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Notice sur les recluseries du Moyen-Age

par le curé doyen J. Cruls

dans Le Saint Sacrement et l'église St Martin à Liège, 1881.

Pour bien comprendre la vie de la bienheureuse Eve, l'illustre Recluse de Saint‑Martin, il faut savoir ce que furent au moyen‑âge les Reclus et les Recluses. C'est ce qui fait le sujet de cette courte notice.

Nous avons cru bien faire d'y ajouter un aperçu de cette belle institution dans le diocèse de Liège. Pourquoi abandonner, sous la poussière des temps, toutes ces perles précieuses qui lui appartiennent et donneront un nouvel éclat à sa brillante couronne? Pourquoi d'ailleurs laisser dans l'oubli ces merveilles de la grâce divine? Il n'est pas sans quelque importance de faire connaître à notre siècle si frivole, ces grandes âmes qui étonnèrent le monde par l'éclat de leurs vertus. Ce spectacle ne peut manquer de lui faire comprendre ses folies et de lui rappeler ses destinées éternelles.



CHAPITRE I.


I.

La vie religieuse est née avec l’Eglise; mais elle ne fut pas organisée d'emblée telle que nous la voyons aujourd'hui.

A leur origine, les religieux appelés anachorètes, vivaient dans les déserts, isolés les uns des autres. Mais bientôt l'ivraie se mêla au bon grain, et ils sentirent le besoin de se rapprocher et de vivre sous la direction commune d'un maître expérimenté.

C'est ce qui donna naissance aux Laures, qui furent comme des colonies d'ascètes dirigées par un abbé. Les cellules faites de troncs d'arbres, ou creusées dans la terre, étaient rapprochées les unes des autres; mais les religieux n'avaient aucun rapport entre eux, la soumission à une méme autorité était le seul lien qui les unissait.

Saint Hadelin fonda, au septième siècle, une laure à Celles, près de Dinant, dans le diocèse de Liège. Au dixième siècle, une autre fut fondée par Godéran à Liège même, dans les bois de Saint‑Gilles.

Cependant cette organisation de la vie religieuse ne répondit pas encore à tous les besoins de l'âme; on comprit les dangers de l'isolement, et la nécessité, pour la faiblesse humaine, d'être constamment surveillée et encouragée par l'exemple des autres.

Aussi vit‑on bientôt les Laures remplacées par les Cénobies. Les Cénobites, sans avoir une règle commune, vivaient sous la direction d'un abbé. Les samedis et les dimanches, ils se réunissaient à l'église autour de laquelle leurs cellules étaient rangées: ils prenaient également leurs repas en commun.

Ce fut à cette occasion que surgit une controverse entre Cassien et saint Jérôme. Celui‑là donnait la préférence à la vie des Anachorètes, celui‑ci, instruit par l'expérience, enseignait que la vie cénobitique était plus à l'abri des tentations et répondait mieux aux besoins du cour et de l'âme.

La doctrine de saint Jérôme l'emporta. La vie cénobitique elle‑même fut abandonnée, surtout en Occident, et remplacée par la vie de communauté parfaite. Grâce à la puissante impulsion des Athanase, des Ambroise, des Augustin et des Jérôme, elle se développa rapidement; et au sixième siècle, saint Benoît de Nurcie fonda ces grands monastères qui donnèrent tant de saints et de savants à l’Eglise de Dieu.

Toutefois, malgré cette tendance générale des âmes vers la vie de communauté, celle des Anachorètes ne fut jamais entièrement abandonnée. De tout temps, il y eut, tant en Occident qu'en Orient, des hommes qui préférèrent la vie isolée à la vie commune. Animés de l'esprit de Dieu, ils ne se contentèrent même plus de l'isolement des anciens Anachorètes: ils firent au Seigneur le sacrifice entier de leur liberté, ils se renfermèrent seuls et pour toujours dans d'étroites prisons.

Telle est l'origine des Reclus.


II.

Le nom de Reclus, qu'on donnait à ces âmes d'élite, vient du mot latin inclusus, reclusus, et signifie renfermé.

Dans le pays de Liège, on se servait, pour les désigner, d'un mot qui exprime parfaitement leur genre de vie; on les appelait Empirés. C'est ainsi qu'un chanoine de Saint‑Martin déclare dans son testament vouloir être enterré dans la collégiale, près du tombeau de l'Empirée, mot wallon qui signifie empierrée, murée, emmuraillée, parce que la demeure des Reclus était ordinairement entourée de hautes murailles, et que l'entrée en était fermée de façon à rendre leur sortie impossible

Le lieu de leur retraite se nommait en latin inclusagium, clusorium, reclusorium, et en français cellule, cluse, recluserie.

On appelait donc autrefois Reclus ceux qui, dans le but de se livrer sans obstacle aux exercices de la vie spirituelle, se renfermaient librement et pour toujours dans une clôture tellement rigoureuse, qu'ils n'avaient plus, pour ainsi dire, de rapport immédiat avec les hommes.

On le voit, le but du Reclus était le même que celui de l'ermite et du religieux vivant en communauté: la Sanctification et le salut de soit âme; seulement, il employait pour l'atteindre des moyens différents: son isolement était plus parfait, son silence plus profond, son renoncement plus absolu.

La vie de réclusion était considérée comme l'idéal, le couronnement de la perfection religieuse; aussi l'entrée on cellule n'était‑elle accordée dans les monastères, qu'aux religieux modèles.

L'institution des Reclus date des premiers siècles de l'Eglise. Saint Paul d'Egypte, qui vécut de 229 à 343, et passa quatre‑vingt‑dix ans dans sa caverne, sans en sortir jamais, doit être regardé comme le patriarche des Reclus.

Sainte Synclétique, qui naquit en Macédoine vers le milieu du troisième siècle, et vécut près de cinquante ans dans un ancien sépulcre, voisin de sa ville natale, est la fondatrice des Recluses.

L'Orient est donc le berceau des recluseries, comme il l'est de la vie monastique. Il serait difficile de préciser l'époque où ce genre de vie religieuse fut transporté en Europe. Comme selon l'usage établi en Orient, dans presque chaque monastère, un ou deux religieux vivaient retirés dans une cellule, il est à présumer que la vie de réclusion fut introduite en Occident avec la vie monastique, vers la fin du quatrième siècle.

Cependant, malgré toutes nos recherches, nous n'en avons pas trouvé de traces avant la première moitié du cinquième siècle. Saint Eucher, évêque de Lyon, peut être considéré comme le premier fondateur des recluseries latines. Des Gaules, cette institution se répandit dans les autres contrées de l'Europe.

Quant à la Belgique, elle n'eut pas, croyons‑nous, de reclus avant le septième siècle. A l'Eglise de Liège revient la gloire d'avoir offert à Dieu les prémices de cette vie angélique. Vers l'an 650, sainte Landrade vécut en cellule et embauma du parfum de ses vertus les solitudes de Munsterbilsen.

La vie de réclusion ne commença à fleurir en Europe qu'au onzième siècle. Au quinzième, le nombre des recluses surtout fut extrêmement grand dans notre pays, et plus particulièrement dans le diocèse de Liège. Les troubles du seizième siècle portèrent un coup mortel à cette merveilleuse institution; elle s'éteignit vers la fin du dix‑huitième siècle. La dernière recluse mourut à Louvain, près de l'église Saint Jacques, en 1789 (1). Jans quels lieux les Reclus et les Recluses établirent ils de préférence leur retraite? A l'origine ce fut loin du monde, dans les déserts, où ils se cachaient, soit sur des montagnes inaccessibles ou dans les profondeurs des cavernes, soit dans quelque ruine abandonnée. Plus tard, chaque monastère eut régulièrement quelques reclus, vivant en cellule dans l'enceinte du cloître. Saint Grégoire de Tours rapporte dans son Histoire des Gaules, qu'il y avait des religieuses recluses dans le monastère de Sainte‑Croix, à Poitiers.

Vers le dixième siècle, on commença à construire des cellules à proximité des abbayes, ou près des églises collégiales et paroissiales. A partir du quatorzième siècle, le diocèse et surtout la ville de Liège, comptait un très grand nombre de Recluseries paroissiales, habitées par des personnes pieuses tant séculières que religieuses. Nous donnerons plus tard sur ces recluses quelques détails que l'histoire nous a conservés.

 

CHAPITRE Il.

I.

L'institution des Recluseries suivit le cours ordinaire des choses humaines; elle s'organisa insensiblement. A son origine, elle n'eut d'autre règles que les inspirations de la grâce. Sous cette direction, elle fit de grands progrès et atteignit d'un bond les hauteurs de la perfection religieuse.

Cependant, on le comprend facilement, cette indépendance absolue devait à la longue donner lieu à de graves abus. Les âmes fortement trempées sont rares, tandis que le nombre des esprits légers, faibles et inconstants est excessivement grand. Aussi l'histoire nous parle‑t‑elle de reclus qui, succombant à l'ennui inséparable de l'isolement, scandalisèrent le monde par leur vie déréglée et leur apostasie.

II.

Au cinquième siècle, l'Eglise jugea le moment venu de prendre des mesures pour prévenir ces scandales et assurer l'avenir de cette belle institution: elle prescrivit donc quelques règles fondamentales.

Ainsi, en 465, le Concile de Wormns décrète que les abbés des monastères ne pourront admettre à la vie en cellule que les moines longuement éprouvés. Leur cellule sera dans l'enceinte du monastère, et une règle de vie austère leur sera remise le jour de leur entrée.

Dans la suite, plusieurs Conciles renouvelèrent ces prescriptions.

En 692, le Concile de Constantinople statue que l'évêque n'admettra à la vie en cellule que ceux qui auront fait quatre ans de probation dans un monastère. Leur reclusion sera perpétuelle; ils ne sortiront de leur retraite qu'avec la bénédiction de l'évêque et seulement en cas de danger de mort ou d'utilité générale.

Le reclus qui transgressera cette loi, sera maintenu de force dans sa cellule, et condamné au jeûne et a d'autres pénitences.

En 787, le Concile de Francfort défend d'admettre qui que ce soit à la vie de reclusion, sans l'autorisation soit de l'évêque du lieu, soit de l'abbé du monastère.

L'autorisation préalable de l'évêque fut toujours exigée.

Guido, légat du Saint‑Siège à Liège, prescrit: « que personne ne pourra être introduit eu cellule qu'avec la permission de l'évêque (2). »

En 1499, Jean de Hornes autorise Elisabeth de Honsem, terciaire de saint François, à entrer en cellule près de l'église de Saint‑Jacques, à Louvain.

En 1565, Barbe Belen, religieuse professe de l'ordre des Chartreux, est autorisée par Maximilien de Bergues à habiter la cluse de l'église de Laeken (3).

III.

Outre ces lois générales de l'Eglise, l'histoire nous a conservé deux règles détaillées de la vie des Reclus.

La première fut composée, vers la fin du neuvième siècle, par un prêtre pieux et savant, nommé Grimlaïc (4). La seconde date du douzième siècle; elle a pour auteur le bienheureux Aëlred, abbé du couvent de Revesby, dans le Lincolnshire (5).

Ces deux règles se conforment scrupuleusement aux prescriptions fondamentales de l'Eglise. Elles diffèrent très peu dans les détails.

En voici le résumé

Un moine ne pouvait être définitivement admis à la vie de reclusion qu'après une année de probation en cellule; il lui fallait, en outre, l'assentiment de tous les religieux du monastère et I'autorisation de l'abbé.

Les prêtres séculiers et les laïcs qui désiraient embrasser ce genre de vie, devaient préalablement avoir l'assentiment de l'évêque, et faire deux années de noviciat sous la surveillance et la direction de son délégué.

C'est ainsi que Jean de Homes autorise Balthasar de Couzomble, religieux franciscain, et Renier Van der Elst, curé de Saint‑Jacques à Louvain, d'introduire dans la cellule de la dite église Elisabeth de Honsem, et de l'admettre définitivement à la vie de reclusion, à condition qu'elle y fasse probation et qu'ils la jugent appelée à ce genre de vie.

Les Reclus et les Recluses faisaient les voeux ordinaires de religion et celui de clôture perpétuelle. L'évêque leur déclarait, qu'en cas d'infidélité à leurs saints engagements, le Seigneur les condamnerait aux peines éternelles de l'enfer (6).

La pauvreté prescrite aux Reclus et aux Recluses était excessivement rigoureuse. Possédaient‑ils quelque argent ou quelque bien, ils étaient astreints avant d'être introduits, à s'en dessaisir en faveur des pauvres, du monastère ou de l'église. Ils vivaient du travail de leurs mains. Ordinairement, l'entretien des ornements et du linge de l'église leur était confié; et si l'état de leur santé ne leur permettait pas le travail manuel, ils devaient se contenter du pain de la charité. Toute épargne leur étant interdite, la personne attachée à leur service devait distribuer aux pauvres leur superflu de chaque jour. Leur demeure était d'une exiguïté et d'une misère extrêmes. Selon la règle de Grimlaïc, elle ne pouvait dépasser dix pieds de longueur.

Il est raconté dans la vie de sainte Colette, recluse à Corbie, en France, que tout le mobilier de sa cellule se composait d'un petit meuble, servant, à la fois d'armoire et de garde‑manger, de quelques vases de terre et autres ustensiles à l'avenant, et de deux ou trois escabeaux de bois. Un crucifix, une image de la sainte Vierge et quelques livres de piété faisaient toute sa fortune.

Cependant, au quinzième et au seizième siècle, il n'est pas rare de voir la charité chrétienne, émue de compassion pour ces pauvres Recluses, faire des fondations en leur faveur. En 1412, le Chapitre de la collégiale de Saint‑Jean‑Evangéliste, à Liège, payait une redevance annuelle aux Recluses de Saint Martin en Ile, de Saint Servais, de Sainte Catherine, de Saint Thomas et de Saint Remacle au Pont (7).

En 1536, Henri Baers, trésorier de l'église Saint-Pierre à Louvain, laisse à chacune des cinq cluses, situées à Louvain et dans les environs, un revenu annuel de vingt sous (8). En 1565, Jean de Berghes, en autorisant Barbe Belen à habiter la cellule de l'église de Laeken, déclare la mettre en possession des droits, fruits et revenus attachés à la dite cluse.

Les Recluses ne pouvaient recevoir de visite qu'avec l'autorisation de leur supérieur, et, sauf quelques rares exceptions, une tierce personne devait assister à leurs entretiens avec les gens du dehors; jamais il ne leur était permis de paraitre devant qui que ce fût, qu'avec le visage couvert d'un voile noir. La lucarne par laquelle elles communiquaient avec les visiteurs, était munie d'une grille et d'un rideau. Elles ne pouvaient recevoir ni lettres ni cadeaux.

Elles étaient soumises à un supérieur, nommé soit par l'abbé du monastère, soit par l'évêque du lieu, et elles lui devaient une obéissance absolue. En 1565, Maximilien de Berghes, archevêque de Cambrai, nomma le curé de la paroisse de Laeken confesseur et visiteur de Barbe Belen, recluse de la dite église.

Leur clôture était absolue et perpétuelle. Il leur était défendu de sortir sous peine d'excommunication. L'Eglise n'admettait à cette règle que deux exceptions: celle du danger de mort et le cas où le bien général réclamerait leur mise en liberté. C'est ainsi que sainte Colette, appelée à réformer l'ordre de Saint-François d'Assise, dut, avant de sortir de sa cellule, demander au Souverain Pontife la dispense de son voeu de clôture.

Molanus rapporte dans son Histoire de Louvain, que la cluse de Saint‑Quentin, n'étant pas attenante à l'église, dut être abandonnée, précisément parce que la Recluse était forcée de sortir de la clôture, pour assister aux offices.

On cite de saint Druon, reclus à Sebours, à deux lieues de Valenciennes, le fait suivant: sa cellule étant en feu, le saint homme refusa d'en sortir par respect pour son voeu de clôture. Le Seigneur récompensa sa fidélité; la cellule fut réduite en cendres, mais le serviteur de Dieu fut trouvé au milieu des ruines fumantes, sain et sauf, les genoux en terre et les yeux fixés sur le tabernacle (9).

Le jardinet ordinairement attenant aux Recluseries, était entouré de murailles très élevées et très épaisses. A l'origine, il existait des cellules dont la porte d'entrée était murée. Pallade et Rufini, visitant au quatrième siècle saint Jean de Lycopolis, reclus sur un des rochets du mont Lyko, ne trouvèrent pas d'entrée à sa retraite. Il en fut de même de la vieille tour habitée par saint Hospice, vers le milieu du sixième siècle. On lui passait par une étroite lucarne les choses nécessaires à la vie; à l'approche de sa mort on dut pratiquer une ouverture pour lui administrer les Sacrements.

La recluse du monastère de Sainte‑Croix à Poitiers, dont saint Grégoire de Tours donne la merveilleuse histoire (10), était véritablement pour nous servir de l'expresssion liégeoise, empirée dans sa cellule.

Dans la suite, on se contenta de fermer à clef la porte d'entrée des Recluseries, mais la clef était confiée au délégué de l'évêque. La cellule de Bergues‑Saint‑Pierre, habitée au seizième siècle par Marie Robyns, était fermée à trois clefs.

L'usage de sceller la porte des Recluseries remonte aux premiers siècles de l'ère chrétienne. Au quatrième siècle, saint Paphnuce renferma la pécheresse Thaïs, devenue une grande sainte, dans une cellule et en scella l'entrée avec du plomb.

Plus tard les rubriques prescrivirent à l'officiant d'apposer sur la porte le sceau de l'évêque soit de l'abbé du monastère (11).

Les Recluses vivaient donc dans une séparation presque absolue du monde. Une personne attachée à la Recluserie, leur procurait les choses nécessaires à la vie; il ne leur était pas même permis de distribuer, par elles‑mêmes, leur superflu aux pauvres, ni d'instruire les petits enfants.

Outre les austérités inhérentes à leur genre de vie, les Reclus et les Recluses étaient astreints à de grandes pénitences corporelles. Ils jeûnaient tous les jours de l'année, et n'étaient dispensés de l’abstinence qu'en cas de maladie. L'usage des instruments de pénitence était très commun parmi eux. Osilia, Recluse au treizième siècle à Saint‑Séverin, était chargée de chaînes. Sainte Colette portait constamment deux chaînes hérissées de pointes aiguës, dont l'une lui servait de ceinture et l'autre se croisait sur sa poitrine.

Afin de se mettre à l'abri des tentations que fait naître l'oisiveté toujours mauvaise conseillère, les reclus avaient une vie très occupée. La récitation du saint office, la méditation, la lecture spirituelle et l'adoration du très saint Sacrement absorbaient une grande partie du jour et de la nuit; l'autre partie était consacrée à l'étude et au travail manuel.

Quant au costume, les Reclus et les Recluses appartenant à un ordre religieux, portaient celui de leur ordre; les Reclus séculiers, un manteau noir, et les Recluses, une robe de couleur cendre et un voile noir sur la tête.

IV.

Quel était le but de cette vie de reclusion? Ou plutôt que furent ces grandes âmes dans les desseins de la divine Providence? Il est incontestable que le Seigneur les suscita pour servir d'intermédiaire entre le ciel et la terre. Ce furent comme autant de Moïses, envoyés loin dit champ de bataille pour obtenir à l'Eglise le triomphe sur les persécutions, les hérésies et les scandales; ce furent comme autant de contre poids aux iniquités du monde.

Cette vérité est capitale et devrait être mieux comprise de nos jours; elle tient au fondement de notre sainte religion. Qu'est‑ce, en effet, que la religion catholique? Pas autre chose que le genre humain coupable, pardonné et sauvé par l'immolation d'une grande victime, par la mort de notre Seigneur Jésus‑Christ.

Nous sommes tous frères, par conséquent solidaires les uns des autres. De même que les crimes des coupables appellent sur nos têtes les vengeances divines, ainsi les prières, l'innocence et les vertus de nos saints arrêtent le bras du Seigneur, prêt à nous frapper, et font descendre sur la terre les bénédictions du ciel.

A la prière d'Abraham, le Seigneur se déclare disposé à épargner Sodome et les autres villes coupables, s'il s'y trouve dix justes (12).

Jérusalem s'est souillée de crimes: le Seigneur veut la livrer à la fureur des Assyriens; une seule chose peut encore calmer son courroux et sauver la malheureuse ville: c'est la présence d'un seul juste dans ses murs.

« Va, prophète, dit‑il à Jérémie, parcours les rues de Jérusalem et regarde bien, cherche partout sur les places publiques; si tu trouves un homme qui accomplisse la justice et recherche la vérité, je pardonnerai à toute la ville. » (Jérémie, chap. V.)

Qui n'admirera, dit ici saint Jérôme, le prix d'un juste, d'un innocent, d'un saint aux yeux de Dieu? Il ne dit plus comme autrefois à Abraham: « Je pardonnerai à toute la ville, pourvu qu'il s'y trouve dix justes, il dit: Pourvu que j'en trouve un seul à Jérusalem, je pardonnerai à toute la ville pour l'amour de lui.

Concluons de là, ajoute le même saint, quelle haute estime nous devons avoir pour les gens de bien, et combien ils sont utiles à leur pays, quand bien même il ne font autre chose que prier et pratiquer les vertus chrétiennes. »

Ce premier avantage des Recluseries avait certainement une bien haute importance; mais en voici un second, qui nous fera regretter à jamais la ruine de cette magnifique institution: c'est que nos Recluses demeuraient près du tabernacle et adoraient jour et nuit le très saint Sacrement.

 Certainement la sainte Eucharistie est par excellence le Sacrement de l'amour divin; mais elle ne nous impose pas moins de redoutables devoirs: Jésus‑Christ, présent dans le très saint Sacrement, est confié à notre garde; nous sommes responsables des honneurs dus à sa majesté, et le compte que nous en rendrons à la justice de Dieu n'est pas une de nos moindres terreurs.

Jésus‑Christ, notre Seigneur et notre Dieu, est réellement et personnellement présent dans nos saints tabernacles; il ne les quitte jamais, ni le jour ni la nuit. N'est‑il pas de toute évidence qu'il ne peut nous être permis de le laisser seul, méme un instant? Nous le savons, des légions d'anges remplissent nos temples, et ne cessent de l'adorer et de chanter son amour; cette pensée est certainement bien douce pour les coeurs qui l'aiment. Cependant elle ne saurait nous rassurer entièrement; car enfin c'est par amour pour nous, et non par amour pour les anges, que le divin médiateur demeure dans nos tabernacles; c'est donc à nous de demeurer auprès de lui.

Comment donc! Chaque nation se croit obligée d'envoyer ses soldats garder nuit et jour le palais de son prince et lui rendre les honneurs dus à sa dignité, et il pourrait nous être permis d'abandonner dans l'isolement de son tabernacle le Roi des rois, le Seigneur des seigneurs, Celui à qui revient tout honneur, toute gloire! Le respect, l'amour et la reconnaissance ne nous imposent‑ils pas le grave devoir de placer une garde d'honneur près de son sanctuaire? Au moins faudrait‑il constamment, la nuit comme le jour, auprès de Jésus‑Christ, un délégué, un représentant de l'humanité.

Eh bien! Cette grande pensée qui répond si bien aux sentiments d'un coeur chrétien, les Reclus et les Recluses la réalisèrent, dans les limites du possible. Comme leurs cellules étaient généralement adossées aux églises, très souvent au choeur, ils passaient la plus grande partie du jour et de la nuit en adoration devant le très saint Sacrement. Jésus‑Christ n’était jamais seul.

C'était, dans le sens propre du mot, l'adoration perpétuelle du très saint Sacrement. La Recluse vivait de la charité publique: elle était auprès de Dieu comme la déléguée des fidèles. Ainsi c'étaient les fidèles qui adoraient jour et nuit Jésus‑Christ renfermé dans le tabernacle. Quelle source de grâces et de bénédictions pour le peuple de Dieu! Nous ne doutons guère que ce ne fût la bienheureuse Eve, qui mérita à la paroisse de Saint‑Martin l'inappréciable faveur de devenir le berceau de la Fête‑Dieu.

Voilà ce que furent les Reclus et les Recluses dans les vues de la divine Providence: d'innocentes victimes s'immolant pour le salut du monde; de puissants paratonnerres, si l'on nous permet cette figure, s'élevant de tous les points du globe, et le protégeant des foudres de la justice de Dieu; des âmes qui ne cessaient jour et nuit de lever les mains au ciel, de prier pour la conversion des pécheurs; des saints, délégués par les fidèles, pour adorer constamment en leur nom le très saint Sacrement.

V. CÉRÉMONIES D'UNE ENTREE EN CELLULE.

Un reclus était aux yeux des peuples un être sacré, mis à part comme une victime choisie de Dieu, et déjà marquée du sceau des prédestinés; l’Eglise elle‑même se complaisait à l'environner d'un pieux prestige; elle unissait sa mystique sépulture avec tout le solennel appareil des funérailles chrétiennes (13).

L'introduction d'une religieuse du monastère de Sainte‑Croix, à Poitiers, racontée par saint Grégoire de Tours, prouve que dès l'origine, l'entrée en cellule se faisait avec beaucoup de solennité.

Martène, dans son ouvrage: De antiquis ritibus (14), donne tous les détails de cette cérémonie, tels qu'il les a trouvés décrits dans les règles de Grimlaïc et dans un ancien rituel manuscrit de l'église de Soissons.

C'était ordinairement l'évêque du lieu ou l'abbé du monastère qui présidait.

On commençait par chanter les litanies des saints. Ensuite l'officiant célébrait la messe, pendant laquelle la postulante restait prosternée à terre devant le très saint Sacrement. Plusieurs cérémonies étaient empruntées à l'office des morts. Après le saint sacrifice, l'évêque, revêtu des ornements pontificaux, avertissait la postulante des difficultés de la vie qu'elle voulait embrasser, et de la gravité des obligations qu'elle allait contracter. Il recevait ensuite ses voeux.

L'officiant entonnait alors le psaume Verba mea continué par le clergé, et immédiatement suivi des psaumes: Dominus regit me - Domines illuminatio mea - Quemadmodum desiderat cervus - Exaudi Deus deprecationem meam - Quam dilecta, - Confitebor tibi- Domine in toto corde meo, - Voce mea.

Après le chant des psaumes, la postulante allait se prosterner aux pieds de l'officiant et de tous les prêtres présents à la cérémonie, et les suppliait de prier pour elle.

Ensuite l'évêque, entouré du clergé, entonnait le psaume Qui habitat et conduisait la posituIante, couronnée de fleurs, jusqu'à l'entrée de la cellule. Après avoir bénit la demeure, il l'y introduisait en chantant le psaume Exaudiat me Dominus. Puis, pendant que le clergé chantait l'antienne : O clavis David, l'évêque fermait l'entrée de la cellule, y apposait son sceau, et en confiait la clef à son délégué.

VI.

Superficiellement considérée, cette vie de reclusion porte l'épouvante dans l'âme. A la seule pensée de cet isolement absolu qui ne finira qu'à la mort, la pauvre nature frisonne, le sang se glace dans les veines. Aux yeux des hommes sensuels et mondains, cette cellule murée est pire qu'une prison. Cela se comprend: à ceux qui ne cherchent d'autre société que celle des créatures, d'autres jouissances que celles du monde et des sens, le tombeau doit paraître préférable à cette profonde solitude. Pauvres mondains, qu'ils sont aveugles!

L'histoire des Reclus le prouve surabondamment. Saint Paul d'Egypte, en entrant dans sa caverne, se promit bien d'en sortir après la persécution; mais il trouva dans sa prison tant de douceurs spirituelles, qu'il ne put se résoudre à la quitter. Saint Antoine, renfermé dans sa vieille ruine, fut assailli de fidèles qui le supplièrent de sortir enfin de sa retraite et de fonder un monastère pour eux. Après une longue résistance, il céda enfin à leurs prières. Mais quel ne fut pas leur étonnement, en le voyant apparaître tout rayonnant de santé, portant sur le front la douce empreinte de la paix et de la joie! Ils se crurent en présence d'un bienheureux du Ciel.

Nous ne pouvons ici résister au plaisir de transcrire an passage de saint Grégoire de Tours, où cette vie de reclusion est présentée sous les plus riantes couleurs.

« Une jeune religieuse du monastère de Sainte‑Croix, à Poitiers, dit‑il, eut une vision qu'elle rapporta à ses soeurs. Elle se crut en voyage à la recherche d'une source d'eau vive. Chemin faisant, elle rencontra un homme qui lui dit: « Si tu veux trouver la fontaine d'eau vive que tu cherches, suis‑moi. » Elle le remercia et le suivit. Ils arrivèrent en effet à une source abondante, dont les eaux limpides et les bords fleuris resplendissaient aux rayons du soleil comme le diamant aux mille couleurs. « Voici, lui dit le guide, la fontaine que tu as cherchée avec tant d'avidité: désaltère‑toi maintenant, et qu'elle devienne pour toi la source d'eau vive jaillissant jusque dans la vie éternelle. » Tandis que la jeune religieuse étanchait sa soif, elle vit venir à elle sainte Radegonde, abbesse du monastère, qui lui mit sur les épaules un manteau royal, tellement brillant d'or et de pierres précieuses, que l'oeil pouvait à peine en supporter l'éclat. « C'est l'Epoux céleste, lui dit‑elle, qui t'envoie ce cadeau. » Quelques jours après, la religieuse demanda à la mère abbesse de lui faire préparer une cellule; celle‑ci fut bientôt achevée. « Voici la cellule, lui dit Radegonde, que désires‑tu maintenant? « « D'y être renfermée, » répondit la religieuse. Cette permission lui fut accordée: l'abbesse la prenant par la main, la conduisit à la cellule, au milieu des soeurs de la communauté chantant en choeur les psaumes et portant chacune un flambeau allumé. Elle leur fit ses adieux, et les ayant toutes embrassées, entra dans la cellule, et l'ouverture en fut murée. Elle y vit encore aujourd'hui, ajoute saint Grégoire, toute adonnée à la prière et à la lecture (15).

 

CHAPITRE III.

LES RECLUSERIES DANS LE DIOCÈSE DE LIÈGE.

 

L'Eglise de Liège, sortie en quelque sorte du sang de saint Lambert, fut de tout temps féconde en saints. Rien ne manqua à sa gloire: ni le zèle des apôtres, ni la foi des confesseurs, ni la science des docteurs, ni l'héroïsme des martyrs, ni la pureté des vierges, ni les prodiges des extatiques et des stigmatisées. Hâtons-nous d'ajouter que les Recluses, ces grandes merveilles de la grâce, ne lui firent pas défaut. Elle en compte un grand nombre, et parmi elles, des âmes providentielles, telle que la bienheureuse Eve de Saint-Martin, à qui elle doit, en grande partie, la plus pure de ses gloires.

I.

L'origine des Recluseries dans l’Eglise de Liège, semble dater du septième siècle. Sainte Landrade, fondatrice de Munsterbilsen, paraît être la première qui embrassa la vie de réclusion.

Elle naquit vers 630. Aussi illustre par ses vertus que par sa naissance, elle mena, dès sa plus tendre jeunesse, une vie extrêmement pénitente. La terre nue, arrosée de ses larmes, lui servait de couche; le pain, trempé dans l'eau, était sa nourriture; un horrible cilice, son vêtement; et elle pleurait les péchés d'autrui comme les siens propres. Il lui restait une seule jouissance, celle de demeurer près de son père et de sa mère. Elle résolut d'en faire le sacrifice, et se retira dans les forêts de Munsterbilsen; elle y construisit de ses propres mains une petite cellule et s'y renferma.

Entièrement libre et dégagée de toute entrave, elle fit des progrès merveilleux dans la perfection chrétienne; le Seigneur la favorisa de grâces extraordinaires. Un jour, pendant une des extases qui lui furent familières, elle vit descendre du ciel une croix lumineuse d'une grande magnificence, et entendit une voix qui lui dit: « Laudrade, reçois de ton immortel Epoux ce gage de son amour; Celui qui, par sa mort sur la croix, restaura toutes choses, t'envoie cette croix en souvenir de ses fiançailles avec toi. »

La sainte construisit à côté de sa cellule un petit sanctuaire en l'honneur de la très Sainte Vierge Marie; saint Lambert vint consacrer l'oratoire et donner en même temps le voile a l'épouse de jésus‑Christ.

Laudrade ne resta pas longtemps seule dans sa retraite. Le bruit de ses vertus y attira une foule de jeunes vierges, qui se mirent sous sa direction; et cette solitude, qui avait été un repaire de bêtes sauvages, devint une terre de saints.

Vers 690, notre sainte tomba malade, et désira ardemment que saint Lambert fût présent a sa mort; mais le saint évêque fut devancé par le Seigneur. Landrade lui apparut en chemin, toute brillante de gloire, et lui annonça son décès; elle ajouta qu'une lumière céleste lui indiquerait le lieu de sa sépulture.

Le saint évêque, passant près de Wintcrshoven, vit cette localité toute resplendissante d’une lumière extraordinaire, et comprit que c'était là que l'iIlustre vierge voulait reposer.

A son arrivée a Bilsen, il trouva toute la population sur pied, prête a enterrer la sainte. Lambert fit connaître la volonté de la Bienheureuse; mais il rencontra de la part du peuple une telle résistance, qu'il se vit forcé d'inhumer a Bilsen les restes précieux de Landrade.

Trois jours après, il ordonna d'ouvrir le tombeau en présence de toute la population; mais quelle ne fut pas la stupéfaction de la foule! Le corps de la sainte avait disparu avec le sarcophage, dans lequel il avait été déposé!

Saint Lambert se rendit en toute hâte a Wintershoven, et fit creuser la terre à la place marquée d'une croix lumineuse. Aux premiers coups de pioche, le sarcophage apparut, contenant la dépouille mortelle de la Bienheureuse.

Grâce à ce prodige, la dévotion des fidèles pour sainte Landrade prit aussitôt un grand développement; et le Seigneur se complut à exalter sa fidèle épouse par de nombreux miracles. Les malades et les infirmes trouvèrent aide et secours auprès de son tombeau.

Sainte Landrade, en quittant Bilsen, y laissa son esprit; et de nos jours encore Wintershoven est embaumé du parfum de ses vertus.

II.

Au huitième siècle, une grande pécheresse, après avoir affligé l'Eglise par ses scandales et ses crimes, la consola par sa conversion et son austère pénitence: nous voulons parler d'Alpaïde... Pépin de Herstal s'éprit d'un amour coupable pour cette femme, soeur ou proche parente de Dodon, chambellan de la maison du prince.

Sous les dehors d'un caractère doux et aimable, elle cachait une ambition profonde; elle alla jusqu'à exiger du prince l'éloignement de son épouse Plectrude.

Tandis que l'entourage de Pépin gardait le silence, et que les courtisans, selon leur coutume, flattaient bassement Alpaïde, saint Lambert fidèle à son devoir, ne craignit pas de reprocher au prince sa conduite scandaleuse, et de le menacer de la colère de Dieu. Pépin, la rougeur au front, ne pouvant résister à la voix de Lambert, promit de renvoyer sa concubine et de reprendre son épouse; mais les larmes d'Alpaïde firent bientôt évanouir les bonnes dispositions de ce cour faible et corrompu.

Redoutant l'influence du saint évêque, la malheureuse chercha dès ce moment à s'en débarrasser, et l'occasion se présenta bientôt.

Pépin, ayant invité saint Lambert à un grand festin, lui présenta sa coupe de vin à bénir. Le saint avait déjà la main levée, lorsqu'il vit Alpaïde présenter également la sienne. A cette vue, saisi d'indignation, « Voyez donc, dit‑il au prince, l'impudence de cette femme scandaleuse qui voudrait me rendre son complice; » et en disant ces paroles, il se leva de table et sortit du palais.

Alpaïde crut le moment venu de se venger de son mortel ennemi: elle chargea Dodon de l'exécution de son projet. Celui‑ci, à la tête d'une troupe de gens armés, transperça d'un coup de lance le saint évêque, prosterné au pied de la croix.

La vengeance céleste ne se fit pas longtemps attendre; plusieurs des assassins, possédés du démon, s'entretuèrent, et Dodon ainsi que ses principaux complices, périrent de mort violente, avant la fin de l'année.

Alpaïde seule fut épargnée; peut‑être dut‑elle son salut aux prières de celui‑la même qu'elle avait fait mourir par la main de son complice; elle devint, comme Marie‑Madeleine, un prodige de la miséricorde et de la grâce de Dieu.

L'horrible mort de son parent et des autres assassins de l'évêque martyr jeta l'épouvante dans son âme. En expiation de ses crimes et de ses scandales, elle fit construire à Orp une église en l'honneur de la très Sainte Vierge et de saint Martin, et y fonda un monastère de religieuses. Ensuite elle s'enferma dans une étroite cellule, adossée à l'église, et y passa le reste de ses jours dans les austérités de la pénitence (16)

Une autre Recluse illustra l’Eglise de Liège vers la fin du huitième siècle, la princesse Berthe, fille du grand et saint empereur Charlemagne.

Dégoûtée des grandeurs terrestres, elle fit construire l'église de Visé, et, près de cette église, une recluserie. Sur son invitation, le pape Saint Léon III, accompagné de l'empereur et de cent cinquante évêques, vint la consacrer. Berthe demanda d'habiter la pauvre cellule, et elle obtint cette faveur de l'empereur, son père. Est‑ce le Pape lui‑même qui l'y introduisit? On penche à le croire. Quoiqu'il en soit, il est certain que Berthe y vécut en pauvre et sainte Recluse. Elle fut inhumée dans l'église de Visé, et le Seigneur glorifia son tombeau par de nombreux miracles (17).

III.

L'histoire de la princesse Berthe nous amène à celle d'une autre princesse, sainte Relinde, qui embrassa, au neuvième siècle, la vie de Recluse dans le diocèse de Liège.

ZwenliboId, roi de Lorraine, prince profondément pieux, convaincu d'ailleurs que la religion est la seule base solide des Etats, fut le défenseur de l'Eglise et n'eut rien tant à coeur que de relever les temples et les monastères, ravagés par la fureur des Normands.

Il avait trois filles, Bénédicte, Cécile et Relinde.

Entrainées par le doux attrait de la grâce, elles embrassèrent toutes trois la vie religieuse dans le monastère de Zusteren, que leur père avait relevé de ses ruines. Dirigées par sainte Amalberge, alors supérieure du monastère, elles furent bientôt les modèles de la communauté; et Bénédicte et Cécile devinrent successivement abbesses du couvent.

Relinde, la cadette, ne fut pas la dernière en vertu. Après quelques années de vie religieuse, elle quitta Zusteren, pour commencer une vie plus pauvre, plus pénitente et plus solitaire; son âme réclamait une cellule de recluse. Elle partit, remonta le cours de la Meuse, et s'arrêta à Flémalle‑Grande, près de Liège. Zwentibold, se rendant aux instances de sa fille, y construisit un sanctuaire en l'honneur de la très sainte Vierge, et à côté de l'oratoire, une cellule pour servir de demeure à Relinde. C'est dans cette étroite solitude que l'humble princesse passa le reste de ses jours, tout adonnée à la prière et aux austérités de la pénitence.

A sa mort, le Seigneur proclama à la face du monde, par de nombreux et d'éclatants miracles, l'éminente sainteté de son épouse.

IV.

« L'esprit de Dieu souffle où il veut. » Le Seigneur se plaît, en effet, à choisir ses élus dans toutes les positions sociales tantôt il les prend sur les degrés du trône; tantôt il va les chercher dans ces réduits obscurs où gémit la misère; souvent parmi ces âmes douces et simples qui ont conservé pure et blanche la robe de leur innocence baptismale; quelquefois aussi parmi celles qui l'ont traînée dans les sentiers du vice. Voici, entre mille, un fait à l'appui de cette vérité.

Godéran vivait dans la seconde moitié du dixième siècle. Il était français d'origine et sortait des dernières classes de la société. Il exerçait, comme gagne‑pain, le métier de saltimbanque. Le Seigneur ne l'abandonna pas dans ses courses à travers le monde. A mesure qu'il avançait en âge, des pensées de plus en plus sérieuses occupaient son esprit; enfin, un jour, il reconnut l'abîme où le conduisait cette vie de vagabondage, et se décida à entrer dans une meilleure voie.

Les bois de Saint‑Gilles à Liège étaient devenus un repaire de voleurs et d'assassins. C'est là que Godéran voulut se fixer dans le but de protéger les voyageurs et d'héberger les pauvres. Bientôt le nom de Godéran fut dans toutes les bouches. Une multitude de personnes de toute condition accouraient, les unes pour le voir et l'entendre, les autres pour lui demander des prières, d'autres encore pour demeurer près de lui et travailler, sous sa direction, à leur sanctification.

Godéran, voyant combien le Seigneur bénissait son entreprise, construisit, sur les hauteurs de Publémont, une église en l'honneur de saint Gilles, et autour de ce sanctuaire, un certain nombre de cellules. Bientôt ces saintes demeures furent habitées par des femmes pieuses qui, dégoûtées du monde, vinrent s'y renfermer.

Parmi ces recluses se distingua plus particulièrement une veuve, nommée Judila, que son historien n'hésite pas à appeler une « sainte femme, bien‑aimée du Seigneur. » Elle mourut dans sa cellule et fut enterrée à côté de saint Godéran, devant l'autel de Saint‑Denis et de Saint‑Lambert.

V.

Vers l'an 1065, une recluse nommée Cunégonde habitait une cellule près de l'église de Saint‑Pierre, à Liège. Elle y mourut après une vie extrêmement austère, et y fut ensevelie à côté de son père Gozélon, comte d'Amberloux.

Vers la même époque, une autre recluse, Osilia, native de Liège, se distingua par sa pénitence. Etant devenue veuve, elle entretint des relations coupables. Le Seigneur, dans sa miséricorde, mit fin à sa vie criminelle par la mort de son complice. Osilia, éclairée, conçut une telle horreur de ses désordres, qu'elle résolut de les expier.

A cette fin, elle fit construire une cellule près de l'église de Saint‑Séverin, et obtint l'autorisation d'y vivre en recluse. Elle s'y livra à toutes les rigueurs de la pénitence. Son historien nous la représente chargée de lourdes chaînes, et pleurant tellement ses iniquités, qu'à la fin ce ne furent plus des larmes, mais des gouttes de sang qui coulèrent en abondance de ses yeux.

Un jour ses chaînes se brisèrent et tombèrent à ses pieds. Cet événement l'inquiéta: « Le Seigneur refuserait‑il d'agréer ma pénitence? » se demanda‑t‑elle ; et, voulant désarmer la justice de Dieu par sa constance, elle se chargea de nouvelles chaînes. Elle exposa sa peine à l'abbé de Sainte‑Marie, chanoine de Saint-Lambert, qui rendit la paix à son âme.

Osihia, consolée, continua sa vie pénitente sous la sage direction de Dom Marie‑des‑Rosiers, abbé du Val Saint Lambert, et mourut dans sa cellule vers l'an 1200, en odeur de sainteté.

Cette sainte Recluse vécut‑elle en cellule près de l'église de Saint‑Séverin à Liège, ou à Saint‑Séverin en Condroz? l'histoire ne le dit pas.

VI.

C'est au douzième siècle, que les Recluseries prirent un grand développement dans le diocèse de Liège.

Rechulde était recluse à Saint‑Jean‑Evangéliste à Liège; sa soeur Marguerite, devenue veuve, y prit sa place. En 1177, elle fonda dans cette église la lampe du très saint Sacrement et une messe anniversaire pour le repos de son âme et de celle de son époux Oviri (18).

L'église de Saint‑Barthélemy à Liège avait également une recluserie. Elle était habitée au douzième siècle par la soeur Osilia.

Vers la même époque, Reinwidis, dame noble de Ruremonde, habitait celle de Kloosterrade.

Mais hâtons‑nous d'aborder l'histoire de la bienheureuse Ivette de Huy, qui fut, une des gloires de cette belle institution.

Ivette naquit à Huy, vers 1157, de parents fortunés. Sa première éducation fut plus mondaine que religieuse. A peine âgée de treize ans, elle fut donnée en mariage à un jeune homme de haute distinction.

Malheureuse dans sa nouvelle condition, la jeune épouse nourrissait dans son coeur le coupable dessein de faire mourir son mari. Cependant le Seigneur, qui la destinait à de grandes choses, lui accorda une grâce signalée. Il lui fit comprendre qu'en Dieu seul est le, bonheur, et la détacha insensiblement des vanités de ce monde. Dès ce moment, Ivette fut entièrement transformée; elle affectionna son époux; et, tandis qu'elle mettait tous ses soins à lui plaire, elle ne négligea aucun moyen de se rendre agréable à Dieu. Son mari vint à mourir, lui laissant trois enfants.

Rendue à elle‑même, Ivette rompit entièrement avec le monde, rejeta loin d'elle le luxe de la toilette, et se revêtit des livrées de la pénitence.

Cependant son père, aidé des amis de la famille, usa de toutes les influences pour l'engager dans un second mariage; il alla jusqu'à réclamer l'appui de Radulphe, évêque de Liège.

Elle eut à soutenir un dernier combat. Un jeune homme, parent de son mari défunt, fréquentait familièrement sa maison. C'était un loup sous la peau d'une brebis. Un jour il se démasqua et osa lui tenir des propos équivoques. Ivette, surprise dans sa bonne foi, rougit et repoussa avec une telle indignation l'impudence de l'agresseur, qu'il n'osa plus se représenter chez elle.

Toutefois, il ne renonça pas à ses infâmes projets. Ayant appris l'arrivée d'Ivette chez un de ses amis, il s'y rendit aussitôt, et demanda à y passer la nuit. A sa vue, la pauvre veuve pâlit et trembla comme la colombe en présence de l'épervier. Elle se tint sur ses gardes. La nuit venue, elle entendit le bruit des pas du misérable qui s'avançait. Aussitôt elle réclama le secours de la très sainte Vierge Marie; la protectrice des âmes chastes ne lui fit pas défaut: elle apparut à Ivette, majestueuse et brillante d'éclat. Le malheureux jeune homme la vit‑il également? Nous n'en savons rien, mais il fut saisi d'une telle épouvante, qu'il s'enfuit et ne reparut plus.

Le moment était venu où le Seigneur devait faire éclater au grand jour les vertus de son épouse. Il existait à Huy une léproserie. Ivette alla s'y établir, et s'y fit l'humble servante des pauvres atteints de la lèpre.

Une conversion vint réjouir le coeur d'Ivette, ce fut celle de son père. Après avoir longtemps condamné la conduite de sa fille, il finit par l'imiter, et il se fit construire une cellule près de l'hospice; mais il renonça au projet de l'habiter, et embrassa la vie religieuse dans l'abbaye de Villers.

  La cellule ne demeura pas longtemps vide: Ivette elle‑même s'y renferma à l'âge de trente‑trois ans. La pieuse veuve, dans sa cellule, n'oublia jamais qu'elle était mère. Grâce à ses conseils, un de ses fils entra à l'abbaye d'Orval. Le second se laissa entraîner par l'ardeur de ses passions: autre enfant prodigue, il réclama sa part d'héritage, et partit pour Liège. Les prières de sa pauvre mère l'y accompagnèrent, et elles furent exaucées. Une nuit, le malheureux jeune homme eut une horrible vision: il lui sembla être au tribunal de Dieu et entendre la sentence de sa condamnation éternelle. Aussitôt il se vit entouré de monstres qui, après l'avoir mis en lambeaux, se préparaient à le dévorer. Mais sa sainte mère accourut à son secours, et, grâce à ses supplications, le Juge suprême accorda à son fils trois ans pour s'amender. Le pauvre jeune homme fut terrifié; poursuivi jour et nuit de cette vision, il parcourait la ville, cherchant à se distraire, lorqu'un jour il rencontra une femme inconnue qui lui dit: « Jeune homme, retourne à ta mère, elle désire te voir. » Docile à cette voix, il se rendit incontinent à Huy; et suivant les conseils de sa pieuse mère, il embrassa peu de temps après la vie religieuse à l'abbaye de Trois‑Fontaines.

Mais revenons à notre sainte Recluse. L'âme la plus éclairée dans les voies de Dieu est sujette aux illusions. Comme nous le disions plus haut, Ivette avait, pendant de longues années, entretenu dans son coeur le désir de la mort de son mari or, dit l'historien de sa vie, elle n'avait jamais songé à la gravité de cette faute. Un jour donc, ayant passé la nuit en prière, elle eut une vision: elle vit Jésus‑Christ descendre du ciel avec majesté, pour juger un grand nombre d'âmes. Elle fut appelée à son tour à comparaître devant lui: Je Seigneur lui reprocha cette faute et plusieurs autres ; il allait prononcer contre elle la sentence de condamnation, lorsque la très sainte Vierge Marie, assise près de lui, se jeta à ses pieds, et plaida si bien la cause de la pauvre Recluse, qu'elle obtint son pardon.

Cette vision laissa dans l'âme de notre sainte une crainte salutaire, qui ne la quitta plus. Depuis ce moment, elle prit un soin extrême d'examiner chaque jour sa conscience, et vit des péchés là où d'autres découvrent à peines des imperfections; elle réclamait les prières de tout le monde, et elle augmenta ses pénitences à tel point, que ses supérieurs crurent devoir les modérer.

Plus on mortifie ses sens, plus on se détache des choses de la terre, et plus aussi l'âme s'élève aisément et comme par instinct vers les régions célestes. Hugues de Floreffe, qui connaissait intimement Ivette, raconte à ce propos le fait suivant: Il arriva parfois, dit‑il, que notre Bienheureuse, revêtue d'un manteau d'or, fut enlevée de terre, sur les ailes de dix‑huit anges, et emportée devant le trône de Bien, où elle vit et entendit les choses dont parle saint Paul, lorsqu'il s'écrie: « L'oeil de l'homme n'a jamais vu, son oreille n'a jamais entendu, et jamais son coeur ne concevra ce que le Seigneur prépare à ceux qui l'aiment. « Toutefois, malgré les instances qui lui furent faites, Ivette ne consentit jamais à révéler quelque chose de ces mystères.

Un jour, on lui demanda si l'âme ravie en Dieu se souvient encore de ses proches, et les recommande au Seigneur. « Dans cet état, répondit‑elle, l'âme ne peut que ce que Dieu veut qu'elle fasse; elle est tellement unie à Dieu et perdue en Lui, qu'elle s'oublie elle même et perd de vue tout ce qui n'est pas Lui. » Elle ajouta : « Il en coûte horriblement à l'âme élevée à la contemplation de ces mystères, de revenir sur la terre; les forces du corps sont tellement affaiblies que la vie semble en grand danger. » Aussi, après ses extases, lui arrivait‑il souvent de jeter des cris, tant les douleurs étaient aiguës, et les ardeurs de l'amour divin fortes et puissantes.

Ivette fut animée d'un zèle ardent pour le salut des âmes. Le nombre de celles qu'elle convertit et sanctifia est prodigieux. Peu de pécheurs surent lui résister. La pénétration des esprits dont le Seigneur la favorisa, ne contribua pas peu au succès de son ardente charité. Un jour de Noël, Dieu lui fit voir, pendant le sacrifice de la messe, un spectacle effrayant; parmi les fidèles se trouvait une personne de distinction qui, tout en se préparant à la sainte communion, s'abandonnait aux inspirations d'une passion coupable. Une foule de démons dansaient autour d'elle et applaudissaient au sacrilège qui allait se consommer. La malheureuse s'en alla donc, au milieu de ce cortège infernal, s'agenouiller à la table sainte. Mais au moment même où le prêtre déposait la sainte hostie sur sa langue, Notre‑Seigneur disparut, ne voulant pas habiter dans une âme devenue la demeure d'esprits impurs. Ivette ayant fait connaître la vision à cette personne coupable, celle‑ci rentra en elle-même, fit l'aveu de ses fautes et se hâta de se réconcilier avec Dieu (19).

Une des plus belles victoires que notre sainte remporta sur l'esprit des ténèbres, fut la conversion d'un jeune homme de Huy, nommé Abundus, qui dans la suite, illustra l'abbaye de Villers par la sainteté de sa vie.

Mais voici venue pour Ivette l'heure de la récompense. Le Seigneur lui fait connaître le jour et le moment de sa mort. Il lui apprend également que Jésus et sa sainte Mère y seront présents et conduiront son âme en paradis. L'instant supreme approchant, la sainte s'applique plus particulièrement à raffermir dans la vertu les âmes qu'elle a enfantées au Seigneur. Comme celles‑ci la suppliaient de ne pas la quitter de sitôt: « Il m'est indifférent, leur répondit‑elle, de mourir ou de vivre encore ; j'abandonne le tout à la volonté de Dieu. »

Ivette mourut en 1227, au mois de janvier, au jour et à l'heure qu'elle avait prédits, après avoir passé plus de trente ans dans sa pauvre cellule.

A peine la sainte eut‑elle rendu le dernier soupir, qu'une tempête violente s'éleva ; les vents se déchaînèrent avec une fureur extraordinaire, et la grêle tomba avec fracas. Tandis que le glas funèbre annonçait sa mort aux habitants de la ville, une grande multitude d'oiseaux réunis sur la fenêtre de la chambre mortuaire, faisaient entendre un chant triste et plaintif. Au dernier son de la cloche, le calme se rétablit incontinent ; les oiseaux disparurent, et le Ciel, serein comme au plus beau jour du printemps, sembla sourire à Ivette. La nature, après avoir pleuré sa mort, applaudit à son triomphe dans le Ciel.

Elle fut inhumée à Huy par Jean de Haye, abbé de Floreffe.

Jutte, recluse à Looz. Thomas de Cantimpré, chanoine régulier de Saint‑Augustin, venu à Looz en 1232 pour recueillir des renseignements sur la vie de sainte Lutgarde et de sainte Christine, parle dans son histoire de ces deux saintes, d'une recluse nommée Jutte, qui vécut à Looz vers 1180. Sa cellule était adossée à l'église collégiale.

Le peu de détails qu'il en donne, suffisent pour nous faire concevoir une haute idée de ses vertus. Son amitié fut recherchée par deux des plus illustres saintes de l'Eglise de Liège, Sainte Christine, surnommée l'Admirable, à cause des prodiges sans nombre qui signalèrent sa vie, et sainte Lutgarde de Tongres, religieuse au couvent de Sainte‑Catherine, à Saint‑Trond.

La première vint à Looz vers 1186 et passa neuf ans chez la pieuse Recluse; la seconde y arriva vers l'an 1200 et demeura quinze jours dans la société de son amie. Dieu seul fut témoin de ce qui se passa dans la pauvre cellule entre ces âmes séraphiques.

Les pieux entretiens, la prière et la méditation absorbaient les jours et les nuits. Après les offices de l'église, les chanoines s'étant retirés, elles restaient seules auprès du très saint Sacrement, et chantaient des hymnes et des cantiques à la louange du Dieu eucharistique. L'histoire rapporte que la voix de Christine était douce comme celle des anges, et son chant d'une beauté ravissante surtout dans ses extases.

VII.

 En 1225, la recluserie de Saint‑Denis à Liège, fut habitée par une pieuse vierge, nommée Marie. Elle laissa au Chapitre de la dite église sa propriété de Flémalle‑Grande, à la condition qu'il distribuerait annuellement aux pauvres un muid d'épeautre.

En 1281, Marguerite, Recluse de l'église de Saint-Thomas dans la même ville, et Eve, sa soeur, laissent dix‑huit marcs pour doter un autel à Saint‑Barthélemy.

Vers la même époque vivait à Liège, près de l'église Saint‑Remade‑au‑Pont, une autre Recluse nommée Hauvilde. Elle fut honorée de l'amitié de sainte Julienne. Hauvilde assure que notre Sainte lui avait prédit bien des choses, et, en particulier qu'elle survivrait à sa soeur et à sa mère; ce qui arriva effectivement.

La Bienheureuse Eve, Recluse à Saint‑Martin au treizième siècle, fut une des gloires de l'Eglise de Liège. Son intéressante histoire se confond avec celle de sainte Juliennne et de l'Institution de la Fête‑Dieu.

En 1397, Jean d'Anchey, chanoine de la collégiale de Tongres, lègue une rente viagère à sa soeur Jeanne, Recluse près de l'église de Sainte‑Catherine, à Liège.

VIII.

Au quatorzième et au quinzième siècle, les églises de Saint‑Jacques, de Saint‑Michel et de Saint-Quentin, à Louvain, avaient leur recluserie.

Les archives de Saint‑Jean à Liège, rapportent qu'en 1412, le Chapitre de la dite église payait une rente annuelle aux Recluses de Sainte‑Catherine, de Saint-Martin‑en‑lie, de Saint‑Servais et de Saint‑Remade‑auPont.

Marie, Recluse à Saint‑Denis au quatorzième siècle, fonda une messe anniversaire pour le repos de son âme.

Dans le même siècle on chantait à Sainte‑Croix la messe anniversaire de la Recluse Marie. Au quinzième, on chantait à Saint‑Denis la messe anniversaire d'une Recluse de haute noblesse, nommée Ida de Landris.

L'église des Carmes, à Liège, avait également une recluserie. Vers l'an 1457, elle était habitée par une religieuse carmélite, nommée soeur Agnès. Ce fut elle qui fournit au bienheureux Joan Soreth l'argent nécessaire pour acheter une maison contiguë à l'hospice Saint‑Théobald, au faubourg Saint‑Léonard, et y établir une communauté de carmélites (20). Elle mourut au commencement du seizième siècle.

Dans le manuscrit des P. P. Carmes , il est fait mention d'une Recluse, religieuse de l'ordre du Carmel, vivant en 1489 en cellule, près de l'église Saint‑Etienne à Liège. Elle se nommait soeur Oude de Bouschemont, autrement dite de Chauhier ou de Chauchez. Elle fut enterrée à Notre‑Dame‑aux‑Fonts, laissant de grands biens aux Carmélites de Saint‑Léonard.

Nous remarquons dans ce manuscrit que les Recluses étaient connues à Liège sous le nom ordinaire d'Empirées.

En 1478, fut construit à Kinroy, village de la Campine limbourgeoise, le premier monastère des chanoinesses du Saint‑Sépulcre. En 1495, les religieuses, forcées de transférer leur communauté à Maeseyck, y laissèrent en souvenir de leur séjour, une Recluse de leur Ordre, chargée de l'entretien du linge et des ornements de l'église. Cette recluserie, adossée à la tour de la chapelle dédiée à Notre‑Dame de la Bonne‑Mort, servit de demeure aux curés de la paroisse, jusqu'en 1826, époque de sa démolition.

Au commencement du quinzième siècle, Godart de Vlodorp fit construire à Ruremonde, une recluserie sur l'emplacement de l'ancien cimetière; elle fut habitée par soeur Dorothée (21).

En 1632, la cluse de Saint‑Hilaire à Maastricht, était habitée par une recluse (22). Celle de Saint‑Jacques, à Louvain, le fut encore en 1797 (23).

 

 Curé Doyen J. CRULS


(1) Analectes ecclésiastiques, tome 5, page 205.

(2) « Nullus vel nulla recludatur absque licentia Episcopi. » Chapeauville, Gesta pontificum Leod. Tome 2, page 201

(3) « Notum facimus quod nos reclusagium situm supra coemeterium ecclesiae parochialis de Laeken, nostrae diocesis, ad eamdem ecclesiam contiguum, ad praesens vacans… per mortem quondam religiosae professae, et in illo auctoritate praedecessoris nostri novissime reclusae, ad ac nostras collationem provisionem et omnimodam dispositionem ratione nostrae pontificalis dignitatis spectans et pertinens, dilectae nobis in Christo sorori Barbarae Belen religiosae professae ordini Carthusianorum , ad frugem arctioris vitae anhelantis, ac illie sub pauperatis jugi observantia nec non obedientia nostras ac curati loci, tanquam sui confessoris et visitatoris eidem per nos deputandi, domino se perpetuo famulari desideranti, in Dei nomine contulimus, et harum serie conferimus ; sibique de eodem reclusagio cum omnibus, et singulis juribus, pertinentiis, fructibus, proventibus, et emolumentis consuetis, providimus et providemus ; mandantes et commimentes proptera venerabilis viro, in Christo dilecto, magistro Henrico Blyleven, sigillifero nostro seu decano nostro Christianitatis Bruxellensis, quatenus eamdem sororem Barbaram Belen, quam ad hoc vero devotionis zelo ac nullo repentiro spiritu motam speramus, in et ad corporalem realem et actualem possessionem dicti reclusagii ponat et inducat, illamque sub habitu et régula ordinis praedicti, perpetuo nostras auctoritate includat, inductamque et inclusam defendat, adhibitissolemnitatibus solitis et consuetis.

Datum Bruxellis dictae nostrae diocesis, anni millesimo quingentesimo quinto, mensis Julii nona. »

(4) Voir Annales des Bénédictins, par Mabillon, Tome 3, p. 309.

(5) Attribué à tort à saint Augustin. Voir ses oeuvres. Edition Migne.

(6) Martène. De antiquis Ecclesiae ritibus. Tome 3, page 93.

(7) Archives de Saint‑Jean.

(8) Analectes ecclésiastiques publiés à Louvain. Tome 5.

(9) Le P. Coret. Maison de l'éternité. Tome 4, page 528.

(10) Opera S. Gregorii Turonensis. Edition Migne, pages 396.

(11) Martène.

(12) Gen. XVIII. 32.

(13) Histoire d'Urbain V et de son temps, page 480.

(14) Tome 5, page 95 et suiv.

(15) Opera Gregorii Turonensis, Edition Migne, page 396.

(16) « AI païs vero sui fratris et aliorum morte miserabili perterrita et poenitentia ducta, ecclesiam in honore Beaae Mariae Virginis beatique Martini in allodio suo apud Orpium aedificavit, et de claustro Nivellensi assumens moniales ibi collocavit, totum eomitatum suum de Ternis Deo et beato Martyri tradidit, jure perpetuo possidendum, seipsamque in arctà cellà reclusit, et ibidem vitam finivit et sepulturam accepit »

 Chronique lieqeoise de Mathias de Lewis, doyen du Chapitre de Sainte‑Croix, 14° siècle.

(17) Chronique des Evêques de Tongres et de Liège, écrite par Jean de Horsem.

(18) Martène et Durand, Ampl. Collectio. Tome I, colonne 904.

(19) Labis. Trésor caché, page 139.

(20) Manuscrit des P. P. Carmes, intitulé : Table mortuaire ou des obits des religieuses de ce couvent (des Carmelites de Saint‑Léonard, dans laquelle sont aussi marquées les choses les plus mémorables arrivées touchant iceluy depuis sa fondation, extraites de ses anciens registres et documents et des annales de l'Ordre.

(21) Publications de la Société hist. et arch, dans le duché du Limbourg. Tome VII, page 354.

(22) Id. page 355.

(23) Analectes publiés à Louvain. Tome V, page 209.

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