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Cathédrale Saint Lambert à Liège

Le plan de la cathédrale Saint-Lambert à Liège

par Richard FORGEUR

Cathédrale Saint Lambert à Liege - Evêché Cathédrale Saint Lambert à Liege - van den Steen
Copie de Carront - Fr Ecoles chrétiennes
Copie de Carront - van den Steen
Cathédrale Saint Lambert à Liege - Curtius Cathédrale Saint Lambert à Liege - Jehay
Copie de Carront - Curtius
Copie de Carront - Jehay

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L'unique plan de la cathédrale Saint-Lambert actuellement connu, est celui qu’a publié Xavier Van den Steen au début d'un énorme ouvrage édité en 1880 (1). Nous trouvons en effet dans ce travail, non deux plans, comme il semble à première vue, mais un seul, reproduit deux fois avec des légendes différentes. La première de ces reproductions intitulée « Plan historique de l'ancienne cathédrale Saint-Lambert » (2) n'a d'ailleurs d'autre but que de signaler avec la plus grande précision l'endroit exact où le moindre petit fait historique s'est déroulé dans la cathédrale. Cette prétention naïve fera sourire ceux qui ont lu, ne fut-ce qu'une seule chronique du Moyen-Age et qui ne savent que trop, l'absence quasi complète de détails de ce genre dans les textes anciens.

Que faut-il penser de ce plan et de ses annexes? La question est d'autant plus importante que nous ne possédons aucun autre plan de l'église. Il s'agit donc de savoir à tout prix, s'il est digne de foi. Depuis longtemps les chercheurs qui étudient la cathédrale ont minutieusement inspecté chaque détail, ont comparé le plan aux nombreuses gravures représentant Saint­Lambert, et leur conclusion est que ce document mérite une assez grande confiance; mais tous se demandent sur quels éléments s'est basé le dessinateur pour le réaliser vers 1880. Van den Steen aurait-il possédé un ancien plan qui lui aurait servi de modéle ?

Par cette notice nous espérons éclairer ce problème archéologique qui passionne aujourd'hui encore bien des Liégeois. Dans le salon de l'évêché, décoré par la longue suite des portraits des princes-évêques, on trouve un plan de la cathédrale, en tous points semblable à celui que Van den Steen publie. Il est dessiné à la plume sur un papier mesurant 50 cm de haut sur 64 de long et porte une inscription d'importance capitale: « Plan de la cathédrale Saint­Lambert dessiné par un frère des Écoles chrétiennes, dédié à Monseigneur Van Bommel. Liège, le 1er avril 1840 ». L'échelle est calculée en pieds de saint Lambert. En bas, à gauche on lit: « Ce plan a été levé par A. B. Carront, ingénieur ». Pouvons-nous accorder crédit à cette dernière mention ?

Le 24 septembre 1794, l'Administration centrale provisoire chargea A. B. Carront, arpenteur géomètre, de dresser le plan de la cathédrale dont la Convention nationale liégeoise avait voté la démolition le 13 février 1793. Carront exécuta ce levé et reçut 360 livres à titre d'honoraires. Peu de temps auparavant, il avait été chargé par la même administration d'exécuter le plan des environs de la cathédrale. C'est ce second plan que Théodore Gobert a publié avec un commentaire (4). Du plan de l'église elle-même, l'original semble perdu à l'heure actuelle, mais nous en trouvons à l'évêché la copie de 1840 que je signale ci-dessus. Cette copie est-elle fidèle? Nous ne le saurons que si l'on retrouve un jour son modèle.

Carront était fils d'un « ingénieur » qui publia en 1749 à Liège un « Art de bien bâtir». Il avait aussi traçé l'avant-projet d'une chaussée Liège-Aix­la-Chapelle (5). Un Alexandre Carront, le père ou le fils, avait fait en 1763 le relevé de la salle capitulaire et de deux sacristies de la cathédrale, à la demande des tréfonciers de Sluse et de Hayme. Cette pièce était destinée à être jointe au dossier du procès qui opposait Charles d'Oultremont à Clément-Wenceslas de Saxe, tous deux élus princes-évêques de Liège. C'est, en effet, dans la salle capitulaire qu'avait eu lieu l'élection au cour de laquelle un chanoine avait été maltraité par les autres et expulsé. Le Vatican, chargé d'arbitrer le conflit provoqué par cet incident, demanda un état des lieux, ce qui nous vaut de trouver parmi les pièces du dossier, le plan du local capitulaire et des deux sacristies voisines (6), placées à l'est du choeur oriental. Ce bâtiment mesurait 34 pieds, en hors d'oeuvre, sur son axe est-ouest, et 71 sur l'axe nord-sud.

A. Lieux capitulaires; B. Place du milieu; C. Grande sacristie; D. Banc du chapitre E. Porte d'entrée derrière le grand autel.

Il était situé au milieu du cloitre oriental et adossé aux ailes nord et sud de ce cloître. La distance qui sépare les deux ailes parallèles du cloître oriental est donc de 71 pieds minimum (7). Au centre, une sacristie éclairée à l'est par deux fenêtres, et accolée au nord et au sud de deux salles, chacune éclairée dans la même direction par trois fenêtres. La première baie, au nord, consistait en une porte-fenêtre donnant accès au jardin du cloître. La salle nord est la « Grande sacristie » et celle du sud est le « lieux capitulaires ». Il faut remarquer que le plan complet de la cathédrale de Carront publié par Van den Steen et Hock est parfaitement conforme à celui-ci mais avec cette différence que la grande sacristie et le chapitre sont inversés, soit qu'on ait changé la disposition des locaux entre 1763 et 1794, soit que Carront se soit trompé sur son second plan, ce qui est plus vraisemblable; il est, en effet, peu probable que les chanoines aient modifié la répartition des locaux à un moment où ils voulaient reconstruire entièrement, en style néoclassique, cette partie de la cathédrale, comme le prouvent les projets de l'architecte Le Pafve, conservés de nos jours à l'abbaye du Val-Dieu et à l'Université.

Le plan de la cathédrale publié par van den Steen est donc une copie de celui que Carront dressa en 1794. La partie du plan concernant les sacristies et le chapitre est identique au relevé de ces lieux dessinés par Alexandre Carront en 1763. Que vaut le plan de Carront? Des études ultérieures nous le révéleront probablement. Il contient certainement trois erreurs au moins: l'église des Onze Mille Vierges, ou Sainte-Ursule, est dessinée beaucoup trop grande; elle existe encore et ne possède que quatre fenêtres et non huit; elle mesure environ 16 m de long sur 8 de large et se termine à l'est par un mur plat et non par une abside; on le voit très bien dans les combles du palais.

La façade de l'hôtel séparant les degrés de St-Pierre, à l'ouest, et le Palais des États, à l'est, est dessinée sur un axe faux comme le prouvent suffisamment les plans cadastraux reproduits par Delvaux (8). Les mêmes documents démontrent que le pâté de maisons situé entre les rues « Sous la grande tour » et « Sous la petite tour » est mal dessiné.

Une fois admis que le plan publié par Van den Steen est une reproduction très fidèle de la copie du plan Carront, un autre problème se pose immédiatement : quelle est la valeur de la légende imaginée par Van den Steen? Disons tout de suite qu'elle est très fantaisiste.

Je crois que le plus simple est de recopier en deux colonnes et de confronter les légendes de Carront et de Van den Steen

Copie du plan CARRONT
par un frère des école chrétiennes
Edition van den STEEN
1
Tombeau de saint Lambert.
2
Autels sous le jubé du choeur.
3
Tombeau du prince Erard de la Marck.
4
Stalles.
5
Chapelles. Chapelle des barons Surlet de Chockier.
6
Dais du Prince.
7
Maître Autel.
8
Péristyle qui formait la galerie où le peuple pouvait voir officier.
9
Porte pour aller à la grande sacristie. Chapelle de Bavière dessous la tour.
10
Salle du Chapitre des Tréfonciers, où se faisait l'élection des Princes Evêques.
11
Grande sacristie.
12
Salle des assemblées du Chapitre des Chanoines.
13
Cloitre du côté de la maison de Ville. Nouveaux cloîtres, galeries de portraits d'Obiit et de cénotaphes.
14
Porte d'entrée du cloître.
15
Escalier.
16
Chapelle. Chapelle des chanoines allemands.
17
Grande chapelle. * Crucifix des miracles
** Chapelle du Saint-Sacrement
18
Lieu où se fabriquaient les chandelles. Chevêcherie
19
Chapelles en marbre. * Chapelle des Comtes de Bocholtz
** Chapelle des trois messes
20
Chapelle où se trouvait le crucifix aux miracles. Chapelle des Comtes de Hoensbroeck et de Woestenraedt
21
Chapelles latérales. * Chapelle des Comtes de Leerode-Oranus
** Chapelle des comtes de Horion et de Wachtendonk
22
Chapelle de saint Gilles.
23
Chapelle de saint Materne.
24
Escalier des tours au sable.
25
Vieux choeur ou chapelle des saints Cosme et Damien;
lieu consacré par le sang que Saint Lambert y a versé pour la foi.
26
Jubé du vieux choeur.
27
Autel.
28
Cache des archives. Entrée du Chartrier, jadis crypte de Saint-Lambert
29
Porte de l'escalier du cloître. Porte des vieux cloîtres
30
Entrée de l'église du côté de Notre Dame-aux-Fonts.
31
Chapelle de la sainte Vierge, dite des bonnes aventures. Chapelle de N.D. des bonnes nouvelles
32
Chapelles latérales. * Chapelle des Princes de Savoye, de Loewenstein et de Schwarzenberg
** Chapelle des Princes de Leyen et des comtes de Lanstein
33
Chapelles en marbre. * Chapelle des Chapitres allemands
** Chapelle des Échevins de la Haute Justice
34
Dépôt des ornements de l'église. Sacraire.
35
Chapelle en marbre. Autels portatifs.
36
Escalier pour monter à la grande tour.
37
Chapelle. Chapelle de Sainte-Croix.
38
Chapelle de la très Sainte Vierge. Chapelle des comtes de Cannenbourg, de Merlo, de la Morto et de Régla.
39
Porte d'entrée du cloître. Entrée des nouveaux cloîtres.
40
Escalier.
41

La couronne (9) était suspendue à la voûte entre les 2 premières
colonnes en entrant
Grande couronne de lumière.
Cette couronne était suspendue à la voûte entre les 3 premières colonnes en entrant.
42
Chaire de vérité.
43
Lieu où étaient incrustées les mesures dites pieds des Saint Lambert et Hubert.
A
Jardin.
B
Citerne.
C
Portes du côté du Marché.
D
Logement du carilloneur. Logement de divers employés.
E
Dépôt des cierges.
F
Cour aux deux fontaines.
G
Sacristie pour le service de l'église. Grande sacristie
H
Escalier se rendant du Palais à l'église.
I
Id. dans la cour pour les couvreurs. Escalier de la tour de Babylone
J
Pelouse. La Cour des Harna
K
Logement du sacristain. Logement des sacristains
L
Entrée de l'église du côté du Vieux-Marché.
M
Jardin. La cour de Collin-Maillart
N
Classes gratuites de Saint-Lambert. L'écolâtrie
O
Trou au chauffage. La Provance des classes
P
Vestibule conduisant dans les classes.
Q
Chapelle où se célébrait le jubilé. La grande Chapelle du Jubilé
R
Cloître. Vieux cloîtres
S
Entrée rue des Mauvais-Chevaux.
T
Cour. Salon des repas de gala
U
Bureau du Receveur, appelé Compterie. Salons
Y
Vestiaire des Tréfonciers.
X
Caveau des Chanoines.
Y
Hangar. Garde-meubles
Z
Porte d'entrée du cloître. Porte d'entrée des cloîtres
AA
Portail des beaux portraits.
BB
Appartements du Receveur. Grands appartements et compteries
CC
Porte du cloître où les chanoines seuls avaient accès. Cloîtres réservés aux tréfonciers
DD
Chapelle des Flamands.
EE
Jubé.
FF
Sacristie.
GG
Chapelle. Chapelle des ducs de Souabe, dite N. D. aux degrés
HH
Entrée de l'église de Notre Dame aux Fonts.
II
Eglise de Notre Dame aux Fonts.
JJ
Jubé.
KK
Cimetière de Notre Dame.
LL
Logement des enfants de choeur.
MM
Place de la grande sonnerie sous la grande tour.
NN
Escalier sous la grande tour.
OO
Escalier dans la grande tour.
PP Cimetière et ossuaire

Les autres numéros sont copiés fidèlement, ou, tout au moins, sans altérer le sens du texte. Je ne prétends pas que les modifications apportées par Van den Steen sont toutes erronées. Je signale simplement que cet auteur a remanié fortement le texte de la légende et parfois, l'a falsifié.

Peu après que Van den Steen eut publié la seconde édition de son ouvrage, contenant le plan dont nous venons de parler, Auguste Hock éditait, lui aussi, le plan de Carront, dans un livre où l'imagination débordante a beaucoup plus de place que l'histoire (9) Hock n'a pas copié le plan de Van den Steen: la légende publiée par lui est, à peu de chose près, celle de Carront. Il y a cependant deux erreurs dans les Marques distinctives imprimées dans le coin supérieur droit: au lieu de Bâtiments adjacents à l'église, Hock a écrit ajoutés à l'église. De même, au lieu de balustres en divers métaux, il aurait dû lire balustrades en divers métaux.

Quant au plan lui-même, il est analogue à celui de Van den Steen, mais il est moins bon, car Hock a changé la place et la disposition des colonnes de l'abside et omis la porte reliant le choeur à la sacristie entre les chiffres 8 et 9. D'autre part, Hock n'a pas ajouté comme Van den Steen l'avait fait, le dessin de la chaire de vérité et de la couronne de lumière. En cela, il est plus fidèle au plan de Carront.

En conclusion, je crois que le lecteur qui veut étudier ces plans doit admettre que Van den Steen et Hock ont tous deux copié Carront ou une copie de Carront, probablement celle de l'évêché. Ils ne le disent ni l'un, ni l'autre.

Pourtant, j'estime que le dessin publié par Van den Steen est le meilleur (si l'on omet l'addition de la chaire et de la couronne de lumière) mais que la légende copiée par Hock est très juste tandis que celle de Van den Steen est très contestable.

R. FORGEUR


1. La cathédrale St Lambert à Liège. Liège, in folio, 1880. La première édition de cet ouvrage, parue en 1846, ne contient pas de plan.

2. Ce plan est réédité, en photographie, par A. DELVAUX DE FENFFE, Liège, Quelques transformations, pl. V. Liège, s. d. [vers 1935].

3. Ce plan fut publié également par A. HOCK. Liège au XVe siècle. Liège. 1881. Nous en reparlerons plus loin.

4. Bulletin de l'Institut archéologique liégeois, t. 36 (1907), p. 131-134. Ce plan est aussi publie par A. DELVAUX DE FENFFE. Liège. Quelques transformations, pl. VI. Liège, s. d.

5. Th. GOBERT, Liège à travers les âges, t. I, p. 364 et t. II, p. 331.

6. Archives du Vatican. Acta Congregationis Concistorialis 1763, II, fol. 333. Ce document a été signalé par L. JADIN, Les actes de la Congrégation consistoriale.., dans le Bulletin de l'Institut historique belge de Rome, t. 16 (1935), p. 508.

7. Soit 20,59 mètres, s'il s'agit de pieds de saint Lambert, ce qui est le plus probable.

8. Planches VII, XV, XVI et XVII. Cet hôtel était situé à l'endroit où les places St-Lambert et Notger se rejoignent actuellement. Mr Édouard de Marneffe avait également remarqué cette erreur.

8. Il s'agit de la grande couronne de lumière semblable à celle de Saint-Christophe à Liège (moderne), celles de Hildesheim, d'Aix, de Comburg, etc.

9. Liège au XV siècle. Liège, 1881. Ce plan mesure 37 cm sur 49 comme celui de l'évêché.

Monsieur Jarbinet, possède un plan de la cathédrale, manuscrit et aquarellé. Il a eu l'obligeance de l'exposer à la séance de février 1957 de l'Institut archéologique liégeois. Ce plan semble dater de la fin du 18e. II fut réalisé par un dessinateur assez malhabile qui paraît avoir, lui aussi, copié le plan de Carront car il est conforme au plan conservé à l'évêché. Ce dernier, mieux exécuté, restera, provisoirement, le meilleur plan de la cathédrale. Celui de Mr Jarbinet aura, par contre, le mérite d'être la plus ancienne copie conservée du plan de Carront.

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