Un demi siècle nous sépare déjà de l'époque où Liège vit disparaître, par suite des événements politiques son indépendance, ses antiques institutions, ses usages, ses moeurs et un grand nombre de monuments qui rappelaient les plus glorieux souvenirs.
Parmi ces derniers, il en était un qui se dressait au milieu des âges, pour les braver pendant six siècles et dominer les orages politiques, les guerres civiles ou étrangères, les factions presqu'incessantes, qui bouleversèrent ou divisèrent une grande partie de l'Europe.
C'était la vaste et magnifique cathédrale de Saint-Lambert, édifice â jamais célèbre, dont les premiers fondements étaient contemporains de la fondation de la ville, et le berceau d'un puissant état ecclésiastique, à une époque où il n'y avait pas encore de gouvernements réguliers en Europe.
Durant une longue suite de siècles l'Église de Saint-Lambert fut la gloire des Liégeois; elle était un témoignage bien éclatant de leur piété ; c'était l'oeuvre de tous, c'était le monument pour tous, car tous y avaient contribué; le pauvre en prêtant le secours de ses bras, la bourgeoisie, la noblesse, le clergé et le prince par des dons très considérables; pour tous sa construction et son achèvement fut un héritage sacré qu'une génération léguait à celle qui la suivait, héritage toujours recueilli avec enthousiasme, et cultivé avec amour.
Tous les grands intérêts de la patrie, tous les grands souvenirs nationaux venaient se rattacher à Saint-Lambert; c'est dans son enceinte que l'on décidait de la paix ou de la guerre, elle était le point de ralliement aux jours de la détresse; c'est son étendard (1) qui soutenait et exaltait le courage des combattants; lorsque la victoire avait couronné la bravoure des Liégeois, les drapeaux conquis sur l'ennemi flottaient aux galeries intérieures du temple, tandis, que les voûtes retentissaient des solennels cantiques d'actions de grâce d'une multitude remplie d'enthousiasme religieux: Alors tous les coeurs palpitaient des sentiments les plus généreux, des prières ferventes étaient adressées au pied des autels du Dieu des armées pour solliciter de nouvelles bénédictions sur les entreprises difficiles et périlleuses.
L'histoire de l'Église de Saint-Lambert résume presqu'à elle seule, toute l'histoire de la principauté, et l'histoire de son chapitre de chanoines Tréfonciers (2), se trouve aussi intimement liée à celle du pays de Liège.
Ces considérations m'ont engagé à donner la description d'un monument si célèbre par ses souvenirs historiques, et par les curiosités artistiques qu'il renfermait.
Je m'attacherai surtout à décrire l'intérieur. J'ajouterai sous forme d'appendice, quelques détails sur le chapitre des Tréfonciers de cette cathédrale, sur les prérogatives dont ses membres jouissaient, et sur le mode usité pour leur admission.
Quatre bâtisses (3) avaient précédé celle qui fut démolie en 1795. A cette époque il n'y avait point de style, qui n'y eût laissé son empreinte, depuis le roman jusqu'à la transition au gothique, et du gothique à ses âges divers jusqu'à la renaissance.
Ce fut saint Monulphe, vingt-unième évêque de Tongres, qui érigea en 559 ou en 580 (4) une chapelle dédiée aux saints confesseurs Cosme et Damien.
Cet oratoire bâti près d'un petit ruisseau, dit la Légia, et non loin de la Meuse, fut le premier monument chrétien qui présida aux destinées de Liège, qui, selon la prédiction du saint évêque, devait devenir, « un lieu choisi pour le salut d'un grand nombre. » (5).
Au temps de Saint Lambert, ce fut dans cette chapelle des saints Cosme et Damien, qu'il vint déposer le corps de son prédécesseur saint Théodart, (6) qui venait d'être assassiné dans la foret de Bivvalt, victime de son zèle pour la défense des biens de son église, envahie par de puissants Ieudes.
Cette modeste chapelle, déjà sanctifiée par les reliques d'un martyr, devait encore l'être, selon la prédiction de saint Monulphe, par le sang qu'un saint évêque y verserait pour la foi (7). Ce fut dans la personne de saint Lambert, que se vérifia cette prophétie. Comme on le sait, dans la nuit du 17 de septembre 707 (8), Dodo, seigneur d'Avroy, et ses parents mirent à mort Lambert, qui priait au pied de l'autel.
Saint-Hubert, évêque de Tongres, successeur de saint Lambert, transféra le corps de ce dernier de Maestricht à Liège, 709, l'ayant déposé dans la chapelle des saints Cosme et Damien après l'avoir considérablement agrandie, il la dédia à Saint -Lambert (9). Quelques historiens regardent saint Hubert comme le premier évêque de Tongres, qui serait venu se fixer à Liège après y avoir transféré le siège épiscopal. C'est vers cette époque que I’Eglise de Saint-Lambert commença à être desservie par des chanoines dont le nombre fut fixé, par leur fondateur au nombre de vingt (10).
Sous le règne de l'illustre Notger, l'église bâtie par saint Hubert (11) menaçant de s'écrouler, fut démolie et réédifiée sur un plan plus vaste, ce nouvel édifice coûta quarante trois années de travail, on employa pour sa construction la pierre de sable; dès cette époque soixante chanoines menant la vie cénobitique furent logés près de la cathédrale. Ce fut vers l'an 988 (12) que Notger en posa les premiers fondements, l'an 1015, cette Eglise fut consacrée par Baldric II, (13) l'oeuvre du second fondateur de Liège subsistait, depuis deux siècles lorsque suivant les prédictions de saint Bernard, et surtout de Lambert le Bègue, ce temple fut consumé par un incendie dans la nuit du 26 avril 1183 ou 1185 (14) sous le règne de Radulphe, duc de Zéringhen. Le maître autel et la châsse de saint Lambert échappèrent seuls à la ruine de tant de richesses (15). Le feu ayant duré 13 jours, pendant lesquels il dévora l'église des onze mille Vierges, le palais du Prince-Evêque, et la belle collégiale de saint Pierre, (16) on se mit de nouveau à l'oeuvre avec cette ardeur digne des premiers temps du christianisme, et l'on construisit la cathédrale de Saint-Lambert (17) telle qu'elle a subsisté jusqu'à la fin du 18e siècle; soixante sept ans suffirent à peine pour construire ce magnifique temple.
En 1794, le vandalisme révolutionnaire en décréta la démolition. On crut un moment qu'il ne serait point donné suite à ce décret, mais ce n'était qu'un vain espoir: si la démolition en fut différée quelque temps ce ne fut que pour être entreprise avec plus d'activité; et le plus beau monument de la vieille cité, ainsi que ses innombrables richesses, disparurent pour toujours!
L'étendue de terrain que la cathédrale et ses dépendances occupaient était de plus de six cents pieds (18) dans sa plus grande longueur, et d'environ trois cent douze dans sa plus grande largeur.
L'extérieur de l'édifice offrait un coup d'oeil peu flatteur, car de nombreux bâtiments et de vieilles constructions étaient groupés au pied de la vénérable basilique, ce qui lui enlevait cet aspect imposant qu'elle eut offert si elle avait été située sur une grande place. Ce désavantage qu'avait l'extérieur de la cathédrale de Saint-Lambert était en partie le résultat d'une croyance qu'avait l'homme du moyen-âge, qu'il ne pouvait trouver un abri plus sûr et plus consolant qu'à l'ombre de la demeure, ou son Dieu avait daigné fixer sa résidence sur la terre!
On pouvait avoir accès dans la cathédrale par dix entrées différentes: deux seulement étaient à l'usage du peuple, et se trouvaient sous des porches profonds et à plein cintre, à droite et à gauche de l'église. Vu du côté du porche qui se trouvait à gauche et vis-à-vis de l'entrée du palais du Prince-Evêque (19), l'édifice avait la forme d'une croix patriarcale, au pied de laquelle s'élevaient deux énormes, tours carrées de sable, terminées en plate-forme et surmontées d'une balustrade et de quatre-feuilles encadrées. Ces tours n'avaient pas été achevées selon le plan primitif, qui voulait appuyer sur ces massives bases des flèches aériennes, qui n'eussent pas peu contribué à en faire des pyramides aiguës, vrais chefs-d'oeuvre de l'architecture ogivale. Au pied de la tour de gauche, s'étendait en carré long tronqué, la chapelle de Saint-Materne, premier évêque de Tongres, disciple de l'apôtre Saint-Pierre; cette chapelle offrait deux fenêtres à triples lancettes, de hauteur égale, et surmontées de trois oeils-de-boeuf; à côté de cette chapelle et vis-à-vis de l'entrée du palais, se trouvait le petit portail (20), formé dans un bras du premier transept; ce portail, large à sa plus grande ouverture de soixante-six pieds n'en avait à son extrémité que vingt-cinq, et aboutissait à l'église par six marches. On devait à l'habile ciseau de Lambert Zutman ou Suavius, plusieurs des grandes statues de saints, qui étaient en pierre de sable, et qui ornaient les voussures de ce porche; c'étaient les plus anciennes, mais les plus remarquables par la finesse de leur exécution, leurs poses pleines de naturel et de grâce. Les autres statues qui n'étaient pas de Zutman étaient des ouvrages d'un mérite médiocre du 17e et du commencement du 18e siècles. Mais la sculpture des dais, des tabernacles, des aiguilles, des guirlandes et des crosses végétales qui accompagnaient les statues était d'un goût exquis et digne d'une oeuvre d'orfèvrerie.
Au-dessus portail et dans la partie supérieure du transept, était un grand vitrail ayant la forme d'une rose épanouie, c'était un présent qu'avait fait au treizième siècle le tréfoncier Gérard de Luxembourg, seigneur de Bierset (21). Ce grand vitrail comportait plusieurs compartiments dans lesquels dominaient des trèfles, des quintefeuilles et des rosaces; ce ne fut qu'au seizième siècle, que Jean de Cologne peignit sur les vitraux de cette rose quelques scènes de l'Écriture Sainte, mais qui étaient assez détériorées au siècle dernier. Les côtés extérieurs de la grande nef, étaient soutenus par de lourds et disgracieux arcs-boutants, à doubles arcs superposés; les nefs latérales étaient éclairées par des fenêtres de style ogival, secondaire ou rayonnant, à plusieurs meneaux; leur partie supérieure, entre les archivoltes et l'ogive majeure était composée de figures en roses ou en trèfles de vitraux peints. Ces nef étaient soutenues par des contreforts peu saillants, au-dessus desquels régnait, comme au-dessus des nefs, une galerie ou balustrade formée de quatre-feuilles en style ogival rayonnant. La grande nef était éclairée par de triples lancettes encadrées dans un arc à cintre plein, et d'une grande simplicité; ce qui pouvait, donner à penser que cette partie de l'édifice, qui sous ce rapport était de l'ogival lancéolé, fut construite antérieurement aux côtés latéraux. Au-dessus de ces fenêtres à lancettes s'étendait une balustrade en bronze, maintenue par des piliers carrés, au-dessous desquels régnait une corniche ayant pour ornement des arcades en ogives se terminant sur des corbeaux. A la naissance du grand transept se trouvait une tour ronde dite la tour de Babylone: elle était en pierre et servait de loge à l'escalier qui conduisait aux combles du temple. Au pied de cette tour venait aboutir un escalier dérobé, long d'environ 125 pieds, fait en forme de galerie voutée, qui communiquait au palais du prince; c'est par là que ce dernier se rendait à couvert, dans la cathédrale, en passant au-dessus de la rue des onze mille Vierges; à côté de cet escalier se trouvait le transept de droite, soutenu par d'énormes contreforts; une fenêtre était simulée sur les murs; à sa forme on eût pu croire, qu'elle se rapprochait du style ogival secondaire; trois fenêtres non achevées, à lancettes géminées ou trilobées étaient immédiatement sous les combles, sur le faîtage desquelles était une découpure formant une crête, qui donnait de la légèreté et de la grâce à l'ensemble du toit. A partir du transept, commençait l'hémicycle du choeur, orné de chaque côté de trois fenêtres de style ogival rayonnant, ces fenêtres ornées de vitraux peints, étaient partagées en croix, par des meneaux en pierre: elles aboutissaient au grand vitrail dit la Grande Rose, qui formait le fond de l'autel de Saint-Lambert. Ce grand vitrail, dont la majeure partie comportait le style ogival secondaire, était remarquable par la raison que son entier achèvement offrait les caractères des formes prismatiques du style tertiaire; sa base était flanquée d'une balustrade de trèfles encadrés; au-dessus de cette balustrade se dressaient quatre fenêtres de style rayonnant, surmontées à leur tour par une magnifique rose en style flamboyant, et de plusieurs autres dessins, dénotant la réintroduction de l'architecture gréco-romaine, au-dessus des grands arcs boutants qui soutenaient les murs du choeur, s'étendaient des cloîtres en carrés longs d'environ cent soixante-six pieds; les issues de ces cloîtres dit côté du grand marché étaient deux portes situées sous des arcs en ogives (22) bâties en pierres de sable, les voussures des ogives étaient ornées de plusieurs bas-reliefs dont la plupart représentaient des guirlandes, des couronnes, et des feuilles épanouies; chacune de ces ogives était surmontée d'un fronton pyramidal évidé à jour et se terminant par une croix festonnée.
Au pied des deux arceaux s'étendaient les fameux degrés, ou escaliers de Saint-Lambert.
On sait combien ces degrés ont laissé de souvenirs dans l’histoire; ils étaient un lieu d'asile, le criminel qui se réfugiait trouvait à la porte du temple du Seigneur, un abri contre les rigueurs de la justice humaine. II faut remonter jusqu'au commencement du treizième siècle, et peut-être encore à une époque antérieure pour connaître l'origine d'une franchise aussi étendue.
Plusieurs émeutes populaires qui prirent naissance d'une manière si tumultueuse à l'Hôtel-de-Ville, vinrent à quelques pas plus loin expirer au pied des degrés de Saint-Lambert: Tant il est vrai, que celui de qui dépend la destinée des empires, tient tous les coeurs entre ses mains; selon son gré il dirige leurs passions et avec la même facilité qu'il leur a lâché la bride, il sait leur mettre un frein.
La partie du côté droit de l'Église, offrait la même architecture que celle que nous avons décrite comme faisant face au palais du Prince, cependant l'extrémité du transept de droite était terminée par une troisième tour, beaucoup plus haute que les deux premières, surmontée d'une flèche octogone en bois, flanquée de quatre clochetons, d'une exécution tellement habile que ce chef-d'oeuvre d'architecture ogivale secondaire, d'une immense élévation, ne nuisait en rien à la solidité de la charpente, qui la portait comme suspendue au-dessus des voûtes.
Cette tour était d'une exécution beaucoup plus récente que le reste de l'édifice; elle avait été commencée l’an 1392 sous le règne de Jean de Bavière, et ne pût être achevée que sous celui de Jean de Heinsberg; au pied de cette tour s'étendait une rue appelée rue sous la Petite-Tour. Au delà de cette rue se prolongeait un carré de cent soixante pieds de longueur sur cent vingt de largeur; cet espace était occupé par les logements des choristes, de quelques bénéficiers et enfin par l’Eglise et le cimetière de Notre-Dame-aux-Fonts.
Au Sud-Ouest de l'Eglise de Notre-Dame-aux-Fonts étaient seize grands escaliers conduisant au porche de la partie de droite de Saint-Lambert, il était situé en face de celui qui donnait vis-à-vis du palais du Prince; à gauche de ce porche, s'étendaient jusque sur la Place-Verte, les bâtiments dits les grandes compteries de St-Lambert, ou bureau des finances, des secrétaires, des généalogistes et des paléographes du chapitre. (23).
La façade de la cathédrale du côté de la Place-Verte, présentait une étendue d'un peu plus de trois cents pieds; le plus grand espace de ces constructions composait la partie de droite de la rue dite des Mauvais-Chevaux, large seulement de douze à treize pieds.
Le beau portail occupait le milieu de la Place-Verte, ce portail célèbre avait un porche de style ogival primaire, l'arc ogival avait à sa base vingt cinq pieds de large; quatre escaliers conduisaient à un palier de seize pieds de longueur; quatre autres escaliers terminaient le palier, en donnant entrée dans les cloîtres, par deux portes, placées comme d'ordinaire entre le pilier symbolique.
Deux chanoines, Bouchard et Guillaume, avaient donné les dessins de ce chef-d'oeuvre, vers la fin du 13e siècle. L'histoire rapporte que ces deux chanoines jouissaient d'une grande réputation de bons architectes et d'hommes propres à régir la principauté, où l'un et l'autre faillirent être appelés, après la mort de Jean d'Enghien (24).
Ce portail avait sans doute été la partie privilégiée des architectes et des sculpteurs. Assombri à sa base par de noirs et profonds renfoncements, ses voussures devenaient plus légères à mesure qu'elles s'éloignaient du sol, de hauts et bas reliefs en pierre de sable et en marbre blanc avaient été mis en usage pour représenter selon les lois de la hiérarchie les bienfaiteurs et les protecteurs de l'Eglise de Liège.
Au-dessus de ces reliefs s'étageait avec une symétrie pleine de bon goût une profusion de statues, d'anges, d'archanges, de patriarches, de prophètes, de martyrs, de confesseurs de la foi, et de saints pontifes qui en furent les gardiens; toutes ces statues étaient surmontées d'une abondance de dais, de pinacles, d'aiguilles, de mille rinceaux aux dessins fantastiques et de fines ciselures simulant des broderies et des dentelles qui flottaient aux souffles des vents.
Enfin c'était le triomphe des lignes verticales qui tendent toujours à s'élancer, toutes les parties de ce portail chef-d'oeuvre de l'art, paraissaient être symboliques, c'étaient les emblèmes des voeux et des prières des fidèles vers leur divin auteur, c'était une allégorie continue de l'Eglise militante.
Ce portail, qu'on appelait quelquefois le grand portail, quoiqu'en réalité il avait des proportions bien moins larges que celles des portails latéraux, méritait le nom de beau portail; il ne s'ouvrait que très rarement (25).
Les Tréfonciers avaient à gauche une entrée privée.
Après avoir dépassé le portail, on se trouvait dans un cloître voûté, fait en forme de fer à cheval, qui entourait un cimetière. Ce cloitre avait deux cent trente pieds de long sur vingt de large, les côtés latéraux avaient environ cent et dix pieds.
Dans la partie du grand cloître, du côté de la rue des MauvaisChevaux, il y avait à gauche, six grands salons, où se trouvaient les bureaux des domaines de la cathédrale. L'importance des, revenus exigeait d'aussi vastes locaux. Deux autres salons servaient de vestiaires aux Tréfonciers. Le premier de ces vestiaires avait au-dessus d'une porte, donnant dans le cloître, un grand vitrail peint, représentant le Prince-Évêque Jean de Heinsberg, mort en 1455. Il y était représenté à genoux, armé de toutes pièces, son casque à terre et sa mitre sur son prie-dieu (26).
Le dernier de ces grands salons était séparé d'une cour ou préau par une issue qui aboutissait dans la rue des MauvaisChevaux, Cette entrée était réservée aux personnes qui fréquentaient les classes de saint Lambert.
L'aile gauche des cloîtres était occupée par une chapelle dite du jubilé: quinze chanoines dits de la confraternité de saint Luc, la desservaient. (27) L'étendue de cette chapelle était de quarante cinq pieds de long sur trente cinq de large; parmi un grand nombre de riches sépultures qui ornaient les parois, on distinguait ceux des barons de Minekwitz et de Schwycker, ces cieux mausolées placés aux côtés de l'autel, étaient l'oeuvre d'un sculpteur allemand. Ils se composaient de sarcophages à l'antique, ornés de jambages, de frises et de plusieurs figures d'une grande beauté. On ne pouvait s'empêcher d'admirer ces beaux morceaux à cause de leur extrême perfection, vu que le sculpteur avait travaillé avec tout le soin possible plusieurs parties qui restaient couvertes par d'autres, de reliefs entiers, et où il paraissait presqu'impossible d'y introduire le ciseau. (28)
Selon les quelques renseignements qui nous sont parvenus touchant l'autel de cette chapelle on est autorisé à croire qu'il était formé par un haut et bas retable en bois sculpté, on ignore quels étaient les sujets représentés dans le bas retable; ou antependium, mais pour le haut retable on devait payer un tribut déloges au sculpteur inconnu qui avait retracé toutes les scènes de la passion de N.-S. par des figurines en haut relief pleines d'expression de vérité, rehaussées par des embellissements gothiques sur lesquels étaient prodigués l'or bruni et le bleu d'outremer. Ce retable était encore probablement un bijou de la sculpture gothique avec sa végétation luxuriante, ses dentelles légères et toutes ses décorations aériennes.
La chapelle du Jubilé de même que le jardin qui la joignait étaient des dépendances des classes de St-Lambert, ces dernières s'étendaient à l'est jusqu'aux neuf marches, qui donnaient entrée dans la cathédrale. Dans ces classes Notger avait placé la bibliothèque qu'il avait composée sous la direction du célèbre Wazon (29).
C'est en fréquentant ces classes que se formèrent cette quantité de princes, d'évêques, d'archevêques, de cardinaux, et même des papes! Presque tous les tréfonciers qui composèrent le chapitre de St-Lambert pendant tant de siècles en avaient suivi les cours et parmi ces derniers on y vit dans une seule époque plusieurs fils de hauts barons, vingt neuf comtes, vingt quatre ducs et neufs fils de rois!
Toute la splendeur dont brillèrent ces classes rejaillit sur l'illustre Notger; c'est grâce à la constante sollicitude de ce second fondateur de Liège, que cette ville au siècle des Étienne IX, et des Sigebert de Gemblours, mérita d'être appelée la fontaine de sapience de l'Europe (30).
Chose bien remarquable! Lors des terreurs qu'inspirait l'approche du millésime, à cette époque de bouleversement social qui semblait tout emporter avec lui, il se trouvait sur le siège épiscopal de Liège un homme d'avenir qui ne désespérait pas de la société, alors qu'elle désespérait d'elle-même, et qui conservait aux Liégeois leurs archives, leurs trésors littéraires. Cet homme était Notger dont les lumières ne séparaient point la science, de la religion, la fille, de la mère !
En parcourant la partie droite des cloitres on trouvait onze appartements, ou bureaux des compteries de St-Lambert ainsi que les logements des receveurs. Ces constructions se terminaient à l'est par la grande chapelle dite des Flamands qui avait plus de quatre vingt pieds de long sur vingt-cinq de large.
Cette chapelle était spécialement affectée à l'usage des personnes flamandes qui habitaient Liège, et pouvaient y trouver des confesseurs et des prédicateurs flamands.
On y distinguait avec plaisir les belles sculptures qui ornaient l'autel, les stalles, les confessionnaux et le jubé, on y admirait aussi le beau tableau de Ste Cécile, par BertholetFlémal (31).
Cet ouvrage se rapprochait beaucoup du dessin de la grande école d'Italie, il était d'un haut style, brillant des plus riches idées, les attitudes y étaient nobles, les expressions fortes et vraies; c'était un présent fait par Lambert Pietkyn, chanoine de St-Materne, qui durant trente quatre ans dirigea la musique de la cathédrale. La même chapelle renfermait un tableau de la vierge avec l'enfant Jésus: dit La vierge au contours gracieux par Simon Jacques Damery. (32)
Non loin de ce tableau en était un autre représentant Ste-Suzanne, attribué à Karle de Moore, ce peintre avait su faire concourir son exécution avec la grâce du sujet; son pinceau large, sa couleur brillante, mais d'une douceur de ton qui produisait une agréable harmonie, cette superbe production surmontait le tombeau en marbre blanc de Suzanne van Ertweich; ce tombeau sculpté en Hollande représentait la Ste Vierge dans l'attitude d'adorer l'enfant Jésus, derrière elle on voyait St-Joseph, dans une corniche inférieure étaient sculpté en haut relief dix Séraphins, toutes ces figures et leurs accessoires étaient travaillés avec grand soin, le visage de la Vierge rempli de dévotion, et les mains étaient si délicates qu'elles faisaient oublier la matière dont elles étaient composées.
L'autel orné de quatre colonnes en marbre carystien ou cipollin, d'une très belle stratification, les bases et les chapiteaux de ces colonnes étaient en bronze doré. Les piédestaux, l'entablement et le fronton en porphyre vert, au milieu du fronton un groupe de marbre blanc représentait Ste Cécile et les saints Valérien et Tiburce. Cette sculpture ouvrage du seizième siècle offrait un médiocre intérêt.
Le tableau de cet autel était de Jean Walescart, il représentait l'Assomption de la Vierge, cette oeuvre séduisait par le beau fini, le bel empâtement des couleurs, adouci par une touche délicate, moelleuse et accusée à propos.
Dans la petite sacristie située derrière cette chapelle, on conservait de très beaux morceaux d'orfèvrerie et de ciselure dûs en partie à la piété des musiciens employés à la cathédrale ou à la munificence des Evêques suffragants, des princes, qui administraient souvent le sacrement de confirmation dans cette chapelle, entre autres présents faits par les Evêques de Dionisie et de Porphyre on remarquait plusieurs plats et grandes soucoupes en vermeil à dessins en repoussé, un très beau christ en ivoire posé sur une croix en albâtre fleuri, ornée de médaillons renfermant une quantité de pierres précieuses, c'était un morceau d'une grande valeur où la matière quoique très riche avait été surpassée par l'ouvrage; ce christ avait appartenu au pape Innocent XII. On remarquait avec non moins d'intérêt quatre vases de forme très élégante, ils étaient en vermeil, et posés sur des tripodes en albâtre et bronze doré, ces vases étaient incrustés de jaspe sanguin, d'améthystes et de camées (33).
En sortant de la chapelle des flamands, on rencontrait une autre chapelle à droite qui était beaucoup plus petite, elle était au-dessus de douze grandes marches de l'escalier qui donnaient accès dans la cathédrale.
Ce petit oratoire était orné d'un autel en marbre noir avec des médaillons en marbre blanc sur lesquels étaient sculptés des symboles du christianisme tels que le monogramme, la vigne, l'Arche de Noé , la colombe, l'ancre etc., trois parois de cette chapelle étaient recouverts par des tapisseries en Gobelins, on croit que les dessins qui y étaient représentés avaient rapport à la vie de St Berthin de St-Omer, ses hautes lisses étaient ornées de bordures en encadrement représentant en monochromate des paysages. (34) La quatrième paroi à droite en entrant, n'était pas recouvert d'une tapisserie mais bien d'une grande table de marbre dans laquelle étaient incrustées deux lames de cuivre donnant les dimensions l'une du pied dit de St-Lambert, l'autre du pied de St Hubert mesures jadis usitées à Liège (35). En descendant le grand escalier cité plus haut, on entrait dans l'Église, par un portail à doubles portes: en dépassant ces portes on était frappé de l’élévation de la voûte de la grande nef, et des proportions gigantesques de l'édifice qui s'offrait aux regards.
Mais pour découvrir toutes ces merveilles dans leurs beauté, il fallait procéder avec ordre et entrer dans le vieux choeur, dédié aux saints confesseurs Cosme et Damien; cette partie, la plus ancienne de la cathédrale, était renfermée entre les deux tours carrées de sable dont il a été fait mention plus haut. Ce vieux choeur avait la forme d'un carré, occupant un espace de cinquante pieds de long sur autant de large, une grille en bronze l'entourait à l'est; après avoir franchi ce grillage, on se trouvait derrière l'autel, faisant face au grand autel du nouveau choeur, qui était à une distance de plus de deux cent soixante quinze pieds.
Quatre portes en bronze doré, établies entre des piliers en marbres du pays, étaient autant d'issues pour pénétrer dans l'intérieur du vieux choeur, dont l'architecture était digne de remarque. L'autel entouré de trois côtés par huit piliers cintrés, très massifs et dont le caractère primitif devait avoir été le byzantin; ils ne s'élevaient qu'à la hauteur de vingt à vingt-cinq pieds. Dans ces piliers venaient s'emboîter des faisceaux de colonnettes ornées de volutes triangulaires, dont les extrémités se relevaient en crochets. Ces colonnettes formaient une galerie très haute et voûtée à nervures croisées. Au-dessus de cette galerie régnait une double rangée de huit fenêtres trilobées, à orifices évasés.
Entre ces fenêtres, dans le fond du choeur et en face de l'autel, était une grande verrière en forme de rose, sur les vitraux de laquelle étaient peints plusieurs traits de la vie de Saint-Lambert; si ces peintures laissaient à désirer sous le rapport du dessin elles étaient remarquables par la vivacité le leurs couleurs; l'exécution de cette rose qui était du style gothique flamboyant ne datait que du dix-septième siècle; elle avait remplacé un autre vitrail qui était du style lancéolé et dont l'origine était très ancienne, c'est cette rose qui fut détruite en 1606 par suite d'un violent orage (36).
La voute, dans les derniers temps, avait perdu de la beauté de son style primitif, par la maladroite restauration que l'on y avait faite, en y répandant des culs de lampe en quinte feuilles.
Il était facile de voir par l'architecture primitivement employée pour la construction de cette chapelle, que cette dernière remontait à une très haute antiquité; antiquité dont malheureusement on n'avait pas su comprendre le mérite durant les siècles derniers.
Les sculptures du jubé et surtout celles qui décoraient les orgues semblaient être un défi jeté par l'architecture gothique à l'imagination la plus poétique, c'était un luxe de hardiesse, de bizarrerie, d'abondance et de délicatesse, la partie inférieure de ces orgues se terminait par un triple cul-de-lampe, leur partie supérieure était couronnée par une tourelle gothique surmontée de la statue de Saint-Lambert, deux autres tourelles également en bois et de style gothique flanquaient les côtés des orgues, chacune de ces tourelles portait ou la statue du roi David ou celle de Sainte Cécile; le centre de ces deux dernières tourelles était occupé par des groupes d'anges, qui jouaient des timbales ou sonnaient de la trompette. C'était sans doute pour faire illusion à ces paroles du psaume 150: Laudate eum in sono tubae.
D'énormes panneaux ornés de peintures en grisailles sur fonds d'or enfermaient ce bel instrument composé de trois claviers à plusieurs octaves et de quarante cinq jeux.
L'exécution première de ces orgues datait de la fin du seizième siècle; on croit qu'elles furent commencées par Jean Guioz ancien maitre de la chapelle de l'empereur Ferdinand 1er, qui habitait Liège. Elles furent considérablement augmentées au dix-septième siècle par Henri Jamar, et enfin vers le milieu du siècle dernier par plusieurs organistes distingués par leurs talents (37).
Les stalles des Tréfonciers placées droite et à gauche de l'autel, dans des espèces de nefs ou de faux absides formés par les piliers, étaient dignes d'attention par les facéties goguenardes qui y étaient représentées, c'étaient des types capricieux d'un style ogival corrompu.
L'autel était placé sur le lieu même où Saint-Lambert avait versé son sang pour l'accomplissement de ses devoirs d'Evêque, il était d'ordre composite, décoré de colonnes en marbre d'Italie, qui enchâssaient la grande table de marbre de Carrare, où Delcour s'était surpassé, en sculptant le martyre de Saint-Lambert. (38).
Du côté gauche de l'autel et contre le second pilier était la chaire de vérité.
Cette chaire de vérité espèce d'ambon, était dénuée d'abat voix. Elle était en pierre, et dénotait par sa structure une haute antiquité. Huit piliers de forme torse la soutenaient, elle était carrée et avait pour tout ornement sur chaque paroi sept à huit renfoncements en ogives; dans chacun étaient des statues fort mutilées en pierre. Un escalier aussi en pierre donnait accès dans cette chaire.
Si l'on s'en rapporte à la chronique, deux fois cette chaire de vérité avait été témoin de l'éloquence de Saint Bernard. La première fois le 18 de mars l'an 1134 lorsque ce saint religieux, dont les paroles exerçaient une si grande puissance sur les dépositaires du pouvoir, vint à Liège pour y faire l'ouverture d'un concile, par un beau discours en Langue romane. (39)
C'est du haut de cette chaire qu’en présence du Pape Innocent II, de l'empereur Lothaire Il, de sa femme Richilde, et d'une quantité de cardinaux, de princes, d'évêques et de personnages marquants de l'époque qu'il prononça la bulle qui rétablissait Otton, Evêque d'Alberstat, y excommuniait l'antipape Anaclet II, et exhorta l'empereur à se désister du droit des investitures. (40)
Seize ans plus tard le Saint Abbé de Clervaux serait revenu à Liège, et cette fois dans une exhortation véhémente et persuasive, il aurait démontré l'urgence qu'il y avait à mettre un frein au luxe et à la volupté qui désolaient son siècle, et la nécessité pour les chrétiens d'unir une seconde fois leurs armes contre les Turcs (41).
Si saint Bernard fit entendre sa puissante parole du haut de cette chaire, il est bien probable que cette même chaire servit au vénérable Lambert le Bègue, lorsqu'étant venu en 1181, et s'érigeant en appui, en vengeur de la Religion, il s'éleva contre les turpitudes de l'époque, c'est alors que prévoyant un avenir malheureux pour la Cathédrale qui allait être punie à cause des crimes des chefs qui gouvernaient la principauté, il s'écria: Hélas! Hélas le jour approche où les porcs viendront fouir ici la terre, et que ce lieu consacré à l'honneur des Saints, sera livré aux insultes des animaux immondes (42).
Cette prédiction comme on le sait ne tarda pas à se vérifier, puisque dans la nuit du 26 avril 1185, le feu se déclara dans la cathédrale et la réduisit presque entièrement en cendres.
Déjà à cette époque la cathédrale de Saint-Lambert renfermait de nombreuses richesses, Gilles d’Orval (43) s'écrie en parlant de cet incendie.
« Oh qui pourrait retenir ses larmes et comprimer sa douleur en présence de ta ruine, noble et illustre maison! Mais le souffle de la colère divine a passé sur toi... voilà tes cloches sonores tombées avec fracas et brisées sur les dalles du temple; tes marbres sont mis en pièces; de ta belle couronne qui se balançait mollement au milieu de la grand nef, il n'existe plus que d'informes débris; tes saints autels sont démolis; tes peintures, où l'on voyait en action les plus belles histoires du vieux et du nouveau testament, sont entièrement détruites; les trésors de ta riche librairie ont disparu ... Oh! Qui pourrait retenir ses larmes et comprimer sa douleur, en présence de ta ruine, noble et illustre maison! ...
Avant de sortir de l'enceinte du vieux choeur on devait remarquer derrière les stalles des tréfonciers, à droite et à gauche, deux petites portes sous des arcs à pleins cintres derrière chacune de ces portes étaient des escaliers aboutissant au sommet de chaque tour de sable. (44) Dans la tour située du côté droit il n'y avait point de cloches mais aux murs intérieurs étaient fixés des espèces de grands râteaux garnis de dents en fer entre lesquelles on tendait de grosses cercles ou câbles qui servaient à mettre en branle les cloches de la grande tour.
Des caves étaient pratiquées dessous cette tour, elles servaient d'atelier et de magasin aux artificiers de la cathédrale, (45) c'est là qu'étaient, déposés des transparants, des échafaudages servant aux jours de fêtes pour illuminer de lampions toute la cathédrale et ses dépendances, il y avait aussi de grandes caisses en bois faites en guise de bibliothèque et sur les rayons desquelles on posait un grand nombre de petites bougies allumées, alors ces caisses étant posées durant la nuit de Noël à l'extérieur des fenêtres à vitraux peints, qui ornaient le nouveau choeur, produisaient le spectacle le plus magique. Les quelques personnes qui ont assisté à la messe de minuit qui se disait le 25 décembre de chaque année à la Cathédrale se rappellent encore aujourd'hui avec bonheur l'admirable coup-d'oeil qu'offraient ces vitraux à la lueur de ces milliers de bougies; C'est surtout dans ce moment qu'on eut cru que les peintres avaient délayé le rubis, l'émeraude, le lapis, la topaze et toutes les autres pierres précieuses.
La tour du côté gauche n'était pas non plus occupée par des cloches de métal mais bien par des cloches de bois; l'existence de ces cloches était presqu'une spécialité unique pour l'église de Liège. On ne se servait que rarement de ces cloches et particulièrement aux offices qui avaient lieu chaque année pendant les trois derniers jours de la semaine sainte.
II est peu probable que ces cloches de bois qui subsistèrent jusqu'en 1795, ou plutôt leurs devancières eussent été mises en usage à Liège antérieurement aux cloches de métal, vu que ces dernières étaient généralement connues en Europe dès le sixième siècle. (46) Il est bien probable que ces cloches de bois ne furent jamais à Liège qu'un supplément à la crécelle dont on se sert aujourd'hui encore durant certain temps de pénitence.
Ces cloches ou plus tôt les machines qu'on désignait sous ce nom, se composaient d'une grosse barre de fer dont les deux bouts étaient ancrés dans les murs; sur cette barre étaient fixées dans leur partie centrale et à l'aide de charnières quinze à vingt grandes planches sur l'extrémité de chacune desquelles tombait en lourdes coupetées un gros martinet de bois garni de fer. Dès que ce martinet avait frappé une de ces planches celle-ci en perdant son équilibre tombait sur un martinet plus petit que le précédent qui, à son tour, frappait deux petites planches disposées de la même manière que celles dont il a été fait mention plus haut, de façon que par cette double chute, le premier son était rendu en cadence mais avec moins de force. D'autres cloches étaient composées de deux barres de fer d'égale dimension et fixées horizontalement l'une au-dessus de l'autre, la barre supérieure avait à son extrémité un battant en fer suspendu à une chaîne de métal. La barre inférieure soutenait plusieurs grands disques formés par des planches cerclées de fer, à la partie externe de ces cercles étaient attachées plusieurs petites chaînes en fer auxquelles se trouvaient suspendues une quantité de planchettes.
Pour faire jouer ces cloches on levait le battant de fer de la première barre, et on le laissait retomber sur les disques de la barre inférieure, ces disques et les planchettes qui les garnissaient s'entrechoquaient et rendaient un son qui sans être harmonieux n'en était pas moins bruyant. (47)
Tel était le mécanisme de ces cloches; on devait user de beaucoup de prudence pour les faire mouvoir, elles ébranlaient presque toujours par leur jeu violent la solide charpente qui les soutenait (48)
C'est sous cette tour qu'était pratiquée la fameuse cache où furent recélées si longtemps les archives de la cathédrale du chapitre, une partie de celles du tribunal des échevins et de l'officialité.
De tout temps à Liège, on a su l'existence de ce célèbre Chartrier mais sans en connaître la localité, de cette ignorance la curiosité avait fait naître une foule de suppositions qui ne cessèrent qu'à l'époque de son entière découverte lors de la seconde invasion des armées de la république française en 1794. C'est par la circonstance suivante qu'on apprit l'endroit où se trouvait ce souterrain; des enfants en jouant dans les ruines de la cathédrale, en brumaire an III, (novembre 1795) découvrirent par hasard l'entrée d'une trappe à ressort artistement faite, elle couvrait un caveau qui avait échappé jusqu'a cette époque aux recherches minutieuses de l'administration française. Aussitôt que cette dernière eut connaissance de cette découverte elle se hâta d'en faire retirer tous les objets et manuscrits qui s'y trouvaient.
II est bien difficile et même presqu'impossible de préciser quels furent les documents historiques trouvés dans cette cache; on sait seulement que les tréfonciers lorsqu'ils émigrèrent en juillet 1794 emportèrent en Allemagne, dans les villes d'Erfurth et de Hambourg, une partie considérable des archives du Chapitre et de la cathédrale.
Il est cependant notoire que plusieurs manuscrits furent saisis par l'administration française, il semble que parmi ces derniers quelques-uns étaient propres à jeter un grand jour sur l'histoire du pays de Liège et l'accroissement de sa Principauté théocratique.
Il devait y avoir plusieurs chartres, diplômes et bulles; parmi ces dernières il parait qu'on remarquait la bulle et l'exemplaire des décisions du concile de Trente, signées par le pape Pie IV, et envoyé par ce pontife en 1565 au chapitre, au nombre des diplômes et chartres il s'en trouvait qui remontaient au dixième et onzième siècles émanant des empereurs d'Allemagne Othon 1er II et Ill, et de Henri Ill. C'étaient des monuments authentiques qui confirmaient et augmentaient les donations que plusieurs monarques avaient faites aux Évêques. C'était comme l'a dit un célèbre jurisconsulte (49), la source d'où découlait cette autorité du Prince-Evêque, autorité qui n'était plus bornée à certains régaux, mais une véritable souveraineté.
L'existence de ces diplômes était empreinte du grand et fort génie de Notger.
Le grand prévôt, le grand chancelier, le grand mayeur, deux échevins et le grand officinal connaissaient seuls la cache des archives. Il arrivait plusieurs fois pendant l'année, qu'on était obligé de recourir aux documents historiques renfermés dans ce souterrain, alors deux des six personnes citées plus haut comme connaissant la localité, se rendaient la nuit dans la cathédrale avec un ou deux scribes ou paléographes, et après avoir bandé les yeux à ces derniers ils les faisaient descendre dans cette cache où, les ayant rendus à la lumière ils extrayaient des pièces authentiques les fragments dont on avait besoin, leur tache remplie on les privait de nouveau de la lumière et on ne leur ôtait le bandeau qu'on leur avait mis sur les eux, que lorsqu'ils étaient arrivés dans les cloitres. Cette extrême prudence dont on usa jusqu'en 1794, pour laisser ignorer l'endroit qui recélait tant de trésors historiques, fut telle, qu'au moment de la découverte de cette cache par l'administration française, les deux paléographes de la cathédrale qui avaient souvent passé des nuits à écrire, dans ce souterrain ignoraient l'endroit de la cathédrale où il était pratiqué. (50)
Ce souterrain fut primitivement une crypte, espèce de confession où avaient été déposées les reliques de saint Lambert. II avait environ quarante pieds de longueur, se prolongeait sous le vieux choeur, mais à une grande profondeur du sol de ce dernier, car entre ce sol et le sommet de la voûte du souterrain on avait inhumé un nombre très considérable de personnages marquants.
Parmi la foule solitaire des grands vassaux de la mort, qui peuplaient ce lieu, on voyait les tombes de plusieurs Princes-Évêques, qui avaient voulu faire reposer leurs cendres à l'ombre de celles de leur saint prédécesseur. Sous une pierre tumulaire placée au pied de l'autel était l'endroit où en 1106, l'évêque Olbert Margrave de Brandebourg, avait inhumé le corps de l'infortuné empereur d'Allemagne Henri IV, prince malheureux, aux cendres duquel il ne fut pas même permis de trouver un repos dans la terre d'exil (51).
Enfin dans toute la principauté il n'y avait pas de coin de terre aussi historique que n'était l'enceinte de ce vieux choeur. Durant des siècles cet endroit fut consacré par la religion et l'histoire. C'est là qu'avait été plantée la première croix, et que furent essuyées les premières larmes au nom du Christ, là aussi fut cimentée la foi catholique par le sang des martyrs, et c'est à l'ombre des tombeaux de ces derniers que s'accrut et prospéra Liège.
Que de vieux et nobles souvenirs étaient adhérents à cette enceinte primitive de la cathédrale.
Confesseurs de la foi, Pères de l'église, Papes, Empereurs, Rois Impératrices, Reines, Cardinaux, Archevêques, Evêques, Maires du palais, Ducs, puissants Leudes, Tréfonciers, et Mambourgs de Liège, Chevaliers Teutoniques et du Temple, Enfants du Carmel, filles du Calvaire, Pèlerins venant de Jérusalem, Croisés partant pour la Terre Sainte, Nobles, Bourgeois, heureux de ce monde, hommes dans le malheur, tous avaient foulé à ce sol et s'y étaient prosternés, en implorant l'intercession de saint Lambert et de ses saints compagnons auprès du Dieu des armées et de la paix. Dans ce lieu où nos aïeux avaient prié, il y avait comme une chaîne sacrée entre eux et nous, c'était toute une magnificence de souvenirs.
En sortant du vieux choeur on descendait trois ou quatre marches pour entrer dans la cathédrale.
A l'entrée de la grande nef se trouvait suspendue la grande couronne de St-Lambert, derrière laquelle s'élevait la chaire de vérité.
Aux deux côtés de cette nef s'étendaient les nefs latérales puis les bas-côtés, qui étaient ornés de dix chapelles: toutes ces nefs se terminaient à la naissance du transept.
Le second plan offrait le transept.
Au point d'intersection se trouvait le jubé, d'une étendue égale à la largeur de la grande nef; il était surmonté de la grande chasse de St-Lambert, placée entre les deux buffets d'orgues. Trois arceaux pratiqués sous le jubé permettaient aux fidèles réunis dans la grande nef, d'embrasser du regard le nouveau choeur des Tréfonciers, au milieu duquel s'élevait le mausolée du prince Érard de la Mark.
Le troisième et dernier plan au-delà du choeur des Tréfonciers, était occupé par le choeur supérieur.
Là s'élevait le maître-autel. Derrière s'étendait l'abside qui contenait les mausolées des princes-évêques
Au-dessus, de belles verrières entouraient la grande rose qui semblait offrir le fond d'un tableau magnifique, sur lequel se dessinait le maître-autel.
Je viens de donner la description générale de l'intérieur de St-Lambert, tel qu'il se présentait au sortir du vieux choeur. Qu'il me soit permis d'y ajouter la description détaillée de chacune de ses parties, et des objets intéressants qu'elles renfermaient.
En examinant attentivement le vaisseau, on pouvait conjecturer avec fondement que, selon le plan primitif, au lieu de trois cent vingt à trois cent vingt six pieds, il aurait dû avoir quatre cent trente à quatre cent trente six pieds de longueur.
En effet, le jubé et le choeur des Tréfonciers, qui se trouvaient placés à la naissance du transept, n'auraient dû commencer, comme cela se voit dans toutes les églises d'Occident, construites avant le 16e siècle que là où ils se terminaient, et à l'endroit même où finissait l'abside.
L'épaisseur des piliers et des colonnes, et surtout l'élévation de la grande nef et des nefs latérales, semblent confirmer l'opinion que ce temple n'avait pas été achevé, mais qu'il a eu le sort de tant de cathédrales gothiques dont les dimensions avaient été arrêtées sur une trop grande échelle.
Quoiqu'il en soit, l'espace de la grande nef compris entre le vieux choeur et le jubé était environ cent quatre-vingt pieds de longueur sur cinquante cinq pieds de largeur.
Quatorze piliers et colonnes en soutenaient la voute, dont on ne pourrait aujourd'hui que très difficilement préciser l’élévation, non plus que celle des nefs latérales. On est cependant fondé à croire que cette élévation était de quatre vingt treize à quatre vingt quinze pieds.
Ces quatorze colonnes sur deux rangs, étaient primitivement d'un beau gothique primaire; mais, vers la fin du 17e siècle elles subirent une transformation complète: on leur donna le style de la renaissance et on les chargea d'ornements en genre rocaille. Chacune de ces colonnes était formée d'un pilier carré, dont les quatre faces étaient presque entièrement cachées par des colonnes rondes adhérentes, et offraient ainsi l'aspect d'un faisceau de colonnes qui avait pour caractère un dé élevé, surmontées d'une scotie assez faible, d'un tore inférieur, d'une nacelle sans listel , d'un tore supérieur peu saillant, d'une ceinture, d'un fût cannelé dans le genre de Scamozzi, du congé, d'un astragale, qui était dérobé en partie par des fleurs de lis terminés en axes placés en saillie, et le colarin très haut. Au-dessus de chaque fleur de lis, une feuille d'acanthe fléchissait sous le poids d'un modillon en style de la renaissance; ce modillon s'étendait au-dessus de l'annelet et de loue, et ne se terminait que par un tailloir duodécagone, formant une base où commençait l'arceau de chaque voûte, cintrée de forme allongée.
Au-dessus de cette voûte se prolongeait de chaque côté, une galerie composée d'un rang de quarante-deux colonnettes gothiques de style lancéolé. Chacune de ces petites colonnes était isolée, simple, privée, et enfermée dans un cintre simulé. Cette galerie était surmontée de fenêtres à triples lancettes, encadrées dans un arc à plein-cintre.
A la naissance de ce plein cintre, à droite et à gauche deux petites colonnes gothiques s'appuyaient sur la cymaise de l'abaque des colonnes trilatérales: l'orle de ces dernières se trouvait au-dessus du tailloir des piliers qui soutenaient la nef. La voûte de cette nef était à nervures croisées et recroisetées avec symétrie, courant autour d'une quantité de disques qui renfermaient des étoiles en métal doré. Aux grandes solennités, des girandoles de cristal, dont les nombreux lamperons illuminaient l'église, étaient suspendues à la plupart de ces étoiles.
Les nefs latérales, qui avaient vingt-cinq pieds de largeur, étaient du même style que la grande nef, à l'exception des colonnes.
Tel était le caractère architectural de ces nefs et de ces piliers. J'ai cru devoir surtout m'attacher a décrire ces derniers, parce qu'ils n'appartenaient proprement à aucun ordre bien distinct, et qu'ils étaient d'un style de pure convention.
Entre les quatre premières colonnes à l'entrée de la grande nef par le vieux choeur, se trouvait suspendue à vingt-cinq ou trente pieds du sol, la célèbre couronne de St-Lambert. Il ne nous reste aujourd'hui que très peu de renseignements sur ce monument national. Nous croyons toutefois pouvoir émettre l'opinion qu'il avait plus de cent pieds de circonférence sur trois pieds et demi à quatre pieds de hauteur,
La pièce principale de cette couronne, qui avait la forme d'une grande girandole, était une boule de bronze doré suspendue à la voûte par des chaînes de fer. De cette boule, partaient en forme de rayons, huit barres de fer ornées d'une torsade en bronze, qui se bifurquaient en aboutissant à un nouveau disque, composé de feuilles de lauriers en bronze de Corinthe. Ce disque était à son tour, renfermé dans une nouvelle couronne, formée d'épaisses et d'admirables feuilles de vigne en bronze doré. Au-dessus de ces feuilles, une quantité de petites niches renfermaient de petites statuettes en bois doré, représentant des saints, des patriarches sculptés en haut relief. Les dais, les aiguilles, et les clochetons qui surmontaient ces statues pouvaient être chargés à certains temps de l'année d'un millier de bougies (52).
On se figurerait difficilement l'effet magnifique que présentait alors le temple la lueur de ce disque de plus de 100 pieds de circonférence, se balançant majestueusement au milieu de la grande nef (53).
C'est sous cette couronne de Saint-Lambert, que se passa chaque année et durant l'espace d'environ cinq siècles un spectacle vraiment singulier et peut-être unique dans son genre, je veux parler de la danse des Verviétois, connue en Liégeois sous le nom de Creux d'Vervi ou de Croix de Verviers (54).
Comme on le présume l'origine d'une cérémonie aussi extraordinaire a été et est encore de nos jours pour les historiens nationaux le sujet d'une controverse continuelle. Partagés en deux camps les uns font découler l'origine de cette redevance annuelle des habitants de Verviers , à un refus qu'ils auraient fait l'an 1303, de conformer leurs poids et mesures à ceux usités à Liège.
D'autres au contraire (et c'est l'opinion des historiens du jour et qui réunit le plus de probabilité) ne voient dans ce tribut des Verviétois qu'une obligation ou folle redevance ou plaisante cérémonie pour être affranchis et exempts du tonlieu, ou tourni, ou péage qu'on aurait pu à Liège percevoir sur toutes les marchandises et particulièrement les draps venant de Verviers à Liège et passaient pour entrer dans cette ville sur ou sous le Pont des Arches qui traverse la Meuse (55),
Voici en peu de mots le cérémonial usité dans une circonstance qui fut jusqu'en 1794 un type tout particulier propre à caractériser, dès le 14 siècle, quelques coutumes de la nationalité Liégeoise.
Le mardi de la fête de la Pentecôte, vers six ou sept heures du soir, on voyait arriver au pont d'Amercœur, une députation des habitants de Verviers, composée d’hommes et de femmes à la tête desquels marchaient trois hommes l'un portant une croix à laquelle était suspendue une bourse et les deux autres des bannières représentant St-Remacle patron de Verviers et les armoiries de cette ville, on appelait cette bannière li Cheinn d'Vervî (56).
Parmi les personnages les plus notables de cette procession on remarquait le bourgmestre ou les huissiers du conseil municipal, le prêtre margueiller de l'église de St-Remacle et deux ou plusieurs des derniers mariés de la ville avec leurs compagnes; les uns étaient les représentants de la magistrature, du clergé ou de la bourgeoisie (57). La porte du pont d'Amercœur n'était ouverte à cette députation, que suit, l'ordre intimé par le Grand-Mayeur, souverain officier de Liège, entouré des greffiers aux oeuvres et des huissiers de la justice de Liège.
Le bourgmestre de Verviers, après avoir salué le magistrat Liégeois, commençait par exposer le motif de son arrivée et celle de ses concitoyens; ils venaient payer la redevance contractée jadis par leurs aïeux envers l'Église et le successeur de St-Lambert. Alors, sur l'invitation du grand-mayeur, ils se mettaient en marche et entraient dans Liège, suivis d'une foule innombrable attirée par la singularité du spectacle. Arrivé sur le Pont des Arches, le cortège s'arrêtait; et là en présence du grand-mayeur de Liège et de ses officiers aux oeuvres, les nouveaux mariés , se tenant par la main, dansaient au son des tambours et des timbales et des acclamations bruyantes de la population Liégeoise.
Cette première cérémonie achevée, le grand-mayeur se retirait, et les Verviétois se dispersaient paisiblement en ville. Les habitants de Liège rentraient chez eux attendant avec impatience la matinée du lendemain.
Ce jour là (c'était le mercredi des quatre temps) vers onze heures, à la fin d'une messe très solennelle, les sons du bruyant orchestre des Verviétois annonçait l'arrivée de ces derniers dans la cathédrale. En effet, ils s'y présentaient dans le même ordre que la veille, à leur entrée dans la ville. Parvenus sous la grande couronne de St-Lambert, les Verviétois se formaient en cercle et se donnant la main, se mettaient à danser on plutôt à sauter, en montrant le pouce de la main gauche aux spectateurs. Si la fatigue les contraignait de laisser retomber la main, à l'instant des centaines de voix criaient: I'pose â haut! l'pôse â haut! le pouce en haut ! le pouce en haut ! (58)
On prétend que si, parmi ces danseurs, il s'en était trouvé un assez habile pour toucher la couronne du bout des doigts, elle serait devenue de droit sa propriété, et que ses compatriotes auraient été dispenses, à l'avenir de faire la redevance.
Mais hélas! Un obstacle, un seul s'opposa pendant des siècles a l'accomplissement de cette condition; c'est que la couronne était suspendue à peu près à vingt pieds du sol!
De tous temps les Verviétois assuraient dans leur dépit qu'un de leurs concitoyens avait failli un jour atteindre la couronne et que depuis cette époque les Tréfonciers par une perfide facétie avaient élevé cette couronne d'un pied.
Les Verviétois épuisés de fatigue après tant de gambades, se rendaient dans la grande sacristie là, entre les mains du grand doyen, du grand coste, et de plusieurs tréfonciers (59), ils leur faisaient respectueusement hommage de la bourre attachée à la Croix. C'est dans cette bourse qu'était le tribut consistant en quelques pièces d'or, d'argent et de bronze. Le grand coste leur donnait en guise de quittance une aumônière de soie verte, contenant un encens très pur, qu'ils devaient à leur retour à Verviers briller sur le grand autel de l'église de St-Remacle, en réparation ce semble, de l'irrévérence commise à Liège.
Après avoir à haute voix prêté serment sur les saints évangiles d'exécuter la même cérémonie l'année suivante, ils sortaient de la cathédrale au bruit des tambours et des cris de la multitude, ils traversaient le Vieux Marché ils s'arrêtaient devant le palais du Prince-Evêque, ils se formaient en cercle, se tenant par la main ils commençaient à danser une ronde; c'était une espèce de branle dirigée par le plus jeune des mariés et qu'on appelait lî mineu d'Crâmion; durant cette danse ils chantaient en choeur le refrain d'une ronde wallonne; après que cette colonne joyeuse se fut repliée plusieurs fois sur elle-même en sinuosités capricieuses, ils se remettaient en marche en traversant la rue des Onze mille Vierges, le Grand-Marché, la rue du Pont et se rendaient au marché aux grains (sol' moie) (60). Là, la dernière mariée trouvait un vieux muid placé sur un tréteau; les sergents de la ville le lui présentaient; l'ayant accepté, le cortège montait le Pont des Arches à gauche et au-dessus de la seconde arcade, la jeune mariée déposait le vieux muid que les sergents de la ville brisaient à l'instant, aussitôt les danses et les clameurs recommençaient et ne cessaient qu'après que les débris du muid eussent été jetés dans la Meuse (61).
Les Verviétois se hâtaient de reprendre le chemin de leur ville ils étaient suivis jusqu'au pont d'Amer-Coeur d'une nombreuse population, qui se dispersait alors satisfaite et rieuse, d'un spectacle qu'elle voyait se renouveler annuellement avec une extrême avidité; cette circonstance donnait surtout occasion à l'idiome Liégeois qui est si énergique, de faire éclater une profusion de bons mots pleins de sel et de malice (62)
Mais il est temps de continuer la description de la cathédrale que j'avais cru devoir interrompre pour rapporter un épisode, qui s'appropriait à la description de la couronne de Saint-Lambert.
Du côté gauche de l'Église, contre la quatrième colonne, avant d'arriver au transept, s'élevait la chaire de vérité, ouvrage en bois sculpté, du 16e siècle. Elle avait la forme d'un pentagone orné à sa base de feuilles de palmier disposées en forme de conques; du milieu de ces feuilles sortait la première assise sur laquelle reposaient les cinq panneaux qui formaient le corps de la chaire. Les panneaux paraissaient être reliés entre eux par des draperies en bois doré qui tombaient en festons et se perdaient dans les sinuosités des arabesques et des coquilles qui ornaient chaque partie saillante du pentagone. Deux escaliers, embrassant la colonne donnaient accès dans la chaire. L'abat-voix était formé par un immense manteau ou voile en bois à franges dorées. Ce manteau drapé avec beaucoup de goût et d'élégance, était disposé de cinq côtés en festons. Cinq anges semblaient être descendus des cieux, les uns pour lever le voile, symbole de l'erreur, les autres regardant l'auditoire, pour l'inviter à être attentif à la parole du ministre du Seigneur. Cette chaire se terminait à son sommet, par la statue colossale d'un séraphin qui prenait son vol vers les cieux en achevant d'enlever la partie du voile qui dérobait la chaire. Ce séraphin jetait un dernier regard sur la terre et paraissait montrer le ciel aux assistants. Le plan de cette chaire fort bien conçu, avait été rendu avec bonheur.
Parmi le grand nombre de prédicateurs célèbres qu'illustrèrent cette chaire on doit citer le père Beauregard comme étant un des plus remarquables, il vint à Liège au mois de novembre 1792, la nouvelle de son arrivée et la promesse qu'il avait faite au prince-Évêque de prêcher à la cathédrale le dimanche suivant s'était répandue dans toute la ville avec une rapidité étonnante. Le jour fixé pour le sermon, de bonne heure l'immense cathédrale contenait une foule extraordinaire, avide d'entendre ce simple religieux qui depuis treize ans faisait avec tant de hardiesse la vive peinture de la corruption, des moeurs dissolues et de l'irréligion du 18e siècle, qui donnait les leçons aux rois sans les insulter, et consolait le pauvre sans flatter le vice.
L'attente du nombreux auditoire ne fut pas trompée, ce jour là encore Dieu sembla parler par la voix de son ministre et fit renaître en lui un prophète, car au milieu de son sermon le prédicateur s'écria tout-à-coup, et avec un ton d'inspiration.
« Quoi ! Grand Dieu que vois-je! Qu’entends-je! Liégeois, l'ennemi est à vos portes et vous ne priez pas! Liégeois, priez et conjurez l'orage avant qu'il ne détruise ce magnifique temple ouvrage de la piété de vos pères, Liégeois, l'ennemi est vos portes et vous ne priez pas! ! »
Le prédicateur achevait ces paroles lorsqu'instantanément la nombreuse assistance tomba à genoux et demeura ainsi prosternée pendant le reste du sermon (63).
A peine quelques jours s'étaient-ils écoulés depuis cette prophétie qu'elle commençait à se réaliser en partie; car on sait que le 27 de novembre, on entendit à Liège entre 8 et 9 heures du matin une forte canonnade, c'était l'avant garde de l'armée française commandée par le général Dumouriez qui entra le 28 et le 29 dans Liège, c'est à dater de ces jours que la cathédrale commença à être dévastée, pour l'être totalement en 1794 lors de la seconde invasion des armées de la république.
Entre les deux piliers les plus rapprochés du transept, on dressait un autel, durant certaines fêtes de l'année.
Cet autel, construit à la romaine était posé sur une estrade très élevée dont les nombreuses marches étaient chargées d'un grand nombre de chandeliers, de candélabre et de tripodes de vermeil et d'argent. Au dessus s'élevaient des trophées, des attributs civils et militaires liés en faisceaux surmontés de cimeterres et de turbans turcs, d'étendards, de longues lances et gavennes avec croissants et crinières de chevaux, de guidons et d'autres monuments de la victoire, donnés en grande partie à nos princes par les empereurs
(1) Ce célèbre étendard, appelé par les historiens: bannière, cornette, guidon et plus communément gonfanon de Saint-Lambert, avait été selon eux, donné par Charlemagne lui même, lorsqu'il vint à Liège l'an 770. Il sera dit plus loin quelle était la forme de cette espèce de palladium des Liégeois, et à quel usage ils l'employèrent.
(2) La qualification de Tréfoncier était usitée dans les anciennes cours de justice pour désigner le propriétaire d'un fonds dont un autre avait l'usufruit; il était devenu pour les chanoines du très illustre chapitre de Saint-Lambert un titre particulier.
Ducange dit: Art. Trifundarii du glus: de tabasse latinité: Trifunda rii patriae vulgo Tréfonciers singulari quadam nomenclatura et proerogativa nuncupantur insignis Ecciesiae Leodiensis canonici.
(3) voyez la plupart des historiens qui ont écrit sur l'histoire de Liège idem. - L'ouvrage de M. L. Polain, intitulé: Liège pittoresque.
(4) Harigère et les autres historiens.
(5) Chapeauville. vol. 1, fol. 399.
(6) BouilIe, vol. I, fol. 26 Saumery, vol. 1 fol. 17, etc.
(7) Fisen. vol. III, fol. 48. etc.
(8) La tradition de l'Eglise de Liège, était que Saint-Lambert fut martyrisé l'an 696, aussi est-ce pour ce motif que la grande procession du Jubilé millénaire du martyr eut lieu le 17 de septembre 1696.
Cependant Dom Bouquet, dans son Index Chronologique vol. Ill Scriptores rerum Francicarum. etc. fol. 82, place la mort de saint Lambert vers l'an 707. Son assertion est la plus généralement adoptée.
Les oeuvres des Pères Bollandistes Acta Sanctorum, fol. 518, reculent la mort du Saint jusqu'en 709.
(9) Gilles d'Orval et Harigère, Fisen, Foulon, Bouille, Saumery, etc.
(10) Voir la dissertation du Baron de Crassier Brevis elucidacio... Liège. 1758 in-12.
(11) Fisen, fol. 147. Gilles dOrval, fol. 203.
(12) Ernst. fol. 280 rapporte que l’Eglise de St-Lambert avait été brûlée en 882 par les Normands.
(13) Nicolaus in vita Sti-Lamberti. C. ultim.
(14) Les Historiens précédents (Fisen, Foulon, Bouille,
(15) Idem et Jean d’Outremeuse : Chr, et Hist. Leod, vol. X.
(16) Chron. De Zantvliet , Lambert le Petit; Jean le Prêtre, Sigebert de Gembloux, etc.
(17) Hocsem vol. Il fol. 276.
(18) II s'agit ici du pied dit de St-Lambert, faisant deux cent quatre-vingt-douze millimètres.
(19) La place située entre ta cathédrale et le palais du Prince fut appelée très anciennement Pré l'Evêque et en dernier lieu Vieux-Marché, Les premiers Evêques de Liège eurent un palais dans cet endroit de la ville où se trouve aujourd'hui la Boucherie, local qu'on appelle encore Cour l'Evêque.
(20) Ce portail construit vers l'an 1275, était dû à la munificence du tréfoncier Buchard de. Hainaut, neveu de l'Empereur d'Allemagne Guillaume Ier - Loyens. (Recueil héraldique).
(21) Archives généalogiques et héraldiques de la maison de Luxembourg Montmorency, tome I.
(22) Ces deux petits portails dont les sculptures étaient assez dégradées à la fin du siècle dernier, devaient dater du commencement du 14e siècle, étant dûs à la générosité du tréfoncier Guillaume de la Tour d'Auvergne; sur chaque côté de ces portails il devait y avoir une statue de St-Guillaume et une autre représentant Guillaume de la Tour d'Auvergne ayant à ses pieds le blason de sa famille. Ludovici Columbi, Opuscula varia, historiae, genealogiae heraldicae Arverniae, in fol. col. III, fol. 274.
(23) C'est dans cette partie des cloîtres de Saint-Lambert, que le 16 mars 1795, ( ou 26 ventose an III de la république) une administration étrangère ayant conçu l'abominable idée de violer l'asile des morts, fit ouvrir tous les caveaux qui étaient dessous ces cloîtres et dans le cimetière voisin, en fit extraire tous les cercueils de plomb; ce métal servit à faire des balles et d'autres projectiles, les ossements trouvés dans ces cercueils furent broyés à l'aide de pierres meulières puis on les fit dissoudre dans des cuves pleines d’eau chaude pour en extraire du salpêtre.
Cette concussion sacrilège dura pendant plus de quinze nuits consécutives, après ce laps de temps ou dût cesser par intervalles, les ouvriers se trouvant incommodés de fièvres, occasionnées par les vapeurs noires et les exhalaisons méphitiques qui s'échappaient de ces tombeaux.
(24) Chauchois, gloires et illustrations de l'Église de Liège, folio 102.
(25) La dernière fois que ce portait fut ouvert, ce fut le 17 de février 1791, à 10 h. du matin, lors de la rentrée à Liège du Prince-Evêque de Hoenshroech après la première révolution. Ces portes qui n'avaient plus roulé sur leurs gonds depuis plus de cinquante ans, s'ouvrirent au moment où le Prince suivi des Tréfonciers et de toute sa cour descendirent de leurs carrosses; à l'instant où le Prince passait sous le portail, tout le clergé se mit à entonner le beau verset: ecce sacerdos magnus. Voyez le supplément de la Gazette de Liège en date du 18 de février 1791, par J. Lemarié imprimeur-libraire de S. A. S. E. C.
(26) Loyens recueil héraldique des Bourgmestres de Liège, fol. 127.
(27) La confraternité de St-Luc était composée de sept chanoines tréfonciers, quatre chanoines de St-Materne, quatre chanoines de St-Gilles et quinze bénéficiers.
Voici le noms, les titres et les années de réception des personnes qui composaient cette confraternité en 1794.
Messieurs
Années de réception.
1776. Joseph-Antoine, chevalier de Pollard, chanoine tréfoncier.
1779. Michel-Bosset, chanoine de St-Materne, doyen en 1786.
1753. Henri-Joseph Gerardy, chanoine-impérial.
1756. Philippe-Joseph Closon, bénéficier.
1757. Nicolas Simonon, chanoine-épiscopat.
1765. Joseph-Simon-Benoît Deschamps, chanoine de St-Gilles.
1771. Jean-Joseph Louwet, chanoine de St-Gilles.
1774. Jean-Barthelemi Bronckart , bénéficier.
1778. Lambert Henkart, bénéficier.
1779. François Wanson, bénéficier.
1781. Henri Bieren, chanoine de St-Gilles.
1782. Jean Olivette, chanoine-impérial..
1785. Gérard Magnery, chanoine de St-Gilles.
1785. Barthelemi Daiwaille, chanoine de St-Materne.
1786. François-Hyppolite-Joseph André, bénéficier.
1786. Laurent-Joseph Decocq bénéficier.
1786. Henri Libert, bénéficier, luminariste.
1787. Henri Hamalle, chanoine de St-Gilles, maitre de musique.
1788. François Joseph Dizier, bénéficier.
1788. Jérome-Joseph kirsch, bénéficier, sous-trésorier.
1790. Jean-André Dardenne, chanoine de St Materne.
1790. Thomas-Joseph Pirson, bénéficier.
1791. GuilIaume-Mathieu Delaveux, chanoine de St-Materne.
1791. Henri Dieudonné Thiriar, bénéficier.
(28) Trophaea Borussiae, observationes Eugenialogicae et Heroicae jus Insignium, Exornationes de Minckwitz ac de Schwyker, M. S.
Id. - Décrets et ordon du chap. de St. Lambert. réparat.
(29) Anselmi cano. Leod. Gesya Pontificum Trajecten et Leod. Apud, Chapeauville vol. 1.
(30) Hubert Thomas et Guichardin fol. 475.
La Belgique monumentale, livraison 57 et 58.
(31) Baron de Villenfagne, Notice sur quelques musiciens Liègeois qui se sont illustrés, fol. 5. Des Camps, Vies des peintres et sculpteurs. Art Bertholet-Flemal.
(32) P L. Saumery, Les hommes illustres du Pays de Liège. Fol. 3, 29
(33) Note de M. J. Jeanne , orfèvre de la cour du Prince.
Id - Indices et Acta per R. R. D. D. Decani Leod.
(34) Le 59 de Mars 1795, l'administration française fit vendre les autels, les tableaux, les tapisseries, les mausolées en marbre etc., qui se trouvaient dans cette chapelle et dans celle des flamands. Gazette Nationale supplément du primidi Germinal an 3 de la république.
(35) Edit de 1632. vol 5, fol. 81 du rec: des Edits du pays de Liège et du comté de Looz, par Math Guill. de Louvrex, sic Beaud : Hodin.
(36) J. G. Loyens, Recueil héraldique des bourguemestre de la noble cité de Liège, in fol. Fol 355.
(37) Note de M. le chanoine Hamal, dernier directeur de la musique de la cathédrale id - Computus général: Membror: Fabri et Mobil.
(38) Saumery, Délices du pays de Liège T. 1
(39) Ce discours est rapporté dans les oeuvres complètes de St Bernard.
(40) fol. 317. Liste des conciles certains et connus. De l'art de vérifier les dates par les bénédictions de la congrégation de St. Maur,
Id. - Frabricius. Tome IX. Bibliotheca Magna.
Id. - Langlet du Fresnoy. Tablettes chronologiques.
Id. - Pagi - Tillemont -Fleury. etc.
(41) Théodore Bouille. Histoire de la ville et du pays de Liège. T. 1, Fol, 165.
Id. -La plupart des historiens.
(42) lieu heu! ecce dies veniunt eum subtus te terram effodient poici, et quae ia honorem sanctorum ara dedicata es, hara porcorum efficieris AEgidii Aurae vallis Religiosi. Cap. 52.
id-Je an d'Outremeuse, chronique rimée, citée par Mr. Polain. Liège pittoresque etc. p. 155.
(43) AEgidii Aurae vallis Religiosi. Apud Chapeauville. T. II Cap. 55.
Id. - Corneille Menghors Zantfliet. Chonicon.
Id. - Sigebert Gembla. Passio et vita Divi Lamberti.
Id. - Lambertus Parvus et Reinerus-Gesta Poitificum Leodiensium.
Id. - Joannes Presbyter. Vitae Gestaque Pontiflcum Leodiensium.
Id. - Lewez. Histoire du pays de Liège. T. 1
(44) Au mois de novembre 1794, an 2 de la république française, les membres de l'administration de Liège, donnèrent la permission d'emporter des pierres des tours de sable, mais l'année suivante le 25 messidor, ils durent porter un édit de révocation touchant la concession de cette permission, car les tours menaçaient de s'écrouler par suite des excavations qu'on avait faites à leurs bases.
Ce ne fut cependant que le 17 de juin 1803, qu'on commença à démolir entièrement ces tours qui tombèrent ravagées par les efforts des hommes plus redoutables souvent que ceux des siècles même,
(45) Computum Gepardi Ruvette ignium artificis.
Acta per Reverend. Admod, Peril, Dom. Decun. Capit. Sede vacante,
(46) Les cloches métalliques furent mises en usage dès l'an 415 ou 420, on les appelait Campanae ou Noloe, du nom de la province la Campanie ou de la ville de Nole où on prétend qu'elles furent inventées par St Paulin Evêque de Nole.
Beuvelet, lnstruction sur le manuel des cloches. 2e partie chap. 4
Id. - Presque toutes les églises de l'occident eurent dès le 6e siècle des cloches en métal.
J B. Thiers. Traité des cloches. Liv. 1 chap IV. fol. 77.
(47) Notice de M. J. L. Humblet ancien maître xhailteur couvreur de la cathédrale sous tes trois derniers Princes.
(48) Les plus petits détails de la vie d'un grand homme sont souvent recueillis avec satisfaction, ce motif m'engage à rapporter ici une anecdote de l'enfance du célèbre compositeur Grétry; ce trait a rapport, aux cloches de bois de la cathédrale, voici comment s'exprime Grétry dans ces mémoires qui offrent un si vif intérêt où il rappelle les souvenirs de ses premières années.
« Il m'arriva dans ma jeunesse un accident, qui, je crois a influé sur mes organes relativement à la musique .... Dans le pays de Liège, c'est un usage de dire aux enfants que Dieu ne leur refuse jamais ce qu'ils lui demandent le jour de leur première communion. J'avais résolu depuis longtemps de lui demander qu'il me fit mourir le jour de cette auguste cérémonie, si je n'étais destiné à être honnête homme et un homme distingué dans mon état: le jour même, je vis la mort de près. Etant allé l'après midi sur les tours de la cathédrale pour voir frapper les cloches de bois dont je n'avais nulle idée, il me tomba sur la tête une solive qui pesait trois ou quatre cents livres. Je fus renversé sans connaissance. Le marguiller courut à l'église chercher l'extrême-onction, je revins à moi pendant ce temps, et eus peine à reconnaître le lieu où j'étais; on me montra le fardeau que j'avais reçu sur la tête: Allons dis-je en y portant la main puisque je ne suis point mort, je serai donc honnête homme et bon musicien.
Lorsque je travaille longtemps, il me semble que ma tête a conservé encore quelque chose de l'étourdissement que je sentis après le coup que je reçus dans la cathédrale de Liège. »
(49) Sohet. Sommaire de jurisprudence. Trait. préli. tom. I par. 13.
Id. - Louvrex. yol. 2.
Ici. - Dési. du manifeste de 1741. fol. 15.
Id. - Theod. de Niem. de jur. et privit. Impe, sub. Otone. I.
Id. - Hnichen. de jur. territor. c. 1, n. 1064.
Id. - Myler in Arch. c. 13.
Id. - Sebas. verron. In Chronic. Ecclesi. et mon.
Id. - Zorn. Col. 128 n. 35-36-37.
Id. - Chokier. vind. lib. eccles. c. 18. n. 10.
(50) Note due à la complaisance de M Leonard, qui a connu tes deux derniers paléographes du chapitre de St-Lambert, MM. Kenor et François Rosa; ce dernier se trouvait à Liège, lorsque les Français entrèrent dans cette ville appelé devant les commissaires de la république on lui enjoignit avec menaces de fournir les renseignements sur la localité où devaient être les archives de la cathédrale, n'ayant pu d’une manière précise satisfaire au demandes de ses interrogateurs il fut renvoyé chez lui. Quelques mois plus tard, le dépot des archives ayant été découvert, les commissaires de ta république firent enlever par la force armée M. Rosa, il fut contraint de dresser le catalogue des manuscrits et les chartes qu'on venait de trouver il était occupé à ce travail depuis deux jours lorsque la mort le surprit.
(51) Si on s'en rapporte, aux Annales du pays de Liège par J. Henoul, l'empereur Henri IV mourut à Liège le 7 août 1106, il expira dans une maison qu'il habitait dans la rue Feronstrée à l'enseigne de la Belle cote; vers le milieu du 17e siècle on voyait encore, assurait-on la maison ou cet empereur avait logé.
Si cela est vrai, donc elle dût être du nombre de ces cinq ou six maisons de bourgeois que le hasard épargna, lors de la destruction de la ville par Charles le Téméraire.
(52) Des couronnes analogues, mais moins grandes que celle de St-Lambert, existent encore à Rheims et à Aix-la-chapelle; cette dernière a été donnée par l'empereur Frédéric-Barberousse au 12 siècle: elle est ornée de 16 tourelles et de 48 bougeoirs.
(53) Dès l'année 1794, plusieurs des statuettes qui ornaient cette couronne avaient été mutilées ou enlevées; mais au commencement du mois de Juin 1795, les réquisiteurs de la république française firent détacher de la voûte la couronne, l'ayant fait démonter en parties égales, qui furent portées dans l'enceinte du vieux choeur, ou elles restèrent quelques semaines, puis les mêmes réquisiteurs à l'aide d'affineurs d'or français, firent extraire de chacune de ces parties tout l'or qui s'y trouvait.
Une certaine quantité de ce métal fut vendue à Liège mais la plus grande fut envoyée à Paris. Il fut constaté depuis, que l'or eu feuilles, qui avait été appliqué pendant plusieurs siècles sur cette couronne, équivalait en comptant le déchet de plusieurs carats la somme de plus de trente mille francs.
Les feuilles du temps.
Id. - Manuscrit.
Id. - Note de M. Dryon, orfèvre-jouaillier de la cour de l'avant dernier Prince-Évêque de Liège.
(54) An moyen-âge, on entendait par croix, une procession qui allait faire des offrandes à l'église mère, comme le dit très judicieusement M. Ferdinand Hénaut dans son intéressante brochure intitulée Les Croix de Verviers à propos du tonlieu de Liège.
(55) Parmi les historiens qui se sont occupés de l'origine des Croix de Verviers on doit distinguer les suivants.
Jacques de Hernricourt, dans son Traité de la Temporalité et autres curieux recueils traitant du domaine temporel du Prince-Evêque, selon le docteur Bovy, Promenades Historiques dans le pays de Liège, t. 2.
Id. - Fisen , Hist. Leod. Pars. 11, lib: I, fol. 8.
Id. - Foulon, Hist. Leod. lib. V, fol. 377.
ld. - M. L. Polain , Mélanges Historiques et Littéraires.
Id - M. Ferdinand Hénaut, les Croix de Verviers.
Id - J. Mouhin , Journal historique manuscrit.
id. - H. Del Vaux de Fouron , Dictionnaire Géographique de la province de Liège, t. I , p. 425.
(56) Ce nom de Chêne de Verviers, n'était probablement donné à cette bannière que parce qu'elle représentait les armoiries de la ville et du ban de Verviers qui portent pour écusson d'argent à trois rameaux de chêne englanté au naturel fruités d'or et de sinople.
Si on s'en rapporte au témoignage de plusieurs manuscrits on ferait remonter l'origine des armoiries et du nom de Verriers, à la fin du 14e siède, lorsque Jean de Bavière, prince-évêque de Liège, en visitant son diocèse, vint à Hodhimont, village qui devint plus tard une ville connue sous le nom de Verviers, et s'étant arrêté sous un chêne remarquable par sa grosseur et sa beauté, il en marqua son étonnement par ces mot: Vert e Viz dont on a fait Verviers.
(57) Au siècle dernier, on ne voyait plus venir en députation de Verviers, que vingt ou trente personnes, mais au 17e siècle, on vit des députations composées de plusieurs milliers de Verviétois, cependant plus tard ces derniers moyennant finance s'exemptèrent de l'obligation qu’ils avaient d'envoyer autant de députés qu'il y avait de ménages dans la ville et la banlieu de Verviers. Comme le prouve ce fragment d'un record émanant du Tribunal des échevins de Liège.
« Ceulx de Vervier en sont quitte (du tonlieu), et, parmy ce ainz ilst doibvent envoyer leurz croix et confanonz, et de chascun chieff a d’aosteil y doibt estre ou envoyer une personne, li deraine dez liestez del Pentecoste et pour chascun chieff d'hosteil doibt on ung denier de bonne cens al Engliese Sainet Lambert pour leur chevaige, et doibvent lez personnez venantez avecquela ditte croix, en leur plus grande partie commenchier à danseir tantost qu'ilz entreront enz franchiese de Liège sainz cesser jusques à tant qu'ilz auront paiet leurz offrandez.
(58) Cette expression de Pouce en haut! est synonyme à Liège de celle de Venir à merci. Voici selon M. Ferd. Hénaut la circonstance qui aurait donné naissance à ce cri
Au commencement du 16e siècle, sous le règne du prince-évêque Jean de Hornes, les Verviétojs avaient cessé devenir exécuter annuellement leurs danses, et cependant ils continuaient à faire valoir leurs anciennes exemptions du droit de tonlieu. Mais en 1506, Erard de la Marck, étant monté sur le siège épiscopal de Liège, il fit rentrer les Vervietois dans leurs devoirs.
Alors (dit le même historien cité plus haut) on les plaça dans l'alternative ou de perdre leurs privilèges ou de danser. Après de mûres réflexions, ils optèrent pour la danse. Quand ils revinrent dans la cité, confus et colères, les Liègeois, par manière de gaberie crièrent: Pouce en haut! comme pour dire que, bon gré mal gré, ils devaient exécuter leurs gambades.
(59) La danse administrative, religieuse et bourgeoise des Verviétois eut Iieu pour la dernière fois en 1793. Les tréfonciers qui reçurent à cette époque le tribut et le serment, furent:
Le grand-doyen , Alexandre Constantin, comte de Nassau-Corroy
Le grand coste Léonard-Louis, baron de Hayme de Haufalize;
et Ies tréfonciers
François-Félix, comte von Nesselrod-ln-Ereshoven et Tumb.
Charles comte de Bougrave.
Philippe comte de Waestenraedt
(60) Ce marché est ordinairement appelé en vallon li moie ou sol moie, c'est-a-dire le Muid ou sur le Muid.
(61) Touchant cette cerémonie du bris du muid ou setier plusieurs historiens ayant avancé que cette cérémonie avait été imposée aux Verviétois parce qu'ils avaient vendu à fausses mesures et que c'était pour les faire ressouvenir de la condamnation qu'ils avaient encourue pour leur mauvaise foi, M. Hénaut refute cette assertion en disant que Liège ne pouvait imposer ses mesures à ses voisins chaque ville chaque commune, chaque village même, avait ses poids et mesures et Verviers a conservé les siens jusqu'à l'introduction du système métrique.
Mais que les Verviétois après avoir exécuté leurs danses, ils voulaient rappeler aux railleurs à quelles conditions ils s'y soumettaient. Ils saisissaient le setier des toleniers et le brisaient vis-à-vis des bureaux du fisc, établis sur le Pont-des-Arches. Par cet acte symbolique, ils se déclaraient fièrement exempts des droits de tonlieu. Ce jeu plut aux joueurs et aux spectateurs, qui applaudirent; on le répéta d'année en année, de siècle en siècle.
(62) Je pense faire plaisir à quelques personnes en donnant ci-dessous le fragment d'un manuscrit déjà cité par feu le docteur Bovy, ayant pour titre
L'ordre des cérémonies de la vénérable église de Liège, touchant la servitude que ceux du ban de Verviers doivent à l'église de Liège, d'y aller danser.
« S'ensuivent les dansses que les surséants (manants) de Verviers ont à faire et auxquelles ils sont tenus par tribut. - C'est à ascavoir que tous ceux de Vervier se doibvent assembler le mercredy après le cinquième (c'est-à-dire la Pentecôte) de bonne heure le matin et d'entrer à la grande Eglise de Liège desoub la couronne et là mesme danssent. L'office divin faict ils viennent en hour (choeur) avec leurs croix et confanons, où il doibt avoir une bourse pendant, telle que les nouvelles marisse ont accoustumé de porter fournie de tournois (car un cliascun mesnage doibt au dit jour à l'église (le Liègeun.deniertournois) et en dansant doibvent marcher alentour du grand autel, commençant du sénestre costé au premier pilier, et après qu'ils seront parvenus en faisant leur tour parier l'autel an dernier pillier du droit costé , celuy qui porte la croix doibt aller avec les ruambours de Vervier au grand autel et tes autres doibvent marcher avant avec leurs ménétriers , et conunuant leurs dansses alentour dudit hour jusquesse à ce que ledits mambours soient retournez padrier eux. Monsieur le Doyen, s'il est présent, et messieurs les maîtres de la fabrique doibvent être présents au grand autel et recevoir les offrandes en faisant inquisition aux. nianiboùrs sur le serment de féauté
si tous les surséants de Vervier sont présents car de droit ils y sont tenus de venir on avoir excuse légitime. Les dits deniers reçus et le serment prins dessusdits naanabours sur les SS. Evangiles , que l'an futur ils reviendront en tel état, le'.lits Srs doyvent emplir ladite bourse d'encens. Ce fait celuy quy porte la croix s'en vapour dansser avec les autres ; dela ils s'en vont tous hors du hour en danssant jusqu'au milieu du niarclié et là boultant et frappant leur croix en mesure de bled condist te stier de muid, en danssant tout à lenteur de la dite mesure, et parmi ainsi ils sont quites et exempts de toutes tailles et exactions du pays. Les autres de Jupille , du Pont d'Amer-Coeur et de St.-Pholien , viennent semblablement à la grande église ou ils ont à dansser dessous la couronne et en vieux hour et non grand hour, et sont. pareillement tenus d'aller en marché comme ceux de Vervier. »
(63) Notice fournie par cinq personnes qui furent présentes à ce sermon.
Id. - Le Vte Walsh, souvenirs de cinquante ans.