'auteur ne le dit pas, mais il est bien possible que l'évêque Walcaud a envoyé au monastère en détresse la communauté établie par saint Hubert à l'église Saint-Pierre à Liège. Cela expliquerait mieux que toute autre considération que, huit ans plus tard, il a pu « dépouiller sa ville épiscopale d'un de ses plus précieux trésors. » (4)

On comprend que les moines nouvellement installés à Andage, quel qu'ait été leur lieu d'origine, se soient trouvés tristement isolés dans leur immense forêt; aussi, demandèrent-ils bientôt à l'évêque un dernier bienfait plus grand que les autres: celui de transférer chez eux le corps de saint Hubert. Walcaud, craignant sans doute l'opposition du peuple, fit trancher l'affaire par toutes les juridictions, s'aboucha d'abord avec son métropolitain, Hildebold de Cologne, puis avec l'empereur Louis le Débonnaire et, enfin, porta la question devant le Concile d'Aix-la-Chapelle, réuni en 825 (5). La translation eut lieu la même année, le 30 septembre, après que le Saint corps eut reposé nonante-huit ans à l'église Saint-Pierre. Comme à la première élévation, en 743, on l'avait trouvé intact et sans corruption.

A peine saint Hubert eut-il pris possession de sa nouvelle demeure, que des miracles s'opérèrent sur son tombeau placé entre le maître-autel et l'abside du choeur. Ces faits merveilleux trouvèrent un historien contemporain dans l'auteur du premier livre des Miracula Sancti Huberti. « Cet auteur, dit M. Kurth, p. 51, est précis et circonstancié et il sait intéresser aux choses qu'il raconte; les huit épisodes miraculeux, qui forment son ouvrage, sont comme autant de tableautins dans lesquels on voit en réduction vivre et agir la société rurale et monastique de la vieille Ardenne... L'impression de l'émoi que causa le premier de ces miracles est rendu avec vivacité par l'auteur, un moine de l'abbaye. Le miraculé était un aveugle qui recouvra la vue d'une manière complète; l'abbé Altvéus l'envoya à Walcaud, qui versa des larmes de joie, et qui se chargea de pourvoir pour l'avenir à l'entretien de cet homme. »

La huitième guérison racontée par l'auteur est celle d'une noble condruzienne, également aveugle, mais dont il « n'ose révéler le nom » sans doute parce que le fait est trop rapproché.

Cent ans plus tard, entre 1052 et 1056, Anselme, Chanoine et doyen de Saint-Lambert écrivit une chronique qui est une de nos meilleures sources pour l'histoire du diocèse. « Parlant de saint Hubert, il renvoie pour plus de détails à la vie du Saint (Vita II), mais, dans le court passage qu'il lui consacre, il caractérise en quelques mots avec une grande hauteur de vues le glorieux rôle du pontife, fondateur de la ville de Liège, créateur de sa première église, législateur de ses habitants, organisateur d'un système de poids et mesures pour la régularité des échanges. » (Balau, p. 168). Le R. P. Ch. De Smedt n'a pas publié cet extrait, parce qu'il a été souvent reproduit.

A la fin du même siècle fut écrit le deuxième livre des Miracles, que M. Karl Hanquet attribue au moine Lambert le Jeune, le génial auteur de la chronique de saint Hubert, dite Cantatorium (6). Il y est question à plusieurs reprises de la dévotion des chasseurs envers le Saint, de la guérison de la rage et de la profession de chasseur attribuée à saint Hubert lui-même.

En 1141, les Liégeois avaient reconquis le château de Bouillon en présence des reliques de saint Lambert, et, deux ans plus tard, ils déposèrent les ossements vénérés dans une nouvelle châsse. A l'occasion de ces grandes solennités, le chanoine Nicolas, prévôt de Saint-Denis, écrivit une vie nouvelle de saint Lambert, et, dans celle­ci, il parla longuement de la jeunesse de saint Hubert, son disciple.

Bientôt, on tira de ce travail ce qui se rapporte à notre Saint et cet extrait porte dans la publication du P. De Smedt le nom de Vita III Sti Huberti.

Cet écrit, trop tardif pour avoir de l'autorité, a versé dans la biographie de saint Hubert bien des détails nouveaux, dont voici le résumé, d'après le chanoine Dans. (Histoire, I, p. 126).

« Du temps que le cruel Ebroin (+ 681) opprimait les Francs, il y avait en Aquitaine un noble jeune homme appelé Hubert, comte du palais, sous le roi Théodoric. Il était instruit dans les belles-lettres et versé dans le maniement des armes. Détestant la tyrannie d'Ebroin et ses persécutions contre le clergé, Hubert abandonna l'Aquitaine et se rendit en Austrasie, près de Pepin, qui y avait rétabli l'ordre en soumettant tous les seigneurs despotes. La compagne inséparable de Hubert fut sa tante Oda, veuve de Boggís, duc d'Aquitaine, récemment décédé. Il ne tarda point de se rendre près de saint Lambert à Maestricht. Il admira ses vertus et son zèle et s'attacha à sa personne. La grâce de Dieu lui inspira un vif désir d'entrer dans la cléricature et de se consacrer au service de Dieu, mais les liens, d'un mariage légitime l'empêchaient de suivre ce désir. Entretemps il vécut, non en laïque, ni en homme marié, ni en comte, mais comme un clerc, disciple de saint Lambert. Celui-ci, peu de temps avant son martyre, conseilla à Hubert de faire un pèlerinage à Rome, au tombeau des SS. Apôtres. Hubert suivit le conseil. Pendant qu'il était en voyage, un ange apparut pendant le sommeil au Pape Sergius, et lui révéla de quelle manière saint Lambert venait d'être assassiné par Dodon. Il lui remit, en même temps, la crosse de saint Lambert, et lui ordonna de conférer son siège vacant, avec la crosse, au prêtre Hubert qu'il ne tarderait pas de rencontrer. Le Pape, en s'éveillant, trouva la crosse près de lui et ne douta pas de la réalité de la vision. Hubert arriva ce jour même à Rome et alla prier sur les tombeaux des Saints Pierre et Paul. Le Pape l'y reconnut aux signes que lui avait donnés l'ange. Il lui conféra le siège épiscopal avec la crosse de saint Lambert. »

La figure de saint Lambert était trop populaire à Liège pour ne pas exciter la verve de ce bon collectionneur de fables, qu'on appelle Jean d'Outremeuse, qui a écrit dans les dernières années du XIVe siècle Ly Myreur des Histors: vaste compilation informe, romanesque et sans critique. Il ne fait que légendariser de plus en plus l'imposante figure de l'évêque de Liège. En 1511, un moine de Saint-Hubert, d'origine maestrichtoise, Adolphe Happart, a traduit en latin tout ce que Jean d'Outremeuse avait écrit en langue romane de notre Saint, et cet extrait constitue dans la publication du Père De Smedt le Vita VI, qui appartient donc au XVI siècle pour la forme, mais à la fin du XIVe pour le fond.

Deux autres Vies (la 4me et la 5me des Bollandistes) virent le jour au XVe siècle. Comme la 3me, elles s'inspirent du Vita Sti Lamberti du Chanoine Nicolas, et ne font que développer les données légendaires de celui-ci. La quatrième nous fournit la première mention du cerf crucifère, tandis que la cinquième s'étend sur le sort malheureux des meurtriers de saint Lambert; dans l'une et l'autre pourtant il y a à glaner prudemment concernant l'étole et la clef de saint Hubert.

Le même Adolphe Happart, dont nous avons déjà parlé, a publié en 1526, un travail plus personnel sur le grand fondateur de Liège. C'est le Vita VII du Père De Smedt. L'auteur, on peut le deviner, y a recueilli avec trop de crédulité, tout ce qui avait été raconté avant lui et « c'est ainsi, dit Van der Essen, p. 70, que la figure du Saint évêque de Tongres arriva à la postérité entourée de guirlandes et de fables, qui effacèrent entièrement les traits véritables de cette attachante physionomie. »

Dissipons les fables: les traits véritables apparaîtront, et la physionomie sera plus attachante.



CHAPITRE IV.

DATES ET MILIEU HISTORIQUE

« Des miracles éclatèrent au tombeau de saint Hubert. C'est pourquoi on procéda à l'élévation de son corps la seizième année après sa mort, la troisième du règne de Carloman. » Ce témoignage nous vient du nageur, témoignage précieux, qui a permis aux historiens de déterminer avec certitude le jour du décès de notre Saint.

Au moins quatre princes de la dynastie carolingienne ont porté le nom de Carloman, entre autres un frère de Charlemagne, mais c'est l'oncle de celui-ci, le frère de Pepin le Bref qui est désigné par notre auteur.

On sait qu'au VIIIe siècle, les rois mérovingiens ont été supplantés et finalement détrônés par les Carolingiens, et ce n'est pas un petit honneur pour le pays de Liège d'avoir été le berceau de cette glorieuse dynastie. Après Landen où demeurait Pepin le Vieux, ce furent trois localités des environs de Liège qui servirent successivement de résidence à la famille des Pepins: Chèvremont, Jupille et Herstal.

A Chèvremont ont habité le domesticas Ansegise et sa femme sainte Begge, fille de Pepin de Landen. Leur fils, Pepin le Gros, sous le gouvernement duquel fut martyrisé saint Lambert, s'est fixé à Jupille, probablement au couvent actuel des chanoinesses de Saint-Augustin. C'est de là qu'il fonda le monastère ardennais d'Andage, et deux diplômes de 706 et 712 prouvent qu'il y résida au moins d'une manière intermittente. Est-ce lui, qui a construit le palais de Herstal, d'où son surnom: Pepin de Herstal? C'est possible, mais l'histoire ne parle pas de son séjour dans cette commune. C'est avec son fils naturel, Charles-Martel, que commence la longue liste des diplômes qui ont été signés à Herstal, in palatio publico, ou, comme on disait plus tard, in palatio regio, au palais royal (7).

C'est surtout sous l'administration de Charles-Martel que les Saints Hubert et Floribert ont rempli les fonctions de l'épiscopat, et, il semble bien, que le maire du palais ou le duc des Francs, comme il s'appelait lui-même, a favorisé d'une manière constante leur apostolat. Durant son long gouvernement, l'autorité de la maison carolingienne s'était si solidement établie que le premier biographe de saint Hubert ne lui cache pas ses sympathies, alors que le biographe de saint Lambert, qui avait écrit un vingtaine d'années plus tôt, était encore partisan de la dynastie mérovingienne.

Le roi Thierry étant décédé, Charles-Martel ne lui donna point de successeur et gouverna seul avec une autorité absolue, jusqu'à sa mort arrivée à Quersi-sur-Oise, le 22 octobre 741. Du consentement des grands, le duc des Francs avait partagé ses états entre ses trois fils: Pepin, Carloman et Griffon. Ce dernier n'eut que de faibles portions du territoire. Carloman reçut la Germanie et l'Austrasie, c'est-à-dire la Belgique à l'est de l'Escaut, tandis que Pepin eut pour sa part la Bourgogne, la Neustrie et la Provence.

Pepin et Carloman s'unirent après la mort de leur père pour dépouiller Griffon de son modeste héritage, l'assiégèrent dans la ville de Laon, où il s'était réfugié, le firent prisonnier et le condamnèrent à une prison perpétuelle. Au rapport des Annales Einhardi, anno 741, Griffon fut enfermé in novo castello quod juxta arduennam situm est au Château-neuf situé près des Ardennes (8). God. Kurth entend par là le château de Chèvremont (9) qui s'appelait alors Château-neuf, Carloman habitait-il là en ce moment? On pourrait le croire et cela expliquerait parfaitement un passage assez énigmatique de notre nageur: « Lors de l'élévation de saint Hubert, nous dit-il, on trouva son corps entier et sans corruption, dégageant autour de lui un parfum suave. Le jour même de la découverte, la nouvelle s'en répandit partout, et un messager vint dire au palais que le seigneur Hubert avait été trouvé tout habillé et intact au tombeau. A cette annonce, l'homme de Dieu, le très noble prince Carloman se leva aussitôt de son siège en même temps que sa femme et les grands de la Cour et ils vinrent auprès du Saint de Dieu, Hubert. »

Le père De Smedt identifie ce palais avec celui de Jupille; on peut admettre tout aussi bien qu'il s'agit de Li Cour à Herstal, ou du Château-neuf de Chèvremont, dans les souterrains duquel le malheureux Griffon gémissait alors depuis deux ans.

Carloman avait succédé à son père mort le 21 octobre 741. La troisième année de son règne (qui fut celle de l'élévation de saint Hubert) s'étend donc du 21 octobre 743 au 21 octobre 744. Comme l'élévation des restes a eu lieu dans la seizième année après la mort du pontife, celle-ci doit être arrivée en 727 ou 728.

Les années étant connues, tâchons de préciser les jours. Dans les premiers siècles du christianisme, les fêtes des Saints étaient toujours des anniversaires, anniversaires de la mort, de l'élévation, de la translation d'un Saint ou de la dédicace d'une église, qui lui était dédiée. Les dates de ces anniversaires inscrites dans les martyrologes étaient immuables, mais les martyrologes n'indiquent pas généralement le motif de la fête. Pour ce qui concerne notre Saint, trois fêtes se trouvent inscrites dans le calendrier: le 30 mai, le 30 septembre et le 3 novembre, sans autre indication que memoria Sti Huberti.

Celle du 30 septembre est l'anniversaire du transfert en Ardenne, que Jonas d'Orléans fixe à la veille des calendes d'octobre. Pour les deux autres fêtes (30 mai et 3 novembre) il ne peut être question d'une dédicace, car l'église de Saint-Hubert de Liège, démolie après la révolution, ne fut fondée qu'en 1110. Une de ces fêtes doit donc rappeler la mort du Saint, l'autre, l'exaltation de ses reliques.

Ici encore notre nageur nous vient en aide, car il nous dit que saint Hubert est mort un vendredi et que son corps a été relevé de terre un dimanche. Or, en 743, le 3 novembre tombait un dimanche, et en 727, le 30 mai tombait un vendredi. Donc le fondateur de Liège est mort le 30 mai 727 (il y a douze siècles), il a été mis sur les autels la seizième année après, le 3 novembre 743, la troisième année de Carloman.

Celui-ci s'était montré généreux à l'égard du Saint; le Saint l'en récompensa en lui faisant comprendre le néant des grandeurs terrestres. Quatre ans après l'élévation du corps de saint Hubert, Carloman, qui était le souverain indépendant d'un état plus grand que la France, renonça au monde et se fit moine bénédictin. Il reçut l'habit monastique des mains de Zacharje, le même Pape qui, six ans plus tard, devait approuver l'élection de son frère Pepin le Bref comme roi des Francs. Les rois fainéants avaient cesser de régner.

Non moins intéressant, mais plus compliqué, est le problème de la date de l'élection épiscopale de notre Saint. Au témoignage du nageur, il fut élu et pourvu de son siège aussitôt après la mort de saint Lambert, martyrisé après quarante années d'épiscopat. La date du sacre de saint Hubert s'identifie par conséquent, avec celle du martyre de son prédécesseur; les deux questions ne font qu'une.

Le problème a reçu dans le cours des temps les solutions les plus divergentes, et les dates proposées se meuvent entre 696 et 712. La tradition liégeoise, égarée probablement par le Vita III (Chanoine Nicolas), et consacrée par les fêtes jubilaires, avait admis, pendant des siècles, l'année 696. Cette tradition fut ébranlée par Pagi, Mabillon, Suisken, Thys et Dans, qui placèrent le martyre une dizaine d'années plus tard. Le père De Smedt, en 1887, opina de nouveau pour une des quatre dernières années du VIle siècle, mais son idée n'a pas fait fortune. Mgr Monchamp publia, en 1896, une étude (10) qu'il conclut en ces termes: « Sans vouloir nier que l'on puisse, à la rigueur, retarder jusqu'en 712 le martyre de saint Lambert, il nous paraît certain que ce martyre doit être placé plus tôt, en 708 ou 709. »

Depuis, le Chanoine Balau et Van der Essen ont fixé l'événement mémorable aux environs de 705. Nous croyons qu'ils ont raison, et voici pourquoi:

Le 6 septembre 667, le roi Childéric II signa, dans la ville de Maestricht, un diplôme, dans lequel il chargea son seigneur et père Théodard de mesurer, avec le domesticus, les domaines de Stavelot et Malmédy en vue de les réduire de moitié. Saint Théodard était le prédécesseur de saint Lambert, évêque de Tongres à Maestricht. Par le Vita Sancti Theodardi, nous savons qu'il a été assassiné aux environs de Spire en se rendant auprès du même roi Childéric, pour réclamer contre les déprédations des biens de son église (11). Il a donc fallu un certain temps entre le diplôme et sa mort, si toutefois son voyage n'a pas été motivé par la pénible mission dont le diplôme l'avait investi, ce qui est bien possible. L'avènement de saint Lambert peut donc se placer, à la rigueur, dès septembre 667.

Trente-huit ans et huit mois plus tard, le 13 mai 706, nous voyons un Chuchobertus episcopus signer, le premier de cinq évêques, un diplôme de Pepin de Herstal concernant l'abbaye d'Echternach. Ce Chuchobertus ne peut être que notre Hubert, toujours appelé Hugbertus par son chapelain, le nageur, et Hugobertus par l'auteur contemporain du « Vita Lamberti ».

A la date de ce diplôme, saint Lambert était donc remplacé sur le siège épiscopal de Tongres par son disciple saint Hubert et sa mort doit se placer, au plus tard, le 17 septembre (jour de sa fête), en 705. Son épiscopat n'a donc duré que trente-huit ans et le nageur s'est trompé de deux ans au moins. Ceci ne doit pas nous étonner, il n'est renseigné que sur les dernières années de son maître et ignore tout ce qui précède. On peut admettre aussi qu'en parlant de quarante ans de fonctions épiscopales, il ait voulu donner un chiffre rond. M. Kurth a trouvé une confirmation de cette date 705 dans un récit contemporain concernant un des meurtriers de saint Lambert. Godobald d'Avroy, qui, puni pour son crime, a été guéri à Saint-Denis en France et y est devenu abbé (12).

Pour toutes ces raisons, l'année 705 nous semble la date la plus probable du martyre de saint Lambert et de l'avènement de son successeur, de sorte que l'épiscopat de celui-ci a duré vingt-deux ans.

Avant et pendant son épiscopat, saint Hubert a dû être en relation avec un grand nombre de Saints, qui ont été ses compatriotes contemporains; malheureusement, nous ignorons tout à ce sujet. Un seul de ces Saints est nommé par notre fameux nageur, c'est saint Lambert.

Voici la liste des Saints du diocèse, qui furent ses contemporains, avec l'année de leur mort, quand elle est connue. Nous l'avons tirée de l'étude de Van der Essen (Introduction P. XIII):

667 Saint Théodard, évêque de Maestricht;

670 Saint Remacle, prédécesseur de saint Théodard, mort abbé de Stavelot;

679 Saint Amand, prédécesseur de saint Remacle sur le siège de Tongres à Maestrícht;

680 Sainte Eusébie, abbesse d'Amay;

Sainte Landrade, abbesse de Munsterbilsen;

690 Saint Hadelin, fondateur de Celles;

Sainte Amelberge, veuve à Lobbes;

Saint Evermar, martyr;

693 Saint Trudon, fondateur de Saint-Trond;

695 Sainte Begge, abbesse d'Andenne;

698 Saint Landelin, fondateur de Lobbes;

Saint Bertuin, évêque, solitaire à Malonne;

705 Saint Lambert, évêque de Maestricht;

Avant 714: Saints Wiron, Oger et Plechelm, fondateurs d'Odiliënberg;

725 Saint Bérégíse, abbé d'Andage;

Saintes Relinde et Harlinde, fondatrices d'Aldeneyck;

737 Saint Ermin, abbé de Lobbes;

739 Saint Willíbrord, évêque d'Utrecht.



CHAPITRE V.

ORIGINE DE SAINT HUBERT ET SA PROMOTION A L'EPISCOPAT

Le premier biographe de saint Hubert ne nous dit presque rien de la jeunesse du Saint. « Quand saint Lambert, écrit-il, eut donné sa vie pour ses brebis, Dieu ne permettant pas que celles-ci fussent déchirées par la morsure empoisonnée des loups, leur suscita un pasteur selon sa volonté, marchant sur les traces de son prédécesseur et... de son maître. »

Il avait donc été disciple de saint Lambert, c'est tout ce que le nageur nous apprend. De sa patrie, de ses ancêtres, de sa naissance et de sa jeunesse, pas un mot. Il y avait là une lacune incompatible avec la grande popularité du Saint. Aussi va-t-elle être comblée, mais seulement après quatre cents ans. Nous avons vu que le chanoine Nicolas, prévôt de Saint-Denis, écrivant au milieu du XIIe siècle, est le premier auteur qui s'écarte du récit primitif. Il fait de saint Hubert un comte du palais de Thierry III, et l'amène d'Aquitaine à Maestricht avec sa tante, sainte Ode, veuve du duc Boggis. Celle-ci renonce à ses biens et bâtit à Amay l'église Saint-Georges.

Que faut-il penser de cette histoire? Ode et Boggis n'ont pas laissé de trace en Aquitaine dans les documents contemporains. La Sainte, il est vrai, est vénérée à Amay comme la fondatrice de l'église, et ses reliques y sont conservées dans une châsse du XIIe siècle, richement ornée d'émaux champlevés; mais, d'après un document joint au débat par Jos. Demarteau (13), cette sainte Ode, ou bien n'était pas la tante de saint Hubert, ou bien n'a pas fondé l'église Saint-Georges.

En effet, par un testament de l'an 633, publié par Migne P. L. 87, un diacre Grimon ou Adalgise de Verdun fait un legs à l'église d'Amay dans laquelle reposait sa tante. L'église existait donc bien longtemps avant que la tante de saint Hubert ait pu venir au pays de la Meuse.

La tradition relatée par le chanoine Nicolas lui est venue probablement des Annales de Lobbes, dans lesquelles il était question, à propos de saint Hubert, de sainte Ode sa... (en blanc) et veuve d'un duc Boggís d'Aquitaine. Dans les Annales de Stavelot, plus tardives, l'espace blanc devient mita (tante) et, comme le mari de cette tante était d'Aquitaine, il était tout naturel de placer là-bas l'origine de notre Saint.

Celui-ci semble plutôt originaire du pays dont il devint l'évêque, comme saint Lambert qui était de Maestricht. Son nom provenant de deux racines germaniques: Hugu esprit, mémoire (comparer avec le flamand geheugen) et berht brillant, se rencontre fréquemment en Austrasie, au VIIIe siècle. M. Demarteau signale un duc Hugbertus en Bavière, en 732; un comte de même nom dans une charte de Saint-Trond, en 741, et de Dunavilla, en 746; un Chugobertus, senescalc à Valenciennes, en 693, le même probablement que le comte Hocioberthus à Compiègne, en 697, et, dans trois diplômes de 706 à 714, il est question d'un Huogobertus qui était le père de Plectrude, l'épouse légitime de Pepin de Herstal. En 6o8 un Hudobertus, prêtre, signe l'acte de fondation de l'abbaye d'Echternach, et celui-ci pourrait bien être notre Saint, aussi bien que le Chuchobertus, évêque, signant une charte de la même abbaye huit ans plus tard.

On peut déduire de là que notre Hugbertus était un enfant du pays. Etait-il noble? « On aura remarqué, dit Jos. Demarteau, p. 112, que notre biographe primitif ne rapporte rien de l'origine ni des ancêtres de notre Saint. En voyant avec quel soin les auteurs du temps s'attachent à relever l'illustration de la naissance de leurs héros, à noter, ou qu'ils appartiennent à de nobles familles, ou tout au moins que la distinction de leurs vertus l'emportait encore sur celle de leur sang, il est permis de croire que si rien de pareil n'est dit de saint Hubert, c'est qu'il était sorti plutôt des rangs populaires que de l'aristocratie. » (14)

A cette conclusion de M. Demarteau on pourrait objecter que saint Hubert paraît avoir été riche. Comme nous verrons à la fin de ce chapitre, il était d'une rare munificence à l'égard des pauvres, et, sans parler de son habitation à Liège, où il séjournait habituellement, le nageur lui attribue en propre deux maisons (domus), l'une à Emael, l'autre avec oratoire à Fura; il nous dit, en outre, qu'il possédait un pied-à-terre (habebat tabernaculum) à Givet. Il nous dépeint ces habitations comme appartenant au Saint, personnellement et non comme des propriétés de l'église de Liège. Ces maisons situées à la campagne étaient probablement des métairies, des fermes, dans le genre de celle dans laquelle saint Lambert fut assassiné. Celle-ci était également située à la campagne (actuellement place Saint-Lambert), n'avait qu'un rez-de-chaussée, était couverte de chaume et entourée d'une palissade en bois. Mais, si ces maisons appelées villae n'avaient pas grande valeur par leur construction, elles en avaient par les terres fertiles dont elles étaient le centre, d'où il nous semble plutôt que saint Hubert, tout comme son prédécesseur, appartenait par sa naissance à la classe des propriétaires aisés, la future noblesse du pays.

Saint Hubert a-t-il été marié? Le nageur dans le récit qu'il fait des derniers moments du Saint, nous le fait croire. « Nous étions là, dit-il, au matin du sixième jour (le vendredi) attendant sa glorieuse fin avec son noble fils Floribert (cum egregio filio Florberto). » Le deuxième biographe, Jonas d'Orléans, a omis ce passage, mais Anselme, au XIe siècle, l'a connu et commenté. Dans sa Chronique des Evêques de Tongres, il identifie ce Floribertus avec l'évêque saint Floribert, le successeur de notre Saint, identification qu'il considère comme généralement admise. « Si Hubert, ajoute-t-il, lui a donné le jour avant d'embrasser l'état ecclésiastique, la dignité de l'un et de l'autre n'en est pas éclaboussée, si Floribert n'était au contraire que le fils spirituel d'Hubert ce serait encore bien, car il est heureux de voir d'aussi excellents filleuls succéder à de tels parrains. »

Du temps du chanoine Nicolas, on était plus affirmatif, et on croyait que saint Hubert avait été marié avant de devenir évêque ce qui était encore fréquent au VIIIe siècle. Jean d'Outremeuse, qui veut tout savoir, connaît le nom de sa femme, il l'appelle Floribana, fille de Dagobert, comte de Louvain; mais, il n'y avait pas de comtes de Louvain à cette époque. Plus tard, on trouva monstrueux qu'un homme marié devint évêque, on cessa de comprendre qu'il pouvait recevoir les ordres après son veuvage. De là l'interprétation par laquelle on fit de Floribert un fils adoptif ou spirituel de saint Hubert. De Smedt et Vander Essen se montrent assez favorables à cette opinion, l'un, parce que dans la Vita Sti Lamberti le mot fils est pris également dans un sens spirituel, l'autre, parce que le premier biographe ne parle nulle par ailleurs de ce fils du Saint, pas même à l'occasion des funérailles où l'on s'attendrait à le voir cité.

La question est obscure, mais, prenant dans son sens obvie la parole du premier biographe, le seul qui a de l'autorité, nous croyons plutôt que saint Hubert a été marié et qu'il est entré dans les ordres, après la mort de sa femme.

Après le trépas de saint Lambert, son disciple le remplace. « Dieu suscita à son peuple un pasteur selon sa volonté, digne imitateur du glorieux martyr. » C'est tout ce que le nageur, à notre grand désespoir, nous raconte. Quatre siècles plus tard, le chanoine Nicolas en sait plus. Il veut nous faire croire que le pape Sergius, dans un songe, eut connaissance du martyre de saint Lambert, dont la crosse lui fut apportée par un ange. Le lendemain ayant reconnu en Hubert, venu en pèlerinage de Maestricht, l'homme désigné par Dieu pour être évêque, il le nomma et lui donna la crosse.

Ce récit se grossit dans le vita quarta (XVe siècle) d'autres ajoutes légendaires. Le pape, y est-il dit, emmène le pèlerin devant l'autel des Apôtres à l'église Saint-Pierre et lui raconte la mort de son maître. Hubert, pleurant abondamment, refuse de lui succéder sur le siège de Tongres, mais voilà que soudain il se voit miraculeusement revêtu des ornements pontificaux de l'évêque­martyr, qui avaient été portés, par les anges, de la place Saint-Lambert à Rome. Ce récit, malgré son apparition tardive, a fait fortune à Liège et a été généralement admis, à tel point qu'il doit avoir influencé la date des jubilés séculaires du martyre de saint Lambert, Le Pape Serge I a occupé le siège de saint Pierre de l'an 687 à 701. Pour pouvoir lui attribuer le sacre de saint Hubert, il n'était pas possible de placer celui-ci à sa vraie date 705, il a fallu le reculer de quelques années et c'est ainsi que le martyre de saint Lambert fut placé en 696 et que la fête jublilaire en a été célébrée l'année 96 de chaque siècle.

Ce sacre de l'évêque de Maestricht à Rome n'a pas été inventé de toute pièce; comme la plupart des légendes, ce récit doit être le résultat d'un fait mal expliqué ou d'une confusion. Le chanoine Balau, toujours sagace, explique la genèse de la fable par le fait que le contemporain de saint Hubert, saint Willebrord d'Utrecht, a été, lui, sacré évêque par le pape Sergius lors d'un pèlerinage au tombeau de saint Pierre, et la confusion entre lui et saint Hubert a été d'autant plus facile que les noms latins des deux sièges épiscopaux se ressemblaient beaucoup, Ultra­Jectum et Trajectum. Le même adjectif trajectensis s'emploie aussi bien pour Utrecht que pour Maestricht.

Pour son serviteur biographe, saint Hubert a été élu évêque comme un autre, electus est igitur Hugbertus pontifex, et, après cette phrase, il commence aussitôt à faire, à sa manière, un tableau admiratif dés vertus de l'élu. « Dès qu'il fut appelé aux fonctions sacrées, dit-il, il s'efforça d'imiter les exemples des Saints en se basant sur le précepte du Seigneur: Vas, vends ce que tu as et donne le aux pauvres et tu auras un trésor dans le ciel, et, viens à ma suite. Il était, en 'effet, la providence des indigents, le bienfaiteur des pauvres, le soutien des orphelins, le consolateur des veuves, le défenseur des opprimés, le visiteur des monastères, le père des misérables; il soulageait ceux qui gémissaient dans la douleur, pour les affligés il avait des paroles de consolation, à ceux qui gémissaient dans les cachots il passait des secours par la fenêtre; il était généreux à distribuer l'aumône, et, portant continuellement de l'argent sur lui, il n'était pas sourd à la voix de ceux qui lui en demandaient, mais toujours prêt à en donner. »

C'en est assez pour nous expliquer l'élection de notre Saint aux fonctions épiscopales. Pour l'humble serviteur du grand évêque, celui-ci a été appelé au siège de saint Lambert parce qu'il était homme de bien, homme surtout de charité. C'est ce qu'il a vu de ses yeux les treize mois qu'il a été avec lui; après seize ans il s'en souvient encore, et il nous dépeint avec enthousiasme le souvenir qui lui en est resté. Nous croyons, comme lui, que les vertus de saint Hubert furent la vraie cause de son élection épiscopale.



CHAPITRE VI.

DE MAESTRICHT A LIEGE

Le prédécesseur de saint Hubert avait été martyrisé à Liège, dans une maison située entre l'hypocauste romain, découvert en 1906, et l'aubette aux journaux de la place Saint-Lambert. Son auguste corps avait été transféré aussitôt par la Meuse à Maestricht, sa résidence épiscopale, pour y être déposé dans le tombeau de son père, à l'église Saint-Pierre. Bientôt un double pèlerinage s'établit, l'un au tombeau de Maestricht, l'autre, plus fréquenté, à l'endroit du martyre, au hameau de Liège.

L'évêque Hubert, lui aussi, était tout pénétré d'amour pour son prédécesseur et plein d'admiration pour ses vertus. A la vue des miracles qui illustraient l'endroit du martyre, il conçut l'idée d'y ramener le corps reposant à Maestricht. Ce serait la consécration officielle du culte que le peuple lui rendait: la canonisation de ce temps-là.

« Hubert, toutefois, dit J. Demarteau (15) pouvait craindre que cette translation ne ravivât, pour de puissantes familles, de trop pénibles souvenirs, de cruelles animosités. Il pouvait craindre aussi que Maestricht ne se laissât pas dépouiller de ces restes sacrés; maintes fois, les populations s'étaient opposées, même par les armes et la force, à ce qu'on les privât de pareils trésors. » Aussi voyons-nous que l'évêque hésita longtemps avant d'exécuter son dessein, hésitations qui se dessinent clairement dans le récit de notre biographe, le nageur. Voici ce récit:

« Bien souvent Hubert s'écriait les larmes aux yeux: « Malheureux que je suis, je n'étais pas digne de mourir avec lui. » Pendant douze ans et bien fréquemment, il parlait ainsi, alors que des visions répétées et des messages le pressèrent à lever de terre, et à ramener à l'endroit de sa mort, le corps de son saint maître. Ces messages durent le remplir de joie et il s'appliqua de plus en plus à connaître la volonté divine. C'est pourquoi il prescrivit des jeûnes dans les nombreux monastères de son diocèse, et il demanda conseil. La treizième année de son pontificat, avec de nombreux clercs, avec une foule innombrable de fidèles, avec les évêques et prêtres qu'il a convoqués, il se rend dans la ville à l'endroit où le Saint repose. On y célèbre des funérailles, on enlève le corps avec respect de son cercueil de pierre et on le dépose sur une civière au milieu de croix et de cierges et, aussitôt, reprenant le chemin de retour, on le ramène avec joie au lieu du martyre. Un parfum suave se répand partout. Quant aux miracles qui éclatent dans la suite du voyage, ils sont racontés dans les gestes de saint Lambert. Transféré, au milieu d'une jubilation ineffable, à la basilique que son successeur lui a préparée, le Saint y repose glorieusement dans un sépulcre neuf. »

Ce passage, qui est comme l'acte de naissance de la ville de Liège, est trop intéressant pour ne pas nous arrêter quelque peu.

Remarquons d'abord que le nageur, pour une seule fois, cite ici une source: il signale un livre à consulter. Il affirme que des miracles ont été opérés durant le transfert, mais, au lieu de les écrire, il renvoie aux « Gestes de saint Lambert » où le lecteur peut en prendre connaissance. Donc, au moment où il écrivit, vers 743 il existait une vie de saint Lambert connue des lecteurs auxquels il s'adressait lui-même. Cette vie, nous l'avons encore, c'est le Vita Lamberti prima publié, en 1890, par M. J. Demarteau (16).

Comme la vie de saint Hubert, celle-ci fut écrite à l'occasion de l'élévation des restes du Saint, par un clerc qui l'avait connu, dans un latin aussi barbare que celui de notre nageur. Comme celui-ci a pillé la vie de saint Arnulphe, l'auteur du Vita Lamberti a emprunté bien des phrases, parfois mal comprises, à la vie de saint Eloj. Il n'a pas voulu faire oeuvre d'histoire, mais une composition liturgique pour servir de leçon aux offices. Il l'a fait d'une manière naïve, mais loyale et sincère.

A cause de sa forme défectueuse, le travail a été remanié même plusieurs fois; ces refontes littéraires l'ont fait tomber dans l'oubli, mais il a été heureusement conservé dans plusieurs manuscrits, dont l'un, provenant de Corbie et annoté à Saint-Germain-des-Prés, a été publié par J. Demarteau.

Puisque le nageur nous y engage, ouvrons ce Vita Lamberti et voyons ce qu'il nous apprend au sujet du transfert des reliques de saint Lambert. Tout d'abord nous éprouvons une déception, car le récit de la translation semble postérieur au Vita et par conséquent les renseignements concernant cet épisode n'ont pas la même valeur que la biographie du Saint.

En effet, entre la biographie et le récit de la translation, il y a une soudure; après la phrase exultat cum cunctis per secula, l'auteur (probablement un prêtre maestrichtois) a déposé la plume, et la suite est une reprise, une ajoute postérieure.

Tout cela est vrai; heureusement cette ajoute est, elle aussi, très ancienne, puisqu'elle a été lue par le nageur; mieux que cela, elle est du même auteur que la première partie, car, pour l'une et l'autre, l'auteur est allé marauder dans le jardin de saint Eloi. On peut donc admettre avec le chanoine Balau, que la vie de saint Lambert a été écrite vers 718, un peu avant peut-être pour la biographie proprement dite, un peu après pour le récit de la translation.

Nous avons donc là un témoin oculaire, un auteur de toute première valeur, surtout pour les événements qui se sont passés à l'occasion de la translation et après. Et que nous apprend le Vita Lamberti? Voici: La première année qui suivit la mort du Saint fut illustrée par cinq miracles, qui sont racontés. A l'église de Maestricht, où le corps reposait, on entendait les anges chanter; à Liège, la chambre dans laquelle le martyr avait versé son sang, brillait souvent de clartés lumineuses. Une femme, qui y avait volé le peigne (liturgique?) de saint Lambert, fut forcée de le rendre, les aveugles Baldigislus et Raganfridus furent guéris et le peuple se mit à bâtir une basilique.

Une jeune fille aveugle, nommée Ode, fut conduite à Liège. Sur les hauteurs de Sainte-Walburge ses yeux s'ouvrirent, et l'empressement du peuple à édifier la basilique s'en accrut encore. On plaça dans la chambre un lit, lectum artistement orné par la main des orfèvres, où Dieu opéra tous les jours (operatur cotidiae) de grands et d'innombrables miracles. M. Demarteau (17) y voit une châsse, nous croyons plutôt qu'il s'agit du lit du Saint. Dans la vie de sainte Gertrude, un contemporain de saint Hubert nous raconte également que l'on vénérait le lit de la Sainte dans la cellule où elle mourut, et que des miracles s'y opéraient.

L'auteur du Vita Lamberti raconte ensuite les châtiments des meurtriers du Saint et sa translation. « Au chant des cantiques, dit-il, interrompus par les lamentations des Maestrichtois, on suit la voie de terre sur la rive gauche de la Meuse. A Niviala (Nivelle-sous-Lixhe) un aveugle guérit avant de toucher la bière; à Charistalius (Herstal) on s'arrête pour prêcher, un paralytique marche, et aux deux endroits des églises (basilicae) furent construites en souvenir de ces faits. A Liège, le tombeau du Saint est admirablement orné d'or et d'argent et de dons précieux. Là les aveugles recouvrent la lumière, les boiteux se redressent; les lépreux, les paralytiques, les démoniaques obtiennent guérison. A vouloir raconter en détail chacun de ces prodiges on finirait par lasser le lecteur. Le peu que nous avons rapporté en fait foi pour qui veut voir. Ne remarque-t-on pas aujourd'hui toutes sortes d'entraves, dont ont été délivrés infirmes et captifs, suspendues autour de cette tombe: chaînes brisées, béquilles abandonnées, bandages rejetés des boîteux, qui s'en sont éloignés d'un pas affermi, ou des infirmes qui n'ont quitté ce tombeau que délivrés de leurs maux, pleins d'une santé nouvelle. Et si tant de prodiges déjà se sont accomplis en un si court espace de temps, combien n'en peut-on pas attendre de l'avenir, puisque les faveurs merveilleuses ne cessent point de s'obtenir, les miracles de s'opérer à ce tombeau des pontifes et des martyrs par Notre-Seigneur Jésus-Christ. »

A combiner les deux récits on s'aperçoit que le transfert du corps de saint Lambert à Liège a été longuement préparé; mieux que les deux biographes, saint Hubert en a compris la haute importance. Ses demandes de conseil, son recours au jeûne et à la prière, ses longues hésitations surtout, tout cela prouve qu'il s'agissait à ses yeux d'une entreprise grosse de conséquences, dans laquelle il n'a pas voulu s'engager à la légère; il s'agissait, en effet, du transfert de l'évêché et, par le fait même, de la fondation d'une ville nouvelle.

A la mort de saint Lambert, Liège n'était qu'un village. L'auteur du Vita Lamberti, dans le récit du meurtre, l'appelle trois fois de ce nom (villa signifiait village, de là vilanus, vilain, sans culture) et même, la première fois, il se sert de cette périphrase: super villa cujus vocabulum est Leodius sita super fluvium qui vocatar Mosa. Dans un village qu'on appelle Liège, situé sur le fleuve nommé Meuse. » Pour qu'un prêtre de Maestricht fût obligé de s'exprimer ainsi, il faut croire que le nom de la bourgade était bien peu connu. Dans le récit du transfert il n'ajoute plus le mot villa, c'est que l'endroit avait déjà pris une certaine importance, comme le fait soupçonner d'ailleurs la construction de l'église, dès la première année du pontificat de saint Hubert.

La foule des pèlerins affluant autour de la maison du martyr, le hameau prenait une extension rapide, et, d'après la manière de parler du nageur, il est très probable que le nouvel évêque lui-même est venu s'y établir peu de temps après son élection. Ce séjour aura nécessairement favorisé, et le pèlerinage, et le développement de la ville nouvelle, même avant l'arrivée des restes de saint Lambert. Durant douze ans, per annis XII, dit le nageur dans son latin de frère lai, Hubert songe à la translation et, quand enfin il réalise son rêve et amène chez lui les restes précieux de son prédécesseur, Liège n'est déjà plus le misérable village de 705, mais elle est en voie de devenir une ville.

Les textes le prouvent. « Lors de la translation, dit le Vita Lamberti, les habitants vinrent tous au devant des reliques avec grandes démonstrations de joie, et placèrent sur le tombeau un riche mausolée admirablement orné d'or et d'argent. » Le corps de saint Lambert ayant été déposé dans la crypte occidentale de la nouvelle église, l'évêque se mit à bâtir une deuxième ou plutôt une troisième église, celle de Saint-Pierre, et quand, neuf ans après la translation de saint Lambert, lui-même mourut et que son corps fut porté à Liège, le nageur a pu voir toute une ville venir à sa rencontre avec des croix et des reliques, des encensoirs et des candélabres, chantant hymnes et cantiques. Et quels habitants manifestaient ainsi? Il cite: « la multitude du peuple, les prêtres avec les lévites, les moines avec une quantité de clercs, bref une foule nombreuse, turba copiosa.

Cet exposé de la naissance de Liège, puisé aux seules sources contemporaines, prouve abondamment que notre Saint mérite pleinement le beau titre qu'on lui a toujours donné de « Fondateur de la ville de Liège ». C'est en se basant sur les mêmes faits, sans doute, que le moine ardennais Lambert-le-Jeune a pu écrire à la fin du XIe siècle dans le Cantatorium: « le glorieux pontife éleva l'humble village au rang de très noble cité, ville épiscopale qui, dès son temps, brilla par sa puissance et sa grande industrie. » Un autre auteur du XIe siècle, le chanoine Anselme, va plus loin et nous dit que saint Hubert a soumis les Liégeois à la discipline des lois, et qu'il leur a donné poids, récipients et mesures, comme ils existaient de son temps (18).

C'est possible, mais une autre affirmation, qui se rencontre, pour la première fois, sous la plume de Jean d'Outremeuse (t. II, p. 386), est inventée de toutes pièces: c'est celle qui prétend que saint Hubert a construit l'enceinte de la ville. MM. Kurth et Gobert ont montré la fausseté de cette assertion et prouvé que l'enceinte de la ville fut exécutée trois siècles après saint Hubert par le grand Notger, le deuxième fondateur de Liège.

Revenons à notre biographe favori, le nageur.

Certains points de son récit, d'ailleurs si vivant, demandent un mot d'explication.

La translation de saint Lambert se fit la treizième année du pontificat de saint Hubert, donc en 718. Notre auteur ne désigne pas le jour, mais nous connaissons celui-ci par une autre voie. En 1141, les Liégeois ayant transporté la châsse de saint Lambert sous les murs du château de Bouillon, dont ils firent la conquête, attribuèrent leur victoire à l'assistance de leur patron et, à cette occasion, un moine de Saint-Laurent, Renier, écrivit le Triumphus sancti Lamberti et quelques années après le Triumphale Bulonicum (19).

L'auteur termine ce dernier ouvrage en disant que l'évêque Albéron II décida que, désormais, l'anniversaire du Triomphe se ferait le 4eme jour des calendes de mai (28 avril), de même que celui de la Translation de saint Lambert de Maestricht à Liège. « Cette translation, dit-il, faite par saint Hubert, le 9eme jour des calendes de janvier (24 décembre), ne pouvait se commémorer ce jour-là avec assez de solennité, à cause de l'occurrence avec la de Noël ». Ce témoignage, dira-t-on, est trop tardif pour garantir un fait déjà vieux de 400 ans, mais remarquons qu'il porte sur la date d'une fête, date traditionnelle, que le témoin a vu changer par l'évêque Albéron.

Le nageur nous dit que la translation eut lieu en présence d'évêques et de prêtres invités (accitis episcopis, du verbe accire, faire appeler). L'auteur du Vita Lamberti, qui était témoin oculaire, ne parle pas d'évêques, mais seulement de prêtres. Avouons que la veille de Noël était mal choisie pour réunir des évêques, dont la présence était requise chez eux par la fête, et qui, en plein hiver, auraient dû venir de très loin en bateau ou à cheval. Cela n'a pas empêché un certain Claude Despretz d'Arras de fournir au R. P. Jean Roberti, préparant son histoire de saint Hubert (20), une liste de sept évêques présents à la translation, liste qu'il aurait trouvée, dit-il, dans de vieux manuscrits. Malheureusement, il ne cite aucun de ces manuscrits et plusieurs de ces évêques ne vivaient pas à l'époque de la translation.

Un de ceux qu'il nomme, saint Willebrord d'Utrecht, le grand apôtre de la Campine (21), se trouvait à Herstal, le 1er janvier 722, avec Adélard, le père présumé des saintes Relinde et Harlinde (22). Cela favorise singulièrement l'hypothèse de Mgr Monchamp, qui place la mort de saint Lambert en 708 et la translation le 24 décembre 721. Nous ne nous y sommes pas rallié pour les raisons données plus haut.

Disons que, malgré le témoignage de notre biographe généralement bien informé, la présence des évêques au transfert des reliques reste douteuse. « Il vaut mieux pour l'historien, dit M. Kurth, de marcher à tâtons à travers des ténèbres complètes, que de s'égarer à la lueur fallacieuse d'un feu follet » (23); en d'autres termes: le néant vaut mieux que l'erreur.

Les évêques cités par le Père Roberti sont tous représentés au dossier des stalles de la cathédrale Saint-Paul. Ces hauts-deliefs, dessinés par Fr. Durlet et sculptés en chêne par Ducaju et Merveille, s'ils laissent à désirer au point de vue de la fidélité historique (ils furent placés en 1866) sont des oeuvres d'art de tout premier ordre. Celui de gauche (côté de l'Evangile) représente le cortège de la translation de saint Lambert, celui de droite sa déposition au tombeau de la cathédrale de Liège. Dans l'un et l'autre, saint Hubert est admirablement représenté, mais il nous semble que son rôle de conducteur de la foule n'est pas assez marqué (24).



CHAPITRE VII

L'EVEQUE - MISSIONNAIRE

Si saint Hubert a fondé la ville de Liège, peut-on dire aussi qu'il y a transféré l'évêché? Cette question a été souvent discutée, mais l'exposé des faits nous montrera que, dans toute cette discussion, il ne s'agit que d'une question de noms.

L'évêché de Liège a été fondé au IVe siècle, à Tongres, par saint Materne. Après l'épiscopat du grand saint Servais, la ville de Tongres fut détruite par les invasions barbares de 406, et pendant plus d'un siècle notre contrée restait sans évêques. Comme saint Servais avait été enterré à Maestricht, ses successeurs des VIe et VIIe siècles s'établirent de préférence dans cette ville, mais continuèrent à porter le nom d'évêques de Tongres. Saint Hubert fixa sa principale résidence à Liège, mais conserva, lui aussi, le vieux titre d'évêque de Tongres; ses successeurs firent de même jusqu'au Xe siècle. Alors seulement l'habitude s'est introduite de désigner le siège par les noms Tongres-Liège, puis par celui de Liège seul. Comme ses prédécesseurs de Maestricht, saint Hubert a donc voulu être et rester évêque de Tongres, mais, après deux siècles, sa nouvelle residence a fini par imposer son nom à l'ancien évêché, et on peut dire que, si Liège est un évêché, c'est à Hubert qu'elle le doit. Sans lui, le petit village de Leodium serait peut-être devenu une ville, rien que par l'affluence des pèlerins au tombeau de saint Lambert, mais sans lui, Liège ne serait pas devenue siège épiscopal.

On peut se demander si saint Hubert n'a pas eu d'autres motifs que sa piété et celle du peuple, de transférer sa résidence habituelle de Maestricht à Liège. Il semble bien que la politique n'a pas été étrangère à cette détermination.

De tout temps les fidèles ont pourvu au soutien de leurs prêtres et des nécessiteux, mais, dans les premiers siècles, c'était l'évêque seul qui disposait des dons et des biens-fonds cédés au culte, et l'église épiscopale était considérée comme l'unique paroisse du diocèse. Dans le cours des temps, les évêques et les conciles ayant permis aux églises particulières de posséder des terres, les paroisses se sont constituées. Celles-ci n'ont reçu, en notre pays, leur organisation définitive qu'à l'époque de Charlemagne; avant cette organisation, l'évêque seul possédait, non seulement le domaine souvent considérable de l'évêché, mais aussi les biens attribués aux églises, ces derniers à titre de dépositaire ou d'administrateur (25).

D'insignes bienfaiteurs avaient doté l'église de Tongres de domaines très étendus, et l'un de ceux-ci était le vicus de Liège, qui, contigu aux résidences royales de Jupille et de Herstal, lui a été donné vraisemblablement par un des princes du pays. En tout cas, vers 670, saint Lambert y transporte les restes de son prédécesseur saint Théodard, et, en 691, Clovis III lui confère un diplôme d'immunité, perdu pour nous, mais que le Chanoine Nicolas lisait encore au milieu du XIIe siècle. Immunité signifie que les agents royaux ne pouvaient exercer aucune juridiction sur le territoire immunisé. Il n'est donc pas étonnant que le Vita Lamberti nous parle d'un certain Amalgisilus chargé de rendre la justice à Liège, au nom de l'évêque, et que celui-ci aimait à résider à cet endroit qu'il devait consacrer de son sang.

Le territoire de Liège appartenait donc aux évêques de Tongres, ce qui a inspiré à G. Kurth le passage suivant: « Le transfert du siège de l'évêché était une détermination grave. Elle fut exécutée d'une manière solennelle et en quelque sorte avec le caractère d'une véritable exorde. Quelles raisons saint Hubert avait-il d'abandonner les deux chefs-lieux du diocèse, non seulement la vénérable ville de Tongres, qui en était le siège officiel, mais la belle Maestricht, où s'élevaient de si nobles sanctuaires, et où la tombe de saint Servais semblait avoir à jamais fixé la résidence de ses successeurs? S'il est permis de chercher ailleurs que dans une inspiration de la piété l'origine de la migration de saint Hubert, je ferai remarquer qu'à Liège, les évêques étaient chez eux, sur un sol qui leur appartenait, tandis qu'à Maestricht, dont ils ne possédèrent jamais que la moitié, ils avaient pour voisins gênants et souvent pour rivaux et pour ennemis les comtes francs. Cette considération ne doit pas être restée indifférente à saint Hubert. A Liège, il put désormais exercer en toute liberté l'autorité presque illimitée attribuée à l'évêque sur la vie sociale de ses diocésains. Il fut, dans une certaine mesure, le créateur de la ville de Liège, et l'on voit vaguement, sous lui, s'ébaucher la principauté future » (26).

Nous ne savons presque rien de cette autorité civile et politique de saint Hubert, mais le nageur nous a documentés un peu mieux (combien peu!) sur son apostolat et sur les églises qu'il a consacrées.

« Vir sanctus, Dei athleta, per oppida et castella praedicando pergebat. Le saint homme, l'athlète de Dieu, parcourut en prêchant villes et châteaux. » C'est en ces termes que notre biographe résume les courses apostoliques de son évêque, ou plutôt, il dépeint ainsi le voyage du Saint se rendant d'Emael à Maestricht pour la fête des Rogations. Chaque mot de sa courte description montre quelle profonde impression lui était restée de cette pieuse expédition, dont il avait été le témoin oculaire. Il n'est donc pas étonnant, qu'à une autre occasion, il s'étende plus longuement sur la prédication de l'évêque missionnaire. « A mesure, dit-il, qu'Hubert se confirmait davantage dans la crainte du Seigneur, il combattait le bon combat, à l'exemple des saints patriarches, dans le jeûne, les veilles, la chasteté et la douceur. Apôtre intrépide, il prêchait par la parole, entraînait par l'exemple. Il arrachait nombre d'hommes aux erreurs du paganisme; de loin on venait le trouver pour le baptême et la grâce septiforme de la confirmation, et il ramena à une vie meilleure un nombre incalculable de pécheurs. En Ardenne, il détruisit par le feu beaucoup d'idoles et images sculptées qu'on y vénérait encore, et il imposait une pénitence de trois ans aux fanatiques, qui continuaient à rendre un culte sacrilège aux cendres de ces statues. De même en Taxandrie et au Brabant, il détruisit beaucoup d'idoles, plurima simulacra et malta sculptilia; il y éleva en différents endroits, non sans peine, des sanctuaires en l'honneur des saints martyrs, et, brillant comme un rayon de soleil, il illumina de son éclatante lumière de royaume des Francs. »

Cette admiration enthousiaste du biographe pour la prédication du Saint nous fait supposer que celui-ci a été un véritable apôtre, et on regrette infiniment que son oeuvre apostolique ne nous ait pas été racontée avec plus de détails. Mais, à défaut de renseignements plus précis, scrutons de plus près les maigres données du nageur.

Trois contrées ont été évangélisées par la parole enflammée d'Hubert: le Brabant, la Campine et l'Ardenne. Dans chacune de ces régions les prédications s'adressèrent, non à des convertis, mais à des païens, à des idolâtres, d'où l'on doit conclure que ces contrées étaient encore pays de mission. Cela se comprend parfaitement pour la Campine et l'Ardenne, deux régions pauvres et peu habitées, dont la population clairsemée n'a pu être évangélisée qu'après la conversion des contrées plus fertiles et mieux peuplées. Si le Brabant est placé, par notre auteur, sur la même ligne que la Campine, il faut entendre par là la partie la moins fertile et la moins peuplée de cet immense territoire, à l'exclusion du Brabant wallon, qui était converti alors, aussi bien que la province de Liège et la Hesbaye limbourgeoise.

Que ces contrées arriérées étaient encore adonnées à l'idolâtrie, à cette époque, nous le savons aussi par les prédications de saint Lambert, et par le ministère de saint Willibrord au nord du Limbourg, où les limites des diocèses de Tongres et d'Utrecht n'étaient pas même fixées. M. l'abbé Van de Weerd a démontré que dans cette même région l'organisation paroissiale a été très tardive. « Alors, dit-il, que, dans le midi (de la Belgique), les paroisses commencent à se former dès le Ve siècle, et que leur organisation se complète lentement les siècles suivants, dans le nord, au contraire, on ne trouve aucune église qui soit antérieure à 700; toutes sont postérieures, pour autant qu'on puisse en juger aujourd'hui, à l'apostolat de saint Lambert en Taxandrie. Entre 690 et 739, sous l'apostolat de saint Willibrord, on n'y trouve que quelques rares édifices religieux sans organisation territoriale. » (27) De l'étude de M. l'abbé Guillaume sur les paroisses ardennaises, on pourrait tirer les mêmes conclusions (28).

Dans la lutte contre l'idolâtrie, notre Saint, dont le biographe loue la douceur et la mansuétude (in longanimitate), a su employer quelquefois les moyens énergiques quand les besoins s'en faisaient sentir. Détruire les idoles, les brûler et punir ceux qui continuaient à vénérer les cendres des fétiches brûlées, c'étaient des procédés d'évangélisation à la manière forte, auxquels saint Hubert recourait volontiers. Pour qu'il fût en état d'employer ces moyens, il faut qu'il ait joui d'un pouvoir civil assez considérable, ou qu'il ait été protégé efficacement par les maires du palais, Pepin de Herstal et Charles Martel. Ces deux princes ont certainement favorisé l'établissement du christianisme dans les provinces reculées, évangélisées par l'évêque missionnaire.

« Saint Hubert, dit Jos. Demarteau, est parmi les évêques de son diocèse le dernier dont il soit dit qu'il eût à renverser des idoles. » (29) Le fait est exact, mais peut-on conclure de là, qu'après lui, il ne restait plus de païens à convertir, et que notre Saint a été le dernier missionnaire du pays? Nullement, car nous ne savons rien du ministère exercé par ses successeurs sur le siège de Tongres-Liège. Pendant deux siècles et demi les évêques de Liège ne trouveront plus de biographe, de sorte que leurs gestes, si glorieux qu'ils aient pu être, nous sont inconnus. Ce furent, au VIIIe siècle: saint Floribert, le fils de notre Saint; Fulcaire, Agilfride, le confident de Charlemagne et Gerbald; au IXe siècle: Eirard, Hartgar, Francon, l'adversaire des Normands et Etienne, le liturgiste; au Xe siècle: Richaire, le prétendu constructeur de Saint-Servais, Hugues de Trèves et Farabert, le protégé d'Otton-le-Grand.

D'après les mesures prises dans certains conciles régionaux, bien de ces évêques ont encore eu à lutter contre les restes des superstitions païennes, dans les contrées évangélisées par leurs glorieux prédécesseurs: saint Lambert et saint Hubert. Peut-être leur apostolat a-t-il été d'autant plus méritoire qu'il est resté caché à la postérité et qu'il n'est connu que de Dieu seul. Ce ne sera qu'à la deuxième moitié du Xe siècle qu'un peu plus de lumière pénètre dans l'histoire de nos évêques, sous les pontificats du savant mais remuant Rathère, de Balderic I, d'Eracle, le fondateur de deux collégiales et de l'abbaye Saint-Laurent, et du grand Notger, le deuxième fondateur de Liège.

Si saint Hubert a porté la bonne parole aux populations encore barbares de l'Ardenne, du Brabant, de la Campine, c'est pourtant comme « apôtre des Ardennes » qu'il est surtout connu. Le nageur, en désignant les trois régions, qui ont fait l'objet de son zèle apostolique, fait une distinction entre ces différentes contrées. Il parle d'abord de l'Ardenne seule, des idoles brûlées, des cendres vénérées, des pénitences imposées aux récalcitrants, et ce n'est qu'après la description de ces scènes vécues qu'il pense au Brabant et à la Taxandrie où des idoles ont été également détruites, et il est bien probable que, dans cette phrase, le nageur a prêté l'oreille au récit de la prédication de saint Lambert en Campine. Le nom d'apôtre des Ardennes est donc suffisamment justifié.

Cela ne veut pas dire qu'on n'ait pas exagéré l'importance de ses missions ardennaises. En 937, donc 210 ans après la mort de saint Hubert, fut écrite la Vie de saint Bérégise, le fondateur d'Andage. Celui-ci y est présenté comme le collaborateur de saint Hubert dans son apostolat en Ardenne, et la même idée a été reprise au XIIe siècle par l'auteur du Cantatorium (chronique de Saint-Hubert) et, dans la suite, elle a servi de thème à de beaux développements littéraires. Tout cela revient, comme dit le Père De Smedt, à une pure conjecture de l'auteur du Vita Beregisi; la collaboration des deux Saints est une hypothèse possible, même vraisemblable, mais le moine ardennais qui écrivit le Vita Beregisi n'a pas dû en savoir beaucoup plus que nous.

Nous devons pourtant nous demander quels collaborateurs notre Saint peut avoir eu dans ses courses apostoliques à travers villes et châteaux per oppida et castella. Il avait des clercs autour de lui, prêtres ou non, parmi lesquels notre pieux biographe, le nageur; il avait surtout les moines, plusieurs fois cités dans la biographie. Le nageur appelle son évêque monasteriorum visitator, visiteur des couvents. Chez les moines, dit-il, comme chez les pauvres du Christ, il y avait grand deuil le jour de la mort du Saint; lors de ses funérailles, ils vinrent de Liège au devant de son corps, et c'est aux nombreux monastères de son diocèse que le saint pontife avait demandé prières et jeûnes avant de transférer le corps de son prédécesseur.

Quels pouvaient bien être les monastères du diocèse Tongres-Liège à cette époque reculée? Il doit y en avoir eu un grand nombre, plurima monasteria. En effet, en prenant possession de l'évêché, notre Saint y trouva une quinzaine de maisons religieuses, qui étaient alors dans leur première ferveur, car toutes avaient été fondées en vue de l'apostolat chrétien, depuis une soixantaine d'années.

Elles étaient habitées, non par des prêtres, mais par des moines ou des moniales liés par les trois voeux de chasteté, de pauvreté et d'obéissance. Il n'est pas toujours facile de préciser la règle de chaque couvent à son origine, mais sous le pontificat de saint Hubert, la règle bénédictine, propagée surtout par le grand saint Boniface, s'est répandue de plus en plus et elle a fini par grouper tous les monastères du VIIIe siècle dans un seul corps, le grand ordre bénédictin.

Voici, avec la date de leur fondation, les monastères que saint Hubert a trouvés établis à son avènement:

Nivelles fondé après 640.

Stavelot 644-648.

Malonne vers 650.

Fosses avant 652.

Saint-Trond vers 655.

Lobbes-Saint-Pierre vers 655.

Aulne après 655.

Munsterbilsen vers 670.

Meldert-lez-Hougarde avant 675.

Moustier-s/Sambre avant 675.

Chèvremont vers 68o.

Andenne 691.

Celles fin du VIIe siècle.

Meeffe avant les Normands.

Orp-le-Grand fin du VIIe siècle.

Lobbes Saint-Ursmer vers 700.

A cette liste déjà longue pour la population clairsemée et à peine convertie, nous pouvons ajouter six autres maisons religieuses fondées sous le fécond pontificat de notre Saint. Ce sont:

Andage vers 706.

Odiliënberg 707.

Saint-Pierre à Liège 714.

Susteren avant 717.

Aldeneyck vers 725.

Hastière ép. Mérovingienne.

Après cette période brillante le diocèse restera 190 ans sans une seule nouvelle fondation monastique. Est-ce à dire qu'après saint Hubert la ferveur religieuse diminua? Pas précisément, mais désormais l'attention se porta davantage sur l'organisation des paroisses.



CHAPITRE VIII.

CONSECRATIONS D'EGLISES

« Et il construisit en différents endroits et non sans peine (proprio sudore) des sanctuaires en honneur des saints martyrs. » Voilà encore une de ces phrases de notre biographe, qui mettent notre curiosité à l'épreuve. Ah! s'il avait voulu énumérer les sanctuaires construits ou simplement consacrés par notre Saint, quel jour cela aurait jeté sur son activité apostolique et sur l'origine de nos paroisses. Nous lisions ces jours-ci dans « La Vie liturgique » (31) une notice de trois pages relatant, avec les dates, les cent et vingt consécrations d'églises faites par sa Grandeur, Mgr Rutten, pendant les vingt-cinq années de son pontificat, et cette sèche nomenclature nous parut plus éloquente que le plus beau discours. Il est vrai que le nageur écrivait des leçons pour l'office, et le modeste scribe se doutait bien peu, qu'après douze siècles, on allait tant s'occuper de son oeuvre. Aussi, contentons­nous, sans récriminer, d'utiliser les rares détails qu'il nous donne sur les dédicaces faites par son maître.

Les églises qui prétendent avoir été consacrées par saint Hubert sont au nombre de dix, à savoir: Saint­Lambert, Saint-Pierre et Sainte-Walburge à Liège; Saint­Hubert-en-Ardenne, Emael, Herstal, Nivelle, Heverlé, Tervueren et Sarchinville. Un mot sur chacune d'elles.


SAINT-LAMBERT

L'auteur du Vita prima Lamberti nous a donné de précieux détails sur l'état des lieux, où son cher maître fut assassiné. Les voici résumés:

« Venu dans la villa de Liège, le saint pontife, d'après son habitude, se leva vers le milieu de la nuit et, laissant dormir ses disciples, il alla seul dire les matines (solus ibat in nocturno) jusqu'aux premières lueurs du jour. Alors, frappant de sa canne la porte de la chambre, il appela ses disciples pour qu'ils vinssent réciter Laudes (matutinum) avec lui. L'office fini, il rentra à la maison (reversus domum) pour se reposer. A l'aurore, un de ses domestiques, Baldovée, qui, cette nuit, monta la garde devant la maison épiscopale, vint le réveiller pour lui annoncer l'approche des assassins. Après différents incidents, le Saint se mit en prière dans sa chambre à coucher, et là il fut tué par un des bourreaux qui était monté sur le toit de chaume. »

Ce récit relève clairement deux constructions nettement séparées: une habitation, lieu de martyre, et un oratoire, lieu de prière. Lorsque, dans les siècles suivants, on abandonna la lecture du Vita prima Lamberti, la légende vint jeter la confusion dans ce récit pourtant si clair. Dans la chambre à coucher de saint Lambert, fréquentée par les pèlerins, on a commencé, à un moment donné, à rendre un culte aux deux frères médecins, les saints Côme et Damien, qui finirent par donner leur nom au petit sanctuaire. Un peu avant l'an mille, Notger, comme nous le dirons plus bas, engloba le sanctuaire dans sa nouvelle cathédrale et y déposa les restes de saint Lambert, qui retrouvaient ainsi le lieu consacré par le martyre.

Vers 1088, un prêtre français, Joconde, se figura que ce patronage des deux frères était antérieur à saint Lambert et, dans son Vita Servatii, ramassis d'erreurs et de contradictions, il dit que le sanctuaire avait été fondé, vers 558, par saint Monulphe épris par la beauté du vallon de Liège. Mystifié par ce texte, un autre auteur aimant également les légendes, le chanoine Nicolas, raconte le premier, au milieu du XIIe siècle, que c'est dans cette chapelle des saints Côme et Damien que saint Lambert fut martyrisé, et tous les historiens l'ont répété après lui.

Dans tout cela, le vrai oratoire de la villa de saint Lambert fut oublié, jusqu'au jour où deux historiens, MM. J. Demarteau et Léon Lahaye, l'ont réhabilité et ont montré le grand rôle qu'il a joué dans l'histoire religieuse de la ville (32).

L'oratoire proche de la villa de saint Lambert était le premier temple paroissial du village de Liège, dédié, selon toute vraisemblance, à la sainte Vierge. C'est la petite mais célèbre église de Notre-Dame-aux-Fonts, laquelle, rebâtie plusieurs fois, a gardé jusqu'à la Révolution française les fonts baptismaux conservés actuellement à Saint-Barthélemy. Quoique annexée ou plutôt incorporée à la cathédrale Saint-Lambert, cette chapelle a imposé à celle-ci son nom (Notre-Dame) et est toujours restée première paroisse et baptistère de la ville.

Cette église Notre-Dame-aux-Fonts était parallèle et presque contiguë à la nef méridionale de la cathédrale, c'est-à-dire qu'elle se trouvait à une dizaine de mètres des maisons de commerce situées entre les rues Gérardrie et Souverain-Pont (33). Le lieu du martyre de saint Lambert était à une trentaine de mètres de là, vers le milieu de la place actuelle, entre l'aubette et l'entrée de l'hypocauste.

Dès la première année du martyre, d'après le Vita Lamberti, les fidèles se mirent à bâtir l'église du pèlerinage, qui devait devenir bientôt la cathédrale. Ils l'ont construite, non à l'emplacement de Notre-Dame, qui fut conservée, ni à l'emplacement de la chambre où les fidèles continuaient à aller prier près du lit, mais à l'est de l'endroit du martyre, vers la place du Marché. Un texte, tardif il est vrai, mais que M. Kurth juge intéressant à divers points de vue, nous le dit formellement (34). En effet, la cathédrale de saint Hubert fut rebâtie par Notger parce qu'elle était trop petite, caduque et « d'attre part, dit Jean d'Outremeuse, qu'il ne seoit mie bien, car ilhe devoit seoir ai propre lieu où saint Lambert avoit esteit martirisiet. L'église n'était pas bien située, car elle aurait dû se trouver à l'endroit même du martyre. » Pour Jean d'Outremeuse, elle était donc mal placée, et, dans un autre passage, il nous dit que l'endroit de l'immolation se trouvait à l'ouest (35).

Saint Hubert a déposé le corps de saint Lambert, non pas dans une châsse, mais dans un tombeau. Où creusa-t-il ce tombeau? Dans l'église, nous l'avons vu, mais les biographes contemporains ne nous donnent pas d'autre précision. Il serait pourtant intéressant de savoir où se trouvait, avant Notger, le palladium de la cité, vers lequel les pèlerins affluaient, et autour duquel une grande ville s'est formée. Nous ne le savons que par analogie avec l'église notgérienne.

Notger a bâti sa cathédrale à l'emplacement de celle de saint Hubert, mais en la prolongeant vers l'ouest, vers la maison de Marneffe, de manière à englober, entre les deux tours occidentales, la chambre du martyre devenue alors chapelle saints Côme et Damien. Entre ces deux tours (remplacées au XIVe siècle par, les fameuses tours de sable) il fit le choeur occidental à chevet plat, dans lequel il plaça deux autels: celui des saints Côme et Damien, déjà vénérés à cet endroit, et celui de la Sainte Trinité qui avait été fondé, en 932, par Richaire. Sous ce choeur occidental Notger emménagea une crypte, dans laquelle il plaça, sous l'autel de la Sainte Trinité, les reliques tant vénérées de saint Lambert, qui occupaient ainsi l'emplacement exact du martyre (36).

Il est bien probable que, dans cette disposition, Notger n'a fait que reproduire ce qu'il avait vu avant l'agrandissement, et nous pouvons dire que saint Hubert a fait creuser le tombeau de son prédécesseur, non à vingt­cinq mètres de la maison de Marneffe, où il se trouvait après l'an mille, mais une vingtaine de mètres vers la place du Marché. Remarquons en même temps que cet emplacement était la place d'honneur de la cathédrale d'alors, car, à cette époque, l'orientation de nos églises - si impérieuse plus tard - n'était pas encore généralisée (37) et il n'est pas impossible que le choeur de la première cathédrale de Liege, construite contre la maison du martyre, ait été le choeur unique de cette église. Au XVIIe siècle, on appelait encore le choeur occidental antiquum chorum, le vieux choeur (38).


SAINT-PIERRE

Lors de la translation de saint Lambert, le 24 décembre 718, la cathédrale seule était construite au nord de l'oratoire de Notre-Dame, mais voyant affluer les pèlerins toujours plus nombreux au tombeau de l'illustre martyr, son successeur se décida à bâtir une deuxième église, dédiée à saint Pierre. Lorsque, un an avant sa mort, l'évêque alla mesurer sur le mur la longueur de son corps, elle était achevée peut-être depuis longtemps.

La nouvelle église fut construite au pied du Publémont (mont public) au square Notger, et au-dessus des degrés de Saint-Pierre. Après des péripéties, trop longues à raconter, la construction de saint Hubert fut remplacée, après l'incendie de 1185, par une église romane toute nouvelle, qui devait durer jusqu'en 1811 (39). Elle s'étendait depuis la maison n° 4 de la rue St-Pierre, où se trouvait la tour, jusqu'au. delà de la grille du square, c'est-à-dire que l'entrée de l'église était sur la hauteur et le choeur dans la vallée. A cause de cette disposition, la crypte (dans laquelle saint Hubert a été enterré) prenait une grande importance, tant par son étendue que par sa hauteur.

Voici la description de cette crypte faite, peu avant la Révolution, par l'abbé Delvaulx, doyen de Saint­Pierre; elle intéressera d'autant plus le lecteur qu'elle est inédite. « A côté du choeur deux escaliers conduisent à la grotte sous le grand perron de l'entrée. Ce souterrain règne sous le sanctuaire, le choeur, les deux chapelles latérales, le trésor et la sacristie de l'église supérieure. Il contient cinq chapelles ayant un avant-choeur en forme d'église. La plus grande de ces chapelles, sur la même ligne mais un peu plus avancée, au milieu des quatre autres, sert de choeur, lorsqu'on y célèbre l'office le jour de saint Hubert, qui l'a bâtie et y a choisi sa sépulture. Cet édifice construit avec délicatesse et solidité compte le XIe siècle de son âge. » (40)

L'auteur est évidemment dans l'erreur quand il attribue cette crypte-là au VIlle siècle; la description qu'il en donne prouve qu'elle fut construite pour le choeur roman qui la surmontait.

De l'église Saint-Pierre, bâtie et consacrée par saint Hubert, il n'existe plus rien, mais on a prétendu que certaines substructions du couvent des Pères Lazaristes remontent à son époque. Il y a là des souterrains très intéressants au point de vue archéologique, mais de là à dire que ces vieilles pierres remontent au temps de saint Hubert, il y a de la marche.

L'aile principale de ce couvent, d'allure gothique, a été bâtie, en 1556, par Jean Brixi, chanoine de la collégiale Saint-Pierre devenu plus tard doyen de Saint­Denis. Sous ce corps de logis il y a de larges caves rudement voûtées, qui doivent être de la même époque, mais, à côté de ce bâtiment, deux souterrains s'allongent dans la direction de la place Saint-Lambert et un autre, maintenant comblé, se dirigeait vers l'église Saint-Pierre.

Le manuscrit Van den Berch, écrit au début du XVIIe siècle, parle de ces constructions en ces termes: « La vieille maison Brixi avait un oratoire et autel, auquel, suivant la tradition des anciens, St Hubert, se retirant illec, privément celebroit la messe et faisoit ses oraisons. Il y avoit une cave et conduit tirant des degrés de la Montaigne, mais entièrment rempli, par lequel l'opinion estojt que St Hubert alloit du dit oratoire à la grotte de St Pierre. » M. Th. Gobert (41), auquel nous empruntons cette citation, ajoute: « On ne doit évidemment accepter ces dires que comme de simples racontars » ce qui n'a pas empêché les Pères Lazaristes de rétablir l'autel vu par Van den Berch. Ils ont bien fait, car on ne saurait mieux prier le saint fondateur de Liège que là.

Reste une question à traiter: dans quel but notre Saint a-t-il fondé cette église dans son bourg de Liège, alors qu'il en existait déjà deux autres?

MM. Demarteau et Gobert sont portés à croire que l'évêque a voulu en faire sa cathédrale et, même, qu'elle en a rempli les fonctions pendant un certain temps. Les documents locaux n'en parlent pas et nous croyons que la solution de ce problème doit être cherchée ailleurs. Nous y reviendrons au chapitre suivant.


SAINTE-WALBURGE

Dans l'Historia Sancti Huberti que le Père Jésuite, Jean Roberti, a publié à Luxembourg, en 1621, il a écrit, p. 179: « Je lis dans des manuscrits et dans le Chronicon magnum Belgicum que saint Hubert a également fondé et consacré l'église Sainte-Walburge, à Liege, que Pierre Stevart, vicaire général de l'évêque de Liège, vient de restaurer entièrement. » Et le Père De Smedt, qui cite ce passage, ajoute: « Si cette église a été consacrée par saint Hubert, ce n'est certes pas sous le nom de Walburge, car cette Sainte n'est morte qu'en 777, c'est-à-dire cinquante ans après saint Hubert. »

L'erreur de Roberti s'explique. Le prêtre de Maestricht, auteur contemporain du Vita Lamberti, avait écrit: « En ces jours-là (la première année du martyre de saint Lambert) une jeune fille aveugle, nommée Ode, ayant appris que des miracles s'opéraient (par l'intercession du Saint), se mit en route - avec une grande foi - vers le lieu du martyre. Comme elle en approchait, ses compagnons, dès qu'ils aperçurent le lieu, l'en informèrent. Elle, pleine de joie et du fond de son coeur, se mit à invoquer le nom du saint homme et, aussitôt, le Seigneur rendit à ses yeux une lumière excellente. Et c'est en rendant grâces à Dieu qu'elle arriva au but de son voyage. A partir de ce moment, la foule accourut encore plus nombreuse pour bâtir l'église (la cathédrale) en honneur du Saint, et, avec l'aide de Dieu, elle fut rapidement achevée. De même là où la jeune fille avait reçu la vue, en récompense de sa foi, une chapelle (basilica) commémorative fut construite et devint l'objet d'une vénération assidue. » (42)

Ce dernier sanctuaire bâti et consacré par saint Hubert, M. Gobert, à la suite de Jean d'Outremeuse, l'identifie avec une égljsette qui s'élevait anciennement sur les hauteurs de Sainte-Walburge, au glacis de la citadelle, à l'intersection des rues Pierreuse, Ste-Walburge et Montagne-Ste-Walburge. De son emplacement on a une vue admirable sur la ville (43).

Le patron primitif de cet oratoire n'est pas connu; dès le XIe siècle la chapelle est placée sous le vocable de sainte Walburge, et, à partir du XIVe, sainte Balbine en fut la patronne. On peut voir, dans les Promenades historiques du docteur Bovy, combien le pèlerinage de sainte Babelène était en faveur auprès du peuple liégeois.

Lorsque, au commencement du XVIIe siècle, le vicaire général Stévart, scindant la paroisse Saint-Servais, avait fondé, à l'emplacement d'un ancien hôpital, l'église Sainte-Walburge, le chapitre de Saint-Lambert incorpora « l'autel Sainte-Walburge et Sainte-Balbine » dans la nouvelle église paroissiale. La vieille fondation de saint Hubert continua toutefois à exister sous le nom de Sainte-Balbine. Le Père Roberti s'imaginant que la nouvelle église, Sainte Walburge occupait la place de l'ancienne chapelle, a attribué la consécration de celle-là à saint Hubert et son erreur s'est perpétuée.

L'oratoire, sans doute souvent rebâti, n'avait, à la Révolution française, que trente-deux pieds de longueur, avec « sous la sacristie une espèce de souterrain, qui faisait partie de la maison voisine. » Cette maison était habitée par un des vicaires de Saint-Servais, desservant la chapelle (44).

Lorsqu'en 1817 le gouvernement des Pays-Bas rebâtit la citadelle, il fit disparaître « le vieux mémorial de la guérison de l'aveugle » et la statue de sainte Balbine fut portée processionnellement à Saint-Servais et placée dans la chapelle du baptistère, où elle se trouve encore.


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SITUATION DE SAINTE BALBINE PRIMITIVEMENT STE WALBURGE BATIE SUR LE LIEU MEME OU ODE RECOUVRA LA VUE.

Extrait dU PLAN DE LA CITADELLE DE LIEGE TELLE QU'ELLE EXISTAIT EN 1789 par le Docteur Bovy.


L'ABBATIALE SAINT-HUBERT

Nous avons vu que « du vivant de saint Hubert, et peut-être avant son avènement à l'épiscopat » (45) un prêtre, sorti du monastère de Saint-Trond, avait jeté les fondements d'une maison religieuse dans la solitude ardennaise d'Andage. Une bonne centaine d'années plus tard, la dépouille sacrée du fondateur de Liège y fut transférée, et l'église abbatiale, dédiée à saint Pierre, prit insensiblement le nom de Saint-Hubert. Encore cent ans (vers 937) et un moine de l'abbaye, écrivant le Vita Beregisi, nous dira que le fondateur avait construit l'insigne basilique et le monastère sur le conseil de saint Hubert, qui l'avait établi abbé du nouveau couvent.

Cette conjecture du moine hubertin n'a rien d'invraisemblable. Si même l'abbaye a été fondée du temps de saint Lambert (ce qui est possible), toujours est-il que c'est à son deuxième patron que le monastère d'Andage doit sa célébrité mondiale et l'influence bienfaisante qu'il a exercée même en dehors des Ardennes.

L'abbatiale, plusieurs fois reconstruite, brûla en 1525. C'est alors que l'abbé Malaise jeta les fondements de l'église actuelle, en style ogival tertiaire comme Saint­Jacques à Liège et, avec celle-ci, la plus belle église monastique de Belgique. Malheureusement, en 1700, l'ancienne façade fut cachée derrière le lourd vêtement de pierre bleue en style classique, qui dépare toujours l'édifice gothique (46).


EMAEL

Un jour de l'an 1560, Jean Pité, seigneur d'Emael, Eben et Nédercanne, autrefois bourgmestre de Liège, fit transporter d'Emael à Liège une pierre chargée de vieux caractères. Il s'agissait sans doute de faire déchiffrer l'inscription par un des nombreux humanistes que comptaient alors les collégiales liégeoises, et parmi lesquels l'ancien bourgmestre devait avoir des amis.

Un nommé Nicolas del Boverie chargea la pierre sur sa charrette, lorsque, par mégarde, il la fit tomber et elle se brisa. Les fragments rapportés à Emael y existaient encore du temps du curé Nicolas Jamar (1579-1630), qui eut l'heureuse idée de faire tailler sur une nouvelle pierre la reproduction exacte de l'ancienne. Il fit placer cette nouvelle plaque dans le mur du choeur, et depuis la démolition de l'ancienne église, en 1869, elle se trouve dans le mur septentrional du cimetière.

La fameuse pierre, longue de 0,84 m. sur 0,71 m. de large, donne, en cinq lignes comprenant quatre hexamètres, l'inscription dédicatoire de l'église Notre-Dame.

Le texte latin a été publié une dizaine de fois, mais, comme bien on pense, souvent défectueusement, jusqu'à ce que, un autre curé d'Emael, l'éminent archéologue Edmond van Winstershoven, en ait donné, en 1902, une édition critique (47).

Il la traduit en ces termes: « Saint Hubert, évêque, consacra autrefois cette église au service du Seigneur, en présence du peuple. Les calendes étaient au premier jour de décembre: 712 années étaient révolues depuis Notre­Seigneur. » (48) Il établit en outre que l'inscription, reproduite exactement par la lapicide du curé Jamar, a été composée au XIe siècle.

Si le rédacteur d'alors s'est inspiré d'une pierre dédicatoire plus ancienne, il nous a conservé un témoignage irrécusable de la consécration de l'église par saint Hubert. Mais il se peut aussi que le texte lapidaire du XIe siècle soit inspiré uniquement par l'existence de la villa à Emael et dans ce cas il ne prouve rien. M. le curé van Wintershoven s'est abstenu de conclure. Nous ferons comme lui.


NIVELLE et HERSTAL

En décrivant le cortège, qui escortait le corps de saint Lambert de Maestricht à Liège, l'auteur du Vita Lamberti dit que sur le trajet un aveugle fut guéri à Niviala et un paralytique à Charistalius; il ajoute que, dans les deux endroits, des chrétiens dévots ont bâti une basilique en honneur de saint Lambert et que l'on continuait à vénérer ces églises.

NIVIALA est évidemment Nivelle-sous-Ljxhe. On sait qu'il y a eu une chapelle dans ce hameau; elle est citée dans le pouillé de 1477 (49) après l'église de Lixhe, mais il y a longtemps qu'elle a disparu et son emplacement a été envahi par les eaux de la Meuse. On nous assure même que l'on peut voir les restes de ses murs quand les eaux sont claires.

CHARISTALIUS est Herstal, et il s'agit ici, non pas de l'église de Licour, mais de la vieille chapelle Saint­Lambert, qui se trouve derrière l'hôtel de ville, et laquelle tombe malheureusement en ruine (50).

Dans une troisième vie de saint Lambert attribuée faussement au diacre Godescalc mais écrite seulement au XIe siècle, le nom et la localité devient Herimala c'est-à­dire Hermalle-sous-Argenteau, où l'on avait également une église consacrée au patron du diocèse.

Pourtant, quoiqu'on ne lisait plus les premières vies de saint Lambert, la vieille tradition de Herstal ne se perdit pas entièrement; elle survécut dans la légende. Au XIVe siècle, nous rencontrons cette légende dans toute son ampleur chez Jean d'Outremeuse, le grand conteur devant l'Eternel. Celui-ci ignore le miracle du paralytique, mais il en connaît beaucoup d'autres opérés sur le parcours de la procession, à Líxhe, à Haccourt et à Hermalle. A Herstal on trouva un thier, qui fut nommé pache (51), où l'on se reposa. Au moment du départ, le voile d'or et de soie qui couvrait le cercueil de saint Lambert volait en l'air et vint s'abattre à l'endroit où se trouve la chapelle. Saint Hubert voyant cela prit une hache qu'un paysan portait, et traça sur le sol le plan de la chapelle qu'il se proposa d'y bâtir, et, aussitôt, le voile allait reprendre la place sur la fierté du Saint et « la procession s'en vat avant, chantant et orant Dieu dévoltement. (52)

Comme les deux oratoires ont été fondés à la suite de la translation de saint Lambert, il est tout naturel d'attribuer leur dédicace à notre Saint.


HEVERLE et TERVUEREN

Le nageur nous raconte que saint Hubert consacra une église en Brabant cinq jours avant sa mort. Il ne nomme pas l'église, mais la tradition veut que ce soit celle de Héverlé, qui a saint Lambert pour patron.

Cette tradition est confirmée par le récit du voyage du Saint. De Héverlé il se rendit à Fura, situé en Brabant à trente milles de Liège (un mille gaulois valait 2.500 mètres). Fura n'est pas Fouron, ni Forville près de Meeffe, mais Fara ducis ou Tervueren, à mi-chemin entre Louvain et Bruxelles. De Héverlé il fit deux milles en bateau sur la Dyle, sans doute jusqu'au village de Neeryssche, et de là il alla à cheval jusqu'à Tervueren, qui est bien à 75 kilomètres de Liège.

Il y a eu là une chapelle consacrée à saint Hubert, que l'on fait également remonter à lui, mais sans autre raison que l'existence de la villa, où il est allé mourir. Nous avons vu que cette villa possédait un oratoire, dont le Saint baisait l'autel à son arrivée au milieu de la nuit.


SARCHINVILLE

Le Père Roberti, préparant son ouvrage sur Saint-Hubert, fut informé par un prêtre français que, d'après d'anciens documents, l'église de ce village fut consacrée par saint Hubert. Comme ces documents ne furent pas produits, on peut croire à une supercherie.

D'aucuns font également remonter à l'époque de saint Hubert les paroisses qui portent son nom, telles: Lille-Saint-Hubert, en Campine, et Hern-Saint-Hubert, près de Tongres. Nous croyons que le nom du Saint, donné à ces villages, prouve plutôt que ces églises n'ont pu être fondées qu'après l'élévation de ses reliques, en 743.



CHAPITRE IX.

SAINT HUBERT ET LA LITURGIE (53)

A la fin du mois d'avril 726, l'évêque Hubert quitta sa villa d'Emael pour se rendre à Maestricht, et y présider aux processions des Rogations. A cette époque, les Rogations n'étaient pas encore introduites partout, mais nous voyons ici qu'elles étaient observées au diocèse de Tongres, au moins dans la ville épiscopale de Maestricht. C'est à Vienne, en Dauphiné, que l'évêque Mamert avait d'abord introduit cette supplication publique, qui fut étendue à toute la Gaule franque par le premier concile d'Orléans, en 511, mais Rome, qui célébrait le 25 avril la procession de saint Marc, n'a reçu les « litanies » des Rogations que vers 800, sous le Pape Léon III (54). A Maestricht les processions se faisaient hors ville, tout comme maintenant, avec des croix et des reliques de saints; l'évêque y prêchait à la foule et on jeûnait les trois jours.

En y allant, dit le nageur, l'homme saint, l'athlète de Dieu, parcourut, en prêchant, villes et châteaux « per oppida et castella ». C'est bien l'image de l'évêque missionnaire. La même image se présente au souvenir de l'auteur du Vita quand il décrit les courses évangéliques de son maître à travers l'Ardenne, le Brabant et la Campine. Les nouveaux baptisés venaient le trouver de loin pour être « fortifiés par la grâce septiforme: c'est-à-dire pour être confirmés, et, lorsqu'en Ardenne, les idolâtres continuaient à vénérer les cendres des idoles que le Saint avait brûlées, il leur imposa une pénitence de trois ans. C'était le régime de la pénitence publique encore en pleine vigueur à cette époque.

En revenant des Rogations à sa villa d'Emael, au soir du 1er mai, le Saint allait dormir lorsque ses serviteurs vinrent lui dire que sa maison brûlait. Il éteignit le feu par un signe de croix « et, ajoute l'auteur, nous allâmes au lit prendre le repos en chantant complies ». Le complies, à cette époque, ne faisaient pas encore partie de l'office; elles constituaient la prière du soir, que les moines chantaient au dortoir.

Lorsque, le deuxième jour de la pêche de Nivelle, la barque disparut sous les eaux de la Meuse, l'évêque, debout sur la berge, se frappa la poitrine et, les yeux levés vers le ciel, il s'écria en fondant en larmes: « Seigneur Jésus.., que ta main nous délivre. » Remarquons le geste du Saint au moment du danger: il se frappe la poitrine. De son temps, époque de foi profonde, les sentiments religieux étant très vifs se manifestaient par des gestes, surtout en Gaule. Les prières et cérémonies y étaient beaucoup plus expressives et sentimentales qu'à Rome, dont le génie liturgique se distingue par la clarté, la simplicité, la sévérité de lignes et par l'absence de toute espèce de sentimentalité, d'effusion, d'imagination et de mystère (55). Cette habitude de se frapper la poitrine a été conservée, dans les cérémonies de la messe, et il est curieux de constater que les éléments où on trouve ce geste, tels le Confiteor, l'Agnus Dei et le Domine non sum dignus sont précisément d'origine gauloise et non romaine et que le Nobis quo que peccatoribus, marqué du même geste, est une prière adventice du VIe siècle (56). L'Agnus Dei a été introduit par le pape Sergius à l'époque de saint Hubert.

Durant la fièvre que le Saint contracta à la suite de la blessure reçue le premier jour de pêche, un ange lui dit qu'il n'avait plus qu'un an à vivre. Au cours de cette année, il venait souvent prier au tombeau de saint Lambert, dans l'église qu'il lui avait érigée, et chaque fois il « baisait l'autel ». Il en fit autant quand il arriva à Tervueren, malade de la fièvre qui devait l'emporter cinq jours plus tard. Nous voyons donc que la coutume de baiser l'autel existait même en dehors du Saint Sacrifice de la messe. Le fondateur de Liège trouvait dans cette pratique un aliment à son ardente piété et il a laissé à ceux qui ont l'occasion de s'approcher souvent de l'autel un exemple de dévotion, peut-être trop oublié aujourd'hui.

Avant de procéder à la Translation de son prédécesseur, saint Hubert prescrivit plusieurs jeûnes aux monastères de son diocèse. « A l'origine, dit Monseigneur Duchesne, le jeûne pascal et les stations de chaque semaine représentaient seuls l'observance commune, publique, obligatoire. Cependant les évêques prescrivaient des jeûnes extraordinaires suivant les nécessités. » (57) Nous voyons ici une de ces prescriptions, faite aux seuls religieux, pour obtenir, par leurs jeûnes et prières, la grâce d'être éclairé dans une affaire importante.

Le corps de saint Lambert fut levé de terre à l'église Saint-Pierre, déposé sur un bière entre des croix et des cierges, et transporté à Liège au son des cymbales et des orgues. Ces détails intéressants nous sont donnés par le Vita Lamberti. La mention des croix, cierges et cymbales n'a rien d'étonnant, mais on peut se demander ce que l'auteur a voulu désigner par les mots: perstrepentjbus organis. C'étaient des instruments portatifs puisqu'on les jouait dans un cortege, et ils ne devaient guère ressembler à nos orgues d'église qui alors n'étaient pas encore en usage en Austrasie. Ce fut l'empereur Alexandre Copronyme qui envoya, en 757, les premières orgues à Pepin le Bref, Saint Hubert ne les a donc pas connues, mais il peut avoir connu les cloches introduites en Allemagne par son contemporain, saint Boniface Les a-t-il employées dans ses églises. C'est peu probable. Il aura appelé le peuple au service religieux en frappant une planche, d'où nous est resté l'usage de la crécelle dans la semaine sainte. Les cithares et cymbales étaient d'un emploi plus ancien chez les Francs. Clovis les avait connues et l'usage s'en était maintenu chez nous, car, au commencement du VIlle siècle, l'abbé anglais Cuthbert demanda un joueur de cithare à l'abbé de Fulda (58).

L'usage des orgues ne se répandit, en notre pays, qu'aux XIe et XIIe siècles, non sans une certaine résistance. Nous lisons dans la chronique de Lobbes que, sous l'austère abbé Leonius (1131-1137), les orgues furent ôtées de l'église comme trop profanes pour la célébration des saints mystères, sévérité qui s'explique par l'influence de la réforme cistercienne.

Le même auteur (probablement un prêtre maestrichtois) nous raconte que lorsque les restes de saint Lambert avaient été déposés dans la nouvelle église, construite par son successeur, on y éleva un admirable mausolée orné d'or et d'argent, et les riches y apportèrent en abondance des broches (fibulae) et d'autres objets en or ou ornés de pierres précieuses.

Treize mois après l'accident de Nivelle, le Saint alla consacrer l'église de Heverlé, près de Louvain. Avant qu'il ne commençât, un de ses disciples (peut-être le nageur) lui demanda si on allait faire, ce jour-là, les cérémonies longues ou courtes. Le pontife lui répondit: Faites aujourd'hui le mieux que vous pouvez. Cette question et cette réponse nous montrent bien que si le cadre de la dédicace était déjà tracé, ce cadre laissait à l'officiant une certaine liberté, de sorte qu'il pouvait allonger ou raccourcir les cérémonies à volonté. A la dédicace de Héverlé, Hubert usa largement de cette liberté, car le biographe nous dit qu'il prêcha au peuple de la troisième à la sixième heure, c'est-à-dire de neuf heures à midi.

Il parle aussi du Saint Sacrifice offert sur l'autel cum timiamatibus: avec des parfums. Donc déjà alors l'encensement jouait un rôle important dans la consécration de l'autel. Se faisait-il comme maintenant avec des encensoirs suspendus à des chaînes? A Rome, depuis Constantin, on brûlait l'encens dans des cassolettes fixes, souvent trop lourdes pour être portées; ce n'est que sous le pape Léon IV (847-855) que l'on signale des encensoirs à couvercles et à chaînes (59). Nous croyons pourtant que saint Hubert connaissait déjà ceux-ci, car, dans son cortège funèbre de Tervueren à Liège, notre auteur parle d'encensoirs et de parfums (cum turibulis et timiamatibus). Le nageur ne nous décrit pas la messe à laquelle il a assisté, mais nous savons que saint Hubert a dû souvent « concélébrer la Sainte Messe avec ses prêtres » et que les fidèles y communiaient sous les deux espèces, ce qui demandait des vases sacrés beaucoup plus grands que les nôtres.

A l'occasion de la translation du corps de notre Saint à Andage, Louis le Débonnaire, sans y être présent, donna pourtant à l'abbaye ardennaise des présents précieux, entre autres un calice en or. Ne nous figurons pas un calice comme ceux que nous connaissons, mais une coupe énorme. Ce qui le prouve, c'est qu'Albert, abbé de Saint­Hubert de 1027 1033, fit transformer ce calice, qui pesait vingt livres, en un antependium ou devant d'autel, que l'abbé Thierry (1055-1080) acheva, et qu'Otbert enleva pour payer le château de Bouillon au duc Godefroid, partant pour la première croisade (60). Que sont devenus tous ces grands calices en usage tant que les fidèles communiaient sous les deux espèces? Tout passe.

Après la bénédiction du peuple, à la fin de la Messe, l'évêque alla dîner dans une maison avec d'autres invités. Si l'auteur signale spécialement la bénédiction donnée par l'évêque, c'est que celle-ci avait alors un relief qu'elle n'a plus maintenant. On se figure volontiers que les chose se passaient, ce jour-là, à Héverlé, à peu près comme l'Ordo I romain nous décrit la bénédiction donnée par le pape, les jours de station. Le pape (ayant chanté la messe derrière le maître-autel, le visage tourné vers le peuple) descend les marches de l'abside, les diacres l'accompagnent. Pendant qu'il descend les évêques lui disent: Jube domine, benedicere. Le pape bénit en disant: Benedicat nos Dominus. Après les évêques, les prêtres font de même et le pape bénit. Puis viennent les moines, ensuite les chantres, les porte-enseignes, les acolytes et enfin le peuple, et chaque groupe reçoit sa bénédiction (61).

Au repas le Saint donna à tous les eulogies, mais il ne mangea guère, il se sentait malade. Les eulogiae étaient des pains, offerts par les fidèles, pour servir au sacrifice, mais qui n'avaient pas été consacrés. Ils avaient reçu toutefois une bénédiction à la messe et faisaient l'objet d'une distribution aux assistants et aux absents. En France, l'usage de distribuer du pain bénit, à la messe solennelle dominicale, a persisté jusqu'à nos jours (62).

Saint Hubert s'élevant de table, avant les autres convives, pour se rendre à sa maison de campagne de Tervueren, un homme, anachorète depuis douze ans, l'engagea à boire encore un coup. C'est la première mention de l'existence d'un ermite en notre pays. Les ermitages s'y sont multipliés depuis, et n'ont pas cessé de trouver des occupants qui édifièrent souvent le peuple par leur vie sainte et mortifiée. Les deux derniers ermites que nous ayons connus sont morts, et ils ne furent pas remplacés. C'est une tradition de douze siècles qui s'en va,

A Tervueren l'état du malade s'aggrava du lundi 26 au vendredi 30 mai, jour de sa mort. Un de ces jours, ne sachant dormir, il récita tout l'office entre minuit et l'aurore, ce qui semble indiquer qu'alors l'habitude ou l'obligation de la récitation privée de l'office existait déjà. Les différentes heures sont désignées par le « nageur » sous les noms: nocturnes, matines (laudes), secunda (prime), tierce, sexte, et none, c'est-à-dire tout le cursus jusqu'à vêpres. Pour réciter tant de prières dans le feu de la fièvre, le saint a dû être aidé par les deux hommes qui le veillaient: son cher fils Floribert et le fidèle « nageur ». Leur secours était d'autant plus nécessaire qu'à cette époque le bréviaire n'existait pas encore; il fallait cinq ou six livres pour chanter l'office comme pour célébrer la messe.

Se sentant mourir le Saint récitait le Credo et le Pater. Les évêques de Tongres-Liége n'ont jamais failli dans la foi, et, lorsqu'en mourant, ils récitent le Credo, ils expriment une dernière fois leur ferme volonté de garder et de défendre le dépôt qui leur fut confié: depositum custodi. Ils professent le même Credo que saint Materne apporta au pays, que saint Servais défendit contre Euphratas, que saint Hubert récita à son lit de mort et que, en 1075, Théoduin en mourant fit graver sur une croix de plomb, qu'il emporta avec lui au tombeau (63).

Avant de mourir, le Saint, étant tourmenté par le démon, demanda l'eau bénite, le sel et l'huile sainte pour le chasser; il se fit couvrir la bouche d'un voile et, dès qu'il eût fermé les yeux, on lut sur lui, juxta morern, selon la coutume, quelque passage de l'Evangile, mais on ne dit pas lequel.

Il récita sur son lit de mort tout le Psaume 90: Qui habitat in adjutorio Altissimi, qu'il doit avoir su par coeur, comme tout le psautier, à juger d'après les citations que le nageur lui attribue à tout propos. Ses citations sont faites d'après le texte de la Vulgate, traduction de saint Jérôme, la seule en usage en Gaule depuis saint Grégoire de Tours (VIe siècle). A Rome, on se servait d'un texte beaucoup plus ancien, que le même saint Jérôme avait incomplètement revu et corrigé avant d'entreprendre la Vulgate. Rome n'a accepté cette dernière qu'au XIVe siècle, tout en conservant les anciennes antiennes. Cela explique les variantes nombreuses, dans les bréviaire, entre ces antiennes et les psaumes auxquels elles ont été empruntées.

La levée du corps, seize ans après la mort du Saint, équivalait à la canonisation actuelle. Est-ce à dire que ses restes furent déposés dans une châsse et placés sur l'autel? Nullement; après l'exaltation le corps fut simplement déposé dans un autre tombeau, tumulum et y resta jusqu'au transfert à l'abbaye d'Andage, où il fut déposé encore dans une autre tombe. Nous faisons la même constatation concernant le corps de saint Lambert. Transféré de Maestrjcht à Liège, il fut enterré ici dans un sépulcre neuf. Ce n'est qu'au XIIe siècle que les reliques seront déposées dans de précieuses, châsses et placées sur les autels.

Cette nouvelle coutume devait bientôt exercer une certaine influence sur la construction des églises. Tant que les corps des Saints reposaient dans les tombeaux, on aménageait des cryptes pour accéder aux reliques, mais quand celles-ci avaient été placées sur les autels, les cryptes devinrent inutiles; on n'en fit plus de nouvelles et beaucoup d'anciennes furent supprimées C'est pourquoi les églises romanes ont généralement des cryptes; le style gothique les ignore.

On sait que le VIlle siècle a été pour notre pays un tournant de l'histoire au point de vue liturgique. C'est alors, en effet, que le rite gallican a fait place au rite romain. Ce changement n'a pas été imposé d'autorité, mais il a été opéré lentement, à la suite des pèlerinages constamment répétés au centre du monde chrétien. Chez nous la trop grande diversité des usages avait engendré l'anarchie; à Rome, au contraire, la liturgie était arrivée à un tel point de perfection, que nos aïeux du VIlle siècle en furent ravis et qu'ils n'hésitèrent point à lui sacrifier la tradition propre de leurs églises. C'était le moment où tant de nos sanctuaires furent dédiés à saint Pierre.

Ce mouvement a commencé au VIle siècle en Angleterre, et s'est achevé en France au milieu du VIIIe. Entre les deux se trouve l'épiscopat de saint Hubert. N'a-t-il pas joué un rôle dans ce grand mouvement liturgique? C'est vraisemblable. Malheureusement les données de notre biographe sont trop maigres pour fournir des preuves; elles ne peuvent nous donner que des probabilités.

Les invasions barbares du Ve siècle avaient porté de rudes coups au christianisme dans nos contrées, en même temps qu'à la civilisation romaine; mais tandis que celle-ci ne devait jamais se relever, la religion chrétienne reprit ses conquêtes surtout au VIIe siècle. Cette évangélisation nouvelle ne fut pas l'oeuvre du clergé indigène, qui semble avoir été en dessous de sa tâche (64), mais des nombreux missionnaires qui nous furent envoyés par les provinces que l'invasion avait épargnées: le midi de la France et surtout l'Irlande. Ce sont ces missionnaires qui sont devenus les fondateurs de nos premiers établissements monastiques. Les saints Amand, Remacle et Hadelin nous sont venus de l'Aquitaine tandis qu'on rencontre des irlandais à Nivelles, Fosses, Malonne Lobbes, Odiliënberg, Susteren et Waulsort Tous ces hommes, surtout les moines irlandais, que les documents appellent les « scoti » étaient des ultramontains décidés, très dévoués à Rome. Leur esprit doit avoir influencé nos évêques, surtout saint Hubert, qui voyait travailler à côté de lui les plus grands des romanisants: un saint Willibrord et un saint Boniface

Les monastères du diocèse de Tongres étaient, eux aussi, très dévots à saint Pierre. Parmi les vingt-deux abbatiales mérovingiennes dont nous connaissons les premiers patrons, huit ont été dédiées au prince des Apôtres. Et, comme il arrivait souvent que le patron original d'une église fut remplacé par un saint local, qui y avait été enterré, nous voyons qu'à Lobbes les moines bâtissent une église funéraire, près de l'abbatiale, pour que le patron de celle-ci, saint Pierre, ne fût point, un jour, évincé de son domaine. Et est-ce que sainte Begge, contemporaine de saint Hubert, ne fonda pas, à Andenne, sept oratoires en souvenir des basiliques qu'elles avaient visitées à Rome? Cet état d'âme des moines et religieuses doit avoir été celui de saint Hubert, car, d'après notre biographe, la plus grande union régnait entre eux et l'évêque, à l'enterrement duquel il les a vus pleurer et se lamenter.

Hubert n'a-t-il pas fait lui-même le pèlerinage de Rome? Le « nageur » n'en parle pas, mais si le chanoine Nicolas, au XIIe siècle, le fait sacrer évêque par le pape Sergius, il s'est trompé sans doute, mais il est bien possible qu'un voyage ad limina ait été le point de départ de cette erreur. Ce que nous dirons, au chapitre XI, de la clef de saint Hubert, confirme cette hypothèse, et elle expliquerait aussi que l'on a fait remonter au fondateur de Liège la célèbre devise de la ville: Sancta Legia, Romanae Ecclesiae Filia.

Le manuscrit du Séminaire de Namur, contenant le Vita prima Huberti, divise ce récit en neuf chapitres, et la même division se rencontre dans le Vita Lamberti écrit sous le pontificat de saint Hubert. C'est que ces compositions étaient destinées à être lues à l'office. On nous objectera peut-être que dans les offices des Saints, leurs actes ne comportent que trois leçons ou même une seule, jamais neuf. Il en était autrement à Rome, au VIlle siècle, Voici ce que dit Mgr Batifol à ce sujet « L'office sanctoral, entendez l'office des fêtes majeures était conçu sur le modèle de l'office de Noël, de l'Epiphanie, de l'Ascension. C'était un office de neuf psaumes, neuf leçons, neuf répons. Les neuf leçons étaient empruntées aux actes du Saint. » Ailleurs il dit: « Le moment était venu où le canon de l'office, observé à Saint-Pierre, allait faire la conquête des églises franques,… et cette propagation de la liturgie romaine est le fait de l'initiative individuelle » (65)

Nous constatons, donc que l'usage romain des offices sanctoraux est suivi à Liège, dès l'époque de saint Hubert, et que chez nous le cadre liturgique est le même que dans la capitale de la catholicité, Cette infiltration romaine était-elle l'oeuvre personnelle de saint Hubert? Nous croyons que oui, et une dernière considération achèvera de convaincre le lecteur.

Avant de mourir, le saint évêque alla prier à cette autre église, que lui-même avait fondée, ad aliam basilicam quam ipse condiderat. Pourquoi avait-il fondé Saint-Pierre, à côté de sa cathédrale? Ce n'est certes pas l'importance de l'agglomération qui le demandait, car Liège, naguère village insignifiant ne peut s'être accrue en quelques années, au point d'exiger deux grandes églises et une petite. On a- tâché, en ces derniers temps, de résoudre le problème en considérant Saint-Pierre comme la première cathédrale de Liège, dans laquelle le Saint a tenu à faire célébrer ses funérailles (66).

Au fond on n'en sait rien, on ne sait même pas si l'église fut desservie par des prêtres séculiers ou des religieux. M. J. Halkjn nous dit qu'elle servit d'abord à un couvent de moines bénédictins, qui, au nombre de quinze, y avaient été appelés de Stavelot par son fondateur (67), mais ce renseignement nous vient d'auteurs tardifs, qui n'ont pas la moindre autorité. Il semble plutôt que le clergé irlandais, si nombreux alors en notre pays, avait son mot à dire à saint Pierre, car le seul autel signalé par le « nageur » y est consacré à saint Aubain, le premier martyr de la Grande-Bretagne (68).

Si les documents locaux ne nous apprennent rien, recourons à l'histoire générale. A cette époque, nous voyons s'établir, à côté des basiliques romaines, des institutions analogues à celle que saint Hubert érigea à côté de sa cathédrale. Voici ce que Mgr Batifol nous apprend à ce sujet.

« Au VIlle siècle, les monastères basilicaux prendront dans l'intérieur de Rome une extension sans précédent. Le Liber pontificalis, dans la vie du pape Léon III (795-816), nous a conservé une liste des monastères romains de la fin du VIlle siècle. Rome, à ce moment, n'en comptait pas moins de quarante-neuf. Sur ce nombre il y a des couvents de femmes, il y a des couvents indépendants d'hommes, mais il y a aussi nombre de monastères unis à des basiliques.

« Ceux-ci seuls nous intéressent, on en compte au total dix-neuf. La basilique du Vatican en à quatre, le Latran et Sainte-Marie-Majeure chacun trois. Se serait une erreur d'assimiler ces monastères basilicaux du VIlle siècle, ou monastères purement monastiques, par exemple aux couvents bénédictins. Dans ceux-ci la communauté choisit son abbé, dans ceux-là l'abbé est choisi et investi par le pape. Il y a plus: cet abbé à la nomination du pape n'est point un moine de profession, c'est, si j'ose dire, un prélat de la carrière, Saint Chrodegang ne concevra pas autrement les chanoines réguliers ou clerici canonici qu'il établira à Metz, sur le modèle, assure-t-il, de ce qu'il a vu pratiquer à Rome. Moins d'un siècle après, nous relèverons dans la vie du pape Grégoire IV (827-844) le nom de « monachi canonici » donné aux moines basilicaux,, c'est-à-dire le nom même de chanoines réguliers. » (69)

Or quel est le rôle, à Rome, de ces moines basilicaux du VIlle siècle? Former les jeunes clercs à la vie et à la science ecclésiastique? Héberger les pèlerins qui viennent visiter les sanctuaires apostoliques? Sans doute. Mais la charge, principale de ces moines est de chanter l'office. » (70)

Remplaçons dans cette description les mots « basiliques romaines » par « cathédrale Saint-Lambert » et elle s'applique exactement à la fondation de saint Hubert

« Saint Chrodegang, écrit encore Mgr Batifol, p. 80, est, comme était Benoît Biscop, tout pénétré de dévotion aux choses de Rome et de saint Pierre. Au retour d'un pèlerinage au tombeau du prince des Apôtres, en 754, désireux d'assurer la régularité de l'office, tant nocturne que diurne, dans la cathédrale de Metz, il institue une communauté de clercs sur le modèle des communautés monastiques attachées à Rome, à la desservance des basiliques, et il impose à ces clercs réguliers l'Ordo romain de l'office et la cantilène romaine. » Notre grand saint Hubert, pénétré de dévotion, lui aussi, aux choses de Rome, aura fait pour la cathédrale de Liège, mais trente ans plus tôt, ce que saint Chrodegang fit pour celle de Metz. Ainsi s'explique la construction de Saint-Pierre à côté de la cathédrale Saint-Lambert. Sancta Legia. Romanae Ecclesiae Filia.



CHAPITRE X.

PATRON DES CHASSEURS ET GUERISSEUR DE LA RAGE

Fin septembre de l'an 825, le corps de saint Hubert fut transféré à Andage où il fut déposé, le 30 de ce mois, non dans une châsse, mais dans un tombeau placé derrière le maître-autel de l'église abbatiale.

Comme bien on pense, le peuple pieux et profondément croyant de la région ardennaise ne tarda pas d'accourir à ce tombeau et d'y implorer, dans toute sorte de besoins, le grand bienfaiteur, que Dieu lui avait envoyé; et les chasseurs que la forêt giboyeuse attirait en ces lieux, joignirent leurs hommages à ceux du bûcheron de l'endroit. Godefroid Kurth a décrit les premières manifestations de ce culte dans une étude qu'il a consacrée, non à la vie de saint Hubert, mais à l'histoire de l'abbaye de ce nom. Ecoutons son récit.

« Saint Hubert, dit-il, avait à peine pris possession de sa nouvelle demeure, qu'il devenait, pour ainsi dire d'emblée, le véritable roi du pays. Son tombeau, placé dans le choeur de l'église, entre l'abside circulaire et l'autel, était le grand sanctuaire national et recevait les hommages de toutes les populations. On venait l'invoquer comme un protecteur dans la détresse, comme un guérisseur dans la maladie. Les quelques épisodes que nous connaissons nous montrent des pèlerins arrivant non seulement de Marloie et de Bras, mais du Condroz, de Tratten dans le Grand-Duché, de Luxembourg, d'Arlon, de Marle dans le département de l'Aisne. Ils venaient avec des présents; un forgeron apporte deux barres de fonte; d'autres apportent de l'argent; il en est qui promettent de donner quelque chose s'ils guérissent; on voit quelqu'un promettre son cheval. Les pèlerins venaient s'agenouiller devant le saint tombeau et y faisaient leurs dévotions deux ou trois jours de suite; nous constatons que plusieurs boivent comme remède la poussière prise sur le tombeau du Saint, qu'ils mêlent à leur boisson.

C'est surtout la fête du Saint (3 novembre) qui attirait une affluence de monde extraordinaire. Alors, on accourait à Saint-Hubert de tous côtés, en procession ou isolément. Beaucoup de malades venaient ce jour de préférence, attendant davantage de leurs prières en des moments de grande ferveur et de pieuse solidarité. Les plus infirmes se faisaient charrier ou porter; d'autres venaient à cheval, d'autres à pied. Les femmes étaient admises dans le choeur ce jour-là; le reste de l'année, le monastère semble leur avoir été fermé.

Bientôt nous voyons le Saint devenir le patron des chasseurs. La chose s'explique facilement. L'abbaye était au centre d'une des régions les plus forestières de l'Europe; tout le monde y était chasseur en quelque sorte par droit de naissance. Devenir le patron de ces populations, si passionnément adonnées à l'art de vénerie, c'était, du même coup, devenir patron de la chasse et partant des chasseurs. Nous voyons que la chose était déjà un fait accompli au Xe siècle. « C'était, dit l'auteur de la seconde partie des Miracles de saint Hubert, une ancienne coutume chez les grands de l'Ardenne d'offrir tous les ans à saint Hubert les prémices ainsi que la dîme de leur chasse, et tous ceux qui se livrent à cet exercice le font sous son patronage...

La Chronique de Saint-Hubert nous montre, dès le XIe siècle, ce patronage devenu en quelque sorte la loi du monde des chasseurs. Parlant du duc Frédéric, mort en 1065, elle écrit: « A cette époque, il ignorait encore que, suivant un ancien usage, on offrait à saint Hubert les prémices de la chasse aux bêtes fauves, qui a lieu chaque année dans la forêt des Ardennes; mais dès qu'il le connut, il s'y conforma si exactement que nous l'avons vu arriver au monastère, suivi de ses veneurs portant un sanglier, et lui-même les épaules chargées de la hure de l'animal, qu'il déposa dévotement devant l'autel de saint Pierre. Le duc Godefroí, surnommé le Barbu, allant aussi un jour à la chasse pour accomplir ce pieux usage en l'honneur de saint Hubert, prit cinq cerfs et un loup; nous l'avons vu offrir à cette église les cinq cerfs avec leurs peaux et le loup encore vivant. » (71)

Ce culte, qui avait commencé humblement dans la forêt d'Ardenne, allait s'étendre à l'univers entier; la fête du 3 novembre fut bientôt célébrée - et souvent d'une manière bruyante - par les chasseurs de tout pays, et les ordres de chevalerie les plus nobles, aussi bien que les plus humbles confréries de veneurs, se firent un devoir de la célébrer à l'égale d'un dimanche.

Même de nos jours, où tant de vieilles pratiques sont tombées en désuétude, la popularité du grand Saint n'a pas diminué, et les chasseurs surtout continuent à le vénérer et à l'invoquer. Quand le roi Léopold 1er allait à son château d'Ardenne, fêter la Saint-Hubert, la bénédiction solennelle de la chasse avait lieu dans l'ancienne abbatiale. Voici comment un auteur contemporain raconte cette coutume: « A Saint-Hubert, la belle église du saint Patron des chasseurs était autrefois le rendez­vous des veneurs de tous les pays. Dès trois heures du matin, les trompes sonnaient le réveil et à l'instant chasseurs et piqueurs, gardes et braconniers se mettaient en route avec leurs chiens pour assister à la messe solennelle, qui se célébrait aux flambeaux. Les trompettes sonnaient lors de la consécration et de la bénédiction que le prêtre donnait après la messe, à la porte de l'église, aux seigneurs, châtelains en grand costume, aux dames en toilette de Diane chasseresse, aux piqueurs, à toute la haute et petite vénerie, jusqu'aux chiens. Puis, le plus jeune chasseur faisait la quête, à laquelle ordinairement un nid de grives, placé dans le pavillon de sa trompe, lui servait de plateau. » (72)

Le culte de notre Saint comme patron des chasseurs est donc bien établi et se justifie pleinement, ce qui n'em­pêche pas qu'au XIe siècle, on ait donné une raison nouvelle de ce culte. Lambert-le-Jeune, l'auteur du Deuxième livre des Miracles, nous assure que les veneurs offraient les prémices de leur chasse à saint Hubert « parce que ce Saint, avant de changer l'habit du siècle contre celui d'une vocation plus haute, avait été, lui­même, amateur de cet exercice. »

Ce témoignage, dira-t-on, est bien tardif pour avoir quelque valeur. Sans doute, et il est bien possible que le fait allégué ne soit qu'une pure conjecture de l'auteur. Remarquons toutefois que l'attestation est donnée à propos d'un événement attribué au Xe siècle, qu'elle cadre avec ce que nous savons du Saint concernant son habitude d'aller à la pêche, et que l'invocation des bienheureux s'inspire généralement de la profession qu'ils ont exercée sur la terre. Que saint Hubert ait été, oui ou non, chasseur avant d'entrer dans les ordres, il est certain que la légende s'est donnée ici libre carrière. L'absence de tout renseignement sur la jeunesse de l'évêque en rendait l'élaboration facile. Il est possible de suivre pas à pas le développement de cette légende, du XIe au XVIe siècle, et on peut dire qu'elle a grandi en marchant: crescit eundo.

A la fin du XIe siècle Lambert-le-Jeune parle de la conversion de saint Hubert, mais, comme tous les auteurs monastiques, il entend par là l'entrée, soit dans les ordres, soit dans l'état religieux. Cinquante ans plus tard, le Chanoine Nicolas, auteur du Vita III, fait venir le jeune Hubert, avec sa tante Ode, de l'Aquitaine à la cour de Pepin de Herstal. Il y entend parler de saint Lambert. va trouver celui-ci à Maestricht et, épris de sa doctrine et de ses vertus, il se convertit.

Jean d'Outremeuse, mort en 1400, accueille avec empressement les légendes dont on avait entouré le jeunesse du Saint, mais il ne sait rien au sujet d'une conversion merveilleuse, sinon il l'aurait certainement consigné dans son « Myreur des Histors », vrai réceptacle de toutes les historiettes qui avaient cours à cette époque.

Un grand danger pourtant guettait l'histoire véritable de notre Saint, c'est que la veille ou le jour même de sa fête (2 ou 3 nov.) on célébrait la mémoire d'un autre Saint, nommé Eustache, chasseur comme lui, et au sujet duquel il circulait de nombreux récits fabuleux. La confusion était facile, elle se produisit au XVe siècle,

L'auteur du Vita IV nous raconte que Hubert, comte du palais du roi Thierry, étant encore en Aquitaine se rendit à la chasse, un jour de fête, au moment où ses voisins allèrent à l'église. Et voilà qu'il vit un cerf portant entre les cornes le signe de la croix, et il entendit une voix l'invitant à se convertir. Le jeune homme répondit à l'appel, et, fuyant la malice d'Ebroïn, il se réfugia à la cour de Pepin. C'était l'histoire du martyr italien qu'on lui avait appliquée (73).

Le Vita V, également du XVe siècle, reprend la scène et la place au diocèse de Tongres. Elle n'a plus lieu un jour de fête, mais un vendredi, et un long dialogue s'établit entre le Christ en croix et le chasseur encore païen, mais qui se convertit aussitôt au point de renoncer à tout et de donner ses biens aux pauvres.

Avec les compilations d'Adolphe Happart, auteur des Vitae VI et VII, les données historiques disparaissent de plus en plus pour s'effacer derrière l'apport de la légende. Le comte Hubert, réfugié à la cour de Pepin, se distingue à la guerre, est chargé de l'administration de la France, et, ici, il est converti par la vision du cerf.

On comprend que le peuple ait voulu connaître l'endroit précis de l'apparition merveilleuse du cerf crucifère. A onze kilomètres nord-est de Saint-Hubert se trouve, au milieu de la forêt, un oratoire fondé, paraît-il, au XVIe siècle à l'emplacement d'un ancien couvent de moniales. Les pieuses habitantes du couvent, dit-on, sonnaient chaque nuit la cloche de leur chapelle pour l'orientation des voyageurs qui auraient pu s'égarer dans la forêt. Seuls les noms de lieux: Vivier des Béguines et ruisseaux du moulin des Béguines rappellent le souvenir de ce monastère depuis longtemps disparu. Il fut remplacé par une maison qui servait d'abri aux frères convers de l'abbaye travaillant dans la forêt, et que pour cette raison on appelait Converserie. Trompé par ce nom et par le passé plein de poésie de l'endroit, le peuple a placé là la scène si populaire de l'apparition du cerf.

D'autres localités ont eu la même prétention, notamment Uffelken, près de Tongres et Fays-les-Veneurs, au canton de Paliseul (74). A la Converserie il y a une chapelle dédiée à saint Hubert, et, dans le voisinage, à la Bonne Dame de sainte Ode, commune de Lavacherie,

M. Orban de Rossius a fait reconstruire vers 1870 un oratoire dédié à la tante de notre Saint. On y dit la messe une fois par an.

Tout cela prouve combien la grande figure du pontife était sympathique au peuple, car ces faits sont autant de fleurs poétiques qu'une piété naïve a fait éclore dans le parterre de la dévotion populaire. Ce n'est pas la légende du cerf qui a fait vénérer saint Hubert comme patron des chasseurs, mais c'est ce patronage reconnu alors depuis cinq cents ans, qui a fait germer la légende.

Un autre titre de gloire de saint Hubert est celui de guérisseur d'un mal terrible: la rage. Chose curieuse, ce titre peut se prévaloir d'attestations plus anciennes que celles qui nous ont servi à établir son patronage des chasseurs, car, nous voyons dans les deux ouvrages de Lambert-le-Jeune que la « taille » est en usage dès le XIe siècle et que des guérisons miraculeuses sont obtenues par ceux qui s'y soumettent.

Voici ce qu'il nous raconte au Deuxième livre des Miracles: « Un fermier du village de Luchy, près de Saint-Hubert, ayant été mordu par un loup enragé, et se sentant en danger de mort, eut recours à saint Hubert. Après qu'on lui eut introduit dans le front, selon la coutume, une parcelle de la sainte étole et qu'on lui eut dicté les prescriptions à observer, cet homme retourna chez lui et obtint une parfaite guérison.

Joseph de Marie, homme noble et puissant, ayant été mordu par un chien enragé, s'en vint au monastère, comme c'était la coutume. Après avoir été taillé et instruit des choses à observer, il revint chez lui complètement guéri. »

Au Cantatorium, le même auteur de la fin du XIe siècle écrit: « Adèle, comtesse d'Arlon... avait à son service un valet qui, ayant été mordu par un chien enragé, vint chercher auprès du bienheureux Hubert le seul remède qui lui restât. A cause de ses mérites devant Dieu, le Saint jouit, en effet, du privilège souvent éprouvé d'arracher à une mort certaine les personnes mordues par un chien, par un loup, ou par tout autre animal enragé, lorsque, accourant au lieu de sa sépulture, elles y sont taillées et elles se conforment aux prescriptions qui accompagnent la taille.

Pour preuve de la vérité de nos paroles - ajoute le chroniqueur - nous citerons un fait que nous avons vu nous-mêmes de notre temps. Deux jeunes gens d'un village de la Hesbaye, avaient été mordus par un chien enragé. Quelqu'un les détourna de venir implorer le secours de saint Hubert, en leur promettant de les guérir par différents médicaments et incantations. Trouvant ce moyen plus commode, ils restèrent chez eux, tandis que les autres personnes mordues par le même chien accouraient à Saint-Hubert. Celles-ci s'en retournèrent chez elles complètement guéries, tandis que ces infortunés jeunes gens ne tardèrent pas à éprouver des accès de délire et de fureur: ils hurlaient comme des loups, aboyaient comme des chiens. On les emmena enfin au monastère; mais, à peine arrivés, il moururent en inspirant une crainte pleine d'horreur à ceux qui les voyaient et les entendaient. » (75)

La taille, dont il est question ici, est une légère incision faite au front de la personne mordue, avec introduction d'un fil minime de l'étole du Saint et observance d'une neuvaine assez onéreuse. Comme la guérison du fermier de Luchy remonte à la fin du IXe ou au début du Xe siècle, on peut admettre que la pratique a été introduite quelque temps après la translation du corps, mais pas avant 850, car le Premier livre des Miracles n'y fait pas la moindre allusion. Elle a eu une grande vogue à toutes les époques, et les registres du pèlerinage de Saint­Hubert fournissent des milliers de noms de personnes taillées depuis 1653 jusqu'à nos jours.

Le Père De Smedt a donné, p. 874, un tableau indiquant le nombre de personnes opérées mensuellement à Saint-Hubert, de 1806 à 1868. Les mois marqués de 0 sont rares, plusieurs ont reçu plus de 100 visites, et, au mois de mai 18 11, plus de 330 personnes, mordues par des animaux enragés, sont allées demander à Saint­Hubert la préservation du mal qui les menaçait.

D'après l'opinion publique, la taille est toujours efficace lorsqu'on la reçoit dans les conditions voulues, mais des procès scientifiques, tels qu'on les a pour les guérisons de Lourdes, font défaut. Le Père De Smedt, qui a étudié la question à fond, conclut, p. 886, que « d'après les règles de la saine critique », la vérité historique de cette efficacité ne peut être ni niée, ni démontrée par des arguments certains, mais l'expérience constante, universelle et jamais démentie de tant de siècles et en tant de pays nous force à dire ici: « abscondisti haec a sapientibus et revelasti ea parvulis: Dieu, vous avez caché ces choses aux sages et Vous les avez révélés aux petits. » S. Math. XI, 25. Et le Père ajoute que s'il avait le malheur d'être mordu par un chien enragé, il ferait pieusement la neuvaine sans négliger toutefois de recourir aux remèdes naturels. Cela se fait couramment depuis la merveilleuse découverte de Pasteur (76).

Les personnes mordues par un animal enragé, se trouvant dans l'impossibilité de faire tout de suite le pèlerinage de Saint-Hubert, peuvent obtenir un ou plusieurs délais de quarante jours par la cérémonie qu'on appelle le Répit. Le Répit peut être donné par toutes les personnes qui ont subi l'opération de la taille, et par les prêtres chargés du pèlerinage. Pour le demander on se met à genoux devant la personne qui doit le donner en lui disant: « Je vous demande répit au nom de Dieu, de la bienheureuse Vierge Marie et du glorieux saint Hubert. »

L'efficacité de cette pratique, quelque merveilleuse qu'elle soit, peut se prévaloir d'une longue expérience, car elle fut constamment en usage au moins depuis Adolphe Happart, qui en parle en 1529, et on ne voit pas que la confiance des fidèles ait jamais été déçue.

D'aucuns prétendent que les « taillés » ont la faculté de commander aux animaux atteints de la rage et même que leur seule présence suffit pour faire mourir ceux-ci ou les réduire à l'impuissance. Cette assertion n'est pas établie et semble même être contredite par une des prescriptions de la neuvaine qui dit: Si la personne taillée était encore, dans la suite, mordue à sang par un animal enragé, elle devra faire la même abstinence, durant trois jours, sans qu'elle doive revenir à Saint-Hubert.

Quant à l'étole dont un fil très court est inséré au front du patient, c'est une des principales reliques de notre Saint. Le récit du fermier de Luchy démontre sa présence au trésor de l'abbaye depuis le IXe siècle, et, si plus tard la légende s'en est emparée en la faisant apporter du ciel, par la sainte Vierge en personne (Vita IV), cela prouve une fois de plus de quelle vénération elle était entourée.

« Elle était enfermée autrefois - dit le R. P. Regialot - dans un petit coffret en or, d'un travail admirable, qui a disparu. Il avait été donné en 1594, par Diane de Dammartin, marquise d'Autrech.

Lors de la Révolution, Dom Etienne Neumann emporta précieusement la sainte étole au moment de la dispersion des religieux. Il la déposa chez son frère, à Boevange, dans le Grand-Duché de Luxembourg, et la rapporta à Saint-Hubert après la tourmente. Il la confia à son confrère Dom Isidore Bauwens, devenu trésorier de l'église abbatiale, en 1809. Trois parcelles de la sainte étole, d'un centimètre carré chacune, étaient restées 1° à Weicherdange où Dom E. Neumann était alors curé; 2° dans la famille Neumann à Boevange; 3° à Munshausen, dont saint Hubert est le patron. Les deux premières ont été restituées à l'église de Saint-Hubert par les soins de Mgr Adames, premier évêque de Luxembourg. La parcelle de Munshausen s'y trouve encore avec une attestation autographe de Dom E. Neumann.

La sainte étole est formée d'un large galon de soie blanche, un peu ternie. Le dessin du tissu est très varié; de distance en distance, il s'y mêle un fil d'or qui apparaît davantage à certains endroits. Une extrémité de l'étole est garnie de franges formées par sept petits glands de soie et or: l'autre extrémité à perdu ses franges. La longueur totale de la sainte étole est d'environ un bon mètre et sa largeur de quarante-deux millimètres. Que cette étole soit très ancienne? Sa forme et les caractères de son tissu suffisent à le prouver, disent les archéologues les mieux avertis. On peut - disent-ils - faire remonter cet ornement liturgique jusqu'au VIIIe siècle, quoique, cependant, on rencontre encore des tissus de ce genre aux XIe et XIIe siècles, » (77)

Les anciens caractères du tissu, dont il est question ici, sont des méandres de forme variée et surtout le swastika ou croix gammée. Ce dernier signe (une croix à quatre branches égales terminées chacune par une haste) est très fréquent dans l'antiquité, au haut moyen-âge et encore maintenant en Asie. Les chrétiens l'ont emprunté aux païens et on n'est nullement étonné de trouver ce symbole sur l'étole de saint Hubert.



CHAPITRE XI.

MORT ET RELIQUES

Blessé à la main, à la pêche de Nivelle, saint Hubert en était resté souffrant au point de garder le lit sans pouvoir dormir « per tribus mensibus, dit le nageur, en son latin de cuisine, tabo (pour tabes) fluebat ex diqitis: pendant trois mois le pus coulait de ses doigts. Le Saint trouva sa consolation dans la prière, surtout dans la récitation du « Miserere », et, dans une vision nocturne, un ange (nuntius Dei) lui apparut et lui dit qu'il n'aurait plus qu'un an à vivre.

Guéri de sa blessure, il reprit ses fonctions épiscopales, renforçant encore son régime déjà si dur de pénitence, jusqu'au jour de la consécration de l'église d'Héverlé, où il sentit la première atteinte de la maladie qui devait l'emporter après six jours. Nous avons vu, au chapitre I, les incidents du voyage à Tervueren. Si, arrivant tard dans la nuit, le pontife s'est rendu d'abord à l'oratoire de sa villa, c'était sans doute pour y réciter complies, la prière du soir d'alors. Se sentant affaiblir de plus en plus, il se fit conduire à la couche sur laquelle il devait souffrir cinq jours encore, dans l'insomnie et la fièvre, cherchant de nouveau l'adoucissement de ses souffrances dans la récitation incessante du psautier.

Son cher fils Floribert et le nageur étaient à ses côtés, l'entourant de leurs soins attentifs, et, comme ce dernier nous a laissé, sur la marche de la maladie, des indications rares sans doute, mais néanmoins précieuses, notre ami, M, le Docteur Ferdinand Bidlot, a bien voulu les analyser et en tirer des conclusions sur la nature du mal qui a emporté le grand pontife.

Voici les termes du rapport que M. le Docteur a bien voulu nous communiquer:

« Si la date exacte de la naissance de saint Hubert ne nous est pas connue, il n'en est pas de même de celle de sa mort qui doit être fixée au vendredi 30 mai 727. Son plus ancien biographe « le nageur » comme l'appelle M, le Chanoine Coenen, ne nous renseigne pas sur l'état de santé habituel du Saint. Il nous raconte seulement qu'un, an environ avant sa mort, il eut plusieurs doigts écrasés par la maladresse d'un ouvrier qu'il aidait à enfoncer un pieu dans la rivière. Cet accident le retint trois mois au lit. Toutefois ses nombreux déplacements à travers la Campine, le Brabant, les Ardennes, l'activité qu'il déploya jusqu'à la fin, l'âge relativement avancé auquel il est mort (entre 6o et 70 ans), font supposer qu'il devait être d'une constitution robuste.

Sa mort fut la terminaison d'une affection aiguë fébrile qui l'emporta en six jours, et qui, toutes réserves cependant faites, vu l'insuffisance de la description clinique de la maladie, semble avoir été une pneumonie.

Le dimanche 25 mai 727, nous dit le « nageur », saint Hubert fait, dans l'église d'Héverlé, un sermon qui ne dure pas moins de trois heures, puis il procède à la consécration de l'Eglíse. Vers midi; il se sent fatigué et il prend peu de nourriture. Il fait ensuite un trajet d'environ deux milles en barque. Quand il sort de celle-ci, il est en proie à une soif ardente, son corps est brûlant, il demande à prendre un peu de repos (78). Une dispute qui a éclaté entre ses serviteurs le réveille: il intervient pour établir la paix. Il monte alors péniblement à cheval, soutenu par ses suivants.

Arrivé à Tervueren vers minuit, il se rend d'abord à l'oratoire attenant à sa demeure. Mais il se sent très malade, la fièvre a augmenté, et il s'empresse de gagner son lit qu'il ne quittera plus jusqu'à sa mort (79). Jour et nuit, il prie et chante des hymnes sacrés, il ne peut trouver le sommeil (délire fébrile?). Le mal s'aggrave de jour en jour, et le Saint expire le vendredi, de plus en plus pénétré de confiance en la miséricorde de Dieu. Il mourut, ajoute son biographe, en récitant le Credo et le Pater.

Voilà donc une maladie qui se caractérise, par une fièvre intense et continue, à début brusque, accompagnée de perte d'appétit, de soif intense, de délire, d'affaiblissement progressif et qui, le sixième jour, se termine par la mort.

Sans doute, dans le texte, il n'est question ni de point de côté, ni d'expectoration, deux symptômes habituels de la pneumonie chez l'adulte, mais outre que le récit de la maladie du Saint nous est fait par un profane (80), il est à noter que chez les gens âgés, les signes généraux de la pneumonie sont assez souvent peu marqués, et que le point de côté, notamment, peut passer inaperçu. »

Après la lecture de l'évangile sur le mort, on le revêt d'autres habits, et on lazarise ses membres sacrés (lazarisant membra sacra), c'est-à-dire qu'on les entoure de bandelettes et des linceuls comme on avait fait pour Lazare. Le corps est déposé ensuite dans un cercueil couvert. Si ce détail de la bière fermée est signalé, c'est qu'il était contraire à l'usage d'alors, mais le long transfert de Tervueren à Liège imposait cette mesure.

Le Saint fut enterré à Saint-Pierre, probablement dans la crypte, en tout cas près de l'autel Saint-Aubain comme il en avait exprimé le désir. Cette fois-ci, il n'est plus question de cercueil de bois; le corps, revêtu de l'aube et de la chasuble, fut déposé directement dans l'auge de granit que fermait un couvercle de pierre: un de ces sarcophages mérovingiens comme on en a trouvé plusieurs lors des fouilles de la place Saint-Lambert.

Seize ans plus tard, le 3 nov. .713, saint Hubert fut levé de terre et déposé dans un autre tombeau, devant le maître-autel de la même église « ante cornu altaris », dit le nageur qui était présent. Il fut retrouvé intact et sans corruption; la foule vint baiser ses mains et ses pieds, et on vit la tête entièrement rasée, sauf une couronne de longs cheveux. L'auteur décrit ainsi la tonsure irlandaise qui s'étendait sur tout le sommet de la tête. Les traits étaient si bien conservés, ajoute-t-il, qu'il ressemblait plutôt à un jeune homme qu'à un vieillard (p, 805)..

Dans le récit très détaillé de cette élévation, on constate une omission bien suprenante, celle du nom de l'évêque qui l'a dirigée ou au moins commandée. Les historiens postérieurs l'attribuent tous à saint Floribert, le « cher fils » de notre Saint, mais au fond ils n'en savent rien, car on ne saurait dire en quelle année Floribert a été remplacé par Fulcaire. De nombreuses personnes sont nommées par le nageur pour avoir pris part au rite de l'élévation, notamment les gardiens de la basilique, des hommes craignant Dieu, des prêtres, des lévites et surtout le prince du pays. Carloman. L'évêque seul est oublié. M. Demarteau en conjecture qu'on peut bien avoir eu, en ce moment, une vacance du siège entre l'épiscopat de saint Floribert et celui de Fulcaire (81).

Lorsque, en 825, les restes de saint Hubert furent retirés du tombeau pour être transférés à Andage, on les trouva toujours entiers et dans un état de parfaite conservation. Il est vrai que, cette fois, le biographe, Jonas d'Orléans, restant loin des lieux, a moins d'autorité que le nageur, mais il insiste longuement sur le point qui nous occupe et invoque, à son sujet, le témoignage de « Walcaud et d'autres personnes religieuses » Arrivant au couvent ardennais, le 30 septembre, les restes furent déposés de nouveau dans un tombeau du choeur. C'est à ce tombeau que nous avons vu accourir le peuple de l'Ardenne, dès le IXe siècle; c'est autour de ce tombeau qu'une ville s'est formée, comme Liège s'était formée autour de la tombe de saint Lambert.

Le saint corps y resta sans doute jusqu'au XIIe siècle, car on le trouve plus tard exposé dans une châsse sur l'autel Sainte-Croix, et nous savons que ce fut surtout le XIIe siècle qui a produit chez nous ces admirables fiertes, dont le métal précieux fut rehaussé avec infiniment d'art par de l'émail champlevé ou cloisonné.

En 1525, le feu fut mis au bourg de Saint-Hubert par un étranger inconnu. Les maisons du marché, une partie des cloîtres et la tour de l'abbatiale brûlèrent, et ce fut à la suite de cet incendie que l'on commença la construction de l'église actuelle, caractérisée par ses assises de pierres de couleurs variées, les unes rosées venant de Namur, les autres blanches tirées des carrières de Maestricht.

De plus grands malheurs devaient s'abattre sur le monastère, en l'an des merveilles 1568. « Au mois d'octobre de cette année, le prince de Condé envoyait au secours des révoltés des Pays-Bas, cinq mille fantassins et deux mille cavaliers gascons, sous la conduite des sieurs de Genlis et de Renty. Ils logèrent à l'abbaye d'Orval. L'abbé, Dominique Robin, de Stenay, ayant appris qu'ils se proposaient d'aller droit à Saint-Hubert et d'y passer tous les moines au fil de l'épée, fit prévenir l'abbé Jean de Lamock. Il était environ minuit quand le messager arriva. Les religieux étaient au choeur pour chanter les matines. L'office terminé, l'abbé fit part de la triste nouvelle aux moines réunis dans la salle capitulaire. Puis, avec leur aide, il fit mettre en lieu sûr le corps de saint Hubert (gardé dans une magnifique châsse à l'autel de la Sainte-Croix) ainsi que les autres reliques de l'abbaye. Après quoi tous s'enfuirent au château de Mirwart.

Ils y étaient à peine en sûreté que les Huguenots arrivèrent à Saint-Hubert, brûlèrent le bourg, l'hôpital et le monastère. Ils voulurent raser l'église abbatiale. A cet effet, ils entourèrent les colonnes de bois et de matières inflammables et y mirent le feu partout en même temps. Mais les colonnes très solidement bâties résistèrent, et les flammes ne firent que les lécher sans les endommager. Le toit de l'église et la plus haute tour furent consumés par l'incendie; les cloches qui s'y trouvaient entrèrent en fusion. C'était le 15 octobre 1568 » (82), année rappelée par le chronogramme qu'on lit, entre des traces de balles et de coups d'épée, sur le retable émaillé de saint Laurent: ConCULCaVerUnt sanCtlflCatloneM.

L'année suivante les moines revinrent dans les ruines de leur cher monastère. C'était la misère. Pour pourvoir aux nécessités les plus pressantes, ils prirent alors une décision bien regrettable: ils vendirent les métaux précieux de la châsse de saint Hubert, et placèrent le corps dans une boîte de... plomb Le peuple ne devait plus le revoir.

Que sont devenues les reliques? En 1870, l'abbé Hallet, Aumônier du Pénitencier, a envoyé une étude consciencieuse, sur cette question, au Père Jésuite Terwecoren, qui l'a publiée dans les « Précis Historiques » de la même année. Voici en quels termes il résume lui-même son travail: « 1° le corps de saint Hubert n'a pas disparu durant l'invasion des Normands; 2° il existait dans l'abbaye au commencement du XVIe siècle; 3° il ne fut pas brûlé dans l'incendie de l'année 1525, qui dévora une partie de l'ancienne église; 4° dans la nouvelle église, la châsse contenant ce corps, ainsi que celles dans lesquelles se conservaient les reliques de plusieurs autres saints, était placée à l'autel de la Sainte-Croix, à l'entrée du choeur; 5° durant la nuit du 14 au 15 octobre 1568, l'abbé de Saint-Hubert, Jean Lamock, averti par un envoyé de l'abbé d'Orval de l'approche des Huguenots, fit mettre toutes ces châsses dans un lieu secret, où elles étaient à l'abri du feu; 6° ce lieu secret fut une excavation pratiquée dans un mur qui existe encore, et qu'on a récemment découvert, sous la grande fenêtre de la façade principale de l'église; 7° l'incendie qu'allumèrent les Huguenots n'entama pas cette cachette; 8° en 1616, on découvrit cette cachette par hasard, on en retira le corps de saint Hubert, de saint Bérégise et des trois vierges martyres, et on plaça le corps de saint Hubert dans une nouvelle cachette, qui n'a pas encore été trouvée jusqu'ici. » (83)

Ces différentes thèses de M. l'Aumônier Hallet ont paru bien établies au R. P. De Smedt, qui, pour confirmer l'une d'elles, apporte un document important que M. l'abbé a ignoré. Une bulle de Léon X avait affirmé solennellement l'intégrité du corps de saint Hubert, en 1515. Restait à savoir si ce corps n'avait pas été brûlé en 1525 OU en 1568. Aux documents déjà imposants invoqués par l'abbé Hallet pour le nier, le Père Bollandiste ajoute une bulle d'Urbain VIII donnée en 1626, c'est-à­dire douze ans après la découverte de la cachette. Il n'y est plus question de l'intégrité du corps, mais le Pape défend, sous les peines les plus graves, à l'abbaye de distribuer des reliques du Saint, et à d'autres d'en recevoir.

Comme les reliques n'ont pas quitté l'abbaye depuis cette époque, elles doivent s'y trouver encore cachées dans quelque souterrain resté introuvable. Cela est confirmé par les curieux renseignements qu'un major des cuirassiers, M. Geoffroy, a publiés, le 25 février 1846, dans l'Observateur du Luxembourg. Aussi ne cesse-t-on de prier et de chercher pour retrouver les reliques du grand Apôtre des Ardennes.

On peut se demander pourquoi les moines du XVIIe et du XVIIIe siècle n'ont pas montré les reliques au peuple comme on le faisait au moyen-âge. Le Père Roberti nous dit, en 1621, que l'impiété sacrilège des hérétiques en était cause. Cette explication est certainement suffisante pour le XVIe siècle et pour la première moitié du XVIIe, car alors encore les protestants hollandais, que le traité de la Barrière autorisait à tenir garnison au sud de la Belgique, menaçaient constamment le monastère ardennais et parfois l'envahissaient. Dans la suite, les dissentiments entre les religieux de Saint-Hubert, concernant la réforme que certains abbés plus pieux voulaient introduire, ont porté ceux-ci à ne pas exhiber les reliques jusqu'au jour où on oublia la cachette. L'état du corps peut y avoir contribué, les moines n'aimant pas de montrer que leur Saint n'était plus intact et bien conservé comme on l'avait trouvé en 743 et en 825. Car il est certain que dès le XVe siècle on trouvait des reliques de saint Hubert dans grand nombre d'églises, notamment à Saint-Pierre, à Saint-Lambert, à Sainte-Croix et aux Augustins à Liège, chez les mêmes religieux et à Notre-Dame à Maestricht, à Alem en Hollande, à Tervueren, à Herne-Saint­Hubert et dans bien d'autres sanctuaires belges, allemands et français.

Il faut en conclure que les reliques de saint Hubert n'étaient plus dans leur intégrité des premiers siècles, ce que les moines ardennais auraient bien fait d'avouer franchement. A prétendre qu'ils possédaient tout, ils ont tout perdu peut-être de bonne heure, car le fait souvent répété que, jusqu'à la Révolution française, la cachette était constamment connue de deux moines, ne nous semble nullement établi. Retenons de tout ceci que le corps de notre Saint repose toujours à Saint-Hubert et espérons qu'on le retrouve un jour (84).

D'autres reliques nous sont restées du Saint, notamment l'étole, dont nous avons parlé au chapitre précédents et la clef. Un mot de celle-ci.

L'église Sainte-Croix a hérité de sa voisine, Saint­Pierre, avec le culte de saint Hubert, un objet bien intéressant provenant du fondateur de Liège. C'est une grande clef en bronze très artistement travaillée. La poignée en métal, grosse comme un oeuf d'oie, est seule originale et porte, outre l'image du Christ et de saint Pierre, des ornements d'origine orientale: la croix grecque (aux quatre branches d'égale longueur), la croix de saint André et des animaux affrontés séparés par le horn ou l'arbre de vie d'inspiration persane (85).

Le Vita IV, écrit au XVe siècle, nous dit à son sujet: « Le Bienheureux Hubert fut consacré évêque par le pape Sergius. Et pendant la messe qu'il célébra, à cette occasion, l'Apôtre saint Pierre lui apparut et lui donna une clef faite comme avec de l'or (quasi auream) qu'il devait porter en signe de son pouvoir de lier et de délier et de rendre la santé aux épileptiques et aux fous furieux. Cette clef est conservée jusqu'à nos jours en l'église Saint-Pierre à Liège. »

Ce récit est tardif et renferme des éléments légendaires, mais il doit reposer sur un fond historique. En effet, l'objet est bien de l'art romain décadent du VIIIe siècle, mêlé d'influences orientales. D'autre part on sait que les papes, depuis saint Grégoire le Grand (vers 6oo), envoyaient de ces sortes de clefs aux personnes notables qu'ils voulaient honorer, comme ils envoient maintenant les Roses de la Reine, « Ceux qui les recevaient, dit Baronius, les portaient au cou. » (86) Or, la clef de Sainte­Croix a des anneaux de suspension aux deux bouts du pommeau. En la remuant on entend résonner les fragments de la chaîne de saint Pierre, qui y furent renfermés. L'habitude de distribuer ces clefs était en pleine vogue à l'époque de saint Hubert; Charles-Martel en reçut une en 741 et Charlemagne en 796 (87). Nous pouvons donc croire que nous avons ici une bien précieuse relique de notre sympathique Saint, et cela nous prouve une fois de plus que les papes du VIIIe siècle ont jugé, eux aussi, le vieil évêque de Tongres plein d'attachement au saint siège.

On appelle aussi clefs de saint Hubert des cachets en fer que l'on rougit au feu et qu'on imprime sur le front des animaux à préserver de la rage. Le cachet en forme de cor est soudé au bout d'une tige de fer dont l'autre bout est engagé dans une poignée de bois.

Cet objet rituel, bénit à Saint-Hubert, a-t-il quelque rapport avec la clef conservée à Sainte-Croix? Nous ne le croyons pas. C'est un sceau qu'on a appelé clef parce qu'anciennement les clefs, aussi bien que les bagues, servaient à sceller les pièces. L'usage des clefs de saint Hubert, encore très répandu à la campagne, n'est nullement superstitieuse, et prouve une fois de plus à quel point le fondateur de Liège a su gagner la confiance de nos ancêtres. Ne dégénérons pas.

« N'est-ce pas une figure attrayante, dit Jos. Demarteau (88), que celle de ce pontife civilisateur, figure fière et tendre, forte et pieuse à la fois, et ne méritait-elle pas d'être connue, non telle que l'ont transformée les légendes tard venues, mais telle que les contemporains l'ont contemplée, aimée, et nous l'ont fait connaître?

Il est, enfin, un honneur qu'on n'enlèvera pas à saint Hubert, qu'on lui rendra de plus en plus celui d'avoir été, par ses constructions d'églises, par le transfert des restes de son prédécesseur et du siège épiscopal de Maestricht à Leodium, par l'organisation et les développements donnés de sa main à l'obscure villa des bords de la Légie - le véritable fondateur de la VILLE de Liège.

Que les croyants persistent à l'invoquer avec confiance contre les suites d'un mal affreux; que les chasseurs continuent à saluer en lui un patron qu'ils entouraient d'un culte spécial cinq siècles avant qu'on imaginât d'attribuer sa prétendue conversion à l'apparition d'un cerf crucifère. Ce n'est pas en grand veneur, flanqué de cet animal, qu'il nous sied, à nous Liégeois, de nous représenter Hubert; c'est en pontife, en législateurs dont la main devrait porter, comme symbole caractéristique, non plus la trompe des chasses profanes mais le vieux perron de la Cité, le perron appuyé sur les lionceaux de la force et couronné de la croix qui fut, dans cette main d'apôtre, l'arme victorieuse de la civilisation. »


(1) L'auteur du Cantatorium écrit, vers 1100, que, seize ans après sa mort, le corps de saint Hubert fut transféré de l'église Saint-Pierre à celle de Saint-Lambert. « Ce témoignage, dit M. Karl Hanquet, est absolument isolé et insoutenable, en présence des témoignages plus autorisés et concordants du Vita prima sancti Huberti et du Translatio de Jonas d'Orléans, Cf. Karl HANQUET: La chronique de Saint-Hubert, dite Cantatorium, Bruxelles, 1906, p. 6, note 3.

(2) A A. S S. des Bollandistes, t. IV de juillet.

(3) Les complies ne faisaient pas encore partie de l'office, elles constituaient la prière du soir. « Canuntur complotorio ubi dormiunt in dormitorio » dit dans son latin d'illettré l'anonyme de Gerbert au VIIIe siècle. Complies étaient un exercice purement conventuel et nullement basilical. C'était la prière du coucher des moines, dit P. Batifol: Histoire du Bréviaire Romain, Paris, 1895, p. 88. Faut-il en conclure que saint Hubert et ses lévites vivaient comme dans un couvent? Il semble que oui.

(4) God. KURTH: Les premiers siècles de l'abbaye die Saint­Hubert, dans Bulletin de la Commission Royale d'Histoire, t. VIII (1898), p. 35.

(5) Ibidem, p. 47.

(6) K. HANQUET: Etude critique sur la Chronique, Bruxelles, 1900, p. 98.

(7) L'Abbé J. COENEN: La Chapelle Saint-Lambert à Herstal: Bull, des Comm. royales d'Arch.,, LXIIIe année (1924).

(8) Mgr NAMÈCHE: Cours d'Histoire nationale, Louvain 1860, t. I, p. 124.

(9) God. KURTH: Notger I, p. 49.

(10) La date du martyre de saint Lambert: Bull, de la Société d'Art et d'Histoire du diocèse de Liège, t. X, p. 315.

(11) Quoique ce vita ait peu de valeur, le voyage et la mort de saint Théodard restent établis. Cf. VAN DER ESSEN, p. 140, et E. BACHA: Etude critique sur une source d'Anselme: les Acta Sancti Theodardi dans Mélanges, Camille de Borman, Liége, 1919, p 27.

(12) G,, KURTH: Un témoignage du IXe siècle sur la mort de saint Lambert, dans Bull, de la Comm. royale d'histoire, 5me série, t III, p. 414.

(13) Conférences de la Société d'Art et d'Histoire du diocèse de Liège, 4 série, p. 66.

(14) Bull. de l'institut Arch. Liégeois, t. XVI, p. 112.

(15) J. DEMARTAU: Vie de saint Lambert, 1896, p. 40.

(16) J. DEMARTEAU: Saint Théodard et saint Lambert, vies anciennes, publiées par les Bibliophiles liégeois, 1890.

(17) J. DEMARTEAU: Saint Théodard et saint Lambert, Liège, 1890, p. 131.

(18) Cité par J. DaMARTEAU: Saint Hubert, sa légende, son histoire p., 38. Cité par De SMEDT: Op. cit., p. 565.

(19) Dans une communication faite à la Société d'Art et d'Histoire, M. Karl. HANQUET a prouvé que le même bénédictin Renier est l'auteur des deux écrits. Cf. Leodium, XVI (1923), p. 94.

(20) Joh. ROBERTI, Historia Sti Huberti, Luxembourg, 1621, p. 160.

(21) H. VAN DE WEERD: De H. Willibrordus onder de Vlamingen: Dietsche Warande en Belfort, XXII (1821), passim.

(22) J. COENEN: De drie Munsters der Maasgouw, Aldeneyck, bl. 21 (tiré à part des Publications de la Société du Limbourg, 1922).

(23) Bull. de la Commission Royale d'Histoire, série IV, t. III (1876), p. 368.

(24) Voir la description des hauts-reliefs dans Chanoine THIMISTER: Histoire de l'église collégiale de Saint-Paul, Liège, 1890, p. 513.

(25) Jean PAQUAY: Les origines chrétiennes au diocèse de Tongres, 1909, p. 40, et J. CEYSSENS: Etude historique sur l'origine des paroisses: Bulletin de la Société d'Art et d'Histoire, t. XIV (1903), p. 161.

(26) G. KURTH: Notger, t. I, p. 18.

(27) H. VAN DE WEERD: L'organisation paroissiale dans la Campine belge et hollandaise: Leodium, XIX (1926), p. 46 et De H. Willibrordus onder de Vlamingen: Dietsche Warande en Belfort, XXI, p, 414. Du même: Het Landdekenaat Eyck dans: Limburg, VIII (1927), p. 209.

(28) L'abbé GUILLAUME: L'archidiaconé d'Ardenne dans l'ancien diocèse de Liège: Bulletin de la Société d'Art et d'Histoire, t. XX (1913), p 21-662.

(29) Jos. DEMARTEAU: Saint Hubert, sa légende, son histoire, Liège, 1877, p. 28.

(30) L'abbé J. COENEN: La Topographie de nos Monastères romans: Leodium, t. XIV (1921), p. 26.

(31) Le Chanoine SIMENON: Le Pontife jubilaire, dans La Vie liturgique, chez Dessain, à Liège, t. IX (1927), p. 3.

(32) J. DEMARTEAU: La première église de Liège, l'abbaye de Notre-Dame: Bulletin de la Sté d'Art et d'Histoire, t. VII (1892), p. 1 à 108 et Leon LAHAYE: Les paroisses de Liège: Bulletin de l'Institut Arch. Liégeois, t. XLVI (1921), p. 1 à 208.

(33) J. DEMARTEAU: Op. cit., p. 28 et Th. G0BERT: Emplacement de l'ancienne cathédrale: un plan peu connu: Bulletin de l'institut Arch. Liégeois, t. XXXVI (1906), p. 131.

(34) God. KURTH: Notger, t. II, p. 29.

(35) Ibidem, p. 30.

(36) Dans sa récente publication: Liege à travers les Ages, t. III, p. 455, M. GOBERT donne une description détaillée de l'ancienne place Saint-Lambert, avec un plan de l'église dresse par l'Ingénieur Lohest. La cathédrale avait deux transepts, l'un à l'orient, devant le grand choeur, l'autre à l'occident, contigu aux deux tours. Le Cercle militaire occupe exactement la croisée du transept oriental, tandis que l’hypocauste romain, découvert en 1906, occupait le croisillon nord du transept occidental. La crypte, dans laquelle des milliers de pèlerins sont venus vénérer les restes de saint Lambert, à l'endroit de son immolation, se trouvait donc entre l'aubette et hypocauste, à vingt-cinq mètres du point de contact de l'Union Coopérative et de la maison de Marneffe.

Au XIVe siècle, la fierté de saint Lambert fut transférée au choeur oriental, sur le jubé qui en formait l'entrée (GOBERT, p. 465). Les maisons de commerce construites entre l'ancien Cercle militaire et la place du Marché occupent l'emplacement de l'ancien chœur.

(37) L'abbé KEMPENEERS: De l'orientation symbolique des églises chrétiennes: Annales de l'Académie d'Archéologie de Belgique, Anvers, t. XXV (1869), p. 559 à 667.

(38) G. KURTH: Notger, t. II, p. 32.

(39) M. Th. GOBERT: Rues de Liege, t. III (1895), p. 162, pense qu'une dernière reconstruction a eu lieu au XIIIe siècle, mais nous croyons qu'on a simplement remanié l'ornementation à l'époque gothique, peut-être lors de la construction du clocher de 1263 (un des plus beaux de Liège) qui fut élevé entre les maçonneries non achevées des deux tours occidentales. La ville en possède un dessin d à la plume d'Englebert Fisen.

(40) Manuscrit Delvaulx à l'Université de Liège, t. I, 724.

(41) GOBERT: Rues de Liège, 1re édition, t. III, p. 167.

(42) Saint Théodard et saint Lambert, vies anciennes, édition Demarteau, p. 169.

(43) M. GOBERT: Rues de Liège, t. IV, p. 214.

(44) M. GOBERT: Rues de Liège, t. III, p. 172 et 488 et t. IV, p. 214.

(45) J. DEMARTEAU: Saint Hubert, sa légende, son histoire, p. 48.

(46) Cf. Saint-Hubert-en-Ardenne: Manuel du pèlerin (par Dom REGIALOT de Maredsous), Gembloux, 1926.

(47) Edm. VAN WINTERSHOVEN: L'inscription dédicatoire de l'Eglise d'Emael: Bulletin de la Sté d'Art et d'Histoire, t. XIII (1902), p. 127-141.

(48) La 1re inscription latine, p. 129:

BASILICAM SACER HANC HUGBERTUS EPISCOPUS OLIM

SERVITIO DOMINI POPULO SPECTANTE SACRAVIT

QUIPPE DECEMBRIS ERANT IN PRIMO SOLE KALENDAE

ANNORUM DOMINI DCC GENTI AC IIe DENI.

lire: SEPTINGENTI AC DUODENI.

(49) DARIS: Histoire, t. I, p. 716. Le cortège de Maestricht à Liège s'est fait en trois étapes, avec un arrêt à Nivelle pour se restaurer: « Refociliata plebs (pour plebe) in loco qui vocatur Niviala contingit ibi advenire pauperem coecum » un deuxième à Herstal pour prêcher: « ad augendam fidem in populo ».

(50) Cf. J. COENEN: La chapelle Saint-Lambert à Herstal: Bulletin des Commissions royales d'Art et d'Archéologie, LXIII (1924).

(51) L'auteur avait écrit dans un premier ouvrage: La Geste de Liège: « si ont choisi 1 tiertre qui fut nommé patrache. »

(52) Ad. BORGNET: Chroniques de Jean d'Outremeuse, Bruxelles, 1896, t. II, p. 309.

(53) Ce chapitre reproduit, un peu modifié, l'article paru dans a Vie liturgique. Dessain, t. IV (1927), p. 6. Tous les chapitres ont paru en avril et mai dans le supplément littéraire de la Gazette de Liège.

(54) Mgr DUCHESNE: Origines du culte chrétien. Paris, 1903, p. 288.

(55) C. BISHOP Le génie du rite romain, annoté par dom Wilmart. Paris, 1920, p. 54.

(56) Mgr BATIFOL: Leçons sur la messe. Paris, 1919, p. 226.

(57) Mgr DUCHESNE: Origines du culte chrétien, p. 285.

(58) ALBERDINGK-THIJM: H. Willibrordus Apostel der Nederlanden, Bruxelles, 1861, p. 276.

(59) Mgr BATIFOL: Leçons sur la messe, p. 155.

(60) Cf. Karl HANQUET: Les premiers antependiums au pays de Liège: Bull, de la Sté d'Art et d'Histoire, t. X, p. 43.

(61) Mgr BATIFOL: Leçons sur la Messe, p. 97.

(62) Dom CABROL: Dict. d'arch., Verbo Eulogie.

(63) Le Chanoine DEMARET: La Croix de l'évêque Théoduin: Leodium, X (1911), p. 109.

(64) Saint Amand abandonna son siège, de Maestricht, à cause de l'hostilité du clergé indigène, et saint Trudon dut aller chercher à Metz l'éducation sacerdotale, qu'il ne pouvait trouver dans son pays.

(65) Mgr BATIFOL. Histoire du bréviaire romain, p. 79 et 135.

(66) Bulletin de la Sté d'Art et d'Histire, t. VII (1892), p. 23.

(67) Jos. HALKIN: Les statuts de la Collégiale Saint-Pierre: Bulletin de l'Institut Arch. Liégeois, t. XXIV (1894), p. 487.

(68) L'église de Vlijtingen a saint Aubain comme patron. M. le Chanoine Simenon y trouve une raison suffisante pour en attribuer la fondation à l'apostolat de saint Willibrord. Cf. Willem SIMENON: Geschiedenis der voormalige Heerlijkheid Vlijtingen, Maestricht, 1901, Cl. 25.

(69) Sur l'oeuvre de Chrodegang, le Dictionnaire d'Archéologie Chrétienne a une belle étude de dom Leclercq, verbo Chanoine, col. 240. On y voit que la regula canonicorum, élaborée au concile d’Aix-la-Chapelle, en 816, n'a été que le développement d'une règle primitive destinée au clergé de l'église cathédrale de Metz et à celui d'une autre église de la même ville.

(70) Mgr BATIFOL: Histoire du Bréviaire romain. Paris, 1893, p 59.

(71) God. KURTH: Les premiers siècles de l'abbaye de Saint­Hubert: Bulletins de la Commission royale d'Histoire, série V, t. VIII (1898), p. 51 et 79.

(72) (Dom REGIALOT):Op. Cit., p. 93. Le même roi, Léopold I, a fait ériger, au croisillon nord de l'église Saint-Hubert, le tombeau du Saint. La riche décoration sculpturale du monument est due au ciseau de G. Neefs, qui l'a exécutée dans le style de l'église en 1847.

(73) Voir la Vie de saint Eustache: Acta Sanctorum,, tome IV, sept., p. 124-125. On doit l'identification des deux récits à J. DEMARTEAU: Bull. de l'Inst. Arch. Liégeois, t. XVI (1881), p. 91.

(74) Cf. Père DE SMEDT: op. cit., p. 833 et G. KURTH: op. Cit., p 82.

(75) Cf. P. DE SMETD, p. 825 et Karl HANQUET: Chronique ou Cantatorium, p. 50.

(76) Dans sa lettre pastorale, n° 88, du carême de cette année, Sa Grandeur Mgr Rutten, exhortant les fidèles à la célébration du XIIe centenaire de saint Hubert, rappelle, lui aussi, la haute antiquité et l'efficacité de l'opération de la Taille.

(77) (Dom REGIALOT): Op. cit., p. 61.

(78) In siti valida frigus corpus ejus urebat, et petiit paulatim quiescere.

(79) Exinde festinus in domum pervenit valde gravatus, lectula recubans a prima feria usque ad sextam, amplius febrizans.

(80) Saint Hubert reçut-il des soins médicaux? Son biographe n'en dit rien. Au surplus, on sortait à peine de l'invasion des barbares; si des médecins existaient à cette époque dans nos contrées, il devaient être en bien petit nombre...

(81) Bull, de l'lnst. Arch. Liégeois, t. XVI (1881) p. 143.

(82) (Dom REGIALOT: Op. cit., p. 34.

(83) L'abbé HALLET: Le corps de saint Hubert conserve jusqu'à nos jours: Documents et preuves (tiré à part), 1871, p. 15.

(84) La question des reliques est bien exposée dans les nombreuses pages que le R. P. De Smedt consacre à la gloire posthume du Saint.

(85) J. COENEN: Les Monuments de Liège, 1923, p. 3.

(86) Ch. DE SMED; p. 870.

(87) Monsieur le Comte Joseph de Borchgrave d'Altenas nous écrit concernant la clef de saint Hubert: « L'opinion de M. Joseph Destrée, conservateur honoraire aux Musées du Cinquantenaire, exprimée dans le catalogue d'art ancien de 1905, peut se défendre aujourd'hui encore et je continue à tenir l'objet comme latin du VIIIe siècle. En tenant note de son style, je constate que cette oeuvre d'art porte en elle des marques de l'Orient et de l'Occident. Ce mélange convient fort bien à la conception que l'on se fait de l'art latin au temps de Jean VII (705, année d'élection de saint Hubert, à 707), au moment où la tradition romaine cède le pas au style byzantin. La sécheresse, l'hiératisme, la symétrie et la solennité s'implantent dans un milieu jusque là encore tout imprégné de souvenirs classiques. Ce mélange de tendance, je crois le retrouver dans l'ornementation de la poignée de notre fameuse clef, ce qui me permet d'affirmer que rien ne s'oppose, archéologiquement parlant, à lui assigner l'origine et la date précitées.

(88) Bull. de l'Inst. Arch, Liégeois, XVI, 1881, p. 159.

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