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Cathédrale Saint Lambert à Liège

Emplacement de l'ancienne cathédrale St-Lambert

par T GOBERT, 1906 - BIAL XXXVI

UN PLAN PEU CONNU

On sait que, décidée par la Convention nationale liégeoise le 19 février 1793, la destruction de l'antique basilique Saint‑Lambert n'a pu être entreprise qu'à partir de fin juillet 1794, après la seconde invasion des troupes républicaines. Par un arrêté du II brumaire (1er novembre), l'Administration centrale provisoire nomma une Commission chargée de préparer un « projet général sur la démolition entière de l'édifice de St‑Lambert ». Avant tout, la Commission fit, cette proposition par la main de Léonard Defrance:

« Faire graver le pourtour des bâtiments qui servent d'encadrement au terrain de la Cathédrale, c'est à dire depuis les Escaliers St Pierre à gauche jusqu'à St André. et depuis la Maison commune, celle de Rouma sous la Grande Tour, jusqu'à la place des Chevaux, toujours à gauche, en reprenant la maison Trappé, la place Verte et la rue des Mauvais Chevaux, jusqu'aux Escaliers St Pierre.

Dans ce pourtour de maisons, on y marquera les rues aboutissantes, l'emplacement des deux tours de sable, celle de la Grande Tour, avec la masse des maisons du Vieux Marché, la rue des Onze milles Vierges et celles de Dessous la Tour.

Le terrain ainsi dépouillé de l'encombrement des petites maisons qui sont sur les Escaliers du Marché, et de toute l'église et ses appendices, laissera voir plus aisément de quelle manière l'on pourra tirer le parti le plus favorable de ce local.

Votre ingénieur Carron », ajoutait Defrance, « se présente pour  faire cette gravure à ses frais, moyennant qu'on lui donne la planche de cuivre nécessaire. Il offre en sus à chaque membre de l'Administration une épreuve de ce plan gravé. »

Naturellement, l'Administration d'arrondissement représentée par Léonard Defrance et le citoyen Cralle, approuva la proposition ainsi formulée.

Carron qui avait été chargé de dresser le plan de la cathédrale même par un arrêté du 3 vendémiaire an III  (24 septembre 1794), s'attacha résolument à l’exécution du travail. Déjà le 9 brumaire (30 octobre), nonobstant les conditions de gratuité offertes antérieurement pour la confection de la carte, sinon du plan, il réclamait avec instance un paiement en numéraire par l'envoi de la pièce suivante. Celle-ci ne témoigne aucunement en faveur de l'instruction orthographique et épistolaire de l'auteur, bien qu'il s'y qualifie d' « arpenteur géomètre, ingénieur de l'Administration centrale (1) »: 

Citoyen Administrateurs

Le soussigné vient, exposer qu'ensuite de l'arrêté à la séance du 3 vendémiaire an IIIe de la République française, il n’a pas désisté de travailler au plan de la cathédrale ci‑joint.

Ouvrage d'autant plus pénible que j'ai été obligé de vendre et d’emprunter sous l'espoire d'une prompte assistançe de la la (sic) somme de six cent livre pour la carte dont vous lui avez fait l'acquisition n'aiant pu jusqu’à présent en avoir le paiement.

De manière que se trouvant oberé et sans secours, il requiert l’Administration de vouloir Ordonner tout au moins et en attendant l'aquit de la carte de ci‑dessus le paiement du présent plan pour quelle j'ai employé vingt journée entière sur le pied de dix huit livres par jour, portant la somme de 360 livres, cause pour quelle il ose espérer qu'on voudra bien avancer la ditte somme et qu'il sera accueillis à sa demande.

Salut et fraternité
A. B. CARRONT, arpenteur géomètre
Ingénieur de l'Administration centrale.

L'Administration fit droit à la demande, ainsi qu'il conste de cet extrait du procès verbal de la séance du 17 brumaire (7 novembre):

Conformément à vos ordres, le citoyen Carront, ingénieur, a levé le plan tant de la cathédrale que des endroits environnans. L’ouvrage achevé, il en a, comme de raison, demandé le prix portant 360 livres. Vous avez renvoyé cette réclamation à la Commission destructive de la cathédrale pour vérifier la justesse et l'exactitude du plan, et vous donner son avis sur la liquidation des salaires. Cette Commission s'est occupée de ce travail et ayant trouvé après différentes mesures prises sur le local tout le rapport qu'on pouvoit désirer entre ce plan et ce local, jugeant d’un autre côté que la somme demandée n’a rien d'exorbitant, vu le nombre des journées que cet ouvrage fait d'ailleurs avec netteté a exigé, il vous propose le projet d’arrêté suivant:

« L'Administration, sur le rapport et d'après la vérification de sa Commission pour la démolition de la Cathédrale, arrête sous l'approbation du Représentant du peuple qu'il sera payé hors des 5o,ooo livres accordées pour cette démolition au citoyen Carront, ingénieur, la somme le 360 livres pour prix du plan de la cathédrale et lieux environnans, levé par ledit Carront, et dont l'Administration a cru devoir ordonner la levée pour pouvoir former une distribution agréable et commode du terrain que la démolition de cette église présentera et en procurer la vente la plus avantageuse (2). »

Beaucoup de Liégeois ont pu se demander si ce plan a réellement été gravé. II ne figure point, en effet, dans les relevés des cartes et vues concernant le pays de Liège dressés par le capitaine Dejardin et autres, et publiés dans le Bulletin de l'Institut archéologique liégeois. Le plan a pourtant été exécuté; mais à la vérité il est devenu très rare. Nous n'en avons rencontré qu'un exemplaire. Cet exemplaire fait partie de notre collection particulière.

Aujourd'hui qu'on met en discussion la valeur des plans de la cathédrale et de ses environs tracés au XIXe siècle, les seuls qu'on possède, celui que nous signalons, contrôlé par les administrateurs du temps, acquiert d'autant plus d'importance. C'est pourquoi nous avons cru utile d'en donner ici une reproduction aussi fidèle que possible. L'original mesure 69 centimètres de long sur 56 de haut.

T. GOBERT


(1) L'ascendant direct de ce Carron, des prénoms Pierre‑Alexandre « ingénieur mathématicien » a publié un livre intitulé L'Art de bien bâtir. En 1749, la Cité lui accorda, de ce chef une gratification de 100 florins (Recès du Conseil de la Cité, reg. 1748-50. F° 106 et 119. L'année suivante, le même Carron fit paraitre l'ouvrage intitulé: Le Trésor du Commerce, qui lui valut de la Cité une nouvelle subvention de 30 écus (Recès du Conseil. reg. 175o, f° 209 ; reg. 1750-52 f° 13).

Dix ans plus tard, il faisait imprimer le travail intitulé: Architecture touchant la construction des nouvelles cheminées, pour lequel travail la Ville lui accorda une somme de 80 fl. à titre d'encouragement (Recès, reg. 1759-1761, f° 146).  

Il exécuta, en outre, divers plans pour le conseil de la Cité : en 1764 notamment, il copia, sur parchemin, la carte des areines de la Cité (Recès. reg. 1755-1756, f° 132 V°;  reg. 1761-1765, f° 223 v°).

(2) Les diverses pièces citées ici sont extraies des Archives de l'Administration centrale: Liasse Démolition de la cathédrale Saint-Lambert.

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