WWWCHOKIER


L'église Saint jacques.

par Louis Hendrix

Vicaire de Saint Jacques


L'Abbaye - Ses origines - Son église romane

Une pensée de piété patriotique présida à la fondation de l'abbaye.

Le 10 octobre 1013, la principauté de Liège eut à livrer sa première bataille pour son indépendance; dans les plaines Hougaerde, près de Tirlemont, les milices liégeoises en vinrent aux mains avec les soldats du comte de Louvain. Hélas! La victoire trahit la cause de la justice. Trois cents Liégeois - chiffre énorme en ces temps barbares - restèrent sur le champ de bataille. L'évêque Baldéric II (1008-1018) ne pouvait se consoler de la perte de ces braves. De plus, il se reprochait d'avoir pris une part active au combat, lui, évêque! En expiation, il voulut bâtir le monastère de Saint-Jacques, où les fils de saint Benoît offriraient le secours d'une prière perpétuelle aux soldats tombés pour la patrie.

Le 25 avril 1016 fut posée la première pierre et en septembre, l'évêque Baldéric consacra la crypte. Rien n'est resté de cette église souterraine. Quand on installa le calorifère, à la fin du siècle dernier, on n'en trouva que quelques ruines au milieu du transept de l'église actuelle (1). Construite en pierres de grès de grandeur moyenne et posées par assises régulières, elle mesurait environ 9m de largeur. De grands pilastres rectangulaires renforçaient les parois chaque pilastre avait 1,60 m de largeur et 0,63 m de saillie; le sol était couvert d'un mélange de cailloux et de ciment.

La crypte fut consacrée à saint André, apôtre, le 7 septembre 1016.

Ce même jour, la nouvelle abbaye reçut sa première dotation. L'évêque abandonna aux saints apôtres Jacques et André son héritage paternel ainsi que le terrain sur lequel s'élevait l'abbaye et les terres environnantes. Le pieux évêque ne put contempler l'achèvement de l'édifice: il mourut en 1018 et fut enseveli dans la crypte.

A la mort de Baldéric, les travaux furent interrompus. Une des causes de ce retard fut la rivalité des deux abbayes bénédictines de Liège, Saint-Laurent et Saint-Jacques, fondées presque en même temps: et l'évêque Wolbodon, successeur immédiat de Baldéric, s'occupait davantage de Saint-Laurent. Mais sur l'ordre de l'empereur saint Henri qui fit une riche donation à Saint-Jacques, Wolbodon (1018-1021) dut reprendre l'ouvrage.

Ce que l'abbaye doit surtout à cet évêque, c’est le choix de son premier abbé: OLBERT, un saint qui était déjà depuis huit ans à la tête de la florissante abbaye de Gembloux. Olbert avec le bienheureux Richard de Verdun propagea en notre pays la grande réforme clunisienne et ramena ainsi la ferveur au sein des monastères bénédictins (2) A ce prélat réformateur incomba donc la tâche d'organiser la vie religieuse à Saint Jacques. Aux « fratres » que l'évêque Baldéric avait établis dans la nouvelle abbaye, il réunit des moines bénédictins qu'il fit venir de l'abbaye de Saint-Vannes à Verdun et qui avaient été formés par le bienheureux Richard. Jusqu'à sa mort, en 1048, Olbert resta à la tête des deux abbayes, Gembloux et Saint Jacques. Il fut enterré dans l'abbaye liégeoise au milieu du choeur et l'inscription de sa tombe proclame la vénération que ses contemporains lui avaient vouée. (3)

Grâce à l'activité d'Olbert, les travaux de construction avaient avancé rapidement et l'évêque Réginard put consacrer l'église le 24 août 1030.

Cette église primitive, en style roman, était vraisemblablement une construction analogue à l'église Saint-Barthélemy de Liège.

Elle avait été décorée intérieurement par le peintre .Jean. Celui-ci, surnommé « J'han l'Consieu parce qu'il aurait conseillé à Baldéric II de fonder l'abbaye de Saint-Jacques, est le plus ancien artiste du pinceau qui soit connu dans les annales de la Belgique (4). La légende en a fait un évêque et lui a prêté des aventures pour le moins invraisemblables. Par l'étude de la Vita Balderici, Kurth a pu nous donner les points suivants comme historiques: l'empereur Otton III a fait venir, d'Italie un peintre du nom de Jean qui a orné la basilique d'Aix-la-Chapelle et qui plus tard a vécu à Liège chez Notger et chez Baldéric II, payant par des oeuvres d'art l'hospitalité qu'il y recevait.

Les peintures de Jean ont dû être très belles. Malheureusement, « un demi-siècle avait suffi pour enlever à celles d'Aix-la-Chapelle une grande partie de leur éclat, tandis que celles de Saint-Jacques vieillissaient et se ternissaient à vue d'oeil (vers 1053). Peut-être que l'incurie des moines fut responsable de cette dégradation, car les religieux de Saint-Jacques firent disparaître quelques fresques du peintre Jean pour les remplacer par d'autres.

L'auteur de la Vita Balderici admire l'oeuvre du peintre Jean et il apprécie ce qui en reste comme bien supérieur aux peintures récentes.

Jean fut inhumé dans l'église abbatiale, sa tombe se trouvait dans la nef latérale de gauche, près de l'autel de saint Lambert.

Quand on reconstruisit l'église au XVIe siècle, on lui fit un nouveau tombeau sous l'arcade qui sépare actuellement le choeur de la chapelle de Notre-Dame. Le monument le représente en habits pontificaux (on le disait évêque!), couché sur un sarcophage.

Ce monument du XVIe siècle était dans un tel délabrement qu'on l'avait mis an rebut à la fin du siècle dernier (5) En 1906, on a reconstitué ce mausolée dans la chapelle de Saint-Roch et au mur on a reproduit l'épitaphe que Gilles d'Orval nous avait conservée. Le sarcophage recouvre un coffret en chêne, contenant les ossements du peintre.

L'église romane était un édifice à trois nefs, long d'environ 60m et large de 20, avec deux absides, l'une vers l'Orient, l'autre vers l'Occident. Cette dernière, seul reste encore debout de cette première église, est une construction massive s'élevant le long de la rue Saint-Jacques et grâce à laquelle il est possible d'établir approximativement les dimensions du temple entier, de s'en former une idée.

Cette abside occidentale peut être citée comme un beau spécimen de notre architecture romane. On y distingue trois parties: la base massive en pierres de grès houiller; un ex­haussement en briques, de forme triangulaire, ajouté beaucoup plus tard; la tour octogonale qui, svelte et légère, couronne cette masse de pierres.

A première vue, cette construction paraît dater du XI siècle, tout comme l'ancienne église: pourtant une étude plus approfondie du monument ne permet pas de soutenir cette thèse,

A part les fenêtres, du style roman simple, on voit que partout dans cette construction on a employé l'arc brisé. L'architecte savant, qu'employaient les moines de Saint-Jacques, connaissait les immenses avantages que cet arc brisé présente: aussi l'utilise-t-il avec une rare maîtrise pour l'époque. Délaissant avec raison l'arc plein cintre, il éleva cette vaste construction comprenant un choeur, deux chapelles, avec étage, le tout surmonté de trois tours de proportions considérables.

Le long de la rue Saint-Jacques, le bâtiment est d'une largeur de 22m60; la hauteur totale depuis le sol jusqu'au sommet de la tour (jusqu'au pied de la croix) est de 38m. L'église romane était évidemment moins élevée que l'église gothique: le faîte du toit n'arrivait qu'à une hauteur de 24 m.

L'extérieur de l'abside conservée est sobre d'ornements: arcatures et contretorts-pilastres. Ainsi la façade occidentale est divisée en sept compartiments et chacune des faces latérales en trois; deux petits arcs plein cintre réunissent les différents pilastres et constituent ainsi autour de tout l'édifice une frise d'arcatures. L'extérieur n'a pas été restauré; aussi le narthex paraît assez délabré, mais précisément parce qu'il n'a pas subi de restauration indiscrète, il présente un modèle intéressant d'ornementation romane très simple.

A l'intérieur, l'édifice est divisé en deux étages. Le rez de chaussée est voûté: les voûtes d'arêtes sont séparées par des arcs-doubleaux massifs - épaisseur de l'arc: 1,25 m et l'arcade a 5,10 m de large - ces arcs doubleaux divisent l'intérieur en trois travées qui correspondent probablement aux trois nefs de l'église primitive.

Jadis, on n'entrait dans cette abside que par l'église, (Le portail roman avec tympan et colonnettes a été construit en 1892). C'était en réalité le choeur occidental de l'église. Comme beaucoup d'églises, Saint-Jacques avait donc deux choeurs, car les Annales S. Jacobi (6) attestent que l'abbé Drogon (1155-1173) avait construit sous la tour deux autels, l'un en l'honneur de saint Jean Baptiste et l'autre en l'honneur de la Sainte Vierge et qu'il fit construire « un mur de pierres sculptées. » Cette dernière expression désigne sans nul doute le cancellum (cancel ou clôture du sanctuaire) qui se trouvait au fond de la grande nef et qui était un très beau spécimen de la sculpture délicate du XIIe siècle, (7) Il y a quelques années, Mgr Schoolmeesters (curé-doyen de 1876 à 1901) le fit disparaitre de l'église sous prétexte qu'il n'était pas de style gothique et le donna au musée diocésain.

De chaque côté du narthex, un escalier tournant, construit dans l'épaisseur du mur, nous mène a premier étage vaste salle, ayant les mêmes dimensions que le rez-de-chaussée et divisée également en trois travées par des arcades massives. Cette salle n'était pas voutée mais sans doute couverte d’un plafond: des corbeaux en saillie sur les murs indiquent encore l'emplacement des poutres.

Quel usage faisait-on de cette pièce aux vastes proportions, d'une belle architecture, ornée aux parois latérales de fenêtres géminées? Elle servait probablement de chapelle et de salle du trésor: ailleurs aussi, par exemple à l'abbaye bénédictine de Saint-Trond et à l'église Notre-Dame de Tongres, la salle du trésor renfermant les reliques était située sous la tour occidentale; ici, à Saint-Jacques, on remarque encore très bien l'arc­doubleau qu'une maçonnerie ferme maintenant mais qui jadis permettait de communiquer avec l'église et d'exposer les reliques à la vénération des fidèles.

Depuis 1056, en effet, l'abbaye possédait des reliques insignes dont elle n'était pas peu fière. Gilles d'Orval dans ses Chroniques nous a laissé un récit savoureux d'une glorieuse expédition en Espagne; il nous raconte les menus incidents du voyage du moine Robert à Compostelle et en admire le résultat merveilleux: le moine Robert put ramener à Liège une parcelle du radius de l'apôtre saint Jacques, le glorieux protecteur de l'Espagne. (8)

L'arrivée à Liège de ces précieuses reliques fut un vrai triomphe. Les religieux de Saint-Jacques et de Saint-Laurent - oubliant leurs rivalités dans une joie commune allèrent à la rencontre du cortège. De tous les villages environnants était accouru un peuple immense. Au moment où l'on veut passer un bras de la Meuse, par le Pont d'Ile, le pont lui-même menace de s'écrouler sous le poids de la foule. Le chanoine­chantre de Saint-Paul, Werefridus, a vu le danger et, sous l'inspiration de sa foi, il chante ce verset que la foule répète: « A periculo pontis, libera nos Domine! Du danger des ponts, délivrez-nous Seigneur! » Aussitôt, ajoute le chroniqueur, le pont se raffermit, tous purent passer, et, au milieu de l'allégresse générale, on exposa les reliques à la vénération de la foule. Les Parvi Annales de l'abbaye terminent le récit par ces mots enthousiastes: « majorum nostrum etas letiorem diem prius nec postea meminerit se vidisse. »

Disons un mot de la surélévation en briques qui enveloppe la base de la tour octogonale. Cette maçonnerie a été ajoutée évidemment beaucoup plus tard: cette masse informe de briques n'a rien de commun avec la remarquable construction romane.

L'abside occidentale était jadis cantonnée de deux tours latérale (comme l'église Saint-Barthélemy à Liège) et entre celles-ci s'élevait la tour octogonale. Certaines gravures anciennes nous montrent le narthex couronné de ces trois tours et cet ensemble ne manque pas de grandeur. (Voir Planche I)

L'abbé Drogon. (+1173) a fait bâtir la tour octogonale et probablement aussi les deux tours latérales. Le texte des Anales « ipse (Drogo) sublimavit in altitudine turrim templi - il a fait monter en hauteur la tour de l'église » s'applique incontestablement aux trois tours qui forment la partie supérieure du narthex.

C'est donc vers l'an 1170 qu'on a construit les trois tours, sous l'abbé Drogon qui a ainsi achevé l'oeuvre de ses devanciers, c'est-à-dire la construction de l'abside occidentale qui a dû commencer vers le milieu du XIIe siècle.

La foudre en 1392 vint découronner les tours jumelles dont la maçonnerie resta jusqu'en 1651. En cette année, un ouragan détruisit complètement une des tours et les bons moines qui ne voulurent pas la reconstruire avaient si peu de sens artistique qu'ils démolirent aussi l'autre tour et qu'ils enveloppèrent toute la partie supérieure du narthex -- même les fenêtres géminées du premier étage -- de l'affreuse gaine en briques.

La tour octogonale, un vrai joyau de l'architecture du XIIe siècle, nous a été heureusement conservée. A l'extérieur, les moines ont fait exécuter de prétendues réparations et plusieurs côtés de la tour sont rebâtis en briques... simulant des frises, arcatures, corniches. L'aspect primitif est resté du côté de la place Saint-Jacques et surtout du côté de la tour qui est actuellement protégé par le toit de l'église gothique; sans doute, cette partie est cachée aux regards, mais parce que précisément elle est abritée depuis quatre siècles par les combles de l'église, elle a gardé intacts son cachet primitif et tous les détails de sculpture.

Dans les combles, là où jadis était le plafond de la salle du premier étage, on remarque encore les deux carrés de maçonnerie sur lesquels s'élevaient les tours jumelles: ces tours avaient 6 m. de côté. La tour octogonale était séparée des tours latérales par un passage de 0,90 m de large et que recouvraient des dalles à la base des tours.

Aux quatre angles de la travée centrale sont construites des trompes qui permettent la construction de la tour octogonale sur une base carrée.

Veut-on monter jusqu'aux combles de l'église gothique, on peut alors admirer de tout près cette tour octogonale et se rendre compte de la coupe parfaite de ces vieilles pierres: colonnes, pilastres, arcades, pierres si bien taillées qu'elles portent encore aux extrémités les lettres dont on les marquait au chantier, afin de pouvoir les adapter, parfaitement dans la construction.

Chaque face de l'octogone est percée d'une fenêtre géminée sous un arc de décharge et un petit oeil-de-boeuf ou oculus éclaire le tympan sous cet arc. Une meurtrière se voit au fronton qui couronne chaque face de l'octogone.

Les colonnes de la tour, constituent un des éléments de sa beauté: les deux arcades de la fenêtre sont séparées par une colonnette et à chaque côté une autre colonnette reçoit la retombée des arcs. En outre, une colonne plus grande orne chaque angle extérieur et est placée quelque peu en saillie; les chapiteaux de ces colonnes servent de consoles aux frises. Toutes les colonnes sont minces et sveltes; leur base est munie de griffes aux angles. Les chapiteaux portent de grandes feuilles charnues: ces sculptures, en effet, étaient destinées à être vues de loin.

D'autres ornements romans sont les corniches à billettes semi-circulaires et à billettes semi hexagonales entourant les trois côtés du fronton; une belle frise d'arcatures fait le tour de l'édifice et s'appuie sur les colonnes des angles.

Au cours des siècles, cette première église dut recevoir divers enrichissements desquels il ne nous reste qu'un beau groupe en pierre représentant le couronnement de la Sainte Vierge. Les deux statues sont placées au dessus de la porte qui donne accès à l'église, à l'intérieur du porche, Place Saint-Jacques. La Vierge est assise à la droite du Christ, les mains jointes, la tête inclinée vers Lui. Le Christ est également assis: la main gauche appuyée sur une sphère représentant le monde, la main droite levée pour bénir sa Mère qu'il vient de couronner (9). Les deux statues sont du XIVe siècle: taillées en pierre de sable très friable, elles ne sont pas restées intactes sous les injures du temps et des hommes. La Vierge a perdu complètement les deux mains; le Christ également, mais on lui a affreusement restauré la main gauche. L'attitude et le geste des personnages sont simples et naturels et les vêtements sont bien drapés. Quelques restes de couleurs et de dorure indiquent l'ancienne polychromie.

Les deux figures des statues nous sont parvenues intactes; elles sont très belles. Celle du Christ est pleine de majesté divine; celle de la Vierge est noble et humble à la fois: de toutes deux se dégage une impression de piété qui émeut.


L’église gothique.

Au XIIIe siècle, l'abbaye de Saint-Jacques, comme presque tous les monastères bénédictins, connut une période de décadence. A la fin du XIIe siècle et au commencement du XIIIe, six abbés du monastère abdiquent successivement: une crise économique et la mauvaise administration de quelques-uns de ces abbés chargent l'abbaye de lourdes dettes.

Ce ne fut qu'au XIVe siècle, que le monastère reprit son ancienne splendeur: aussi ce fut un siècle de grande activité.

En 1313, on commença la construction d'un nouveau dortoir (10); en 1351, on construisit une nouvelle cuisine et d'autres dépendances de la maison.

« Dès cette époque, se trouvait agitée la question de l'agrandissement de l'église. Aussi l'un des principaux amis du monastère, l'échevin Jean de Brabant, par son testament du 3 juillet 1353, laissa-t-il aux moines une somme de deux mille florins pour développer le temple jusque « al peron seiant en leur cymetère. » Il léguait en outre à l'abbaye sa maison et tous ses autres biens fonciers, à condition que le nombre des religieux fut porté de vingt-cinq à trente-six. Le monastère jugea les clauses de cette disposition dernière trop onéreuses. Il ne retint qu'une partie du legs. » (11)

En 1369, un incendie détruisit le réfectoire des moines et une partie de leur dortoir et rasa les bâtiments claustraux de fond en comble, depuis la maison de l'abbé jusqu'au milieu de la cuisine.

L'habitation des moines fut rebâtie en 1372, l'infirmerie en 1374; mais en 1392, nouvelle catastrophe: la foudre découronna les deux tours jumelles de l'église. Enfin en 1401, une épidémie de peste ravagea la ville de Liège: l'abbé Bertrand de Vivegnis et douze de ses moines succombèrent au terrible fléau. Tel était le début peu encourageant du XVe siècle.

Pourtant, quelques années à peine après ces tristes événements les moines commencèrent la construction d'une nouvelle église beaucoup plus vaste que l'ancienne. Probablement que la nécessité s'en était imposée, car ce n'est qu’a grand peine qu'on avait pu préserver l'église lors de l'incendie de 1369: l'état précaire de la vieille église était sans doute une des conséquences funestes du désastre. Grace aux largesses d'Engelbert de La Marck (12), l'abbé Renier de Heyendael (1408.1436) put, en 1418, commencer les fondations du nouveau choeur de l'église. On laissa l'ancien édifice intact. Le sanctuaire avec sa couronne de chapelles et l'immense choeur réservé aux moines furent tracés tout-à-fait en dehors de l'église romane: on achèverait d'abord cette première construction et ensuite, après démolition de l'ancienne église, on recommencerait sur son emplacement la construction du transept et du vaisseau de la nouvelle: ce serait donc une église aux vastes proportions.

Hélas! Le travail ne put aboutir: à la mort de l'abbé, on avait à peine atteint la hauteur des fenêtres (13) et déjà on dut interrompre le travail. Pendant tout le XV siècle, les malheurs des temps ne permettraient pas de faire des constructions grandioses. Sous le prince-évêque Jean de Heinsberg, commencèrent les premières difficultés avec la Maison de Bourgogne et sous son successeur Louis de Bourbon la guerre ne cessa pas: cette période de troubles, d'émeutes, de défaites, suivie du sac de la ville par les soldats de Charles-le-Téméraire est la période la plus tragique de l'histoire liégeoise. Sans doute, les édifices religieux furent épargnés et l'abbaye de Saint-Jacques put donner l'hospitalité au légat du Pape. Mais- pendant bien des années, Liège resta une ville pauvre, sans ressources; les dévastations et les guerres avaient diminué les revenus de l'abbaye qui avait comme devoir alors de donner des aumônes plus larges. Pendant tout un siècle, les moines de Saint-Jacques durent renoncer à la construction de leur nouvelle église.

Cet abandon, ils allaient le paver chèrement. En 1513, la vieille église était devenue toute caduque: la voûte en pierre de l'abside romane s'effondra, brisa le pavé du choeur et, défonçant la crypte, détruisit le tombeau de l'évêque Baldéric. Dans leur chute, les pierres avaient aussi réduit en miettes la table en marbre du maître-autel, d'un prix inestimable.

Et maintenant, bon gré mal gré, on dut se mettre à l'oeuvre. La principauté venait précisément d'entrer dans une ère de paix et de prospérité sous Érard de La Marck (1506-1538). Liège se releva de son impuissance et on oublia bientôt les malheurs subis. Le monastère lui-même était très fervent à cette époque au point que l'évêque envoya des moines de Saint-Jacques rétablir la discipline monastique à Stavelot et à Saint-Hubert.

L’épitaphe de l'abbé Renier dit qu'à sa mort, en 1436, il avait édifié le choeur jusqu’aux fenêtres: Anno Domini MCCCCXXXVI... abiit... Abbas hujus ecclesiae, qui tam temporales quam spirituales divitias huic monasterio féliciter accumulans, etiam novum ejus ecclésia chorum ad vitreas usque perduxit.

L'inscription du choeur ne semble donc pas ancienne. Son authenticité d'ailleurs a été mise en doute bien des fois.

Avant de décrire l'église gothique, il convient de citer les noms des deux hommes qui méritent la reconnaissance de la postérité: l'abbé qui entreprit cette construction grandiose et l'architecte qui exécuta ce chef-d'oeuvre.

L'abbé s'appelait JEAN DE CROMOIS OU DE CORONMEUSE (1506-1525) et on ne peut lui adresser plus bel éloge que celui de l'inscription même de son mausolée: « Même après la mort tu continues a vivre. Cette sainte maison proclame la gloire de toi qui l'as édifiée avec tant de magnificence. » (14)

Quant à l'architecte, l'histoire n'avait même pas retenu son nom. Cet homme qui avait créé une oeuvre d'art unique, avait jugé inopportun de faire tailler son nom dans ces pierres édifiées à la louange de Dieu. Ce n'est que par hasard qu'on trouva ce nom dans d'anciens registres et qu'on découvrit que le même artiste avait travaillé à l'achèvement de Saint-Martin à Liège et avait conçu les chefs-d'oeuvre de Saint-Jacques et le Palais des Princes Évêques. Les vieilles archives l'appellent bien humblement: « maître Art, le maitre ouvrier » ART VAN MULCKEN, magister operum novi S. Jacobi, Arnold van Mulcken, le maître d'oeuvres du nouveau Saint-Jacques.

Déjà en 1515 était achevé le nouveau choeur de l'église (15): on put ainsi célébrer les offices divins dans le choeur et finir en même temps le reste de l'édifice. L'église fut achevée en 1538 sous l'abbé Nicolas Balis (1525-1555). La consécration dé l'église n'eut lieu qu'en 1552.

Où en était arrivée la construction en 1525, à la mort de l'abbé Jean de Cromois? Son mausolée en marbre était érigé au milieu du choeur; de plus, un des grands vitraux du choeur est un don de cet abbé et porte ses armoiries; un autre vitrail est daté de l'an 1525; les armoiries de Jean de Cromois sont sculptées également aux clefs de voûte du transept.

Au contraire, les clefs des voûtes de la grande nef et des bas-côtés portent les armoiries de son successeur, l'abbé Nicolas Balis.

Il semble donc bien que le choeur et le transept sont l'oeuvre de l'abbé Jean de Cromois et que le vaisseau de l'église et les basses nefs ont été achevées sous Nicolas Balis.

Description de l'église gothique.

Arnold van Mulcken, l'architecte de l'église, était sans contredit un artiste de grand talent Au moment où il dut se mettre à l'oeuvre pour bâtir la nouvelle église, l'art gothique était en pleine décadence. Ailleurs déjà, la Renaissance avait imposé des formes nouvelles â l'architecture et ici-même, en 1558, à peine une vingtaine d'années après l'achèvement de Saint-Jacques, on ajoutera à l'église gothique un portail en style Renaissance.

Au XVIe siècle, l'art gothique dépérit, tel un arbre vigoureux épuisé par une fécondité trop abondante et qui ne se résigne pas à mourir. Ailleurs, dès la fin du XVe siècle, le gothique n'a plus qu'une existence précaire, sa décadence éclate dans l'artificiel et le compliqué de ses formes; mais l'architecte le Saint-Jacques est un artiste dont tes conceptions géniales s'élèvent au-dessus des défauts de son temps et qui crée un chef-d'oeuvre le chant du cygne de l'art gothique.

L'élise, évidemment, révèle les défauts du style gothique tertiaire, « exagération et décadence de l'art gothique » (16): on chercherait en vain la simplicité des formes primitives, leur caractère grave et sévère; les voûtes n'y sont plus soutenues par des arcs élancés et sveltes qui s'entrecroisent, mais par mille complications, tant au transept où les arcs bifurqués forment un plan en étoile, qu'au-dessus de la grande nef où les nervures sont mêlées comme les mailles d'un filet et semblent s'accrocher à la voûte et non la soutenir; partout surcharge d'ornements et partout aussi quelque chose de compliqué qui veut être original au prix d'efforts laborieux; cependant à Saint-Jacques l'ornementation n'est pas tourmentée ni contraire au bon goût.

La construction elle-même étonne par sa hardiesse et semble au point de vue technique un défi aux lois de l'équilibre: pour neutraliser la poussée des voûtes sur les murs extérieurs, l'architecte n'avait édifié que de légers contreforts; l'église n'a pas d'arcs-boutants. Et pourtant, s'il n'est pas tout à fait exact de dire que « le caractère distinctif du gothique est l'arc­boutant » (17), dans la bonne période du gothique on n'aurait cependant pas osé élever ces voûtes immenses sans arcs-boutants; ajoutez à cela que l'arc surbaissé a une poussée plus considérable encore.

Et l'église a-t-elle subi les conséquences désastreuses de cette disposition ?

Placez-vous au choeur et vous remarquerez tout de suite que l'écart entre les murs de la grande nef semble plus considérable près des voutes qu'à hauteur des piliers. Cette déformation est due à la poussée des voûtes sur les murs extérieurs que les contreforts trop minces n'ont pu empêcher de se déverser au dehors. Quoi qu'il en soit, au milieu du XIXe siècle, on a craint que l'église ne s'effondrât. Dès 1839, on avait commencé par démolir les contreforts du choeur et des chapelles pour les reconstruire plus massifs au fur et à mesure de leur démolition. L’église fut fermée de 1452 jusqu'au début de 1854 (18) car ou dut y élever des échafaudages énormes pour étrésillonner les voûtes; en même temps, on consolida les contreforts de la nef: enfin, on suspendit chaque clef de voûte à la charpente par un tirant en fer: la pression des voûtes sur les murs fut ainsi diminuée.

Mais qu'on se rassure ! L'église Saint-Jacques n'est pas prête à s'effondrer l'oeuvre d'Arnold van Mulcken résistera aux siècles.

Les défauts du monument - qui sont plutôt les défauts de toute l'architecture flamboyante - on peut les énumérer hardiment: il est évident qu'ils paraissent négligeables à côté des beautés merveilleuses de ce temple, chef d'oeuvre d'art et de bon goût. On a pu dire avec raison que « l'église Saint Jacques est un des types les plus parfaits qui existent dans l'Europe entière du style ogival tertiaire, parvenu à son apogée. » (19) Église pleine de clarté qui annonce l'arrivée toute proche de cette Renaissance souriante et gaie, église de lumière et de soleil - et pour ce motif elle convient moins aux âmes sentimentales qui se plaisent dans la pénombre mystique de certaines chapelles - mais dans la lumière éclatante de cette église il n'y a pas un détail qui échappe à nos yeux. A peine a-t-on franchi le seuil qu'on est comme ébloui par cette profusion d’ornements riches et variés. L'intérieur de Saint-Jacques, avec ce luxe d'un gout raffiné, est un des plus gracieux qu'on puisse imaginer. Parler de « dentelles de pierre » semble un lieu commun, une formule toute faite et pourtant regardez la grande nef et vous devez convenir que cette formule ne serait pas déplacée ici: balustrades ajourées, triforium, colonnettes, chapiteaux, festons, arabesques, feuillages ouvrage en filigrane ou plutôt broderie légère qu'un souffle de vent semble agiter, tant ces sculptures sont fines et délicates, tant cette ornementation est élégante, souple et légère.

Nulle part, on n'aperçoit plus pour ainsi dire les murs de l'église. Toute la charge des voûtes est portée par les piliers: aussi a t on pu creuser à volonté les remplissages entre ceux-ci; les grandes fenêtres, le triforium, l'ouverture des arcades forment trois étages superposés. Peut-on encore appliquer le mot mur à ces grandes surfaces ajourées, murs aériens dont chaque pierre s'anime par quelque feuille délicatement travaillée ou quelque élégante moulure ?

Considérons une travée de la grande nef.

Tout en haut, près de la voûte, s'ouvrent les belles et larges fenêtres: celles-ci occupent toute la largeur de la travée; les arcs formerets de ces voûtes dessinent les arcs des fenêtres.

Le second étage porte en haut une série d'arcatures et de panneaux; en bas, en guise de balcon, le magnifique triforium qui fait vraiment, à mi-hauteur, le tour de toute l'église aussi bien dans la grande nef que dans les nefs latérales et qui ne consiste pas en de simples arcades ogivales posées sur colonnettes (style ogival primaire: cathédrale de Liège et église Notre-Dame à Tongres); le travail est plus compliqué ici: toute la galerie est découpée en arcades trilobées, en trèfles pointus et quartefeuilles. L'ensemble produit une impression admirable.

Et enfin on arrive aux larges arcades qui s'ouvrent entre les piliers: une double rangée de festons trilobés, redentés, légers comme les plus fines dentelles, vient donner une note élégante à leur majesté.

Dans les écoinçons des arcades sont sculptées de longues branches feuillues d'acanthe, en style Renaissance et d'un effet ravissant ces rinceaux entourent des médaillons qui portent des têtes typiques et expressives des principaux personnages de l'Ancien Testament (voir planche IV) à droite Joseph d'Arimathie, le prophète Johel, Tobie, Debora, Barach, Daniel, Isaïe, Esdras, Mardochée, Judas, Machabée, Mathathias, Judith; à gauche Nicodème, Jabel, Job, le roi Josias, Elisée, Suzanne, Sadoch, Elie, Esther, Gédéon, David, Dathan.

Des piles massives, composées de moulures et de colonnettes, portent les arcades de la grande nef; les deux fines colonnettes qui, à chaque pile montent d'un seul jet jusqu'à la naissance des grandes voûtes dont elles reçoivent les retombées, contribuent à rendre l'aspect de ces piliers, léger et élégant. Les piles n'ont pas de chapiteau proprement dit; chaque colonnette a gardé son chapiteau qui n'est qu'une petite frise de feuillage très découpé.

La beauté du transept consiste surtout dans la vaste fenêtre qui en occupe toute la largeur: 10 m de haut sur 10 m de large. Ces magnifiques fenêtres remplacent dans nos édifices les grandes rosaces des cathédrales françaises et, comme elles, ont leurs meneaux supérieurs d'un dessin riche et gracieux. Le réseau de l'arcade est découpé, A l'aide de combinaisons de courbes et de contre-courbes, en flammes, soufflets, et mouchettes, trèfles pointus, coeurs allongés, qui caractérisent le style flamboyant

Des meneaux divisent chaque fenêtre en 12 compartiments. Le meneau central, très large, monte directement jusqu'à la clef de l'arc et porte, tout en haut, une grande statue avec console et dais très ouvragé; au coté nord, c'est une Immaculée Conception: la sainte Vierge et l'Enfant Jésus, écrasant le serpent; au côté sud, saint Jean-Baptiste: images du XVIe siècle, bien sculptées mais placées trop haut malheureusement (20).

Les piliers du transept, sous les grandes fenêtres, ne portent pas de faisceau de colonnettes, mais sur le devant de chaque pilier s'élève une grosse colonne engagée. Cette saillie semi cylindrique porte une console surmontée d'une grande statue d'Apôtre (statue moderne). Mais la console elle-même est un buste sculpté du XVIe siècle. Au côté nord se dressent les bustes de saint Marc et de saint Luc; les deux animaux symboliques de ces évangélistes, le lion et le boeuf, sont sculptés en relief et forment le chapiteau de la colonne. Au côté nord, d'un chapiteau de feuilles frisées et déchiquetées à l'excès émergent les bustes d'Aaron et de Moïse.

Le choeur de Saint-Jacques est unique vaste et majestueux, inondé de lumière, d'une richesse d'ornementation inouïe. (Voir planche II).

Cependant ce choeur semble encore plus vaste qu'il n'est en réalité: ce qui contribue augmenter ainsi l'ampleur de l'édifice, ce sont d'abord les grandes chapelles collatérales dont les voûtes retombent avec tant d'élégance sur une colonne centrale, les galeries du premier étage éclairées de toutes parts et surtout la couronne de petites chapelles qui entourent l'abside et lui donnent une note claire et gaie.

Les arcades des galeries et des chapelles latérales ne semblent pas limiter l'espace mais plutôt l'étendre à l'infini par cette perspective de salles qui se succèdent.

Au-dessus des tribunes latérales s'ouvrent immédiatement les grandes fenêtres du choeur qui montent jusqu'aux voûtes. Les fenêtres de l'abside sont plus étroites, mais l'impression produite par ces lancettes, sveltes et gracieuses (12 m 50 de haut sur 2 m de large), est des plus élégantes.

La décoration du choeur est particulièrement riche, conformément d'ailleurs au style gothique flamboyant. Des rinceaux ou d'autres motifs de sculpture Renaissance n’y apparaissent pas encore - car le choeur a été édifié en tout premier lieu mis – mais I' art ornemental de la dernière période gothique y déploie un luxe et une perfection, inconnus ailleurs. Chaque pierre est une oeuvre d'art qui nous permet d'apprécier l'habileté technique des ouvriers d'alors et la merveilleuse finesse de leur travail. Sous ce rapport, les baldaquins et les consoles sont particulièrement intéressants.

Les dais sont de sveltes tourelles en pierre, adossées aux piliers du choeur; tourelles ajourées, d'une finesse d'exécution étonnante avec leurs arcs-boutants, arcades, pinacles et crochets (dimensions 2.50 m sur 0,80m). Chaque dais est surmonté d'un fleuron fait pour recevoir une statuette, mais seuls les deux du fond de l'abside ont conservé les leurs.

Les consoles sont encore du travail typique de ce XVIe siècle qui se préoccupait du détail presque avec exagération. Ce sont surtout des personnages qui y sont sculptés en bas-relief, deux, trois, parfois quatre sur une console: des anges avec bannières, des nains, des monstres, entourés de feuillages et de fruits. A l'entrée du chœur, le pilier de droite porte le buste de Salomon et au-dessus de ce buste, est adossée la console avec un joli bas-relief: le jugement de Salomon; les personnages sont très petits, mais pleins d'expression et de vie; au pilier de gauche on trouve le buste du roi David, sa harpe est sculptée sur la console.

Un peu plus loin quelques colonnettes adossées au mur se terminent par des culs­de-lampes, représentant les symboles des quatre évangélistes. De même aux galeries supérieures, les colonnettes qui soutiennent les festons des arcades ont de petits chapiteaux sculptés.

Sous ces dais magnifiques dont nous avons parlé se trouvent de grandes statues d'Apôtres. Ces dix statues du choeur ainsi que les quatre du transept - sont en pierre de sable; elles ont 2 m. de haut et furent placées en 1846: trapues et trop massives, elles sont donc loin d'égaler les gracieuses statues de saint Sébald à Nurenberg, dont le sculpteur Simonis s'est inspiré mais dont il n'a pu nous donner qu'une mauvaise copie.

Jadis on avait placé au choeur les grandes statues en bois que l'abbé N. Jacquet avait commandées en 1735 au sculpteur S. Cognoulle. Ces statues du XVIIIe siècle ne sont évidemment pas de l'art gothique: elles étaient cependant dignes d'être conservées comme étant des oeuvres remarquables de sculpture liégeoise. Le doyen Van Hex qui fit exécuter les statues actuelles vendit les anciennes. Un peu après l'acheteur les céda à l'église du Petit-Séminaire de Floreffe qui, maintenant encore, les conserve précieusement. Parmi les statues de Floreffe les suivantes proviennent certainement du choeur de Saint-Jacques: les quatre statues des Docteurs de l'Église (1735), les statues de saint Miche! et de saint Jean-Baptiste, sculptées par S. Cognoulle.

Les statues de Delcour, placées dans le transept, ont été reléguées dans le narthex où on les laisse se dégrader lamentablement. Et pourtant elles sont magnifiques ces statues de Delcour - saint André, saint Jacques le Mineur, saint Jacques le Majeur, saint Hubert, saint Benoît et sainte Scholastique - et certes dignes d'un meilleur emplacement!

Quatre statues anciennes sont restées au choeur: ce sont les statues en pierre des Docteurs de l’Eglise, adossées au meneau central des grandes fenêtres. Malheureusement elles sont placées trop haut, dans le réseau même des fenêtres : mais ces statues réalistes, aux traits accentués, méritent qu'on les regarde à l'aide de jumelles.

Particulièrement intéressantes sont les stalles du choeur. Elles datent de la fin du XIVe siècle - sont par conséquent plus anciennes que l'église gothique et constituent une des rares pièces de menuiserie qui nous soient parvenues de la bonne époque gothique

Les jouées portent de riches sculptures: crosse, feuillage, arcades ogivales avec gables, crochets et fleurons; les accoudoirs supérieurs sont ornés de simples moulures et les chapiteaux des colonnettes portent des feuilles stylisées.

Mais ce qui attire davantage l'attention, ce sont les miséricordes et les séparations de ces stalles, surmontées d'un petit personnage: chacun des trente-deux compartiments porte un ornement différent. Les artistes du moyen âge aimaient à représenter les vices et les péchés dans ces figures symboliques sur lesquelles les moines devaient s'asseoir ou s'accouder. Et leur imagination bouffonne et ironique s'y livrait librement à toutes ses inspirations capricieuses.

Les miséricordes ont parfois une simple ornementation végé­tale, mais plus souvent on y trouve des serpents, monstres (voir la figure ci-contre), bonshommes accroupis, animaux fantastiques ou sujets bouffons. Quant aux figurines qui surmontent les séparations, elles sont avec évidence des gamineries de l'artiste qui a épié les moines au choeur et qui maintenant raille leurs petits défauts, peut-être non sans malice... Outre une série intéressante d'animaux, tel un lapin qui ronge une feuille de chou, un renard qui dévore une poule (p. 24), se présente là un mélange sarcastique d'animaux grotesques qui grimacent et ricanent, (p. 25), de singes malicieux qui chantent sans regarder leur livre ouvert, de petits êtres chimériques qui portent le capuchon des moines ou même la mitre du Père Abbé (p. 26), caricatures de ces bons religieux qui bâillent à l'office du choeur ou qui s'inclinent profondément au Gloria Patri.

Les tribunes du choeur qui de chaque côté s'étendent au-dessus des chapelles latérales sont comme un étage dont la perspective amplifie encore l'espace du choeur. La tribune de droite s'appelle la chapelle des bourgmestres. Surtout remarquable est l'escalier qui conduit à cette tribune; c'est un escalier à vis double. Les deux escaliers ont absolument les mêmes dimensions et sont agencés l'un dans l'autre d'une manière très curieuse. Plus intéressants encore sont les souvenirs historiques qui se rattachent à cette tribune et lui ont valu le nom de « chapelle des bourgmestres ». L'église Saint-Jacques jusqu'en 1684 a eu le privilège de conserver les chartes communales. Et chaque année, au mois de juillet, les deux magistrats nouvellement élus montaient à cette tribune de Saint-Jacques et venaient prêter serment de fidélité aux droits du peuple liégeois. Pour exprimer d'une manière significative que parmi les bourgmestres l'un n'avait pas plus de droits que l'autre, pour rendre impossible toute dispute de vaine préséance, chaque magistrat put monter à la tribune par son propre escalier… ainsi du moins aucun des deux ne devait céder devant l'autre!

Les nefs latérales sont, elles aussi, de conception heureuse: la vue en est particulièrement impressionnante, lorsque de l'extrémité d'une de ces basses nefs on contemple la série complète de ses piles en faisceau de moulures et de fines colonnettes (voir planche V).

Les murs extérieurs des basses nefs ne sont pas divisés en chapelles latérales, mais ces murs présentent une décoration originale. Chaque travée est percée d'une fenêtre très large, à cintre surbaissée: les réseaux de ces fenêtres reproduisent deux dessins différents. Devant les fenêtres court une galerie dont la balustrade offre le même tracé que celui du triforium. Et c'est d'un effet charmant que de voir cette broderie en pierre de la balustrade, au dessus de laquelle se développe le réseau des fenêtres, ample et délicat. Le meneau central porte encore dais et console, mais seules les statuettes du côte sud sont restées en place.

Sous la galerie de chaque travée est simulée une double arcade dont les archivoltes retombent sur des colonnettes et des consoles. L'arcade géminée est divisée par une colonne engagée et celle-ci soutient le buste d'un personnage biblique. Et c'est une série intéressante que ces huit bustes des basses nefs: sculptures remarquables et d'une grande finesse d'exécution; parmi les personnages représentés nous n'avons pu distinguer avec certitude que le prophète Jonas, reconnaissable au grand poisson l'accompagne, le prophète Daniel revêtu du bonnet phrygien et saint Jean-Baptiste tenant l'Agneau. (Voir figure p. 29).

Chaque buste est surmonté d'une console qui ne porte plus de statue. La décoration de ces consoles et des chapiteaux des colonnettes est particulièrement riche et variée: têtes, bustes, figurines, animaux de fantaisie, rinceaux d'acanthe, formes symboliques on bien des médaillons, fleurettes stylisées. Parmi les personnages représentés nous n'avons pu distinguer avec certitude que le prophète Jonas, reconnaissable au grand poisson

Ce qui frappe l'observateur attentif, c'est l'influence prépondérante que la Renaissance exerça sur la décoration des nefs latérales, influence manifestement plus grande du côté sud que du côté nord: au mur extérieur sud, on ne trouve qu'une ornementation de style Renaissance; aux nefs basses, même les moulures des arcades diffèrent complètement des moulures de la grande nef. Les Annales de Saint-Jacques ne disent rien, hélas des différents artistes qui ont travaillé à l'église. Cependant ne pourrait-on pas - sans tomber dans des hypothèses fantaisistes - attribuer cette décoration en style Renaissance à des talents plus jeunes qui travaillaient sous la direction du vieux maître et qui cherchaient à appliquer l'art nouveau dans cette oeuvre de la dernière époque gothique ?

Les voûtes du choeur et de la grande nef offrent un aspect merveilleux.

Au dessous de l'abside du choeur les nervures forment une étoile à dix branches; dans le carré du transept l'étoile est dessinée plus complètement; au-dessus de la grande nef on a une magnifique voûte en réseau ou à compartiments prismatiques. Sans doute ces formes compliquées ne contribuent pas à la solidité de l'édifice: le gothique primaire, plus simple appliquait mieux les vrais principes de la construction; - mais les voûtes de Saint-Jacques sont d'un effet décoratif incomparable tant par ce réseau merveilleux de nervures que par les clefs de voute en pendentifs, fouillés délicatement, et par ces rinceaux et arabesques dont la riche polychromie égaie chaque remplissage entre les nervures.

Mais n'oublions pas que l'église a 23 m de haut et si l'oeil du spectateur est charmé par les jolies arabesques - peintes par Lambert Lombart, en style Renaissance, en 1537 - il n'est pas possible pourtant de se rendre compte de la réelle beauté de ces voûtes sans se servir de jumelles, tant est grande la finesse des nombreuses sculptures! Au milieu de chacun des remplissages, est peint un médaillon entouré de rinceaux; à chaque entrecroisement des nervures est une clef de voûte sculptée (rien que dans la grande nef, il y a plus de 150 de ces clefs ouvragées!). Et toutes ces belles choses que personne ne regarde, révèlent si bien cet amour du détail, caractéristique du style flamboyant et en particulier caractéristique de notre église Saint-Jacques.

« La voûte (21), dérobée sous un réseau de fines arêtes qui se croisent avec symétrie, ressemble à un immense berceau dont le treillis de pierre offre à chacun de ses points d'intersection un camée antique et dont les ouvertures laissent voir l'azur du ciel, figuré par les fresques bleues qui remplissent les parties vides de la voûte. » Dans ces clefs de voûte, l'artiste a créé un monde varié d'êtres de toute sorte: il a pu exécuter toutes les fantaisies de son imagination. Après les images en bas-relief du Saint-Esprit et de la Sainte Vierge, clefs de voûte qui sont bien en vue, se succède la série la plus fantastique de saints, de rois ou de prophètes, anges avec banderoles aux inscriptions effacées, figures énigmatiques de nains, de monstres, de démons, les unes grimaçantes, d'autres sarcastiques et bouffonnes et d'autres encore sérieuses comme d'authentiques portraits. Et ces fantaisies en pierre alternent avec les têtes peintes dans les médaillons, produisant une variété étonnante de figures et de masques. Hélas! Beaucoup de ces clefs de voûte ont été détériorées par les ancres en fer, auxquelles la voûte est suspendue, de telle façon qu'il n'y a presque pas moyen de déterminer exactement ce qu'elles représentent.

Chaque pilier de la grande nef porte, aux retombées des voûtes, un blason avec les armoiries de ceux qui ont aidé à réédifier l'église. Aux piliers du transept sont les armoiries de la ville de Liège et de l'abbé Balis; aux piliers suivants, celles du cardinal Erard de La Marck et de l'Empire; les autres piliers portent alternativement celles de l'abbé et du prince-évêque.

Les voûtes du transept et du choeur ont des clefs pendantes, véritables statues que des crampons en fer retiennent à la voûte: ces pendentifs sont très grands, surtout ceux représentant saint Michel et la Sainte Vierge.

Voici les pendentifs de la voute du transept (voir page 33): au centre de l'étoile, N° 1, est suspendue la grande statue de la sainte Vierge portant l’Enfant Jésus; le baldaquin sculpté et la console forment bloc avec la statue. Ce qui est assez particulier, c'est que la statue est à double face de telle manière que la Sainte Vierge est tournée de face et vers l'autel et vers la grande nef: des rayons de gloire encerclent la statue complètement. Voici les autres clefs de voûte: N° 2, 3, 4, 5, représentent les symboles de saint Mathieu, saint Luc, saint Marc, saint Jean avec inscription; N°6 et 7 deux anges tiennent les armoiries de l'abbé Jean de Coronmeuse; puis viennent les anges avec des instruments de musique 10, ange avec orgue à main; 11, avec flûte et s'accompagnant d'un tambourin; 13, avec cornemuse; 14, avec tambour; 15, ange dont l'instrument est détruit; 16, l'ancre de la voute a détruit le pendentif; 17, ange avec trompette doublement coudée. Aux N° 8 et 9 sont deux images typiques: à gauche, saint Michel, revêtu d'une longue robe, transperce le dragon infernal; à droite, un ange, orné d'une cuirasse, menace de son glaive un diablotin chétif qu'il tient par les cheveux.

À la voûte gauche du transept, sont sculptés les quatre Docteurs de l'Eglise (D); à droite, les ancres de la voûte ont détruit la plupart des sculptures. Là où les nervures de la voûte touchent les arcs doubleaux du transept, on a mis comme ornement des bustes de personnages (b). Peut-être a-t-on voulu représenter lit l'architecte et les ouvriers, car la plupart de ces bustes ont en main des ustensiles de travail, ciseau, brosse ou même un broc: ce dernier, paraît-il, comme hommage reconnaissant à la bonne bière des moines, qui pendant les travaux fut distribuée généreusement au maître et aux ouvriers...

Les clefs de voûte du choeur sont plus visibles. Le premier pendentif à l'entrée du choeur (M) représente l'archange saint Michel qui combat le dragon infernal: belle et grande statue, bien visible et couverte d'une riche polychromie.

Au dessus du sanctuaire (I), au centre des nervures de la voûte, est attachée l'image de Notre Seigneur; à l'intersection des nervures de l'étoile (A) sont sculptées dix statues d'anges qui entourent complètement le Christ et qui portent les instruments de sa passion: croix, marteau, clous, échelle, colonne...; aux retombées des voûtes (m) est fixée une seconde série d'anges avec les instruments de musique.

Les clefs de voûte des basses nefs sont plates, mais très ornées de sculptures feuillages, têtes casquées, masques grimaçants ou figures symboliques (22). Plusieurs de ces clefs portent en bas-relief les armoiries du cardinal Erard de La Marck et de l'abbé Balis.

Est-ce que la décoration de l'église Saint-Jacques présente un sens symbolique ?

Mgr Schoolmeesters, ancien curé doyen de la paroisse, le prétend (23): la grande nef qui contient une série de prophètes et de rois bibliques symbolise l'Ancien Testament; le transept figure la transition de l'Ancien Testament au Nouveau: comme cette transition s'est faite par la Sainte Vierge Marie, le pendentif central du transept la représente; ce pendentif est même une image à double face parce que Marie appartient au deux Testaments ; enfin le choeur symbolise le Nouveau Testament: le Christ triomphant, les anges qui chantent ses victoires et saint Michel défenseur de l'Église.

Sans contredit ce symbolisme, tel que Mgr Schoolmeesters l'expose, est une idée très belle et très ingénieuse. Mais la question intéressante est de savoir si telle était la conception de l'artiste du XVIe siècle.

La réponse semble négative. Cette double Vierge du transept, à qui on prête ce sens symbolique particulier, se retrouve encore dans d'autres églises sans que la décoration intérieure de ces édifices permette de leur appliquer le symbolisme de Mgr Schoolmeesters; à Neeroeteren (en Campine) une double Vierge entourée d'une gloire complète est suspendue aussi à la voute, de même à Saint-Servais à Maestricht au milieu de la grande nef, à Bocholt (Limbourg), à Léau (Brabant) toutes ces statues (24) sont précisément du XVIe siècle et semblent donc indiquer un ornement que goûta spécialement cette époque.

Un texte de la Chronique de l'abbaye de Saint-Trond (t. II, p. 367, de l'édition de Borman) insinue le sens qu'on y attachait. En 1530, dit le chroniqueur, l'abbé Guillaume de Bruxelles suspendit au milieu du choeur de son église abbatiale une statue de la Vierge « revêtue du soleil et ayant la lune sous ses pieds » - misit imaginem beate Marie virginis amictam sole et lutta sub pedibus ejus in medio chori pendentem. - Sans doute la chronique ne dit pas qu'il s'agit d'une statue double, mais tous les autres détails que cite le texte conviennent également aux statues mentionnées plus haut. Or, pour l'auteur de la chronique ces statues sont comme la réalisation par l'image du célèbre responsoire de l'office de Marie Immaculée.

On peut donc soutenir à bon droit que notre statue est la représentation de Marie immaculée.

Dès la lin du XVe siècle, en effet, l'art a voulu exprimer ce privilège de la Vierge que la piété chrétienne se plaisait déjà à honorer. En prévision de sa maternité divine, Marie a été préservée de la souillure originelle, et cela de par un décret éternel de Dieu. L'immaculée existait donc dans la pensée divine avant le commencement des siècles. Telle nous apparaît la Vierge suspendue entre ciel et terre comme la pensée éternelle de Dieu.

Les artistes de l'époque appliquèrent aussi à l'Immaculée le passage de l'Apocalypse (chap. XII, 1-10) où la vision prophétique décrit une femme mystérieuse « revêtue du soleil, la lune sous les pieds, et sur la tête une couronne de douze étoiles.» Cette femme « semble plus antique que le temps; elle a été conçue, sans doute, avant cet univers. Une telle image exprimera donc ce qu'il y a de grandiose dans le concept d'une Vierge antérieure à l'humanité et affranchie des lois qui la régissent. » (25) L'Office de l'Immaculée Conception adopta cette application du texte de l'Apocalypse et donna ainsi comme une consécration officielle à ce type de statue que le XVIe siècle avait créé.

Nous sommes donc loin du symbolisme proposé par Mgr Schoolmeesters; d'ailleurs, à la voûte de la grande nef (l'Ancien Testament!) est sculptée aussi une Vierge, entourée d'une auréole.

Les anges qui chantent le triomphe du Christ, dans la partie réservée au Nouveau Testament, sont du même genre que la série d'anges à la voûte du transept, portant des instruments de musique. Au lieu de leur attribuer un sens symbolique, il semble plus probable de n'y voir qu'un motif de décoration du gothique tertiaire, car ces anges se retrouvent un peu partout dans les églises de cette époque: à Saint-Jacques même, la grande verrière du côté gauche du choeur reproduit encore, en 26 panneaux, les deux séries complètes d'anges portant des instruments de la Passion et portant des instruments de musique.

Quant aux quatre Évangélistes et Docteurs de l'Église, nous y retrouvons encore un motif symbolique propre à la lin de l'art gothique. Cette série-ci, d'ailleurs, est représentée au choeur, au transept et au fond de la grande nef: au choeur, quatre statues anciennes des Docteurs et quatre bas-reliefs des Évangélistes; au transept, clefs de voûte des Docteurs comme des Évangélistes. Au fond de la grande nef - sous les orgues - s'étend une galerie de statues la Sainte Vierge, les douze Apôtres et les Docteurs. Ces statues n'ont pas été ajoutées vers 1600 en même temps que le buffet d'orgue, elles sont de l'époque de l'abbé N. Balis comme ses armoiries le témoignent: placées donc au moment où l'architecte acheva son église, elles ne seraient certes pas à leur place si la nef symbolisait l'Ancien Testament! Ne semble-t-il pas évident que l'artiste qui conçut le monument et sa décoration n'avait pas ce symbolisme en vue? (26)

A la belle époque de l'art gothique, l'ensemble de l'édifice religieux comme chacune de ses parties avait une signification dogmatique; les bas-reliefs qui ornaient les murs de la cathédrale racontaient au peuple les scènes religieuses des Évangiles ou de la vie des saints. Les statues, les chapiteaux des colonnes, les moindres consoles, jusqu'aux plus petites statuettes cachées dans les voussures d'un portail, figures et vitraux, tout parlait aux fidèles des vérités à croire et ainsi l'église avec son luxe de sculptures était vraiment la Bible en images, un livre de pierre ou un « escrit par painture » dont l'enseignement intuitif restait gravé dans les âmes. Qu'on se rappelle les vers de François Villon poète du XV siècle

Femme, je suis povrette et ancienne,

Qui rien ne sait; oncques lettre ne lus.

Au moutier vois dont suis paroissienne

Paradis peint, où sont harpes et luths,

Et un enfer où damnés sont bouillus;

L'un me fait peur, l'autre joie et liesse...

A l'époque de décadence, les artistes continuent apparemment les traditions de leurs devanciers, mais désormais ce qui fait défaut c'est l'âme qui jadis vivifiait cet art. Quelle pauvreté d'inspiration dans leurs œuvres! On répète sans cesse le même motif d'ornementation anges, Évangélistes, Docteurs de l'Église; ici à Saint-Jacques, on retrouve ces séries complètes jusqu'à quatre fois. Il n'y a plus de plan dans cette richesse sculpturale; l'art semble impuissant à pouvoir créer encore un bel ensemble dogmatique. Le gothique tertiaire n'est plus l'expression de la foi vivante du peuple il veut se faire joli, charmant, maniéré.., avant de mourir


Oeuvres décoratives de l'époque de la Renaissance.

La première place parmi les oeuvres décoratives en style Renaissance revient sans contredit aux verrières du choeur.

Nul n'hésitera à ranger ces verrières parmi les meilleures du XVIe siècle et même d'une manière générale parmi les plus intéressantes de la Belgique entière. Elles jouissent d'une réputation mondiale et la méritent à bon droit. Cette habileté technique, ces couleurs chatoyantes, ces personnages dessinés à traits massifs, celte manière élégante de draper les longues tuniques flottantes tout cela vous ne le retrouverez nulle part avec autant d'art et d'élégance qu'ici. Regardez maintenant les vitraux modernes qui ne sont ni meilleurs ni pires que d'autres vitraux du XIX siècle. - Quel abîme entre les couleurs palottes et anémiées de ceux-ci et les tons chauds des anciennes verrières! Entre leurs personnages raides comme des marionnettes et l'art consommé de ces oeuvres de la Renaissance!

De belles reproductions en couleurs de ces vitraux se trouvent dans l'ouvrage de J. Weale, Divers Works of early masters in christian decoration, London, 1846. C'est en novembre 1843, par lettre de la Commission des Monuments, que l'auteur demande au Conseil de fabrique l'autorisation de faire copier les vitraux du choeur. »

Au point de vue du sentiment religieux, la verrière qui occupe la lancette centrale de l'abside est la seule qui rappelle les anciennes verrières du Moyen-âge, la seule qui parle vraiment à la piété du peuple.

La partie supérieure représente le divin Sauveur en croix entre la Sainte Vierge et saint Jean. Trois anges recueillent dans des calices le Saint Sang qui coule de ses mains et de ses pieds: représentation symbolique de ce trésor de l'Église auquel celle-ci doit la vertu sanctifiante de ses sacrements. C'est ce même symbolisme qui a fait représenter le saint sacrifice de la Croix au-dessus du maître-autel où mystiquement ce sacrifice se renouvelle chaque jour à la sainte messe.

La partie inférieure du vitrail reproduit deux scènes de l'ancienne Loi qui préfigurent le sacrifice de la Croix: 1, le sacrifice d'Abraham: sur l'avant-plan Isaac à genoux attend le coup de grâce; déjà Abraham brandit le glaive quand un ange le retient et de son doigt levé menace le patriarche. (Méritent particulièrement l'attention les figures expressives, bien dessinées et l'élégance que l'artiste a mise à draper les vêtements); 2, le serpent d'airain: Moise au milieu d'un groupe d'Hébreux leur montre le serpent d'airain, figure prophétique du Sauveur en croix; un peu plus bas, quelques Juifs, mordus par les serpents, tournent leurs regards vers le serpent d'airain: celui-ci en effet les guérit, symbolisant par là le sacrifice du Sauveur qui confère grâce et salut à tous ceux qui implorent le Christ en croix.

Ce précieux vitrail est un don de l'abbé Jean de Cromois: ses armoiries, sommées de la mitre et de la crosse, sont placées sous la croix et également au-dessus de la construction en forme de baldaquin qui encadre la double scène de l'Ancien Testament. Le vitrail date par conséquent des années 1520-25: l'abbé mourut en 1525.

Le caractère profondément religieux de cette oeuvre d'art, cette belle synthèse doctrinale du sacrifice de la Croix et du sacrifice de la messe, contraste singulièrement avec les autres vitraux. Sans doute, tous présentent la même richesse du coloris, mais au lieu d'être des vitraux qui prient, des vitraux qui rappellent une idée religieuse, comme celui de la lancette centrale, ils ne font qu'étaler un luxe de blasons et de titres de noblesse. A l'époque de la Renaissance, le peuple n'avait plus l'esprit profondément chrétien du Moyen-âge, qui songeait uniquement à la gloire de Dieu: c'est alors l'individualisme qui s'empare des hommes. Préoccupés de leur propre gloire, ils exigent que leurs dons perpétuent surtout la générosité du donateur. Aussi celui-ci est représenté chaque fois en grandeur naturelle, avec ses 16 quartiers de noblesse, ses titres et ses insignes... Voilà une des formes de la vanité que le Moyen-âge ne connut pas.

Tous les vitraux suivants sont exécutés d'après le même type: dans le haut du vitrail est représenté un saint entouré des 16 quartiers armoriés du donateur; dans le bas, le donateur lui-même et son saint patron. Ce dernier groupe est toujours entouré d'une belle construction en style Renaissance, espèce de portique ou d'arc de triomphe somptueusement orné de colonnes, tentures, camées.

La grande verrière à gauche est celle de Jacques de Horne. Le meneau central la divise en deux parties égales: dans l'une est représenté Jacques de Horne, à genoux devant l'autel de la très Sainte Trinité (à remarquer la curieuse représentation des trois Personnes Divines qui est empruntée à l'art gothique primitif); dans l'autre ses deux premières femmes, Marguerite de Croy et Claudine de Savoie. Chaque personnage est accompagné de son saint patron : saint Jacques (le Majeur) avec bourdon et grand chapeau de pèlerin, sainte Marguerite avec le dragon et le saint évêque Claude.

Dans la claire-voie de cette fenêtre, l'artiste a créé une très belle décoration d'après les anciens principes d'art: son dessin sur verre suit les lignes du réseau de la fenêtre et il en résulte une harmonie complète entre le dessin architectural et la verrière. Dans le compartiment médian supérieur du réseau, le Sauveur du monde bénit sa sainte Mère et au-dessus de cette scène, s'étend un large arc-en-ciel où apparaissent une infinité de têtes d'anges, cachées, dirait-on, dans les nuées du ciel. Un nouvel arc divise le réseau inférieur en deux parties: chacune compte 13 subdivisions. Celles-ci, à gauche, contiennent chacune un ange jouant d'un instrument de musique; à droite, un ange tenant un attribut de la Passion.

Le donateur de ce magnifique vitrail est le comte de Horne Jacques III: ses titres, ses initiales, ses 16 quartiers de noblesse, son collier de la Toison d'or sont reproduits partout et contribuent à la splendeur profane de ce monument héraldique qui, dans sa partie importante, ne porte pas à la piété (27). Le vitrail date des années 1514-1528 car Jacques de Horne épousa sa seconde femme en 1514; en 1528, il redevint veuf et en 1529 il se laissa tenter une troisième fois par les douceurs de l'hyménée... Or, le vitrail ne représente que ses deux premières femmes.

Verrière du comte Jean de Horne. Dans la partie supérieure de la verrière, est représenté saint Jacques (le Mineur), entouré des 16 quartiers héraldiques de la famille de Horne (28), Dans la partie inférieure, sous un dais Renaissance dont les anges soutiennent les draperies, Jean de Home est agenouillé devant l'image de la Sainte Vierge. Jean de Horne, neveu du prince évêque Jean de Horne, devint prévôt de Liège en 1529; aussi, saint Lambert lui est donné comme protecteur. Le vitrail date probablement de cette année 1529.

La verrière du comte de la Marck est datée: 1525 – AN° DNI – XV° XXV. En haut, saint André et les 16 quartiers armoriés du donateur, en bas, Everard de La Marck est agenouillé devant la sainte Vierge il est protégé par saint Christophe qui traverse l'eau en ayant l'Enfant Jésus, sur les épaules.

La verrière suivante représente Marguerite de Horne, épouse d'Everard de la Marck: elle est à genoux devant l'autel de la Sainte Vierge, et sainte Marguerite la protège. En haut est l'image de l'apôtre saint Jean, qu'encadrent évidemment les seize blasons armoriés des de Home, reproduits ainsi pour la troisième fois dans nos vitraux.

Les verrières du choeur ont aussi leur côté historique. Pendant la seconde moitié du XV° siècle une terrible guerre civile ensanglanta la principauté de Liège: la maison de Horne était en guerre contre la puissante famille des de la Marck. En 1484 eut lieu un semblant de réconciliation, mais le fameux Guillaume de la Marck, le Sanglier des Ardennes, fut arrêté traîtreusement en 1485 et décapité par ordre du prince évêque Jean de Horne. La lutte recommença avec plus d'acharnement et ce n'est que vers les années 1490 qu'on arriva à un accord durable. Quelques années après, Everard IV de la Marck, neveu du Sanglier des Ardennes, épousa Marguerite de Horne, nièce du prince évêque et soeur des deux de Horne représentés dans les vitraux décrits. Ce serait la réconciliation de ces deux familles qui aurait valu à l'église Saint-Jacques ces oeuvres d'art merveilleuses.

Plus important encore au point de vue historique est le dernier vitrail dont il nous reste à parler: il nous a conservé précieusement une représentation du perron liégeois, représentation authentique des premières années du XVIe siècle. Le vitrail est lui don de Richard de Mérode et d'Arnould le Blavier, bourgmestres de Liège, qui firent ce cadeau magnifique à l'église Saint-Jacques où ils venaient prêter serment.

La partie supérieure du vitrail contient les armoiries des deux bourgmestres et les blasons des « 32 bons métiers de la ville de Liège ». Ces blasons, réunis deux à deux, entourent l'image de saint Jean-Baptiste.

Plus bas, sous une construction Renaissance, se lient un ange qui porte en bandoulière l'écu de Liège: de gueules au perron d'or. Actuellement on ajoute au blason les lettres L. G., mais ces lettres manquent au blason de notre verrière qui est cependant une des plus anciennes et une des plus intéressantes reproductions que nous ayons; sous l'écusson, en un cartouche, se trouve le nom entier LEODIUM. L'ange est entouré des deux saints protecteurs de la cité Notre-Dame et saint Lambert en habits pontificaux (29),

Comme la noblesse a étalé la splendeur héraldique de ses armoiries dans les verrières précédentes, ainsi la bourgeoisie de la Cité a voulu affirmer dans celle-ci sa puissance et sa richesse. Les métiers de Liège à qui appartenait l'élection d'un des bourgmestres ont fait marquer leurs instruments de travail dans cette verrière: car il ne fallait pas que la postérité pût ignorer ni leur générosité ni leur puissance! Qu'est devenu en tout cela le sentiment de piété profonde qui régnait au moyen-âge? Hélas! La démocratie de cette époque était atteinte elle aussi du mal du siècle!

La plupart des auteurs datent ce vitrail de 1531, car le témoignage de LOYENS (Recueil héraldique des Bourgmestres; p. 253) est explicite: « ils (R. de Mérode et A. le Blavier) donnèrent (en 1531) une belle vitre au choeur de Saint-Jacques, du côté de l'Évangile, d'autant plus considérable qu'elle représente non seulement leurs armes, mais aussi celles des 32 métiers...»

Cependant deux cartouches dans la partie médiane du vitrail inférieur portent le millésime 1525; d'ailleurs de Mérode et le Blavier ont été bourgmestres ensemble à plusieurs reprises: 1520, 1525, 1531. - Probablement que le vitrail inférieur est de 1525 et le vitrail supérieur de 1531.

Statue de Marie immaculée,

Cette statue, merveilleuse de beauté et de grâce, se trouve actuellement à gauche du banc de communion. (Planche VI).

La statue en bois a 1,63 m de haut. Elle représente la Sainte Vierge debout, dans une attitude aisée et tenant l'Enfant Jésus des deux mains.

Ce qui frappe à première vue déjà, c'est la figure particulièrement vivante de l'enfant petite tête bouclée et très intéressante, laquelle contraste vivement avec ces figures d'enfants que portent les Madones du moyen-âge.

L'enfant Jésus est nu; de la main droite il tient une petite fleur dorée; le bras et la main gauche ont été renouvelés et c'est à cette occasion qu'on lui a mis un oiseau dans la main gauche.

La statue de la Vierge est remarquable par la majesté douce et paisible de l'attitude, la finesse des traits - quoique la polychromie plus récente ait été plutôt maladroite - remarquable aussi par la légèreté des plis drapés avec une grâce exquise, par le fini du moindre détail. Des boucles dorées encadrent le beau visage et de longues tresses, gracieusement ondulées, retombent sur la poitrine et le dos.

La statue est entièrement dorée et c'est le vieil or du XVIe siècle qui la recouvre; la dorure des diverses parties de la robe a été faite avec un soin minutieux. Le manteau porte une bordure large d'environ 7 cm et rehaussée d'un crêtage brun entremêlé de perles. La bordure porte ce beau texte que l'Eglise applique à l'Immaculée: « Tota pulchra es amica mea et macula non est in te. Vous êtes toute belle, mon amie, et il n'y a pas de tache en vous. » Sur la poitrine est inscrit le mot « Jhesu ». La robe est ouverte sur la poitrine et laisse apercevoir une chemisette blanche à petits plis indiqués au pinceau et une chaine en or dont l'extrémité se perd dans la robe. La chemisette paraît fixée autour du cou par un large bord doré sur lequel sont tracés des dessins en brun rouge. Le fond même de la robe est formé par un dessin quadrillé très fin, noir et or. Il y a une large bordure dans le style de celle du manteau, mais les lettres des textes sont en or. Au bas de la robe on lit: Ave gratia plena. Le pied est chaussé du soulier à la poulaine, la pointe engagée dans des patins pour ne point salir la chaussure. Souliers et patins sont dorés, mais ces derniers sont ornés d'un dessin très délié, formé de quatre lobes enfermés dans des rectangles (30).

La statue a été évidée à l'intérieur, car l'image est destinée à être placée contre un mur. Au bord du manteau de la Vierge est peint le millésime 1523: c'est certainement la date où cette belle statue a été sculptée. Cette oeuvre d'art révèle d'ailleurs des traits caractéristiques de cette époque; c'est une des premières oeuvres de la Renaissance qui drape les plis des vêtements d'une manière harmonieuse et naturelle, plus conforme à la beauté physique, mais qui porte encore quelque trace de l'art médiéval. L'histoire de l'abbaye ne nous donne aucune indication concernant l'artiste qui créa cette oeuvre exquise.

Cette statue de la Vierge ne devrait pas se trouver sous ce dais (néo-gothique !) qui l'écrase presque et qui cache en partie l'élégante finesse de l'image. Jadis, la statue était placée en la chapelle gauche du transept (31) qui lui était dédiée et au fond de laquelle est fixé encore le socle qui la supportait.

Ce socle, en pierre de sable, complétait en somme la statue de l'Immaculée debout sur un croissant, car il figure l'arbre de la science du bien et du mal autour duquel s'enroule le serpent tentateur: c'était donc en toute vérité la Vierge qui écrase la tête du démon.

Ce socle finement sculpté mérite l'attention (voir page 49): les branches et les fruits de l'arbre, comme d'ailleurs le reptile lui-même, dont le corps est entortillé dans les branches et dont les dents retiennent le fruit défendu, sont tout à fait dégagés de la pierre. Il n'y a que les dais ouvragés du choeur auxquels on puisse comparer ce travail si délicatement fouillé par le ciseau du sculpteur.

On comprend pourtant qu'on ne puisse pas réinstaller la belle Vierge de Saint-Jacques en cette chapelle du transept car le fond de la chapelle sert actuellement de réduit et l'entrée de la cave a été aménagée sous le socle qui jadis supportait la statue... Quoique l'autel soit orné d'un beau grand crucifix en bois qu'on attribue Delcour et d'une statue ancienne de saint Roch, et qu'on ait érigé à gauche la tombe de Jean (J'han li consieu), la chapelle semble une annexe quelconque plutôt qu'un sanctuaire.

Au temps de l'abbaye, cette chapelle de la Vierge a dû être en honneur, car plusieurs abbés du monastère l'ont choisie comme lieu de sépulture. Encore actuellement, on y trouve les pierres tombales des abbés Nic. Jacquet (+1741), P. Rennotte (+1763), Ant. Maillart (+1781). Léonard Gerardi (+1594) et au milieu de la chapelle la pierre tombale de l'abbé Nicolas Balis: celle-ci était jadis une oeuvre d'art, mais à la Révolution française on en a détruit les ornements en bronze et les incrustations en marbre blanc.

Sous cette pierre tombale sont encore conservés les ossements de ce prélat. Quand on ouvrit la tombe le 5 septembre 1839 (32), on y découvrit en outre quelques fragments d'étoffe de laine brune, des fragments de sandales, « les restes d'une mitre en soie parsemée d'étoiles et autres broderies en or bien conservées » ainsi qu'une bague en cuivre portant l'inscription suivante : MATER + DEI MEMANTO (33). Car « le défunt a été couché la tête en face de l'image de la Sainte Vierge » et jusque dans sa tombe il continue ainsi à invoquer cette divine Mère dont il avait aménagé et orné la chapelle au début même de sa vie d'abbé.

Quoique n'appartenant pas à l'art de la Renaissance, la statue de Notre-Dame de Saint-Remy (planche VII) mérite d'être signalée ici. Certes, elle ne nous vient pas de l'antique abbaye; la paroisse de Saint-Jacques obtint l'image le 4 décembre 1803 lorsque, après la réorganisation des paroisses, l'église de Saint-Remy fut supprimée. Ce petit sanctuaire paroissial avait son entrée tout près du porche de l'église Saint-Jacques et se prolongeait jusqu'à l'emplacement qui actuellement forme l'angle de la place Saint-Jacques et de la rue du Vertbois (34) C'est là que pendant plusieurs siècles cette image fut en grand honneur. La Sainte Vierge était invoquée sous le titre de Mère de Consolation ou Consolatrice des Affligés. Pendant tout le XVIIe siècle, le culte de Notre-Dame de Saint-Remy fut très populaire à Liège; vers 1643, sous le pastorat de Jean-Henri Manigart, quelques guérisons miraculeuses avaient eu lieu par l'intercession de Notre-Dame et depuis lors Saint-Rerny était devenu un lieu de pèlerinage: plusieurs princes-évêques sont venus prier devant la statue miraculeuse.

Objet d'une dévotion séculaire, la statue de Notre-Dame mérite d'être citée à ce titre là surtout. Mais au point de vue artistique, elle n'est pas moins intéressante.

L'histoire ne nous révèle rien ni quant à la date où la statue a été sculptée ni quant à l'artiste lui-même. Les spécialistes l'attribuent généralement à la fin du XVe siècle, car la statue appartient encore manifestement à l'art gothique et présente tous les signes qui caractérisent l'art de cette époque.

La statue miraculeuse est une Pieta, taillée en pierre assez friable qu'on a creusée pour que le poids n'en soit pas trop lourd.

La Vierge assise tient le corps inanimé de son Fils sur ses genoux. Dans l'image du Christ, on remarque des fautes de proportion, notamment dans les extrémités, mais la composition n'est pas sans grandeur.

Regardez surtout la Vierge: de sa main gauche, elle soutient la tête de son Fils qu'elle considère d'un regard attendri. Dans ses veux, on lit une expression de profonde tristesse, mais cette Mère toute en larmes manifeste en même temps une admirable résignation calme et sereine. Notre-Dame de Saint-Rémy est vraiment belle.

Il convient de signaler que « ce groupe est encore couvert de la peinture primitive, traitée avec délicatesse et harmonie; le brocart de la robe de la Vierge notamment est exécuté avec une grande perfection. » (35)

La paroisse Saint-Jacques a installé le groupe de Notre-Dame, Consolatrice des Affligés, dans la chapelle latérale à gauche du choeur. Le retable en bois sculpté et doré fut mis en place au mois de mai 1885 les six scènes qu'il représente complètent le groupe central de la Mère des Douleurs pour former ainsi la série complète des sept Douleurs de Marie.

L'autel est surmonté d'une peinture murale de Denis Pesser, exécutée en 1598, par ordre de l'abbé Fanchon, et représentant La Résurrection de Notre Seigneur.

La statue de Notre-Dame de Saint-Rémy continue à être l'objet de la piété des fidèles.

Jubé et buffet d'orgues.

Un grand mur plat sépare le vaisseau de l'église de l'abside romane: dans sa partie supérieure, ce mur est orné d'un immense fenestrage aveugle, aussi large que la grande nef et qui jadis était recouvert de fresques.

Quand on édifia l'église, ce mur fut décoré d'une galerie contenant 12 statues d'Apôtres en pierre: chaque Apôtre est représenté assis dans une stalle ouvragée sous un riche baldaquin travaillé à jour et doré. Cette galerie est coupée en deux parties égales par une niche centrale, construite en encorbellement, où se dresse une image très fine de la Sainte Vierge. Deux petits anges sont debout sur les épaules de la Sainte Vierge et soutiennent sa couronne. A. chaque côté de la niche sont encore placés un ange avec encensoir et un autre saint (à droite, saint Jean-Baptiste).

Sous la galerie, d'élégantes arabesques sculptées, entourent les quatre statues des Docteurs de l'Église.

Ces sculptures et ces statues appartiennent encore à l'époque gothique: les figures sont réalistes et expressives, mais l'élégance des oeuvres de la Renaissance leur fait défaut. Les armoiries de l'abbé Nicolas Balis sont peintes au milieu de la pointe centrale et indiquent suffisamment la date de cette partie.

Quant au buffet d'orgues, c'est une oeuvre très remarquable de sculpture Renaissance. A mi-hauteur des tuyaux est gravée l'inscription ANNO 1600. L'abbé Martin Fanchon (1594-1611) avait bien le droit de faire sculpter aux deux côtés de la balustrade son blason et sa devise: « Corde et amino » car l'oeuvre qu'il fit exécuter est d'une finesse parfaite. On dirait que pour orner cette église du XVIe siècle, véritable dentelle de pierre, les sculpteurs du bois ont voulu rivaliser avec les artistes qui ont taillé les pierres et qu'ils ont réalisé ainsi ce magnifique buffet d'orgues qui s'élève majestueux jusqu'aux voûtes.

La menuiserie, dans laquelle les tuyaux d'orgues sont enchâssés, est sculptée avec la même finesse que les plus beaux meubles anciens.

L'ensemble du buffet est surmonté de trois tours sculptées et ajourées, et à cette grande hauteur se dressent de nouveau des statues d'évêque ou d'abbé. Les sculptures du buffet d'orgues portent encore des traces de dorure; jadis, dorure et polychromie délicate faisaient mieux ressortir tous les détails de cette belle oeuvre. Aussi Philippe de Hurges a pu écrire au début du XVII siècle: « Vous voiez à main droite les plus belles orgues que l'on se pourroit imaginer... L'or et la peinture n'y sont non plus épargnez que le bois, lequel en est tellement couvert qu'à peine pourrait-on rien veoir de mieux agencé. »

N'oublions pas d'ajouter que jusqu'au milieu du XIXe siècle les orgues possédaient de magnifiques volets, ornés de peintures sur fond or qu'on attribuait à Lambert Lombard. Ces volets ont été coupés en 1854 quand on a réparé les orgues.

Ailleurs au XVIIe ou XVIIIe siècle, on érigea un immense jubé sur des colonnes ou pilastres en bois, occupant toute une travée à l'entrée de la grande nef: cette masse brise l'unité de la construction. Ici, au contraire, rien ne vient interrompre la ligne architecturale de l'édifice.

Au-dessus des tuyaux d'orgues sont attachées les armoiries de l'abbé Gilles de Brialmont (1647-1674) avec sa devise

CANDIDE ET SUAVITER

RENOVATUM 1669

Qu'est-ce qui est « renovatum », qu'est-ce qu'on a renouvelé en 1669? Ce n'est pas le buffet d'orgues, il porte sa date anno 1600. Ce sont les orgues elles-mêmes, que l'abbé de Brialmont a renouvelées en 1669. Nous lui sommes donc redevables de ce merveilleux instrument qu'apprécient tous les connaisseurs et dont les accents suaves font dire au peuple qu'il a des « tuyaux d'argent ».

Les orgues sont l'oeuvre du facteur d'orgues André Séverin. Celui-ci mourut en 1673 et fut enterré sous les orgues. « Son ouvrage » est placé entre son corps et son âme selon la remarque spirituelle de sa pierre tombale, laquelle est encastrée dans le mur du fond de l'ancien choeur roman.

André Sévérin en son arte sans pareille

Nous a fait ces orgues, l'une de ses merveilles.

Receut à Maestricht sa vie et son estre

Et mourut rempli de grâce dans ce cloistre 2 naye1673.

Ainsi d'un destin très heureux

Son corps repose en ces lieux,

Son âme esclate dans les cieux

Et son ouvrage au milieux.

Le Jubé de 1602.

L'abbé Fanchon était un homme de goût qui aimait les belles choses et qui a voulu doter son église abbatiale d'oeuvres d'art remarquables. Son épitaphe rend hommage au zèle du prélat pour la beauté de son église: aedem banc pulcherrimis operibus adornavit, et ces louanges ne sont pas exagérées. Ce qui lui a fait mériter cet éloge c'est d'abord le buffet d'orgues, mais c'est surtout l‘incomparable jubé en marbre qu'il dressa devant le chœur en 1602.

Ce jubé consistait en un vaste portique en marbre qui isolait le sanctuaire du reste de l'église. Sans doute on pourrait lui reprocher d'être une oeuvre de la Renaissance pour une église gothique, mais sachons reconnaitre que c'était avant tout une oeuvre d'art. Ce qui en subsiste encore compte parmi les pièces les plus remarquables en style Renaissance que la ville de Liège ait conservées.

Philippe de Hurges, natif d'Arras et échevin de Tournai, qui vint visiter notre pays vers 1613, décrit le jubé en ces termes (36)

Le doxal de Saint-Jacques est composé de porphyre, de jaspe, d'alebastre et de marbre noir; au milieu est la grande et principale porte du choeur, et à chasque costé un autel où paraissent relevées en bosses les plus belles images que l'on puisse veoir, toutes d'alebastre et à la grandeur naturelle, agencées d'or, d'argent et de peintures, autant que l'oeuvre le requiert... Et pour le taire bref, ce doxal excède en art, en beauté et en richesse, tout autre que j'eusse veu jusques lors, sans excepter celuy de Saint-Wauldrud à Monts, que l'on estime entre les plus beaux et plus coustageux de l'Europe. »

La description n'est pas tout à fait exacte; il est pourtant incontestable que ce Philippe de Hurges était sensible aux choses de l'art, et d'ailleurs les deux autels qui se trouvaient de chaque côté de la porte du choeur - et qui constituaient en somme les parties essentielles de ce jubé - ont été conservés et nous permettent de juger de la valeur artistique de cette oeuvre (37).

A la fin du XIXe siècle, on a relégué les autels au fond des basses nefs et, quoiqu'on ait dit qu'ils viennent « couper heureusement la monotonie qu'offrait là l'immense paroi à surface plane » (38), on peut regretter cependant de les voir négligés, poussiéreux, cachés en partie derrière un amas informe de chaises.

Un des autels est consacré aux mystères glorieux; c'est celui de saint André ; il est orné des bas-reliefs suivants exécutés en marbre-albâtre: la résurrection du Christ, l'apparition à saint Thomas, la descente du Saint-Esprit; l'Ascension forme ici la scène centrale qu'entourent deux grandes statues de prophètes: Daniel et Isaïe; en haut, aux extrémités des frontons sont représentées deux vertus cardinales couchées: la Tempérance et la Justice; les socles des colonnes centrales portent en relief deux petites figures des évangélistes saint Luc et saint Marc.

L'autel de saint Jacques le Mineur est dédié aux mystères douloureux; la scène centrale: l'agonie de Jésus au Jardin des Oliviers est complétée par les bas-reliefs qui représentent ici: la cène, la flagellation, le portement de la croix. L'autel, qui offre une symétrie parfaite avec l'autel précédent, porte les statues de saint Jean-Baptiste, du roi David (ayant à ses pieds la tête de Goliath); aux extrémités du fronton les figures de la Justice et de la Prudence; en bas, les statuettes de saint Mathieu et de saint Jean l'Évangéliste. En outre les deux autels portent les mêmes ornements Renaissance: festons, têtes d'anges, guirlandes, cariatides.

J. Helbig, dans son livre La sculpture et les arts plastiques au pays de Liège p. 159, appelle ces autels « un exemple étudié et correct de la sculpture exécutée dans le style de la seconde Renaissance ». Les statues ont des proportions correctes, les groupes sont bien composes; seule l'expression des figures laisse à désirer. Les matériaux eux-mêmes sont choisis pour produire bel effet: la masse architecturale est en marbre noir, ce qui fait ressortir davantage la blancheur des bas-reliefs. Les quatre colonnes qui supportent la corniche sont en marbre de Saint Remy. Aux statues et bas-reliefs on relève encore des traces de peinture et de dorure: les figures des personnages étaient délicatement polychromées et un filet d'or venait lisérer le bord des différents vêtements.

Ce somptueux jubé était donc comme le pendant du magnifique buffet d'orgues. L'un à l'entrée du choeur et l'autre à l'extrémité occidentale de la grande nef montraient un même goût artistique et une même richesse de décoration. Si le buffet d'orgues semblait plus svelte et plus délicat, le jubé devait paraître plus imposant, mais tous les deux sont des oeuvres d'une réelle beauté, qui doivent faire la gloire de l'abbé Martin Fanchon.

Aucun document n'indique l'auteur de cette oeuvre d'art. Tout récemment l'abbé Moret émit l'hypothèse que notre jubé ou doxal pût être l'oeuvre du sculpteur liégeois Thomas Tollet (+ 1621) et son argumentation qui s'appuie sur la facture des deux autels conservés fait impression (39).

La pierre tombale de Baldéric II.

La tombe de Baldéric II, érigée dans la crypte, fut brisée en 1513 quand la voûte de l'église romane s'effondra.

Au XVIIe siècle, l'abbé Gilles Lambrecht (1611-1646) érigea un nouveau mausolée au fondateur de l'abbaye. La pierre tombale en a été conservée; elle est enchâssée actuellement au fond de la chapelle du Sacre-Coeur.

On y distingue deux parties bien séparées : la pierre tombale proprement dite et un encadrement en style Louis XV, ajouté au XVIIIe siècle. Le tout est exécuté eu marbre noir de Saint Remy.

La partie centrale de la pierre est une belle oeuvre de sculpture Renaissance. Elle représente l'évêque en habits pontificaux, la tête appuyée sur un coussin. La statue de l'évêque est surmontée d'un dôme où sont sculptées ses armes; le deux pilastres latéraux sont couverts de fines arabesques et portent quatre têtes d'anges pleureurs: ce sont des figures ravissantes d'expression. Ce qu'il faut admirer surtout dans ces sculptures, c'est la délicatesse merveilleuse avec laquelle l'artiste a reproduit les plus petits détails: telle la mitre brodée à personnages, représentant saint Jacques et saint André; tels les bords verticaux de la chape où s'échelonne une série d'évêques et d'abbés; telle la crosse dont la volute porte une figurine de la Vierge et de l'Enfant Jésus.


Les Vandales du XVIIIe siècle

Le XVIIIe siècle a été une époque d'une prospérité économique inouïe pour nos monastères. Un peu partout on a démoli et reconstruit, on a voulu surtout « embellir ». Hélas! - Le fait se reproduit encore chez nos nouveaux riches - ce luxe tapageur n'était pas toujours du meilleur goût!

Déjà à la fin du XVIIe siècle, les grandes statues de Delcour, actuellement dans l'abside occidentale, avaient été installées contre les piliers du transept; l'abbé Nicolas Jacquet (1709-1741) commanda pour le choeur des statues analogues, aux deux liégeois Simon Cognoulle et Jean Hans, l'élève de Delcour. Voulant renouveler le pavage du temple, il fit enlever les pierres tombales de ses prédécesseurs.

L'abbé Pierre Rennotte, son successeur (1741-1763), vendit ces pierres sépulcrales aux magistrats de Liège pour rebâtir le pont d'Amercoeur (40); pourtant quelques-unes de ces pierres avaient un réel caractère artistique et toutes d'ailleurs rappelaient la mémoire de ces saints moines qui avaient fait le glorieux passé de Saint-Jacques.

Au point de vue artistique cet abbé se montra un vrai vandale. C'est lui qui a détruit le magnifique jubé de Martin Fanclion, érigé à l'entrée du choeur. Les églises modernes nous ont trop habitués à avoir la vue libre sur l'autel et le choeur pour que nous puissions apprécier suffisamment ce jubé qui était comme une barrière devant le choeur, mais n'oublions pas que toute la tradition liturgique voulait qu'une clôture ou cancel séparât le sanctuaire de la nef et en fît comme un endroit réservé aux saints mystères. Ce cancel qui devint en Orient l'iconostase se transforma en Occident en jubé ou ambon. Il n'était donc pas contraire à l'esprit de la liturgie et, comme nous l'avons dit, le jubé de Saint-Jacques avait une valeur artistique telle que pour le détruire il fallait absolument manquer de bon goût.

L'abbé Rennotte accomplit pourtant cet acte de vandalisme vers 1750; il fit abattre le jubé et n'en garda que les deux autels qu'il plaça devant les chapelles latérales du choeur. Comme excuse de sa mauvaise action, il ne put même pas invoquer un scrupule liturgique quelconque, car il remplaça le jubé par une clôture en marbre, haute et massive, ornée de deux grands médaillons en marbre blanc: les bustes de saint Benoît et de sainte Scolastique (41). L'abbé voulait tout simplement « moderniser » l'église, faire du monument gothique, une église badigeonnée dans le goût du XVIIIe siècle. Il commença par détruire l'admirable perspective des chapelles latérales qui semblent prolonger le choeur; les deux chapelles (consacrées actuellement à Notre-Dame de Saint-Remy et à saint Antoine) furent fermées complètement du côté du transept par les deux autels de l'ancien jubé. Du côté du choeur par de grandes boiseries qui masquaient complètement les arcades. Quatre grandes toiles vinrent décorer ces lambris de bois. Un indigne badigeon fut appliqué aux murs, cacha les fines sculptures de l'édifice et voilà l'église « ornée avec élégance » C'est la, en effet, l'éloge que les moines ont inscrit sur l'épitaphe de l'abbé Rennotte: « modificavit templum Dei eleganter uti nunc videtur » !

L'art du Moyen-âge ne comptait plus pour ces hommes du XVIIIe siècle imbus des nouvelles idées philosophiques. Mais pourtant, leur vie monastique elle-même n'était-elle pas aussi une institution surannée que le Progrès devait faire disparaitre? Tel fut du moins le sentiment des religieux de Saint-Jacques qui ne voulurent plus rester des moines...

L'abbé Nicolas Jacquet avait gardé intacte la discipline monastique: aussi la Gallia christiana (42) écrivit à ce sujet: « on dit qu'il est trop sévère pour les siens »; les moines se plaignaient de la discipline! Sous l'abbé Rennotte (43), le relâchement s'était fait sentir car, à sa mort, les moines reconnaissent eux-mêmes que la vie commune était loin d'être parfaite chez eux et que le pécule existait avec l'approbation tacite des Supérieurs.

L'abbé Antoine Maillart (1764-1781), successeur de l'abbé Rennotte, par faiblesse laissa le relâchement s'établir de plus en plus (44) et l'abbé de Stavelot écrivit plus tard qu'il avait été élu parce que favorable au changement. Il semble bien que, dès le début de son entrée en charge, les moines ont fait des instances à Rome pour obtenir leur sécularisation: l'église serait transformée en Collégiale et les riches revenus de l'abbaye distribués en prébendes aux moines devenus chanoines de la nouvelle Collégiale.

Cette requête des Religieux de Saint-Jacques suscita les protestations des autres monastères bénédictins et déjà en 1769 la Congrégation romaine demanda les raisons de cette opposition. Le prince-abbé de Stavelot envoya une protestation violente qui à Rome produisit le meilleur effet. Aussi le nonce J.-B. Caprara fut chargé de faire la visite canonique de l'abbaye de Saint-Jacques, de détruire les documents relatifs la demande de sécularisation et de rétablir la discipline monastique.

La visite canonique eut lieu en janvier 1771 et en mars de la même année furent portés les décrets concernant la discipline et la bonne administration des biens.

Les divers points d'un nouveau règlement permettent de saisir sur le vif les abus du passé. Aussi, par ces décrets du Nonce, on voit quel genre de vie relâchée menaient les moines l'abbé, disent les décrets de 1771, devra assister plus souvent au choeur et aux autres exercices; le prieur a accordé des récréations trop nombreuses, jusqu'à trois fois par semaine; les religieux devront se contenter de leurs vacances pour aller voir leurs parents et on devra supprimer le congé supplémentaire de chaque mois; il faut aussi que tous reprennent l'ancienne tonsure monacale. Plusieurs moines, (45) en effet à l'exemple des vénérables Chanoines du Chapitre cathédral, portaient la perruque poudrée...

Le règlement du Nonce semblait devoir ôter tout espoir de sécularisation aux bénédictins de Saint-Jacques. Il n'en fut rien.

La décadence de l'esprit religieux était trop profonde, semble-t-il, et d'ailleurs l'opinion publique s'attendait à voir disparaître l'antique monastère. Le bourgmestre de Heusy, qui publia en 1773 son Essai sur le projet de l'établissement d'un hôpital général dans la ville de Liège, proposait de convertir les locaux de l'abbaye en séminaire diocésain et de répartir les revenus entre les hôpitaux de la ville. Les considérations qu'il fit valoir caractérisent l'époque:

« Il n'est personne qui puisse révoquer en doute qu'originairement une partie des biens des Corps Ecclésiastiques n'appartienne aux pauvres... L'abbé et les moines du Monastère de Saint-Jacques ont désiré d'être sécularisés et de former un Chapitre de Chanoines sur le pied des autres Collégiales du pays; c'étoit le voeu de tous les Ordres de l'État: si le Pape s'y est refuse, n'est-ce pas parce que Sa Sainteté aura considéré que cette sécularisation seroit devenue préjudiciable au bien public, sans aucun avantage apparent pour le Religion.

Mais en examinant la chose sous d'autres vues, on verra qu'on pourroit retirer des avantages infinis de l'extinction de ces Moines si on les pensionnoit et qu'on employât leurs revennus qui se montent à environ 60.000 florins, à augmenter les fondations de nos Hôpitaux et le Monastère en un Séminaire tel que le besoin de notre vaste Diocèse l'indique.

Le Monastère de Saint-Jacques feroit un Séminaire, tel qu'il convient d'en avoir un dans un Diocèse aussi étendu que le nôtre, par la grandeur des édifices déjà existans: la faculté de les augmenter, le vaste enclos qui en dépend, tout s'y trouve favorable; et ce dernier objet n'est pas à négliger pour les agrémnens d'un air pur et salubre, d'un terrein immense, dans lequel les jeunes gens à portée d'avoir tous les jeux selon les saisons, ne seroient plus dans le cas de solliciter si fréquemment des permissions de se promener. »

Mr de Heusy revint encore sur ce projet en publiant en 1774 un Supplément à son premier opuscule.

Quant aux moines de Saint-Jacques, ils renouvelèrent leurs démarches à Rome et le 1er juin 1785 ils obtinrent enfin la bulle de sécularisation. L'abbatiale Saint-Jacques reçut le titre d'église Collégiale et les anciens moines bénédictins devinrent Chanoines (46): délivrés désormais du joug monastique, ils pouvaient arranger leur vie à leur aise et jouir paisiblement des revenus de leur prébende...

Alors commença une triste période pour l'ancienne abbaye: les bâtiments claustraux furent convertis en maisons particulières pour les chanoines: on créa ainsi la « neuf rue (47), derrere l'église du dit chapitre, joindante icelle avec son jardin » (actuellement place Émile Dupont) et la rue Saint-Jacques; cinq des nouveaux chanoines s'empressèrent de faire nommer un quelconque neveu comme coadjuteur avec droit de succession… et enfin en 1788, comme pour consommer leur déchéance, les anciens religieux vendirent publiquement la bibliothèque (plus de 1.100 ouvrages imprimés et près de 700 manuscrits!) patrimoine de piété et de science qui représentait huit siècles de travail bénédictin.

Telle fut la triste fin de l'abbaye. Si les moines étaient restés fidèles à leurs voeux dix ans de plus, l'institution monastique aurait sombré quand même dans la tourmente révolutionnaire, mais cette fin là eut été autrement digne du glorieux passé de l'abbaye.

La Révolution française fit fermer au culte l'église Saint-Jacques et ce monument artistique superbe faillit tomber sous le marteau des démolisseurs: l'église n'échappa à la vente publique que grâce au préfet Desmousseaux. Enfin, le Concordat de 1801 vint définitivement la sauver en l'érigeant en église paroissiale.

L'argenterie de l'église avait été expédiée en Allemagne et vers 1795 les chanoines, poussés par la nécessité, durent vendre une grande partie de leur trésor. Le chanoine Qurin d'Adseux, chargé de cette opération, écrit à ce sujet (48) : « j'en ai mal au coeur de voir détruire des ouvrages de l'art »

Au début du XIXe siècle on ne s'occupa guère du monument ; à partir de 1825, on fit quelques travaux indispensables de consolidation, et la Fabrique d'église très pauvre dut aliéner successivement la partie restante des bâtiments claustraux, l'église désaffectée de Saint Nicolas au Trez, même l'horloge de la tour « considérant que l'horloge est depuis longtemps hors de service... et que la plupart des paroissiens sont à proximité de la Cathédrale qui a une horloge avec un carillon »; et la délibération du Conseil ajoute chaque fois que « le prix sera employé à subvenir aux grosses réparations de l'église ».

Cependant ce ne fut qu'après 1832, grâce à notre roi Léopold Ier et aux subsides des pouvoirs publics, qu'on put exécuter la restauration urgente du bâtiment.

Sans doute, les changements n’ont pas toujours été parfaits. Si nul ne conteste, par exemple, l'utilité du travail de 1843, quand on fit enlever le badigeon blanc des murs du choeur, on critique unanimement la polychromie du choeur que J. Helbig exécuta en 1892. Le vert est d'un effet absolument trop voyant. On ne comprend pas comment l'artiste a voulu « enrichir » le sanctuaire en simulant des rangées de briques ou des caisses â cigares sur les pierres du choeur, en changeant « par ces couleurs voyantes les minces colonnettes en bâtons de mirlitons (49) »…

Afin de réaliser l'unité de style, on a exécuté des oeuvres qui répugnent au bon goût, tel l'autel du Sacre-Coeur, tels encore les deux grands dais en bois à côté du banc de communion, telle la théothèque: le tout en « gothique moderne » ! Et de belles oeuvres de la Renaissance furent vendues: l'ancienne chaire de vérité que possède actuellement le musée Curtius (Planche VIII), des statues du XVIIIe siècle, le maître-autel (50), des panneaux sculptés en style Louis XV, qui constituaient dans leur genre des pièces remarquables dignes d'être gardées et dont la vente a appauvri l'église en oeuvres d'art.

Il faut pourtant reconnaître que le monument lui-même a été splendidement restauré.


L'extérieur de l’église

L'extérieur de l'église gothique se fait remarquer par sa simplicité et sa grande régularité: aussi cet ensemble présente un contraste saisissant avec l'ornementation délicate et luxueuse de l'intérieur. N'oublions pas que les fines sculptures ne peuvent résister au climat humide de la vallée de la Meuse.

Le côté sud de l'église a été complètement restauré au XIXe siècle et en partie même renouvelé. Le cloitre de l'abbaye touchait l'église et le reste des bâtiments monastiques s'étendaient jusqu'à la Meuse. Après la sécularisation, les Chanoines vendirent une partie des bâtiments, entre autres en 1794 une « maison située rue du Vertbois joignant l'église, avec le jardin et tout le terrain y contigu depuis l'entrée de l'église jusqu'à la rue derrière Saint-Jacques »; et ainsi quand on refait les contreforts du choeur en 1838-39 on devra circuler sur le terrain vendu et la fabrique d'église aura à soutenir un litige peu réjouissant.

Les cloîtres du monastère et le préau, qui formaient pour ainsi dire un tout avec l'église, avaient été loués en 1829, les fabricants Charles Colard, père et fils, sollicitèrent un nouveau bail de neuf ans (51).

Mais un fait plus surprenant encore, c'est l'installation du Théâtre du Gymnase. Dès 1806, le Conseil de Fabrique, toujours pour se créer des ressources, avait laissé installer ce théâtre au-dessus de la salle Capitulaire, dans le « bâtiment adjacent au nord de l'église, servant ci-devant de greniers et de compterie de Saint-Jacques ». Le bâtiment fut définitivement aliéné en 1827, car les réparations urgentes de l'église exigeaient de l'argent et le Conseil jugea que ce bâtiment « converti en salle de spectacle était impropre à tout autre usage » (52).

Il a fallu sans doute que la détresse de l'église fut bien grande, pour qu'on ait permis qu'une scène de théâtre fut adossée à la verrière du transept: bien des fois, la musique de la scène vint troubler les offices religieux... Dès 1833, on commença à s’inquiéter d'un autre inconvénient: le danger d'incendie qui résultait de la proximité du théâtre. Comme toujours, les finances de la Fabrique ne permettaient pas de songer à racheter cet immeuble (53); on eut recours aux pouvoirs publics qui reculaient devant les exigences des propriétaires; enfin, en 1860, on prit son recours au Roi, lors de sa visite à Liège, et on obtint que l'expropriation du théâtre fut décrétée d'utilité publique. Plus tard, la ville adopta le projet de son ingénieur qui, voulant relier la rue derrière Saint-Jacques à la rue du Vertbois, parvint ainsi à dégager complètement le monument. Pour permettre à la ville d'exécuter ce projet et de créer un square autour de l'église, on sacrifia les cloîtres voûtés et le préau de l'église (1’120 m2).

Enfin, vers 1875, on démolit la fabrique de matelas militaires, installée contre la tour romane.

Il est regrettable que rien ne soit resté de l'ancien cloître Saint-Jacques. Les bénédictins Martène et Durand trouvèrent que « le reste des bâtiments du monastère ne répond pas tout à fait à l'église »; cependant Philippe de Hurges (54) les décrit comme « superbement bastis, aiant les estages fort eslevez, les places très amples en l'extérieur et en l'intérieur, avec des jardins spacieux et agencez autant que de besoing ».

Lorsqu'on dégagea l'église, le Conseil de Fabrique fit des instances pour qu'on conservât l'ancienne salle capitulaire, très belle et ornée de peintures délicates. La ville refusa à cause des frais, mais comme compensation, elle intervint plus tard dans la construction de la chapelle du Sacre-Coeur (largeur: 6 m) qui forme l'extrémité du bras sud du transept et occupe une partie de l'emplacement de la salie Capitulaire disparue.

La démolition des cloîtres dégagea des bases de l'église d'une façon trop radicale et cette série de travées parut assez monotone et était dans un état de délabrement complet. Car l'église devait être vue entourée d'autres bâtiments. Dans les dernières années du XIXe siècle, on a restauré ce côté sud de l'édifice; l'église vue de ce côté, paraît vraiment belle, mais d'un aspect un peu trop neuf. (Planche IX).

Signalons une particularité assez rare dans l'angle formé par le choeur de l'église et le bras droit du transept, on remarque un renfoncement comme si cet angle était destiné à recevoir une tourelle. Probablement qu'on y avait adapté un escalier tournant, en bois, donnant accès aux combles et à la tourelle du transept; la galerie a gardé une ouverture de ce côté-là.

Du côté Nord (place Saint-Jacques) on admire une série de belles fenêtres, de même que le pignon du transept et son immense fenêtre. Le gable du transept est décoré avec goût, malheureusement les pierres de sable s'émiettent et le tout est assez endommagé. Du côté Sud le gable du transept est orné de la statue de saint Jacques; au côté Nord une statue d'ange avec inscription est dressée tout en haut du pignon; plus bas une grande statue de l'Immaculée Conception entre deux anges à genoux. La Vierge a les mains jointes sur la poitrine et écrase le serpent enroulé autour d’un croissant

Sous la corniche court une grande galerie qui constitue, avec les pinacles des contreforts, l'unique ornementation du vaisseau extérieur. A l'intersection des toitures de la grande nef et du transept s'élève un gracieux campanile à toit bulbeux et surmonté d'un soleil; il porte la date 1635.

La partie la plus élégante de l'extérieur est sans contredit le portail en style Renaissance, place Saint-Jacques (Planche X); c'est la première construction religieuse qu'on éleva en notre pays d'après les règles de la Renaissance classique. Certes, beaucoup déplorent le manque d'unité de cette architecture qui a accolé une façade Renaissance au porche gothique; mais tout homme de bon goût admirera sans réserve ce portail qui est une oeuvre d’art du style le plus pur, d'un fini parfait et qui s'harmonise très heureusement avec le bel ensemble de l'édifice (55).

La façade est divisée en trois étages et c'est précisément le reproche qu'on peut faire à ce portail: les trois étages de la façade ne correspondent à aucune réalité dans le porche lui-même. Celui-ci est une élégante construction gothique, percée de six fenêtres aux fines moulures; la voûte est divisée en compartiments prismatiques et couverte de jolies arabesques.

Chaque étage du portail à ses niches, colonnes et corniche; les chapiteaux sont d'ordre composite. Toutes les colonnes sont cannelées; celles du rez-de-chaussée ont leurs cannelures remplies jusqu'au tiers de leur hauteur par des baguettes. Aux côtés de chaque étage deux colonnes encadrent une niche dont la partie supérieure est taillée en coquille.

Actuellement toutes les statues ont disparu. D'après Auguste Schoy (56) ces statues auraient été: saint Jacques et saint Simon; saints Pierre et Paul ; saints Thadée et Barthélemy.

Les deux niches inférieures sont surmontées des armoiries de l'abbé Herman Rave (57) avec ses initiales H. R. et la date 1558. Un mufle de lion est sculpté dans chaque écoinçon de l'archivolte.

Au-dessus des niches du premier étage, on a sculpté à gauche les armes de la Papauté avec les lettres Paulus IV P. M. (Pontifex Maximus de 1555-1559); à droite les lettres FERDINANDUS (58) en dessous d'un écusson qui a disparu presque entièrement et qui a dû être aux armes de l'Empereur.

L'étage supérieur est moins élevé que les autres et se compose essentiellement de trois niches dont la plus importante est celle du milieu: c'est là qu'était placée une statue de la Sainte Vierge. Les deux espaces compris entre ces niches étaient jadis décorés de bas-reliefs représentant le martyre de saint Jacques le Mineur.

Les trois niches supérieures sont couronnées de frontons courbes interrompus, sur lesquels se dressaient des statues. Le fronton du milieu porte un écusson aux armes du prince-évêque Robert de Berghes (1557-1564): la tradition rapporte que ce portail fut construit aux frais de ce prince. Les deux frontons latéraux portent encore les armes de l'abbé Rave.

Mais toutes ces sculptures ne sont que l'encadrement artistique d'un grand médaillon central, représentant le songe de Jacob.

Ce bas-relief (2 m. de diamètre) occupe tout l'espace du milieu. Dans les quatre écoinçons sont sculptés des ornements Renaissance (ange porteur d'une couronne) et l'encadrement rectangulaire portait jadis en bas-relief huit bustes représentant David et d'autres prophètes.

Hélas! Alors que l'oeuvre architecturale du portail a été restaurée avec une compétence parfaite, le médaillon est dans un délabrement tel qu'on ne peut que deviner la scène qu'il représente.

Dans l'idée de l'artiste qui a conçu ce portail, le bas relief central avait une importance essentielle: il figure la représentation symbolique de la Dédicace de l'église (59).

Car le songe de Jacob est le fait symbolique sur lequel revient constamment l'office de la Dédicace. Le médaillon central est comme l'enseigne de notre église : c'est ici que se dresse en vérité cette échelle symbolique posée sur la terre et dont le sommet touche au ciel, et où montent les anges pour porter à Dieu nos prières et d'où ils redescendent avec les faveurs divines: comme Jacob versa de l'huile sur la pierre du songe, ainsi l'évêque par les onctions du saint Chrême dédie l'édifice au culte, le soustrait aux usages profanes pour le réserver uniquement à sa destination sainte.

Et l'artiste a souligné cette scène par les mots (60), inscrits sur la frise de l'entablement inférieur:

(NON EST) HIC A(LIVD NISI) DOMUS DEl ET PORTA COELI

De nos églises chrétiennes il peut proclamer avec plus de raison que Jacob: « C'est bien ici la maison de Dieu et la porte du ciel ».

Pour appuyer davantage encore sur l'idée consolante que Dieu exauce les prières faites en ce lieu consacré, l'artiste a inscrit en caractères dorés deux beaux textes sur la double archivolte de la porte

OCV(LI) MEI ERVT APERTI ET AVRES MEE

ERECTE AD ORAEM El' QVI IN LOGO ISTO ORAVERIT

« Mes jeux seront ouverts et mes oreilles attentives à la prière de celui qui aura prié en ce lieu ». Ce texte est cité par la 3e leçon de l'office de la Dédicace.

L'archivolte inférieure porte ces mots-ci

PER CHRM ERGO OFFERAMUS HOSTIA LAVDIS S-P DEO ID EST

FRVCTVM LABIORV COFITETIV EIVS NOMIMI HEBREM.

« Que ce soit donc par le Christ que nous offrions sans cesse à Dieu « un sacrifice de louange », c'est-à-dire « le fruit de lèvres qui célèbrent son nom ». - Ce texte ne se trouve pas dans l'Office, mais il est tiré de l'épître aux Hébreux (XIII-15) qui expose des idées si profondes sur le sacerdoce et le sacrifice; il convient d'ailleurs très bien à cet endroit que vient sanctifier la prière.

L'église Saint-Jacques a été consacrée en 1552, le porche fut ajouté de 1552 à 1558 et le portail entre 1558 et 1560: c'est donc comme le monument destiné à évoquer le souvenir de ce grand événement liturgique.

Cette date 1558 augmente singulièrement l'intérêt de ce symbolisme. Dans la description de l'église, nous avons montré qu'elle est au point de vue symbolique d'une réelle pauvreté d'inspiration: l'art gothique arrivé à la décadence ne crée plus, mais copie. Et voilà que vingt ans après l'achèvement de l'église, on adosse à l'édifice ce portail en style nouveau et la Renaissance - qu'on appelle païenne et dont on a dit tant de mal produit cette oeuvre délicieuse d'une inspiration toute chrétienne, cette oeuvre dont la sculpture centrale et les inscriptions proposent aux fidèles un bel ensemble doctrinal et renouent ainsi la grande tradition chrétienne des portails du XIIIe siècle, Alors que l'architecte de l'église suit les règles de la vieille école et subit ses défauts, voici que l'artiste qui conçut le porche s'attache délibérément au style nouveau et on dirait qu'en même temps un souffle chrétien de robuste jeunesse ait animé ce renouveau artistique.

Cette oeuvre d'art, quoique restaurée incomplètement, est d'un effet ravissant grâce aux lignes harmonieuses de l'ensemble, mais comme l'effet dut être jadis infiniment plus beau lorsque huit bustes de prophètes encadraient le grand médaillon, que d'élégantes statues ornaient les niches, que les figures symboliques des trois vertus théologales surmontaient les frontons - voir Délices du Pays de Liège: « vue de l'église Saint-Jacques » (reproduite sur la couverture) - que des dorures rehaussaient les chapiteaux et qu'une polychromie délicate soulignait toutes les sculptures!

L. Lombard (1505-1566) qui a conçu le plan du portail était un artiste complet: architecte, numismate, peintre et poète.


Résumé.

L’extérieur de l'église est régulier, simple, harmonieux. L'abside romane qui a vraiment du cachet a besoin d'une restauration discrète. Le côté Sud est peut-être un peu trop restauré. La vue du choeur avec ses sveltes lancettes et ses chapelles absidales est des plus charmantes. Cependant lorsque de la place Saint Jacques on jette un coup d'oeil d'ensemble sur cette belle église, on se rend bien compte qu'il lui manque une tour monumentale.

L'intérieur de l'église est d'un effet unique. Nulle part on ne retrouve une ornementation si riche ni si délicate. Philippe de Hurges a pu écrire avec raison: « nous fut monstrée l'église de Saint-Jacques que l'on tient, et je la juge telle, estre la plus belle et la mieux ornée qui soit à Liège... Ceste église surpasse de bien loing en magnificence intérieure celle de Saint-Lambert ».

C'est précisément la finesse de cette ornementation qui fait de l'église Saint-Jacques un chef-d'oeuvre incomparable du gothique tertiaire, le plus beau monument de la ville de Liège

Louis HENDRIX,

Vicaire de Saint Jacques.


(1) SCHOOLMESTERS, Bulletin paroissial, 1898, p. 72

(2) BALAU, Sources de l'histoire le Liège, p. 181.

(3) Henri VAN DEN BERCH, Recueil d'épitaphes, 1925, t. I, p. 274.

Hic jacet abbatum speculum, decus et monarchorum

abbas Olbertus flos, Paradise, tuus.

Praefuit Ecclesiis normali tramite binis.

Legia, corpus habes; Gembla, carendo doles.

(4) KURTH, Le peintre Jean. pp. 9-11. (Bulletin de l’Institut Archéologique Liégeois, t. XXXIII, p. 220).

(5) Les débris de l'ancien sarcophage ont été déposés au musée diocésain.

(6) Annales - 1173 -- Obiit Drogo... qui... editicavit allure sancti Iohannis Babtiste et altare sancte Marie in turri, fecitque parietem de sculptis et politis lapidibus.

(7) A consulter: Le cancel de l'église Saint-Jacques de Liège, par MlIe H. VAN HEULE. Chronique Archéologique du Pays de Liège, juin 1926.

(8) Le moine Robert devint abbé plus tard (1076-1095). - Depuis 1889, cette insigne relique de saint Jacques le Majeur est conservée dans un magnifique reliquaire moderne, placé dans une des chapelles absidales. M Doutreloux qui, en 1888, avait rapporté de Rome un petit fragment des ossements de saint Jacques le Mineur, en fit cadeau à l'église: le reliquaire contient ce « duplex pignus pretiosum », comme dit l'inscription.

(9) Bulletin paroissial, 1er décembre 1898. p. 12.

(10) Annales S. Jacobi, p. 26; sous la prélature de l'abbé Guillaume de Bever, homme très mortifié mais très joyeux, « frequenter ridebat parva occasione. »

(11) GOBERT, Liège à travers les âges, t. III, p.348.

(12) E. de la Marck fut enterré à l’abbaye en 1422. Voici son épitaphe: « Hic jacet Nobilis ac Genereosus Miles Dus Engelbertus de Marcka Dus de Loviervans, de Vogelsanck et Walhem. QUI MULTA BONA CONTULIT AD AEDIFICATIONEM NOVI CHORI UJUS ECCLESIAE. Et in hoc monasterio obiit. Anno Dui M° CCCC° XXII° VIII idus Marcii. Orate pro eo.

(13) Au choeur de l’église sur la console qui supporte la statue de saint Jacques, sont inscrits les mots suivants: « Reinerus abbas 1421 » ; on a voulu ainsi marquer la hauteur où l'on a dû cesser les travaux en 1421.

(14) Extinctus vives. Domus haec te sacra loquetur.

Auspicio cuius tam bene structa uitet.

La pierre tombale de Jean de Cromois chef-d'oeuvre de sculpture Renaissance - a été expédiée en France lors de la Revolution française et se trouve actuellement au Musée du Louvre à Paris.

(15) Chronique de Jean de Brusthem. -- Bulletin I. A. L., t. VIII, p. 60. Anno 1515: - Consummatum est solemne aedificium novo chori ecclesiae sancti Jacobi.

(16) G. ENLART, Manuel d’Archéologie, 2e partie, p 646

(17) HUYSMANS, La Cathédrale, p 83.

(18) Pendant ce temps, les offices paroissiaux furent célébrés à l'église des Benédictines, et parfois à l'église Saint-Christophe. Aussi le sacristain se plaignait d'un surcroît de besogne (il reçut une gratification de 30 fr. !) Le Conseil de Fabrique reconnut d'ailleurs que l'église des Bénédictines, en raison des exigences de ces Dames, avait nécessité « de nombreux lavages » (Reg. des délibérations, 3-IV-1553)

(19) SCHAYES, Histoire de l’architecture, t,III, p. 225. - La plus grande longueur de l'église depuis l'abside du choeur jusqu'à la tour est de 73 m : la nef centrale à une largeur de 11 m ; sa hauteur est de 23 m.

(20) Dans le réseau de ces fenêtres se trouvent d'autres statuettes moins grandes: celles de Saint Jacques le Mineur et le Saint Roch du côté nord; celle de saint Pierre et d'un autre apôtre (Saint Paul?) du côté sud.

(21) NISARD, Impressions de voyage. T II, 1839.

(22) Dans une chapelle latérale du choeur, une clef porte deux tète de guerrier, casquées; l'un des casques est marqué des lettres HS - SM (voir figure page 32).

(23) Cfr. Description de l’église Saint-Jacques. Liège, 1883, pp. 5-7.

(24) Au Musée de Wurtzbourg, en Bavière, on conserve également une double « Vierge avec enfant » entourée d’une auréole complète. La statue date de 1500-1503 et provient de l'ancienne église des Carmes de cette ville.

(25) E. MALE, L'Art religieux de la fin du Moyen Age en France, p 211

(26) Les statues d'Apôtres, adossées aux murs du choeur et il qui d'après Mgr Schoolmeesters doivent signifier « que les Apôtres sont les colonnes de l'Eglise » (ibid. p. 7), ne furent placées qu’en 1846… Les anciennes statues de 1735 ne représentent pas les Apôtres.

(27) LEVY , dans son Histoire de la peiuture sur verre nous dit du donateur: « Peut-être le noble comte expiait-il par là (par ce vitrail) quelque péché d'ivrognerie, car ce vice était chez lui si puissant qu'au Chapitre de la Toison d'or, tenu en 1516, le chancelier de l'ordre l'en réprimanda sévèrement. »

(28) Au milieu, une inscription thioise énumère les titres du donateur: « Johan graff tzo Hoern, heer tzo Altena, Weerdt, Cortershem, Avelghem, Bocholt un tzo Broeghel. »

(29) Qu'on se rappelle le cri de guerre des liégeois: Notre-Dame et saint Lambert !

(30) J. HELBIG, La sculpture et les arts plastiques du Pays de Liège, p. 120.

(31) Actuellement chapelle de saint Roch.

(32) Le procès-verbal de cette cérémonie est transcrit à la page 74 du registre Délibération du Conseil de Fabrique. - Delsaux, dans son Etude sur Saint Jacques, p. 15, en parle également mais dit par erreur que la tombe a été ouverte en 1829

(33) Le graveur a commis une faute d'orthographe en écrivant memanto au lieu de memento.

(34) Dans notre étude Notre-Dame de Saint-Remy, son Histoire et son Culte (Liège, 1925), nous avons donné une notice de la paroisse Saint-Remy et du culte de l'image miraculeuse.

(35) HELBIG, La sculpture au Pays de Liège, p. 121.

(36) PHILIPPE DE HURGES, Voyage à Liège et à Maestrect. (Edition des Bibliophiles Liégeois), p. 184.

(37) Les deux bénédictins Martène et Durand écrivirent en 1724 dans leur Voyage littéraire, t. II, p. 172: « le jubé est magnifique: on ne suit ce qu'on doit y admirer davantage, la matière ou le travail.

(38) GOBERT, Liège à travers les âges, t. III, p .350.

(39) Bulletin de l'institut Archéologique Liégeois, 1923, t. XLVIII, p. 127. - En 1595, ce Th. Tollet a sculpté le mausolée du duc Louis de Gonzague à la cathédrale de Nevers.

(40) En 1859, on renouvela ce pont d'Amercoeur, rebâti en 1741, et à la seconde pile du pont on retrouva la pierre tombale de Gilles Lambrecht (+1646). Cette pierre est sculptée moins profondément que celle de la tombe de Baldéric II, mais par maint détail elle rappelle celle-ci que l'abbé G Lambrecht avait fait exécuter.

La pierre tombale est surmontée des armes parlantes de l'abbé: trois haches et une branche de chêne, avec la devise VIRESCIT ICTA VIRTUS. - Actuellement, la pierre est encastrée dans la paroi de l'abside romane, à droite de l'entrée.

Gobert (op. cit., t. III, p. 357) signale que la pierre tombale de l'abbé Hubert Hendrice (+1695) a été retirée également des fondations du pont d’Amercoeur: elle n'avait pas la même valeur artistique.

(41) Cette clôture en marbre qui masquait complètement les stalles est restée en place pendant le premier tiers du XIX° siècle. Certaines vues de l'église Saint-Jacques la reproduisent. Les deux médaillons (0,80 m de diamètre) sont de très bonnes sculptures du XVIIIe siècle: on les a relégués dans un coin obscur derrière le maitre-autel...

(42) Tome Ill, col. 987 « suis, ut aiunt, plus aequo rigidus. »

(43) Nous suivons dans cet exposé Dom U. Berlière qui a publié dans la Revue lté,iédictiize de 1921 et 1922 trois articles sur « La sécularisation de l'abbaye de Saint-.lacques à Liège. »

(44) Les moines ont écrit sur sa tombe: « Posuit gloriam suam... in amore potius quam timore confratrum. »

(45) Le Nonce cite nommément quatre moines qui doivent ôter leur perruque endéans les trois mois: C. Andriessens, L. de Louvrex, T. Borrel et R. Sonval. Les autres moines qui portent perruque pour motif de santé peuvent la garder, pourvu que ce ne soit pas une perruque poudrée (coma fictitia pulvere ciprio conspersa) mais que tous puissent voir qu’on ne la porte que par nécessité.

(46) La nouvelle Collégiale qui comptait 25 canonicats vit ce nombre porté à 30 par la suppression de l'abbaye de Saint-Gilles à Liège, sécularisée le 27 juin 1786: les cinq chanoines réguliers de Saint Augustin devinrent chanoines de Saint Jacques.

(47) Les chanoines Lefebvre et Wemans s'y sont construit une maison

(48) BRASSINNE, Lettre, de Liégeois pendant l'émigration (1794-1801)

(48) Registre Délibération du Conseil, p. 13, Séance du 6 janvier 1828.

(49) Hubert COLLEYE, Dans la paix des vieilles églises, p. 41.

(50) Il est placé actuellement à la chapelle des Dames Ursulines, rue de Namur, à Saint-Trond.

(51) Registre des Délibérations, p. 22.

(52) Ibid., p. 5.

(53) En 1845, le trésorier était parti avec la caisse, laissant un déficit de 38.458 fr 49 somme très importante pour l'époque. A la liquidation de l'actif de l'avocat en faillite, la Fabrique reçut pour sa part proportionnelle 262 fr 29...

(54) Ouvrage cité, p. 186. Une petite partie des bâtiments claustraux constitue l'habitation de Mme Orban, place Emile Pupont, 9, Ce reste du cloître semble antérieur au XVI siècle.

(55) On a de la peine à concevoir actuellement que le Conseil de Fabrique ait voulu démolir ce délicieux portail. Le fait est là pourtant! Sur le rapport des architectes de la Fabrique et de la ville, le Conseil prit la décision suivante:

6-VII-1834 - « considérant que le frontispice du portail demande des réparations, que sa restauration sur le dessin actuel, devant coûter à peu près 40.000 fr, n'aurait d'autre objet que de représenter à grands frais un ornement qui n'est pas en harmonie avec le reste de l'architecture... estime que... sous le double rapport de la dépense et de l'art (!)... la reconstruction doit être faite dans le genre gothique ».

On revint sur cette décision le 11 février de l'année suivante: considérant qu'un portail gothique demanderait une somme considérable... - On ne trouva pas d'autre raison à faire valoir!

(56) Dans sa brochure Lambert Lombard, Bruxelles, 1876, p. 9 et suiv.

(57) Herman Rave, ,40e abbé de 1551 à 1583.

(58 Ferdinand I, frère de Charles-Quint, empereur de 1556 a 1564; la principauté de Liège faisait partie de l'Empire.

(59) Voir notre étude Le Portail de Saint-Jacques, représentation symbolique de la Dédicace de l'église. Dans La vie liturgique, Liège, 1er novembre 1927.

(60) Le dessin ci-joint (Planche XI) est dû à l'obligeance de M. l'architecte C. Bourgault qui a travaillé à la restauration du portail avec M. l'architecte F. Lohest. Les trois marches que représente la gravure existent toujours mais sont cachées dans le sol.

PLAN DU SITE