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Château de Chokier

Les Seigneurs de Chokier
par L Lahaye

Parmi les fiefs qui relevaient de la cour féodale de l'avouerie de Hesbaye il n'en était pas de plus important que celui de Chokier. Il comprenait "toute la terre, haulteur et seignourie de Chockier avec les cens, rentes. cappons. brassennes. mollins. passaiges. eawes. pesseries et autres appartenances et appendices a ladite hauteur, commenchant a mostier dudit Chockier et durant jusques a rieu de Framezee"1. A ce domaine était uni le droit de collation de deux églises paroissiales en la cité de Liége, celles de Sainte-Catherine et de Saint-Georges. La série des possesseurs de cette terre n'a pas été dressée jusqu'ici. La reconstituer nous fournit l'occasion de rappeler le souvenir de quelques membres des principaux lignages liégeois. et d'utiliser les travaux érudits du baron de Borman.

M. A. de Ryckel, exposant brièvement l'histoire de Chokier, dit ne pas savoir comment ce fief passa, à la fin du XVIe siècle et au commencement du XVIIe, à l'Italien Jean-Jacques Barbiano de Belgioso puis à Paul, baron de Berlo 2. Quelques documents exhumés de la poussière des archives nous permettront de résoudre ce petit problème et nous amèneront à exposer un drame de famille qui ne nous semble pas dénué d'intérêt.

1. Le premier seigneur de Chokier authentiquement connu est Jean, châtelain de Hozémont. Fils d'Otton de Hozémont 3, mort en 1253, et de dame Sophie. petit-fils de Wéry de Fontaine 4. arrière-petit-fils de Gérard de Rulant ou de Hozémont et de la fille aînée d'Otton de Lexhy 5. il avait probablement succédé à ses aïeux dans la possession de la seigneurie.

Quoi qu'il en soit, Jean le Chastelain, encore mineur en 1253, au moment du décès de son père, était maréchal d'armes du Pays de Liége vers 1290 6. Il prit part aux luttes entre Awans et waroux; au cours des hostilités, sa forteresse de Hozémont fut emportée et rasée en 1298. Il mourut le 17 juin 1303 et fut inhumé dans l'église de Chokier. Sa veuve, Ermentrude, vivait encore en 1319 7,
2. Leur fils aîné. Jean, sire de Hozémont et de Chokier, cité de 1311 à 1317, eut, au témoignage de Hemricourt 8, deux filles dont l'aînée épousa
3. Jean Surlet, et lui apporta la terre de Chokier 9. Ce Jean Surlet était fils de Jean de Lardier, chevalier, échevin de Liége et de Marie delle Change, dame d'Ochain. Il devint bailli de Hesbaye et mourut en 1347 10.
4. Son fils unique, Adam Surlet, seigneur de Hozémont et de Chokier, était écuyer en 1353, chevalier en 1364 11. Il eut pour femme .Agnès, fille de Radoux le Blavier, échevin de Liége. "Ces époux". dit le chroniqueur, "mirent ensemble grans hiretages qu'ils ont petitement governeit"12. En 1368, ils durent aliéner leur seigneurie de Chokier; ils la vendirent 13 à
5. Eustache Chabot, échevin de Liége, qui mourut le 10 mai 1374 14.
6. André Chabot, son fils, fit relief de Chokier le 22 juillet 1375 15. Il ne conserva pas la seigneurie, car son beau-frère,
7. Jean Surlet (fils de l'ancien propriétaire, Adam Surlet). qui avait épousé Marie Chabot (fille d'Eustache), la lui contesta en vertu de son contrat de mariage et obtint gain de cause. Ce Jean Surlet n'eut qu'un fils. Adam qui mourut avant lui, et dont le testament fut annulé 16. Devenu veuf, Jean Surlet entra dans les ordres. Il laissa Chokier à son neveu et homonyme, fils de son frère Radoux Surlet et de Marie du Château de Jemeppe.
8. Jean Surlet eut d'abord à repousser les prétentions d'Eustache Chabot, fils d'André 17. Il fit relief de Chokier le 18 novembre 1409 et le renouvela de main à bouche le 14 décembre 1410 18 et le 2 juillet 1426. Il était chanoine de Saint-Martin. fut admis au chapitre de Saint-Lambert en 1429, devint prévôt de Maeseyck et mourut le 12 mars 1446 19. Il avait amélioré le fief: il y avait construit "depuis naguère une neufve maison" et y avait fait planter des vignes 20. Dans son testament, considérant que ses biens "ont esté de grand longtemps à nostre lignée de Surlet", il institua pour principal légataire son "cousin"
9. Fastré Baré Surlet qui releva Chokier le 23 mai 1446;. bien qu'un parent plus proche du défunt, Alexandre de Seraing, chevalier, se fût présenté à la cour féodale de Hesbaye pour faire hommage du fief 21.

Fastré Baré Surlet fut tué à la bataille de Brusthem. Ses biens ayant été confisqués, Charles le Téméraire en gratifia son féal .Antoine de Rolin. seigneur d'Aymeries. tandis que l'évêque de Liége conférait Chokier à Jean de Berlo, beau-frère de Fastré Baré Surlet. Mais ces attributions restèrent sans effet. La veuve de Surlet, Marie de la Chaussée de Jeneffe, s'étant remariée à Philippe de Jauche seigneur de Mastaing, "elle reçut tout et ne perdit rien, ni son fils"22. Ce dernier, Henri Surlet, mourut avant sa mère, sans laisser d'hoir de sa femme, Josette de Berlo.
10 Jean Surlet, frère de Fastré. chanoine de Liége et prévôt de Tongres. devint maître de Chokier "en vertu du testament de son oncle Jehan" qui avait voulu que le fief restât dans son lignage. Il le releva le 19 avril 1481 23 et le transporta le même jour à son frère,
11 Guillaume Surlet, écuyer. qui fit hommage aussitôt. En 1494, on voulut exiger de lui un nouveau relief. mais une sentence arbitrale décida que celui qu'il avait fait était suffisant 24.
12 Fastré Baré Surlet, fils de Guillaume et de Catherine Godeschal. releva le 19 mars 1518, par décès de son père 25.
13 Everard de Floyon. dit Berlaimont, mari de Catherine, fille unique de Fastré Baré Surlet. hérita du domaine de Chokier et fit relief le 12 mars 1533 26.
14 Georges de Berlaimont. grand bailli de Moha, son fils, releva le 29 janvier 1564 27. Il épousa Marie de Senzeille qui ne lui donna pas d'enfant. Par son testament du 21 janvier 1576 28, il institua sa femme légataire de tous ses biens, notamment de la seigneurie de Chokier et "aussi de toutes collations de cures, chapelles et aultels qui me peuvent appartenir". Georges de Berlaimont ayant été blessé accidentellement d'un coup de feu près de l'abbaye de Flône le 24 février 1582 et étant mort le surlendemain 29, sa veuve,
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Marie de Senzeille, fit relief le 24 avril 1582 30. Bientôt elle convola en deuxièmes noces avec Paul de Stor d'Ostrath. Les deux époux, après avoir fait un testament conjonctif par lequel ils se laissaient réciproquement tous leurs biens, en firent un second le 12 juin 1592: comme ils n'avaient pas d'hoir, ils instituaient pour héritier universel un jeune enfant. Paul de Berlo. leur neveu 31, pour lequel ils éprouvaient la plus vive affection, qu'ils avaient pour ainsi dire adopté. et qui vivait habituellement sous leur toit.

Paul de Stor étant mort en 1594. Marie de Senzeille prit un troisième mari. Jean-Jacques Barbiano comte de Belgioso. (fin janvier 1596).

Ce seigneur, issu d'une noble famille milanaise. avait suivi la carrière des armes. .Après avoir guerroyé brillamment en Hongrie dans les armées impériales. il avait mis son épée au service de l'Espagne et avait été envoyé dans les Pays-Bas en qualité de commissaire, général de la cavalerie. Sa bravoure lui avait valu les plus hautes récompenses; en 1607, la naturalisation liégeoise lui fût accordée 32. Ce vaillant homme de guerre semble avoir été le type accompli du soudard. D'après les documents que nous utilisons. il aurait été violent, emporté, parfois cruel, souvent fantasque. Tantôt, il est le protecteur généreux d'un couvent 33; tantôt il est poursuivi comme fauteur d'un complot hérétique 34. 0n cite de lui des traits qui peignent son caractère extravagant: s'étant épris d'une dame. "il en vint à telle fureur "qu'il se coupa un doigt de la main qu'il lui envoya en témoignage de " sa violente et désespérée amour"35. A tout propos, il tire sa dague du fourreau et en menace ses serviteurs. Un de ceux-ci ayant renversé par mégarde le perchoir d'un perroquet. est bâtonné jusqu'à ce que mort s'en suive. Un jour. Belgioso tue de sa main un soldat, coupable d'une légère incorrection; à une femme qui lui reproche de tenir une concubine, il répond qu'il la ferait périr s'il ne prenait pitié de son sexe. Il fait attacher à une colonne un huissier qui lui signifie un acte de procédure. ordonne de le battre de verges, de lui arracher la barbe, de lui amputer une oreille; il l'aurait traité plus cruellement encore si des amis n'étaient intervenus 36.

Tant que l'âge le lui permit, il alla de garnison en garnison, de camp en camp, aujourd'hui à Bruxelles ou à Diest, demain à Calais. à Renti, à Reinsberg; lorsque l'heure sonna pour lui de prendre sa retraite, il continua de s'entourer d'officiers et de soldats, anciens compagnons de luttes et d'aventures, spadassins émérites qui lui constituaient une garde prétorienne.

Avec un tel naturel, disposant de forces qui lui assuraient l'impunité, le comte inspirait une terreur universelle: plusieurs de ses adversaires n'osaient poursuivre des procès qu'ils lui avaient intentés.
En se mariant, Belgioso avait eu pour guide l'intérêt plus que l'amour. En effet. Marie de Senzeille n'était pas douée des dons de la nature; elle n'était plus jeune et ne s'exprimait qu'en bégayant. Mais elle était riche: elle possédait des biens patrimoniaux gisant surtout au comté de Namur; elle avait recueilli l'opulent héritage de son premier mari, notamment le castel de Chokier; en outre, elle disposait de sa part dans la communauté qui avait existé entre elle et Paul de Stor. L'astucieux Italien entreprit de capter cette fortune. Il employa d'abord les moyens de douceur et de persuasion pour amener sa femme à lui faire une donation en règle. Ayant échoué, il fit appel aux menaces et à la violence. Marie de Senzeille finit par céder: elle consentit à signer, le 9 juillet 1597 37, un acte de donation réciproque, son mari lui avait laissé ignorer qu'il n'était pas libre de disposer de ses propriétés, celles-ci étant assujetties à un fidéicommis perpétuel. D'ailleurs, il s'aperçut bientôt que la pièce qu'il avait extorquée était entachée de nullité: la coutume liégeoise ne reconnaissait pas la validité des donations entre époux. Il voulut donc se pourvoir d'un titre incontestable. Il commença par enlever à sa femme l'enfant qu'elle avait élevé, en faveur duquel elle avait testé, le petit Paul de Berlo. alors âgé d'environ onze ans, en l'envoyant en Italie, sous prétexte de lui faire donner une éducation conforme à son rang. En réalité, il espérait que l'absence de ce neveu atténuerait l'amour que lui portait sa tante et faciliterait la réussite de ses desseins.

Renouvelant ses instances, ses menées doleuses, au besoin ses sévices, il amena la malheureuse Marie de Senzeille à faire un nouveau testament, tel qu'il le désirait. Le cupide semblait avoir atteint son but: il était l'héritier présomptif de Chokier et de toute la fortune de son épouse. Celle-ci, cependant, regrettait l'acte qu'elle avait posé: ceux qui l'approchaient pouvaient l'entendre dire qu'elle avait modifié à son corps défendant les dispositions suprêmes prises avec Paul de Stor et qui restaient l'expression sincère de sa volonté. Mais l'effroi que lui inspirait son mari l'empêchait de réparer le mal qu'elle était consciente d'avoir fait.

Belgioso suivait le cours de sa carrière militaire. Tandis qu'il était en campagne, sa femme résidait au château de Chokier. Un jour, en 1602, il vint l'y trouver et il lui annonça qu'il avait décidé de la prendre avec lui, à Diest, où il tenait garnison. Dès le lendemain, elle dut l'accompagner. A peine arrivée, elle eut à subir la plus sévère séquestration. Elle fut enfermée dans une maison étroitement gardée par un poste de bravi italiens, tout dévoués à leur maître. Elle vivait dans une chambre dont les fenêtres étaient garnies de forts barreaux de fer. Elle ne pouvait communiquer qu'avec une domestique bossue, Marguerite Marcelin, dite la Gobette; il lui était interdit d'écrire aux membres de sa famille restés au comté de Namur, ou de recevoir aucune correspondance; on ne lui permettait pas même d'accomplir ses devoirs religieux. et le dimanche, elle ne pouvait pas se rendre à l'église pour y entendre la messe. 0n lui mesurait chichement une nourriture vulgaire, à laquelle certains soupçonnaient qu'une dose de poison avait été parfois ajoutée.

Dans de telles conditions, la santé de Marie de Senzeille ne tarda pas à s'altérer gravement. L'infortunée sentait que le terme de ses souffrances approchait; elle désirait ardemment révoquer les actes qu'elle avait été contrainte de souscrire et assurer sa succession à Paul de Berlo, l'héritier de son choix. Hélas ! elle ne pouvait avoir aucun rapport avec l'extérieur; jamais un notaire ou un homme de loi n'eût été admis à franchir le seuil de sa prison; on n'avait laissé à sa disposition ni encre, ni papier: on avait voulu la mettre dans l'impossibilité de rédiger un testament olographe.

Elle prit enfin une résolution énergique; elle se fit une piqûre profonde, et au moyen du sang qui en découlait, elle parvint à tracer quelques mots sur un feuillet de parchemin détaché de son livre d'heures: elle affirmait que les dispositions prises en faveur de son époux avaient été extorquées et que son intention formelle était de maintenir, en toutes ses parties. le testament qu'elle avait fait conjointement avec Paul de Stor. Elle supplia la Gobette, sa carmériste, de garder. ce document avec le plus grand soin et de le remettre à sa soeur, Madame de Berlo, qui ferait valoir les droits de son fils.

Cependant l'état de Marie de Senzeille s'aggravait: il était visible que la malheureuse n'avait plus que peu de temps à vivre. A ce moment, quelques personnes devaient être admises au chevet de la moribonde; un prêtre fut appelé pour la confesser. Mais toujours des soldats, le capitaine Jean Chabot, le lieutenant Barthélemy de Médicis. assistaient aux entretiens des visiteurs avec la patiente. Souvent Belgioso lui-même était présent à ces entrevues. Dans ce cas, il affectait hypocritement une profonde affection, il se faisait doux et prévenant, et comptant sur la frayeur qu'il inspirait, il demandait à sa femme si elle n'avait rien à ajouter à ses dispositions dernières. Marie de Senzeille, rendue plus audacieuse par l'approche de la mort, osa lui répondre: "Vous savez comment vous m'avez traitée". Aussitôt, son indigne mari l'interrompit en lui couvrant la figure d'un oreiller, et fit sortir les témoins, ne laissant pour veiller l'agonisante que deux de ses farouches mercenaires. La pauvre femme mourut ainsi, privée de tous soins.

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Jean-Jacques Barbiano, comte de Belgioso, s'autorisant des actes authentiques qu'il détenait, se fit envoyer en possession des biens le la défunte. et releva Chokier le 24 octobre 1602. Bientôt il épousa en secondes noces Anne de Poitiers.

Cependant, quelque temps après le décès de sa tante, Paul de Berlo était rentré d'Italie. A peine de retour au pays, il fut assigné par le comte de Belgioso devant l'official de Liége pour avoir à déclarer s'il entendait émettre quelques prétentions à la succession de la défunte. Ce jeune homme, cet adolescent, ne s'étant jamais occupé d'affaires sérieuses. ne connaissant pas les droits qui lui compétaient, ne pouvait guère compter sur l'aide de ses parents, qui tremblaient devant le terrible Italien. Résisterait-il à son puissant adversaire ? Ferait-il valoir le testament fait en sa faveur par Marie de Senzeille et, par Paul de Stor ? Contesterait-il la valeur des actes ultérieurs, entachés de dol et de violence ! De toutes parts. on lui représentait le comte et ses féroces satellites comme capables de tout; on lui citait les atrocités dont ils étaient coutumiers; on lui disait qu'ils ne reculeraient pas devant un meurtre. auquel leur puissance assurerait l'impunité.

Paul de Berlo fut trop heureux d'accepter une transaction léonine: le comte de Belgioso lui abandonnait quelques propriétés sises au comté de Namur: la cense de Soumoy et des cens et rentes à Biesme-la-Colonaise; moyennant ces légères concessions, Berlo renonçait à tous biens, immeubles, censaux, féodaux, allodiaux. provenant tant de Marie de Senzeille que de Paul de Stor 38.

C'est ainsi que l'usurpateur put jouir pendant toute sa vie de Chokier et y établir une garnison de soudards qu'il continua d'entretenir. même après sa retraite de l'armée, et à la tête de laquelle il préposa un de ses plus farouches compatriotes, Gabriel Campi 39.

Belgioso étant mort 40, sa veuve, Anne de Poitiers fit relief de l'usufruit de la seigneurie de Chokier le 27 mai 1632 41 mais y renonça le 31 du même mois en faveur de

17 Ludovic Barbiano de Belgioso, neveu et héritier fidéicommis-saire du comte. qui fit hommage le 12 décembre 1632 42 et mourut sans descendance l'année suivante.
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Francisque Barbiano de Belgioso, son frère et successeur, releva le 12 décembre 1633 43.

Cependant au cours des derniers temps. Paul de Berlo avait réuni des preuves manifestes des procédés illicites au moyen desquels il avait été privé de son héritage. Il n'avait pu les faire valoir: pas un témoin n'eut eu l'audace de déposer des faits qu'il connaissait; pas un procureur ou un avocat ne se fût avisé de plaider contre le redoutable possesseur de Chokier et de porter contre lui une accusation formelle. Mais quand Jean-Jacques de Belgioso fut décédé, quand la terreur universelle qu'il inspirait fut écartée, les langues se délièrent. La femme qui avait assisté Marie de Senzeille à ses derniers moments. et qui s'était tue depuis lors exhiba tout à coup le parchemin sur lequel. vingt-cinq ans auparavant, la défunte avait tracé avec son sang l'expression de ses ultimes volontés et stigmatisé les sévices dont elle avait été l'objet. Paul de Berlo assigna devant l'official Anne de Poitiers. veuve et usufruitière et Ludovic de Belgioso. neveu et héritier du comte, et demanda à recouvrer son légitime héritage. Les faits qu'il avançait ayant été déclarés irrelevants et non pertinents, il se pourvut en appel devant le nonce apostolique, puis devant le Souverain Pontife.

Le tribunal de la Rote ordonna une enquête devant l'évêque de Namur; celui-ci ayant été récusé, le suffragant de Liége entendit les dépositions de nombreux témoins. Enfin, après mille incidents de procédure, la cour de Rome décida, le 7 juillet l636, que Paul de Berlo devait être envové en possession réelle et actuelle de Chokier et des autres biens dépendant de la succession de sa tante. Cette sentence ne termina pas le débat: les défendeurs condamnés recoururent à la cour impériale de Spire. Ils soutenaient que l'official d'abord saisi et les juges ecclésiastiques à qui la cause avait été déférée en appel étaient incompétents en miatière de fiefs et que dès lors la cassation de leur décision s'imposait. On leur répondit victorieusement qu'il s'agissait en l'espèce de l'examen de la validité ou de la non-validité d'un testament, procès dont l'official avait qualité pour connaître. .Après de longues et fastidieuses procédures, le bon droit de Paul de Berlo fut enfin proclamé définitivement.

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Paul de Berlo fit relief de la seigneurie de Chokier devant la cour féodale de Hesbaye le l0 décembre 1639 44, Depuis quelques années, la guerre sévissait. En dépit de sa neutralité, la principauté de Liége était sans cesse parcourue par les belligérants. Français et Hollandais, Espagnols et Impériaux l'envahissaient tour à tour, la traversaient en tous sens, y établissaient leurs quartiers d'hiver. Il avait fallu prendre des mesures pour empécher, dans les limites du possible, les exactions des partis qui battaient la campagne. Les garnisons des villes fortes avaient été renforcées. Chokier, atlmirablement situé pour défendre la vallée de la Meuse, était occupé, au nom de Francisque de Belgioso, par des hommes d'armes italiens commandés par Gabriel Campi; à plusieurs reprises, les Etats de Liége leur adjoignirent des détachements à leur solde. Ainsi, le 21 janvier 1639, ils avaient résolu d'introduire à Chokier "quelque nombre de gens de guerre" et leur avaient donné pour chef Barthélemy Radoux et le 6 avril suixant, ils avaient chargé des experts de s'assurer si la place était "tenable et défendable contre le canon"45.

Quand Paul de Berlo voulut faire exécuter les arrêts qu'il avait obtenus, l'officier de la cour féodale de Hesbaye se transporta dans une ferme dépendant du fief, et de là, dépécha un de ses huissiers pour sonmer les détenteurs du château d'y recevoir le véritable maître. Le capitaine Radoux sortit, déclara qu`il était préposé par les Etats à la garde de la forteresse, qu'il ne la quitterait pas sans un ordre formel de ses commettants, et qu'en attendant, il ferait déguerpir du territoire de la seigneurie tous ceux qui s'aviseraient d'y pénétrer, fussent-ils membres de la cour féodale de Hesbaye. Et passant de la menace aux actes, il chargea les suppôts de justice, à la tête de quelques cavaliers 46, Quant à Campi, il proclamait auda-cieusement qu'étant aux gages de M. de Belgioso, il ne reconnaissait d'autre seigneur que lui. Ce ne fut qu'après mille démarches auprès de toutes les autorités et après un véritable siège, que force finit par rester au droit et que Paul de Berlo put entrer en jouissance paisible de son bien 47

20 Jean baron de Berlo, son fils. releva le 3 février 1660 48. Il épousa sa parente, Anne-Marguerite-Ursule de Berlo-Hozémont. Il fut créé comte en 1668 et mourut le 5 mars 1685. Sa veuve jouit de l'usufruit de Chokier jusqu'à son décès, arrivé le 1 er mai 1700.
21 Jean-Alphonse, comte de Berlo, époux de Marie-Agnès-Mechtilde Roist de Weerts, ne jouit pas longtemps de la pleine propriété de Chokier car il mourut moins de deux ans après sa mère. le 10 mars 1702.
22 Ferdinand-Marie, comte de Berlo, fils aîné, devint seigneur de Chokier. Il fut reçu grand mayeur de Liége en janvier 1715 et trépassa le 17 mars de la même année, n'ayant eu que la nue-propriété du fief de Chokier. Sa femme, Anne-Henriette, baronne de Wassenaer, ne lui avait pas donné d'héritier. La seigneurie passa donc a son frère.
23 Maximilien-Henri, comte de Berlo et de Hozémont, qui mourut le 29 avril 1759.
24 Jean-Amour, comte de Berlo et de Hozémont, fils de Maximilien-Henri et de sa seconde femme, Anne-Louise de Haudion de Wyneghem, releva Chokier le 6 août 1759 49. Il se maria trois fois, mais ne laissa aucun hoir de ses trois unions. Il testa le 30 novembre 1781 et sa troisième épouse, Louise de Bergh de Trips. releva l'usufruit de la seigneurie le 17 décembre 1781.
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Marie-Ferdinande-Madeleine. comtesse de Berlo et de Hozémont, soeur du précédent, fit relief de Chokier le 20 décembre 1781 50. Elle avait été admise au chapitre noble de Nivelle dès le 12 Juillet 1739.

Elle testa, le 8 fructidor an VIII (30 août 1800) et institua comme héritier universel son cousin. issu de germains:

26 Marie - Jean - Népomucène - Amour - Aloïs (dit Jean-Louis), comte de Berlo-Suys, fils de Marie-Léopold-Jacques-François-Joseph comte de Berlo Suys et de Marie-Victoire de Ledebur de Püritz. Chokier était alors grevé de plusieurs dettes hypothécaires, anciennes ou récentes. Un des créanciers,
27 Antoine-François-Joseph Defays, rentier à Liége, poursuivit le propriétaire en remboursement de ce qui lui était dû. Le chateau avec des terres en dépendant, lui fut adjugé, devant le tribunal de Liége, le 24 août 1812 51. Le 30 août 18l3, Defays subrogea en tous ses droits
28 Louis-Emmanuel-Claude Regnault, officier pensionné au service de la France 52. Celui-ci vendit le domaine de Chokier, le 25 septembre 1816 53, à
29 Louis-Henri, comte Loison, général français, qui, après avoir pris part aux guerres de l'Empire, était, au moment de l'acquisition, lieutenant-général des armées de S. M. Très Chrétienne et gouverneur du château de Saint-Cloud. Sa fille unique.
30 Françoise-Marie-Louise, comtesse Loison, épouse d'Alexandre-Nicolas, baron de Serdobin, lui succéda 54. Elle fut interdite en 1866 et ses tuteurs exposèrent aux enchères publiques le château de Chokier et ses dépendances, qui passèrent le 13 novembre 1867 à
31 MM. de Clercx de Waroux.

L. LAHAYE.
Conservateur des Archives de l'Etat, à Liège



  1. Reg. de la cour féod. de Hesbaye, passim. Sur le château, voir SAUMERY, Délices du Pays de Liége, t. I, p. 345.

  2. les communes de la province de Liége, p. 140, 141.

  3. Otton de Hozémont avait acquis la terre de Hozémont de son oncle, Guillaume de Rouveroy (HEMRICOURT, Œuvres. édition de Borman. t. 1, p. 247).

  4. HEMRICOURT, t. I, p. 246.

  5. HEMRICOURT, t. 1, p. 239.

  6. E PONCELET, Les Maréchaux d'armée de l'évêché de Liége, dans Bull. de l'Inst. arch. liég., t. XXXII, p. 181.

  7. HEMRICOURT, t. 1, p. 247.

  8. HEMRICOURT, t. I, p. 248.

  9. Le témoignage de Hemricourt est contredit par une charte de la cour allodiale de Liège de 1333 (PONCELET, Chartes de St-Pierre. p. 38). D'après cet acte, .Jean Surlet aurait épousé la fille de Gérard de Hozémont, fils de Jean. II serait devenu le neveu par alliance de celui-ci, et non son gendre.

  10. HEMRICOURT, t. I, p. 89, 248; DE BORMAN, Les Echevins de Liége, t. I. p. 159.

  11. HEMRICOURT, t. I, p. 89.

  12. HEMRICOURT, t. I, p. 90.

  13. Acte du 13 juillet l.368 (Reg. de la cour féodale de Hesbaye 1350-1463, f. 45, aux Archives de l'Etat).

  14. DE BORMAN, Les Echevins de Liége, t. I, p. 223.

  15. Reg. de la cour féodale de Hesbaye 1368-1469 f. 26.

  16. Reg. de la cour féodale de Hesbaye 1368-1469, f. 54.

  17. Reg. de la cour féodale de Hesbaye 1368-1469, f. 54, v°

  18. Reg. de la cour féodale de Hesbaye 1368-1469, f. 57.

  19. DE BORMAN, Les Surlet, dans Leodium 1912, p. 29.

  20. Reg. de la cour féodale de Hesbaye 1368-1469, f. 34, v°

  21. Leodium 1912, p. 39.

  22. JEAN DE HASNIN, Mémoires, t. I, p. 254-255 (édition des Bibliophiles liégeois). Le 10 août 1477, elle céda ses droits sur Chockier à Guillaume de la Marck, fils de l'avoué de Hesbaye. (Reg. de la cour féod. de Hesbaye 1481-1518, f. 1 v°).

  23. Reg. de la cour féod. de Hesbaye 1481-1518, f. 1.

  24. Reg. de la cour féod. de Hesbaye 1481-1518, f 33

  25. Reg. de la cour féod. de Hesbaye 1481-1518, f 73

  26. Reg. de la cour féod. de Hesbaye 1524-1546, f. 2.

  27. Reg. de la cour féod. de Hesbaye 1560-1566, f. 69.

  28. Approuvé le 24 avril 1582 (Reg. de la cour feod. de Hesbaye 1574-l602, f. 80).

  29. Conseil Provincial de Namur: Enquêtes, 10 septembre I609 (Archives de l'État à Namur).—Echevins de Liége: Cris du Péron 1581-1583: Cri du 28 février 1582.

  30. Reg. de la cour féod. de Hesbaye 1574-1602, f. 90.

  31. Fils de Denis de Berlo, seigneur de Brus, et d'Andriette de Senzeille, né à Liége dans les cloîtres de Saint-Jean (DE BORMAN, Les Echevins de Liége t. II, p. 443).

  32. Archives de la Cathédrale: Résolutions capitulaires, Reg. n° 124, f. 222 v°.— Michelant, éditeur du Voyage de Bergeron en Ardennes (p. 481), dit que la cour d Espagne nomma le comte de Belgioso conseiller d'Etat, gouverneur de Namur et du pays d'Entre-Sambre-et-Meuse. Nous ne savons où il a puisé ce renseignement. Le comte de Belgioso ne figure pas dans la liste des gouverneurs de Namur publiée dans les Ann. de la Soc. Archéol. de Namur, t. X, p. 350. En fait, Belgioso fut grand bailli d'Entre-Sambre-et-Meuse.

  33. STEPHANI, Mém. pour l'hist. monastique du Pays de Liége, t. II, p. 18.

  34. DARIS, Hist. du diocèse de Liége au .YVIIe siècle, t. II, p. 15.

  35. BERGERON, Voyage en Ardennes en l6l9, p. 157.

  36. Ces détails et le récit qui suit sont tirés des sources suivantes: Cour de Wetzlaer, Procès n° 776 (Beljoveuse contre de Berlo); Conseil provincial de Namur, Enquête du 10 septembre l609; et surtout d'un mémoire imprimé: Apologie et deffence du Sr comte Francisque de Belle-Joyeuse contre le manifeste ou prétendues sentences du seigneur Paul de Berlo. S. 1., 1638, in-4°, de 69 pages. M. de Theux, dans sa Bibliographie liégeoise date par erreur cet opuscule de 1678 (col. 297).

  37. Reg. de la cour féod. de Hesbaye 1574-1602, f. 268 v°.

  38. Transaction du 21 juillet 1616, réalisée aux Echevins de l.iége le 30 du même mois (Greffe Stéphani, Reg. 746).

  39. Gabriel Campi servait aussi d'agent informateur au service d'Espagne (LONCHAY, la Principauté de Liége au XVII et XVIIIe siècle, p. 66, note; Cfr. BCRH., 2e sér., t. III, p. 157, 169, etc.).

  40. Il était décédé en 1626.

  41. Reg. de la cour féod. de Hesbaye 1632-l649, f. 14 v°, l5.

  42. Reg. de la cour féod. de Hesbaye 1632-l649, f. 19.

  43. Reg. de la cour féod. de Hesbaye 1632-l649, f. 64.

  44. Reg. de la cour féod. de Hesbaye 1632-l649, f. 95 v°.

  45. Etats de liége: Recès de l'Etat primaire 1639-164(), f. 13, 73.

  46. Reg. de la cour féod. de Hesbaye 1632-l649. f. 16O.

  47. Etats de Liége: Recès de l'Etat primaire 1639-1640, f. 109 v°. Archives de la Cathédrale: Résolutions capitulaires, reg. n° 147, f. 171, 175, 191, 238. Le 8 août 1640, Ferdinand de Bavière ordonna de mettre Paul de Berlo en possession du château par la force armée, "et même par l'emploi du canon, si la chose est nécessaire" Archives du château de Bolland, copie notariée).

  48. Reg. de la cour féod. de Hesbaye 1649-1669, f. 82.

  49. Il fit un nouveau relief de main à bouche le 8 mai 1781.

  50. Nouveau relief le 3 juillet 1786. Le cousin germain de Jean-Amour et de Marie-Ferdinande-Madeleine de Berlo, Marie-Léopold-Jacques-François-Joseph comte de Berlo Suys, fit ausitôt relief le 17 décembre 1781.

  51. Jugement d'adjudication du 24 août 1812 et ordre qui s'ensuivit, aux archives du Tribunal de première instance, à Liége.

  52. Protocole du notaire Libert Boulanger.

  53. Protocole du notaire Libert Boulanger.

  54. Protocole du nolaire Libert Boulanger, acte du 3 janvier 1821.

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