Et l’autre:
Claret Aquis sane tua quâ valeat manus arte.
Tous deux nous entretiennent du poète et semblent indiquer qu’il s’était représenté lui-même dans ses fresques d’Aix la Chapelle et de Liège. Selon toute apparence, ils étaient écrit sur des phylactères, selon l’habitude du moyen-âge (10). Le second est d’une interprétation un peu difficile, en ce sens qu’on ne se rend pas compte du thème pictural qu’il sert à illustrer.
Le biographe admire les peintures de Jean. Ce qui en reste est bien supérieur, selon lui, aux peintures plus récentes qui les ont remplacées. Nous ne sommes pas à même de contrôler la valeur de ce témoignage.
Voilà ce que le Vita Balderici nous ait connaître au sujet de notre artiste. Il n’en parle d’ailleurs que tant que sa biographie est mêlée à celle de son héros, l’évêque Balderic. Il nous sera bien permis de dépasser ce cadre et de nous informer ailleurs encore. Nous avons vu, en rectifiant un souvenir un peu brouillé du biographe, que Jean a dû être le protégé de Notger, et que c’est à ce prélat qu’il avait été recommandé par Otton III. Or, Notger, qui avait rempli d’églises neuves la ville et le pays de Liège, et dont nous savons qu’il les a ornées de toute manière, ne se sera certainement pas privé des services que pouvait lui rendre le pinceau de jean. Et ce n’est pas s’avancer outre mesure que de croire qu’il avait précisément appelé notre artiste dans ce but. Selon toute apparence, Jean aura orné de ses peintures le chœur et les murs de Saint Lambert, et probablement d’autres églises encore. La totale disparition de ses œuvres dès le siècle même qui les vit produire nous interdit d’aller plus loin dans le champ des suppositions. Mais ce n’est pas une raison pour laisser dans l’oubli le souvenir de cet artiste pieux qui, dit Gilles d’Orval, « vécut à Saint Jacques d’une vie angélique, toute entière consacrée à la lecture et à la prière, et qui mourut dans une bonne vieillesse (11).
La tombe de jean se trouvait à Saint jacques dans la nef latérale de gauche, près de l’autel de Saint Lambert (12). L’épitaphe, d’après ce que nous avons vu plus haut, n’a été composée qu’assez tardivement et pas avant la publication du Vita Balderici. Encore faut il remarquer que les deux derniers vers sont de date postérieure. Ils sont ainsi conçus:
Dicta ferunt patrum, signis hoc glorificatum
Corpus, translatum ter et hic meruisse sepulcrum (13)
On voit par ce vers qu’à la date de 1250 environ le corps avait été l’objet d’une triple translation (14), et qu’il avait fait des miracles. Liège s’honorait donc de son bienheureux jean, comme Florence de son bienheureux Angelico. Quoi qu’il en soit, le grand art national qui fait la gloire de la Belgique est né à Liège, sous les auspices de la religion et à l’ombre du sanctuaire.
Godefroid KURTH
(1) Vita Balderici episcopi Leodiensis, dans Monumenta Germaniae historica, Scriptores, t. IV, pp. 724-738. Les parties de cette vie qui concernent le peintre Jean sont les chapitres 13-20. pp. 729-732
(2) Dans Gilles d’Orval (MGH., t. XXV), 11, 61, p.65
(3) « Ne ergo vir tantus ob varias occupationes intra curiam suam aiquam sustineret penuriam, eumdem episcopa nostro commenda vit » Vita Balderici (MGH., t. IV, c, 14, p. 730.
(4) « VII idus septembris, » dit le Vita Balderici, c. 19, p. 731. Lambert le petit, suivi par Gilles d’Orval, dit « VIII idus septembris, » cequi donnerait le 6 de ce mois, mais il y a lieu de s’en tenir au témoignage du Vita, qui est plus autorisé.
(5) « Otto... mansionem accepit in Aquensi pilicio, ut in regia sede et publicae rei domicilio. Ubi aliquandiu commemoratus, ejusdem loci capelam studio devocionis regiis muneribus et bonis honoravit et quod deerat ad decorem ipsius capellae supplere animum intendit. Necdum enim color alicujus picturae eamdem ab Italia arcessivit, et ut doctas manus huic applicaret negotio, oravit et imperavit, etc: » Vita Balderici, c. 14, p. 730.
(6) Jean D’OUTREMEUSE, t. IV, p. 195, sait naturellement ce que la source du XI, siècle ignore. Le peintre Jean était de Lombardie, nous dit-il dans un passage qui contient encore une autre erreur, et qui de plus, semble corrompu. Le voici : « Li evesque Johain, qui fut de Lormbardie, que l'empereire Octon l’avoit envoieit en exilhe, et li pape ?, droit à Liége estoit deleis l’evesque, et Baldris oevroit par son conselhe, ect. »
(7) HERIS. Mémoire sur le caractère de l’école flamande de peinture sous le règne des ducs de Bourgogne, dans Mémoires couronnés de l’Académie royale de Belgique, coll. In-4°, t. XXVII (1855-1856) p. 57.
(8) Le même, loc. cit.
(9) M. J. HELBIG écrit prudemment: « le peintre et évêque Jean, que les chroniques font italien, mais dans lequel d’autres prétendent voir un artiste grec. » La peinture au pays de Liège et sur les bords de Meuse, 2e édit., p. 7. Je voudrais pouvoir me ranger à l’avis du même érudit, lorsqu’il écrit, loc. cit.: « Ce qui semble certain, c’est que Jean a fait un séjour assez prolongé à l’abbaye de Saint Gall. » Le peu que nous savons de Jean ne nous fournit aucun motif de nous rallier à cette conjecture.
(10) Le bon Jean d’Outremeuse, lui, a, comme toujours, un renseignement bien plus intéressant: « Ilh fut après l’emperere qui voit les peintures tant suffisantez, si exscript par deleis chest vers, en quel li evesque Johain parloit en disant: « A patrie nido rapuit me tercius Otto » (Ly myreur des Histors, t. IV, p.197).
(11) « Eo tempore in prefato cenobio sancti jacobi conversans Johannes episcopus, vitam ducebat angelicam, lectioni et orationi vacans. Qui vocatus a Domino in senecute bona viam universe carnis ingressus est. » Gilles d’orval, I.II, 61, p. 65.
(12) Gilles d’Orval, I.11, 61, p. 65. Et non de Saint André, comme dit le distrait jean d’Outremeuse, t. IV, p. 198, parlant cependant d’après Gilles d’Orval. Le nom d’André revient sous sa plume ici, parce qu’il l’avait écrit quatre lignes plus haut.
(13) Le texte porte sepultum, qui est évidement une leçon fautive.
(14) « Au XVIe siècle, » dit M. J. HLEBIG, op. Cit., p. 9, « le tombeau fut renouvelé lors de la reconstruction de l’église. » Il se trouvait alors sous l’arcade qui sépare le chœur de la chapelle de Notre Dame des sept Douleurs.
Sous l’abbé Pierre Renotte (1741-1764), grand vandale devant l’Eternel, cette arcade fut masquée par des boiseries et par des tableaux qui cachèrent également le tombeau du peintre jean, si bien qu’on oublia où il se trouvait. « On remarquait cependant, » dit E. Lavalleye, dans la préface de L’église Saint Jacques à Liège (in-4°, Liège, 1845), p. 8, note 8, « dans la première sacristie de Saint jacques redevenue aujourd’hui une chapelle sous le vocable de Notre Dame des Sept Douleurs, derrière l’autel de la Vierge, une statue en pierre de sable, couchée sur un sarcophage, occupant toute la partie inférieure d’une arcade du chœur cachée depuis longtemps sous de méchants tableaux qui ont disparu depuis. Cette statue était connue de quelques personnes sous le nom de jehan l’consieu, Jean le conseiller. Guidés par cette tradition populaire, MM. Le doyen Van Hex, Bovy, Davreux et Jénicot firent soulever, le 27 septembre 1839, cette statue, et ils reconnurent qu’il existait au dessous un petit coffre en bois de chêne. Ce coffre, de 65 centimètres de longueur sur 35 de largeur et 28 de hauteur, contenait tous les os d’un squelette d’homme de taille ordinaire. Ces os étaient placés pèle mêle dans une serviette de chanvre à dessins en losanges et recouverts d’une lame de plomb, de 23 centimètres de longueur et de 4 de largeur, sur laquelle était gravée en caractères gothiques, avec abréviations, l’inscription suivante… »
Notre auteur reproduit ensuite, non sans de graves inexactitudes, la dite inscription, que je restitue comme suit après en avoir résolu les abréviations:
Hujus venerabilis (a) episcopi ossa levavit dum magnificaret ecclesiam dominus Johannes abbas XXXVIIIus anno XVI° mil CCCCC nativitatis (b) et iterum reconditit (c) anno XXIIII° die VI mensis augusti sub domino cardinali et episcopo Leodiensi Erardo.
(a) Urbis lavalleye.
(b) Le texte porte atenutis (atenutus Lavalleye), mot inexistant. Qu’a-t-on voulu écrire? Je remarque qu’il y a au dessus de l’u un signe d’abréviation consistant en une espèce de tréma (¨) qui reparait trois fois dans l’inscription, et cahque fois pour représenter une syllabe dans laquelle entre la lettre a: levit por levavit, magnifiret pour magnificaret, cardili pour cardinali. En tenant compte de ce fait ainsi que du contexte, je propose de lire nativitatis.
(c) Lavalleye lit regdidit, prenant pour un g le signe d’abréviation de la syllabe con.
La brochure continue:
« Quelques jours après cette importante découverte, le conseil de fabrique de Saint Jacques ayant fait faire un nouveau coffre, garni de plomb, les restes précieux de jean l’italien y furent déposés, ainsi que deux exemplaires du procès verbal de l’ouverture et du replacement, dont un était gravé sur plomb et le second écrit sur parchemin. On joignit à ces deux actes le plomb qui avait été trouvé à l’ouverture du coffre »
Ces mesures de précaution étaient excellente; ce qui l’était moins, ce fut la malencontreuse idée qu’on eut alors de boucher par une maçonnerie la belle arcade qui s’ouvrait au dessus du tombeau, et de détruire celui-ci pour procéder à un si bel ouvrage. Il reste dans le grenier de Saint Jacques et dans la chapelle septentrionale du transept quelques fragments du tombeau, ainsi que de la statue d’évêque couchée qui le surmontait.
L’arcade fut rouverte en 1883 sous le décanat de Mgr Schoolmeesters, qui qui a l’honneur d’avoir admirablement restauré le superbe sanctuaire de Saint Jacques. On retrouva alors les fragments sépulcraux dont je viens de parler.
L’inscription que nous en fîmes suggéra à Mgr Scoolmeesters l’idée d’ouvrir le coffre qui contient les ossements du peintre Jean; il en retira la lame de plomb de 1516, ainsi que celle de 1839 dont voici l’inscription:
Ossemens de jean, évêque italien ami de Baldéric II, recueillis en 1516 par jean de Cromois, XXXVIII abbé de Saint Jacques, qui les fit transporter de la chapelle de Saint André à cette place. Le 27 septembre 1839, ces restes furent découverts par MM. Jacquemotte, vicaire général, Van Hex, curé de Saint Jacques, Jénicot, conseiller de la fabrique, Bovy, docteur en chirurgie, Davreux, professeur de chimie, et remis avec l’inscription qui accompagnait ces ossemens dans une nouvelle boite et déposés de nouveau dans le même lieu.