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Cathédrale Saint Lambert à Liège

Joseph DREPPE
et la couronne de lumières de la cathédrale St-Lambert de Liège

par R FORGEUR

Lors de la démolition de l'église paroissiale Saint‑Martin‑en‑île, en 1796, on exhuma les restes du bourgmestre La Ruelle, qui avait laissé le souvenir d'un défenseur de la bourgeoisie et du peuple contre les excès de pouvoir de Ferdinand de Bavière. Aussi, quelques mois plus tard, l'Administration décida‑t‑elle de rappeler les circonstances tragiques au cours desquelles le bourgmestre avait été assassiné par le comte de Warfusée, après un repas pris dans la maison du doyen du chapitre de St Jean. Elle confia à l'imprimeur Latour le soin de réimprimer l'Histoire tragique ou relation véritable de l'assassinat commis en la personne de feu le bourguemestre Laruelle, de grande mémoire, le 16 avril 1637. Cette brochure de 23 pages, in octavo, sortit de presse en l'an VII, soit fin 1798 ou début 1799 (1). Le livret était orné d'une gravure de Joseph Dreppe qui montrait la dépouille mortelle du bourgmestre, exposée sur un lit de parade, dans la nef de la cathédrale, entourée de grands flambeaux, et déposée sous la grande couronne de lumières pendue à la voûte. Cette gravure, étudiée sommairement par le comte d'Aarschot‑Schoonhoven (2) a été maintes fois exposée au public. Elle correspond aux événements historiques et illustre très bien la description des faits que nous a laissée un contemporain: « Le lendemain, son corps fut exposé en la nave de l'église Saint‑Lambert, quatre flambeaux autour de son corps; on éleva un hault bière au milieu de l'église; aux quatre coings, quatre grosses chandelles. La grande couronne estoit garnie de petites chandelles (3). »

Quelle est la valeur documentaire de cette gravure? Pour répondre, je voudrais étudier successivement les points suivants: depuis quand la nef de Saint‑Lambert fut‑elle décorée d'une couronne de lumières et quand celle­ci a‑t‑elle disparu? Était‑ce un cas unique?; tracer la biographie de Joseph Dreppe, l'auteur de la gravure, interroger les autres témoignages qui décrivent le lustre de la cathédrale et enfin, voir s'ils confirment ou infirment le dessin que Dreppe nous en a laissé. Nous aurons ainsi l'occasion de rappeler le souvenir d'un artiste de valeur du 18e siècle, trop méconnu et, si mes conclusions sont admises, d'enrichir nos connaissances sur les orfèvreries romanes liégeoises et leurs rapports avec la Bible.

Que savons-nous de cette couronne?

De nombreux textes nous parlent de la célèbre couronne de lumières de la cathédrale ou, plus précisément des quatre couronnes qui illuminaient l'église.

En effet, elles sont maintes fois citées dans le liber officiorum ecclesiae leodiensis qui règle minutieusement les charges de tout le personnel de la cathédrale, à la fin du 13e siècle ou au commencement du suivant. Aux grandes solennités, le chanoine coste devait placer des cierges sur les quatres couronnes, au moins aux matines. Par contre, le jour octave de la Saint­Lambert, il ne devait en illuminer que deux, à savoir la plus grande et celle qui pend devant l'autel (4).

Il n'est pas exclu que les corone argentee sex citées dans l'inventaire du trésor, dressé en 1025, soient des couronnes de lumières (5). En tout cas, il y en avait déjà une assez remarquable dans la cathédrale romane car elle fut détruite en 1185, par le grand incendie qui détruisit alors l'église Saint­Lambert. A cette époque déjà, elle pendait in medio monasterii c‑à‑d: au milieu de l'église".

Notre lustre devait naturellement être la première victime de l'écroulement partiel de la voûte de la grande nef en 1307.

C'est grâce à cet incident que nous connaissons l'emplacement de cette oeuvre d'art. En effet, jean d'Outremeuse, né toutefois 31 ans après l'événement, signale que la catastrophe détruisit un bel ouvrage de marbre « qui estoit sous la couronne grant, qui enssi fut tout débrisiet. Et vos dis que ledit ouvrage fut teis emmi le nave de mostier: dessous la couronne... ». Il n'est pas certain que la couronne ait été anéantie puisque la chute de la voûte n'avait blessé personne quoique les jeunes écoliers fussent dans l'église à l'endroit où les pierres vinrent à tomber de la voûte.

Quoi qu'il en soit, une nouvelle couronne succéda à celle‑ci, ou bien, ce qui est plus probable l'ancienne fut réparée, car nous savons qu'en 1468, l'argent arraché au lustre fut transporté à Maastricht par les soldats vainqueurs (8).

La couronne lumineuse servait à rehausser de son éclat des fêtes joyeuses accompagnées de danses, autant que les cérémonies funèbres et celles auxquelles le chapitre cathédral entendait réserver un caractère tout particulier.

En effet, c'est sous ce lustre que devaient se rendre les Verviétois une fois l'an, et y danser (9). Mais c'est elle aussi qui éclairait les dépouilles mortelles de ceux que l'autorité avait l'intention d'honorer. C'est ainsi qu'aux obsèques solennelles, ceux qui en supportaient les frais devaient payer « quatre livres de chandelles pour la couronne » (10).

En dessous de la couronne avaient lieu certaines cérémonies auxquelles on voulait réserver un éclat tout particulier. Le jubé du choeur fermait la nef vers l'orient, à l'entrée du transept et servait de fond, arrêtant ainsi les regards et ramenant l'attention des spectateurs sur les cérémonies qui se déroulaient dans les dernières travées de la nef.

On y publiait aussi les mandements, édits, résolutions capitulaires et les citations en justice (11), mais les gens curieux eurent parfois l'occasion d'y voir des cérémonies plus extraordinaires.

C'est ainsi, qu'en 1572, l'évêque suffragant Sylvius baptisa et confirma un juif converti « sur un échafaud par dessous la grande couronne, au milieu de l'église » (12). Gloire sans lendemain pour notre lustre, car le 19 octobre 1583 le chapitre ordonna « au personnel de recueillir les plaques d'argent tombant de la grande couronne » jusqu'à ce qu'on la répare. Sept ans après, le 6 juillet 1590, ce n'est pas encore chose faite car le chapitre demande à son orfèvre combien cela fait d'argent (13). Ce n'est que le 12 avril 1669 que les chanoines décidèrent d'effectuer la réparation nécessaire (14). Il était grand temps car le goût pour les choses du moyen-âge allait disparaître. Cependant quelque 35 ans plus tard, un voyageur hollandais - et il sera le seul - trouvera opportun de nous décrire brièvement notre couronne de lumière: « Au milieu de l'église pend une grande couronne dans laquelle on voit autour douze petites châsses de différentes sortes et entre deux, cinq petits chandeliers pour mettre des bougies. On dit que cette couronne a été autrefois d'or, de même grandeur » (15).

Quelques années plus tard, les érudits bénédictins, Martène et Durand, de passage à Liège, observèrent dans la nef de la cathédrale, « une couronne semblable à celle qui est au milieu du choeur de Saint‑Remy de Rheims » (16).

Deux brèves mentions datant de l'extrême fin de l'ancien‑régime prouvent que la couronne subsistait en plein siècle des lumières malgré son aspect désuet et « gothique ». En 1786, on cite la « vaste couronne de cuivre suspendue au milieu de la nef » (17) et Henri Hamal, maître de la musique de la cathédrale a vu en 1792, le corps du prince‑évêque Hoensbroeck exposé sous la couronne de lumière (18).

De ces textes, il ressort que la grande couronne a existé depuis l'époque romane (12e siècle) jusqu'à la destruction de l'église, qu'elle pendait au milieu de la nef: faite de métal argenté ou d'argent, elle portait 60 cierges groupés par séries de cinq séparées par des petites châsses soit des tourelles et enfin, que c'est sous elle que se célébraient les cérémonies importantes ou que l'on exposait les corps des hommes que l'on voulait particulièrement honorer (19).

Ces couronnes de lumière étaient‑elles une particularite de notre cathédrale? Non, car il en subsiste encore quatre, en Allemagne, et la France en a eu deux au moins, perdues depuis longtemps. Elles se trouvent toutes situées dans l'ancienne Lotharingie ou dans les pays limitrophes. Les autres régions ont‑elles connu cette coutume ?

Toutes se rattachent plus ou moins, au même type: soit un cercle, soit un ensemble de segments de cercle formant couronne, interrompue par des tourelles imitant parfois des portes fortifiées contenant un personnage, apôtre, prophète ou soldat. Entre ces tourelles, les arcs portent des chandeliers où l'on piquait des cierges.

La plus ancienne subsistante est la petite couronne pendue dans le choeur de la cathédrale de Hildeshein: elle fut offerte par le prince-évêque Azelin (1044-1054) tandis que la grande couronne qui orne la nef de cette église est un cadeau de son successeur Hézilo (1054-1079). L'abbatiale bénédictine de Gross-Comburg (Wurttemberg) en reçut une de l'abbé Hartwig (+ 1140) mais ce lustre n'a pas la qualité de celui que l'empereur Frédéric Barberousse fit faire par l'orfèvre Wibert, vers 1160-1170 pour décorer la chapelle palatine d'Aix-la-chapelle. La ressemblance évidente de la couronne de Liège et de celle d'Aix nous obligera à revenir plus loin sur cette question.

Au début du 12e siècle encore, Pibon, prince‑évêque de Toul en avait offert une à sa cathédrale: son aspect ne nous est pas connu contrairement à celle de St Remi de Reims: il subsiste un dessin du 16e siècle dont Viollet­le‑Duc s'est servi pour tracer les figures qui ornent son dictionnaire du mobilier (20). On ne pourrait juger la fidélité de son dessin sans connaître le modèle.

Au crépuscule du moyen‑âge, ces lustres n'étaient pas partout démodés car des orfèvres confectionnèrent une grande couronne qui, de nos jours encore, éclaire la nef de la cathédrale de Halberstadt tandis qu'une plus petite, de fer forgé cette fois, est pendue dans l'église de Bastogne.

Mais il n'est pas nécessaire de porter ses regards vers de si lointaines régions pour retrouver l'usage de ces lustres. Ils étaient bien connus au diocèse de Liège: on en voyait entre autres à l'église abbatiale de Saint­Jacques de Liège (21), à celle de Stavelot (22) et Saumery en avait remarqué une, vers 1740, pendue au milieu de l'église polygonale de Saint‑Jean à Liège (23). On en trouvait même dans une église plus modeste comme celle de Saint‑Christophe, vers 1620 encore (24).

Aux frontières mêmes du diocèse de Liège, l'abbatiale de Lobbes avait connu une couronne de lumières ornée de perles fines et d'or, s'il faut en croire son abbé Folcuin. Elle avait péri lors des invasions hongroises de 954 qui entraînèrent la ruine de l'abbaye dont les évêques de Liège étaient alors parvenus à se faire nommer abbés (25).

Ces quelques exemples dont nous avons conservé le souvenir, nous autorisent à penser que l'usage des couronnes de lumières fut assez largement répandu dans nos régions lotharingiennes.

Que savons‑nous de l'auteur de la gravure, Joseph Dreppe ?

Sa biographie nous est encore peu connue car si Jules Helbig lui a consacré cinq pages, son nom n'a pas été retenu pour la Biographie nationale à l'encontre de celui de son frère Louis à qui celle‑ci réserve une demi colonne pleine de généralités qui en disent long sur l'embarras de leur auteur. L'imprécision est telle que certains ont cru que Louis était fils de Joseph, lui‑même fils de « J. M. » ! (26).

Pierre Dreppe et Marie Delise mirent au monde Jean‑Noël Dreppe qui fut baptisé à Sainte‑Véronique, le 13 juin 1714. Il devint graveur, dit‑on, et habitait la paroisse Sainte‑Gertrude lorsqu'il épousa, le 24 août 1733 Marie Elisabeth Redouté, paroissienne de Sainte‑Aldegonde, morte à l'hôpital de Bavière, inhumée près de cette église le 19 juin 1791 (27). Ils eurent neuf enfants, dont quatre garçons, baptisés à Notre‑Dame‑aux‑fonts de 1734 à 1754. Seuls, deux d'entre eux retiendront notre attention, surtout l'aîné. Le second, Louis Godefroid « Drept » fut baptisé à Notre‑Dame‑aux‑fonts le 1er décembre 1739 et inhumé dans l'église Sainte‑Aldegonde le 17 février 1782, où le chanoine Henri Hamal remarqua sa tombe. Il fut graveur mais son oeuvre est restée quasi inconnue jusqu'aujourd'hui. Par contre son frère aîné Joseph semble avoir joué un rôle plus en vue. Baptisé à Notre‑Dame‑aux‑fonts, le 30 septembre 1737, il épousa le 7 septembre 1763, peu de temps après son retour de Rome, Anne‑Marie Delvaux, de Sainte‑Aldegonde. Elle mourut le 11 mai 1785, et fut inhumée à Saint‑Aldabert tandis que son mari lui survécut jusqu'au 29 mars 1810. Nous conservons la trace du baptême de neuf enfants, six garçons et trois filles, nés de 1764 à 1781. Trois d'entre eux portent le nom de Léonard‑Joseph ce qui nous incite à croire que deux fois au moins, la Mort leur enleva de jeunes enfants. Les huit aînés furent baptisés, eux aussi, à Notre‑Dame‑aux‑fonts et le dernier à Saint‑Aldabert. Le troisième, eut comme parrain et marraine Barthélemy Digneffe et son épouse. Le ménage semble avoir été contraint à déménager maintes fois, habitant en 1764 et 65, la paroisse Saint‑Martin‑en‑île, en 1770 et 1772, Saint‑Servais, en 1781, Saint‑Remy tandis que les autres enfants seraient nés dans la paroisse Sainte‑Aldegonde, peut‑être chez leurs grands‑parents.

De 21 à 24 ans, Joseph, le célèbre peintre graveur, eut le bonheur de jouir d'une bourse au collège liégeois à Rome, fondé par Lambert Darchis, où nous le voyons résider de 1758 à 1761 (28). D'après Helbig il y aurait reçu des leçons de Placido Constanzi et dessiné dans les musées, les statues de l'antiquité. Rentré à Liège, il obtint en 1781 l'accessit du prix proposé par la Société d'Émulation pour l'embellissement de la ville et fut nommé en 1784, directeur de l'Académie de peinture fondée par Hoensbrœck à sa demande (29).

Rallié plus tard au régime nouveau (30) il s’éteignit à Liège, le 29 mars 1810, âgé de 73 ans, dans une situation matérielle assez pénible. Pendant les années troublées, il avait continué à donner des leçons publiques, notamment en 1789 et 1790. Il avait aussi gagné 400 livres en 1795 pour avoir présenté un projet d'aménagement du terrain qui serait rendu libre par la destruction de la cathédrale (31). Deux ans plus tard, Joseph Dreppe fut chargé d'une mission quelque peu différente. A la demande de Charles‑Nicolas Simonon, l'Administration centrale lui confia la tâche de dessiner des reliefs et des statues de la cathédrale pour en garder le souvenir avant qu'on ne les détruise.

Dreppe exécuta trois dessins, au moins, et gagna de ce chef, 36 livres (32). Je suppose que c'est à cette époque qu'il dessina les quelques vues générales des ruines que nous avons encore le bonheur de conserver aujourd'hui. Admirables dessins, où le sens artistique ne le cède en rien à la qualité technique et à une remarquale connaissance de la perspective. Quelques uns furent gravés d'une manière médiocre par Chevron, et publiés.

Que savons‑nous de son oeuvre ?

Assez peu de choses. Les archives nous enseignent qu'il travailla maintes fois pour la Cité et pour le palais des États de la principauté mais la plupart de ces travaux sont perdus (33). Il avait peint la fontaine de la Vierge, au Vinâve d'île, en 1780, et celle du perron en 1784. La première fut gravée par Godin et la seconde par Dreppe lui‑même (34). Il orna aussi de peintures la coupole de l'église des prémontrés, l'actuel séminaire (35). Comme peintures de chevalet je ne connais que deux oeuvres; une allégorie « Velbrück accueillant les sciences, les lettres et les arts » conservée au château de Hex (36) et une autre plus intéressante au sujet de laquelle je reviendrai prochainement. Une troisième: « La France accueillant le pays de Liège » fut exposée en 1930. Par contre le nombre de ses dessins semble avoir été très considérable. De nos jours le Musée de l'Art wallon, en conserve 361; la plupart représentent des motifs décoratifs. D'autres furent exposés à Liège, tels que « La société d'Émulation offrant une plume à la comtesse de Looz » (37) un « mariage dans un paysage » signé et daté 1789 (38) un monument funéraire à la mémoire d'Elisa Drapper (39) et enfin « l'extinction de la mendicité dans la Ville de Liège » signée « Dreppe peintre, invenit, 1802 » (40). On connaît aussi un projet de tombeau pour Léonard Defrance, dessiné au lavis d'encre de Chine (41).

Le nombre de ses gravures actuellement connues est assez limité. Outre celle qui retient notre attention, on cite un « hommage à Jean‑Nicolas Bassenge », un hommage à Fabry (42) et les gravures de certains dessins cités ci‑dessus tels que ceux des fontaines de Liège.

Voilà à peu près ce qui est connu, de nos jours, de l'artiste et de son oeuvre. Il a connu la cathédrale, a dessiné cinq ou six vues des ruines et des détails des statues et des reliefs. Tous ces dessins sont dignes de confiance car ils correspondent en tous points à tout ce que nous savons de la célèbre église. Celui qui s'attache à étudier longuement les caractères de l'architecture gothique, y reconnaîtra aisément une reproduction fidèle d'un édifice de ce style.

Mais la confiance que nous lui accordons, a priori, ne doit pas suffire à nous convaincre. On pourrait aussi imaginer que Dreppe a copié une autre couronne de lumières, celle d'Aix‑la‑chapelle, par exemple (43).

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Il faudrait alors admettre que le peintre soit allé expressément à Aix, pour exécuter son dessin, ou qu'il ait fait un croquis de ce lustre, auparavant, lors d'un voyage. Mais rien ne nous autorise à croire que Dreppe ait eu un goût particulier pour les objets du moyen‑âge, si décrié alors. Bien au contraire tous ses dessins conservés aujourd'hui nous montrent un homme de son temps qui aime l'art contemporain uniquement, le style néo‑classique (dit parfois Louis XVI) et nullement influencé par le jeune romantisme qui allait renverser les conceptions artistiques et ramener le goût du moyen‑âge. De plus, il suffit de comparer la gravure de Dreppe à la couronne de lumières d'Aix pour constater de nombreuses différences importantes telles que le nombre des segments de cercle, et de cierges, forme des tourelles, etc.

Par ailleurs, on imagine difficilement quel autre modèle, il aurait pu prendre; car les couronnes de lumières avaient presque toutes disparu aux 17e et 18e siècles, victimes du changement du goût de ceux qui auraient dû les conserver. Je reconnais que ce n'est là qu'un argument a silentio mais je m'empresse de déclarer que le dessin de la couronne de lumières correspond en tous points aux deux descriptions du lustre de la cathédrale Saint‑Lambert, que nous ont laissées ceux qui l'ont vu ou dessiné.

En effet nous possédons deux autres témoignages.

Le premier et le plus ancien est celui de Mathieu Brouerius, avocat d'Amsterdam, mort en 1743, qui passa par Liège en 1699 et nous laissa une précieuse description de notre ville, restée inédite et par conséquent inconnue de Dreppe, jusqu'au moment où le professeur Léon Halkin révéla aux chercheurs ce récit si riche en détails épigraphiques et archéologiques.

Brouerius visita la cathédrale, y fit maintes remarques assez judicieuses et se rendit « dans le milieu de l'église, où il pend une grande couronne dans laquelle on voit autour douze petites châsses de différentes sortes et entre deux, cinq petits chandeliers pour mettre des bougies. On dit que cette couronne a été autrefois d'or de la même grandeur » (44). Remarquons tout de suite, que cette description correspond exactement à la gravure de Dreppe ; on voit très nettement les 60 bougies groupées par cinq, séparées par les 12 tourelles qui toutefois sont toutes semblables l'une a l'autre, d'après Dreppe.

Nonante ans après le passage de Brouerius, le géomètre Carront entreprit de dresser le plan de la cathédrale, en 1794. L'original de ce plan est perdu, mais une copie de 1840, dessinée par un frère des écoles chrétiennes fut offerte à Mgr. Van Bommel, évêque de Liège. Elle est conservée à l'Évêché de Liège, de nos jours encore.

Des copies de cette copie furent publiées par différents auteurs (45).

Alexandre Barthélemy Carront, connu par de nombreux plans, généralement soignés, avait pris soin de dessiner la couronne de lumières, au bas de la légende de son plan, hélas très sommairement. Chose curieuse, on y trouve aussi 60 pointes! Et le texte précise l'emplacement. Cette « couronne était suspendue à la voue entre les deux premières colonne en entrant ». Tout coïncide avec les dires de Brouerius et le dessin de Dreppe!

Serait‑ce dû au hasard? Les couronnes de Hildesheim comportent 24 fois 3 cierges, celle de Komburg, 12 fois 4, comme celle de Saint‑Christophe de Liège, celles de Toul et de Reims avaient 12 groupes de 8 chandelles et celle d'Aix, la plus susceptible d'avoir servi de modèle à Dreppe, 16 fois 3.

Évidemment le nombre 12 joue un rôle important dans ces lustres, destinés à symboliser la Jérusalem céleste décrite par l'Apocalypse. (chap. XXI, 9-14) « Elle a une grande et haute muraille avec douze portes; à ces portes sont 12 anges et des noms inscrits: ceux des douze tribus d'Israël. Il y a 3 portes à l'orient, trois au nord, trois au midi et trois à l'occident. La muraille de la ville a 12 pierres fondamentales sur lesquelles sont douze noms, ceux des douze apôtres de l'Agneau » « Elle est brillante de la gloire de Dieu ». Le lustre de Liège se rapprochant visiblement du texte biblique. Le fait a déjà frappé ceux qui étudient l'orfèvrerie romane mosane ou les fonts de la cathédrale, actuellement à Saint-Barthélemy.

Toutes ces oeuvres sont des illustrations de textes bibliques et les artistes qui les ont créées ont été guidés par des chanoines ou des moines. Rappelons‑nous que l'école typologique a probablement pris naissance au diocèse de Liège. Sachons gré à Dreppe d'avoir contenté à la fois ceux qui voulaient commémorer l'ignoble assassinat du bourgmestre Laruelle... et ceux qui s'efforcent de connaître les trésors du moyen‑age roman liégeois en leur laissant un dessin, digne de confiance, semble‑t‑il, de la grande couronne de lumières, qui éclairait l'ancienne cathédrale de Liège.

Richard FORGEUR.

 

P. S. - O. THIMISTER, dans son « Essai historique sur l'église Saint-Paul », paru en 1867, rapporte, à la page 198 qu'« il y a quelques années, on suspendait à l'entrée du choeur, une couronne sur laquelle on allumait des bougies ». Il en donne les mesures et loue l'effet décoratif de ce lustre.


1. X. DE THEUX, Bibliographie liégeoise, col. 800. Liège, 1885.

2. Bulletin de la Société des bibliophiles liégeois, t. 12, p. 136-145, Liège, 1927.

3. X. DE THEUX, Collection de documents contemporains relatifs au meurtre de la Ruelle, Liège, 1878. - On trouvera la bibliographie et l'iconographie du sujet dans les catalogues des « expositions de souvenirs de la Ruelle et de son temps », Liège, 1938 et 1949. La gravure de Dreppe est décrite, sous le numéro 79. On ajoutera à la bibliographie énumérée dans ces catalogues: M. YANS, La veuve La Ruelle, partie civile, et P. HANQUET, Les origines de Sébastien La Ruelle, publiés respectivement dans les pages 49 à 63 et 65 à 113 du Bulletin de la Société des Bibliophiles liégeois, t. 19 de 1956.

4. Ce texte est publié par S. BORMANS et E. SCHOOLMEESTERS dans le B.C.R,H., 5e série, t. 6 (1896); p. 485 se trouve le passage que je cite; on y trouvera de nombreux passages concernant les couronnes de lumières, notamment pages 463, 484, 485, 489.

5. Leodium, t. 13 (1914), p. 44. Sur l'usage de pendre des couronnes, se rappeler celles de Guarrazar, du milieu du 7e siècle.

6. G. KURTH, Notger de Liège, t. 2, p. 38, Paris, 1905, d'après le Breviloquium de incendio.

7. Le myreur des histors, édité par S. BORMANS, t. 6 (1880), p. 107, texte repris au 16e siècle par Jean de Brusthem (S. BALAU et E. FAIRON, Chroniques..., t. 2, p. 66).

8. T. GOBERT, Liège à travers les âges, t. 3 (1926), p. 466, d'après Adrien d'Oudenbosch, édition ALEXANDRE, p. 243-245. Gobert, p. 471, cite aussi des mentions de la couronne en 1321, 1352 et 1505. Il est beaucoup plus vraisemblable que l'ancienne couronne fut réparée, ce qui explique l'aspect roman qu'elle conserva toujours. Une nouvelle couronne, fabriquée peu après 1307 eût été de style gothique.

9. Voir entre autres mentions, celle du 16e siècle, rapportée dans le Bulletin de la Société verviétoise d'archéologie et d'histoire, t. 1, p. 213, Verviers, 1898.

10. L. NAVEAU, Note sur les luminaires à la cathédrale de Saint Lambert, dans Bulletin de la Société des Bibliophiles liégeois, t. 10, p. 148, Liège, 1896.

11. L. LAHAYE, Inventaire analytique des chartes de la collégiale Saint‑Jean de Liège, t. 1, page X, 1921.

12. S. BALAU et E. FAIRON, Chroniques..., t. 2, p. 558.

13. E. PONCELET, Les orfèvres de la cathédrale Saint‑Lambert de Liège, dans Bull. Soc. Art Histoire Diocèse Liège, t. 26 (1935), p. 127.

14. S. BORMANS, dans A.H.E.B., t. 13 (1876), p. 325.

15. L. HALKIN, Une description inédite de la ville de Liège en 1705, p. 64, Liège, 1948.

16. Second voyage littéraire, p. 190, Paris, 1724.

17. L'homme sans façon, réédité dans le bulletin de la société Le Vieux‑Liège, de 1896, col. 718.

18. E. SCHOOLMEESTERS, Henri Hamal, p. 18 et 28, Liège, 1914.

19. C'est sous la couronne de lumières qui pendait au choeur dédié à saint Pierre, dans la cathédrale de Cologne, que l'archevêque Reinald von Dassel déposa les reliques des mages en 1164, cfr H. SCHNITZLER, Der Dom zu Aachen, p. XXIV, Düsseldorf, 1950.

20. Tome 1, p. 137-140. Paris, 1855. Les couronnes de Saint-Godehard à Hildesheim et de Saint-Christophe à Liège sont modernes mais ont un très bel effet décoratif. Les plans de celle de Saint-Christophe, datés février 1892 et signés Edmond Jamar, sont conservés aux Archives de l'État à Liège, Fonds Cartes et plans, n° 409.

21. S. BALAU et E. FAIRON, Chroniques liégeoises..., t. 1, p. 19.

22. J. YERNAUX, L'église abbatiale de Stavelot, dans Bull. Société d'Art et d'Histoire, t. 24 (1932), p. 96.

23. L. LAHAYE, Inventaire analytique des chartes de l'église Saint‑Jean de Liège, t. 1, p. X, Liège, 1921, citant les Délices du Pays de Liège.

24. D'après la Visite de l'église par le nonce Albergati, publiée par J. Hoyoux, dans le Bulletin du Vieux‑Liège, n° 137 de 1962, p. 159.

25. S. BRIGODE, L'architecture religieuse dans le sud‑ouest de la Belgique, dans Bulletin de la Commission royale des Monuments et des Sites, t. 1 (1949), p. 113, d'après une chronique contemporaine.

26. J. E. DEMARTEAU, dans l'introduction du catalogue des gravures exposées en 1905 à l'exposition « L'Art ancien au pays de Liège », p. XIII.

27. Tous les renseignements biographiques proviennent des régistres paroissiaux de la Ville de Liège, déposés aux Archives de l'État à Liège. Le nom de l'épouse est écrit : Leredoutez, ou le Redouté, Leredouté, Herdotthée ou même Ridouné.

28. M. DE SMET, Le collège liégeois de Rome, p. 32 et 33, Bruxelles, 1960. « Giuseppe Drepp » nommé une fois Drego, y fut en 1758 condisciple de Léonard Defrance.

29. T. GOBERT, op. cit., t. 4, p. 357 1.

30. J. BORGNET, Histoire de la révolution liégeoise, t. 2, p. 334, Liège, 1865, le considère comme un modéré.

31. T. GOBERT, op. cit., t. 3, p. 478 1.

32. T. GOBERT, op. cit., t. 3, p. 479 2. et J. HELBIG, dans Conférences de la S.A.H.D.L., t. 2, 1889, p. 104.

33. B.I.A.L., t. 7, passim, Liège, 1865.

34. Publiées par T. GOBERT, op. cit., respectivement aux tomes 5, p. 592 et 4, p. 505, citée p. 67. Celle du Vinâve d'île l'est aussi dans le Bulletin du Vieux‑Liège, n° 138, p. 188 de 1962.

35. J. HELBIG, op. cit., p. 456 et H. HAMAL, Memento..., publié par R. LESUISSE dans le Bulletin de la Société des Bibliophiles liégeois, t. 19 (1956), p. 234.

36. Exposée en 1905 sous le numéro 1149 et en 1881 sous le numéro I 128. Dreppe avait représenté le même sujet, en un dessin exposé en 1930, sous le numéro 934; il date de 1772. On l'exposa aussi en 1948, sous le numéro 32 de Velbrück et son temps.

37. Exposition de 1930, n° 935 et 1905, n° 2275.

38. Exposition de 1939, n° 936.

39. Exposition de 1905, n° 213 et page XI.

40. Exposition de 1681, n° II, 284.

41. Exposition Velbruck et son temps, n° 33. Liège, 1948.

42. Exposition de 1951, n° 835 et Velbrück et son temps, nos 16 et 17.

43. Celles de Hildesheim, de Gross‑Komhurg et de Halberstadt sont encore plus différentes. Que celles d'Aix et de Liège aient des traits communs, n'étonnera jamais ceux qui ont comparé les oeuvres d'orfèvrerie romane de la Meuse à celle de Rhénanie.

44. L. HALKIN, Une description inédite de la ville de Liège en 1705, p. 64, Liège, 1948.

45. On trouvera de nombreux détails complémentaires au sujet de ce plan dans le Bulletin du Vieux-Liège, t. 5, n° 116, p. 137-140, Liège, 1957. Alexandre Barthélemy Carront, naquit et fut baptisé à Saint-Servais le 4 décembre 1758, et épousa Marie-Claire Radino en 1790. Il est le fils d'Alexandre Carron(t), géomètre arpenteur, baptisé à Saint-Servais le 22 juin 1746 qui épousa à Saint-André, le 30 janvier 1767, Elisabeth André, domiciliée en cette dernière paroisse.

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