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Château de Chokier

Le diplôme romain de Flemalle Haute

par Léon Halkin, 1913


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Ayant vaincu Ambiorix et exterminé les Éburons en 54 avant Jésus-Christ, César établit la domination romaine sur la Hesbaye. Les Romains occupèrent nos contrées plusieurs siècles, et outre deux voies romaines, y bâtirent d'assez nombreuses villas. Par leur situation isolée et non fortifiée, il ne s'agissait pas d'établissements militaires, mais plutôt d'établissements ruraux, avec un personnel nombreux, pour résister à un coup de main. Elles étaient autant de centres autour desquels peu à peu se groupa la population du pays, esclaves, ouvriers agricoles et leurs familles.

Elles étaient peuplées de colons romains, et par la suite de vétérans belges licenciés devenus citoyens romains ayant obtenu des concessions de terres et jouissant de privilèges.

Pour attacher le soldat à l'armée, les empereurs avaient pris diverses mesures destinées à assurer son avenir. Quand il avait accompli honorablement son temps de service, qui était de vingt années pour les légionnaires, de seize pour les prétoriens et de vingt-cinq pour les auxiliaires, il obtenait à titre de récompenses des décorations et des avantages pécuniaires. Ces derniers étaient de différentes espèces: d'abord, chaque légion possédait une caisse funéraire formée par les cotisations particulières pour assurer une sépulture convenable à ceux qui mouraient sous les enseignes; le vétéran, en quittant l'armée, recevait le montant des cotisations qu'il avait versées. Il y avait aussi une caisse d'épargne où chacun devait déposer la moitié des gratifications impériales, jusqu'au moment de prendre sa retraite. En outre. depuis Auguste, on accordait souvent au vétéran une somme de 12,000 ou de 20,000 sesterces selon qu'il avait été légionnaire ou prétorien. Sur son diplôme étaient consignés des privilèges importants qui variaient suivant sa condition.

Les vestiges d'une villa romaine mis à jour à quelques centaines de mètres du sommet du rocher ainsi qu'un diplôme militaire de vétéran Tungre retrouvé dans la Meuse permettent d'envisager que les plus anciens développements du village devraient être attribués à l'exploitation d'une carrière servant à l'extraction de la chaux

A cette époque, les Romains étaient à la recherche de tous les centres pouvant produire les matières qui interviennent dans les constructions en maçonneries. Chokier, par sa situation dans une vallée en bord de Meuse en favorisant le transport était tout naturellement indiqué pour une telle implantation.

LA CITE - 17 novembre 1959

Villa romaine à Chockier

Dimanche dernier, une équipe de fouilles appartenant à la Société Royale de Préhistoire et d'Archéologie « Les Chercheurs de la Wallonie » a entrepris, dans la propriété Frésart, au plateau de Chockier, le dégagement de sub-structions belgo-romaines.

Le site avait été remarqué il y a quelque temps déjà, par le vice-président de la société précitée, M. Joseph Destexhe et son collaborateur M. Jules Haeck, de Saint-Georges-sur-Meuse.

Les travaux qui ne sont évidemment qu'à leur début ont cependant permis d'établir que l'on a affaire à une construction romaine du genre villa. Un mur d'une vingtaine de mètres de long a été dégagé de méme qu'une aire habitable.

Un autre endroit de la fouille a livré des poteries rouges vernies, ancien produit d'importation, des clous, des ferrailles et une meule.

L'endroit est parsemé de fragments de tuiles dont l'une d'elles mieux conservée porte l'empreinte d'une patte de chien.

Ce début de fouilles déjà très prometteur a été suivi avec intérêt par Mlle Hélène Van Heule, conservatrice honoraire de l'Institut Archenlogique Liégeois.

Nous nous ferons un plaisir de tenir nos lecteurs au courant de ces travaux d'archéologie et des conclusions à tirer de la fouille entreprise sur la rive mosane.

LA CITE - 29 novembre 1959

Les fouilles se poursuivent activement à Chockier

L'équipe de fouilles appartenant à la société d'archéologie les « Chercheurs de la Wallonie ~ poursuit activement les travaux entrepris depuis peu à Chokier sur des substructions belgo-romaines. Un mur de 25 mètres de long a été mis à jour dans une des trois constructions dont l'emplacement a été déterminé dans un périmètre de 300 mètres.

Bien que s'attachant avant tout au dégagement des murs extérieurs qui semblent être des fondations érigées en moellons, l'équipe des « Chercheurs » a encore repéré l'endroit qui servait d'habitation. Des traces de calcination sont nettement apparentes et, de plus, le sous-sol a déjà livré une quantité considérable d'objets, à savoir: des clous en fer forgé, des tessons de poterie du IIe siècle de notre ère, des morceaux de tuiles et des fragments d'os.

Une aire dallée assez réduite se trouve à deux extrémités de la construction.

Terminons cette petite mise au courant sur les fouilles en disant que le site de Chokier est typique et il semble qu'il retint l'attention des anciens pour s'y établir. En effet, l'endroit des fouilles se situe sur le plateau surplombant la rive gauche de la Meuse, dans une légère dépression, donc protégé au Nord, et non loin d'un ruisseau dénommé le Trokay.


LE

Diplome Militaire Romain

DE FLEMALLE-HAUTE


PAR


LEON HALKIN
PROFESSEUR A L'UNIVERSITE DE LIEGE

1913

Au mois d'août 1880, au cours de travaux de dragage exécutés dans le lit de la Meuse entre Flémalle-Haute et Chokier, un ouvrier trouva par hasard une petite tablette de bronze sur laquelle étaient gravés des caractères énigmatiques. La pièce, après avoir passé en plusieurs mains, parvint, vers la fin de la même année, dans les collections de la Société d'art et d'histoire du diocèse de Liège, laquelle venait précisément de se constituer. On ne tarda pas a reconnaître la nature et l'importance du document si heureusement arraché à la vase du fleuve ou il gisait depuis des siècles: c'était un fragment d'un diplôme militaire accordé par l'empereur Trajan à un ancien soldat de l'armée de Bretagne originaire de la Belgique. Il figura, en 1881, à la première Exposition de l'art ancien a Liège et y occupa une place d'honneur.

Cependant le Gouvernement, alléguant que l'objet avait été retiré de la Meuse par des personnes employées au service des travaux publics, éleva des prétentions à la propriété du diplôme et en réclama la remise immédiate. La Société diocésaine, forte de son droit, refusa d'abord; mais bientôt, pour éviter les ennuis et les risques d'un procès dont elle avait appris qu'elle était menacée, elle proposa de déposer la pièce litigieuse au Musée de l'Institut archéologique liégeois: ainsi du moins, la province de Liège garderait un monument qui présentait pour elle un intérêt tout particulier. Les négociations furent extrêmement laborieuses et elles ne purent aboutir qu'en 1883; en échange de quelques objets d'art religieux, l'Institut entra enfin en possession du précieux diplôme, dont la valeur vénale était estimée alors à deux mille francs. Aujourd'hui, c'est l'un des joyaux dont s'enorgueillit à bon droit le Musée Curtius.

Le diplôme de Flemalle a déjà fait l'objet de plusieurs publications spéciales; parmi les plus importantes, qui sont dues a des archéologues belges, il faut citer particulièrement celles de H. Schuermans et de Ad. de Ceuleneer. Th Mommsen a étudié l'inscription dans l'Éphemeris epigraphica et en a publié le texte dans le Corpus inscriptionum latinarum. Ces divers travaux ont élucidé la plupart des difficultés que soulève l'examen du diplôme et qui proviennent de l'état regrettable de mutilation dans lequel il nous est parvenu; il reste encore, toutefois, dans le texte, quelques passages qui jusqu'ici n'ont pas été restitués avec une certitude suffisante. C'est ce que nous voudrions essayer de faire dans les pages qui suivent. On ne s'étonnera pas de voir consacrer une étude nouvelle à un diplôme octroyé à un vétéran de l'armée de Bretagne, précisément au moment où il vient de se publier, en France et en Angleterre, plusieurs ouvrages qui traitent spécialement de l'histoire et de l'organisation militaire de cette province de l'Empire romain

On connaît la forme ordinaire des diplômes militaires romains; comme leur nom l'indique, ils étaient constitués par deux tablettes de bronze de mêmes dimensions et réunies par un fil métallique faisant l'office de charnière; c'était donc une sorte de livret composé de deux feuillets mobiles et pouvant s'ouvrir et se fermer. Sur les faces intérieures était gravé le texte du diplôme comprenant régulièrement trois parties; on trouvait d'abord un extrait de la loi par laquelle l'empereur avait conféré à des soldats ou vétérans de plusieurs corps d'armée à la fois certains privilèges, ordinairement le droit de cité (civitas) et le droit de mariage légal (conubium); venaient ensuite des indications précises concernant le bénéficiaire du diplôme: le corps auquel il appartenait, son grade, son pays d'origine, son nom et ceux de sa femme et de ses enfants; le diplôme se terminait par une formule certifiant que l'extrait de la loi était conforme à l'original et indiquant l'endroit où ce dernier se trouvait conservé à Rome.

Le texte gravé à l'intérieur du livret était reproduit, parfois avec de légères variantes, sur l'une des faces extérieures: ce n'était qu'un duplicatum; l'autre face portait, au génitif, les noms des sept citoyens qui avaient collationné, à Rome même. l'extrait de la loi avec l'original; ces témoins apposaient leurs sceaux sur un triple fil de métal qui passait par des trous pratiqués au milieu de chacune des tablettes et qui était noué de manière à fermer le diptyque; ils attestaient ainsi la parfaite exactitude et l'authenticité du document. Ce dispositif était extrêmement ingénieux; il permettait aux autorités militaires ou civiles, comme aussi aux anciens soldats eux-mêmes, de prendre connaissance de la teneur du diplôme sans être obligés de rompre les cachets. Le texte intérieur, étant caché et inviolable, se trouvait à l'abri des altérations et des falsifications et seul il faisait foi. Quand le vétéran était arrivé dans la ville où il désirait s'établir avec sa famille, — c'était souvent dans son pays natal, — il remettait son diplôme aux magistrats locaux; ceux-ci brisaient les sceaux, vérifiaient l'état-civil des intéressés et leur assuraient la paisible jouissance des privilèges qui leur avaient été octroyés par l'empereur.

En 1880, au moment de la découverte de Flémalle, on ne possédait guère que 70 exemplaires de diplômes militaires; aujourd'hui, le nombre de ces documents connus et publiés dépasse notablement la centaine; mais sur ce total, il n'y en a que onze qui lassent mention de corps de troupes recrutés parmi les peuples qui habitaient le territoire de la Belgique actuelle. Au surplus, le diplôme de Flémalle est encore l'a l'heure présente, le seul qui ait été retrouvé dans notre pays. Il est d'autant plus regrettable que l'on n'ait mis au jour qu'un fragment peu considérable de ce document; il correspond à un peu plus du quart de la première tablette et forme un rectangle assez régulier d'environ 0m09 de longueur sur 0m07 de largeur. On y aperçoit deux des quatre trous dont cette tablette était percée. En la maniant pour l'étudier, cette pièce fragile s'est brisée en deux morceaux inégaux: dans la crainte d'un nouvel accident, on a sagement renoncé à toute tentative de soudure.

Il reste de l'inscription 16 1/2 lignes sur la face extérieure et 9 1/3 lignes sur la face intérieure; comme d'habitude, les premières sont disposées dans le sens de la largeur, les secondes dans le sens de la longueur; elles sont toutes incomplètes: il en manque environ la moitié, soit 15 ou l6 lettres en moyenne. Ainsi que cela arrive fréquemment depuis le règne de Trajan, c'est avec une négligence et une précipitation manifestes que furent tracées les lettres du texte intérieur, lequel ne devait être lu qu'après la rupture des sceaux. par contre, la gravure du texte extérieur, qui était toujours apparent, a été exécutée avec soin. et c'est à bon droit qu'on l'a signalée comme étant caractéristique de l'époque de Trajan. Ce ne sont plus toutefois les lettres élégantes et régulières des inscriptions datant du début de l'Empire; l'alphabet usité a déjà subi d'une manière sensible l'influence de l'écriture cursive et il révèle les premières traces de la décadence de l'art lapidaire romain. On pourra s'en rendre compte aisément par l'examen des planches ci-contre qui reproduisent fidèlement les deux faces du diplôme.

Voici la transcription des deux textes, que nous donnons avec toute l'exactitude que comporte l'emploi des ressources typographiques dont nous disposons; nous y faisons figurer en entier les lettres incomplètes qui se trouvent au commencement ou à la fin des lignes mais dont la restitution ne laisse aucun doute; nous reproduisons scrupuleusement la ponctuation:

On aura remarqué que le texte étant disposé dans un sens différent sur chacune des deux faces, il y a quelques mots que l'on rencontre à la fois sur l'une et sur l'autre; il en résulte que nous ne possédons pas même la huitième partie de l'inscription entière; aussi, la reconstitution en serait-elle singulièrement malaisée, si l'on ne savait que les diplômes militaires sont généralement conçus sur le même modèle et rédigés selon certaines règles que l'étude comparée de ces documents a révélées aux épigraphistes.

L'extrait de la loi, qui forme la première partie de tout diplôme, énonce d'abord les noms et titres de l'empereur qui l'a conféré; ces indications ne figurent ici que dans les trois premières lignes du texte extérieur; mais on peut les reconstituer d'une manière absolument certaine et lire:

[Imp(erator) Caesar divi Ne]rvae f(ilius) Nerva Traianus [Augustus Germa]nicus, pontifex maximus, [tribunic(ia)] potestat(e), co(n)s(ul) II. La mention de la première puissance tribunicienne et du second consulat de l'empereur Trajan, l'absence du titre paler patriae, d'autres indices encore, ont permis de déterminer avec assez de précision la date du diplôme et de la fixer aux premiers mois de l'an 98, après le 25 janvier.

Le diplôme fait ensuite connaître les corps de troupes auxquels appartiennent les soldats qui bénéficient de la loi de congé militaire. On trouve des indications relatives à cette liste a la fois dans le texte extérieur (A, lignes 4-9) et dans le texte intérieur (B, lignes 1-2); il en résulte qu'elle comprenait six cohortes d'infanterie et un certain nombre d'ailes de cavalerie Une des principales difficultés que présente l'étude du diplôme de Flémalle consiste a déterminer exactement quel est ce nombre; certains archéologues sont d'avis qu'il ne s'agit que de deux ailes; d'autres prétendent qu'il faut en admettre trois. C'est à l'opinion de ces derniers que nous estimons qu'il convient de se rallier. Toute la question, en effet, revient à savoir si le corps d'Astures, qui est mentionné à la ligne 7 du texte A (... VRVM), formait une aile ou une cohorte; or, le doute sur ce point n'est pas possible: c'est assurément d'une aile qu'il s'agit.

Si l'on soutient, en effet, la thèse opposée, on doit admettre que ces Astures constituaient une première cohorte, puisque dans la liste ils sont cités avant la cohors I Hispanorum, et qu'il est de règle que les diplômes n'énumèrent pas pêle-mêle des corps portant des numéros différents. Or, nous savons que les deux seules premières cohortes d'Astures que l'on connaît ne pouvaient se trouver en Bretagne en l'an 98. L'une, la cohors I Asturum (equitata), campait en Germanie a cette époque; sa présence y est attestée pour les années 74, 82, 90, 116 et 134; elle fut ensuite transférée en Bretagne, mais on ne l'y rencontre qu'à partir du IIIe siècle. Quant a l'autre cohors I Asturum, elle ne paraît pas avoir résidé ailleurs que dans le Noricum; toutes les inscriptions qui la concernent se rapportent a cette province; elle s'y trouvait certainement déjà en l'an 106, c'est-à-dire précisément sous le règne de Trajan.

Par contre, nous savons que l'armée romaine de Bretagne comptait, déjà en 124, une aile d'Astures appelée A la I Hispanorum Asturum; elle y figure encore sur un diplôme de l'an 146; toutes les inscriptions qui la mentionnent proviennent de Condercum (Benwell), prés de la ligne du mur d'Hadrien; elles prouvent qu'elle occupait cette station en 161-169,205-208 et 238-243; à l'époque de la Notice des Dignités, elle y réside encore. Ce n'est pas faire une conjecture hasardée que de supposer que cette aile était déjà en Bretagne au début du règne de Trajan et que c'est bien elle par conséquent qui était mentionnée dans le diplôme de Flémalle. Au surplus, la lecture [et I Hispanorum Ast]-urum exige 16 lettres, ce qui correspond parfaitement à l'étendue de la lacune qu'il faut combler dans le texte de ce document. Enfin, on ne pourrait songer sérieusement à l'ala II Asturum, qui n'est signalée parmi les troupes de Bretagne qu'a partir du temps de Marc-Aurèle et de Commode, c'est-à-dire une cinquantaine d'années après l'ala I Hispanorum Asturum.

Indépendamment de cette dernière, la liste des corps de troupes cités dans le diplôme de Flémalle comprenait donc encore deux autres ailes de cavalerie. Le nom de la deuxième figure en entier sur le document (texte A, 1. 6), c'est l'ala I Tungrorum. On ne sait depuis quelle époque elle se trouvait en Bretagne; on l'y rencontre encore quelques années plus tard, en 105; il est certain qu'elle y demeura au moins jusqu'au milieu du IIe siècle, car deux inscriptions signalent sa présence dans des camps appartenant au mur d'Hadrien et a celui d'Antonin. Il est probable que ce corps fut ensuite fusionné avec l'ala Frontoniana que plusieurs diplômes et autres documents épigraphiques signalent dans les provinces danubiennes précisément à la même époque.

Le nom de l'aile citée en tête de la liste ne nous a été conservé que d'une manière fort incomplète: ... A C R, qu'il faut lire: ... a c(ivium) R(omanorum). Comme à cette place on ne peut trouver qu'une ala prima, ou tout au moins une ala sans numéro, il n'y a, pour combler une lacune d'environ 15 lettres, que deux restitutions qui puissent convenir: soit [(ala) Augusta) Proculeian]a c(ivium) R(omanorum), soit [(ala) Augusta Petrian]a c(ivium) R(omanorum). C'est à la seconde que nous croyons devoir accorder la préférence; s'il est vrai, en effet, que l'ala Augusta Gallorum Proculeiana n'a jamais tenu garnison qu'en Bretagne, nous n'y constatons sa présence qu'à partir de l'an 138; par contre, nous savons que 1'ala Augusta Gallorum Petriana bis torquata miliaria campait certainement déjà dans l'île en l'an 124 (dipl. XLIII); et il est probable qu'elle y fut transférée de Germanie sous le gouvernement d'Agricola. Les inscriptions de Bretagne qui mentionnent l'ala Petriana proviennent toutes de stations du vallum Hadriani, notamment de Luguvallium; au temps de la Notice des Dignités, c'est-à-dire vers l'an 400, elle avait sa résidence à Petrianae (Castlesteads ?).

Sur les six cohortes que mentionnait le diplôme, il y en a quatre dont le nom nous a été conservé d'une manière plus ou moins complète; ce sont la cohors I Hispanorum la cohors [I] Fida Vardullorum c(irium) R(omanorum>, la (cohors) II Lingonum et la (cohors) II Nervio[rum]; les deux premières se recrutaient parmi les peuples de l'Espagne, les deux autres parmi ceux de la Gaule septentrionale. Ces corps de troupes qui, par une curieuse coïncidence, reparaissent tous en l'an 124 dans un autre diplôme concernant également l'armée de Bretagne (n° XLIII), nous sont connus par un nombre assez considérable de documents épigraphiques.

La cohors I Hispanorum equitata ne paraît pas avoir résidé en dehors de l'île; elle est signalée dans les cinq diplômes qui sont relatifs à l'armée romaine de Bretagne et qui datent des années 98 (n° XXIX), 103 (n° XXXII), 105 (n° XXXIV), 124 (n° XLIII) et 146 (n° LVII). De nombreuses inscriptions nous apprennent qu'elle avait son camp permanent à Uxellodunum (Ellenborough), au sud du mur d'Hadrien. La Notice des Dignités l'y place encore et il est probable qu'elle y resta jusqu'aux derniers temps de la domination romaine.

La cohors I Fida Vardulloum civium Romanorum equitata miliaria n'est citée que dans quatre diplômes, ceux des années 98, 105, 124 et 146. Elle campa d'abord à Lanchester, au sud du vallum d'Hadrien, puis à Bremeniun (High Rochester) au nord de ce rempart; elle s'y trouvait encore à l'époque de Gordien. Une inscription, provenant de Castlecary, nous apprend que cette cohorte fut aussi envoyée en Ecosse, sans doute pour renforcer temporairement la défense du mur d'Antonin.

Il n'y a qu'en Bretagne que l'on ait retrouvé des traces certaines de la présence de la cohors II Lingonum equitata; elle ne figure que sur un autre diplôme, celui de l'an 124 (n° XLIII); d'abord établie à Olicana (Ilkley), elle fut ensuite transférée à Moresby, au sud du mur d'Hadrien; c'est sans doute ce camp qu'il faut identifier avec celui de Congavata, que la Notice des Dignités attribue à la même cohorte.

Quant à la cohors Il Nerviorum, elle est encore mentionnée dans deux diplômes de Bretagne, pour les années 124 (n° XLIII) et 146 (n° LVII); c'est à Vindolana, sur le mur d'Hadrien, que se trouvait alors sa résidence; mais elle l'avait quittée à la fin du IIIe siècle. Une dédicace, découverte à Procolitia, non loin de Vindolana, nous révèle une particularité intéressante: d'autres Belges, des Texandres et des Sunuques, servaient dans les rangs de cette cohorte en qualité de vexillaires.

Il y avait enfin deux cohortes qui étaient encore citées dans le diplôme de Flémalle, la 2e et la 4e; le fragment de tablette que nous possédons ne nous a pas conservé le moindre vestige de leurs noms. On sait seulement, à raison de leur place dans la série, que l'une devait être une cohorte Ire et l'autre une cohorte lre ou 2me. Or on connaît une bonne vingtaine de cohortes portant l'un de ces numéros qui servaient dans l'île à l'époque de Trajan. Le choix est donc bien difficile; le problème serait même insoluble si l'examen des autres diplômes militaires relatifs à l'armée de Bretagne ne venait nous procurer un indice d'une certaine importance. On a remarqué, en effet, que dans ceux de ces documents qui énumèrent en même temps des corps auxiliaires originaires de l'Espagne et de la Gaule Belgique, ceux-là figurent d'ordinaire avant ceux-ci . Si, par analogie, on admet que cette règle a été observée également dans la rédaction du diplôme de Flémalle, on peut supposer que la deuxième cohorte citée était un corps d'origine ibérique comme la première et la troisième, et que la quatrième était un corps d'origine gauloise comme la cinquième et la sixième. Or, de toutes les premières cohortes d'auxiliaires espagnols qui ont fait partie de l'armée romaine de Bretagne, il n'y en a qu'une, la cohors I Celtiberorum, dont la présence dans l'île soit attestée sous le règne de Trajan. Nous proposons donc de compléter la ligne 8 de la face A du fragment par la lecture [et I Celtiberor. et I] qui exige seize lettres et remplit assez exactement l'espace qu'occupe la lacune dans ce texte. L'identification de la quatrième cohorte entraîne encore moins de difficultés; car si ce corps se composait, comme c'est probable, d'auxiliaires recrutés dans une des cités de la Gaule Belgique, il ne peut guère s'agir que de la cohors I Tungrorum miliaria. Cette cohorte, en effet, qui fit d'abord partie de l'armée de Germanie, passa dans la suite en Bretagne ou on la rencontre, dès l'année 83, combattant sous les ordres d'Agricola. Les diplômes militaires de l'an 103 (n° XXXII) et de l'an 124 (n° XLIII) la citent parmi les corps auxiliaires de la province; les inscriptions qui la concernent proviennent presque toutes de Borcovicium (Housesteads), sur le vallum d'Hadrien; c'est dans cette station que la place encore la Notice des Dignités. De même que l'ala I Hispanorum Asturum, ce corps n'a donc pas changé de garnison pendant toute la durée de la domination romaine dans l'île. Toutefois deux inscriptions trouvées en Écosse, l'une a Castlecary, l'autre à Cramond, nous apprennent que cette cohorte fut envoyée temporairement dans le Nord pour y coopérer à la construction du rempart d'Antonin. C'est à ce corps auxiliaire qu'appartenait, en qualité de medicus ordinarius, un certain Anicius Ingenuus, dans lequel on a voulu voir, sans preuves bien décisives, le plus ancien médecin belge connu; ce titre lui a valu l'honneur de figurer dans la Biographie Nationale.

Dans le diplôme de Flémalle, comme dans tous les documents de l'espèce, la liste des ailes et des cohortes qui bénéficient de la loi de congé militaire était suivie de l'indication de la région où campent ces différents corps de troupes, du nom des officiers qui les commandent, de l'attestation que les soldats ont accompli le temps de service légal ou ont été régulièrement congédiés, et enfin de l'énumération des privilèges qui leur sont accordés à eux-mêmes ainsi qu'à leur femme et à leurs enfants. En combinant les éléments que fournissent les deux textes fragmentaires dont nous disposons, nous pouvons reconstituer cette partie du diplôme avec une certitude presque entière: [et sunt] in Britannia sub T(ito) Avidio [Quieto, item] dimissis honesta missione a [Metilio ?] Nepote qui quina et vicena plura [ve sti]pendia meruerunt quorum nomi[na] subscripta sunt, ipsis, liberis posterisque eorum c[ivitate]m dedit et conubium cum ux[oribus qua]s tunc habuissent cum [est civitas vis data] aut, si qui [caelibes essent, cum iis quaspostea duxissent, dumtaxat singuli singulas].

Ainsi donc les avantages stipulés dans la loi de congé militaire décrétée par Trajan au début de l'an 98 étaient assurés à deux catégories de soldats auxiliaires; les uns étaient encore au service a cette date et placés sous les ordres du gouverneur T Avidius Quietus; les autres avaient déjà reçu antérieurement l'honesta Missio du gouverneur précédent Nepos; comme d'habitude en ce cas, le rédacteur de la pièce s'est servi du mot item pour exprimer cette particularité.

Avant la découverte de Flemalle, on ne possédait absolument aucun renseignement sur les fonctionnaires qui avaient gouverné la Bretagne durant les toutes dernières années du Ier siècle. On sait maintenant que celui de ces legati Augusti pro praetore qui résilia ses fonctions a la fin de l'an 97, portait le cognomen de Nepos; on ignore quel était son prénom; quant a son nom gentilice, l'examen du fragment du diplôme nous apprend qu'il devait compter sept ou huit lettres; c'est ce qui rend assez plausible l'hypothèse des auteurs qui identifient ce Nepos avec P. Metilius Sabinus Nepos; ce personnage, cité parmi les Frères Arvales en lO5 et 118, était certainement consulaire vers 105; il pourrait avoir géré le consulat en 91.

Il est intéressant de noter que Nepos est le premier gouverneur qui soit mentionné dans un diplôme militaire comme ayant congédié des vétérans au nom de l'empereur; le fait s'explique par cette circonstance qu'au moment ou la loi de congé militaire fut décrétée, ce légat venait précisément de quitter sa province.

Nepos fut remplacé par T. Avidius Quietus, dont on connaissait déjà par d'autres sources une partie de la carrière, mais dont on ignorait qu'il eût été investi des importantes fonctions de gouverneur de Bretagne en l'an 98. Il est probable qu'il conserva cette charge pendant trois années comme c'était la règle ordinaire. Dans cette hypothèse il est vraisemblable qu'il eut pour successeur immédiat L. Neratius Marcellus qui était encore en exercice au début de l'an 103. Déjà assez âgé quand Trajan l'appela au gouvernement de l'île, Avidius mourut peu de temps après, en tout cas avant l'année 107.

C'est donc grâce a la découverte du diplôme de Flémalle que l'on a pu enrichir de deux nouveaux noms la liste des légats propréteurs de la Bretagne; de plus, elle a permis la rectification d'une erreur de Borghesi qui se fondait sur une inscription d'Urbisaglia pour avancer qu'en l'an 98 cette province avait été gouvernée par C. Salvius Liberalis. D'ailleurs, il est actuellement démontré que le titre que cette inscription attribue a Salvius n'est pas celui de legatus Augustorum [provin]c(iae) Britann(iae), mais simplement celui de legatus Augustorum [juridi]c(us) Britann(iae); ce personnage n'avait donc exercé que des fonctions d'ordre judiciaire. Au surplus, il semble établi que c'est en l'an 79 que l'empereur Vespasien créa la légation juridique de Bretagne et choisit Salvius comme premier titulaire de cette charge.

Enfin le diplôme de Flémalle devait renfermer encore plusieurs indications qui se retrouvent sur tous les autres documents de ce genre: la date de la loi, la désignation du corps de troupes auquel appartenait le soldat bénéficiaire, le nom de son chef, son grade, son propre nom et, éventuellement, ceux de sa femme et de ses enfants, sa patrie; puis venait la formule certifiant l'exactitude de la copie et faisant connaître l'endroit de Rome ou se trouvait affichée la table d'airain sur laquelle était gravé l'original de la loi. Malheureusement, notre document n a pas conservé la moindre trace de ces indication; nous en sommes donc réduits, pour en restituer le texte, à émettre des conjectures fondées sur la teneur ordinaire des diplômes militaires de cette époque. On possède précisément le texte complet d'un de ces documents qui remonte au 20 février 98, et qui, par conséquent est tout à fait contemporain de celui de Flémalle. On peut, semble-t-il, sans grand risque d'erreur, lui emprunter les termes dans lesquels ces indications y sont formulées. On est autorisé à faire de même pour les noms des sept témoins qui se trouvaient gravés sur l'une des deux faces extérieures en regard de leurs sceaux respectifs pour attester l'authenticité et l'exactitude de la pièce.

Comme on le voit, on parvient ainsi à reconstituer dans son entier, on peu s'en faut, le libellé du diplôme militaire de Flémalle. Nous donnons plus loin un essai de reproduction de ce document ou le texte est disposé comme il devait l'être originairement; il suffirait de couper le feuillet par le milieu, d'en appliquer symétriquement les moitiés l'une sur l'autre et de les réunir par des fils, pour obtenir un fac-similé du diptyque primitif.

Quant au pays d'origine du vétéran auquel fut délivré le diplôme, nous devons nous résigner à l'ignorer toujours, à moins d'admettre sur ce point la très ingénieuse hypothèse de H. Schuermans. Comme Flémalle, le lieu de la découverte, est situé sur le territoire de l'ancienne civitas Tungrorum, et que deux corps auxiliaires composés de soldats recrutés dans cette cité sont mentionnés dans le diplôme, cet auteur suppose que le porteur de ce document appartenait soit à l'ala I Tungrorum, soit à la cohors I Tungrorum et qu'il était de nationalité tongroise. Après 25 ans de bons et loyaux services, il reçut son congé définitif et s'empressa de revenir au pays natal à l'exemple de bon nombre d'autres vétérans. I1 eut soin d'emporter avec lui cette pièce qui devait lui permettre de jouir de privilèges très appréciés là ou il lui plairait de s'établir avec sa famille.

Comme on peut le constater en comparant ce fac-similé avec les photographies du diplôme, il ne subsiste plus, dans le texte restitué. que des lacunes insignifiantes; peut-être, d'ailleurs, d'heureuses découvertes archéologiques nous permettront-elles de les combler un jour. Quoi qu'il en soit, cette mince plaque de bronze, qui n'a traverse les siècles qu'au prix d'une mutilation presque totale, présente une importance considérable pour l'étude de la domination romaine en Bretagne. De tous les diplômes qui se rapportent à l'armée britannique, celui de Flémalle est le plus ancien; il nous a révélé les noms des deux légats propréteurs qui gouvernaient l'île au début du règne de Trajan; il nous a fourni, en outre, sur les ailes et cohortes de soldats auxiliaires qui servaient sous leurs ordres, des indications précieuses, notamment en ce qui concerne la nationalité de ces corps de troupes.

On sait qu'avant l'époque de Dioclétien, on ne trouve jamais dans l'armée britannique de corps d'auxiliaires réguliers recrutés parmi les indigènes. Le gouvernement impérial pensait, sans doute, que des troupes levées sur le continent assureraient d'une manière plus sure et plus efficace la défense et l'occupation militaires du pays; des mesures de ce genre, qui s'inspiraient d'un sentiment de défiance légitime ou de simple prudence, furent prises parfois à l'égard d'autres provinces frontières, mais jamais d'une façon aussi systématique, exception faite pour la Dacie. Dans les rangs des auxiliaires britanniques se rencontrent beaucoup de soldats originaires de la Gaule ou de l'Espagne; mais le contingent qui est proportionnellement le plus considérable est fourni par les peuples de la Belgique et des deux Germanies: Bataves, Bétasiens, Cugernes, Frisons, Lingons, Ménapiens, Morins, Nerviens, Sunuques, Tongres, Trévires et Vangions. Plusieurs de ces corps auxiliaires figurent au nombre de ceux qui ont fait un séjour prolongé dans l'île ou qui même n'y ont pas changé de garnison pendant deux ou trois siècles. L'élément belge et germanique est également fort bien représenté dans l'effectif des légions et des numeri qui furent appelés à faire partie de l'armée insulaire.

0n peut se demander pourquoi les empereurs se son adressés surtout a la Belgique pour en tirer les forces nécessaires à l'établissement et au maintien de leur domination en Bretagne. Cette préférence ne se justifiait pas seulement par des raisons d'ordre stratégique ou géographique. Ils savaient en effet qu'à une époque antérieure à l'arrivée de César, plusieurs peuples belges avaient passé dans l'île et s'y étaient fixés dans la région méridionale; ce n'était donc pas dans une contrée absolument étrangère pour elles qu'ils envoyaient guerroyer les troupes enrôlées en Belgique. Il est permis d'affirmer que cette circonstance favorisa grandement le succès de la colonisation militaire et de l'oeuvre d'assimilation entreprises par les conquérants. Il convient d'insister sur ce point, qui ne nous parait pas avoir été mis suffisamment en relief jusqu'ici: c'est à nos ancêtres que l'Angleterre, pour une large part, fut redevable du bienfait l'une romanisation relativement rapide et profonde.

LEON HALKIN
28 Pages

Publication du MUSEE BELGE
Revue de Philologie classique
LOUVAIN / PARIS - 1913

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