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1615 - Philippe de HURGES - Voyage à Liège et à Maestrect en 1615


Passants plus avant, nous vinsmes par des petites ruës assez mal habitées, jusques en l'un des bouts de la ville, où nous fut monstrée l'église de Saint-Jacques que l'on tient, et je la juge telle, estre la plus belle et la mieux ornée qui soit à Liége (1). Ceux auxquels elle sert sont moines de l'ordre de saint Benoist, lesquels possèdent de fort grands revenuz, ainsi que l'on peut juger par la parade extérieure qu'ils en font, par la structure magnifique et les agencements de leur église et de leur maison, cloistre et jardins. Pour en discourir par ordre, ceste église surpasse de bien loing en magnificence intérieure celle de Saint-Lambert; mais en l'extérieur elle luy cède, pource qu'elle n'a point de telles galleries qui l'environnent, séparées d'avec l'église, et qu'elle est sans grand clocher, au moins tel que pour estre mis en parallèlle avec celuy de Saint-Lambert; pour le surplus, je la juge aussi longue et aussi large, mais plus eslevée de beaucoup. Ses murs et piliers sont en partie de grez rougeastres, partie de pierre blanche; le bout de la nef est bouché par un puissant édifice semblable à celuy de Saint-Barthélemy, avec deux grosses tours carrées, le tout ressentant bien fort son antiquité; et semble que ceste grosse masse de bastiment ait précédée la structure de l'église de plusieurs siècles. Il y a double travers ou croiseure, dont la première n'est guères distante de l'endroit où devroit estre le grand portail, c'est-à-dire des deux tours anciennes; la seconde est au milieu, et sépare le choeur d'avec la nef. En la première sont les deux grands portaux, semblables l'un à l'autre, faits ce me semble à l'imitation des arcs triomphaux que les Romains érigeoient à leurs empereurs qui retournoient victorieux de quelque guerre importante; la figure que j'en représente en la page suivante monstre ce qui en est; et pour ce n'en diray-je autre chose, fors que c'est l'une des superbes pièces, et la plus accomplie en ce qu'elle contient, que toute autre qui se puisse veoir en Liége. Sus le milieu de la croiseure qui sépare la nef d'avec le choeur, est un petit clocher, tout couvert de plomb, mignonnement élabouré, auquel sont les moindres cloches servantes à ceste église, que l'on dit estre d'argent pource qu'elles ont le son si vif et pénétrant que, quoyque Liége soit une grande cité, il n'y a endroit tellement eslongné d'où il ne soit parfaitement entendu. Les piliers qui soustiennent l'édifice par le dehors, sont très-hauts et façonnez avec bien grand artifice; les fenestres sont en grand nombre, de mode que la parade extérieure de ce bastiment est fort grande.

Mais quant à l'intérieur, c'est tout autre chose; car, entré que vous y estes par le portail que je représente, lequel est seul donnant entrée à ceux qui viennent de la ville, les autres ne servants qu'à ceux qui viennent de l'abbaye, vous voiez à main droite les plus belles orgues que l'on se pourroit imaginer, posées justement au bout de la nef où devroit estre le grand portail. L'on me dit qu'elles avoient les tuyaux d'argent, et que c'estoit les plus harmonieuses que l'on peüst ouïr; ce qui est croiable, puisque les trompettes d'argent ont toute autre harmonie que n'ont celles d'airain, et qu'à plus forte raison l'argent donne tout autre son que le plomb (2) dont sont faits communément les tuyaux des autres orgues; parconséquent celles dont je parle doibvent surpasser en excellence toutes les orgues que l'on se pourroit imaginer, estant très-grandes et abondantes en tuyaux comme elles sont. L'or et la peinture n'y sont non plus espargnez que le bois, lequel en est tellement couvert, qu'à peine pourroit-on rien veoir de mieux agencé. Estant placé au pied de ces orgues, vous voiez l'église en sa longueur, laquelle paroist très-belle, comme estant large, fort haute, couverte d'une voulte industrieuse et toute peinte de branchages et de fleurs (comme sont à peu près toutes les autres de Liége) et illuminée d'un grand nombre de verrières très-claires et sans peintures. Le principal ornement de ce lieu consiste au doxal qui ferme le choeur à l'endroit de la nef; les François nomment ceste structure un Jubé, à cause que toutes les leçons qui se chantent en leurs églises se chantent là-dessus, et qu'avant chanter chascune d'elles, celuy qui les doibt chanter dit: Jube, Domine, benedicere. En ce païs on la nomme le Lichené, et en Artois le Train; et moy je la nomme Doxal, avec beaucoup d'autres, du mot grec: ????, id est Gloria, pour ce que la gloire principale de l'Eglise consiste en l'Evangile, à l'introït, duquel on respond tousjours, ensuitte de ceste considération : Gloria tibi, Domine, et les Grecs: ???? ??? ?????. Or les anciens avoient ceste coustume de chanter l'Evangile en ce lieu, qui nous est restée jusques aujourd'huy, comme nous voions encores ès jours solemnels; et de là, selon mon jugement, pourroit estre venu ce nom de Doxal.Celuy de Lichené vient à mon advis du mot grec 7L6<§6h?l, dont se sert Hesychius et autres pour dire une lampe, à cause que le Crucifix estant ordinairement dessus le doxal, pour luy faire honneur, on y mettoit tousjours plusieurs lampes ardantes, ce qui se void encore en maints endroits où il y a tousjours beaucoup de luminaire en ceste partie de l'église. Le mot de Train peut avoir son étymologie a throno, pource que ceste pièce en a quelque ressemblance, ou parcequ' ès grandes églises l'on y va tousjours à grand train et en grande cérémonie et révérence chanter l'Evangile. Le doxal de Saint-Jacques est composé de porphire , de jaspe, d'alebastre et de marbre noir, bouclant toute la largeur du choeur, eslevé à la hauteur de vingt et cinq pieds; l'on y monte par plusieurs degrez de marbre noir; au milieu est la grande et principale porte du choeur, et à chasque costé un autel où paroissent relevées en bosse les plus belles images que l'on puisse veoir, toutes d'alebastre et à la grandeur naturelle, agencées d'or, d'argent et de peintures, autant que l'oeuvre te requiert. Sus les corniches du portail et de ces autels sont des statues entières selon la grandeur humaine, les mieux exprimées et cizelées en alebastre que l'on puisse s'imaginer, dont les unes représentent Nostre Sauveur resuscitant, les autres la Transfiguration du Messie au mont de Thabor, les autres l'Assumption de la glorieuse Vierge-Mère. Et pour le faire bref, ce doxal excède en art, en beauté et en richesse tout autre que j'eusse veu jusques lors, sans excepter celuy de Ste-Wauldrud à Monts , que l'on estime entre les plus beaux et plus coustageux de l'Europe. Il y a une gallerie fort large ou carolle qui environne de toutes parts ceste église, et tout au long sont rangées des chapelles renfermées, avec le choeur, des mesmes pierres dont est fait le doxal, dont sont encores agencez tous les autels ; et, sur tous, celuy du choeur est des mieux en ordre et d'une forme triomphante, qui esgale presque les voutes de l'église en hauteur, n'y estant l'or et l'argent non plus espargnez à l'illuminer que s'ils n'eussent cousté que la seule façon. Il y a plus de quarante peintures excellentes ès tables d'autels, exprimées à l'huille, sus de la toille ou sur du bois, dont le récit plus particulier seroit tedieux : qui est ce que je remarquay en ce lieu dont voicy le pourtrait, selon sa face occidentale.

J'ay dit cy-devant que les portaux de ceste église sont semblables, pour ce qui est de leur forme extérieure, aux arcs de triomphe des anciens Romains, et non sans cause, pource que j'en treuve de pareils en plusieurs de mes médailles anciennes, desquelles je ne, rapporteray pour toutes que les trois, dont la première est d'Auguste Caesar, avec ceste inscription: au revers : QVOD VIAE MVN. SUNT ; la seconde est de Claude, contenant ces mots : NERO CLAVDIVS DRVSVS GERMAN. IMP. ; la tierce est de Trajan, et s'y lit : S. P. Q. R. OPTIMO PRINCIPI.Et sont ces trois figures tellement ressemblantes à l'édifice dont je parle, qu'il semble proprement que tout ce qui est de plus beau et de plus industrieux en chascune d'icelles, y ait esté fidèlement rapporté. Il y a au surplus comme trois corones de plomb doré qui environnent le petit clocher, qui sont galleries ouvertes à jour, par lesquelles on peut promener autour de ceste structure. Le reste se peut comprendre à l'oeil par ce que j'en ay représenté. La maison et le cloistre qui joignent ceste église, sont superbement bastis, aiant les estages fort eslevez, les places très-amples en l'extérieur et en l'intérieur, avec des jardins spacieux et agencez autant que de besoing pour correspondre au surplus de cest enclos, que je ne descris autrement pource que ce ne seroit jamais fait si je me voulois arrester à tant de particularitez, joint que je n'en sçay rien que par la bouche et par le rapport de nostre guide, le temps ne nous aiant permis de veoir autre chose de ce monastère que l'église.


1 Selon le Gallia Christiana, le monastère de St Jacques, ordre de St Benoît, fut fondé en 1016 par Baldric II; celui de St Laurent était plus ancien et remontait à l'an 970, sous l'épiscopat d'Eracle.

2 Le plomb étant le moins sonore des métaux, on n'employait ce métal que pour un petit nombre de tuyaux, notamment le nasard; les autres étaient en étain pour la plupart, en laiton et en bois; quelques églises, comme on voit ici, ont été assez riches pour en avoir même en argent.



1619 - Pierre BERGERON - VOYAGE DE PIERRE BERGERON ES ARDENNES, LIEGE & PAYS-BAS EN 1619.


Proche de ceste abaye y a celle de St Jaques, de l'ordre de St Benoist, fort riche et bien bastie; et y a une assez belle librairie, l'une en haut de livres imprimez, et l'autre en bas de manuscrits. Pour aller à ceste bibliothèque il y a un escalier double de très belle et ingénieuse structure et invention; car deux personnes peuvent monter par deux divers endroicts en mesmes temps, puis se rencontrent en un perron, et de là se séparent encores, et ainsi toujours jusqu'au haut. Cela arrive à cause de deux viz séparées, qui font chacune leur montée à part jusqu'à la rencontre; et tout cela est dans un grand rond faict en ovale. Ceste abaye fut fondée par l'évesque Baldric, il y a environ 600 ans, et pour une telle occasion. Ce prélat avoit faict grand'guerre au comte de Louvain, son ennemy qui le desfit; et sur ce, se conseillant un jour à un sainct homme nommé Jean, venu d'Italie, ce bon homme luy représenta la grande faute et ofense que c'estoit à un prélat de guerroier et espandre le sang, et pour ce le conseilla, pour le refrigere de ceux qui avoient estez tuez en guerre à son occasion, de bastir une église où on prieroit Dieu pour eux, ce que l'évesque feit; et fut ceste abaye de Sainct-Jaques, qu'il feit bastir en un endroit lors du tout inculte et désert, y metant des moines de l'abaye de Gemblours près Namur, et le premier abé fut un Olbert En ce lieu mesme fut enterré ce sainct homme, nommé Jean, qui estoit un bon évesque d'Italie, qui avoit esté chassé par ses ennemis, et que l'empereur Othon III avoit faict venir pour peindre le palais et la chapelle d'Aix, car il s'entendoit fort en la peinture. On voit encores là son épitaphe qui le qualifie peintre et évesque. L'évesque Baldricy fut aussy enterré. Le bastiment du monastère fut achevé par son successeur et les abez du lieu; l'abé d'aujourd'huy est le 44e.



1705 - Matthieu BROUERIUS de Nidek - Très exacte decription des Provinces Unies des Pays-Bas, et villes de Sedan, Liège, Aix la Chapelle, Maastricht, Bolduc, Breda et Geertruidenberg.


4. L'église Saint-Jacques (pp. 18-22)

Je visitai ensuite l'Église St-Jacques, qui est très belle; il y a dix colonnes depuis le choeur qui soutient une partie de la voûte, qui est toute peinte; et sur 9 colonnes, il y a des figures travaillées avec beaucoup d'art par le même sculpteur des fontaines (et entre les colonnes sur le mur ou voit six tableaux de chaque côté faits par un très bon maître), avec des inscriptions dessous les figures, avec les armes de ceux qui les ont données.

La première figure est saint Hubert; dessous on lit ces mots

D: O: M:

IN HONOREM SANCT: HVBERTI PATRONI SVI OFFEREBAT

R:DISSIMVS DNVS HVBERTVS HENDRICE HVIVS MON:

ABBAS XLVI ANNO 1689.

Sur la deuxième, on lit cette inscription

SANCTE HENRICE GERMANIAE REX CLEMETISSIME

ROMANORVM IMP: AVGVSTISSIME ORDINIS AC CAENOBII

NOSTRI FAVTOR PIISSIME O: P: N: PONEBAT

PATRONI GRATIA NONNVS HENRTCVS PRESSEVX

DV M0VLIN

Ces lettres numérales nous désignent l'année 1679, l'année d'après la paix de Nimègue.

Sur la troisième se lisent ces paroles

D: O: M:

OFFEREBAT IN HONOBEM ST JACOBI MAIORIS D:

ANTOINIVS DE TIEGE HVIVS MONASTERII BELIGIOSVS

ANNO DM. 1682.

Sur la quatrième se lit cette inscription

D: O: M:

IN HONOREM SANCTISSIMI PATRIS BENEDICTI

D. ANTONIVS DE TIEGE HVIVS MRII REOSVS

DICABAT AN. 1687.

Sur la cinquième sont escrits ces mots:

D: O: M:

TOTIVS COSOLATIONIS PATRI ET MARLAE IMMACVLATAE

MISERICORDIAE MATRI OFFEREBAT D: NICOLAVS

BOVXHON PRIOR 1692.

Sur la sixième se lit ceste inscription:

D: O: M:

SANCTAEQVE SCHOLASTICAE MONIALIVM OCCIDENTALIVM

PRIMEVAE ST BENEDICTI SORORI EODEM PARTV

IN LYCEM EDITAE OFFEREBAT D: IACOBVS RENOTTE

1691.

Sur la septième sont escrites ces paroles

D: O: M:

POPVLQ: VICTORI ETTISSIMO SIC PATRONO SV0

OFFEREBAT D: NICOLAVS BOVXHON RELIGIOSVS

HVIVS MRII ANNO 1685.

Sur la huitième se lit ceste inscription

D: O: M:

SANCTOQ: ANDRE APOSTOLO PATRONO SVO DICABAT D:

ANDREA5 DE PIERPONT HVIVS MONASTERII RELIGIOSVS

ANNO 1690.

Sur la neuvième et dernière on lit ces mots

D: O: M:

IN HONOREM BEATI IACOBI MINORIS FRATRIS DNI PATRONI

NOSTRI DICABAT R:MVS HVBERTVS HENDRICAE ABBAS

HVIVS MONRII 1691.

De là, je vins au choeur où je trouvai une belle façade enrichie d'une très belle sculpture de marbre blanc et noir avec 10 colonnes de marbre de Corinthe. Sur les deux côtés de la porte, vous voyés deux autels magnifiques, et au-dessus de la porte se lit cette inscription

DNE DILEXI DECOREM DOM. TVAE

et plus bas

D: O: M:

ECCLESIAEQVE DECORI ET ORNAMENTO REVERENDVS DNS

MARTINVS FANCHON LEODIENSIS HVIVS MONASTERII

ABBAS XLII OPVS HOC FlERI ERIGIQVE CVRAVIT

ANNO DNI 1602.

Vous avés deux marches à monter pour venir au choeur; sur la première, vous y trouvés cette inscription qu'une main vous montre du bout du doigt

DEMPTVS ET EX FEBRVIS VIX CHORVS EXTAT AQVIS

Ces inscriptions ont esté gravées en mémoire d'un débordement d'eaux qui est venu jusques dans l'Église à cette hauteur dans l'an 1658 comme vous le désignent les lettres numérales de l'inscription. Dans l'année 1643, il y a eu aussi un débordement qui vint jusqu'à la dernière marche du choeur, comme le marque l'inscription qui est aussi gravée, qu'une main nous montre; voici l'inscription telle qu'elle se lit :

VIX CHORVS EST LANI PRAESENS EXEMPTVS AB VNDA

J'entrai ensuitte dans le choeur pour voir la tombe de l'Évêque Baldéric, deuxième Évêque de Liège, dont on voit la figure qui est faite par un très habile sculpteur; auteur de cette belle tombe, qui est de marbre noir, on lit ceste inscription:

HOC COENOBIVM INCHOAVIT 1014 VERVM MORTE PVENTVS

SVB EODEM IMPFECTV RELIQVIT ANNO 1017 BALDRICVS

FRAESVL LEODIESIS GENERE COMES LOSSEN. HIC QVIESCIT SVB S IMPATORE HENICO

Au bout du pied-d'estal, à la tête qui fait face au maistre-autel, se lit cette autre inscription:

D: O: M:

D. BALDRICO LEOD: EPO FVNDATORI NRO HANC

TVMBAM CONSTRVI FECIT R. D. AEGIDIVS LAMBRECHT

ABBAS H. L. A. 1646 ERIGI CVRAVIT R. D. AE. DOZIN

EIVS SVCES.

Cette tombe est posée sur huit griffons de marbre de Corinthe.

Un peu plus loin en approchant du maistre-autel, vous rencontrés une très belle et très curieuse tombe qui est posée à fleur de terre; c'est une pièce de marbre noir travaillée avec beaucoup d'art, sur laquelle on lit cette inscription :

CVRVIMOSANE DECVS FLOS GLORIA RELLIGIONIS

SICCINE NOS ORBAS HIC SITVS ANTE DIEM

OMNIS TE SEXVS AETAS ORDOQVE REQVIRIT

FLAGITAT ET PATREM LEGIA TOTA SVVM

EXTINCTVS VIVES DOMVS HAEC TIBI SACRA LOQVETVR

AVSPICIO CVIVS TAM BENE STRVCTA NITET

Il est représenté dans le milieu de la tombe, et sur les deux côtés il y a une colonne; sur celle qui est à droite on lit cette légende:

IOANNES CVRVIMOSANVS ABBAS

TRIGESIMVS OCTAVVS

Sur l'autre, on y voit cette inscription

NOBIS EREPTVS EST ANNO

A VIRGINEO PARTV 1525.

Il repose tenant sa crosse.

Vous tournez à droite et l'on vous fait voir un double escalier qui est très curieux.



1718 - Edmond MARTENE et Ursin DURAND - (SECOND) VOYAGE LITTERAIRE DE DEUX RELIGIEUX BENEDICTINS DE LA CONGREGATION DE S. MAUR.


Nous partîmes le 29 d'Août pour aller à Liège. Monsieur le prieur eut la bonté de nous donner un guide, qui nous conduisit jusqu'à Spa, petite ville, fameuse par les eaux minérales, qui sont fort salutaires. Lorsque nous y passâmes, il n'y avoit pas longtemps que le Czar de Moscovie les avoit prises, & comme elles lui avoit bien fait, il avoit envoyé une belle inscription, qu'on devoit placer au-dessus des Bains dans le lieu le plus remarquable, pour apprendre à la postérité, qu'il y avoit été guéri, mais comme elle n'était pas encore placée, nous ne la vîmes pas. Nous arrivâmes à Liège sur les quatre heures, & nous fûmes descendre à l’abbaye de S. jacques. Monsieur l'abbé étoit allé à Huy pour recevoir la profession de trois religieuses. Le prieur étoit aussi absent, mais le sou prieur, qui est un homme de mérite, nous reçût avec beaucoup de charité. Cette illustre abbaye fut fondée l'an 1014 par Balderic évêque de Liège, qui y mit un bras de S. Jacques, & la choisit poux le lieu de sa sépulture. On voit encore son tombeau élevé au milieu du choeur Celui d'Olbert qui en fut le premier abbé; est au bas du sanctuaire, & un peu plus haut on voit celui d'un autre abbé, dont on estime le travail. L'église est sans contredit une des plus belles du pays, on y admire sur tout la nef, dont la voute est fort hardie. Il y a à tous les piliers des figures de marbre blanc, la plupart achevées. Les collatéraux sont ornez de tableaux, le jubé est magnifique, on ne sait ce qu'on doit y admirer davantage, la matière ou le travail, on montre dans l'église un degré double comme une chose très rare. Tous les étrangers l'admirent, & ce fut ce que le Czar trouva de plus singulier dans l'abbaye. On croit à S. Jacques qu'il est l'unique en son espèce, mais il y en a un semblable en l'église de Marmoutier par lequel on monte au repos de S. Martin. Le reste des bâtiments du monastère ne répond pas tout à fait à l'église. L'ancien réfectoire est cependant très beau, & il peut contenir cent religieux. Apparemment qu'il y avoit autrefois ce nombre. Aujourd'hui il ne sert plus, & les religieux mangent en deux sales plus petites: lune sert pour les jours gras, & l'autre pour les jours maigres. Les cloîtres sont voutez, mais il n'y a que deux cotez qui soient vitrez. Au côté de l'église il y a des bancs de bois & des pupitres, ce qui me fait croire que c'étoit le lieu où les religieux étudioient autrefois, & faisoient leurs lectures. La bibliothèque est dans une grande sale voutée, qui répond au cloître. Elle est plus considérable par les manuscrits que par les livres imprimez. On y trouve encore presque tous ceux qui furent donnez par le fondateur, comme il paroît par un ancien catalogue des livres du monastère, écrit sous l'abbé Olbert. La plupart sont des ouvrages des Peres de l'église Outre ces manuscrits il y en a encore plusieurs autres de tous les siècles suivants, & fur toute forte de matière, donc les principaux sont une très belle bible en quatre ou cinq gros volumes, écrite il y a six cens ans, les lettres de saint Cyprien, plusieurs ouvrages de S. Thomas écrits de son tems, les livres de l'imitation de JESUS-CHRIST auxquels on a mis le nom de Thomas à Kempis d'une main assez récente, pour juger que cette addition s'est faite depuis les contestations sur l'auteur de cet excellent ouvrage. Plusieurs anciens théologiens & auteurs de piété, ce qui fait voir qu'on s'est appliqué de tous temps à l'étude dans cette maison, & qu'il y a eu beaucoup d'observance. Cependant comme les choses humaines sont sujettes à la vicissitude des temps, vers la fin du treizième siècle la discipline régulière se trouva fort altérée par le fréquent changement des abbés & par la mauvaise conduite d'un certain Henri, qui fut déposé: mais ses successeurs reformèrent le monastère, qui se trouva bientôt en état de fournir des religieux au célèbre monastère de S. Mathias de Trèves, pour jeter les fondements de la congrégation de Bursfelde. On peut même dire que dans tous les temps S. Jacques a produit de grands hommes, pour gouverner d'autres Monastères; c’est ce qu'on peut voir par la liste suivante, que nous avons tirée d'un manuscrit de la maison.

VIRI ILLUSTRES QUI EX S. JACOBI

COENOBIO PRODIERUNT.

Thietmarus abbas FIorinensis 1050.

Guiremundus abbas Broniensis 1062.

Cuno abbas Sigebergensjs & episcopus Ratisbonensis 1117.

Heribrandus abbas S. Laurentii 1103.

Herzelo abbas Florinensis.

Everlinus de Foux abbas S. Laurentii.

Elberius abbas S. Huberti 1167.

Oliverius de Hezemont abbas Vallis S. Lamberti 1236.

Hermannus de Lobio episcopus & suffragenens Adufi episcopi Leodiensis 1322.

Franco ejusdem fsuffraganens.

Nicolaus de Tornaco abbas Crispiniensis1365.

Johannes Hotton abbas Florinensis 1421.

Carolus Orchen. abbas Florinensis.

Robertus abbas S. Heriberti.

Radulfus abbas S. Heribert.

Nicolaus abbas Florinensis.

Emmelennus abbas de Lubiis.

Eustachius à Straax prior scipsit in regulam S. Benedicti.

Le premier dimanche du mois de Septembre on célébra la fête de l'Ange Gardien. Après tierce le célébrant fit l'aspersion de l'eau bénite à tous les autels, & à la fin de la procession on chanta le Salve Regina. Durant toute la messe les deux acolytes demeurèrent à genoux à la crédence, lisant des prières dans un livre, ils allumèrent leurs cierges à l'évangile, & les éteignirent après. A la fin de la messe ils les rallumèrent. Le diacre & le sou diacre furent durant le Kyrie à la crédence pour préparer l'épître & l'évangile, & la matière du sacrifice. Lorsque le diacre chanta l'évangile, il dit Dixit Dominus Jesus selon l'ancienne coutume, au lieu que nous disons simplement Dixit Jesus. Il porta ensuite le texte à l'abbé pour le baiser, mais aux autres il leur présenta un texte plus petit. Il y eut communion à la fin de la messe, & après vêpres on dit les litanies.



1738 - Pierre Lambert de SAUMERY - Les délices du pays de Liège.


ABAÏES, PRIEURÉS ET MONASTÉRES D'HOMMES.

L'ABAÏE REGULIERE DE SAINT JAQUES,

Ordre de St. Benoît.

Texte original en vieux français en pdf

Quoique ce ne soit pas mon dessein de renverser l'ordre que je me suis proposé de commencer la seconde Partie de cet Ouvrage par la description des Abbayes, je me contenterai néanmoins de donner ici celles qui sont dans l'enceinte des murs, renvoyant les autres aux endroits où je décrirai les faubourgs & les environs de la Ville, dont elles sont le plus beau coup d'oeil.

Balderic II ayant formé le dessein, dit le plus ancien Historien de cet Evêque, de bâtir un Monastère à l’honneur de l'Apôtre St. Jacques, il commença par l'Eglise, dont il fit jeter les premiers fondements; mais l'ouvrage ne put être poussé pendant sa vie, que jusqu'aux fenêtres.

Il fit néanmoins dans le même tems construire, en cette Eglise une Chapelle souterraine, qu'il dédia à l'Apôtre St. André, dans laquelle son corps fut inhumé & peu de temps avant sa mort, il assigna quelque fonds, (a) qui lui appartenoient dans ce terrain, pour la subsistance des Religieux qui seroient reçus dans ce Monastère.

Quoique cet Historien fût contemporain de Baldric, il ne fut pas sans doute bien informé des faits, car un Ecrivain qui le commenta deux siècles & demi après, les raconte d'une toute autre manière.

Selon ce dernier, Baldric qui vouloit mettre en sureté toutes les places qui dépendoient de son Eglise, forma le dessein de faire fortifier le Château de Hougarde.

Lambert, surnommé le Barbu, s'étant opposé à ce dessein, prit une résolution toute contraire; & malgré les remontrances que lui fit Baldric sur l'injustice de ce procédé, Lambert lui déclara la guerre, & couvrit de ses troupes une partie du Pais.

Les Censures Ecclésiastiques furent les premières armes, auxquelles l'Evêque eut recours, mais le Comte qui regarda l'excommunication lancée contre lui comme une insulte outrageante, chercha à la venger par toutes sortes de voies.

On fit entendre à Baldric, qu'il devoit se défendre avec les mêmes armes, dont on le servoit pour l'attaquer. Il le crut; & ayant levé une armée, on en vint bientôt aux mains; mais la victoire se déclara pour le Comte, & environ trois cent hommes de l'armée de Baldric restèrent sur le champ de bataille.

La perte de ses gens, dont il se regarda comme l'auteur, lui causa un chagrin inconcevable. Heureusement pour lui un Evêque Italien, nommé Jean, arriva dans cette conjoncture à Liège, avec des lettres de recommandation de l'Empereur Otton Ill, auxquelles ayant fait honneur, il le reçut le plus poliment qu'il lui fut possible.

Les bonnes qualités qu'ils se reconnurent réciproquement, les rendirent bientôt amis intimes, ce qui fut d'un grand secours à Baldric, qui par ce moyen put ouvrir son coeur à son ami, & lui en découvrir toutes les plaies.

L'Evêque Italien prit au chagrin de Baldric toute la part qu'un véritable ami pouvoit y prendre, & après les premiers compliments de condoléance, il tacha de donner à son Hôte la consolation dont il avoit besoin.

Il commença par lui remontrer, que les grandes âmes devoient être au-dessus des plus fâcheux revers de la fortune, & que c'étoit une foiblesse de se laisser abatte par les disgrâces.

Ce n'est pas, continua-t'il, que je prétende par-là excuser la faute que vous avez faite, de lever une Armée, de vous mettre à sa tête, de la conduire à l'ennemi, de l'encourager par votre exempte, de vous trouver à la mêlée, & enfin d'être le témoin oculaire du carnage. Toutes ces choses qui se tolèrent dans un Prince temporel, sont autant de crimes pour un Prince spirituel, qui ne doit employer d'autres armes que la prière.

La chose n'est cependant point sans remède, ajouta l'Evêque Italien, il faut commencer par vous humilier & faire pénitence. Vous devez à cet effet, vous revêtir d'un sac, coucher sur la cendre; & des pierres doivent vous servir de coussin. Il faut enfin ajouter à cela tout ce qui peut marquer un sincère repentir & une véritable componction.

Les voix de ces malheureux, que vous avez sacrifiés, & qui vous frappent continuellement les oreilles, n'exigent pas, poursuivit l'Evêque Jean, que vous vengiez leur mort, elles demandent que vous fassiez prier pour le repos de leurs âmes. Outre cela il lui insinua d'une manière persuasive qu'il devoit faire bâtir une Eglise. (b)

Baldéric s'imaginant que c'étoit Dieu qui lui parloit, forma dans le moment, le dessein d'en faire construire une, & déclara à l'Evêque Italien, qu'il exécuteroit ce dessein, si Dieu lui en donnoit le temps.

Il est venu ce temps, reprit Jean; il n'y a qu'à mettre la main à l'oeuvre. Dès que vous aurez commencé, l'ouvrage sera fait à moitié, & vous aurez tout le loisir qui vous sera nécessaire pour le finir. Les bonnes intentions ne souffrent ni retardement, ni délai. (c)

Baldéric pressé de cette façon fut obligé de suivre les avis salutaires de son ami. II assembla son Conseil, pour savoir quel seroit l'endroit le plus propre & le plus convenable, au repos & à la tranquillité des Religieux, dont il vouloit peupler le Monastère qu'il se proposoit de bâtir.

Le terrain où est bâti le faubourg d'Amercoeur, étoit alors une espèce de désert. Baldéric le proposa à ceux qui composoient son Conseil, dont quelques-uns louèrent son dessein, mais les décrets de la Providence ne peuvent être changés. Il n'y avoit encore dans le quartier de l'Ile que deux Eglises, celle de St. Paul, & celle de St. Jean l’Evangéliste, & Dieu avoit déterminé qu'il y en auroit une troisième, ainsi le plus grand nombre fut d'avis, que le Monastère devoit être bâti dans ce quartier; (d) & Baldéric s'y conforma.

Peu s'en fallut néanmoins, que ce projet n'échouât, lorsqu'il fut question de l'exécuter. La situation de la place, sur laquelle il faloit bâtir, étoit affreuse. Couverte d'un bois très épais, elle n'avoit jamais été fréquentée que par les bêtes sauvages.

Ces raisons épouventoient les ouvriers les plus hardis; (e) mais Dieu permit que tous ces obstacles fussent surmontés. La première pierre du Monastère fut posée le vingt-six Avril, & la Dédicace de la Chapelle souterraine, bâtie à l'honneur de St. André, fut faite le six Septembre en présence de l'Evêque Italien, Auteur, par ses sages conseils, de ce pieux Etablissement. (s)

La mort, qui enleva Baldéric, plutôt qu'il n'eut été à souhaiter, lui ôta la satisfaction de voir achever le Bâtiment du Monastère, dont on n'avoit point encore commencé à monter les fenêtres; (g) mais il étoit, néanmoins, déjà peuplé de Religieux de l'Abbaye de Gemblours, que Baldéric avoit fait venir, & auxquels il avoit donne tous les fonds, dont il pouvoit disposer. (h)

On ne peut se dispenser de convenir, que l'histoire racontée de cette façon a un tout autre air que la première, qui un peu trop sèche, n'est ni si plausible, ni si bien circonstanciée; aussi cette dernière a-t'elle été adoptée, pour les principaux faits, par tous les Ecrivains postérieurs, qui leur ont donné chacun une tournure conforme à leur goût, avec les modifications, qu'ils ont jugées convenables.

Quoiqu'il se trouve plusieurs Auteurs qui rapportent différemment les Epoques de la Bataille, qui se donna entre les troupes de Baldéric & celles du Comte de Louvain, (i) & qu'ils ne conviennent pas même entre eux du tems précis de la fondation de cette Abbaye, ni que le terrain où elle fut bâtie, étoit un désert aussi affreux que certains Auteurs l'ont dépeint; (l) je crois qu'il convient peu à mon dessein, de tâcher de les concilier. D'ailleurs la différence des Epoques est si peu considérable, qu'on ne peut les reculer de plus de deux ans. Ainsi la fondation de cette Abbaye ne seroit pas beaucoup moins ancienne.

L'Angle Occidental de l'Abbaye de St. Jacques partage l'eau de la Meuse, dont le bras le plus considérable lave les murs de sa Clôture, tandis que l'autre, après avoir baigné le Rempart du reste du Quartier de l'Ile, traverse la Ville, & va rejoindre le premier au bas du Collège des Jésuites.

On comprend de là que la situation de cette Maison est très avantageuse & très agréable. Le circuit de son terrain est d'environ un mile d'Italie. II est partagé par un petit Canal vouté, dont l'eau fait tourner un Moulin à blé, qui sert aussi à scier le marbre, & fournit aux jardins des Religieux, qui en ont chacun un, orné d'un cabinet très propre.

Le Vaisseau de St. Paul est le seul de Liège, qui puisse, par sa beauté, entrer en concurrence avec celui de St. Jacques. C'est au goût du Pays que l'on doit imputer le défaut de Portail, commun à tous les deux; sans ce goût, celui-ci bâti dans le seizième siècle, (m) ne laisseroit pas désirer cette pièce nécessaire à la perfection de sa magnifique structure.

Son Portique collatéral est, néanmoins, estimé par les Connoisseurs, ils admirent même l'échelle de Jacob, que représente le Médaillon, en bas Reliefs, qui lui sert de couronnement.

Ils ne sont pas moins enchantés de la beauté des figures, de la hauteur de six pieds, qui ornent les piliers de la voute, dont l'élévation est proportionnée à la longueur & à la largeur du Vaisseau.

Le Jubé qui ferme le Choeur, leur fournit de nouveaux sujets d'admiration. Il est de Marbre de Génes, mais le Marbre n'est rien en comparaison de l'ouvrage. Toute sa façade est, à proprement parler, un groupe de bas Reliefs, qui sont tous des pièces finies.

Le Choeur est grand & proprement orné. Douze Statues, placées dans le contour du Sanctuaire, ne contribuent pas peu à relever la beauté du Grand Autel, construit dans le goût Italien, le plus moderne. Elle est rehaussée par plusieurs Chapelles percées à jour. Les grands & beaux Tableaux qui ornent les sous-Ailes donnent beaucoup d'agrément à cette magnifique Eglise.

Les voyageurs admirent depuis longtemps l'Escalier à double rampe, qui est à côté du Sanctuaire, à main droite en entrant. Le Maréchal de Vauban, connoisseur, s'il en fut jamais, n'avoit fait que devancer le goût de Pierre I, Empereur de Moscovie, qui, retournant par Liège en son Royaume, en mil sept cent dix-sept ne trouva point d'expressions assez fortes, pour donner à ce chef d'oeuvre les louanges, qu'il lui paroissoit mériter. (n)

Le Trésor est abondamment fourni d'Ornemens anciens & nouveaux, très riches & très précieux.

Entre une infinité de Reliques, que l'on y conserve avec beaucoup de vénération, l'on voit des Morceaux du Bois de la Ste Croix, des Ossements de St. Jean-Baptiste, de St. Jacques le Majeur, & de St. Jacques le Mineur, de St. Barthélémy, de St. Sébastien, de Saint Pancrace & de plusieurs autres Saints. Les preuves authentiques de la réalité de ces Reliques sont gardées avec autant de soin, que les Reliques mêmes.

Les Curieux qui ont du goût pour les Pierres sépulcrales, peuvent trouver en ce Temple de quoi le contenter. Ils y en verront dans le grand nombre, qui en relève la décoration, trois, qui sont dignes de leur attention. Celle d'Olbers, premier Abbé, celle de Cromois, & celle de Balis. La seconde est d’un goût & d’une beauté à satisfaire les curieux & les plus critiques. Ce qui signifie que la Pierre sépulcrale de l'Abbé de Cromois est unique en son espèce.

L'Hôtel Abbatial, & tous les Bâtiments du Monastère ont un air de grandeur & de magnificence, mais très inférieur à celui de l'Eglise.

On voit des Cloîtres plus spacieux, mais il yen a peu, de la régularité de celui de l'Abbaye de St. Jacques. C'est un carré régulier, pavé de marbre, dont les Arcades, les Vitraux, & la Voute, ne présentent rien de grand.

Le Réfectoire peut contenir cent Religieux. Cette pièce pavée de marbre, voutée dans la dernière propreté, se recommande assez d'elle-même. Pour l'admirer, il ne faut que la voir. Je donne, mot à mot, la description de la Bibliothèque. (o)

Les Abbés de St. Jacques sont Conservateurs nés des Droits, & Privilèges du haut Clergé, ou du Clergé Primaire, c'est-à-dire du Chapitre de St. Lambert; Protecteurs des Maisons de l'Ordre de Citeaux, qui sont dans le District de l'Evêché, de celles des Chanoines Réguliers, de la Congrégation de Vindesheim; & Tuteurs des Ordres Mendiants.

Ils ont les Droits de la Mitre & de la Crosse, & de tous les honneurs, qui y sont attachés. Ils furent accordés, l'an mil deux cent quarante-sept, par Innocent IV à Jean, vingtième Abbé, mais il n'eut pas la satisfaction de jouir de l'effet de sa demande.

C'est à l'Abbé d'aujourd'hui que sont dues les superbes figures, qui ornent la Nef & le Sanctuaire, l'embellissement du Réfectoire, le Cloître, & le Moulin à scier, dont j'ai parlé. Cette Usine est de l'invention de cet ingénieux Prélat. Elle peut servir de modèle pour les scies à marbre.

Cette Abbaye est soumise immédiatement au St. Siège. L'Abbé qui la conduit n'a pas laissé altérer ses prérogatives. Si les voeux de ses Religieux sont exaucés, il n'aura pas, sitôt, un Successeur. Le Public est dans les mêmes sentiments.


(a) Pauca ibi praedia, ad usum ibi Deo samulantium constituit. Ce sont les termes d’Anselme en la vie de cet Eveque, qui fut élû l’an 1008, & mourut l’an 1018.

(b) Prater hoc (la Pénitence) bonestam de construendo Templo immittit persuasionem.

(c) Voluntati bonae, quâ nihil est ditius, dilationem multùm obesse.

(d) At voluntas Dei, quae nunquam valet immutari, aliorum setentiam ad suum traxit Imperium, locumque elegit, qui insula vocatur.

(e) Erat autem locus huic operi destinatus, situ horridus & incultus, tantùm serarum gregi cognitus, ut nihil differre videretur à deserto, multosque deterreret ab hoc negotio. Sed Deus ad excidentam tantae densitatis silvam, eorum suscitavit spiritum, quibus injuctum hujus Providentiae erat officium.

(f) Septimo Kalentas Maii inchoatur Caenobium… Cryptam tamen in eadem Ecclesia, in qua nunc quiescit, cùm perfecisset idem Baldricus Episcopus, praesente Joanne Episcopo, cujus optimo in re hujusmodi perfunctus erat consilio, cum magna alacritate, in honorem B. Andreae Apostoli, octavo Idus Septembris dedicavit.

(g) Inchoatur Caenobium, sed subripiente mortis die, cùm usque ad vitreas opus perduxisset, imerfectum reliquit.

(h) Post hac adductus est ibi Conventus Monachorum de Caenobio Gemblacenti… ubi possessiones, & allodia eis, pro posse su, idem Episcopus sufficienter dotavit.

(i) Hujus tam luctuosus belli exitus evenit Hugardis, sexto Kalendas Octobris, quando tertium sui Episcopatûs agebat annum. Anselme.

(l) Bucher dans sa Chronique, Fisen & Foullon en la vie de Baldric, & Boüille.

(m) Vous verrez la preuve dans la liste des Abbés.

(n) On montre dans l’Eglise un Degré double comme une chose très rare. Tous les Etrangers l’admirent, et ce fut ce que le Czar trouva de plus singulier dans l’Abbaye.

(o) La Bibliothèque qui est spacieuse, quarrée, & très propre en boisages, n'a point à la vérité de livres nouveaux considérables, mais elle est très riche par le grand nombre des Manuscrits très anciens, & très authentiques sur toutes sortes de sujets & de matières sacrées & profanes. Outre quelques Bibles du septième & huitième Siècle, en un ou deux Volumes, il y en a une en quatre gros Volumes, in folio, qui est d’une beauté considérable.

On y trouve les Morales de S. Grégoire Pape, sur la vie de Job, en onze Livres, avec une Chronologie universelle, très juste & très accomplie. Saint Augustin de la grâce & du libre Arbitre, s'y trouve du septième Siècle. Tous les ouvrages de son fameux Disciple & Interprète S. Thomas d’Aquin, s'y trouvent aussi, & entre autres choses, il y a dans sa somme un passage qui paroit très favorable à l'Immaculée Conception.

Les questions, réponses & expositions de S. Isidore sur le vieux & le nouveau Testament y sont fort considérées. Et les cinq Livres d'histoire d'Egésipe Juif, converti dès les premiers Siècles, sont le sujet de la curiosité des Savants, qui avouent que cet ouvrage est si rare, qu’il ne s’en trouve ailleurs qu’un exemplaire, savoir dans la Bibliothèque du Roi Très Chrétien.



1752 - MONSANTO

The Church of St Jaque here is very beautiful, in which is one of the finest organs extant; round about the Church are the twelve Apostes curiously done in Marble with several fine Paintings. On each side of the Altar, two Figures of black Marble, and a great deal of fine carved Work, and the Altar elegantly ornamented with a great Quantity of Silver and fine Panting, among which observe the Picture of St. Gill.

Over that Picture you'll see a Door which is lock'd, which you may desire one of the Padres to open; when opn'd, there is a Pair of Stairs not to be equall'd by any in Europe, called Septem Grados:

They are made after this Form,Monsanto Septem GradoTwo People may go up together Back to Back, one Step, not seeing one another, but as they ascend they'll see each others Faces, which no Author has taken Notice of. The Form of these stairs was given me by the Jesuit's own Hand.

There are feveral other Curiofities in this Church, which for Brevity's fake I shall omit.


L'église Saint-Jacques est de toute beauté; elle abrite un des meilleurs orgues qui soient. Tout autour de l'église], les statues de marbre des Douze apôtres méritent de retenir l'attention, de même que plusieurs beaux tableaux. De part et d'autre de l’autel, deux statues de marbre noir et une grande quantité de garnitures finement sculptées. Quant à l’autel, il est élégamment paré d'un nombre considérable de pièces d'argenterie et de bons tableaux parmi lesquels on remarquera un saint Gilles. Au delà de ce tableau, vous apercevrez une porte verrouillée mais qu'un des Pères pourra vous ouvrir. Elle donne accès à un double escalier qui n'a pas son pareil en Europe et qu'on appelle Septem grados. Il est disposé de la sorte :

[A cet endroit du texte, Monsanto reproduit un ovale divisé en six parties sensiblement égales, par son grand axe et par deux perpendiculaires à celui-ci. La partie supérieure gauche et la partie inférieure droite sont hachurées. Il n'a pas été possible de faire figurer ici ce croquis.]

Deux personnes peuvent le monter en se tournant le dos, sans se voir, mais en arrivant en haut elles se verront de face, ce qu'aucun auteur n'a remarqué. Le plan de ces escaliers m'a été donné de la main même du jésuite. Il y a d'autres particularités dans cette église que je dois passer sous silence afin de rester concis.



1856 - Desiré NISARD - Souvenirs de voyage

http://books.google.be/books/about/Souvenirs_de_voyages.html?hl=fr&id=fmVEAAAAIAAJ


L’EGLISE SAINT JACQUES.

La merveille de Liège, c'est l'église Saint-Jacques. Les voyageurs en citent de plus belles; je doute qu'il y en ait de plus gracieuses. C'est l'architecture gothique, avec toute la richesse de l'art arabe, dont elle est née. Les âmes religieuses préféreraient même une nef plus grave, plus sombre, moins ornée; mais, pour l'étranger qui visite l'église en curieux, nul édifice ne peut donner mieux l'idée de la délicatesse dans la grandeur. La fondation de l'église Saint Jacques remonte à l'an 1014, sous l'empereur d'Allemagne Henri II. Ce fut d'abord un couvent de cénobites, au milieu des vastes forêts de Liège. Au couvent succéda une abbaye, dont l'église abbatiale est Saint-Jacques. Le portrait du fondateur, sculpté en bas-relief sur une feuille de marbre noir, est adossé à la paroi d'une des chapelles, dans la galerie à droite. C'est une belle tête d'abbé, avec le rochet et le grand costume.

Je suis puni d'avoir vanté ailleurs le bonheur d'ignorer la langue technique, en présence des grands monuments de l’art, par l'impossibilité où je me vois de communiquer mes impressions, soit aux ignorants, soit aux artistes. Les mots vagues, comme les mots techniques, me manquent pour peindre cette nef si vaste, si majestueuse, si légère, qui élève l’âme sans peser sur elle, et où les chants de la prière ont quelque chose de perçant et de joyeux. La voûte, terminée à peu près vers le même temps que celle de la cathédrale, semble comme dérobée sous un réseau de fines arêtes qui s'entrecroisent avec symétrie, et courent autour de médaillons où sont peintes des têtes, les unes nues, les autres portant le casque du seizième siècle, mystérieux assistants placés entre le ciel et la terre. On dirait un immense berceau dont le treillis de pierre offre a chacun de ses points d'intersection un camée antique, et dont les ouvertures laissent voir l’azur du ciel figuré par les fresques bleues qui remplissent les parties vides de la voûte.

Ce berceau pose, en s'arrondissant, sur de légères murailles coupées d'immenses fenêtres et portées par deux galeries en arcades ogivales, que surmonte un balcon à jour, dont la pierre semble avoir été tressée comme du jonc. Les profils des ogives sont des broderies. Un élégant feston monte du bas des deux arcs jusqu'à leur sommet, et de là encore s'élance et grimpe le long du mur, en manière de bas-relief. Dans l'espace plein qui s'étend entre les sommets des arcades sont représentés en médaillons les portraits des rois, princesses, prophètes et prophétesses de l’Ecriture: leurs noms et les versets du livre sacré où il est parlé d'eux forment, de chaque côte de la nef, comme une inscription continue écrite en caractères gothiques. La même disposition d'arcades et d'ogives brodées est répétée sur les parois extérieures, et semble figurer un nouveau rang de galeries, comme des grisailles en forme de fenêtres, sur un mur, figurent les fenêtres qui y manquent.

L'orgue, d'une richesse extraordinaire, déploie, à ses deux côtés, d'immenses panneaux dorés, dont l'intérieur est couvert de peintures. Ces panneaux se fermaient dans les jours ordinaires et servaient à protéger l'orgue contre la poussière; on ne les ouvrait qu'aux jours de fêtes, pour laisser passer les saintes harmonies et donner au peuple, avec le plaisir d'entendre la musique céleste, celui de voir le magnifique instrument d'où elle sortait. Depuis que la destruction des abbayes, a fait de cette église la propriété longtemps abandonnée de la ville, les panneaux sont demeurés ouverts; on craindrait de les ébranler sur leurs gonds rouillés; et l'orgue reste muet, ouvrant inutilement ses deux grandes ailes chargées de saints et d'anges, que les vibrations de l'instrument feraient peut-être tomber en poussière.

Le buffet, dont le sommet se détache sur un fond de lumière et de peintures, formé par les vitraux de la rosace et par les fresques de la muraille, descend en pointe, presque à portée de la main, et se termine en forme de cul-de-lampe, par un faisceau de cinq niches ou sont cinq statues. Au milieu est celle de la Vierge; à ses côtés, deux saintes portant l'encensoir; aux deux coins, deux prophètes. Cette pointe coupe en deux parties égales un balcon en bois doré, où s'appuyaient les chanteurs qui accompagnaient l'orgue. Au-dessous sont, de chaque côté, six niches avec leurs saints, rois ou prophètes, vêtus d'habits dorés et assis sur des trônes peints en rouge, que couvre un petit dais sculpté à jour. Les inscriptions placées au bas du cul-de-lampe donnent la date de l'achèvement de l'église, 1538. L'abbé régnant s'y félicite d'avoir mis la dernière main à ce bel ouvrage, et en rend gloire a Dieu. On lui eut permis même un peu de vanité mondaine.

Les stalles du choeur offrent encore, à leurs dossiers et à leurs accoudoirs, des figures d'animaux sculptés, des lions, des singes, des oiseaux, des chats surtout, en toutes sortes d'attitudes. Les chats sont les plus nombreux et les mieux exécutes, soit que ce fût l'animal favori des moines sécularisés, soit que ce fût leur ironique emblème. Dans ce cas, il fallait que ces saints personnages fussent bien absorbés par la contemplation pour ne pas voir et sentir sous leurs mains leurs propres caricatures. Un escalier double, dont !e noyau est formé par la superposition de ses marches, conduit à une Petite tribune, d'où l'on a vue sur tout le choeur. Le bedeau vante cet escalier comme déconcertant les plus habiles maçons. C'est un escalier qui vous suit quand on le monte: ce sont deux vis en sens opposés; mais par quel moyen sont-elles jointes? Le moyen âge faisait des énigmes en pierre, comme les Chinois en font en ivoire. J'imagine pourtant que les maçons dont parle le bedeau de Saint-Jacques ne sont pas les maîtres de la confrérie.

Une inscription en vers, placée au bas d'un tableau médiocre qui représente la mort de saint Benoît, peut donner une idée du talent poétique des Liégeois au commencement du dix-septième siècle, date présumée de ce tableau. Voici ces vers:

Benoist vient d'expirer; sou âme vole aux cieux

Ornée des rayons ardents et glorieux.

A deux religieux une voix fait s'entendre:

C’est ici le chemin que Benoist a su prendre.

Quelques-unes des hardiesses de césure ou d'ellipse de ce quatrain ne seraient-elles pas encore de mise aujourd'hui?

Le bedeau de Saint-Jacques, qui a vu l'église dans tout son éclat, parlait de son délabrement actuel avec un dépit visible, quoique discret, à la manière des bedeaux que les révolutions ont laissés en place. Les bedeaux boudent les révolutions, parce qu'elles diminuent le casuel et qu'elles augmentent les droits sur le vin.

LIEN:

Liste chronologique des descriptions de Liège sous l'ancien régime faite par des auteurs contemporains. - Léon Halkin - 1948

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