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La collégiale Saint Martin à Liège

Contrat de construction pour la collégiale Saint Martin de Liège, en 1580

par Richard FORGEUR

Jean Wisbrocus, Rusletanus, fut protonotaire apostolique et chanoine de Saint-Martin jusqu'à sa mort survenue en 1590 (1). Son monument funéraire, de 1578, ainsi que des bas-reliefs de marbre blanc provenant d'un autel qu'il avait offert, se trouvent dans la « crypte » de cette église. Son cénotaphe (1576) est appliqué à la pile de croisée du transept, côté nord: le chanoine y est représenté en surplis et aumusse priant devant une Assomption (2).

Depuis longtemps, on connaissait la large part que le chanoine avait supportée dans les frais de construction des chapelles du bas-côté nord. Ses armoiries se trouvent dans les trois chapelles nord, côté ouest, c.-à-d., les plus proches de la tour. Certaines sont timbrées du chapeau de protonotaire: c'est un blason coupé portant un soleil en chef et un poisson posé en fasce, en pointe. Par ailleurs la chronique du pseudo Langius déclarait que la collégiale était achevée depuis cinq ou six ans et que le chanoine Wibroux avait construit de fond en comble plusieurs chapelles. Or, cette chronique date des années 1584 à 1586 et a été rédigée par un écrivain en rapports étroits avec le chapitre de Saint-Martin comme l'a établi Monsieur Bragard (3).

Quant à la première chapelle nord, jouxtant le transept, j'y avais trouvé la date 1581 (4) mais j'ignorais qu'elle avait été construite aux dépens du même donateur. Ce que nous révèle un contrat intéressant dont je dois de connaître l'existence à la grande amabilité de Monsieur Nestor Mélon. Ce contrat fut passé le 4 mai 1580 entre Wibroux d'une part, Piron Alard, tailleur de pierres et Thierry Doneux, maître maçon (5), d'autre part, dans la maison de Laurent Blocquerie, chanoine de Saint-Martin. Ces deux derniers s'engagent à construire deux chapelles, le long du cimetière, soit au nord, semblables à celles du sud (côté de Saint-Remacle au mont) probablement déjà achevées et ce pour 1.300 florins Brabant. Ils ne construiront que la partie de pierre, celles de bois, de verre et la peinture étant exclues.

De quelles chapelles s'agit-il? Des deux premières à l'est assurément, car le contrat prévoit la construction d'un escalier dans le mur d'une des deux chapelles, là où ce sera le plus aisé; cet escalier existe en effet, dans le mur qui sépare la première de la deuxième chapelle, escalier qui depuis longtemps intrigue tous les chercheurs et dont le contrat ne précise pas l'usage, hélas. C'est sur une des parois qu'est gravée la date 1581 de quelques mois postérieure au contrat.

Celui-ci apporte aussi une autre précision intéressante. Il nous apprend que les baies séparant la nef latérale des futures chapelles étaient fermées provisoirement par des murs de briques que l'on démolissait quand les chapelles étaient achevées.

Bref ce contrat nous éclaire sur quelques manières d'agir du 16e siècle finissant. La rareté ou peut-être l'absence de publications d'actes liégeois de cette catégorie m'a incité à le faire connaître par une édition intégrale:

L'an mille chinequecens et octante du mois de may le quattrieme jour comparurent personnelement par devant moy notaire public et des tesmoins subescriptz a ce huchiés et appelez venerable sieur maistre Jean Visbrouck, chanoine de l'égliese collégialle sainct Martin à Liège dunepart, Pyron Alard entretailleur et Thiry Doneux masson citoiens de Liège dautrepart, aiant Iedit sieur Visbrouck pour le bon zèle qu'il porte à Dieu et sa maison et l'église dudit sainct Martin affin que tant plus, elle soit décorée et voiant la nécessité présente de la fabricque (6) dicelle eglize a laquelle seroit male possible pour les calamitez (7) du temps présent fournir a despens des édifices encommenchiés et encor requizes, devotion et volunté de faire faire deux chapelles du fondemens iusquez au toict, at traicté et accordé avecq lesdits Pyron et Thiry de faire en ladicte egliese, du costé de cemitière ou aittre (8) les dits deux chapelles, lesquelles debveront estre semblables a deux aultres du costé de mydi ou legliese de sainct Remacle, en tout et par tout, voire que toute moulleur (9) de blanche pierre doibt estre de pierre de cendres (10) et les // (fol. CCIII v°) entredeux de sablon (11) et que dedens lespesseur du mur dune des deux chapelles ou plus commodieusement faire se pourrat, aura une montée (12) avecque [ajouté] de pas de pierre de Namurre et dachever ou parfaire les dits deux chapelles, le tout a leur despens horsmizes les voirires (13), la table de l'aultel en pointeur et celle de pierre, le cha[raturé] du boys, le toict, le couille du boys, les fers des voirres et les crestez ou clairres voyes. Et ce parmy payant par ledit sieur Visbrouck ausdits Piron et Thiry pour laccomplissement des dites chappelles comme dessus, la somme de treize cent florins de braibant asscavoir de la valeur comme l'argent aurat cours au temps des déboursementz et auront d'argent prompt pour commencer trente philip Dalers (14) a quarante chincq patars la piece, a condicion aussy quilz debveront commencer les fondemens dudit ovraige lundi prochain venant et le continuer sans ailleurs en la cité de Liège ou hors prendre quelque autre ovraige jusques a laccomplissement entière des dits deux chappelles en telle qualité comme les deux autres du costé de mydi, saulve que dessus. Et les fondemens seront de telle profondeur et espesseur comme le dit ovraige // (fol. CCIIII) requiert a dict de gens de bien et de messieurs de Sainct Martin a lassistence du quel fondement auront les susdits Pyron et Thiry, les pierres telles qui sont a present gissant sur laittre et larcq et aultres que ils debveront defaire pour l'accomplissement dudit ovraige, bien entendu que les bricques remplissantes lentrée des deux chappelles ne se osteront devant que les deux chappelles soient parfaites, lesquelles alors seront a eux. Seront aussi assistez les dits Pyron et Thiry de telles boys et lengnes (15) que les sieurs de sainct Martin ont a present pour faire les hordemens (16) de l'ouvraige. Et pour l'observation et accomplissement du présent contract et marché, les dites parties se sont obligiez en la meilleur forme que faire ce peult voire appellée Camere avecq ses clauses accoustumetz que les sont declarez de y fournir. C'est le sieur Visbrouck de payer le pris convenue. Et les dits Pyron et Thiry tant conionctement que un chascun d'eux, eux et leur heretiers, tous leur biens, meubles et immeubles presens et futures ou autre forme, sans observation aucunne de proces ou terme de loix. Aussy en cas que lesdits Pyron et Thiry fuissent defaillantz (f° CIIII v°) en ladite observation, il sera loisible et permis audit sieur Visbrouck chercher autres ouvriers et faire parachever louvraige comme dict est a despens et dommaige desdits Pyron et Thiry et les déduyre le toute hors du pris convenu et accordez, renunchant lesdits Pyron et Thiry pour voloir bonnement observer ceque predict est a toutes privileges, exemptions et bourgeoisie; entendu aussy que les trengt dalers que les sont estez comptez se déduyront en fin et que le payement se faira selon le delivrement des materalles et les iournées des ouvriers le tout à la bonne foie et a dict de gens de bien. Sur quoy et ce fut fait en la maison, de linhabitation de vénérable sieur Lauren Blocquerye, chanoine de ladite egliese de sainct Martin, presens illecq messire Cloes de Puchey et Jehan Fabry tesmoins a ce huciés et appelez.

Et moy francq Stapel (17)

notaire a ce requis

ARCHIVES DE L'ÉTAT A LIÈGE, Collégiale Saint-Martin, reg. 16 fos CCIII-CCIV.


1. Il n'existe pas de répertoire des chanoines de Saint-Martin. (E. LAVALLEYE, La Fête-Dieu, p. 206, Liège, 1846, rappelle l'activité de Wibroux).

2. Les reliefs de marbre de cet autel et son cénotaphe sont décrits sommairement par (E. LAVALLEYE) La Fête-Dieu, sainte julienne et l'église Saint-Martin à Liège, Liège, 1846, pp. 206-207. Les reliefs sont reproduits dans [Ch. HAAKEN], La basilique Saint-Martin à Liège, Liège, 1930, P. 71.

3. R. BRAGARD, Vues anciennes d'églises liégeoises d'après un manuscrit de 1584-1586, dans ce bulletin, t. VIII (180) 205-226, particulièrement à la page 210.

4. R. FORGEUR, La basilique Saint-Martin à Liège, p. 27, Liège, 1973.

5. Doneux travailla en 1589-1591 à la reconstruction de l'église abbatiale du Val-Saint-Lambert (B.I.A.L. 58 (1934) 51). En 1600 il fut chargé de la réédification du jubé de cette église tandis que les travaux de sculpture et de marbrerie étaient confiés à Thomas Thollet (A.E.L., Fonds Val-Saint-Lambert, n° 386, fol. 10.

6. Les ressources de la fabrique ne suffisaient plus pour achever l'église commencée en 1511 soit depuis septante ans. Elle avait très probablement - selon la coutume - emprunté des capitaux dont le remboursement et la charge de l'intérêt empêchaient toute nouvelle dépense. Elle avait en outre à supporter presque tous les frais du culte, les revenus du chapitre ne servant qu'à la rétribution des chanoines.

7. Dans nos régions, la guerre sévissait alors depuis longtemps entre les Espagnols et les Hollandais qui leur arrachèrent leur indépendance.

8. Aitre, ancien mot venant de atrium et signifiant cimetière. Il désigne ici le cimetière du chapitre situé au centre du cloitre par opposition à celui de la paroisse Saint-Remacle en mont situé de l'autre côté de la rue.

9. Moulleur = moulure.

10. Pierre de cendres: les archivoltes construites au 16e siècle à Liège, étaient généralement sculptées dans du tuffeau extrait aux environs de Maastricht. Saint-Martin est édifiée en calcaire de Meuse et en tuffeau. Les voûtes de briques étaient cachées par de la peinture. B.I.A.L. 58 (1934) 51 cite la peinture des ogives et des doubleaux.

11. Sablon ou pierre de sable désigne le tuffeau.

12. Cette montée est un escalier qui donne dans le vide et dont l'usage est ignoré.

13. Voirires, synonyme de verrières; claires-voies, fenestrages ou remplages désignent la résille de pierre édifiée dans une fenêtre pour tenir les vitraux.

14. Philip Dalers = thalers frappés aux Pays-Bas sous Philippe-le-Beau à la fin du 15e siècle ou tout au début du 16e. Thaler: nom de monnaies frappées à l'origine avec de l'argent provenant de Joachimsthal, en Bohême, vallée qui leur a donné son nom.

15. Lengnes, du latin lignum, bois.

16. Hordemens, échafaudages.

17. Le protocole de ce notaire compte parmi les innombrables protocoles perdus. J. PIEYNS, Catalogue général des protocoles de notaires conservés dans la province de Liège, 2 vol., Liège, 1972.

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