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Les restaurations de l'église Saint jacques.

Étude rédigée sur des notes de feu E Halkin par E Dognée

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Parmi les monuments de Liège, l'église St-Jacques est assurément le plus intéressant. Les diverses constructions dont elle garde la trace, l'expansion radieuse du gothique fleuri, le superbe portail renaissance, enseignent avec éloquence l'histoire de l'architecture dans notre vieille cité. Peu de monuments en Europe présentent une série aussi complète de beaux types architectoniques et l'on s'explique aisément les études profondes dont notre église liégeoise a été l'objet de la part d'un grand nombre d'érudits.

L'histoire de cette bâtisse remonte bien haut dans nos annales. La retracer serait écrire tout notre passé national. Nous n'en résumerons que quelques traits principaux, servant à dater les parties les plus importantes du monument,

Le chanoine Anselme nous raconte, dans sa chronique, que l'évêque Balderic, voulant faire bâtir un monastère en l'honneur de l'apôtre St-Jacques, fit jeter les fondations d'une église dans l'île. Dans cette partie de Liège, aujourd'hui si brillante, était alors une forêt, hantée par les bêtes fauves, inculte et horrible. (Chapeauville. I, 223) L'Evêque avait poussé l'ouvrage jusqu'à la hauteur des fenêtres, lorsque la mort l'obligea de laisser cette entreprise inachevée. Il avait fait construire dans cette église une crypte ou chapelle souterraine dédiée à l'apôtre St-André, dans laquelle il voulut être inhumé. D'après nos chroniqueurs, cette crypte était au milieu du choeur de St-Jacques, et la fondation de l'église remonterait au 26 avril 1016. (Sigebert de Gembloux indique 1014, date gravée plus tard sur la pierre tumulaire de Balderic.) En relisant l'un de ces récits naïfs, nous voyons que St-Jacques-en-île “ fut fondée du propre sang des Liégeois. “ Après avoir vaincu les Brabançons à Hoegarde, l'évêque Balderic aurait en effet imposé au comte Lambert de Louvain, comme prix de la paix, une contribution de guerre de 4,000 livres d'or; somme qu'il résolut de consacrer à l'édification d'une église “ où l'on prierait pour tous les Liégeois restés en cette bataille, par suite de la trahison du comte de Namur allié du comte de Louvain. (Chonique mss de notre collection - Placentius Catalegus antistitum leodiensi p 292)“

Balderic appela dans le nouveau monastère des bénédictins de l'abbaye de Gembloux avec Olbert leur abbé. En 1019, l'empereur Henri II vint passer le carême en retraite à St-Jacques. L'évêque Walbodon, qui avait succédé à Balderic, y célébra l'office de Pâques. Sur les supplications des Bénédictins et les instances des frères de Balderic, l'empereur fit de nouvelles largesses, recommandant à Walbodon d'achever l'oeuvre de son prédécesseur. L'évêque obéit immédiatement, fit abattre l'ancienne église et entreprit une nouvelle construction sur un plan plus vaste, en même temps qu'il continuait la bâtisse du monastère. Les successeurs de Henri II, les grands feudataires et les gentilshommes du pays de Liège, tinrent désormais à honneur de signaler leur munificence par des donations faites à l'abbaye St-Jacques. (Voyer entre autre: Le cartulaire de Fauquemont dans Ernst. Hist du Limbourg, VI pp 124,125, 130, 175, et le bulletin de l'institut archéologique Liegeois. VII pp 254-258 )

D'après la plupart des historiens, la dédicace de l'église eut lieu en août 1030.

Les Bénédictins y établirent une de ces écoles célèbres qui défendent leur nom contre les reproches tant de fois adressés au monacisme. Outre son précieux chartrier, l'abbaye de St-Jacques possédait une bibliothèque de la plus grande richesse, surtout en manuscrits, dont quelques uns remontaient au 8ème et au 7ème siècle. Elle fut visitée par Pétrarque en 1333. De Saumery indique dans une note les ouvrages les plus remarquables. (Les délices du pays de Liege. I, 2e partie p 170. Voyez aussi Martène et Durand, et le catalogue de la vente de 1788)

L'abbé de St-Jacques devint bientôt l'un des principaux dignitaires ecclésiastiques de Liège. En 1245, à la demande des chanoines de St-Lambert, il obtint la mitre et la crosse: dans la suite les empereurs d'Allemagne et les papes lui confièrent souvent la mission de transmettre leurs diplômes aux Princes Évêques de Liège. Une charte de 1556 nous prouve même que Herman Rave avait été nommé par le St Siege gardien des droits et privilèges de la Cathédrale. (Schoonbroodt - Inventaire des chartes du chapitre de la cathedrale de St Lambert 620, 651, 652, 803, 845 et 1143)

Un savant belge affirme “ que l'ancien portail et la tour octogone sont des restes de l'église construite au XIème siècle et offrent encore un des modèles les plus parfaits de l'architecture romane pure que possède la Belgique, bien que l'on ait muraillé toutes les ouvertures du portail à l'époque de la reconstruction de l'église. “ ( Schayes - Mémoire de l'architecture ogivale en Belgique, p 157) Il est cependant difficile de croire que nous possédions à St-Jacques quelques parties importantes de la construction de Balderic ou de Walbodon. Une tradition liégeoise nous apprend en effet que c'est en 1168 que la tour a été construite. Il est à remarquer néanmoins, que telle qu'elle est aujourd'hui, la tour, comme celle de Ste-Croix, est divisée en trois zones. On y trouverait peut-être des constructions de dates différentes. La première zone s'arrête à la hauteur des nefs de l'ancienne église, la seconde est une partie unie correspondante à la hauteur de l'ancien toit, et la troisième comprend le beffroi actuel des cloches dont la charpente peut aisément se dater. Cette tour, qui forme une partie tout-à-fait distincte de l'église, est construite en pierres de grès, matériaux que nous trouvons toujours, à Liège, sagement préférés aux blocs de sable, surtout pour les arêtes et les reliefs, si exposés à l'action destructive du temps et des avaries de tout genre. Le style du XIe ou du XIIe siècle est évidemment roman; si tant est que l'on doive préférer ce nom à ceux de plein-cintre, de romain, de romanesque proposé par M. Gunn, ou de Lombard si éloquemment défendu par M. Hope. C'est à cette tour que s'applique un projet de restauration que nous aurons bientôt lieu d'examiner.

Les constructions romanes sont assez rares en Belgique. Liège cependant possède de très importants spécimens de ce style: l'extérieur de St-Batrthélemy, la tour de St-Denis, celle de St-Jacques, l'abside de Ste-Croix, St-Nicolas en Glain. A St-Denis, nous trouvons le pilier soutenant le cintre caractéristique; et, selon l'affirmation de M. Schnaase, quelques détails fort intéressants font remarquer la construction de l'évêque Notger. Des archéologues étrangers considèrent la partie la plus ancienne de St-Jean (981) comme étant du style des basiliques et copiée d'après la cathédrale d'Aix-la-Chapelle. Un des caractères distinctifs des constructions romanes en Belgique est la tour massive et carrée, généralement à l'ouest de l'édifice; couronnée par une pyramide obtuse et quadrangulaire; n'étant pas, comme dans le roman des bords du Rhin, rompue par des angles et des pignons. Cette observation dit M. Schnaase, se vérifie à St-Denis, à Ste-Croix et à St-Jacques. Quant à St-Nicolas en-Glain, (1151), elle se rattache tout-à-fait au style des bords du Rhin, si bien étudié par les archéologues de ce pays. L'abside de Ste-Croix appartient aussi au roman rhénan, mais déjà plus développé, tel qu'on peut le reconnaître à l'église des Apôtres à Cologne. Immédiatement après cette époque l'architecture belge, qui ne s'était guère différenciée de l'architecture allemande, alors si brillante et si féconde, subit d'avantage l'influence des bâtisseurs français.

Selon la notice de M. Lavalleye jointe à la monographie de M. l'architecte Delsaux, l'abbé Wazelin fit, au commencement du XIIIe siècle, placer de nouvelles fenêtres à St-Jacques et renouvela le pavement. En 1392, l'église subit les atteintes de la foudre. Les premières assises du choeur actuel furent jetées sous l'administration de Renier de Ste-Marguerite; mais, se même que le fondateur de l'église primitive, cet abbé ne put amener les constructions que jusqu'aux fenêtres: la mort l'avant surpris en 1436. Nous devons passer sans transition jusqu'en 1513, date à laquelle l'écroulement de la voûte obligea à reprendre les travaux interrompus par les troubles qui agitèrent le pays de Liège sous Louis de Bourbon. ( Chronique de jean de Loss, publiée par de Ram p 130) D'après M. Schayes l'église fut complètement démolie en 1522, et l'on jeta les fondements d'un nouveau temple achevé seize ans plus tard. S'il faut en croire une inscription au dessous du cul-de lampe de l'orgue, les travaux, repris en 1513, ne furent achevés qu'en 1538. Foulon au contraire, citant Chapeauville, dit que l'église fut achevée en 1517. Quoi qu'il en soit, il est certain que Jean de Cromois, abbé de St-Jacques de 1506 à 1522, donna tous ses soins aux travaux de l'église. Il est probable aussi, quoi qu'en dise Chapeauville, que Nicolas Balis (1522-1551) trouva encore un large cadre pour de nouveaux travaux. On pourrait même peut-être attribuer à l'un l'achèvement du vaisseau, à l'autre le complément du chœur ou du moins de ses annexes, dont les axes ne correspondent point parfaitement avec celles des deux nefs latérales.

Herman Rave (1561-1583) qui succéda à Nicolas Balis comme abbé de St-Jacques, dota l'église du superbe portail aujourd'hui très délabre, qui sert d'entrée principale et dont le dessin en est attribué à notre célèbre peintre, Lambert Lombard. Ce grand artiste, qui fonda notre école nationale, avait profité de son séjour en Italie pour étudier l'architecture et l'archéologie. De même que Rubens, il ne se borna point à représenter des palais et des portiques dans ses tableaux, mais il dirigea plusieurs constructions dans notre cité.

Citons encore parmi les abbés qui firent travailler à St-Jacques, Martin Fanchon (1591-1611) qui fit exécuter un superbe jubé en marbre de Gènes pour clore le choeur. De Saumery vante beaucoup cet ouvrage qui existait encore de son temps. “ Toute sa façade, dit cet auteur, est à proprement parler un groupe de bas-reliefs qui sont tous des pièces finies. “ Lors de la destruction de ce jubé, attribuée par M. Lavalleye à l'abbé Pierre Renotte, on en détacha les sculptures des deux autels en renaissance italienne qu'on voit aujourd'hui dans le transept, faisant face aux nefs latérales.

Gilles de Briamont ou de Gréer, abbé de St-Jacques de 1647 à 1674, dota l'église de superbes orgues sous lesquelles leur auteur, André Séverin, tint à honneur de se faire enterrer.

Mentionnons encore, parmi les oeuvres d'art exécutées à, St-Jacques, la belle pierre tombale qui a été redressée contre l'un des murs du transept et qui conserve, entre une riche ornementation, l'image de Balderic, fondateur de l'église. Selon l'auteur des Délices, St-Jacques possédait bon nombre d'autres pierres sépulcrales de grande beauté, celles des abbés Olbert, Balis, et surtout celle de Cromois qu'il proclame unique en son espèce. Grâce aux recherches de notre Institut archéologique liégeois, cette dernière pierre a été retrouvée à Charleville, portant encore la signature du sculpteur Martin Fiacre. Elle a été étudiée et dessinée par notre confrère M. J. S. Renier. (Bulletin de l'inst arch Liegeois III p 65 et seq )

Quant aux anciennes verrières de St-Jacques, figurées par M. Weale, nous les avons longuement décrites dans l'ouvrage de M. Lévy. (1) Elles complètent admirablement la splendeur de l'édifice et sont toutes de la première moitié du XVIème siècle. Enfin la peinture des voûtes, malgré les regrettables additions faites récemment le long des nervures du transept, est de la plus grande richesse et date de la même époque. Nous ne pouvons omettre de citer le petit escalier en hélice double, dans une annexe du chœur; tour de force de construction, que le maréchal de Vauban et le tsar Pierre-le-Grand vinrent admirer.

Notre récit sommaire des incidents qui marquèrent l'édification et la transformation de St-Jacques serait incomplet, si nous ne rappelions la tentative désastreuse faite au siècle dernier par l'abbé Renotte, pour moderniser l'église. Non content de démolir le jubé, il posa des portes Louis XV dans l'édifice ogival ; ferma le choeur par une clôture en marbre; cacha les ogives latérales sous d'affreuses boiseries, assorties à la chaire disgracieuse qui dépare encore un des plus beaux monuments de Liège.

Sous le règne de Joseph II, l'abbaye de St-Jacques fut sécularisée, et la superbe chapelle du monastère des Bénédictins devint une église collégiale le 9,5 mai 1785.

Lorsque Léopold ler eut visité St-Jacques en 1832, on s'occupa de restaurer l'édifice, et depuis lors les travaux n’ont point cessé. Tel qu'il est aujourd'hui, ce monument mérite à bon droit l’admiration des touristes et les éloges que lui prodiguent tant d'écrivains nationaux ou étrangers. Zuerius), au 17e siècle, le déclarait déjà le plus beau des temples de Liège. N’osant, après tant d'autres, décrire ce gracieux édifice, nous nous contenterons de reproduire les lignes que lui consacrait Schayes en 1839.

« L'église actuelle de St-Jacques est non seulement le plus beau de tous les édifices religieux de la ville de Liège, mais elle peut encore passer pour un des monuments les plus élégants de style ogival tertiaire qui existent dans toute l'Europe. L'intérieur de l'église, d'un aspect admirable, présente un vaisseau magnifique , vaste, élevé, composé d’un choeur sans collatéraux et de trois larges nefs soutenues par deux rangs de colonnes formées de nervures réunies en faisceaux en portant des arcades ogivales à voussures garnies de festons trèflés. Le triforium ou galerie qui couronne les arcades de la nef centrale est composé de longs créneaux à ogives trilobées, surmontées d'une balustrade à quatre-feuilles et à trèfles encadrés. Le mur qui sépare les arcades de cette galerie est couvert d'arabesques et orné de médaillons qui encadrent, des têtes d'hommes coloriées. Les voutes de l'église, divisées en compartiments prismatiques sont également peintes en arabesques. Des arcades festonnées, simulées géminées, règnent le long des collatéraux de la nef, qui ne sont point bordés de chapelles. Toutes les fenêtres des nefs, mais particulièrement les deux vastes fenêtres des transepts, sont ornées de découpures flamboyantes d'un dessin aussi riche que varié. Le choeur est surtout remarquable par la beauté et la richesse de son ornementation ; il est éclairé par de longues lancettes à vitraux magnifiquement peints, entre lesquelles sont placées des statues dans des niches couvertes de dais A l'extérieur, l'église de St-Jacques se fait admirer par son élévation, par la régularité et la noble simplicité de son architecture. La balustrade qui couronne les grands murs de la nef est pareille au triforium à l'intérieur de l'église. L'entrée actuelle de l'église de St-Jacques se trouve à gauche de la nef; elle est décorée d'un très beau portail en style de la renaissance en trois ordres le colonnes entre lesquels sont des niches occupées par des statues de Saints. » (Mémoire sur l'architecture ogivale en Belgique p 136)

Si tous les amis des arts portent un vif intérêt à ce charmant monument, St-Jacques a pour les Liégeois d'autres titres à leur affection, C'est en effet au temple rajeuni par Nicolas de Balis d’une façon si coquette, que se rattache le souvenir des antiques franchises communales, chères à notre peuple, et dont Mirabeau disait, au siècle dernier, que les prescriptions séculaires avaient réalisé dans Liège les progrès revendiqués par la révolution française de 1789. Tandis que la cathédrale de St-Lambert était la basilique imposante du Prince-Évêque, du chapitre et de la noblesse liégeoise; dès le XIIIe siècle, St-Jacques fut l'église communale. Lorsque le peuple liégeois, soulevé par Henri de Dinant, disputa à la noblesse sa part légitime de pouvoir, l'église St-Jacques fut choisie pour les actes les plus solennels de la nouvelle magistrature qui consacrait l'existence de la commune.

Dans ces luttes longues et sanglantes où s'illustrèrent des hommes tells que Henri de Dinant, Bouchard le foulon, Beekman, Laruelle, Barthel, de Bex et Bassenge, le nom de St-Jacques rappela sans cesse ces franchises si chèrement disputées, et les droits du peuple au gouvernement de la cité. Les bourgmestres, jadis choisis parmi les nobles le jour de Ia St-Jean-Baptiste (24 juin), furent élus la veille de la St-Jacques (25 juillet), dès que les gens de métiers participèrent à cette élection.

Lorsque Hugues de Chalon eut quitté l'évêché de Liège en 1300, la lutte entre la noblesse et les plébéiens s'accentua, dura non seulement pendant cet interrègne mais aussi pendant la courte administration d'Adolphe de Waldeck. C'est à cette époque que tous nos écrivains placent la reconnaissance des corps de métiers comme compagnies franches.

Un chroniqueur nous dit que c'est en 1302 qu'apparaît pour la première fois le nom de Bourguemestre, remarque qui indique sans doute qu'alors on commence à voir dans Liège des chefs populaires; car comme le font remarquer les savants annotateur du Paweilhars, les maîtres à temps, dont on possède la liste depuis 1242 tirent leur origine des institutions de Charlemagne et de St-Hubert. (Raikem et Polain - Li Paweilhars p 221)

Après l'émeute dite des chaperons blancs (,1302), l'évêque fit la paix avec la cité, mais les nobles, nous dit M. Polain, laissèrent encore quelques lambeaux de leur pouvoir, et il fut en outre stipulé que l'un des bourgmestres serait élu dans la classe des plébéiens. (1) Le recueil héraldique de de Loyens mentionne pour la première fois une nomination le jour de la St-Jacques, en 1303. (5) Les rénovations magistrales solennelles pour nos aïeux se firent toujours dans suite ce jour de la St-Jacques, renseigné sur nos calendriers locaux comme fête du palais apostolique et de la cour officiale de Liège. La Paix de Geneffe, (1381) dit expressément que c'est la veille de la St-Jacques que les maîtres de Liège doivent être élus.

C'était dans la trésorerie de que l'on conservait les parchemins relatant nos franchises communales. Ces documents importants avaient d'abord été conservés à l'hôtel-de-ville, mais lorsque St-Jacques devint l'église communale, ou y déposa le lourd coffre à quatre serrures, « grand comme une châsse, » dit Jean de Stavelot, dans lequel se trouvaient les titres originaux de la commune, le grand sceau de la cité, d'autres objets précieux et même des sommes d'argent. Aussi ne pouvait on l'ouvrir qu'en présence des trente-deux gouverneurs des métiers. L'exemplaire original du règlement de Hinsberg (1424), relatif aux élections magistrales, d'abord renfermé dans la niche grillée de l'un des murs de la cathédrale, li potale di Hinsberg, fut aussi transporté à St-Jacques. Chaque fois qu'une défaite menaçait nos libertés civiques, ces chartes furent enlevées. Les restitutions furent toujours assez incomplètes, et malgré toutes les recherches, ces pièces, que la cité possédait encore en 1793, dont on a alors publié la liste, disparurent au retour des armées dé la république française. ( Henaux , Capitaine et Bormans - rapport au collège des bourgmestres et échevins)

Dès leur élection, les nouveaux bourgmestres, sortant de l'hôtel-de-ville, se rendaient processionnellement à St-Jacques, pour jurer de maintenir nos franchises politiques. ( Bulletin de l'institut archéologique Liégeois, VII, p 233. Sans que l'un prit le pas sur l'autre, le maitre noble et le maître plébéien, montèrent, durant plusieurs siècles, les degrés de l'escalier double du choeur, pour arriver ensemble à la tribune d'où ils prêtaient serment en regardant l’autel.

L'histoire des luttes que nos ancêtres eurent à supporter pour défendre leur constitution libérale prouve qu'au péril même de leur vie, d'illustres mandataires de la cité accomplirent ce devoir sacré.

Le beau vitrail où les blasons des métiers figurent autour de l'écusson communal, rappelle encore ce souvenir qu'a voulu consacrer, en 1535, la munificence des bourgmestres Richard de Mérode et Blavier.

Depuis la paix de Geneffe, l’élection se faisait par les patriciens et les plébéiens réunis. Mais, dit Louvrex, (Recueil contennat les édit et réglements, I, p 29) « les nobles voulant avoir encore trop d'autorité sur les plébéiens, ceux-ci demandèrent que chacun des deux corps s'assembla et fit son élection à part, ce qui leur fut accordé en 1343 par l'évêque Adolphe de la Marck dans une charte qui porta le nom de Lettre de St. Jacques. »

Le même jour de la St-Jacques, les bourgmestres portaient à l'évêque un chapeau: en reconnaissance de suzeraineté sur la libre commune.

Mentionnons encore la Paix dite de St-Jacques, conclue en 1487; reconnaissance des franchises liégeoises par l’évêque Jean de Hornes, accordée aux bourgeois dont les mandataires s'étaient renfermés dans les cloîtres de l'église et de l'abbaye, sans en sortir jusqu'à ce que leur travail eut été terminé. ( Heneaux - Histoire du pays de Liège II p 87 -- Foulon - Hist Leodiensis II p 402) L'émeute de 1646, lorsque l'évêque Ferdinand de Bavière voulut arracher aux Liégeois leur droit au gouvernement de la cité, tel que l'avait reconnu le célèbre règlement de Hinsberg, porta dans notre histoire le nom de Mal St-Jacques.

La vieille tour romane fut bientôt après le théâtre d'un attentat politique de Maximilien de Bavière contre l'un des héroïques défenseurs des franchises populaires. Au mépris du droit d'asile, sanctionné par toutes nos lois fondamentales, l'évêque, en 1684, fit saisir dans cette annexe du sanctuaire l'un des chefs du parti des Grignoux, Barazet, qui marcha fièrement à l'échafaud en appelant les Liégeois à la revendication de leurs droits méconnus et de leurs anciens privilèges. (Polain - Récits historiques, 3ed p 325)

Intimement liée à notre vie politique, la vieille église subit bien des avaries par les effets du temps, la main des hommes et les restaurations maladroites déjà mentionnées.

L'histoire de la bâtisse de St-Jacques nous a montré combien ce monument reflète d'influences artistiques différentes, sous lesquelles cependant on reconnaît une originalité que Liège peut revendiquer comme style national. L'architecture de la tour romane n'est point identique à celle des monuments du même genre édifiés en d'autres pays. Liège a aussi introduit des nuances bien reconnaissables dans ses églises en gothique lancéolé. L'imagination de nos anciens bâtisseurs a su trouver des types bien plus caractéristiques encore pour le gothique flamboyant et le style renaissance; si les superbes églises de la Normandie ont permis à de Caumont et Pugin de distinguer une école locale bien tranchée, à St-Jacques, comme an Palais, on reconnait sans peine une tradition liégeoise.

Il est facile de comprendre combien les travaux de restauration sont difficiles à notre belle église de St-Jacques. De 1833 à 1845 on s'occupa de l'extérieur de l'édifice. Le choeur fut aussi restauré sous la direction habile de M. Delsaux. M. Halkin eut ensuite à réparer la nef principale et les nefs latérales. Il put donner librement carrière à son imagination pittoresque tout en faisant preuve d'une étude profonde des règles architectoniques. Depuis lors on a fait disparaître un affreux petit théâtre, bâti dans des combles qui s'appuyaient contre la nef méridionale sujet d'indignation pour les artistes, craignant toujours qu'un incendie ne détruisit l'église; scandale pour les fidèles, dont les pieuses méditations étaient souvent troublées par les flons-flons du violon répétant quelque ariette triviale. La destruction de ce voisin incommode a laissé revoir une annexe prolongée, salle capitulaire, chapelle ou sacristie, assez délabrée, mais décorée avec une rare élégance. Quelques débris sculptés, relevés dans l'église, des chapiteaux déposés au musée archéologique, sont tout ce qui en reste aujourd'hui. L'antique bâtisse n'a revu le jour que pour tomber sous la pioche des démolisseurs. La création d'une place régulière vers la Meuse a été, assure-t-on, le motif de cette destruction que quelques antiquaires déclarent n'être qu'un regrettable vandalisme; bien faiblement compensé par l'établissement d'une, petite chapelle, complétant le transept au midi comme au bras septentrional.

D'après les plans modernes, St-Jacques semble devoir être isolé, taudis qu’au moyen-âge, cloître, monastère, demeure des clercs et dépendances de tout genre, garnissaient généralement jusqu'à un certain niveau les édifices religieux, dont l'aspect devenait plus imposant lorsqu'ils dressaient leurs sommets ouvragés au-dessus d'un cordon de bâtisses. Pour les monuments qui n'atteignent point les dimensions imposantes des cathédrales, on regrettera peut-être d'avoir trop dégagé leurs bases froidement monotones, et de ne plus offrir à l'oeil, sous tant de pinacles, de fenêtres ouvragées, de balustrades évidées, et de crétages ajourés, que des ligues simples trahissant les proportions modestes du plan.

En écoutant les doléances des archéologues, nous les avons encore entendu murmurer contre l'enlèvement d'arcatures romanes qui se développaient naguère au fond actuel de l'église, sous les orgues. Il est vrai que ce seul délai! roman dans un intérieur généralement homogène, ne s'alliait guère avec la richesse pittoresque d'une ornementation en gothique fleuri, les fantaisistes dentelles de pierre, les mignonnes sculptures du beau buffet d'orgue, les brillantes peintures de la voûte.

Mais quoi qu'il en soit des lois d'harmonie et de l'obligation de viser à l'uniformité du Style, nous regretterons toujours la destruction d’un fragment artistique datant l'une des époques pendant lesquelles se continuait la construction d'un monument historique. Proscrivant les restaurations qui sont un anachronisme dans l'édifice, nous aimons à retrouver tout le passé d'un monument; et nous respecterions volontiers d’anciens détails qui font relire, jusqu'en ses épisodes, l'histoire de la bâtisse, pourvu toutefois qu'ils ne heurtent point les lois de l'esthétique ou n’accusent une dissonance trop criarde. Ici surtout, le cordon d'arcatures à élégants chapiteaux avait trop peu de relief et d'étendue pour déparer son riche entourage. Placé au pied de la vieille tour, il formait en quelque sorte le trait d’union entre les deux corps de l'église.

La restauration des monuments historiques est loin d’être comprise par tous de la même façon. Depuis qu'on en recherche les principes, depuis surtout qu'a cessé le dédain qu'on professait pour certaines époques de nos antiquités nationales, les thèses les plus divergentes ont successivement été proposées, défendues avec éloquence. Les monuments gothiques, que pendant si longtemps bon nombre de, gens avaient traité comme l'abbé Renotte, furent surtout l'objet de ces ardentes controverses. C'est à l’éminent M. de Caumont et à l'école formée sous cet illustre maître, qu'on doit aujourd'hui une appréciation plus juste des chefs-d'œuvres édifiés au moyen-âge. L'art ogival fut préconisé avec autant de chaleur qu'on en avait mis à le dénigrer. Les Didron, les Viollet-Leduc, les Lassus, les Pugin et tant d'autres, dévoilèrent les secrets des maîtres de I'œuvre, exaltèrent le mérite de leurs créations architectoniques, Mais sous cette impulsion féconde, on vit bientôt éclore une pléiade de copistes, si épris de l'art ogival que leurs productions improvisées fatiguèrent bientôt les nouveaux convertis. Hâtons-nous de dire qu'il ne peut s'agir de ces maîtres qui, s'inspirant des règles rationnelles du beau, étudient patiemment les données logiques du style gothique et savent à la fois restaurer avec fidélité, et créer des œuvres nouvelles et originales dans le goût ancien. Au dessous d'eux, une foule d'architectes, de sculpteurs, de peintres, prodiguèrent à foison un décor prétentieux sur des lignes banales, et crurent exceller lorsqu'ils étaient parvenus à copier sans comprendre. Alors surtout qu'il s'agit d'édifices religieux, ils réprouvent superbement toute création qui n'est point gothique. Aux yeux de ces puristes, les merveilles artistiques que fit naître le christianisme chez les byzantins comme à la renaissance, les peintures des catacombes comme la basilique de St-Pierre, ne méritent point qu'on les étudie pour s'en inspirer. Hors du style ogival, point d'expression religieuse. Bien plus, des trois grandes époques du gothique, ils n'en admettent qu'une; et portant dans toutes les branches de l'art l'exclusivisme qu'on comprendrait peut-être pour la seule architecture, ils imposent à tous un cadre aussi immuable que celui des prêtres d’Egypte étouffant l'inspiration créatrice sous des règles hiératiques. Non seulement ils voudraient voir partout la copie textuelle des lignes principales, mais même des moindres détails. Les singularités, souvent accidentelles, d'anciens artistes, deviennent pour eux des modèles indiscutables. Peu importe qu’une oeuvre heurte les données rationnelles de l'esthétique; si elle appartient au passé qu'ils révèrent, l'artiste doit la reproduire servilement. Les incorrections du dessin, dues à l'impuissance de quelques vieux huchiers, leur sont même sacrées; la copie des imperfections est préférée, par eux à une création plus habile. Transportant les types d'une branche de l'art dans un autre domaine, on est allé jusqu'à attribuer à certaines fautes évidentes des moines enlumineurs la valeur artistique des plus beaux modèles. On a prôné la reproduction agrandie ou modelée de figures impossibles, qu'on transformait en peintures murales ou en statue. Les proportions du corps humain, si souvent faussées par ignorance de l'anatomie, ont, disent ces imprudents rénovateurs, une expression idéale supérieure à ce que peut donner un tracé correct. Nous avouons à regret ne pas comprendre la portée spiritualiste d'une représentation qui heurte le bon sens.

A côté de l'école des néo‑gothiques s'est formée celle des amis exagérés de l'antiquité. Pour eux, il faut remonter strictement aux plus anciens vestiges que l'on retrouve dans un monument. Ces vénérables reliques fussent elles même devenues informes et insignifiantes dans l'ensemble, elles doivent suffire à faire proscrire sans pitié toute bâtisse postérieure. Ils réclament hautement la démolition de toutes les parties d'un édifice où subsistent des construction d'une date antérieure. Sans respect pour la succession historique, sans choisir même dans un monument la portion la plus importante ou la mieux conservée pour élaguer le reste, une préoccupation archéologique prêche un vandalisme implacable au bénéfice de quelques fragments. S'exagérant l'importance d'une date, parfois difficile à établir, ou d'un débris, délaissé alors qu'il était encore bien jeune, ils réclament une restauration souvent savante, parfois très discutable, où le pastiche moderne vient remplacer des parties très intéressantes et fort importantes, condamnées à disparaître.

St Jacques se défend éloquemment contre l'application de ces règles brutales, qu'un architecte belge défendait récemment dans un congrès d'antiquaires et d'artistes. Non seulement le beau portail que protège la mémoire de Lambert Lombard, mais le choeur gothique, les orgues de Séverin et surtout la merveilleuse nef centrale de notre église liégeoise, devraient être détruits pour rechercher la ligne romane de Balderic et de Walbodon, dont nous avons encore la tour octogone. Pareille conséquence suffit à faire juger la thèse.

Heureusement qu'une autre école, sans nier la nécessité de subordonner ses conceptions au respect scrupuleux du style, comprend mieux la décoration et la restauration des anciens édifices. Etudiant avec patience les modèles légués par le passé, cherchant à doter les œuvres nouvelles du sentiment profond, du caractère religieux, qu'on ne peut méconnaitre dans les chefs d'oeuvre du moyen-âge, elle s'efforce d'allier le cachet historique avec les lois esthétiques et les exigences du sujet. Déjà, du reste, l'un des maîtres modernes les plus savants en pareille matière, M. Viollet Le Duc, s'inspirant, des monuments du style le plus pur, a fait apprécier le système des copistes qui ne veulent point choisir, et proclament parfaite et type à imiter toute oeuvre de date incontestable. Le docte auteur du Dictionnaire raisonné du mobilier, l'habile restaurateur de la cathédrale de Paris et du château de Pierrefonds, a su et osé distinguer entre les anciens artistes: les maîtres de premier ordre, et les imagiers moins bien doués dont il respecte, comme documents historiques, les œuvres incorrectes; mais en ne proposant comme modèles que les créations à la fois belles et caractéristiques des premiers. A ce système, à la fois historique et esthétique, ont été dues les superbes peintures de Flandrin dans l’église de St Germain des Prés, monument du XIIe et du XIIIe siècle; la décoration de St Germain l'Auxerrois, oeuvre du pinceau des meilleurs peintres contemporains de France, et toutes les conceptions d'un architecte belge, le regretté Durlet, qui, dans ses dessins, pour des bas‑reliefs sculptés, destinés au chœur de notre cathédrale liégeoise, cherchait, comme il nous le disait lui‑même, à donner l'expression religieuse du moyen‑âge aux figures tracées selon les classiques de l'art grec.

Le dernier projet de restauration, dessiné par M. l'architecte Évariste Halkin, et dont nous publions deux planches, est relatif à la partie la plus ancienne de l’église St Jacques, c'est‑à‑dire à la tour romane.

A St Jacques, comme ailleurs, toute entreprise de sage restauration oblige à se préoccuper exclusivement de la partie du monument à laquelle elle s'applique. Ici surtout, les divers corps de bâtisse ayant été, construits à des époques très éloignées l'une de l'autre, l'architecte devait respecter scrupuleusement le style de la portion de l'édifice à solidifier, à compléter. L'étude attentive du fragment qu'il s'agit de restaurer indique nettement les règles à suivre. 

Ainsi a‑t‑il été fait pour ce projet si bien étudié par le confrère que nous avons eu la douleur de perdre. Les plans qu'il a exécutés se rapportent aux annexes du beffroi et à la façade occidentale, restes de l'église romane que M. Weale déclare quelque peu lourds et disgracieux d'effet, mais qu'il consent cependant à reconnaître comme très caractéristique. M. Schayes, étudiant longuement St Jacques, disait : « mais ce qui manque à cet ensemble, c'est une tour et une façade dont la beauté soient en harmonie avec celle de l'église » Respectant le plan primitif de la bâtisse romane, s'inspirant surtout du principal type que nous en possédions à Liège, St Barthélémy, construit à la même époque que St Jacques, M. Halkin n'a point voulu percer un portail roman, mais seulement compléter la tour massive. M. Schayes a déjà fait remarquer que le toit à deux versants, qui environne la seconde zone de la tour, est une applique plus moderne, puisqu'il enveloppe presque toute la face intérieure du beffroi octogone.

Ce beffroi, seul clocher aujourd'hui, est très ressemblant à la belle tour de l'église Ste Croix, Il n'en diffère, ajoute le même auteur, qu'en ce que les angles le la tour de St Jacques sont ornés de pilastres, et que le tympan du gable ou fronton, couronnant chaque face de l'octogone à la naissance de la flèche, y est percé d'un œil‑de‑bœuf au lieu de deux petites fenêtres géminées.

L'absence de portail dans la façade occidentale, qui caractérise les édifices romans de Liège, passait, au siècle dernier, pour une singularité locale due aux anciens architectes liégeois, dont De Saumery raille dédaigneusement les plus anciennes bâtisses. Nous n'avons point à défendre ici les mérites incontestables du style roman des Xe et XIe siècles, qualifié de mauvais goût par l'auteur des Délices.

Les églises de cette époque possédaient entrée et portail, parfois même un narthex; on a tort seulement de les chercher là ou ils n'ont peut‑être jamais été. Bon nombre de murs occidentaux de nos plus anciennes églises ont toujours été pleins. Ils ne donnaient point accès à l'église mais entouraient au contraire l'abside et le chœur. En examinant attentivement les restes de nos monuments romans, nous avons remarqué que, tandis qu'en France l'orientation des églises de cette époque exigeait un portail occidental, il n'en était point toujours ainsi à Liège. L'usage primitif de placer les autels de façon à ce que le prêtre officiant, dont les regards doivent se diriger vers l'Est, regardât l'assemblée des fidèles, persista plus longtemps chez nous que dans les pays voisins. Là où l'on croit, par analogie, reconnaître la tour d'entrée, nos monuments religieux les plus reculés en date, offrent parfois l'antique choeur et son abside. L'abside circulaire de Ste Croix ne peut laisser aucun doute sur cette orientation exceptionnelle de nos églises romanes. A St Barthélémy, la grosse tour carrée enserrait peut‑être aussi le chœur primitif; du moins jusqu'au siècle dernier elle était restée murée et sans ouverture de passage. La gravure de Leloup, dans les Délices, nous la représente; avec la suite de baies aveugles, formées par des arcatures que des pilastres en ressaut faible séparent deux par deux ; tout comme à St Jacques où le même motif se répétait sur deux étages. Ce n'est que très récemment, lorsqu'on défigura si gauchement l'église romane de St Barthélémy; lorsqu'on cacha sous un affreux plâtras de superbes suites d'ornements dont les moulages vont, dit‑on, être édités par le Gouvernement, pour servir de modèles, tandis que les originaux sont encore enfouis sous le plâtre; qu'on perça une porte sous la tour, afin de remplacer l'entrée latérale alors existante, et qu'on fit ainsi un porche de ancien sanctuaire. A St Jacques, comme à St Denis, on n'a pas violé aussi nettement la loi du rituel qui défend de laisser fouler aux pieds l'emplacement d'un autel ; l'ancien choeur n'est devenu que la chambre basse du clocher. A Ste Croix, on vient d'y rétablir un autel; faisant ainsi contre‑abside, comme dans la belle cathédrale de Trêves.

Les deux clochers latéraux de St Barthélémy ressemblent, il est vrai, à ceux des tours d'entrée des églises de France et d'Allemagne; mais l'absence de portail, dans le mur qui aurait été la façade, suffit à confirmer notre observation. A St Denis, les reconstructions de la tour ne laissent qu'un élément de preuve à invoquer, mais il est certain qu'il n'y a pu avoir de portail dans la façade occidentale, où l'espace est occupé par les deux fenêtres aux archivoltes de cinq voussures, évidemment contemporaines de la première construction.

Une démonstration plus claire peut être déduite des tours octogones qui surplombent le massif roman en moellons. Cette tour se voit encore à Ste Croix, et se retrouve sans altération à St Jacques. Dans aucune église romane nous lie trouvons une construction de ce genre sommant un espace en retrait de l'entrée. Il est facile de reconnaître, en comparant la partie ancienne de Ste Croix avec les églises des bords du Rhin, que cette flèche octogone couronnait le maître‑autel. Or, le même couronnement paraît à St Jacques. Il doit dès lors être reconnu pour la tour centrale de l'édifice, abritant le sanctuaire, et marquant le point de jonction de la nef, des transepts et du chœur.

M. Schayes croit cependant à l'existence d'un ancien portail parmi les ouvertures aujourd'hui bouchées de la tour de St Jacques. Nous n'avons pu en trouver aucune trace. La petite ouverture percée dans la façade occidentale, puis bouchée, est carrée, basse, sans importance. Jamais elle n'a pu être un portail roman, à plein‑cintre. Il est facile de voir qu'elle appartient pas à la bâtisse ancienne. Elle n'a même pas la bordure en ressaut des baies aveugles. On l'aura percée très récemment.

L'extérieur de l’abside de St Jacques et de St Barthélemy, au lieu d'offrir le plan semi‑circulaire de l'architecture romane des pays rhénans, représentée à Liège par Ste Croix et ce délicieux débris de St Nicolas en Glain  qu'on laisse tomber en ruines dans une cour de ferme, aurait été carré; type que l'on a reconnu déjà dans des églises de France.

Comme à Ste Croix, à St Barthélemy, à St Denis, la partie romane conservée de St Jacques serait donc le chevet de l'église ancienne.

Lorsque plus tard on accola un édifice gothique au massif roman, les dispositions primitives furent renversées, et l'entrée de l'église dut être reportée vers la tour qui avait abrité le sanctuaire.

Le renversement complet de l'édifice sacré lors de la première reconstruction gothique, est un fait analogue à ce qui se passa à Rome; lorsque le pape St Adrien, adoptant l'orientation byzantine, changea complètement la disposition des basiliques qu'il faisait reconstruire, en plaçant le sanctuaire à l'est et la porte à l'ouest. Cette dernière orientation, empruntée à une nouvelle interprétation du symbolisme chrétien, généralement admise en Italie à partir du onzième siècle, ne fut pas introduite chez nous dès les premières reconstructions qui suivirent le millénium. Le docte auteur d’un remarquable travail sur l'orientation symbolique des élises chrétiennes, l'abbé Kempeneers, nous raconte les discussions que l'observation de l'ancien système fit naître entre les chanoines de l'église collégiale et paroissiale de St Benoit, à Paris. Chez nous, l'orientation byzantine ne paraît pas avoir été de règle avant la décision solennelle du Pape Innocent III. Les églises romanes de Ste Croix (978), de St‑Denis (1011), de St Barthélémy (1011), semblent avoir été tournées vers l'occident; sans doute à cause de la présence d'un collège de chanoines, ou des pères d'une abbaye. St Nicolas en Glain (1036), et St Christophe (1170), qui ne devaient point ouvrir l'abside à de pareils dignitaires ecclésiastiques, virent les autels où l'officiait ne fut plus tourné vers l'assistance; dès lors les églises s'orientèrent vers le levant.

Pour St Jacques (1016), nos annalistes sont unanimes à affirmer que c'est sous la tour actuelle qu'ont été, les deux autels érigés par l'abbé Drugon. L'autel central existait encore partiellement à l'époque contemporaine. Lorsqu'on a percé les portes nouvelles dans le flanc de la tour qui joint la nef, on a retrouvé, sous la cime du beffroi actuel, en avant de tribune romane, le noyau de cet antique maître‑autel. Sous la pierre de consécration était encore une curieuse boîte en argent contenant des reliques. L'ornementation de ce petit reliquaire, formée d'une légende en caractères coufiques, émaillés en bleu foncé, nous a fait reconnaître un butin conquis en Terre Sainte, sanctifié en échappant aux pays mahométans, et rapporté lors des premières croisades.

M. l'architecte Halkin nous parait donc avoir sagement agi, en se refusant le droit d'ouvrir, dans la tour occidentale de St Jacques, un portail dont il aurait dessiné si élégamment la riche archivolte, les voussures variées, les pieds‑droits ornés de colonnes et de statues. La tour octogone reste, dans son projet, le centre à compléter par des annexes latérales, dont il a cru reconnaître les données sur le plan géométrique de l'ensemble et même sur des pierres d'attente dans l'intérieur de la bâtisse romane encore existante. L'archéologue ne peut qu'applaudir à cette conception sagace, dont les monuments de la même époque gardent des exemples.

La tour centrale de l'église romane était souvent flanquée de tourelles latérales, plus ou moins larges, et devenant aux approches de l'époque gothique, sveltes et coquettes. Ces annexes s'ajoutaient à la bâtisse qui rappelait la tour primitive ; originairement détachée de l'église, comme le sont encore certains Campanile en Italie, et les minarets élancés des mosquées ottomanes, du haut desquels la voix du muezzin, remplaçant les cloches chrétiennes, appelle les croyants à la prière. Les tourelles se terminaient à la base du toit, sans s'élever au niveau de la tour sous laquelle se célébraient les saints mystères. Ils renfermaient les escaliers, placés en dehors pour ne pas interrompre les voûtes qui séparaient les tours en plusieurs étages. On reconnait encore à St Denis les deux tourelles latérales, moins élégantes que le clocheton roman de St Jean‑en‑Ile. Les quatre tourelles de Ste Croix, d'une coquetterie très pittoresque, flanquaient aussi l'abside, qu'elles séparaient de demi absides formant collatéraux du choeur roman; ainsi qu'on le voit dans tant d'églises de la Prusse rhénane. Parfois même on voit pour collatéraux de petites absides complètes, comme à l'église de Rosheim, dont la construction est choisie par M. Alb. Lenoir pour type du transept roman. A St Barthélémy, au lieu d'une tour centrale au dessus du sanctuaire, on ne retrouve, ainsi que nous l'avons déjà dit, que deux clochers latéraux, imposants et massifs.

St Jacques nous offre donc, dans sa tour, un intéressant spécimen, qu'il importait de conserver dans le goût rhénan. Les clochers ou clochetons, dont l'église de Notre‑Dame de Poitiers garde un si bel exemple, appartiennent aussi au même style. En France, on voit encore, auprès de la tour centrale, des tourelles on clochetons accompagnant l'abside. Décrivant les édifices du XIIe siècle, M. de Caumont nous enseigne que des clochetons, tantôt couronnés de pyramides à quatre pans, tantôt octogones comme les tours, furent placés aux angles des édifices religieux. Le docte archéologue français nous démontre aussi l'excellence des pyramides «  octogones réunissant l’élégance à la solidité et permettant d'accroitre les dimensions en hauteur. » Dans ces paroles de l'auteur du cours d'archéologie monumentale, nous possédons l'exposé des règles que le projet actuel est parvenu à appliquer.

Cherchant à faire au XIXe siècle ce que l'on s'était proposé au XIIe, M. Halkin a suivi le plan de la bâtisse et les lignes faciles à reconnaître sous des réparations moins consciencieuses. La tour actuelle de St Jacques ne nous présente plus qu'un massif dont toutes les fenêtres ont été bouchées. On voit, au‑dessus d'un soubassement sans ornements, une suite d'arcatures divisées deux par deux par des pilastres. Un tronçon de l'étage supérieur, grossièrement reconstruite en briques au siècle dernier, formant sur les trois façades un large pignon en fronton, supporte le toit à deux pans d'où émerge à peine le beffroi octogone engagé dans cette disgracieuse bâtisse. Le projet de M. Halkin, qu'on appréciera facilement en jetant un simple coup d'œil sur la première planche, fait disparaître cette déplaisante addition du siècle dernier.

Il rétablit telle qu'elle était la partie inférieure de la tour, en rouvrant les ouvertures, et en remplaçant les pierres formant saillie, là ou elles sont trop défectueuses pour pouvoir être conservées. De cette assise, s'élèvent à droite et à, gauche les deux nouveaux clochers, destinés à flanquer le beffroi octogone tout en le laissant apparaître au centre dans toute sa hauteur. Les faces des deux nouveaux clochers répètent le motif inférieur des arcatures géminées, séparées par un pilastre. Pour unir ces deux clochers, et relier à l'ensemble le beffroi actuel, l'architecte propose d'élever un mur que couronne un pignon à arcatures, dont le faîte s'arrête avant d'arriver à niveau de la fenêtre centrale de la tourelle octogone. Cet amortissement en mitre laisserait se dessiner séparément les deux clochers latéraux, remplaçant la section du mur qui, s'il faut croire la gravure de Leloup dans les Délices, faisait de la seconde zone de la tour, la répétition exacte de la zone inférieure posée sur le cordon du soubassement extérieur. Le haut des deux clochers comprend un troisième étage largement ajouré pour laisser échapper le son des cloches. Deux fenêtres géminées, en plein cintre, occupent toute la largeur de cette partie de la façade de chaque clocher. Elles sont séparées par une colonne engagée posant sur le cordon, autour de laquelle, au niveau des baies, s'élèvent deux autres colonnes aussi engagées, faisant pieds-droits sous l'entablement d'une archivolte simplement ornée d'un rang de billettes espacées. Les chapiteaux de ces colonnes sont cordiformes, à la feuille d'eau antique contournée en crochets dans le goût roman; les bases se composent d'un tore et d'une baguette, séparés par une scotie. Sur l'arcature, qui, somme la troisième zone, quatre pignons enserrent une flèche octogone. Des modillons supportent ces pignons, où l'on retrouve la combinaison caractéristique de la fenêtre géminée surmontée d’un oeil-de-boeuf.

Un fleuron très simple, largement dessiné pour donner son effet à la hauteur où il doit se placer, termine chacun des pignons garnissant la bise de la flèche des clochetons.

Entre le soubassement et le dernier cordon, on se bornera, en renouvelant les moellons de grès, à copier fidèlement les vestiges encore existants. L'étude attentive des fondations et des assises construites ou préparées, l'examen de nombreux monuments de la même époque, permettent de croire que la tour aujourd'hui existante a dû être flanquée de deux clochers analogues qui n'auront jamais été achevés, et qui devaient, comme le dit M. Schnaase, se rattacher à la masse du couronnement central pour ne former qu'un seul groupe d'une imposante unité.

La construction de ces clochers était chose plus délicate.

Pour se conformer aux principes du style, en laissant un soubassement brut, il fallait diviser la hauteur de ces clochers en plusieurs ordres d'élévation égale. Les fenêtres, que l'architecte moderne, imitant ses prédécesseurs romans, dispose en nombre impair, les arcades bouchées et les arcatures, ont suffi à leur ornementation; sauf à la corniche qui porte les pignons, où l'architecte place des corbeaux en consoles soutenant un quart de rond chargé de billettes: motif d'ornementation qui paraît déjà à l'époque gallo romaine, puis qui devient si fréquent, que M. de Caumont le considère comme le plus caractéristique des constructions normandes élevées jusqu'à ce que le style roman cédât la place à l'architecture ogivale.

L'absence d'éléments encore complets a obligé à innover, pour élever les clochers; mais en étudiant les lignes existantes et les motifs les plus purs du style roman, l'architecte a tracé tous les détails que reproduit notre seconde planche, où les archéologues reconnaîtront sans peine des bases, des chapiteaux, des moulures, des corniches rampantes, parfaitement homogènes.

En puisant ainsi dans les reliques du monument lui‑même, en complétant les dessins par des compositions nouvelles qui respectent scrupuleusement le style étudié dans ses lignes générales, en étudiant les motifs accessoires des meilleurs types de la même époque, notre regretté confrère a pu espérer que son travail consciencieux compléterait I'oeuvre du maître du XIIe siècle; sans que le crayon moderne vint en rien déparer la conception ancienne.

M. l'abbé Bourassé, répétant les divisions proposées par M. de Caumont, dans ses études sur l'architecture qui a précédé le gothique, attribue à la troisième époque qu'il reconnait dans ce style, pour laquelle il admet le nom de romano‑byzantine (1100 à 1200), la découverte de l'art d'appuyer, au sommet des tours carrées et massives, des clochers octogones. Ces élégants beffrois remplaçaient le comble en pierre, pyramidal ou conique, le plus souvent quadrangulaire, du siècle précédent ; se terminant brusquement en pointe obtuse. Durant la première époque du roman, que nous nommons généralement byzantine, tandis que les archéologues allemands l'appellent carolingienne et que M. Bourassé la qualifie de romano‑byzantine primordiale (400 à 1000), les tours, nécessitées par l'usage des cloches, devenu liturgique en 605, s'élevèrent surtout au IXe siècle, écrasées et quadrilatérales. Elles étaient surmontées d'un toit sans élégance, à double égout, ou pyramidal à quatre pans. Les faces étaient percées d'ouvertures en plein cintre, sans aucun ornement, A la seconde époque (1000 à 1100), apparaissent des fenêtres géminées à l'archivolte déjà ornée, dont les ornements se multiplient au XIIe siècle avec une riche variété; en même temps que les portails acquièrent toute leur richesse, et que l'on voit apparaître les magnifiques roses ouvragées dont le style gothique accroîtra encore la splendeur. A l'époque que représente donc le beffroi octogone de St Jacques, le style obligeait à allonger les lignes, à élever les tours en pyramides aigues jusqu'à une hauteur considérable. C'est ce qu'a fait M, Halkin dans le plan que nous avons sous les yeux. Conservant à la fois le pignon du beffroi et la fenêtre géminée surmontée de l'œil de boeuf, il couronne ses tours de flèches octogones comme le faîte central. Une suite d'arcatures s'étend sous les corbeaux qui supportent la corniche des nouveaux pignons.

Les observations que nous nous permettrions de faire sur ce projet, ne portent que sur des détails peu importants du tracé si habilement crayonné par notre regretté confrère.

Les pignons, qu'il a placés sur les deux tours latérales, nous paraissent bien aigus pour une construction romane, et plutôt proportionnés selon les données du tiers‑point gothique, dans lequel l'ogive s'inscrit si naturellement. En diminuant quelque peu leur élévation, de façon à donner à l'angle supérieur l'écartement en degrés du grand pignon de la façade et des petits pignons du clocher actuel; l'homogénéité serait peut‑être plus grande et le dessin plus rigoureusement correct. Remarquons cependant, pour être justes, que les pignons des clochers romans de St Barthélemy offrent aussi la forme aigue que Villard de Honnecourt indiquait dans son album sous le nom de Quint-point. 

Si notre observation était admise, il faudrait par suite modifier, sinon les proportions de la fenêtre géminée percée dans les nouveaux pignons, au moins les dimensions de l’oeil‑de‑bœuf qui domine le meneau central. On éviterait de cette façon la nécessité de sommer ces hauts pignons d'un motif sculpté; ornementation peu fréquente dans les monuments du style de la tour et faisant du reste complètement défaut sur le sommet des pignons du beffroi. On arriverait ainsi à ramener, avec plus de précision, la hauteur des nouvelles flèches à des mesures plus conformes à celles des différentes zones des clochers.

Les restaurations patientes et rationnelles sont chose difficile et laborieuse. Leur succès est certain lorsqu'en présence du monument complété, on reconnait l'oeuvre primitive. Bien souvent, dans les arts, le résultat harmonique qui n'étonne point la foule, et dont l'observateur superficiel ne devine point l'effort, est précisément le fruit d'une méditation puissante et d'une patiente gestation. Dans le domaine de l'idéal, la simplicité est le but le plus difficile à atteindre; la vérité, le thème le plus difficile à résoudre.

Quand il s'agit de compléter surtout, la tâche la plus ardue est de deviner la pensée du créateur primitif, d'élaguer toute parure des modes passagères que n'imposent point les lois de l'esthétique. Si quelque jour, dans les combles d'un monument restauré par nos maîtres modernes, on retrouvait l'antique dessin comme on a découvert l'album de Villard de Honnecourt, on s'étonnerait peu en constatant que le travail contemporain a exécuté le projet originaire. Lorsque Michel‑Ange complétait les statues antiques que la renaissance exhumait du sol de l'Italie, la trouvaille de débris, d'abord perdus, est venue confirmer l'imitation fidèle et savante du maître du seizième siècle.

C'est en observant les mêmes principes que doivent travailler les artistes appelés à parer un monument antique du mobilier qui a disparu, ou d'objets dont l'usage n'était point imposé autrefois.

L'ameublement actuel de nos églises ne serait pas complet s'il ne comprenait un de ces Chemins de la Croix devant lequel les fidèles viennent méditer et prier afin de gagner les indulgences nombreuses jadis accordées aux rares pèlerins qui pouvaient aller visiter pieusement les Saints lieux de Jérusalem. Cette dévotion, aujourd'hui si répandue, qui fait réclamer de nos peintres et de nos sculpteurs des œuvres nombreuses, n'est cependant pas ancienne; et les archéologues ne peuvent guère indiquer aux artistes des modèles complets, d'une date contemporaine à celle des églises où l'on place ces saintes images.

On peut rappeler sans doute de nombreuses représentations de la crucifixion, du calvaire, remontant à une époque reculée; mais la suite des épisodes sacrés, qui forme aujourd'hui le Chemin de la croix, n'a pas été traitée d'une façon complète par les artistes byzantins, romans ou même gothiques. Le crucifix de Sarzana, avec les petites peintures du bas, datant de 1138, n'offre point toutes ces scènes de la passion du Christ. Le tableau de Heilsbronn près de Nuremberg, du commencement du XIIIe siècle, est un peu plus complet; sans cependant présenter les quatorze stations, non plus que les vieilles peintures murales, les sculptures extérieures de quelques églises romanes et de l'époque ogivale, les bas‑reliefs des jubés, les sculptures des retables, les repoussés des devant d'autel en métal, ou les brillantes verrières jadis nommées la Bible des pauvres. En récapitulant même les œuvres des grands maîtres de la Renaissance, dispersés dans les églises, les palais, les musées où les collections d'Europe, on ne pourrait réunir toutes les scènes admises par la liturgie actuelle. L'histoire des institutions rituéliques nous prouve que la pieuse coutume qui fait parcourir le Chemin de la croix, dans nos églises, ne remonte guère en Europe qu’à deux siècles.

Depuis qu'en 1219, St François d'Assise, alla, avec douze moines, se vouer à la garde des lieux saints, ces religieux y établirent bientôt la procession quotidienne qui parcourt chacun des endroits que la tradition fait révérer comme le théâtre de la passion du Christ. Sur la foi des chroniqueurs qui ont raconté la première croisade, notre confrère, a retracé, dans la grande salle du palais ducal de Bruxelles, cette visite aux sanctuaires accomplie par Godefroid de Bouillon; lorsque le vaillant conquérant, maitre de Jérusalem, consacra sa victoire en s'empressant de parcourir pieusement les autels ruinés que Ste Hélène avait fait édifier sur la voie douloureuse.

A toutes les époques où l'accès de l'antique Sion fut possible aux chrétiens, les pèlerins s'associèrent à cet acte de dévotion persistant depuis les croisades, et auquel les papes accordèrent de nombreuses indulgences. Le nombre des pèlerins étant toujours très restreint, et la Palestine restant fermée à certaines époques, les frères mineurs de l'ordre de St François cherchèrent à suppléer à ces pieux pèlerinages par des crucifix joints à des images, ou même par de simples croix dont chacune rappelait l'un des principaux épisodes de la passion du sauveur. De nombreux brefs, dont le plus ancien remonte à 1686, attribuent aux Franciscains le pouvoir d'attacher à ces Stations les indulgences réservées autrefois aux seuls pèlerins de Terre Sainte. Cette concession ecclésiastique ne s'appliqua d'abord qu'aux églises et aux oratoires possédés par les fils de St François.

Au siècle dernier, un nouveau décret l'étendit à tous les endroits consacrés au culte, et même aux Chemins de la croix établis en pleine campagne; comme nous en avons vu si souvent, sur les flancs d'une montagne au sommet de laquelle se dresse une église ou une modeste chapelle. C'est aux missions prêchées par les frères Rédemptoristes, que Liège doit l'introduction des Chemins de la croix, dont les plus anciens ne remontent qu'à une quarantaine d'années. Le nombre des stations ne fut pas toujours constant. Les capucins, dans leurs exercices de piété, n'en admettaient que sept, commençant à l'agonie du Christ. A Vienne, suivant une ordonnance archiépiscopale de 1797, il n'y en a que onze. Nos Chemins de la croix liégeois en comptent quatorze; dont le rituel détermine nettement la disposition dans l'église, et dont le sujet trace un programme précis et détaillé auquel se conforment nos jeunes artistes.

D'après les décrets récents de la Congrégation des rîtes, (30 janvier 1839, 22 août 1842, 14 juin 1845), quatorze petites croix de bois forment exclusivement l'objet de la bénédiction de l'église et l'emblème auquel elle attache des indulgences. A ces croix, dit l'un de ces documents, ou joint d'ordinaire des représentations des quatorze stations de la passion du christ pour exciter la dévotion des fidèles et préciser le sujet de leur méditation. Ces images sont généralement peintes, Parfois on se borne à suspendre aux murs de l'église des estampes banales, dont le cadre est surmonté de la croix rituélique. Un heureux essai, pour concilier le style de ces stations avec celui de l'église où elles se placent et pour échapper à la monotonie d'une imagerie bien souvent indigne des pensées qu'elle doit éveiller, vient d'être réalisé à Caen, dans la belle église de la Trinité, si bien étudiée par MM. de Caumont et Pugin. Quatorze tableaux, disposés en quadrilobes,  peints sur fonds d'or, nous ont montré récemment un Chemin de la croix, traité dans le genre des miniatures du XIIe siècle, ou des petits personnages émaillés, selon le goût byzantin, sur des autels portatifs et des reliquaires, annonçant déjà les types raides et les images cernées des plus anciennes verrières. Depuis quelque temps, dans nos églises gothiques, on a remplacé les tableaux, difficiles à placer contre les murs richement ornementés d'ogives et de moulures, par des sculptures faisant corps avec l'édifice et s'harmonisant beaucoup mieux avec la décoration générale de l'architecture du moyen‑âge. Ces représentations sculptées des stations se retrouvent ainsi en divers pays. Dans la cathédrale d'Evreux, superbe type du gothique flamboyant de la Normandie, nous avons aussi noté un Chemin de la Croix en pierre.

On pourrait aisément discuter l'idée de ces décorations en relief, qui vont souvent, jusqu'à oublier l'emblème liturgique que les rîtes catholiques consacrent exclusivement. Les croix en bois devraient rester l'objet principal des quatorze stations, et non pas figurer accessoirement ou même demeurer écartées. Dans les églises gothiques surtout, les formes élégantes et variées que les anciens huchiers ont donné à l'image du gibet rédempteur, fournissent de riches motifs qui se placeraient à merveille dans les baies bouchées des bas‑côtés des nefs latérales. En disposant ainsi quatorze grandes croix en bois ouvragé, il serait facile de réserver au centre de chacune d'elles, un médaillon, peint sur bois ou sur toile, sculpté en chêne, en pierre ou en marbre, rappelant l'épisode spécial offert à la méditation des fidèles. De cette façon, sans rompre avec l'usage habituel, on se conformerait plus exactement aux principes de la liturgie qui conseille seulement d'adjoindre la représentation des scènes de la Passion, comme tableaux accessoires des croix en bois. Les artistes qui s'occupent de décoration religieuse trouveraient aussi pour les Chemins de la Croix des cadres plus variés et en tous cas plus faciles à harmoniser avec les belles lignes en pierre, dont les anciens maitres de l'oeuvre savaient parer richement l'intérieur des édifices consacrés au culte. En étudiant le style de l'église, nos artistes peuvent, au prix de peu d'efforts, composer des représentations qui, loin de déparer l'ornementation architectonique, la complètent, l'enchérissent. C'est ce qu'a fait M. Jules Halkin pour les quatorze grands bas reliefs sculptés en pierre pour l'église St Jacques, et dont nous publions deux stations. Dans le cadre tracé par l'architecture, le bas relief avait à lutter contre des difficultés sérieuses; les saillies étaient strictement régies par les lignes architectoniques, et cependant l'unité du sujet devait se révéler au moindre coup d'oeil dans un ensemble correct et harmonieux.

L'église St Jacques est loin encore d'être complète; mais en examinant rapidement le projet proposé pour la tour romane, et les bas‑reliefs sculptés des stations, nous avons cru pouvoir indiquer les bases rationnelles de sa restauration et des travaux du même genre a exécuter dans nos édifices historiques.

Eugène M. 0. DOGNEE.

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