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Notre Dame aux Fonts à Liège

par le Chanoine J. COENEN

Extrait relatif à Notre Dame aux Fonts dans St Hubert - Le fondateur de Liège par le chanoine Coenen

L'auteur du Vita prima Lamberti nous a donné de précieux détails sur l'état des lieux, où son cher maître fut assassiné. Les voici résumés:

« Venu dans la villa de Liège, le saint pontife, d'après son habitude, se leva vers le milieu de la nuit et, laissant dormir ses disciples, il alla seul dire les matines (solus ibat in nocturno) jusqu'aux premières lueurs du jour. Alors, frappant de sa canne la porte de la chambre, il appela ses disciples pour qu'ils vinssent réciter Laudes (matutinum) avec lui. L'office fini, il rentra à la maison (reversus domum) pour se reposer. A l'aurore, un de ses domestiques, Baldovée, qui, cette nuit, monta la garde devant la maison épiscopale, vint le réveiller pour lui annoncer l'approche des assassins. Après différents incidents, le Saint se mit en prière dans sa chambre à coucher, et là il fut tué par un des bourreaux qui était monté sur le toit de chaume. »

Ce récit relève clairement deux constructions nettement séparées: une habitation, lieu de martyre, et un oratoire, lieu de prière. Lorsque, dans les siècles suivants, on abandonna la lecture du Vita prima Lamberti, la légende vint jeter la confusion dans ce récit pourtant si clair. Dans la chambre à coucher de saint Lambert, fréquentée par les pèlerins, on a commencé, à un moment donné, à rendre un culte aux deux frères médecins, les saints Côme et Damien, qui finirent par donner leur nom au petit sanctuaire. Un peu avant l'an mille, Notger, comme nous le dirons plus bas, engloba le sanctuaire dans sa nouvelle cathédrale et y déposa les restes de saint Lambert, qui retrouvaient ainsi le lieu consacré par le martyre.

Vers 1088, un prêtre français, Joconde, se figura que ce patronage des deux frères était antérieur à saint Lambert et, dans son Vita Servatii, ramassis d'erreurs et de contradictions, il dit que le sanctuaire avait été fondé, vers 558, par saint Monulphe épris par la beauté du vallon de Liège. Mystifié par ce texte, un autre auteur aimant également les légendes, le chanoine Nicolas, raconte le premier, au milieu du XIIe siècle, que c'est dans cette chapelle des saints Côme et Damien que saint Lambert fut martyrisé, et tous les historiens l'ont répété après lui.

Dans tout cela, le vrai oratoire de la villa de saint Lambert fut oublié, jusqu'au jour où deux historiens, MM. J. Demarteau et Léon Lahaye, l'ont réhabilité et ont montré le grand rôle qu'il a joué dans l'histoire religieuse de la ville (32).

L'oratoire proche de la villa de saint Lambert était le premier temple paroissial du village de Liège, dédié, selon toute vraisemblance, à la sainte Vierge. C'est la petite mais célèbre église de Notre-Dame-aux-Fonts, laquelle, rebâtie plusieurs fois, a gardé jusqu'à la Révolution française les fonts baptismaux conservés actuellement à Saint-Barthélemy. Quoique annexée ou plutôt incorporée à la cathédrale Saint-Lambert, cette chapelle a imposé à celle-ci son nom (Notre-Dame) et est toujours restée première paroisse et baptistère de la ville.

Cette église Notre-Dame-aux-Fonts était parallèle et presque contiguë à la nef méridionale de la cathédrale, c'est-à-dire qu'elle se trouvait à une dizaine de mètres des maisons de commerce situées entre les rues Gérardrie et Souverain-Pont (33). Le lieu du martyre de saint Lambert était à une trentaine de mètres de là, vers le milieu de la place actuelle, entre l'aubette et l'entrée de l'hypocauste.

Dès la première année du martyre, d'après le Vita Lamberti, les fidèles se mirent à bâtir l'église du pèlerinage, qui devait devenir bientôt la cathédrale. Ils l'ont construite, non à l'emplacement de Notre-Dame, qui fut conservée, ni à l'emplacement de la chambre où les fidèles continuaient à aller prier près du lit, mais à l'est de l'endroit du martyre, vers la place du Marché. Un texte, tardif il est vrai, mais que M. Kurth juge intéressant à divers points de vue, nous le dit formellement (34). En effet, la cathédrale de saint Hubert fut rebâtie par Notger parce qu'elle était trop petite, caduque et « d'attre part, dit Jean d'Outremeuse, qu'il ne seoit mie bien, car ilhe devoit seoir ai propre lieu où saint Lambert avoit esteit martirisiet. L'église n'était pas bien située, car elle aurait dû se trouver à l'endroit même du martyre. » Pour Jean d'Outremeuse, elle était donc mal placée, et, dans un autre passage, il nous dit que l'endroit de l'immolation se trouvait à l'ouest (35).

Saint Hubert a déposé le corps de saint Lambert, non pas dans une châsse, mais dans un tombeau. Où creusa-t-il ce tombeau? Dans l'église, nous l'avons vu, mais les biographes contemporains ne nous donnent pas d'autre précision. Il serait pourtant intéressant de savoir où se trouvait, avant Notger, le palladium de la cité, vers lequel les pèlerins affluaient, et autour duquel une grande ville s'est formée. Nous ne le savons que par analogie avec l'église notgérienne.

Notger a bâti sa cathédrale à l'emplacement de celle de saint Hubert, mais en la prolongeant vers l'ouest, vers la maison de Marneffe, de manière à englober, entre les deux tours occidentales, la chambre du martyre devenue alors chapelle saints Côme et Damien. Entre ces deux tours (remplacées au XIVe siècle par, les fameuses tours de sable) il fit le choeur occidental à chevet plat, dans lequel il plaça deux autels: celui des saints Côme et Damien, déjà vénérés à cet endroit, et celui de la Sainte Trinité qui avait été fondé, en 932, par Richaire. Sous ce choeur occidental Notger emménagea une crypte, dans laquelle il plaça, sous l'autel de la Sainte Trinité, les reliques tant vénérées de saint Lambert, qui occupaient ainsi l'emplacement exact du martyre (36).

Il est bien probable que, dans cette disposition, Notger n'a fait que reproduire ce qu'il avait vu avant l'agrandissement, et nous pouvons dire que saint Hubert a fait creuser le tombeau de son prédécesseur, non à vingt­cinq mètres de la maison de Marneffe, où il se trouvait après l'an mille, mais une vingtaine de mètres vers la place du Marché. Remarquons en même temps que cet emplacement était la place d'honneur de la cathédrale d'alors, car, à cette époque, l'orientation de nos églises - si impérieuse plus tard - n'était pas encore généralisée (37) et il n'est pas impossible que le choeur de la première cathédrale de Liege, construite contre la maison du martyre, ait été le choeur unique de cette église. Au XVIIe siècle, on appelait encore le choeur occidental antiquum chorum, le vieux choeur (38).


(32) J. DEMARTEAU: La première église de Liège, l'abbaye de Notre-Dame: Bulletin de la Sté d'Art et d'Histoire, t. VII (1892), p. 1 à 108 et Leon LAHAYE: Les paroisses de Liège: Bulletin de l'Institut Arch. Liégeois, t. XLVI (1921), p. 1 à 208.

(33) J. DEMARTEAU: Op. cit., p. 28 et Th. G0BERT: Emplacement de l'ancienne cathédrale: un plan peu connu: Bulletin de l'institut Arch. Liégeois, t. XXXVI (1906), p. 131.

(34) God. KURTH: Notger, t. II, p. 29.

(35) Ibidem, p. 30.

(36) Dans sa récente publication: Liege à travers les Ages, t. III, p. 455, M. GOBERT donne une description détaillée de l'ancienne place Saint-Lambert, avec un plan de l'église dresse par l'Ingénieur Lohest. La cathédrale avait deux transepts, l'un à l'orient, devant le grand choeur, l'autre à l'occident, contigu aux deux tours. Le Cercle militaire occupe exactement la croisée du transept oriental, tandis que l’hypocauste romain, découvert en 1906, occupait le croisillon nord du transept occidental. La crypte, dans laquelle des milliers de pèlerins sont venus vénérer les restes de saint Lambert, à l'endroit de son immolation, se trouvait donc entre l'aubette et hypocauste, à vingt-cinq mètres du point de contact de l'Union Coopérative et de la maison de Marneffe.

Au XIVe siècle, la fierté de saint Lambert fut transférée au choeur oriental, sur le jubé qui en formait l'entrée (GOBERT, p. 465). Les maisons de commerce construites entre l'ancien Cercle militaire et la place du Marché occupent l'emplacement de l'ancien chœur.

(37) L'abbé KEMPENEERS: De l'orientation symbolique des églises chrétiennes: Annales de l'Académie d'Archéologie de Belgique, Anvers, t. XXV (1869), p. 559 à 667.

(38) G. KURTH: Notger, t. II, p. 32.

(39) M. Th. GOBERT: Rues de Liege, t. III (1895), p. 162, pense qu'une dernière reconstruction a eu lieu au XIIIe siècle, mais nous croyons qu'on a simplement remanié l'ornementation à l'époque gothique, peut-être lors de la construction du clocher de 1263 (un des plus beaux de Liège) qui fut élevé entre les maçonneries non achevées des deux tours occidentales. La ville en possède un dessin d à la plume d'Englebert Fisen.

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