0n n'a point l'intention de refaire ici l'étude publiée dans le tome XVI du Bulletin de l'Institut archéologique liégeois par l'auteur de ces lignes. Il suffira de rappeler que, depuis une quinzaine d'années, on a retrouvé deux copies de la biographie de saint Hubert, écrite par un contemporain, clerc de sa suite et témoin de sa vie. La rédaction en est calquée, il est vrai, sur une vie antérieure de saint Arnould, mais on peut en contrôler les dires à la lumière des autres monuments historiques de la même époque. D'après ce document, il semble d'abord qu'Hubert, au lieu d'être originaire de l'Aquitaine, est plus vraisemblablement un enfant de notre pays; il est certain ensuite que la légende de sa prétendue conversion, par l'apparition d'un cerf crucifère, repose sur une confusion tardive établie entre lui et le saint martyr Eustache.
Pour le reste, ou peut admettre qu'il a été marié avant d'entrer dans les ordres sacrés et qu'il eut un fils du nom de Floribert, - tant qu'il n'est pas démontré que ce Floribert ne fut que son filleul. - Rien ne prouve d'une façon absolue, mais rien n'empêche de croire que ce Floribert a été ce successeur immédiat de l'apôtre, et vénéré comme lui parmi nos saints. Il est incontestable, en tous cas, qu'Hubert fut le disciple et l'ami de saint Lambert, lui succéda comme pontife, vers l'an 700, rapporta les restes du martyr de Maestricht à Liège, construisit ici deux églises, y plaça en fait le siège épiscopal du diocèse, donna ses premiers développements, sa première organisation religieuse et administrative à notre ville, acheva l'évangélisation des Ardennes et du Brabant, se distingua par son attachement à l'Église, par la sainteté de sa vie, par plusieurs miracles, mourut en Brabant enfin, très probablement à Tervueren, et fut enterré, suivant son désir, dans l'église liégeoise de Saint-Pierre dont il était le fondateur.
Ses dépouilles n'en furent enlevées qu'en 825, pour être transportées dans cette petite ville d'Ardenne, à laquelle depuis le nom de Saint-Hubert est resté.
On ne peut contester non plus que, depuis le IXe siècle les populations ont attribué à l'intervention du Saint auprès de Dieu et à l'insertion d'un minuscule fragment de son étole dans le front du blessé, la merveilleuse guérison de ce mal affreux auquel la science de M. Pasteur arrive seulement le nos jours à trouver un remède. Que l'étole révérée ait fait partie des vêtements portés par le pontife vivant ou seulement des étoffes dans lesquelles furent enveloppés ses restes, son emploi n'en est pas moins constaté dans un récit écrit peu après 879, et c'est à partir du même temps, par suite de ce privilège, peut-être, que saint Hubert est devenu dans nos régions le patron des chasseurs.
Il est une question qui n'a pas été abordée dans l'étude que je viens de résumer, ni peut-être dans aucune autre: quelle église était la Cathédrale de Liège au temps de Saint Hubert?
On prétend bien que notre plus ancien temple fut une chapelle des saints Cosme et Damien. Cette assertion malheureusement n'apparaît que bien de siècles après la fondation de Liège, en des récits assez légendaires. Dans la retraite qu'il s'était choisie, sur les bords encore déserts de la Légia, l'évêque Lambert avait incontestablement un petit oratoire; cet oratoire de maison de campagne n'offrait assurément rien des proportions d'une cathédrale, et fut détruit dans la nuit du crime. Les auteurs les plus rapprochés de l'époque où l'apôtre y avait célébré l'office n'en font plus aucune mention: le lieu qu'on vénéra dès l'abord fut le lieu de son martyre, la cellule où il reposait quand les bourreaux le surprirent, et non cet oratoire, qu'il avait quitté un peu auparavant.
Le biographe contemporain nous marque, en termes exprès, que la chapelle, appelée dans la suite des âges à devenir le temple national liégeois par excellence, fut édifiée sur l'emplacement de cette cellule, avant qu'Hubert y eût rapporté les restes de son prédécesseur. Il semble même qu'Hubert ne fit que l'agrandir lorsqu'il y vint placer ce dépôt sacré sur l'autel.
Outre cette chapelle, Hubert éleva, comme on l'a vu, l'église de St-Pierre, aujourd'hui démolie, et dont le souvenir ne vit plus que dans le nom de deux rues. Impossible toutefois de savoir, d'après les documents du temps, quelle de ces deux constructions fut érigée la première.
Les mêmes termes sont employés pour désigner le caractère religieux et la construction de l'une et de l'autre. Ni le biographe de saint Lambert, son contemporain, ni le biographe contemporain de saint Hubert, ne nous désignent formellement une des deux comme plus considérable que l'autre. Le premier tout au moins n'eût-il pas pris soin, si le fait s'était produit, de noter que le temple de son héros, saint Lambert, était devenu le plus important du pays?
On peut se demander, au contraire, d'après certains détails de ces récits primitifs, si Saint-Pierre ne devait pas l'emporter alors sur Saint-Lambert. Rien ne nous marque qu'il y eût dans ce dernier sanctuaire un autre autel que celui du martyr liégeois; l'église Saint-Pierre en comptait dès lors plusieurs - le maître-autel tout au moins et celui de saint Aubin, près duquel voulut être enterré le fondateur de Liège.
Cette inhumation même n'induirait-elle pas à croire que Saint-Pierre était l'église propre de cet évêque? Hubert était le disciple aimant de son prédécesseur; Hubert avait été tout particulièrement heureux de placer les restes de son maître dans un temple spécial, et cependant ce n'est pas près de ce maître qu'il va reposer; un autre temple est choisi par lui pour recevoir ses propres dépouilles.
De nombreux exemples attestent que l'usage était établi dès lors d'enterrer les évêques dans leur cathédrale: n'en fut-il pas ainsi quand on déposa saint Hubert dans la crypte de St-Pierre ?
Où se célèbrent ses obsèques solennelles? A St-Pierre encore; c'est là qu'on ramène ses dépouilles mortelles de Tervueren; là qu'il est exposé; là qu'ont lieu ses funérailles comme son inhumation. Et quand on songe à le retirer du tombeau, pour le placer sur les autels, qui voyons-nous agir et décider? Les « custodes basilicae », les gardiens de la basilique de St-Pierre.
Au surplus, le titre même de cette basilique, le patronage de St-Pierre ne caractérise-t-il pas à Liège, comme il le fit si fréquemment ailleurs, l'église principale; et le fait que le trésor religieux le plus précieux attribué à Hubert, sa clef fameuse, n'a jamais appartenu jadis qu'à St-Pierre, ne permet-il pas de voir dans cette clef l'attestation de la destination éminente donnée par saint Hubert à l'église épiscopale de son temps?
Faut-il rappeler ce qui, précédemment, s'était passé à Maestricht ? Il parait bien que lorsqu'Hubert s'en éloigna, l'église St-Servais était la cathédrale du diocèse; cette église toutefois n'existait pas quand saint Servais lui-même avait quitté Tongres pour se fixer aux bords de la Meuse. Servais avait alors choisi Notre-Dame de Maestricht pour succéder à Notre-Dame de Tongres: ce ne put être que plus tard que Notre-Dame céda cet honneur au temple élevé autour du tombeau de Servais.
Le même but n'aurait-il pu se reproduire à Liège pour Saint-Pierre et Saint-Lambert?
Quand se serait effectuée, en ce cas, à l'intérieur de Liège, cette translation intime du siège épiscopal? Les églises d'alors n'étaient que de mauvais bâtiments de peu de durée; il est possible que peu de temps après la mort d'Hubert, Saint-Pierre se soit trouvé à reconstruire, et que, dès lors Saint-Lambert soit devenu la basilique pontificale.
Anselme nous assure que Floribert, le successeur immédiat d'Hubert, son fils peut-être, nous dit-il, fut enterré, non près de lui mais à Saint-Lambert. C'est à Saint-Lambert en tout cas « apud Sanctum Lambertum » que nous voyons Charlemagne venir célébrer les fêtes de Pâques en 770; à cette date, au plus tard, Saint-Lambert était donc l'église cathédrale de Liège.
On a cru jusqu'ici qu'elle l'a toujours été; daignent me pardonner les vieux Liégeois d'exprimer le premier un doute à ce sujet. Mais rien ne prouve encore, ce me semble, que Liège jusqu'ici n'a pas eu trois cathédrales: Saint-Paul depuis ce siècle; Saint-Lambert pendant les dix siècles précédents, et, avant Saint-Lambert, l'église bâtie par le fondateur de Liège en témoignage de sa vénération spéciale pour le siège de Rome, la basilique du prince des apôtres Sancta Legia Ecclesiae romanae filia.