I
La biographie de Notger, dont je vais entretenir le lecteur, n'est pas inédite. II y a plus de deux siècles qu'elle est publiée, et il n'est pas un érudit qui ne l'ait lue. Mais, comme elle était noyée dans une vaste compilation historique faite, au XIIIe siècle, par un chroniqueur qui acceptait ses renseignements de toutes mains sans se préoccuper de leur valeur, on s'est totalement mépris jusqu'ici sur sa véritable nature. Au lieu d'y voir ce qu'elle est véritablement, une oeuvre ancienne, digne de foi, très rapprochée de l'époque du héros, on a cru qu'elle appartenait à Gilles d'Orval lui-même, et on ne lui a attribué d'autre valeur que celle d'un écrit du XIIIe siècle, dû à un écrivain des plus crédules. Il n'en est pas ainsi, et si le lecteur a la patience de me suivre, il aura le plaisir de constater que la critique historique ne donne pas toujours des résultats négatifs.
L'idée de ce travail ne serait peut-être jamais venue, si nous avions dû nous résigner à n'avoir d'autre édition de Gilles d'Orval que celle de Chapeaville. Ce n'est pas calomnier cet érudit que d'affirmer qu'elle est extrêmement défectueuse.
L'édition critique, donnée par J. Heller dans le tome XXV des Monumenta Germaniae Historica, est venue heureusement nous rendre la physionomie exacte de notre vieux chroniqueur. Non seulement elle nous livre son texte tel qu'il est sorti de sa plume, mais, en le reproduisant avec la plus scrupuleuse fidélité, elle nous permet de nous faire une idée juste de ses procédés de composition. Quand je dis composition, c'est par manière de parler: rien ne mérite mieux le nom de compilation que cette chronique-là. Qu'on se figure ce bon moine, avide de connaître le passé et peu satisfait de la sévère concision de ses sources, qui se met à recueillir un peut partout les renseignements propres, selon lui, à les compléter! N'ayant pas la moindre notion de la valeur différente qu'il convient d'attribuer aux témoignages, selon qu'ils émanent des contemporains ou ne sont que l'écho affaibli et défiguré de quelque tradition; acceptant sans ombre d'examen tout ce qu'il lit dans n'importe quel livre et tout ce qui lui est garanti par n'importe quel narrateur, il fait consister sa tache d'historien dans le soin pur et simple de réunir tous ces matériaux de qualité si inégale, et de les présenter au lecteur dans un ensemble qui lui laisse totalement ignorer leur provenance et, partant, leur valeur. Ainsi, il donne aux renseignements les plus suspects une valeur apparente que la critique viendra détruire, et il compromet les témoignages les plus dignes de foi par le voisinage fâcheux de tant d'autres absolument controuvés. Une rapide analyse de tout cet ensemble hétérogène fera mieux connaître encore son procédé.
Pour toute la partie de l'histoire de Liège qui précède le lègue de Théoduin, c'est la double chronique d'Hériger et d'Anselme qui lui sert de base. Cette chronique elle-même n'était plus intacte lorsqu'elle passa dans ses mains. Elle avait été abrégée d'un côté, interpolée de l'autre, et elle se présentait, antérieurement au remaniement que lui fit subir Gifles d'Orval, sous une forme que le manuscrit 761 de l'Université de Liège nous a conservée. On y lisait dès lors, dans la partie relative à Notger, cette célèbre légende de la prise de Chèvremont que la critique de nos jours a définitivement éliminée du domaine de l'histoire (1), et qui, acceptée comme lettre d'évangile dans les siècles précédents, parait avoir été la raison principale qui fit abandonner le procès de canonisation de ce grand homme (2). Notre chroniqueur y interpola quantité de notices, notamment les dates des morts des personnages célèbres, ainsi que leurs épitaphes, copiées sans doute par lui-même sur leurs tombeaux.
Là où s'arrête le récit d'Anselme, la chronique de Gilles d'Orval ne devient pas plus originale. C'est une mosaïque de textes divers, fort inégaux en valeur, et cousus bout à bout, de manière à en faire, au point de vue chronologique, un récit continu allant de la mort de Wazon jusqu'à l'avènement de Henri de Gueldre, auquel il s'arrête. Le tout, en y comprenant les parties dont Hériger et Anselme constituaient la base, s'étendait sur un espace de treize siècles et comprenait toute l'histoire du pays de Liège, depuis l'origine de l'église de Tongres jusqu'à l'époque de l'auteur.
Lorsque ce travail fut achevé, Gilles d'Orval le fit proprement recopier dans un manuscrit qui nous a été conservé, par une dizaine de copistes dont M. Heller a distingué les écritures; c'est cela que j'appellerai le texte primitif de sa chronique, pour le distinguer des notes qu'il continua d'y ajouter au jour le jour, et qui contenaient les renseignements supplémentaires qu'il parvenait à se procurer. Souvent, le total de ces additions était si considérable, qu'il se voyait obligé d'intercaler des lanières de parchemin, sur lesquelles, en caractères serrés, il consignait ses derniers renseignements. Tout cela fait, et toujours préoccupé de ne rien omettre, il envoya le manuscrit à un sien ami, chanoine de Neufmoustier à Huy, peut-être identique avec le chanoine Maurice nommé dans sa préface, en le priant de compléter son travail. L'ami ne se déroba pas au service qu'on lui demandait, et nous trouvons, sur plus d'une page du manuscrit, les notes qu'il y a ajoutées de sa belle écriture. Il y en a treize: presque toutes sont relatives à l'histoire de la ville qu'il habitait, et elles permettent de reconstituer un petit abrégé d'historiographie hutoise au XIIIe siècle.
Après celte espèce de villégiature sur les bords du Hoyoux, le manuscrit fut renvoyé à son auteur, qui trouva encore moyen d'y ajouter diverses petites notes, ainsi que des renvois à d'autres ouvrages formulés comme suit: Quaere in alio libro. C'est ce manuscrit, dont je n'ai pas à raconter les destinées ultérieures, qui nous a été heureusement conservé; il est aujourd'hui à la bibliothèque du séminaire de Luxembourg, et je dois à l'obligeance de Monseigneur l'évêque de cette ville d'avoir pu, à deux reprises, le consulter à domicile.
Ce qui vient d'être dit permet de deviner les défauts essentiels qu'on rencontre dans la chronique de Cilles d'Orval: d'un côté, l'absence totale d'esprit critique; de l'autre, le manque de composition. Pour ce qui concerne le premier point, il prend de toutes mains, et sans aucun discernement; je dis plus: il préfère de beaucoup les sources les moins pures, parce que ce sont précisément celles où il trouve en plus grande abondance les détails merveilleux dont il est friand. Et quand, sur une question, il a à sa portée un récit authentique et sobre, et un autre indigne de foi mais attrayant, il n'hésite pas: il laisse là le premier et prend le second. Jamais on ne lui voit la moindre hésitation devant ce qu'il y a d'extraordinaire ou même d'incroyable dans ce qu'il débite. Jamais il ne montre le moindre souci de contrôler ses textes, ni ne fait un effort pour dégager le vrai des fables ou des contradictions dans lesquelles il est enveloppé. Tous les documents ne valent pas pour lui la légende la plus fabuleuse, écrite des siècles après les faits et les souvenirs les plus précis, consignés jour par jour sous la dictée des événements.
Quant à la composition, elle fait défaut à un degré presque incroyable. Les textes sont juxtaposés sans que l'auteur ait pris la moindre peine pour les assortir à l'ouvrage dans lequel il les introduit. Il les copie purement et simplement dans leur teneur littérale, jusqu'au point de laisser les divers auteurs parler à la première personne. Cette dernière circonstance a longtemps induit en erreur ceux qui ont lu sa chronique ne connaissant pas son procédé, on a cru que c'était lui-même qui parlait en son nom, chaque fois que la première personne était employée, et de là des inexactitudes assez graves qui se sont introduites jusque dans sa biographie. Nous pouvons nous en consoler aujourd'hui, car les défectuosités mêmes de sa composition sont devenues pour nous une preuve de plus de la conscience avec laquelle il a reproduit ses sources, et elles nous aident souvent à retrouver celles-ci. On va en avoir un exemple.
II
Les éditeurs des Monumenta Germaniae Historica ont une excellente habitude typographique: elle consiste à imprimer en caractères ordinaires toutes les parties originales de leur texte, et en petits caractères toutes celles qui sont empruntées à d'autres sources encore existantes. De la sorte, un simple coup d'oeil jeté sur les pages d'un auteur vous permet de vous rendre compte de ce que vous y trouverez de nouveau. En parcourant pour la première fois l'excellente édition que J. Heller nous a donnée de Gilles d'Orval, je pus faire ainsi très rapidement l'inventaire des sources de sa chronique.
Le livre I, imprimé tout entier en petits caractères, n'est que Hériger partie résumé, partie amplifié, accompagné d'annotations marginales de valeur médiocre: il ne s'y trouve presque rien qui ne soit déjà connu, ou dont on ignore la provenance. Le livre II a pour base Anselme, traité de la même manière que Hériger; seulement, ici, l'original, ou pour mieux dire l'inédit, commence à apparaître. A partir de saint Floribert, le grand texte se montre de temps en temps, mais généralement dans des passages fort courts, à l'occasion d'indications chronologiques ou d'épitaphes, ou encore de traditions légendaires.
Je n'en fus que plus surpris de constater que, par une exception unique, une bonne partie du texte consacré à l'histoire de Notger était imprimée en grands caractères, c'est-à-dire était soit de Gilles d'Orval lui-même, soit d'un auteur resté inconnu. Je dis une bonne partie, parce que l'autre consiste dans le texte d'Anselme, qui fait, comme je l'ai dit, la base du récit de Gilles. Le document dont je parle se greffait sur Anselme d'une manière que j'examinerai plus loin.
Cette constatation faite, je me trouvai d'emblée, grâce au typographe des Monumenta, sur la voie des constatations qui font l'objet du présent travail.
D'où proviennent les intéressantes pages de la chronique de Gilles d'Orval qui nous racontent le règne de Notger, et qui ne se trouvent pas dans la chronique d'Anselme? Sont-elles de ce chroniqueur lui-même, comme on l'a toujours cru jusqu'ici, malgré les indices évidents du contraire?
Mais non: son ouvrage n'est qu'une compilation, et son second livre en particulier, sous la réserve de ce qui a été dit plus haut, ne contient rien qui soit de lui. Nous avons ici un morceau littéraire que Gilles d'Orval, selon son habitude, a transporté tout entier dans sa chronique sans prendre la peine d'en faire seulement disparaître les indices évidents de la paternité d'autrui. Prenons donc son histoire de Notger comme une oeuvre indépendante, dont il s'agit de découvrir l'auteur et de déterminer le caractère (3).
Cette biographie de Notger a pour auteur un Liégeois.
L'auteur, en effet, nomme saint Lambert, patronus noster; il dit de Notger Notgerus noster, Dominus et pater noster Notgerus, et de Liège: locum civitatis nositrae et in civitate nostra. De plus, la biographie est exclusivement
écrite au point de vue liégeois. L'auteur semble connaître assez bien toute l'histoire de Notger comme évêque de Liège; il ne sait rien sur la partie de sa vie qui est antérieure à son arrivée dans cette ville, sinon qu'il était Souabe d'origine, ce qu'Anselme avait déjà dit. Il ne connait pas mieux la partie de la carrière épiscopale de Notger qui s'est écoulée en dehors de son diocèse, au service de l'empereur: il n'a là-dessus que des phrases générales, contenant un résumé assez fabuleux du règne d'Otton III. Il prend sa revanche lorsqu'il s'agit de faits liégeois. Il en est qu'il a entendu, dit-il, raconter par les anciens: a majoribus nostris. Il parle des édifices de Liège en homme qui les a vus souvent et qui est familiarisé avec eux. On voit que la topographie liégeoise n'a pas de secrets pour lui. Il donne des détails d'une extrême précision sur saint Lambert, sur saint Martin, sur saint Paul, sur saint Denis, sur saint Jean l'Évangéliste. Il est parfaitement renseigné sur leur architecture, sur leur mobilier, sur leurs reliques, sur les donations que Notger leur a faites. Il sait aussi bien l'emplacement des monuments civils; il connaît l'enceinte muraillée, le marché, le palais épiscopal; il vous dira quel est le cours du bras de la Meuse que Notger a fait passer à travers la ville; en un mot, il est impossible de méconnaître dans un écrivain si bien renseigné sur Liège, sinon un enfant de la ville, du moins quelqu'un qui y a longtemps résidé. Il connaît d'ailleurs aussi les diverses localités du pays, notamment Fosse, Thuin, Gembloux, Huy, dont une charte a été sous ses yeux, et Lobbes, dont il mentionne la bibliothèque. Nous voyons qu'il a visité Saint-Bavon de Gand, puisqu'il y a vu l'original de la vie de saint Landoald et de sainte Landrade par Notger, conservé encore aujourd'hui aux archives de la Flandre orientale. Enfin il semble aussi avoir passé au monastère de Jülich, puisqu'il mentionne les privilèges de cette église écrits sur papyrus (in bible conscripta) (4).
Ce Liégeois, on le voit, était un voyageur, et aussi un fureteur, un érudit qui, arrivé dans un monastère, s'informait volontiers de la bibliothèque et des archives, et leur faisait de fructueuses visites. De plus, il ne manquait pas de certaines prétentions littéraires, s'il faut s'en rapporter à son appréciation de la vie de saint Landoald par Notger: ce document lui a paru, par la richesse de la diction, digne de l'auteur auquel il était attribué (visum est nobis, copia dicendi stilum ipsunt magestati persone convenire). Un autre endroit nous le montre préoccupé d'interpréter un passage un peu archaïque: on le dirait d'un homme d'enseignement, d'un professeur monastique.
Il s'en faut d'ailleurs qu'il fût contemporain de Notger. Non seulement il est manifeste qu'il ne l'a pas connu lui-même, mais dans tout son ouvrage on ne voit jamais qu'il ait entendu parler de lui par des gens qui auraient été ses contemporains. Il nous dit lui-même que, pour raconter son histoire, il a consulté des documents écrits, et parmi ceux-ci il y en avait d'anciens, qu'il a trouvés dans de vieux livres (5).
D'autre part, il est certain qu'il a écrit antérieurement au XIlle siècle. Il a vu, et l'on voyait encore au temps où il écrivait, l'enceinte muraillée dont Notger avait doté la ville de Liège (sicut adhuc hodie videtur): ceci nous reporte à une époque antérieure à Hugues de Pierrepont qui, comme on sait, rebâtit cette enceinte en 1203. De même, la cathédrale Saint-Lambert, bâtie par Notger, était encore debout; il a donc écrit avant le grand incendie qui dévora cette église eu 1185.
C'est donc entre 1007 et 1185, niais probablement plus près de la dernière que de la première de ces deux dates, qu'il faut placer l'époque de la composition du Vita Notgeri, et je ne crois pas me trompér beaucoup en la fixant approximativement vers 1150,
Serait-il possible de faire un pas de plus, et d'arriver à préciser la personnalité de l'auteur? Je le crois.
Constatons d'abord que l'auteur parle de Jülich, de Gand et de Gembloux comme quelqu'un qui a vu ces localités. Notons qu'il semble plus familiarisé avec l'abbaye de Lobbes, à en juger par la manière dont il s'exprime au sujet de la bibliothèque de cette abbaye:
In armario ejusdem ecclesie, quod numero et merito Iibrorum valde autenticum est, inter multa praeclara beneficia, quae omnibus in commune praevidisse scriptis autenticis praeditur, in clericos liberalissimus legitur (6).
Remarquons aussi que les renseignements de notre anonyme sur les travaux de Notger dans les villes de la principauté se localisent dans le pays de l'Entre Sambre et Meuse, où est situé Lobbes: tels sont la construction de l'église et des fortifications de Fosse, les travaux de défense faits à Thuin et, enfin, la nomination d'un abbé dans le monastère de Lobbes lui-même.
D'autre part, constatons qu'il se trouvait à Lobbes, vers 1150, un moine qui présentait précisément les notes qu'on peut regarder comme caractérisant le biographe de Notger. C'était le prieur Hugues, qui avait connu les familiers de l'abbé Fulcaud, mort en 1107, et qui semble avoir ignoré la continuation du Gesta abbatum lobiensium, écrit en 1152, ce qui fait croire qu'il aura dû fleurir vers 1150. Hugues était écrivain lui-même; il nous a laissé un ouvrage intitulé Fundatio monasterii Lobbiensis (7). Nous ne connaissons de sa vie qu'un seul détail, qui nous a été conservé par lui-même, et, chose curieuse, c'est celui qui nous le montre passant à l'abbaye de Saint-Bavon à Gand, où nous avons vu que l'auteur du Vita Notgeri a passé également (8).
Il est une autre note qui permettrait de croire à l'identité du prieur Hugues avec l'auteur du Vita. Le premier, parlant de la construction d'une nouvelle église à Lobbes, ajoute que le pape défendit qu'on y enterrât jamais personne, de peur que le patronage de l'église ne vint à être changé, comme cela est arrivé, entre autres, à Liège, dont la cathédrale, dédiée originairement à la sainte Vierge, a eu ensuite pour patron saint Lambert (9). L'auteur du Vita semble, lui aussi, se préoccuper de la supériorité des titres de Notre_Dame sur la cathédrale liégeoise, car, racontant la fondation de l'église Saint-Jean par Notger, il dit: Hanc ecclesiam propter dilectionem apostoli a Christo amplius dilecti et a christianis amplius diligendi in edictiori loco insule ex directo ante faciem constituit ecclesie sancti Lamberti, quo principaliter consecrata est ad titulum semper Virqinis Marie, etc.
Il n'y a, dans cette rencontre de nos textes, qu'un fait purement fortuit, je le veux bien; mais il n'est pas sans intérêt de constater de part et d'autre la communauté d'une idée qui n'a guère visité, que je sache, l'esprit d'aucun autre écrivain liégeois.
Ce ne serait donc pas être téméraire que de voir dans le frère Hugues de Lobbes l'auteur de la vie de Notger, et, par suite, de considérer ce même frère comme Liégeois. La prédilection particulière, j'allais dire l'espèce de tendresse avec laquelle il parle de l'église Saint-Jean à l'occasion de la vie retirée qu'y menait Notger, ne serait-elle pas due à certaines relations plus intimes qu'il pourrait avoir eues avec le clergé de cette église, au temps où il n'avait pas encore revêtu l'habit monastique? La nécessité même des recherches qu'il avait entreprises pour raconter la vie de son héros devait l'avoir mis en contact fréquent avec le chapitre de Saint-Jean. C'est, en effet, dans cette retraite favorite du grand homme que sa mémoire devait s'être conservée avec le plus de fidélité, et c'est delà aussi, par une coïncidence assez remarquable, que nous vient la seule biographie de Notger que l'on ait connue jusqu'ici (10).
De tout cela, je croyais pouvoir conclure que l'auteur du Vita Notgeri était la même personne que le frère Hugues de Lobbes. Je dois avouer que cette identité ne me paraît plus si évidente aujourd'hui. Une comparaison attentive des écrits de ces deux auteurs montre chez celui qui a écrit le Vita Notgeri un style antithétique et visant à l'effet, assez différent de la manière terne du frère Hugues.
III
La valeur historique du Vita Notgeri est, à mon sens, fort grande. Écartant toutes les données légendaires ou incertaines, il ne puise qu'aux sources les plus pures, telles qu'écrits de la main de Notger ou rédigés sous son inspiration, diplômes émanant de lui ou parlant de ses actes, monuments archéologiques, écrits des contemporains, souvenirs conservés de lui dans les milieux où sa mémoire était restée vivante, spécialement dans les églises qu'il avait fondées. Il a, d'autre part, évité de faire une compilation: son oeuvre a un cachet très personnel et vraiment original, car il s'est gardé de redire ce qui avait déjà été publié avant lui. Étant, comme il le fut, au courant de l'histoire de Liège et particulièrement de son héros, il a certainement connu la chronique d'Anselme: or, contrairement à l'usage de la plupart des chroniqueurs, il évite de reproduire ce qu'il y trouve: il la suppose connue de ses lecteurs, et ne nous apprend que des choses laissées dans l'ombre par son prédécesseur. Sans doute, il n'a pu éviter entièrement de se rencontrer avec lui, notamment dans le récit des fondations d'églises; mais, même là, on voit éclater la sollicitude qu'il met à le compléter, et à ne pas le répéter. Voici le tableau comparatif des principaux points développés par chacun des deux écrivains; on conviendra que, traitant le même sujet, il était difficile que les deux ouvrages se ressemblassent moins.
ANSELME. |
VITA NOTGERI |
25. Prise de Chèvremont,
26. Fondation de Sainte-Croix.
27. Saint-Denys et Saint-Jean,
28. Notger professeur.
29. Élèves principaux de Notger.
80. Qualités de Notger.
|
Origines de Notger.
Châtiment des rebelles.
Fondation de [Sainte-Croix?]
Saint-Lambert.
Saint-Martin.
Saint-Paul.
Saint-Denys.
Saint-Jean.
Travaux dans la principauté Fosse, Lobbes, Thuin, Gembloux.
Rôle de Notger au dehors.
Son retour à Liège. Ses louanges, d'après le poème du XIe siècle.
Sa retraite à Saint-Jean.
Sa mort et ses funérailles.
|
L'auteur a pris plus de liberté avec un autre document, auquel il a fait de larges emprunts, sans doute parce qu'il était inédit et destiné à le rester. Ce document est une espèce de panégyrique en vers de Notger. Il en reproduit plusieurs extraits, et il en parle dans ces termes: Versus aliquot antiquitatis de multitudine exceptos, eisdem verbis et metro, quo in antiquis libris inventi sunt annotare curavimus. Je reproduis ici ces diverses citations, qu'il a accumulées dans le dernier chapitre de sa biographie, avec la mention dont elles sont accompagnées.
Unde scriptum est:
1 Quatuor explevit partes extenta plagarum
Fama suis meritis.
*
* *
Unde scriptum est:
Vulgari plebem, clerum sermone latino
Erudit et satiat magnâ dulcedine verbi
5 Lac teneris praebens solidamque vatentibus escam
Sponte cadunt hereses sub forti milite Christi
Fraus et fieta fides, tumor et commenta fugantur
Et deprensa tremunt tanquam sub indice morum.
*
* *
De ipso scriptum est:
Nusquam sic colitur totis affectibus hospes.
10 In laribus putat esse suis qui venerat exul.
Pauperibus victus, nudis non desit amictus.
*
* *
Unde scriptum est:
Nam (sumus experti) quicumque fuit violator
Ecclesie, postquam hunc feriens anathemate vinxit
Corpore et exclusit sacro vel sanguine Christi,
15 Ivit in exilium, resipiscere ni properasset.
Si rabie caruit, sed non porrigine turpi
Et reliqua scabic, quam postea nemo piaret
Ant fregit collum vel amatos perdidit artus.
Talis erat reprobis, tam formidabitis omni
20 Perjuro predoni furi; non perfidus ausus
In faciem venisse suam.
*
* *
Unde scriptum est in versibus predicte antiquitatis:
Prefuit ecclesie per septem lustra vel annum.
Vel ibi pro et posito.
*
* *
Avant d'aller plus loin, je tiens à faire remarquer que tous ces vers, groupés autour du même sujet: l'éloge des qualités morales de Notger, et présentés, dans des termes à peu près identiques, comme extraits d'un poème ancien, n'ont rien de commun avec certains autres vers cités également par notre auteur, et dont l'origine est toute différente. Ainsi le vers
Certa salus vite Notgerum salvat ubique,
se trouve, nous dit-il lui-même, sur des croix d'or que Notger avait fait faire pour Saint-Lambert.
Le fameux distique:
Legia lege ligans cum pretatis tibi leges,
Nogerum Cristo, Nogero cetera debes.
parait être aussi une inscription, et la manière dont il est présenté (unde in preconium laudis sibi debite paucis multa de ipso comprehensa sunt hoc metro), ne nous induit pas à croire qu'il fasse partie du groupe mentionné ci-dessus. Quant à ces deux autres:
Legia ditatur per me, Capremons spoliatur.
Hic ruit, hec surgit; manet hec, nec ille resurgit.
ils ont été ajoutés après coup au texte par Gilles d'Orval, et ils sont compris dans une note qui ne fait pas partie de la biographie. Leur forme, d'ailleurs, fait penser plutôt à une inscription dans le genre de celle qui se lit sur l'ivoire du célèbre évangéliaire de Notger, conservé à la bibliothèque de l'Université de Liège
En ego Notgerus peccati poudere pressus
Ad te flecto genu qui terres omnia nutu.
Revenons donc à notre poème.
Cet écrit ne paraît pas avoir été un simple panégyrique de Notger, comme on pourrait le penser d'après les fragments qui en sont cités. Il doit avoir eu une certaine étendue, puisque les citations du Vita ne constituent en tout que versus aliquot ... de multitudine exceptos. (Aegid., c. 51.) C'était, autant qu'il est permis d'en juger, une vraie biographie de Notger, puisque, outre l'éloge de ses vertus, nous y trouvons certains faits biographiques des plus précieux, par exemple la mention des deux langues dont il se servait dans ses instructions, celle des rigueurs qu'il déployait contre les perturbateurs de la paix publique, et enfin l'indication du nombre des années qu'il tint en en main le gouvernail de l'église de Liège. Ces détails ont une saveur d'historicité incontestable. Le vers troisième, en particulier, est des plus remarquables sous ce rapport, et le douzième contient la preuve qu'ils sont d'un contemporain de Notger, qui écrivit peu de temps après la mort de ce prince, c'est-à-dire dans la première moitié du XIe siècle. Nous tenons donc ici les fragments de la plus ancienne biographie du grand évêque, qui est antérieure à Anselme lui-même,
Le poème, au surplus, semble n'avoir été composé que pour la satisfaction personnelle de l'auteur et celle d'un petit nombre d'amis; il ne vit jamais le grand jour de la publicité, il ne fut peut-être pas connu d'Anselme, qui n'en parle point; et lorsque l'auteur du Vita le découvrit, ce fut dans un vieux manuscrit (in antiquis libris) qui était sans doute l'original et duquel il n'avait jamais été copié. Quel dommage qu'il ne l'ait pas reproduit tout entier, et que nous soyons aujourd'hui privés d'un document si précieux par son antiquité et par la qualité de témoin oculaire qu'avait son auteur! Du moins avons-nous lieu de croire que le consciencieux auteur du Vita ne s'est pas borné à la reproduction de ces quelques fragments, mais qu'il s'est inspiré du poème en plus d'un endroit où il ne le cite pas. Je crois en trouver une preuve dans le passage suivant :
Globunz enim obdurotionis eorurn, qui adversus dominum suum Leodiensem episcopum dominum Evraclium se conflaverant judiciaria virtute contrivit et eos penali discipline usque ad dignam correptionem subjecit.
Le fait dont il est question ici n'est pas mentionné par Anselme, et, de plus, il est rapporté en termes trop vagues et trop abstraits pour qu'on puisse croire qu'il est fourni par la tradition légendaire; mais la source deviendra manifeste si l'on rapproche ce passage des vers déjà cités
Nam sumus experti, etc.
Outre Anselme et le poème inédit, l'auteur du Vita a consulté divers documents archéologiques ou diplomatiques pouvant lui donner quelque lumière de plus. Sans redire ici ce que j'ai déjà noté plus haut, je ferai remarquer le soin intelligent avec lequel il est allé chercher les traces de son héros là où devait le mieux se conserver sa mémoire, c'est-à-dire dans les églises qu'il avait fondées et dotées, où parfois il avait vécu, où l'on gardait le souvenir de ses libéralités dans des chartes émanées de sa main. Nulle part, d'ailleurs, une tradition historique ne se conservait plus nette et plus fraîche que dans ces milieux cléricaux, où elle était à l'abri des altérations inconscientes que lui faisait subir la bouche populaire, et où elle s'incorporait en quelque sorte dans des monuments matériels qui ne permettaient pas qu'elle s'effaçât. L'extrême précision des détails donnés par l'auteur sur les constructions de Notger à Saint-Lambert, à Saint-Martin, à Saint-Paul, à Saint-Denys et à Saint-Jean s'explique par là, et du même coup nous devons en constater la haute valeur: ils sont puisés à la source la plus pure, et sont, si je puis ainsi parler, des informations presque officielles. J'en dirai autant des renseignements sur les funérailles de Notger, tirés sans doute des obituaires des diverses églises liégeoises, et sur la retraite de Notger à Saint-Jean. On y respire, en quelque sorte, le parfum tout claustral qui trahit la provenance de ces détails si intimes et si familiers.
Il n'y a pas à en douter: tout ce que nous rapporte le Vita au sujet des églises de Liège bâties par Notger est de première main, et émane tantôt de diplômes originaux que l'auteur a eut sous la main, tantôt de souvenirs encore vivants qui se transmettaient de génération en génération sous les galeries des cloîtres. Le tout constitue un troisième groupe d'informations authentiques, des plus précieuses, non seulement pour l'histoire de Notger, mais en général pour celle de Liège et de ses établissements au XIe siècle. Détachez-les de leur contexte, et vous aurez là, sous une forme abrégée, la substance des traditions orales que les églises de Liège conservaient au XIIe siècle sur leur origine et sur leur fondation.
IV
Ce document plein d'un si haut intérêt, Gilles d'Orval, fidèle à son procédé de mosaïste, l'enchevêtra avec son Anselme remanié et interpole, ainsi qu'avec d'autres récits pris à droite et à gauche, dont l'ensemble produit à première vue l'apparence d'un texte unique et continu. Mais la manière rudimentaire dont il a juxtaposé ses matériaux, sans essayer de les fondre entre eux, permet de les reconnaître sans grande difficulté. Dans les pages qui vont suivre, j'entreprendrai de les trier et d'établir avec exactitude ce qui revient à chacun.
Je commence par Anselme.
Ainsi que je l'ai dit plus haut, la double chronique d'Hériger et d'Anselrne qui sert de base à Gilles d'Orval, n'est pas le texte authentique publié au tome VII des Monumenta Germaniae Historica. C'est un texte abrégé et interpolé, je ne sais trop à quelle date, mais dans tous les cas assez longtemps avant Gilles d'Orval lui-même, puisque ce dernier l'a pris sans défiance pour son point de départ, bien que le texte authentique ne lui soit pas resté inconnu. La raison de ce choix est facile à deviner, dès que l'on connaît l'absolu manque de critique du bon chroniqueur: le texte abrégé se présentait dans des proportions plus restreintes, tout en ayant la prétention de ne laisser de côté aucun fait; il contenait de plus certaines belles légendes qui, à elles seules, devaient déterminer la préférence de notre auteur. Il n'a donc pas hésité à lui donner la préférence. Nous possédons encore ce texte, sous la forme qu'il avait avant d'être l'objet des remaniements de Gilles d'Orval, dans un manuscrit du XVe siècle qui a appartenu aux Croisiers de Liège, que Chapeaville a eu sous les yeux, et qui est aujourd'hui conservé à la bibliothèque de l'Université de Liège, sous le n° 761 (ancien 178) (11). J'en publie, en appendice, la partie relative au règne de Notger, en regard du texte authentique: on pourra se rendre compte du procédé de l'abréviateur-interpolateur, et il permet de déterminer d'une manière très précise, par voie d'élimination, toute la partie de l'histoire de Notger qui n'appartient pas au Vita.
C'est ce texte qui, dans Gilles d'Orval, constitue, si je puis ainsi parler, le substratum de son histoire de Notger. Il n'en a rien voulu sacrifier en faisant son travail de compilateur; il s'est borné à l'ouvrir aux endroits les plus propices pour y intercaler les passages du Vita. Il a donc coupé celui-ci en quatre parties, qu'il a disposées de la manière suivante:
Première partie. Début du règne de Notger, Placée en tête du récit d'Anselme, immédiatement après la phrase initiale, et avant la légende de Chèvremont (c. 50).
Deuxième partie. Fondation des églises Saint-Lanbert, Saint-Martin et Saint-Paul. Intercalée au chapitre 51, immédiatement après la légende de Chèvremont.
Troisième partie. Fondation de l'église Saint-Jean, travaux dans le reste de la principauté et rôle extérieur de Notger. Intercalée au chapitre 53, à la suite de la fondation de Sainte-Croix et de Saint-Denys d'après Anselme.
Quatrième partie. Louanges de Notger. Sa retraite à Saint-Jean. Sa mort et ses fuérailles. Placée à la fin du récit d'Anselme, après les chapitres consacrés à l'enseignement de Notger, à ses élèves et au portrait du héros.
Pour qu'il pût ainsi emboîter les deux textes l'un dans l'autre, il fallait sans doute qu'ils s'y prêtassent: et c'était précisément le cas ici, l'auteur du Vita ayant eu soin, comme je l'ai fait remarquer plus haut, de ne pas reparler des choses qu'Anselme avait déjà traitées. Néanmoins, il ne s'est pas tenu tellement à l'écart de ce dernier, qu'il ne lui soit arrivé de toucher, au moins en passant, certains points communs. Tel est le cas pour l'histoire de la fondation des églises notgériennes.
Anselme avait parlé longuement de la fondation de Sainte-Croix, et avait rapporté rapidement celle de Saint-Denys et de Saint-Jean. Le Vita, qui faisait l'énumération complète des constructions de son héros, avait donc dû parler aussi de celles-là, et ainsi il se rencontrait avec Anselme. Que fait Gilles d'Orval? Chaque fois qu'il se produit une coïncidence de ce genre entre ses deux sources, il supprime l'information la plus courte et garde la plus longue. Ainsi il prend à Anselme l'histoire de Sainte-Croix, apparemment parce que le Vita ne disait rien de plus sur ce sujet; pour la même raison sans doute, il garde la courte notice d'Anselme sur Saint-Denys. Par contre, le Vita parlant beaucoup plus longuement qu'Anselme de la fondation de Saint-Jean, il supprime ici la notice d'Anselme et la remplace par celle du Vita.
Une seconde coupure que Gilles d'Orval a encore faite au Vita, c'est à l'endroit où celui-ci parlait de Chèvremont. Comme notre chroniqueur avait ici à sa disposition l'écrit légendaire et dramatique d'Anselme interpolé, c'est naturellement à ce dernier qu'il a donné la préférence, sans se demander si la version succincte du Vita n'était pas plus digne de foi. Que le Vita ait réellement parlé de la prise de Chêvremont, c'est ce dont je ne crois pas pouvoir douter, d'abord parce que c'était là un des faits les plus mémorables du règne de Notger, ensuite et surtout, parce que cela résulte de son texte même.
[Nam] adhuc eo tempore civitas Leodiensis parva erat, irruptioni violentorum patens et castri adjacentis Gapraemontis frequentibus injuriis [ut supra diximus] subjacens.
Ce ut supra diximus n'a aucune raison d'être dans la chronique de Gilles d'Orval, qui parle de Chèvremont pour la première fois en cet endroit; il appartient donc au texte du Vita, et c'est un de ces passages que le maladroit compilateur a laissé naïvement subsister au grand profit de la critique (12).
Pour me résumer, Gilles d'Orval a donc, somme toute, gardé le texte intégral du Vita, à l'exception de quelques passages fort courts, faisant double emploi avec sa base, qui est Anselme.
Dans cette combinaison du Vita et d'Anselme, telle que nous l'offre le texte primitif de Gilles d'Orval, il faut encore faire la part d'un troisième élément. Le chapitre 54, qui nous raconte l'acquisition du comté de Huy par l'église de Liège, ne fait partie ni d'Anselme, ni du Vita, et a été interpolé par Gilles d'Orval. Je crois pouvoir dire qu'il ne fait pas partie du Vita, 1° parce que manifestement le chapitre 58 et le grand texte du chapitre 53, qui font tous les deux partie du Vita, se rattachent l'un à l'autre sans solution de continuité, et ne supportent pas l'intercalation fâcheuse du chapitre 54; 2° parce que la reproduction intégrale du document relatif au château de Huy serait une exception unique à la manière sobre et succincte du Vita, qui résume les documents et n'en produit aucun; 3° parce que Gilles d'Orval est coutumier, lui, de ces reproductions intégrales, et que nous savons de plus qu'il s'intéresse spécialement aux choses hutoises, peut-être à cause de l'amitié littéraire qui le lie avec un des chanoines de Neufmoustier.
Tels sont donc, pour ce qui constitue l'histoire de Notger, les trois éléments dont se compose le texte primitif de Gilles d'Orval. Il s'agit maintenant de faire connaître les autres interpolations, c'est-à-dire les notes écrites en marge dans la chronique ou encore ajoutées sur des feuillets séparés. Dans l'édition de M. Heller, elles se reconnaissent toutes à ce qu'elles sont mises entre crochets, soit en grand texte lorsqu'on ne connaît pas leur source, soit en petit texte lorsqu'on la connaît. Il est d'autant plus nécessaire d'entreprendre ce triage, qu'elles ont été longtemps confondues avec le Vita dans une seule et même appréciation, et qu'on ne saurait arriver à une exacte connaissance de la vie du héros sans une idée claire de la valeur de tous les documents qui la racontent. Je passerai donc successivement en revue les diverses additions marginales de la chronique, et tâcherai de fixer rapidement le caractère et la valeur de chacune.
La première nous apprend que Notger a reçu la consécration épiscopale des mains de saint Géron, archevêque de Cologne. Ni Anselme, ni le Vita n'avaient pensé à mentionner ce détail; Gilles d'Orval l'a trouvé dans les Annales de Lobbes, qui écrivent sous la date de 972: Dominus noster Notgerus mense Aprili octavis paschae et 9 kalend. Maii apud Bonnam a domino Gerone archiepiscopo instituitur Leodicensium episcopus (13).
Il est à remarquer qu'il ne reproduit qu'une partie de cette notice, sans doute parce que le texte intégral des Annales de Lobbes n'était pas sous ses yeux, et qu'il le connaît d'après un autre document.
La deuxième addition est relative aux trois églises de Chèvremont, qui furent détruites en même temps que le château. Nous savons par Anselme qu'après la destruction, Notger, qui aurait pu attribuer les revenus de ces sanctuaires aux églises de sa ville épiscopale, craignit de donner prise à la calomnie s'il avait l'air de profiter, en quelque sorte, des dépouilles de ses ennemis. Il transféra donc dans l'église de Notre-Dame d'Aix-la-Chapelle les douze prêtres qui desservaient l'une des trois églises de Chèvremont, ainsi que la totalité de leurs prébendes, et il se contenta pour Liège de la sécurité qu'elle avait reconquise (14). Le Vita Notgeri, conformément à son procédé de ne pas répéter ce qui a été publié avant lui, laisse de côté ces détails donnés par Anselme. Mais la tradition populaire, consignée par Gilles d'Orval en marge du Vita, et moins discrète. Elle veut d'abord connaître les noms des trois églises dont parle Anselme, puis elle t'attache assez ingénieusement ces noms à des faits connus de la vie de Notger. Puisque les revenus de l'une des trois églises de Chèvremont ont été attribués à Notre-Dame d'Aix-la-Chapelle, c'est apparemment - ainsi raisonne la légende - parce qu'elle-même était placée sous l'invocation de la sainte Vierge. Et, d'autre part, puisque Notger croit devoir bâtir à Liège les églises Saint-Jean et Saint-Denys, c'est sans doute parce que les deux autres sanctuaires de Chèvremont étaient sous l'invocation de ces saints, et qu'il voulait réparer le tort qu'il avait fait à leur culte (15). La conjecture, une fois née, se sera transformée aussitôt en récit, selon le procédé habituel de l'imagination populaire. Nous voilà donc en possession, tant bien que mal, des noms des trois sanctuaires de Chèvremont. Le miracle qui se produit à l'occasion de l'un d'eux et le voeu de Notger sont des développements en quelque sorte spontanés de cette version populaire.
Tout ce récit, ajouté en marge par Gilles d'Orval, n'est pas seulement postérieur au Vita Notgeri, mais même en contradiction avec lui. Le Vita a son histoire à lui de la fondation de Saint-Jean, qui n'a rien de légendaire, et qui présente, au contraire, un caractère des plus historiques. Il n'y a pas moyen de les concilier entre elles.
Il en est de même de l'autre légende sur Chèvremont, qui figure dans cette deuxième notice marginale. Au pied de la montagne, nous dit-elle, il y avait un oratoire des saints Cosme et Damien. C'est près de cet oratoire que saint Monulphe, en descendant de la montagne, vit de loin une grande croix de feu qui, de la terre, s'élevait jusqu'au ciel (16). Il s'informa du nom de l'endroit où avait eu lieu ce merveilleux phénomène, et, ayant appris que c'était Legia, il s'écria « Legia est un endroit que le seigneur a élu (elegit) pour y sauver beaucoup de fidèles et pour en faire, par les mérites d'un de ses serviteurs, une ville égale aux plus grandes.» Saint Monulphe arriva ensuite à l'endroit en question et y bâtit un oratoire en l'honneur des saints Cosme et Damien, près du sanctuaire desquels il avait eu sa vision; il y construisit aussi une maison épiscopale.
La légende dont nous trouvons ici une version passablement altérée déjà, a été empruntée, en partie d'une manière littérale, au Vita Lamberti du chanoine Nicolas, qui florissait vers 1120. Voici le passage en question de cet auteur (17)
« Hunc locum sicut narrat antiquitas et scripta patrum edocent, cum beatus Monulphus, vicesimus primus Tungrorum episcopus, quâdam die cum suis intrasset, captus situ et amaenitate substitit, propheticoque spiritu tactus: Eia, inquit astantibus, locus quem Dominus ad salutem multorum fidelium suorum elegit, et quem per merita cujusdam servi sui postmodum magnifice illustratum summis civitatibus aequabit. Statimque ecclesiolam ibi aedificare praecepit, quam in honorem sanctorum Cosmae et Damiani martyrum Domino dedicavit. »
En comparant ces deux textes on peut se rendre compte du développement des légendes. La version la plus ancienne, celle que rapporte Nicolas, n'est elle-même, ainsi que je l'ai démontré ailleurs (18), qu'une légende étymologique fournie par le rapprochement des deux mots Legia et elegit, et elle ne peut pas remonter au delà du Xe siècle, puisque c'est à partir de cette époque seulement que se forme le nom de Legia. Elle ne contient encore que deux éléments la prophétie de saint Monulphe et la fondation de l'oratoire des saints Cosme et Damien. Dans la notice conservée par Gilles d'Orval, la part du merveilleux a été considérablement agrandie, et de plus on a mis la légende en rapport, d'une manière très maladroite, avec l'histoire de Chèvremont. C'est le même procédé que nous avons constaté tout à l'heure: parce qu'il y avait au pied de la montagne de Chèvremont une chapelle des saints Cosme et Damien (19), et qu'à Liège il y en avait une autre, on a expliqué celle-ci par celle-là. La rédaction est d'ailleurs singulièrement embrouillée et maladroite. Que veut dire cette phrase: Et dum ipse a circumstantibus quereret locum visionis [et nomen defuit ei, quod] erat [nemus suum Leodicum] nuncupatum a fluviolo Legia qui per medium fuit, et statim spiritu prophetico subjunxit: Legia locus, etc. L'étalage d'érudition que fait ici l'auteur gâte singulièrement son récit, et les paroles que j'ai mises entre crochets sont d'un homme qui dit tout ce qu'il sait, dussent les renseignements précis qu'il a sur la topographie contredire ou rendre inintelligibles ceux qu'il emprunte à la légende. Un autre trait de peu de valeur, c'est la mention d'un domus episcopalis que saint Monulphe aurait bâti à Liège, près de la chapelle des saints Cosme et Damien. La première habitation de ce genre n'y fut élevée que par saint Hubert; encore du temps de saint Lambert, il n'y avait à Liège qu'une habitation assez modeste, qui ne pouvait pas revendiquer le titre de palais épiscopal, et qui n'était d'ailleurs habitée que de temps en temps.
Où l'auteur de la notice marginale continue de se montrer inepte, c'est dans les lignes qui suivent:
Et ex tunc populi ceperunt locum inhabitare et Villam Publicam nominare a vicino monte qui Mons Publicus est appellatus a nomine cujusdam Asiulfi viri, nam in latere ejusdem montis secus ripam Mose fiuminis quondam sibi delectabilem habilationem preparavit tempore Agusti. Juxta quam est vallis que dicitur Puteus inferni. Dicuntur etiam ab incolis fulgura et tempestates de eodem loco ascendere.
Il y a là, à côté de quelques renseignements précieux sur le vieux Liège, plus d'une bévue que je relèverai rapidement. Il n'est pas exact que Liège doive son appellation de Villa Publica au Mons Publicus (Publémont): les deux noms ont coexisté, et le dernier n'est, si je puis ainsi parler, qu'une partie du premier. On ne comprend absolument pas comment Mons Publicus pourrait dériver du nom d'un Asiulfus vir; il y a là une énigme dont il est inutile de chercher la solution, parce que la solution n'existe pas. Je ne découvre pas davantage l'origine du conte relatif à la maison de cet Asiulfe, qui aurait été un contemporain d'Auguste (20). Dans tous les cas, on a le droit d'estimer fort médiocrement l'écrivain qui nous a laissé cette suite de récits partie fabuleux, partie inintelligibles: on voit combien il tranche sur l'auteur du Vita Notgeri, avec lequel il ne pourra plus être confondu désormais.
La troisième addition marginale faite sur le manuscrit de Gilles d'Orval se place immédiatement après le récit de la destruction de Chèvremont; elle est ainsi conçue
Unde versus:
Legia ditatur per me, Capremons spoliatur.
Hic ruit, hec surgit; manet hec, nec ille resurgit.
J'ai déjà dit plus haut pourquoi ce distique ne peut pas être considéré comme ayant fait partie du poème en l'honneur de Notger, dont le Vita a reproduit quelques extraits; le seul fait qu'il n'y figure qu'en marge prouve à l'évidence qu'il n'a rien de commun avec le document inédit utilisé par le Vita, et qui semble avoir été perdu dès le XIIIe siècle. Notre distique pourrait avoir été une inscription placée sur un monument commémoratif de la destruction de Chèvremont, ou, mieux encore, au bas d'une image de Notger, qu'elle fait parler.
La quatrième addition marginale complète un passage d'Anselme relatif à la fondation de Sainte-Croix. Gilles d'Orval avait, dans son texte, ajouté cette conclusion: In qua idem Robertus prepositus sepulturam postea accepit; plus tard il surajouta en marge ce détail, qui lui aura été fourni depuis lors par le clergé de l'église en question:
6 idus martii in navi ecclesie ante altare beate Helene sub crucifixo.
La cinquième est, comme la quatrième, un renseignement topographique trouvé sur place; il concerne l'église Saint-Denys, au sujet de laquelle Gilles d'Orval complète en ces termes la, brève notice d'Anselme:
Hanc ergo ecclesiam dictus Nithardus decimis et agriculturis tam per se quam per suos fratres, Johannem videlicet et Godescalcum, beneficiavit. Qui postquam de hoc seculo migraverunt, Nithardus in chori medio, Johannes in ecclesia ante crucifixum et Godescalcus ibidem retro altare sancte Gertrudis sepeliri meruerunt, in qua expectant suorum corporum resurrectionem.
Ce renseignement a été recueilli par Gilles d'Orval probablement auprès du clergé de Saint-Denys; on sait que notre auteur en a ajouté un grand nombre à ses sources, et il suffira de constater ici que d'aucune manière il ne faut le confondre avec le texte du Vita.
La sixième addition du manuscrit est tellement longue, qu'il a fallu intercaler une feuille spéciale. Elle contient le plus bizarre assemblage de fables et de notices historiques. Voici ce qu'on y peut démêler:
1° Récit des désastres et des phénomènes terrifiants qui se produisirent du temps de Notger, et dont cet évêque eut raison par la prière et par la promulgation d'un jeûne universel.
2° Aventure d'un religieux qui, revenant de Jérusalem, passe par la Sicile, où un ermite lui apprend que dans une île voisine se trouve un endroit que la population appelle la chaudière de Vulcain, et où les âmes des damnés sont tourmentées cruellement. Le solitaire ajoute qu'elles peuvent être délivrées par les aumônes et les prières des fidèles, et tout spécialement parles prières incessantes des moines de l'ordre de Cluny. A la suite de cette révélation, l'abbé Odilon de Cluny institua dans tous les monastères de son obédience la fête des trépassés le 2 novembre. Notger transporta l'institution dans son diocèse.
3° Baudouin de Flandre s'était emparé du château de Valenciennes, sur les confins de la France et de la Lotharingie. L'empereur Henri va l'y assiéger avec Robert de France et Richard de Normandie. Mais, ne parvenant pas à le débusquer, il appelle au secours Notger, et, avec lui, va s'emparer du château de Gand et dévaster la Flandre. Baudouin alors se soumet et donne des ôtages.
Toute cette note est extraite textuellement de la chronique de Saint-Laurent de l'abbé Rupert, à laquelle Gilles d'Orval a fait d'autres emprunts encore (21). II suffit de constater l'emprunt en faisant remarquer que notre chroniqueur y a rattaché deux notes supplémentaires.
La première, relative à saint Odilon, nous fait connaître les prieurés que lui et ses successeurs ont acquis dans le diocèse de Liège, à savoir Saint-Symphorien-au-Bois, Sainte-Marie de Bertrée, Saint-tienne de Namèche, Saint-Victor de Huy et Saint-Pierre d'Aywaille. La seconde concerne la fondation du monastère des religieuses de Thorn, par Ansfred, comte de Louvain, avec l'autorisation de l'évêque Notger. Ansfred, continue-t-elle, devint plus tard évêque d'Utrecht; sa femme Hilsuinde se retira dans le couvent qu'il avait fondé, et leur fille, Benedicta, en devint la première abbesse. Elle y est enterrée avec sa mère; quant à Ansfred, il a son tombeau dans l'église Saint-Paul d'Utrecht, qu'il avait fondée.
Au chapitre LIV, qui, comme je l'ai montre plus haut, est déjà une interpolation, de Gilles d'Orval lui-même, et qui raconte l'acquisition du comté de Huy par l'église de Liège, l'interpolateur hutois de Gilles d'Orval a cru devoir ajouter une note relative à l'Ansfrid visé dans le texte. Cette note est antérieure au second appendice de la note précédente, beaucoup plus complète qu'elle. En effet, il est manifeste que l'interpolateur se serait dispensé de nous dire qui était Ansfrid si, au moment où il écrivait, la chronique de son ami avait déjà contenu, quelques lignes plus haut, la biographie de ce personnage et des membres de sa famille. Nous voyons par cet exemple que, même après que son manuscrit fut revenu de Huy avec les additions du chanoine de Neufmoustier, Gilles d'Orval continua de le compléter et d'y ajouter de nouveaux renseignements.
Au chapitre LV, et sans lien formel avec le texte d'Anselme qui constitue ce chapitre, une addition marginale de Gilles nous apprend la fondation de l'église Saint-Adalbert, à Liège, par Notger, en l'honneur de ce bienheureux qui avait été son ami. Ce fait, qu'il me semble difficile de contester, prouve que le Vita ne nous a pas fait connaître toutes les constructions religieuses de Notger: il ne nous parle que des collégiales et ne croit pas devoir s'occuper des simples églises paroissiales. Il faut remarquer que toutes nos sources ont agi de même, et, grâce à leur silence, rien n'est plus obscur pour nous que l'origine des églises paroissiales de Liège, tandis que les collégiales, qui étaient des monuments d'architecture et qui possédaient des biens considérables, ont toujours été en possession de l'intérêt des chroniqueurs. Nous n'en sommes que plus redevables à la courte notice intercalée ici par Gilles d'Orval, et empruntée sans doute par lui aux souvenirs ou aux chartes de l'église Saint-Adalbert.
La dernière note marginale de Gilles, rattachée au chapitre LVII, se rapporte à vingt_huit prébendes de chanoines fondées par Notger à l'église d'Aix-la-Chapelle, partie avec ses propres biens, partie avec les revenus de l'église de Chèvremont. Cette dernière des additions de Gilles est en contradiction avec la première, qui ne parle que de douze prébendes et non de vingt-huit. Peut-être la contradiction serait-elle levée si l'on supposait que les fondations de Notger à Aix-la-Chapelle se décomposent en deux groupes, comme le texte l'insinue d'ailleurs: le premier, contenant les douze prébendes de Chèvremont transportées à Aix; le second, comprenant seize autres prébendes fondées par Notger au moyen de ses biens propres. II est, d'ailleurs, facile de supposer que Gilles a tiré ce renseignement des archives d'Aix-la-Chapelle et qu'il a la même authenticité que ses autres informations d'origine documentaire.
Voilà, dégagée de tous les matériaux d'autre provenance avec lesquels Gilles d'Orval l'a combinée, la vie de Notger. Nous pouvons dire qu'à part quelques coupures faites aux endroits les moins intéressants pour nous, nous la possédons dans son intégrité, telle qu'elle sortit de la plume du consciencieux et intelligent écrivain du XIIe siècle. Écrite à une époque où il était encore possible, avec du talent et de la bonne volonté, d'arriver à la connaissance des faits, elle restitue à l'histoire de Notger la certitude qui lui faisait défaut, aussi longtemps qu'au lieu d'être prise pour ce qu'elle était en réalité, elle se présentait à nous comme l'informe compilation du crédule historiographe du XIIIe siècle. La physionomie du plus grand des souverains liégeois sort donc des brouillards qui l'enveloppaient, et il sera possible désormais d'écrire son histoire.
APPENDICE
J'ai cru utile de mettre sous les yeux du lecteur, dans leur état, primitif, les documents amalgamés par Gilles d'Orval. On trouvera donc ci-dessous
1° Les chapitres relatifs à Notger de la chronique de l'Anselme authentique;
2° En regard, les mêmes chapitres de l'Anselme remanié, où l'on pourra se convaincre de la manière dont a été fait sur ce texte le double travail d'interpolation et d'abréviation;
3° Le Vita Notgeri dégagé de toutes les surcharges de Gilles d'Orval.
Voir document pdf ci-dessous
(1) V. sur ce sujet J._J. RAIKEM, Quelques événements du temps de Notger, Liège, 1870. - .1, DEMARTEAU, Notre_Dame de Chêvremont, Liège, 1888.
(2) V. les pièces publiées dans le Bulletin de l'Instit. archéol. liégeois, t. II, p. 258.
(3) Déjà J. Heller, dans l'introduction placée en tête de son édition de Gilles d'Orval, p. 10; M. WEILAND, Historische Zeitschrift, t. XLVI, p. 496, et M. WATTENBACH, Deutschlands Geschichtquellen im Mittelalter, 5e édition, t. p. 354, et t. II, p. 387, ont reconnu que les renseignements de Gilles d'Orval sur Notger doivent émaner d'un Vita Notgeri. Ils le croient perdu, niais ils se trompent en cela, comme j'espère pouvoir le démontrer.
(4) Constituto super Renum monasterio sanctimonialium in villa Julica, sicut privilegia ejusdem ecclesie in bible conscripts testanlur, rediit Leodium jam in processa etate. Monum. Germ. Hist., t. XXV, p. 62.
(5) Loca ipsa in quibus scripta ipsius vel de ipso repperiuntur, et versus aliquos antiquitatis de multitudine exceptos eisdem verbis et metro quo in antiquis libris inventi sunt annotare curavimus, ne ex favore magis quam ex cognitione loqui videamur. O. c., p. 62.
(6) Déjà, du temps de Folcuin, Lobbes avait une riche bibliothèque. Parlant de saint Ursmer, ce chroniqueur dit: In cartis sub ejus tempore factis ac perantiquis membranorum peciolis, quae continentur in ecclosiae nostrae archivis, inscriptum eum invenimus sub nomine episcopi et pontificis (Cost. abtat. lob., c. 3). Je ferai remarquer ici que les archives et les bibliothèques restèrent longtemps confondues au moyen âge, et que même à la cour des papes on ne les sépara que sous le règne de Sixte IV, c'est-à-dire après que la découverte de l'imprimerie eut créé un signe distinctif entre le livre et le manuscrit. Il faut donc considérer comme identiques l'archiva de Folcuin et l'armarium du Vita Notgeri.
(7) Publié pour la première fois par M. Vos, en appendice de son livre intitulé Lobbes, son abbaye et son chapitre, t. I, et d'après lui par Waitz dans le Monumenta Germaniae historica, t. XIV. Voir la préface de ce dernier o. c., p. 543.
(8) A venerabili et religioso Affligemi monacho magistro Gilleberto accepimus cujus nos cruditione et amicitia, dum pariter apud. S. Bavonem peregrinaremur, non modico usi sumus. Op. cit., p. 547.
(9) Le prieur Hugues se trompe en ceci. Le premier sanctuaire de Liège fut une petite chapelle dédiée aux saints Cosme et Damien, et la première église qui y fut bâtie fut déliée à saint Lambert, peu après la mort de ce saint. Plus tard, et probablement à l'occasion de la translation du siège épiscopal de Maestricht à Liège, on ajouta au patronage de saint Lambert celui de la sainte Vierge, sans doute parce qu'elle était la patronne de la cathédrale primitive, l'église de Tongres, qu'elle l'était restée de celle de Maestricht et qu'on ne voulait pas que le transfert du siège privât le diocèse d'un patronage si vénéré. Tel n'est pas l'avis de M. Joseph Demarteau, qui, dans une lettre adressée à l'auteur de ces lignes (Gazette de Liège, 9 et 16 janvier, 14, 21 et 28 août 1800), cherche à établir que la chapelle primitive avait pour patronne Notre-Dame.
(10) C'est un document du XVIIIe siècle, composé d'après Gilles d'Orval, et de peu de valeur historique. A Saint-Jean, celte vie était lue tous les ans, à l'anniversaire de la mort de Notger. Elle est conservée aujourd'hui à la bibliothèque de l'Université de Liège, n' 865 (ancien 689).
(11) Ce texte était représenté, du temps de Chapeaville, par un autre manuscrit encore, appartenant aux Capucins de Liège. (Voir CHAPEAVILLE. Gesta Pontif., t. I, praefat. in fine.) Il constitue aujourd'hui à lui-seul la classe D dans l'édition critique d'Anselme par Koepke. (Monum. Germ. Hist., t. VII, p. 159.)
(12) Il est vrai que l'ut supra diximus est ajouté en marge, mais c'est une raison de plus pour se convaincre qu'il n'est pas de Gilles d'Orval, qui se serait évidemment gardé d'ajouter, après réflexion, une formule non justifiée par son texte. Je suis donc porté à croire que c'est le copiste qui, s'apercevant qu'il avait sauté la formule dans le texte mis sous ses yeux, l'aura rétablie en marge: elle est d'ailleurs de la même main que le reste.
(13) Monum. Germ, Hislor., Il, p. 211.
(14) Anselme, c. 25.
(15) On demandera peut-être pourquoi la tradition populaire a choisi Saint-Jean et Saint-Denys, plutôt que Sainte-Croix, Saint-Paul et Saint-Martin. Je répondrai: 1° que Saint-Paul et Saint-Martin avait été commencées avant Notger; 2° que l'histoire de la fondation de Sainte-Croix, telle qu'elle était racontée par Anselme, avait déjà sa légende; il ne restait donc absolument que Saint-Jean et Saint-Denys.
(16) Les visions de phénomènes lumineux désignant un endroit prédestiné sont fréquentes dans l'historiographie liégeoise. A Florennes, un homme du nom d'Amalricus voit une nuit, en regardant du cote de l'église Saint-Jean-Baptiste, columnam ignacam a loco quo sanctae erant reliquiae in coelum usque protensam. (Mirac. Gengulfi, dans Pertz, XV, p. 793, c. 8.) Une croix lumineuse brille au-dessus de la maison de saint Lambert à Liège, le jour de son assassinat (Vita Lamberti, c. 10 dans Mabillon. Acta SS. O. S. B., III, 1, p. 64). Un rayon de lumière apparaît au-dessus de saint Trond endormi dans le jardin de son hôte à Trudonecas. (Vita Trudonis. Ibid., II, p. 1032.) Enfin le tombeau de sainte Landrade est montré à saint Lambert par une vision lumineuse. (Acta SS. des Bollandistes, 8 juillet.)
(17) Dans Chapeaville, t. 1, p. 399.
(18) Les Origines de la ville de Liège, dans le BULLETIN DE LA SOCIETE D'ART ET D'HISTOIRE DE LIEGE, t. III.
(19) Cette chapelle existait-elle en réalité? Je crois que oui, parce que c'est le seul point d'attache de la légende, et parce qu'on ne comprendrait pas qu'il pût avoir été inventé, tandis qu'au contraire la naissance de la légende s'explique parfaitement une fois qu'on admet la coexistence des deux sanctuaires du même nom.
(20) Pour ce qui est du Puits d'Enfer, je me borne à rapprocher le passage de Nennius, Historia Britonum, c. 76: Est aliud mirabile in regione quiae dicitur Guent. Est ibi fovea a qua ventus flat per omne tempus sine intermissions, et quando non flat ventus in tempore aestatis, de illa fovea incessanter flat, ita ut nemo possit sustinere neque ante foveam pro frigiditate; et vocatur nomen ejus Huit Guent Brittannico sermone, Latine autem flatio venti. Magnum mirabile est ventum de terra flare. (Dans Petrie, Monumenta historica britannica. Londres, 1848, p. 79).
(21) Ruperti Chronicon Sancti Laurentii, c. 8-10, dans MARTENE et DURAND, Amplissinia Colletio, t. IV, col. 1044.