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Château de Chokier

La Meuse à vol d'oiseau
par Marcellin La Garde (1873)

Me voilà arraché aux vallons de l'Ardenne!

Vers celui de la Meuse un vieux "compaing" m'entraine.

La Meuse aux bords bruyants, aux plantureux côteaux,

Aux sommets couronnés par d'antiques châteaux -

Géants des temps passés, glorieuses ruines,

Où les siècles rêveurs attachent leurs bruines,

Et qui n'ont pour témoins de leurs anciens combats

Que les rochers là-haut et le fleuve là-bas.

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Voici que devant nous notre belle vallée,

S'ouvre, des deux côtés de collines ourlée.

Derrière nous, au fond du lointain nébuleux,

Givet cache à demi ses remparts anguleux,

Tandis qu'un peu plus bas se dresse à notre gauche,

Agimont, dont la tour, comme une informe ébauche,

Découpant sur le ciel ses contours ébréchés

Nous montre ses remparts sur la terre couchés.

Un vieux moutier annonce au loin la double Hastière

Dont on entend, au bord de la blanche rivière,

Les clochers fraternels, de leur timbre argentin,

Se dire le bonjour dès l'aube du matin.

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Après avoir doublé les deux caps que la Meuse

Contourne du ruban de son onde écumeuse,

Nous voyons s'étaler Waulsort, - Valciodor, -

Au milieu de ses prés semés de boutons d'or;

Et presqu'en face, au haut de ses rochers agrestes,

Le vieux Château-Thierry voit s'écrouler les restes

De ses murs, qui, troués par l'effort des béliers,

Couchent le long des rocs leurs mornes espaliers.

Puis apparaît Freyr au bord de l'onde claire,

Effilant ses deux tours que le soleil éclaire.

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Laissons à notre droite Anseremme, et passons

Son promontoire vert, couronné de buissons.

Déjà dans le lointain perce la masse grise

De la Roche-à-Bayard qui dans le ciel s'aiguise.

Bientôt nous allons voir, au pied de ses grands rocs,

Dans les airs l'un sur l'autre échafaudant leurs blocs,

Dinant, qui toujours saigne, au fond du cour frappée,

Des coups qu'il lui porta de sa terrible épée

Ce Charles de Bourgogne en qui germait un roi,

Et dont tout ici parle encore avec effroi.

Au sommet d'un rocher sa citadelle neuve

S'avance comme un cap sur le courant du fleuve,

Et regarde là-bas surgir, comme un point noir,

Au bord de l'eau Bouvignes avec son vieux manoir,

Dont Van Hasselt, ce chantre amoureux des ruines,

A si bien célébré les nobles héroïnes.

Vis-à-vis nous voyons Poilvache, en gémissant,

Etaler les débris de son passé puissant.

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Puis le cadre grandit: Au bord de l'onde où glisse

Notre barque en rasant les flots que le vent plisse,

Se montrent tour à tour Yvoir, dont le clocher

Semble un cône taillé dans un bloc de rocher;

Godinne et ses prés verts, pleins de fleurs embaumées,

Déroulant au soleil leurs nappes parfumées;

Rouillon, qui, sous le toit de ses ombrages frais

Ouvre aux pas du rêveur mille asiles secrets;

Rivière, qui, de loin, sous ses vertes ramures,

Des moulins du Burnot écoute les murmures;

Profondeviile et Dave, avec leurs beaux gazons

Tout parsemés de fleurs et peuplés de toisons;

Wépion, qui reçoit des forêts des Marlagnes,

Le ruisseau vif et clair qui parcourt ses campagnes,

Enfin Namur, qu'illustre aujourd'hui « Moncrabeau »

Plus que son ancien fort célébré par Boileau.

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Faisons halte un instant devant Marche-les-Dames,

Dont la morne abbaye est veuve de ses dames,

Et devant le rocher de Samson, qui n'a plus

Son manoir, que bâtit l'un des Rois Chevelus.

Laissons à droite Andenne et son vieux monastère,

Où détachant son cour des soucis de la terre,

La fille de Pépin de Landen, loin des cours,

Vivante en un linceul ensevelit ses jours;

Et Beaufort, que la Meuse, aux vagues élargies,

Berce éternellement avec ses élégies,

Et qui laisse tomber les pierres de ses murs

Ainsi qu'au vent d'automne un arbre ses fruits mûrs.

Voilà Huy-la-Jolie, où jadis la grande ombre

Du grand Pierre l'Ermite errait dans la nuit sombre,

Et cherchait, par le temps doublement spolié,

Sa tombe disparue et son nom oublié.

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Plus loin, tout entourés de murmurants feuillages,

S'aiguisent devant nous les tours de dix villages:

Tihange, qui criait dans ses anciens tournois

Le nom de Charlemagne et d'Ogier-le-Danois;

Ampsin et sa montagne aux corniches poudreuses,

Où mûrissent du raisin les grappes généreuses,

Neuville, dont Vauban dessina le château;

Flône, dont l'abbaye au penchant d'un côteau

Etage ses jardins aux tonnelles fleuries,

Où le silence invite aux saintes rêveries,

Et l'antique Hermalle, aux murs encor tout pleins

Du souvenir vivant de ses vieux châtelains;

Engis, qui sur les monts dont elle est hérissée

Voit se dresser dans l'air les tours de Warfusée;

Chokier, dont le castel règne au loin sur les flots

Et semble un phare blanc aux yeux des matelots;

Seraing, qui fait autour de sa forge enflammée,

Rouler des tourbillons de bruit et de fumée;

Tiileur, qui retentit d'une rumeur d'enfer

Et frappe jour et nuit ses enclumes de fer;

Puis Ouqrée, où le sol incessamment flamboie

Comme un volcan qui gronde et demande sa proie;

Enfin Liège, au destin puissant et glorieux,

Et que mon coeur salue avec un chant pieux!

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Plus bas, Jupille, assise au pied de sa montagne

Semble écouter le bruit des pas de Charlemagne;

Et, de son grand passé déchu comme elle, Herstal

Cherche en vain dans les cieux son Aigle occidental,

Dont l'essor souverain, dirigé par la gloire,

Fatigua quarante ans l'aile de la victoire.

Au faite d'un rocher qui se mire dans l'eau,

Se dresse fièrement le manoir d'Argenteau;

Puis vient Visé, qu'avec respect mon oeil contemple;

Il vit les manteaux blancs des chevaliers du temple...

Et maintenant, adieu, Meuse au cours ralenti,

Roulant vers le Limbourg ton flot appesanti,

Dans la plaine plus large épanchant à ton aise

Tes eaux - et devenant tout-à-fait hollandaise.


Marcellin LA GARDE (1873)

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