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Collégiale Sainte Croix à Liège

La fondation de la collégiale de la Sainte Croix
Extrait de Notger de Liège et la civilistion du XIe siècle.

par Godefroid KURTH

Mère des libertés liégoises
IL FAUT SAUVER SAINTE CROIX

1738 - Remacle LELOUP  - Collégiale Sainte Croix à Liège

Observez l'étrange personnage qui apparait en filigrane à gauche de l'illustration.
Ces filigranes sont différents pour chacunes de mes gravures de Remacle Leloup.

La capitale naissante de l'État liégeois gardait encore, dans sa prospérité de fraiche date, quelque chose de ses origines rustiques. Elle leur devait, dans tous les cas, une bonne fortune des plus enviables: celle de n'avoir ni comtes ni châtelains. Dans les villes qui avaient été, sous les Mérovingiens, la résidence d'un comte, celui-ci, malgré l'immunité, malgré les privilèges qui, des évêques, faisaient des princes, ne laissait pas de revendiquer pour lui l'autorité autrefois inhérente à sa charge, et c'était l'occasion d'interminables querelles avec les prélats. Ceux-ci n'étaient guère plus heureux lorsque, débarrassés du comte, ils installaient à sa place un châtelain qui tenait d'eux son office en fief, et qui, au lieu de protéger l'église, la tyrannisait de toute manière. L'évêque qui avait l'un ou l'autre de ces personnages dans l'enceinte de sa ville épiscopale n'était plus le maitre chez lui; il devait soutenir contre eux des luttes acharnées, heureux quand, à ce prix, il parvenait à sauvegarder son indépendance vis-à-vis du comte, son autorité vis-à-vis du châtelain.

A Cambrai, dont l'histoire offre au Xe siècle comme le pendant de celle de Liège, on avait fait successivement l'expérience du comte et du châtelain, et l'on avait pu constater que le second ne valait pas mieux que le premier. Il ne servit de rien, en effet, à l'évêque, de voir en 948 un diplôme impérial lui donner l'autorité comtale sur la ville entière, qu'il soustrayait de la sorte au comte. Un quart de siècle plus tard, nous le retrouvons aux prises avec son châtelain, qui se bâtit une maison forte dans l'enceinte de la ville. Membre d'une des grandes familles du Cambrésis, le châtelain, nommé Jean, s'était probablement imposé au choix de l'évêque; celui-ci ne s'en débarrassa que pour en accepter un autre qui ne le tourmenta pas moins, dépouilla l'évêché, rendit sa charge héréditaire et troubla (409) le pontificat de trois évêques. Ses successeurs en firent autant, et, jusqu'à la fin du XIIe siècle, le châtelain de Cambrai resta le grand perturbateur de la principauté ecclésiastique.

Déjà, le péril était devenu imminent à Liège. Cette ville ouverte, dont l'importance et la richesse allaient tous les jours croissant, était faite pour tenter tous les ambitieux: s'y bâtir, au sommet de la colline qui la dominait, un château-fort du haut duquel on la tiendrait sous la main, quel rêve pour un féodal doué de quelque hardiesse! Notger dut trembler le jour où « un puissant » - le chroniqueur ne le désigne pas d'une manière plus précise - lui demanda la permission de construire une maison fortifiée à l'emplacement aujourd'hui occupé par l'église Sainte-Croix, prétextant que de là-haut il défendrait la ville et la principauté. L'endroit qu'il entendait se faire abandonner par l'évêque était précisément le poste stratégique par excellence, celui d'où l'on dominait à la fois tes deux vallées de la ville, celle de la Meuse et celle de la Légia (410).

Que devait faire Notger? Céder, c'était installer au bon endroit le tyran qui mettrait fin à l'autorité paternelle de l'évêque: cela n'était pas douteux, et il est intéressant de constater jusqu'à quel point le narrateur du XIe siècle a conscience de ce danger. Résister, c'était courir au devant d'un conflit avec un homme redoutable, derrière lequel se rangeaient peut-être des forces imposantes. Notger recourut à la ruse: il demanda un délai, et en profita pour faire jeter en toute hâte par Robert, le prévôt de sa cathédrale (411), les fondements de l'église Sainte-Croix. Lorsque le solliciteur revint et se plaignit d'avoir été joué, Notger manda le prévôt et affecta de le gronder: « Si vous aviez élevé toute autre construction, lui dit-il en présence du puissant vassal irrité, je vous l'aurais fait abattre pour céder le sol à mon ami; mais puisque c'est à la croix du Sauveur que vous avez consacré cet édifice, je croirais lui faire injure à lui-même si je mettais la ville sous un autre protectorat que le sien. » Et l'église continua de s'élever (412). Cet incident est hautement caractéristique; il nous apprend la gravité du danger conjuré par le stratagème de Notger, il nous fait toucher du doigt la situation précaire du pouvoir épiscopal naissant. On y voit sur quel ton les vassaux de l'église de Liège pouvaient se permettre de parler à leur prince, et avec quel mélange de timidité et d'adresse cet homme énergique et puissant défendait, contre les empiètements des féodaux, la sécurité de sa ville épiscopale avec les droits les plus élémentaires de son autorité.

Comme il est facile de le comprendre, une expérience de ce genre dut faire mûrir dans l'esprit de Notger le plan de doter sa cité d'une enceinte fortifiée, si toutefois ce plan n'avait pas été conçu par lui dès les premières années de son pontificat.

Dans la construction de l'enceinte, il fallut tenir compte et de la configuration du terrain et des besoins de l'avenir. Notger voulut donc englober non seulement la cité proprement dite, telle qu'elle avait existé avant lui, mais encore tous les terrains contigus qui, sur la colline de Publémont et dans la vallée de la Meuse, formaient déjà, selon toute apparence, de populeux faubourgs. C'est ce qu'Anselme exprime avec autant de concision que de netteté quand il dit que Notger, par l'enceinte qu'il traça, augmenta l'étendue de sa ville (413).

On peut déterminer avec une précision relative le pourtour de la première enceinte de Liège. Partant du haut du Publémont, où les massives constructions de l'église Saint-Martin étaient encastrées dans son tracé, elle dévalait vers l'ouest dans le vallon de la Légia, qu'elle coupait transversalement, passait le ruisseau sur une voûte, remontait la côte opposée derrière la place Saint-Séverin, suivait la rue de Bruxelles du côté du fond Saint-Servais, encastrait l'église de ce nom, courait sur les flancs de la colline, parallèlement à la rue Hors-Château, jusque près de la caserne des Pompiers, où elle obliquait par la rue des Airs et par l'impasse Babylone vers la rue Féronstrée. Là s'ouvrait une porte à laquelle les vieux chroniqueurs donnent le nom de porte Hasseline. L'enceinte, passant entre les rues de la Clef et Sur-le-Mont, gagnait ensuite la Meuse au quai de la Goffe, la remontait jusqu'au delà de Cheravoie, puis, faisant un angle droit à la hauteur du bâtiment de la poste actuelle, elle allait encastrer l'église Saint-Denis, revenait par la rue de la Régence en longeant le bras de la Meuse, et remontait ensuite la rue Haute-Sauvenière jusqu'au Mont Saint-Martin, qui la ramenait à son point de départ près de l'église du même nom (414).

Tel est le tracé que, en combinant les témoignages de nos sources et en les interprétant par les découvertes de l'archéologie locale, on peut assigner avec quelque vraisemblance à l'enceinte notgerienne. Une partie en subsistait encore du temps de Jean d'Outremeuse, notamment celle qui passait derrière le Palais, où elle supportait les maisons de la pente abrupte qu'on appelle aujourd'hui Pierreuse, et qui portait alors le nom de Pissevache (415). Des actes du XIVe siècle nous en signalent d'autres fragments du côté de la Meuse, aux abords du Pont des Arches, dans le voisinage de la Halle, et enfin en Sauvenière (416). Quelques restes s'en retrouvent encore aujourd'hui vers le Mont Saint-Martin et au Thier de la Montagne.

Un écrivain du XIe siècle, qui a vu tous ces travaux de défense debout et tels qu'ils étaient sortis de la main des ingénieurs de Notger, nous en donne une idée sommaire. C'étaient des murs garnis de tours nombreuses; devant Saint-Martin, il y avait un triple retranchement et de hautes tours avec des saillies ou barbacanes pour les défenseurs. (417).

LIEGE SOUS NOTGER ET REGINARD
LIEGE SOUS NOTGER ET REGINARD - Nagelmakers


(409) Gesta epp. Cam. I, 74-73, 93, 99-1O3, 113-122. Cf. A. Dieckmeyer, Die Siadt Cambrai. Verfassungsgeschichtliche Unlersuchungen aus dem Xten bis gegen Ende des XIIe Jahrhunderts, léna, 1889, et surtout W. Reinecke, Geschichte der Stadt Cambrai bis zur Ertheilung der Lex Godefridi (1227), Marbourg, 1896, pp. 15-62,

 (410) Erat in hujus urbis editissimo loco spacium quod talis videretur capax esse aedifi'ii, unde reliqua urbs ab ejusdem arcis habitatoribus violenter posset impugnari. Anselme, c. 26. p. 203.

(411) Jean d'Outremeuse, qui raconte a l'occasion de ceci tout un petit roman, sait que ce prèvot Rubert était le neveu de Notger par sa mère Elissent, comtesse de Boulogne. Nous laisserons aux fidèles de Jean d'Outremeuse la satisfaction de le croire. Fisen, p. 150, lui, dit que dans les archives de Sainte-Croix Robert porte le litre de chorévêque et il ajoute: rarum in hac ecclesia nomen. J'ai vainement cherché dans les archives de Sainte-Croix la trace de ce renseignement, et il est peu probable qu'Anselme, qui donne à Robert le double titre d'archidiacre et de prévôt, eût oublié celui de chorévêque, si Robert y avait eu droit,

(412) Anselme, I, c.,p. 204.

(413) Urbem menibus ampliavit.

(414) V. la carte ci-jointe.

(415) Et aloient les murs del citeit tout altour de Pissevaiche, et encore les poeis voir en palais, à Liège, ou les maisons de Pissevaiche sont sur fondées. Jean d'Outremeuse, t. III, p. 7, qui se persuade que ces fragments représentent l'enceinte de saint Hubert.

(416) Sur tout ceci, voir dans l'appendice la dissertation intitulée: L'enceinte notgérienne de Liège.

(417) Claustrum exterius ejusdem ecclesie Sancti Martini, inciso colle Publici Montis, triplici vallo et muro cum propugnaculis et turribus sublimibus communivit, et eandem muri et turrium munitionem circa ambitum civitatis sua longitudine et latitutine, Sicut adhuc hodie videtur, perduxit. Vita Notgeri, c. 3.

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