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Cathédrale Saint Lambert à Liège

Pièces d'étoffes renfermant le corps de Saint Lambert

par J. THIMISTER

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Lorsque, le 2 juillet 1865, Mgr de Montpellier, évêque de Liège, procéda, accompagné de son chapitre, à la visite de la châsse qui renferme le corps de St-Lambert, on trouva les ossements du glorieux martyr enveloppés dans deux pièces d'étoffes qui offrent le plus vif intérêt sous le rapport de la matière, du dessin et des couleurs, quoique celles-ci soient fort altérées.

Ces étoffes remarquables semblent remonter à une haute antiquité; c'est pourquoi nous avons cru devoir faire quelques recherches pour tâcher d'en découvrir l'origine.

Or, Suffride Petri, dans sa chronique du règne de Jean de Horne, a consigné un document précieux sous ce titre: historia visitationis feretri beati Lamberti martyris pontificis et aliarum reliquiarum ecclesiae Leodiensis ab auctore anonymo hujus temporis scripta (1). Cette visite eut lieu le 14 avril 1489, par ordre du doyen et du chapitre de l'église cathédrale.

L'auteur anonyme de la relation citée ci-dessus s'exprime en ces termes: Aperto feretro, saepefati Domini repererunt primum pannum sive Baldetrinum aureum integrum, mundissimum, secundum autem Baldetrinum in quo beatissimus Lambertus ab initio fuerat tumulatus et deinde translatus, aliquatenus consumptum propter nimium temporis lapsum.

Le mot baldetrinus nous étant inconnu, nous avons eu recours au glossaire de Ducange, si souvent consulté pour la basse latinité du moyen-âge. L'auteur dit que Baldetrinus employé par Suffride Petri, ou pour mieux dire Baldachinus, signifie les étoffes précieuses fabriquées autrefois en Orient et surtout dans la ville de Bagdad (2). Le mot baldachino, dont nous avons fait Baldaquin, dit l'auteur du Dictionnaire illustré de B. Dupiney de Vorepierre, dérive du nom de la ville de Bagdad, que les écrivains du moyen-âge appelaient par corruption Baldac (3). On y fabriquait alors des étoffes précieuses, tissées d'or et de soie, qui étaient désignées sous le nom de baldachinum. Or, comme ces tissus étaient fort recherchés pour faire des dais, ces derniers furent eux-mêmes appelés baldaquin.

Des explications qui précèdent, il est permis de conclure que les deux tapis précieux qui enveloppent le corps de St-Lambert sont des étoffes fabriquées en Turquie; les dessins dont ils sont ornés offrent en effet un caractère oriental.

Mais la question principale est de déterminer l'époque à laquelle on peut faire remonter ce deux pièces remarquables. L'auteur anonyme du procès-verbal dressé, à l'occasion de la visite de la châsse de St-Lambert, comme nous l'avons vu ci­dessus, ne craint pas d'assurer que le tapis le plus ancien est celui-là même, dans lequel le corps de St-Lambert a été enveloppé à l'époque où il a souffert le martyre et a été ensuite transféré de Maestricht à Liège. Comme il l'affirme sans preuve, nous pouvons le contester de même. II nous semble difficile d'assigner à ces petits monuments une époque aussi reculée.

L'église cathédrale de Liège conserve avec un soin religieux le Voile de Ste-Madelberte, que St-Hubert fit transférer à Liège avec son corps et différents objets qui avaient été à son usage. Or, cette étoffe est tellement noircie et fragile, qu'on a dû l'assujettir avec précaution sur un autre linge pour l'empêcher de tomber en poussière. Nous avouons toutefois que le tapis étant d'une matière plus solide a pu résister davantage aux ravages du temps. Du reste, nous laissons aux archéologues qui ont eu l'occasion de voir ces deux pièces vénérables, le soin d'en assigner l'âge. L'auteur d'un article intéressant inséré dans la Gazette de Liège, s'exprime en ces termes:

« Le plus ancien de ces morceaux est un tissu de soie; il date du IXe ou, au plus tard, du Xe siècle. Le dessin en est assez rude; il est formé par une ornementation d'anneaux passant les uns dans les autres et renfermant chacun deux animaux fantastiques dont les formes générales rappellent celles du cerf. Au-dessus de ces animaux se trouve une croix grecque. Le fond de la soie est d'un rouge cinabre foncé sur lequel les dessins se détachent en jaune vif, deux couleurs que l'on rencontre d'ailleurs fréquemment dans les étoffes du IXe et du Xe siècle. La dimension de ce fragment est d'un mètre et demi de long sur une largeur d'un mètre vingt cinq centimètres.

Le second morceau présente un dessin beaucoup plus riche et plus varié de couleurs. C'est un tapis d'une soie extrêmement fine, orné d'une bordure et de franges. Ce fragment a une grandeur de plus de deux mètres sur un peu plus d'un mètre de largeur.

Le dessin est formé principalement par des étoiles inscrites dans des cercles juxtaposés dont les intervalles sont remplis par un ornement cruciforme. Le fond de cette étoffe est d'une couleur pourpre sur laquelle les dessins tracés par des contours très déliés, se détachent dans un ton jaune blanchâtre. Le fond des anneaux varie et l'on y retrouve le rouge, le bleu, le gris et le blanc. La bordure du tapis, d'un dessin très riche, est de la même coloration que le fond.

Le style de cette étoffe est oriental et sa fabrication incontestablement mauresque. Elle peut appartenir à la fin du XII ou au commencement du XIIe siècle.

Comme le gouvernement prussien fait une collection de reproductions d'anciens tissus, M. Van Olfers, directeur général des beaux-arts, a fait dessiner ces deux fragments pour le musée de Berlin. Un jeune artiste de Cologne, M. Fuchs, s'est acquitté de cette tâche avec talent et a fait deux dessins remarquables des pièces d'étoffes de St-Lambert, patron des Liégeois (4).


(1) Chapeauville, t. III, p. 203.

(2) Comme on dit aujourd'hui l'Orléans, pour signifier les étoffes fabriquées dans la ville qui porte ce nom.

(3) Damas, Mossoul et Bagdad semblent avoir été au moyen-âge les villes industrielles qui nous fournissaient les ouvrages damasquinés, des poteries, des verreries et des parfums.

(4) La planche qui accompagne cette note a été dessinée par notre habile corres-pondant, M. J. S. Renier, professeur à l'école industrielle de Verviers.

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