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Descriptions de Liège par des contemporains

Revue de Liège en 1700 - L ABRY

par S. Bormans

Société des Bibliophiles Liégeois vient de publier sous le titre de: Les hommes illustres de la nation liégeoise, par Louis Ahry, la plus ancienne bibliographie connue de notre pays. Les manuscrits qui ont servi à cette publication contiennent un hors-d'oeuvre que les éditeurs n'ont pas jugé à propos d'insérer. C'est une revue des monuments (églises, édifices civils, fontaines, remparts, etc ) de la cité, qui présente un certain intérêt au point de vue archéologique. Quoique toutes les choses qu'elle contient ne soient pas neuves, elle ne se trouvera pas déplacée dans ces bulletins. L'analogie qui existe entre quelques-uns des détails qu'on va lire et ceux qui sont reproduits dans le Recueil héraldique des bourgmestres de Liège, notamment à propos de la cathédrale, n'échappera à personne.

Le style de l'écrivain est malheureusement tellement barbare et entortillé, qu'on a souvent de la peine à comprendre ce qu'il veut dire; toutefois, nous nous sommes gardé d'y rien changer dans la crainte de mal interpréter sa pensée; chacun l'entendra comme il voudra.

Parmi ce qu'il y a de plus beau à Liège et de plus ancien se trouvent l'église cathédrale et les sept collégiales, dont les édifices sont assurément magnifiques. C'est une affaire qui mérite une meilleure plume que la mienne pour en bien discourir. Mon dessein n'étant que de traiter des autres réparations publiques qui font la beauté de Liège, c'est pour l'honneur des artisans qui les ont entreprises et pour qu'on les distingue selon leurs différentes vocations, que j'expose ce que j'en sais de meilleur,

Je commencerai par le Marché, où se voit la fontaine si ancienne.

Le Péron, enseigne tutélaire de la ville de Liège à raison de son ancienneté, fut porté sur le trépied de la fontaine dudit Marché, passés plus de 500 ans; cette ville l'a pris pour son blason n'en ayant pas avant ledit temps; après diverses résolutions de sa caducité, il fut rétabli à neuf en son même lieu l'an 1433, par les bourgmaîtres Fastré Baré de Surlet et Bauduin de Lardier; il fut sommé d'une pomme de pin, comme du passé, que l'on fit supporter par trois figures nues, au haut de leurs têtes; le père Foullon dit qu'elles représentent trois paillarts, coupés en pierre, hommes et femmes, qui furent punis par le magistrat, lequel, selon d'aucuns, a le droit de veiller à la police et de châtier ces sortes de crimes; on voulut par cette représentation en laisser un mémoire à la postérité. Laquelle pomme avec ses figures ayant été abattues par un grand vent, le jour Ste-Lucie 1448, on y fit replacer une toute pareille en cuivre doré, de fort bon goût, l'an suivant, avec d'autres agréments de même, qui ont duré jusques à nous.

L'an 1467, le 15 octobre, après la bataille de Brusthem, à laquelle les Liégeois eurent du pire, ils furent réduits à la puissance de Charle-de-Valois duc de Bourgogne, de Brabant et des 17 provinces du Pays-Bas; ce prince inquiet et si puissant, qui se disait gardien et avoué de Liège sans raison, crut se bien venger des Liégeois et leur faire un affront sensible, en transportant leur Péron à Bruges; il y fut en effet élevé sur un piédestal de pierre, avec des vers de mépris écrit sur icelui (1).

Après la mort dudit duc, arrivée le 25 janvier 1477, tué à la journée de Nancy, âgé seulement de 44 ans, l'évêque de Liège Louis de Bourbon obtint facilement la restitution dudit Peron, à quel effet Mathieu Haweal jadis bourgmaître de Liège, fut député du magistrat, au mois de mai, avec quantité de bourgeois qui l'accompagnèrent à cheval pour lui servir de cortège, pour ramener ce joyau de Bruges à Liège, qui leur fut accordé par la princesse Marie, fille dudit duc et son héritière. Cette cavalcade, au nombre de 23 ou 24, revint à Liège au commencement de juin comme en une espèce de triomphe, suivie d'une multitude de gens; c'est pour cela qu'on accorda à ces messieurs et à toute leur postérité, jouissance des 32 bons métiers, à relever de main à bouche; entre lesquels en ont joui longtemps les Haweau, les Boverie, les Moreau de Litrenge, les Belleflamme, les Tuls, Caproens et autres. Il faut que les métiers fussent bien estimés, puisque pour jouir d'iceux, on entreprit ce voyage et que pour en posséder un seul, il fallait résider tout au moins la moitié de l'année.

Il fut redressé sur la même fontaine comme du passé avec grande joie, l'an 1478 le 10 de juillet avec ce vers qu'on lui attacha:

Artibus Anthenoris insignem Carolus olim

Vastavit Legiam, Marte favente sibi;

Jussu cujus ego dénis vel circiter annis

Heus! degi Brugis proh dolor! abs meritis.

Sed quid tanta licet foris ego tempora capta

In sinu prisco collocor ecce meo.

Pristinae totius libertatis

Qua homines dulcius nihil habent.

Je ne dois pas omettre que pendant le séjour que ledit Péron fit à Bruges, on ne lui fit pas peu d'honneur par le beau piédestal qu'on lui fit pour l'asseoir. On publia de plus ces beaux vers de réjouissance qui roulèrent parmi le peuple et qui méritent bien d'être insérés ici:

Me Brugae in summas exultans extulit auras.

Cum decrevissent fata favere mihi

Sum modo Leodii materna sede reducta

Et mea tristitia vestitur in jubilo.

Proh! Brugiensium derisio gentibus extans

Nunc nova laetitia pluribus efficior.

Borbon intuitu Ludovici praesulis albi

Insons, e manibus liberor extraneis;

Me Carolus stravit, Ludovicus at relevavit

Et laribus propriis me pie restituit.

Te rogo, gens propria mea, tristitias memorare

Quaeque ego consilio passa fui lepido;

Tu dum metiris proprium cum nobiliori

Vix tibi fata dabunt sanguine consimilem.

Tu dominum venerare tuum proceres honorando

His si complaceas sit tibi quoque salus;

Custodiae vigili te ea prome vigilando

Ne dextra facili reddar in exilio.

Annis bis quamvis variis orbata recinis

Sum Brugiensi orba, reddita palatio

Anno milleno C quatuor semel L quoque bis X

His junctis octo restituor gremio.

Ce Péron était une des plus belles réparations du temps; il est resté depuis élevé sur la fontaine du Marché en honneur, et depuis il a été diverses fois amplifié d'une balustrade en haut et de beaux bacs de jaspes, et orné des armes des bourguemaîtres. La colonne était d'un pied de diamètre et de deux pièces; elle tomba d'un vent impétueux le 9 de l’an 1693 à neuf heures du soir; la croix, le pin, les figures, la balustrade au-dessous d'icelle, la pomme qui serre le milieu et autres petits agréments, étaient de cuivre doré, d'un peintre, encore visible après un tel laps de temps.

La cathédrale de Liège est aussi un joyau de considération, si le choeur eut été poussé jusqu'aux degrés sur le Marché, et si l'entrée principale eut pris au cloître d'icelle, vis-à-vis de la ronde verrière du vieux choeur, qui est flanquée de deux tours carrées; celles-ci feraient un très bel effet, si les maisons claustrales, joindantes au vieux réfectoire, n'occupaient le chemin qui y conduit. Cette place où les chanoines mangeaient en commun, parait plus ancienne que les encloîtres mêmes; on en voit encore les ruines dans la maison qu'on dit de Mérode de Waroux sur la Place-Verte.

Ce reste d'un ancien palais des évéques de Liége n'était aussi qu'une pauvre structure relativement à la moderne, que l'on a appelée gothique; cette maison était déjà abandonnée, passés près de deux cents ans, quand elle fut rebâtie pour succéder aux descendants de ladite famille; je dis le vieux quartier, qui est sans doute le plus ancien du chapitre. On ne savait alors ici ce que c'était que l'architecture; elle était encore ensevelie en Italie

Le frontispice de ladite cathédrale est, par un défaut irréparable, comme enfoui par l'inégalité du terrain; il a pourtant été orné d'une grande quantité de figures qui ont fait l'admiration de beaucoup de gens.

C'est le portail du vieux Marché; il est plus considérable que celui de la Place Verte, pour son ancienneté.

Il y en a en effet qui valent bien l'antique, et si l'on y fait réflexion, on y verra beaucoup de grâce dans la simplicité du dessin, des attitudes si naturelles, des airs si agréables et si tendres, qu'on l'a nommé avec justice le beau portail. On le tient érigé aux dépens de Buchard d'Avenne, comte de Hainaut et chanoine de Liège, après avoir disputé cet évéché contre Jean de Flandres, qui l'emporta l'an 1282, mais qui depuis le fut à Metz; la verrière, qui regarde du même côté, fut donnée par Gérard Grisar de Bierset, chanoine et chantre de St-Lambert, fondateur de la maison de la Motte pour huit prêtres, aujourd'hui les Guillemins, où se voyait un beau mémoire de sa famille, peint sur la muraille.

Le portail opposé, qui regarde N.-D. aux fonts, fut fait du temps de Jean d'Enghien, évêque de Liège, l'an 1276, par Guillaume d'Auvergne, archidiacre de Condros, depuis archevêque de Besançon l'an 1284. Les figures de ce portail paraissent du même maître, comme aussi celles des deux autres par où on descend aux encloîtres et qui furent faits consécutivement. Tous ces ouvrages ont été faits après la grande verrière ronde, qui illumine toute la nef de la Cathédrale, du fond du vieux choeur. C'est une pièce rare, donnée par Thibaut de Bar, évêque de Liège, qui la fit commencer l'an 1304 et la vit achevée, avec les deux autres qui regardent le vieux Marché et N.-D. aux fonts, quatre ans après, en 1310, ayant pour cet effet fait démolir celles qui y étaient, étant trop petites; aussi y fit-il mettre en sculpture deux barbeaux pour mémoire, les armoiries n'ayant pas de lieu pour lors; c'est la plus ancienne réparation que l'on puisse mémorer en faveur de son auteur; elle a eu cependant le malheur de tomber l'an 157.; et elle fut rebâtie comme elle est avec ses ferrailles; on ne croit plus de la voir tomber sitôt; à la vérité, c'est un beau meuble qui éclaire toute la nef jusqu'au grand-autel.

Si l'entrée principale du cloître eut correspondu à la verrière ronde, flanquée de deux tours carrées, et aurait été libre, sans qu'on l’eut méprisée pour y bâtir des maisons claustrales, on y serait entré des deux côtés et passé outre au Marché. La belle et charmante tour d'icelle église fut commencée l'an 1246; c'est une merveille dont la structure immense est élevée au-dessus d'une des croisades du choeur, qui n'offense en rien la régularité de dessous et porte sans peine un fardeau de si grande importance. Il faut avouer que c'est une pièce dont l'entrepreneur fut d'un génie rare et dont la capacité semble aujourd'hui anéantie par l'indolence des évêques et autres, qui ne se soucient que du nécessaire, pour entasser des trésors qui ont été autrefois pillés comme sur l'ennemi.

Après le sac de Charles-le-Téméraire en 1468, la ville de Liège est restée rasée et les bourgeois n'ont pu rebâtir d'argile que bien du temps après, au-dessus de leurs caves, jusques à la grande paix de Donchery de l'an 1491, que l'on songea à rebâtir une maison de ville, l'an 1493; laquelle fut achevée quatre ans après, l'an 1497, sous l'administration des deux mêmes bourguemaitres qui l'avaient commencée, savoir : Raes de Warfusée, seigneur de Waroux, Voroux, Ossogne, etc., autrefois grand mayeur de Liège, chevalier, et Gilles de Huy, écuyer, telle qu'elle est; c'était un chef-d'oeuvre où se trouvaient les armes de beaucoup de bourguemaitres qui avaient aidé à la meubler. Elle fut jugée autant belle qu'elle était petite. Je ne m'arrêterai pas à la vanter, non plus que le Consistoire des seigneurs Echevins qui était vis-à-vis d'icelle, bâti sur les propres degrés de la Cathédrale (avant d'être admis au Palais épiscopal), alors rebâti sur les fondements d'un plus ancien, brûlés l'un et l'autre par un malheur pareil, je dis de Charles le Hardy et par le bombardement de 1691, dans les fêtes de la Pentecôte, par les armes du Roi très-chrétien, dont une bonne partie de la ville fut consumée par le feu.

Le cardinal de la Marck a eu toute une autre vue que ses prédécesseurs; il a trouvé ce peuple dans l'ignorance et abattu de misères; jamais Liège n'eût plus besoin d'un restaurateur: elle était bouleversée; il n'y avait que des maisons en terre et la plupart des bourgeois gémissaient encore radoubés sous leurs caves par le saccagement qui avait précédè sa combustion. Il fallait à la vérité que le Ciel lui envoyât un homme aussi sage et aussi éclairé qu'un Erard de la Marck, choisi à l'évêché de Liège en 1505; il y fit sa joyeuse entrée le 28 juin de l'année suivante et s'appliqua avec un soin paternel à corriger tous les désordres. Il entreprit de bâtir un palais épiscopal pour lui et ses successeurs, auquel il employa une grande quantité d'ouvriers qui trouvèrent de quoi vivre de leurs journées, secours tout-à-fait divin par lequel il répandit ses finances à profusion; en quoi il fut suivi de divers autres, qui entreprirent aussi de bâtir, par envie ou émulation. Il était déjà archevêque de Chartres et le fut depuis de Valence en Espagne, l'an 1518; ce qui lui fournit de quoi soutenir sa dépense; puis cardinal l'an 1522, légat à latere, d'où il n'acquit pas moins d'autorité que de richesses, qui lui firent entreprendre tant de choses à la fois. Il veillait à tout et connaissait les intérêts des princes voisins; pour prévenir la guerre qui allait s'allumer entre la France et l'Espagne, dont il était voisin par les Pays-Bas, et s'éloigner du danger autant qu'on pouvait, on travailla à la sûreté de la ville et à redresser les châteaux de Curenge, de Seraing et de Stockem, qui avaient beaucoup pâti dans la dernière guerre, et l'an 1518, on s'occupa de rétablir ceux de Huy, de Dinant et de Franchimont, qui sont autant de forteresses qui défendent le pays, que de palais; il les amplifia et embellit de tout ce qui était nécessaire pour les habiter, d'où il se fit aimer et craindre par la grande économie qu'il tenait. Mais ce n'est pas son éloge que j'ai entrepris. Je ne prétends uniquement que de l'entretenir des belles réparations qui se sont faites à Liége par l'industrie de toutes sortes d'ouvriers excellents.

L'entrée principale du palais épiscopal qu'il avait entrepris ne correspondait pas â celle de la cathédrale; c'est un défaut qu'il a fallu corriger, afin de faire communiquer ces deux belles structures par la régularité des entrées. Il aurait fallu que la façade de ce palais aurait continué à gauche jusqu'aux degrés de St-Pierre pour faire la symétrie.

Ce fut depuis, vers l'an 1514, qu'on commença à prendre le repos, et qu'on travailla à la restitution des écoles publiques; c'est par elles qu'on ouvre le chemin à toutes les sciences, et ce sont elles qui ont fait pulluler tant de beaux esprits, qui ont puisé dans les universités voisines la doctrine du droit, de la théologie, de la médecine et d'autres.

La Place-Verte était alors occupée par trois maisons claustrales, habitées par des chanoines; la proposition d'en faire une place publique fut acceptée par l'évêque; il en acheta les fonds et ceux qu'il ne put éteindre furent assignés ailleurs. Cet endroit fut renfermé de haies et semé de gazon et ensuite entouré d'une balustrade de pierres de taille. On s'aperçut par cette découverte de la nécessité d'y faire un portail pour, à l'opposité de son milieu, pénétrer par tout le cloitre; on ne balança pas beaucoup cette entreprise; on en trouva les moyens, et l'an 1540 il fut entièrement monté; quoiqu'il ait remporté le nom sur celui du Vieux-Marché, il n'en approche guère, si ce n'est par la multitude des figures et pour son travail qui est plus dispendieux. Beaucoup de chanoines y ont contribué comme il se voit par leurs armes, entre autres de Philippe de la Marck, posées avec celles de Croy, au pied d'un St-Philippe son patron; il mourut peu après l'an 1545; je ne m'arrêterai pas à diverses autres qui existent encore, et qui déposent en faveur de la magnifiance de cette illustre église, qu'on a embellie avec tant de soins. L'on sera surpris de toutes les richesses qui sont renfermés dans leur trésorerie et qui méritent bien qu'on en dise un mot, pour en relever l'éclat, et parler de leur fabrique.

L'image en buste de St-Lambert, patron de l'église, est incontestablement l'un des plus beaux chefs-d'oeuvre que l'on ait vu, j'en appelle à témoins ceux qui ont voyagé et qui s'entendent aux beaux-arts. C'est une pièce, selon d'aucuns, de Henri Zutman, orfèvre de Liège, frère de Lambert Suavius, tous deux fils de Lambert Zutman, sculpteur fameux, que l'on dit avoir dirigé le frontispice de la cathédrale du côté du palais épiscopal. Je ne veux pas soutenir que les petites figures de son piédestal, qui représentent les trois principales histoires de ce saint, soient de perfection; ce qu'il y a d'extraordinaire, c'est qu'elles sont jetées et que, par leurs circonférences, elles représentent avec beaucoup d'industrie toutes leurs actions en théâtre. C'est un présent que l'évêque de la Marck fit à son église l'an 1508. Il y est en effet représenté sur la plinthe, à genoux, revêtu d'habits d'église, et à l'opposite, de ses armes couvertes d'un chapeau; ce qui me persuade qu'elles y ont été posées depuis, pour un chapeau de cardinal.

Le coffre d'argent entouré des douze apôtres, qui renferme les os dudit saint, au beau milieu de ledum (?), fut réparé et augmenté de beaucoup par la libéralité dudit évêque. Il est facile de juger de son antiquité par le peu d'ordre et de dessin qui s'y trouvent; ce qu'on y aie plus considéré, c'est la multitude des pierreries rares qui l'ornent et qu'il avait recueillies en Italie; d'autres disent que les vénitiens lui en firent présent lorsqu'il passa parlà en qualité d'envoyé de France. Pour ce qui est des platines d'argent, ciselées, gravées et damasquinées de tant de manières différentes, dont ledit coffre est revêtu, je n'y vois rien de remarquable qu'une abondance de travail qui a piqué ces ouvriers par une diversité si grande.

On conserve précieusement une quantité de reliques dans leur sacristie; desquelles on fit la revue l'an 1489, le 14 avril, en présence de quatre chanoines députés du chapitre; de quoi voyez Mélart en son Histoire, p. 291.

Ces vénérables gages de tant de saints sont distribués en divers coffres portatifs richement ornés; tous ces beaux meubles se portent tous les ans, le 28 avril, jour de la translation de St-Lambert, dans une procession qu'on a fondée en 1526 avec beaucoup de pompe, et dotée par tout le clergé de Liège, le magistrat et tous les corps du peuple, distribués en 32 métiers, accompagnés de leurs officiers en tête, de leurs banneresses et des cressets. Cette belle congrégation a de tout temps fait la délectation des habitants, et pour le solenniser avec plus d'appareil, les quatre compagnies sermentées des arbalétriers, et des harquebusiers faisaient, la veille d'icelle, leur revue sous les armes, chacun paré de son mieux; c'est ce qu'on a nommé le skerway.

S. A. de la Marck, accoutumée au travail, fit orner le chœur de cette cathédrale l'an 1513 de tapisseries, autant belles qu'on ait pu faire à Paris; pour lesquelles il n'épargna rien; elles ont été admirées pour la richesse de leur matière et du dessin et comme sa dévotion a toujours concouru à la magnificence, il y fit représenter l'histoire de la Vierge et de St-Lambert, leurs patrons. Ces pièces, aujourd'hui vieilles de près de deux cents ans, sont bien d'un autre artifice que celles que l'on expose à côté delà nef de l'église de certains temps de l'année, qui ne sont pourtant que 50 ans plus vieilles: on y verra le progrès de cet art qui a assurément langui dans ce pays, faute d'emploi et de curiosité des gens riches qui ne se portent qu'au nécessaire.

Il disposa de sa sépulture l'an 1527, qu'il choisit au milieu du choeur; et par cette inclination de bien faire, il se porta insensiblement à une dépense toute royale qui a donné de l'envie à bien des gens; la solidité était son penchant et la perfection toute sa joie; son effigie, grand comme nature, y est représentée à genoux, revêtu d'habits de cardinal; encore que les figures d'alentour, qui représentent quelques vertus, ne soient pas des plus exquises, le reste est assurément de bon goût et pour un mausolée de ce temps, on n'avait rien vu de comparable. On lui conseilla de le faire dorer, mais d'une épaisseur si extraordinaire, qu'il surpassa l'attente de tous ceux qui l'ont vu faire; c'est un bourgeois de Bruxelles, nommé Pierre le Comte, qui le vint entreprendre à Liège, où il s'est depuis domicilié; quelques-uns de ses ouvriers moururent de la fumée du mercure en le dorant, et lui-même en fut atteint et pour cela bénéficié d'une pension vitale; et afin de laisser à la postérité un mémoire de ce célèbre artisan, il fit enchâsser dans un pilier voisin une table de cuivre gravée du nom d'icelui avec la date.

La gratitude a quelque chose de rare; elle mérite bien qu'on en parle, autant qu'il serait souhaitable que tout le monde le sut; c'est elle qui redresse tous les défauts de la nature; elle cultiva la peinture, elle rétablit l'architecture et la sculpture, et diverses autres firent tous leurs efforts pour trouver de l'emploi parmi tant d'entreprises. Il n'est rien de plus glorieux aux gens d'honneur que de servir des autres; le plaisir que l'on y goûte est singulier, la mémoire en est infinie et rien n'est plus délectable que la compagnie des savants; leurs oeuvres sont autant de voix qui publient leurs noms. Que les cloches ont des langues et des appas pour inviter à l'office divin! Que n'en disent pas les deux grosses de cette église, autant de fois qu'on les balance? Elles annoncent de la joie ou de la pompe, personne ne les touche en vain; le nom de l'auteur retentira toujours. Rien n'est plus nécessaire que le travail, il entretient les peuples et les retire de la paresse; il leur inspire de l'invention et de l'adresse; c'est la mère des plus belles choses que l'on voit partout.

La maison la plus voisine dudit beau portail, et qui fait le coin pour aller à St-Pierre, est assurément la plus galante que l'on avait vue en ville; elle fut bâtie l'an 1548, sur le dessin et la direction de Lombard; elle est de l'ordre corinthien surmonté du composite, ornée de très-belles sculptures à la manière italienne, que le dit maître avait étudiée à Rome, et professée avec succès le premier en ce pays. Ce bâtiment fut dressé aux dépens de Jean Oem de Wyngarde, gentilhomme du diocèse d'Utrecht, chanoine et écolâtre de la cathédrale de Liège; ses armes y sont en effet coupées au-dessus de la porte; et les quatre quartiers au-dessus d'autant d'attiques, dressées au-dessus de la corniche d'icelle. La maison voisine par derrière, était bâtie de la même manière, aussi bien que diverses autres qui ont servi â redresser l'architecture sur un bon pied, non pas encore telle qu'on l'a perfectionnée du depuis. Que si l'on se donne la licence de raisonner un peu de tout ce que nous voyons de mieux, ce sera avec une telle modération qu'on en tirera plus de fruit que de blâme.

Je sais bien que les arts avaient fleuri avant la destruction de Liège; témoin les belles églises collégiales et paroissiales qu'on a dû orner d'autels dont la peinture se rendit nécessaire, quoiqu'on ne travaillât qu'en détrempe.

Parmi tant d'églises qui ont été conservées au temps de cette destruction, il n'est rien resté de ces sortes de peintures; on n'y voit même aucun ornement digne de réflexion. Les différences de leur structure sont bien considérables; la cathédrale par sa vastitude, celle de S. Paul par son beau vaisseau, de S. Jacques par sa clarté, de S. Martin par sa splendeur, de Ste-Croix par sa hardie élévation. Mais ce n'est pas à leurs beautés que j'en veux ni à leurs fondations, par lesquelles elles vont selon leur rang, ni à leurs architectures qui se sentent toutes du gothique; c'est à ce qu'on y a ajouté depuis et de plus fraiche date que je m'adresse.

Entre les réparations publiques que l'on voit à Liège, la façade de l'église de saint Jacques, bâtie l'an 1558, du temps de dom Nicolas de Raves, abbé de ce monastère, est une des plus vantées pour tous les ordres d'architecture qui s'y trouvent; on l'a crue de Lombard qui travaillait à ce même temps audit monastère, ou de quelqu'un de ses disciples; leur chapitre en porte le nom, et quand on ne voudrait l'avouer, du moins est-il vrai que tout est fait sur son dessin par quelques-uns de ses disciples; ce qu'on pourrait dire encore des peintures de leur grand réfectoire.

Pour moi je ne crois pas que le dit portail soit de lui, parce qu'il a trop du moderne et du flamand dans ses tympans et autres parties qui paraissent bien mieux de Hans de Vriese, ce fameux architecte hollandais. L'ordre est du corinthien mêlé du composite à trois étages, et comme les colonnes sont fort hautes pour leur grosseur et les chapiteaux trop gros, j'en laisserai le jugement à qui voudra.

Pour les peintures sur les murailles de la croisade de saint Paul, la première à gauche, qui est une Cène, est assurément de Lombard même; c'est la plus grande qu'on aie vu de lui; les figures sont tout au moins comme nature et la disposition très-magnifique; les autres voisines de la même parure ne sont pas de lui, mais bien de ses élèves ou d'autres, qu'il a pourtant dirigés sous sa manière: elles sont faites à l'eau à manière de fresques, et sont fort ruinées ayant été faites sur un ciment qui n'a pu se soutenir, vers l'an 1558, comme il se prouve par les chanoines qui l'ont fait faire et qui sont morts aux environs de ce temps là, entre autres Pierre de Herckenrode; mais qu'est-ce qui dure toujours? Cent ans amènent de gros changements, sans quoi ceux qui viennent à naître ne trouveraient guère à s'occuper.

Encore que l'église de saint Paul soit d'une structure qui surpasse par sa beauté et régularité aussi bien que par son choeur, toutes celles de Liège sans exception, on voit à regret qu'elle n'a ni tour ni portail, ni entrée dans l'ordre; son entrée ou portail de derrière a été fait en quelque manière pour réparer ce défaut, mais encore il n'est pas assez riche ni élevé à proportion; il fut fait de l'an 1544 ou environ; de toutes les collégiales, il ne s'en trouve pas une, quoique très bien bâties, qui fut assortie d'une entrée ou frontispice de conséquence; l'on a vu de notre temps que les Frères Mineurs ont fait tout ce qu'ils ont pu pour faire paraître le front de leur église selon l'existence du terrain. Les pères Carmes déchaussés ont mieux rencontré pour la situation de leur église, et leur portail, qui ne correspond pas assez à la richesse de son église, ne laisse pas de donner son agrément; cette église comme celle de saint Rémi n'étaient que des chapelles il y a 60 ans; à la date que j'écris, on peut dire que sa sacristie est régulière et sa façade honorable pour une paroisse. Celle de sainte Marguerite est encore tout fraîchement bâtie; celle de la Madeleine, celle de sainte Catherine et des pères Minimes, aussi nouvellement bâties, d'une méthode extraordinaire, est bienfaisante, par la libéralité du Rd seigneur Erasme de Surlet de Chockier, chanoine de la cathédrale de Liège, qui n'a rien épargné pour rendre sa mémoire éternelle; sa sépulture coupée en marbre blanc parle assez de ses mérites pour passer â la postérité.

L'église de saint Michel est encore une de notre temps, de même que celle de saint Jean Baptiste, la plus éclatante de toutes, pour sa belle entrée et son frontispice trop superbe, trop élevé et pesant.

L'église des Bénédictines sur Avroi, en est encore une; son entrée est assez magnifique pour un plus grand vaisseau; elle ne promet pourtant pas de durer si longtemps, pour sa trop grande charge de pierres de taille entassées l'une sur l'autre.

L'église des pères Jésuites surpasse assurément toutes celles dont nous venons de parler; pour le peu de temps qu'on y a travaillé, il est presqu'incroyable que le R. P. Goret a pu obtenir des charités assez considérables que pour arriver jusque là; ceux qui veulent le mieux s'y entendre auraient souhaité l'élévation de la voûte à quelques pieds de plus, avec quelques ornements, à faire symétrie à la richesse de l'autel et de ceux qu'on prétend encore de faire; comme aussi de son docsale et de son frontispice que l'on peut à son temps élever et embellir d'une structure royale, suivant sa situation et son élévation.

Les religieuses Anglaises ont aussi bâti leur église, aussi bien que les Grises soeurs, après les Ursulines, celle de sainte Agathe au faubourg saint Laurent, et de sainte Gertrude toute voisine.

Les Capucins, au faubourg sainte Marguerite, y sont encore fondés de notre temps, et leur église bâtie par la dévotion de M. Gilles-François de Surlet, chanoine et archidiacre d'Ardenne, prévôt de saint Barthelemi; on y voit en effet sa pierre sépulchrale de marbre blanc, coupée en relief et en habits d'église, très-magnifique.

L'église et couvent de Saint Léonard, au faubourg de ce nom, est encore un ouvrage de notre temps. Les Conceptionistes sont bâties par Mr Arnould de Butbach, jadis bourgmestre de Liège, qui a fait une partie de la dépense principale. Les Célestines au quartier d'Ile, l'église des nouvelles Conceptionistes en Bêche, dont le front est rehaussé des armes de M. de Surlet, vicomte de Montenaken, lequel a aussi fait bâtir et fonder en partie l'église et maison des Invalides, même celle des Répent ies toutes voisines, dans un très beau fond qu'il a acheté dans la rue du Verd-Bois.

L'église des Anges sur Avroit, très-bien bâtie, n'est guère vieille de plus de 60 ans; celle des Bons Enfants est plus nouvelle; les Capucins sont encore de ce même siècle, aussi bien que les églises de Sainte Walburge, des Clarisses et des Récollectines en Bêche, les religieuses de Hocheporte, les Carmélites à la porte de Vivegnis, les Récollectines sur le Quai; les Récollectines sur Avroi nouvellement érigées en couvent, sont attendantes de bâtir aussi, aussi bien que celles de Beaurepart la fausse porte d'Avroit. Les Orphelins ont une petite jolie église, bâtie depuis peu, et le nombre d'iceux s'augmente à proportion des legs faits en leur faveur par la charité des bonnes gens. On a de plus la maison de Saint Joseph Outre-Meuse, encore fondée par le susdit M. le vicomte de Montenacken qui en a acheté le fond, comme aussi des petits enfants de bonne volonté, dont le nombre est augmenté jusqu'à septante et plus, qui sont encore bénéficiés dudit seigneur de Surlet.

L'an 1600, le 4 avril, fut posée la première pierre à l'église des Capucins à Liège, qui était avant la maison de maître Laurent Wendelin, qui eut pour récompense une prébende à St-Barthélemy; il était alors curé de l'église paroissiale des onze mille Vierges. Le couvent fut bâti par des charités et par la libéralité de M. Jean de Curtius, riche bourgeois et de grande magnificence par cette splendide maison qu'il s'est fait bâtir sur la Batte à l'opposite de la Meuse. Il a aussi fait bâtir à ses propres frais la dite église des Capucins, et la montée par laquelle on y monte était un jardin appartenant aux dames de Ste-Claire, qu'on leur prit pour un meilleur usage.

Le Lazaret est un enclos bâti par le magistrat de Liège, pour y renfermer des malades ou pestiférés; l'écurie au pont Maghin est encore un édifice fait par le magistrat de Liège au XVIIe siècle.

Tout cela n'est encore rien en comparaison de la belle rotonde des pères Dominicains, commencée depuis l’an 1676, du temps de feu M. Berlholet, peintre et chanoine de Saint-Paul, qui en donna le dessin, qu'il crut faire mettre en exécution par l'assistance des bonnes gens; mais ayant été prévenu de la mort la susdite année, elle est demeurée imparfaite jusqu'à l'an 1700, qu'on y recommençait à bâtir et qu'on a poussé jusqu'au sommet de la lanterne, sous la direction d'un frère religieux de leur ordre, qui va tâcher de la mettre en sa perfection, par le secours des gens dévots, qui voudront bien partager à l'érection d'une si belle oeuvre, qui fait tout l'ornement de la ville de Liège.

Depuis l'érection de la citadelle, commencée l'an 1650, jamais Liège n'a été si riche par la quantité des impôts qu'on y a mis sur le peuple abbatu, qui a été depuis obligé à la construction d'icelle, par une rigoureuse destinée; entre les repreneurs d'icelle et les directeurs, plusieurs se sont enrichis, comme il se voit par les édifices qu'ils ont fait bâtir; le magistrat s'en est aussi ressenti par les réparations qu'il a parées de ses armes, lequel en a usé aussi très-libéralement envers tous les aisements publics et jusque au superflu; ce n'est pas qu'on y trouve quoi que ce soit à redire; ce n'est qu'au fait des plus vieilles églises et des réparations publiques que l'on avance cet article; elles n'ont jamais monté à des sommes si hautes ni été bâties si splendidement; tout ceci se prouve oculairement. Que voudrait-on manifester plus clairement que par le luxe et l'abondance des carosses que l'on compte aujourd'hui à Liège? Il y a 60 ans d'ici il n'y en avait pas une demi-douzaine; encore étaient-ils construits de cuir tant seulement; à présent on en voit plus de 60 pour lesquels on est obligé d'entretenir autant de valets, de cochers et autres domestiques, à la charge du petit peuple qui n'a jamais été si pauvre, lui qui paye tout, qui souffre tout et qui sert à tout, et à la décharge des plus riches, mais principalement de tout le clergé en général, qui grossit, qui s'enrichit des biens d'églises et d'autres, et qui ne contribue en rien aux charges immenses des impôts, des 60mes des logements, des guets et gardes qu'ils sont obligés de subir.

Tout ce que je viens de dire n'est pas nouveau; dès la grande et générale ruine de la cité, arrivée l'an 1468, que toutes les maisons bourgeoises furent brûlées, les églises et les cloitres furent conservés; et s'il a fallu redresser les portes et les murailles pour la sûreté publique, messieurs les ecclésiastiques n'ont encore rien voulu contribuer, non plus que les principaux, qui veulent être exempts de même. Liège restait destituée de force et de murailles au commencement du siècle 1500; elles furent renversées par les dernières guerres; il ne restait que celles de derrière St-Jacques qu'on avait réparées l'an 1475 jusqu'au pont d'Avroit, pour affranchir le quartier de l'Ile, auquel le conseil ou gouvernement du duc de Bourgogne avait établi sa domination; on voit par leurs breteches la force d'icelles; il y en avait de pareilles depuis le rivage des soeurs de Hasque jusqu'aux Croisiers; elles traversaient la place des Jésuites, le long de la muraille des Carmes, qui est bâtie sur les fondements d'icelles, aussi bien que toutes les maisons de cette ligne. Son épaisseur a fait connaître qu'elle était bâtie en arcades et que les eaux s'y débordaient, car le dehors n'était qu'un marais qui s'y est augmenté; il sert aujourd'hui de terrain au Jésuites, qui ont succédé aux frères Hiéronymites, dits les Fratres, appelés de Bois-le-Duc pour l'éducation des enfants. Les premières réparations que l'on fit à Liège après ledit renversement comprenaient la muraille du long de l'eau depuis le pont d'Avroit jusqu'à Saint-Jacques qu'on dit la Tour aux conins. L'an 1474, que les commis pour lever les taxes imposées sur chaque bien du reste des habitants firent expédier, pour leur sûreté iceux dont Humbercourt était le chef, étaient logés sur le Pont-d'Ile à la maison Jean Damay qui fut depuis à l'échevin Masset; parce moyen ils étaient tout environnés de la Meuse par celles du rivage du Beaurepart qui sont de très-petite dépense; la belle muraille voisine qui se voit le long des Croisiers et les renferme, fut bâtie l'an 1524 de même que le petit boulevard voisin des Jésuites qui fut commencé du temps d'Arnould de Berlo, seigneur de Sclessin, Oignies, et Jean Conrard de Brusse dit de Loyne, alors bourgmestres, comme il se voit par leurs propres armes gravées sur la petite porte qui va à l'eau; on renferma par icelle un grand terrain inculte qui a servi de circuit, occupé depuis par lesdits Croisiers et le Beaurepart; le reste en montant jusqu'à l'opposite de la tour en Bêche ayant été fait postérieurement au XVIe siècle.

Il reste encore quelques parties bien anciennes qui renferment St-Martin en Mont; elles m'obligent d'en dire un mot, puisque c'est de ce côté là qu'elles furent escaladées et la ville sans aucune surprise, pillée et saccagée. La carrée tour que l'on nomme aux Moxhons en fait foi par une pierre enchâssée en icelle et gravée d'un vieux caractère, que les enfants disent écrits du diable. Ce sont pourtant des rimes qui s'expliquent assez bien (2).

Le susdit duc de Bourgogne avait fait raser à la porte de Ste-Marguerite, 20 aunes de muraille et à St-Martin autant: c'est par là qu'elle fut depuis prise d'assaut l'an 1468: il s'agissait donc, après les larmes taries, de renfermer les portes et les murailles: ce fut l'an 1483, du temps de Jean de Hornes, qu'on éleva audit St-Martin, ladite tour qu'on disait aux Moxhons, laquelle était servie de divers étages d'où on découvrait bien loin.

En recommençant depuis la porte des Begars, au fond de la Basse-Sauvenière et remontant à St-Marlin, on y rebâtît les murailles qui se voient encore aujourd'hui comme il a été écrit, par la tour Moxhon ci-dessus. La rondelle de la dite porte de St-Martin fut bâtie l'an 1529, sous l'administration de Raes Dans, écuyer, et de Gilles d'Heur, échevin et bourgmestre du temps; elle fut jugée nécessaire pour la défense de cette porte et le faubourg, et considérée pour sa dépense.

Le carré bastion entre Hocheporte et la porte Ste-Marguerite, surnommé du St-Esprit, avec son cavalier, fut bâti depuis peu, l'an 1602, du temps de Philippe du Saint-Esprit et d'Arnould de Mathys, alors bourgmestres; la dite porte de Ste-Marguerite a été faite sous plusieurs administrations.

La porte de Ste-Walburge fut renouvelée l'an 1543, du temps d'Erard de Wihogne et de Jean Junccis, alors bourgmestres, et cette belle pièce fut ensuite fortifiée par le bastion nommé du Clergé; d'autant que n'ayant jamais contribué à la sûreté commune et ne voulant pas aussi entrer au commun, il voulut, à ses dépens, le faire élever l'an 1548, sous l'administration de Gilles de Stier, échevin, et de Jean Goeswin dit de Beyne, alors bourgmestres, tous deux à côté des armes de Georges d'Autriche et du péron; ledit bastion est à la gauche de ladite porte, défendue par un très-beau fossé; si il fut fort vanté de son temps, il ne fut pas moins estimé de certains officiers français qui firent tous leurs efforts l'an 1676, pour le faire sauter avec la citadelle, sans qu'on pu le renverser. On ne pensa guère que ces belles défenses serviraient un jour contre la cité même, et l'expérience a bien fait voir que la sûreté de cette ville reposait sur la valeur des armes de la bourgeoisie, qu'on a depuis tellement abatardie. Sa Grâce révérendissime de Groesbeeck en a été témoin, quand elle se vit investie de l'armée hollandaise, l'an 1568, sous le commandement du comte de Nassau, prince d'Orange, campée à St-Laurent, à St-Gilles et au Val-Benoît, où elle ne commit pas peu de désordres; c'est alors qu'elle eut besoin de ses peuples pour réprimer cet ennemi qui s'était si hautement déclaré contre les ecclésiastiques; on les anima de belle grâce, et par ce moyen on obligea ces religionnaires à décamper, non pas sans grande perte d'iceux.

La grande muraille ou boulevard du pont d'Avroit fut commencé l'an 1549 du temps de Jean de Serville, échevin, avec Guillaume Goesuin dit de Beyne, alors bourgmestres; mais la porte ne fut achevée comme elle est que l'an 1598. On vit alors ce que valait l'union du peuple; c'est une forte chaîne, capable d'arrêter toute violence; on ne l'a que trop senti au grand avancement du clergé et de la table épiscopale. Il fallut encore veiller à la réparation de la porte qu'on dit de St-Léonard, pour éviter toute surprise, car c'est là qu'on était le plus exposé. Ce beau boulevard fut commencé l'an 1541, du temps de Richard de Mérode et d'Erard de Berlaimont, bourgmestres, conduit bien avant en l'an 1554 et achevé l'année suivante, du temps de Jean de Loncin, seigneur de Flémalle, et de Raes de Goyé, bourgmestres; ce bel ouvrage fut conduit par Paul de Ryckel, homme d'esprit et entreprenant, lequel s'étant depuis engagé à la réparation de l'église collégiale de St-Martin, fut poursuivit par quelques maçons qui lui envièrent l'honneur de son avancement, l'attaquèrent à l'impourvu et le tuèrent en descendant, l'an 1568. La gordine de la dite réparation et le bâtiment de dessus ladite porte furent achevés et dressés l'an 1565, du temps d'Erard de Wihogne et de Gérard de Fléron, bourgmestres de Liège; le devant de cet édifice, qui regarde du côté de la ville, est orné de leurs armes, et le derrière, du côté du pont, l'est des blasons de Georges d'Autriche et Robert de Berg, de Gérard de Groesbeeck et d'Ernest de Bavière, consécutivement évêques de Liège, surmontés de ceux de l'empire et de la cité, tous sculptures en sable et en grand volume, pour l'ornement d'une si belle pièce, soutenue d'un pont et d'un très-beau fossé qui ont bien coûté à faire.

La boucherie fut dressée pour l'utilité publique l'an 1544, du temps de Guillaume de Meff dit du Champion, échevin, et de Jean de Miche alors bourgmestres, lesquels entreprirent le côté de l'eau; le devant fut achevé l'année suivante par Erard de Berlaimont et Woot de Trixhe, qui leur ont succédé.

Ce n'est pas pourtant que la cité eut de si gros revenus pour tant de si belles entreprises que l'on voit ; il est pourtant vrai que son rapport ne montait pas à plus de 35 à 36 mille florins Brabant, comme il se prouve par les comptes-rendus et imprimés des années 1635 et 1636, qui sont communs, mais qui ont depuis haussé et approché sous l'administration de 1696, de près de cent mille florins Brabant, cueillis ex promptioribus.

La muraille des Pères Récollets, qu'on dit en Jérusalem, le long de l'eau, avec la tour à son extrémité et cortigarde pour la conservation du côté du Pré-St-Denis, est une pièce de grande dépense qui a servi et sert encore favorablement à ces Pères par une promenade aussi belle que leur jardin est agréable; elle fut faite l'an 1527, par les soins de Jean de Berlaimont, seigneur de Floion et Gilles le Berlier, bourgmestre; la dite torrette ou cortegarde fut faite l'an suivant, sous les armes d'Onifrid le Cellier, échevin, et de Henri Haweal, maîtres de Liège pour le temps; la dite muraille se va terminer à la porte du pont d'Amercoeur, soutenue d'une belle demi-lune, bâtie l'an 1540, du temps du dit Henri Haweal et de Masset Woot de Trixhe, aussi bourgmestres.

La tour qu'on dit de Bêche, qui sert d'arsenal à la cité, fut bâtie les ans 1538 et 1539, du temps d'Aimond, baron de Schwartsembourg, seigneur de Bierset, etc., et de Wathieu Woot de Trixhe, bourgmestres, rechoisi en place d'Arnould de Berlo, décédé. Item encore la belle muraille de Graveroule, avec leurs armes; l'avant-porte de Saint-Martin en Mont du côté de la ville, est de l'an 1544, au haut de laquelle se voient les armes des bourgmestres Guillaume de Meef dit du Champion, échevin, et Jean Miche, son confrère.

On ne doit pas omettre ici le bâtiment de la grande halle sur la Batte; c'est une aisance de la cité d'un très-grand service pour les comptoirs de cette ville; elle ne fut pas pourtant bâtie pour ce sujet, car elle fut faite en 1574, du temps de Jacques de Hodeige et de Pierre le Rosseau,dit du Saint-Esprit, où leurs armes sont coupées sur la cheminée.

Celle qu'on nomme de piété, en Hongrie, est bien dispendieuse et magnifique; avec le reste, du côté de Saint-Barthelemi, on en peut faire un palais assorti de toutes ses beautés; elle fut bâtie par M. Jean de Cort ou Cortius, bourgeois et négociant, homme d'esprit et entreprenant, premier fondateur des Capucins de Liège, et bienfaiteur de quantité d'églises où ses armes sont exposées; mais je ne m'arrête pas là ; je dois dire un mot de la belle fondation de l'hôpital qu'on dit de Bavière, maison aussi très-splendide, appartenante et bâtie par le Sr Bernardin Porquin et acquise de ses héritiers pour un sujet si pieux, qui a été pourtant grandement augmenté par Martin Didden, doyen de Saint-Pierre, et grand nombre des plus honnêtes bourgeois, lesquels y ont veillé et agrandi les revenus par des legs.

Je ne dois non plus oublier le beau Pont des Arches qui fut achevé l'an 1660, après huit ans de travail continuel; il a été de beaucoup accéléré par les soins d'une compagnie de bourgeois marchands, dont les noms sont écrits sur une grande pierre polie, pour récompense de leurs peines, avec la jouissance des 32 bons métiers, qu'on leur a accordée, comme aussi pour leur postérité. Les bourgmestres, sous l'administration desquels il a été dressé, y ont aussi leurs armes, au pied d'un crucifix de bronze, au-dessus desquels se voit une défense à qui que ce soit d'y bâtir, et une licence à un chacun de démolir. Cet ordre n'a été que pour les petits, puisqu'on y a bâti depuis une Dardanelle à son beau milieu, à la faveur de la citadelle, qui a servi de très-peu de chose quand l'ennemi l'a surpris et avancé jusqu'au pied de ladite citadelle.

Ceux-là même qui dirigent les lois, les bouleversent aujourd'hui; tout est conduit en despotisme, et la bonne cité qui a tant contribué pour l'entretien des murailles susdites, des ponts, rivages, conduits, pavés des rues, des fontaines et des canaux, des portes et autres aisements publics, cette bonne mère, dis-je, n'est plus qu'une marâtre que quelques enfants dénaturés ont presque accablée en lui dévorant ses entrailles. Si toutes ces choses lui ont appartenu, les clefs d'icelle n'ont-elles pas été au magistrat, la garde à la bourgeoisie? On n'a pu, avec justice, les leur arracher dès l'an 1566, que le prince de Groesbeeck fit pour cela tous ses efforts, et dont il institua une question de 68 articles que nous laisserons aux curieux.

La place des Cheveaux fut enceinte de sa cortine l'an 1569; la place Verte le fut de toutes pierres de taille, avec des portes de fer, l'an 1549; tout cela fut rasé l’an 1651.

Le quai qui borde le long de la Meuse jusqu'aux jardins de Saint-Léonard, est encore une des plus belles réparations de notre temps; les armes des bourgmestres que l'on y voit en plusieurs endroits ont accéléré de beaucoup toutes choses, et pendant même la rigueur de cette dernière guerre, on n'a pas laissé de le rendre le plus agréable lieu de promenade qui soit dans tous les pays d'alentour.

Depuis le bombardement de l'an 1691, on peut dire qu'un quart de la ville est bâti tout à neuf, ayant été brûlé par les Français. Et combien d'autres et de très-splendides édifices n'a-t-on pas, depuis 60 ans, élevés pour l'embellissement de cette ville? Il est vrai que la Caroline donnée et publiée du temps du cardinal de la Marck, y a contribué beaucoup, pour ceux qui ont de l'argent à appliquer, et parce moyen venir à rédemption des rentes foncières, qui ne sert que pour les riches qui ont la puissance de s'en défendre contre des moindres.

Et c'est pour cela que la plupart de ceux qui faisaient bâtir, faisaient aussi graver les armes de ce prince, ou sur les frontons ou sur les portes et cheminées; il leur avait inspiré cet air de bienséance que l'on observa pour son palais, lequel ne put être achevé de son vivant. Il s'y logea néanmoins l'an 1536, et y reçut avec beaucoup de tendresse Réginal Paulus, cardinal anglais, chassé de son pays par les réligionnaires. Il l'y avait invité exprès pour le mettre en sûreté pendant qu'il était poursuivi par tous, pour une grosse somme d'argent imposée sur sa tête. Ce fut dans ce séjour de 5 à 6 semaines qu'il fit à Liège, que Lombard, peintre fraichement retourné à Liège, eut le bien de lui plaire; et comme ledit cardinal se disposait pour le voyage de Rome, il obtint place entre ses domestiques par l'entremise d'Erard de la Mark qui lui assigna même une pension, afin que, s'étant perfectionné en Italie, il eut la satisfaction de s'en servir pour l'ameublement de son palais; il avait à la vérité bien choisi; mais la mort le prévint un an après, le 16 février 1538, qu'il n'y avait rien de parfait.

Si la ville de Liège a changé de face en si peu de temps, ce n'est encore que par l'abondance d'argent qui roule entre des particuliers, dont les marchands, les brasseurs et autres, ont trouvé le secret de faire leur fortune avec les fermiers.

On n'en dira pas de même au regard de la cathédrale église, laquelle quoiqu'on la voie aussi ornée si noblement et en si peu de temps, surpasse assurément toutes celles des Pays-Bas et de toute la basse Allemagne. Le grand autel qui a été donné l'an 165. par Maximilien-Henri duc des deux Bavières, en mémoire d'Ernest et de Ferdinand, aussi ducs de Bavière, évêques et princes de Liège, ses oncles, est assurément le plus riche et le plus magnifique que l'on ait encore vu et le plus dispendieux qui soit dans les pays d'alentour, par sa matière de jaspe et marbre, comme par ses dorures et peintures. Le docsale dudit choeur a été fait peu après, soutenu de colonnes de marbre blanc et d'autant de pilastres de l'ordre ionique; il a été payé par 12 archidiacres d'icelle église, les armes desquels se voient sur les piédestaux de la balustrade de cuivre; les deux autels au-dessous d'icelui, sont ornés des armes du comte de Furstemberg, prince de Strasbourg, avec deux peintures de Bertholet.

Les deux chapelles voisines dudit docsale ont été ornées et renfermées de marbre avec portes et balustrades de cuivre, par le prince Guilleaume de Furstemberg, aussi évêque de Strasbourg, duquel on voit sous la corniche les huits quartiers de ses armes, sur les dites portes et au-dessus d'un pilastres de marbre blanc, laquelle fait la séparation des dites chapelles, qui marquent le dessein que l'on a de continuer ce grand ornement, qui ne trouvera nulle part son égal.

Les chapelles à l'opposite de celles-ci du côté du palais, ont été ornées de même par la libéralité d'Eugène Albert d'Allamont, chanoine de Liège, pourvu à l'évêché de Gand. On y voit aussi ses huit quartiers sur la frise, et ses armes au-dessus de la porte.

L'autre chapelle joindante est une réparation, laissée par testament de Jean-Arnould de Leeraed, chanoine de Liège, reçu l'an 1645, ayant aussi ordonné pour la construction de l'autel de la même chapelle; le tout de marbre blanc et autres; ses armes sont au-dessus de la porte et ses huit quartiers sur la frise comme les autres.

Le vieux choeur de la même église a été orné et renfermé d'une même parure de marbre aux deux côtés, avec deux portes et balustrade de cuivre; l'autel qui est au-dedans, est aussi très-propre, sculpture du marbre saint Lambert; c'est une réparation digne de deux chanoines très-splendides, je dis de Laurent Méan, archidiacre de Hainaut, chanoine et écolàtre de Liège, et de Théodore de Puytlinck, chanoine de la même église et prévôt de Maeseyck. On voit dans la même chapelle du vieux choeur, le mausolée de Jean Ernest de Chokier de Surlet, aussi chanoine de Liège, archidiacre d'Ardenne, vicaire-général sous trois évêques consécutifs et abbé de Visé; il porta assurément la réputation d'un grand homme à la postérité par son portrait, la fondation et le beau titre écrit au-dessous d'icelui. Il reste ici encore un autel de marbre, avec un beau bas-relief de marbre blanc, dressé dans la chapelle du Saint-Sacrement ou du vestiaire, au côté droit du grand autel, d'une structure de marbre nouvelle, laissé par testament d'Arnold Woot, chanoine de Liège et prévôt de Thuin; je ne sais si j'oserais dire qu'il a mal choisi dans ce lieu, à cause qu'il n'y a pas assez d'élévalion et que la clarté y manque, à raison d'une ancienne verrière avec les 16 quartiers et cimiers de Bernard, comte de Solms, chanoine de Liège, reçu l'an 1451, archidiacre de Campine, prévôt de Trêves, et cellérier de Cologne; laquelle est une rareté très-considérable pour son ancienneté et la manière de peindre et de blasoner, qui fait plaisir aux curieux.


(1) Ces vers sont rapportés dans le Recueil des Bourgmestres de la cité de Liège. Nous reproduisons les autres avec leurs fautes de prosodie, de grammaire, leur obscurité et leurs contresens.

(2) Nous omettons ces vers que le Recueil des Bourgmestres de la Cité reproduit fautivement comme nos Mss. et que M. Polain a établis dans son ouvrage: Liège pittoresque, p. 63. Ils sont suivis ici de l'observation que voici: « Ces quatre premiers sont deux de la Cathédrale et les deux autres des collégiales, savoir . de Chaîne de St-Pierre et Heinsberg de St-Paul; les huit autres sont des 32 bons métiers, renouvelés tous les ans le jour de Hubert in turno. »

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