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Collégiale Saint Jean l'Evangéliste à Liège

Quelques découvertes dans l'ancienne Chapelle des Bénéficiers
de la Collégiale de Saint Jean à Liège

par Ch. du VIVIER de STREEL, Curé de St. Jean.

Les antiques choses s'en vont, mais du moins aujourd'hui on en tient quelque compte et l'on aime à en conserver la mémoire. — L'ancienne église de St. Jean fut bâtie vers l'an 981 par L'évêque Notger pour remplacer l'église de ce nom détruite lors de la prise de Chèvremont. Cette église bysantine, dont l'église moderne représente le mode de structure, exista jusqu'en 1754. Mais dès le quatorzième siècle, elle avait déjà subi quelques changements. A l'abside avait succédé un choeur gothique aux longues fenêtres du même genre que celui de l'église romane d'Aix-la-Chapelle. Les cloîtres furent aussi rebâtis vers cette époque, et la partie qui subsiste encore fait regretter les deux autres parties qu'on a modernisées au commencement du siècle passé, sans qu'on connaisse la cause qui a pu nécessiter cette désastreuse métamorphose (1).

La chapelle dite des bénéficiers (2) subit aussi au 18e siècle une complète transformation. Ce ne fut plus alors qu'une grande salle au fond de laquelle fut élevé un autel. Cet autel était placé sur une grande pierre sépulcrale représentant deux prêtres vêtus de l'ancienne chasuble dont les côtés recouvrent les bras jusqu'au coude. La légende inscrite autour de la pierre en lettres gothiques nous apprend que ces deux personnages portaient le nom de Mortier et Nicolaï et qu'ils sont morts au seizième siècle. Cette pierre est maintenant placée dans le pavé des cloîtres au coin-Ouest.

Il existait aussi dans cette chapelle une pierre fixée dans le mur portant l'inscription suivante: Oretis pro anima venerabilis quondam viri Dni Wilhelmi de Wavera presbyteri, hujus ecclesiae canonici, hic autem sepulti, qui obiit anno a nativitate Dni Millesimo quadringentesimo Ivii. Mense januarii die XXIII. Requiescat in pace. Amen.

Le curé soussigné, prévoyant la reconstruction de cette partie des cloîtres qui menaçaient ruine, commanda des ouvriers pour retirer cette pierre afin de la préserver de la destruction. Mais en frappant à l'entour pour la détacher, les ouvriers trouvèrent sous le plâtras au-dessus de l'inscription susdite un creux d'où il sortit bientôt des matériaux de tout genre, tels que morceaux de briques, etc. Au lieu du trésor que ce vide annonçait, s'offrit à leurs yeux un bas-relief du moyen-âge, le plus ancien, je pense, qui se trouve à Liège, puisqu'il est de l'époque de l'inscription.

Ce morceau, extrêmement curieux, représente un épisode de la vie de la Madeleine. Le Sauveur est à table entre deux personnages. L'un assis à sa gauche lève un pot à boire de la main gauche: l'autre a la main gauche appuyée sur quelque chose qui ressemble à une tranche de pain sur laquelle est posé un morceau. Le Sauveur a également la main gauche appuyée sur la table, avec le même genre d'assiette, mais son bras droit, ainsi que celui des deux autres personnages, sont cassés. — Au milieu de la table se trouve un plat de poissons, et autour plusieurs assiettes, et, ce me semble, de petits pains du genre de ceux que l'on appelle à Liège michots. On y voit aussi deux couteaux à la mode du temps. — A la gauche de cette salle à manger, se trouve une petite ouverture carrée au fond de laquelle on aperçoit la grosse tête d'un serviteur qui a placé devant lui une assiette qu'il veut faire passer aux convives. — La Madeleine est courbée sous la table et dans ce moment elle essuie les pieds de J.-C. avec sa longue chevelure. — A la droite de la table est le donateur à genoux en surplis et en aumusse. Saint-Jean, dont la main gauche, portait le calice traditionnel, mais qui ici est brisé, lui pose la main droite sur l'épaule pour le présenter au Sauveur. Sur le devant du bas-relief est un ange qui appuie ses deux mains sur les armes du donateur Wavera qui sont: de sable à trois croissants d'argent.

Ce bas-relief en pierre de sable brun avait été orné de couleurs très-vives et de dorures. Mais le temps et plus encore le préjugé barbare de l'autre siècle contre tout ce qui était gothique ont fait un tort irréparable à cette sculpture.

L'inscription prémentionnée avec son bas-relief sont maintenant incrustés dans l'embrasure d'une porte bouchée au coin-Ouest des cloîtres de St. -Jean.

Au-dessous, on trouvera une pierre sépulcrale en langue vulgaire également curieuse. Cette pierre a été transportée du cimetière de St. Adalbert, où elle gisait abandonnée, par les soins du même curé.

En voici, la teneur quelque peu traduite pour en faciliter l'intelligence.

« Ci gît Damoiselle (3) Catheline de Bierses mère à Messire Linart et Madame (4) à Messire Henri, ambedois (5) recteur de l'Englise, femme à Bt. -Johannes de Vomeken, et Damoiselle Agnes sa femme, Magrite et Jehenne leurs filles, qui trépassât l'an 1400 et 37 en mois d'octobre le 11e jour. Priez à Dieu pour eux. Ci gît Messire Jehan de Vomiek (6) qui trépassât l'an 1400 et 67, 9e jour de novembre. »

Une autre pierre rapportée aussi de St. Adalbert dans les cloîtres de St. Jean porte l'inscription suivante:

« Icy devant gisst honest parsone Renskin Bolvy qui trépassât l'an XVe84 may 10, et Marie Goesuyn son espeuse qui trépassât l'an XVe... et Jehan son fils qui trépassât l'an XVe68 le XXVIII d'avril. » Les armoiries de cette pierre sont trop altérées pour qu'on puisse bien les décrire (7). — Au-dessus de l'inscription est un Christ en croix accompagné de la Ste-Vierge et de St. Jean. A droite sont à genoux les hommes et à gauche les femmes de la famille Bolvy.

Puisque j'en suis aux pierres sépulcrales, j'en mentionnerai encore brièvement trois autres récemment retrouvées et qui ont bien leur mérite. D'abord celle de Jean de Thenis, chapelain de St. Jean, mort au mois de mai 1400, dont l'écriture gothique en relief est taillée avec une rare perfection. Ensuite celle de Cornélius Brunonis (si je lis bien) mort le 1er février 1447. Celui-ci était non-seulement chapelain, mais encore Buccentor; (contraction de buccinator); ce qui signifie probablement qu'il accompagnait le chant avec le basson, le cor ou le serpent. La troisième, plus récente, a été trouvée ensevelie dans ce qu'on appelle le carre ou jardin des cloîtres. C'est celle de Henri Pompée de Nyes, fils de l'echevin de Nyes, qui fut chanoine de St. Jean pendant 65 ans et mourut en 1684 à l'âge de 90 ans. — On dit que ce Pompée de Nyes fut présent à l'assassinat du bourgmestre La Ruelle, en l'an 1637. Mais Crassier parle d'un Nyes tréfoncier qui fut invité au banquet de Warfusée et non d'un Nyes chanoine de St. Jean.

Pour en revenir aux découvertes faites dans la chapelle des Bénéficiers, je dirai qu'en suivant les travaux, j'ai pu me convaincre que l'ancien autel était placé au côté opposé du nouveau sous lequel se trouvait la pierre de de Mortier et Nicolaï dont j'ai parlé plus haut. On entrait dans cette chapelle par une porte en plein cintre de l'époque romane, laquelle était située au côté gauche de l'autel et donnait sur le jardin des MM. de Stenbier de Wideux. Ce jardin faisait sans doute dans ces temps-là partie du rivage.

Cette chapelle avait servi autrefois à la sépulture des Bénéficiers et même des Chanoines de St. Jean. En creusant le sol, on a retrouvé nombre de sépulcres posés transversalement les uns à côté des autres et contenant quelquefois plusieurs corps. — Ces sépulcres étaient faits de tranches de sable d'une épaisseur de 10 à 45 centimètres. Ils avaient une profondeur de 50 centimètres et une longueur d'environ 2 mètres. Ils étaient recouverts par des dalles de grès dur.

Vis-à-vis de l'ancien autel était un sépulcre isolé, posé longitudinalement, et ne portant comme tous les autres aucune inscription (8).

On l'ouvrit avec précaution. Le squelette était assez entier. Auprès de la tête on trouva un verre de la forme de ceux qu'on appelle verres de Venise dont le fût était percé et le vase extrêmement délicat. Cependant la circonférence inégale du pied qui est d'une rondeur très-irrégulière, et d'autre part l'imperfection des ornements et de la fabrication en général, attestent l'enfance de l'art avec des matériaux déjà bien perfectionnés. Ce fut, si je ne me trompe, au temps de la deuxième croisade que Venise commença la fabrication de ces verres qui furent ensuite si recherchés. Malheureusement ce verre ou calice souvent ballotté par les eaux qui pénétraient dans ces tombeaux, a été trouvé brisé en plusieurs parties, quoiqu'on puisse aisément en reconnaître le dessin.

Dans un autre sépulcre, on a trouvé aussi un verre; mais cette fois, il avait la forme d'un gobelet ou hanap. Le bord en est évasé et le pied orné d'espèces de grosses pierres précieuses jetées sans art et sans précision au moment de la fusion. Une chose remarquable dans ce hanap, c'est que le fond rentre en cône dans l'intérieur de la même manière que dans nos bouteilles ordinaires.

Quelle est la signification de ces verres placés dans certains tombeaux tandis qu'ils manquent à d'autres? La réponse la plus probable à cette question, c'est que ces verres servaient à distinguer les défunts qui étaient prêtres d'avec ceux qui ne l'étaient pas. On sait qu'autrefois, et même dans le siècle passé, beaucoup de bénéficiers assistaient au choeur sans prendre les ordres sacrés. Il suffisait de la tonsure avec la récitation des heures pour posséder légitimement un bénéfice qui ne requérait point la célébration du saint sacrifice ou d'autres fonctions exclusivement propres au sacerdoce.

En résumé, ces découvertes, bien qu'appréciables et non dénuées d'intérêt, n'ont pas répondu entièrement à notre attente. Dans des déblais de matériaux datant de plus de huit siècles, on pouvait se flatter de retrouver des trésors archéologiques: mais il n'en a point été ainsi. — C'est peut-être pour me consoler, de ce désappointement, que récemment un surveillant des travaux est venu m'apporter une cuiller en étain trouvée, non en terre, mais dans la poussière de la voûte des cloîtres, laquelle porte sur son manche en forme d'inscription: vivre libre ou mourire. Où la République va se nicher !

J'avais fini cet article, quand je me suis aperçu, qu'en parlant des pierres sépulcrales qui existent dans les cloîtres de St. Jean, j'en avais oublié une qui attire depuis longtemps mes regards. — Cette pierre est, à coup sûr, moins intéressante par son mérite intrinsèque, que par l'esprit goguenard qui en a dicté l'inscription, et le soin qui a présidé à sa conservation, au moment même qu'on détruisait des monuments funèbres précieux pour l'histoire du pays. — Cette pierre a été encastrée dans le mur qui est à côté de la porte latérale-Nord qui communique des cloîtres à l'église.

La voici:

Epitaphe de Sire Guilhaume Wipart, chapelain de St-Jean évangéliste.

Celuy qui pour autruy remémoroit des verses
Crayonant le tombeau de quelque bon amy,
Quest-ce que notre vie? la mort l'a mis icy

Au dessous de ceste pierre
Pour y faire des vers.

Vous qui lisez cecy en toute charité,
Puisque vivant at eu d'un rimeur le renom,
Priez le Souverain. Wipart est son surnom.

Qu'il lui plaise ordonner
L'heureuse éternité.

Obiil f69bris 1627.


(1) Dans un cartouche placé au fond des nouvelles voûtes, on lit: De CartIer Ut proeposItUs CaMeras eXtrUXIt (1738).

(2) Cette chapelle fut primitivement le réfectoire des clercs réguliers institués par Notger, lesquels furent sécularisés vers le 13e siècle. Nous en avons la preuve dans le testament de Guill. de Wavera (3 février 1456) qui porte: Item eligo sepulturam meam in refectorio dictae ecclae sancti Johannis ante et prope ac subtus lapidem quam ibidem alte in muro reponi et sciifpere feci; etc. Voir plus bas la description de cette sculpture.)

(3) Dans le texte Damhelle.

(4) Madame signifie probablement aïeule on bisaïeule (Dans les anciens manuscrits, on trouve les mots de grand sire pour grand père et de grand'dame pour grand'mère). Léonard de Bierset était curé à St. Adalbert en 1424. Henri de Bierset l'était en 1471. — Il y a eu quatre Bierset successivement curés à St. Adalbert. Henri de Bierset fut le quatrième; Eustache fut le premier en 1404.

(5) Ambedois tous deux. En italien umbedue, contrefaçon du latin ambo.

(6) Vomiek est probablement une transformation de Vomeken qu'on lit plus haut.

(7) On croirait cependant distinguer dans celles de Marie Goesuyn les fusées et le franc quartier des armes de Georges Goessvin bourgmestre en 1567: (Voir Loyens . p. 303.

(8) Il y a eu probablement autrefois des pierres sépulcrales au dessus de ces tombeaux. La présence de plusieurs corps dans le même sépulcre, des débris de pierres du 13e et 14e siècles sembleraient l'indiquer. Ces pierres auront été déplacées à mesure que le sol haussait à l'extérieur des constructions.

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