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Le chant national Liégeois

VALEUREUX LIEGEOIS

par Ulysse CAPITAINE (1828-1871)


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Depuis quelques années, on semble porter un intérêt tout particulier aux chants nationaux: on les publie, on les commente, on les analyse. La Marseillaise a eu ses historiens, voire même ses romanciers (1). En présence de ces sympathies rétrospectives, nous avons cru qu'il serait injuste de laisser dans l'oubli l'Hymne des Liégeois. Sans avoir la prétention de le comparer à la brillante improvisation de Rouget de l'Isle, nous tenons à constater qu'un même sentiment a popularisé ces deux chants, que tous deux ont été composés pour défendre l'indépendance et célébrer le pariotisme.

Le 27 avril 1790, on lisait, affichée sur les édifices publics de Liège, une proclamation conçue en ces termes

En l'Assemblée des Seigneurs Bourgmestres et Conseil, Maîtres et commissaires de la noble Cité de Liège, tenue le 26 avril 1790.

« Le moment étant enfin arrivé où la Nation Liégeoise doit déployer le courage et la bravoure que manifestèrent autrefois nos ancêtres, lorsqu'ils se virent molestés dans la plus chère des jouissances qui est celle de la liberté, Messieurs invitent tous les bons et braves patriotes, sans exception aucune, de se réunir sans le moindre délai, sous les drapeaux de l'honneur et de la liberté, pour aller, d'un commun accord, expulser des foyers de nos concitoyens, les ennemis de la patrie qui ont osé y pénétrer: ordonnant que le présent recès soit imprimé et affiché. »

« Par ordonnance de mes dits Seigneurs,

ROUVEROY, pro DE COLOGNE, »

A peine ce recès était-il publié, que des citoyens de tous les rangs et de toutes les conditions se présentèrent pour marcher à la défense du pays et repousser l'invasion étrangère. Dans ce moment solennel, il ne s'agissait plus d'un principe, mais de la violation du territoire, d’une nouvelle atteinte portée à l'honneur de la nation.

Nos pères aussi bien que nous connaissaient l'influence du chant sur les masses et savaient en tirer parti. Aussi, peu de temps après l'appel fait au patriotisme, on entendit pour la première fois l'Hymne national: les paroles n'en sont pas, il est vrai, bien poétiques, bien émouvantes, mais elles ne laissèrent pas de produire l'effet le plus enthoustate (2). Les voici telles que nous les trouvons sur une feuille volante imprimée en mai 1790:


LE VALEUREUX LIÉGEOIS.

AIR: sur la Marche triomphale.

Valeureux Liégeois

Marchez à ma voix

Volez à la victoire!

La Liberté

De la Cité

Vous couvrira de gloire.


Célébrons par nos accords

Les droits sacrés d'une si belle cause

Et rions des vains efforts

Que l'ennemi nous oppose.

Valeureux, etc.


Que peut craindre notre ardeur

Quand sous Chestret (3) nous portons les armes?

A côté de ce vainqueur

Le péril a des charmes.

Valeureux, etc.


Tendres époux, jeunes amants,

Pour quelques jours quittez vos belles,

Reparoissez triomphants,

Vous en serez plus dignes d'elles

Valeureux, etc.

On trouve ce couplet ainsi varié sur quelques copies:

Jeunes amants, cueillez des fleurs

Pour le sein de votre bergère.

L'amour par de tendres faveurs

Vous en paira le doux salaire.


Mesdames ce n'est que pour vous

Qu'on brigue de porter des chaines,

Ecrasons nos tyrans jaloux,

Et soyez nos souveraines.


Valeureux Liégeois,

Marchez à ma voix

Volez à la victoire!

La Liberté

De la Cité

Vous couvrira de gloire.

Après la réunion du pays de Liège à la France,
ce refrain fut ainsi modifié:

A l'aide des François

...

VARIANTE ESTUDIANTINE

La plus mémorable avec le Gaudeamus de ma jeunesse!
(note du webmestre)

Valeureux Liégeois

Fidèle à ma voix

Vole à la victoire!

Et la Liberté

De notre Cité

Te couvrira de gloire.

César vainqueur de l'univers

Te décernera le titre de brave;

Des Romains tu brisas les fers,

Jamais tu ne vécus esclave.

Célébrons par nos accords

Les droits sacrés d'une si belle cause;

Et rions des vains efforts

Que l'ennemi nous oppose.


Ces couplets négligés, qui se ressentent singulièrement du mauvais goût du siècle et de l'influence des circonstances qui les ont fait naître, sont de Ramoux, curé de Glons (4). Ce prêtre s'occupait aussi de musique. Il a même composé différentes partitions qui ne sont pas sans mérite. C'est probablement pour cette raison qu'on lui a attribué l'air du Valeureux Liégeois. Que l'on se détrompe. Nous n'avons pu, il est vrai, découvrir l'origine de cette mélodie, mais nous tenons d'un contemporain, le président Fabry, mort plus que nonagénaire en 1851, qu'elle était déjà connue sous le règne de J. Th. de Bavière (1744-65). Le respectable vieillard se rappelait encore avoir été bercé par une chanson wallonne dont le refrain commençait par ces mots: Binamé saint Lambiet, et qui se chantait sur l'air que Ramoux appropria plus tard à notre chant national. A en juger par son allure même, il est du reste assez probable que cet air n'avait, dans le principe, rien du caractère patriotique que lui donna la révolution liégeoise.

Jusqu'en 1790, Ramoux n'avait pris aucune part aux débats politiques. Le nouveau chant, que l'on savait être de lui, suffit pour le mettre en évidence et le faire regarder par les partisans du prince comme un homme dévoué à la révolution. Aussi, pendant assez longtemps, fut-il le point de mire des attaques de ces derniers qui firent circuler contre lui plusieurs satires, entre autres la parodie suivante du refrain du Valeureux Liégeois

Va, curé de Glons,

Quitte tes chansons,

Et lis ton bréviaire

Si tu veux chanter,

Monte à ton jubé

Tu ne saurais mieux faire.

Aujourd'hui les vers de Ramoux sont tombés dans un oubli tel, que nous n'avons pu nous les procurer qu'à grande peine. Il n'en est pas de même de l'air; malgré les vingt années de la domination française et la popularité de la Marseillaise, malgré la révolution belge et le succès de la Brabançonne, il est toujours et sera longtemps encore le signe de ralliement de l'antique et glorieuse nation wallonne.

Après les journées de septembre 1850, un jeune poëte, dont nous regrettions naguères la perte, Joseph Gaucet, alors âgé de dix-neuf ans, composa, sur l'ancien air liégeois ces paroles (5) appropriées aux événements du jour:

LA LIÉGEOISE.

Dédiée aux Belges

AIR: Valeureux liégeois.

Belge valeureux,

Pense à tes aïeux,

A leur noble courage!

Que de sages lois

Défendent tes droits;

Repousse l'esclavage.


César vainqueur de l'univers,

Te décerna le nom de brave :

Des Romains tu brisas les fers,

Aujourd'hui tu vivrais esclave!...

Belge valeureux, etc.


Belge, en tout temps la liberté

Te fit entendre sa parole;

Parfois soumis , jamais dompté,

Tu la pris toujours pour idole.

Belge valeureux, etc.


Si jadis on put endormir

Ta vigilance et ton courage,

Le jour qui te vit asservir

Te vit sortir de l'esclavage.

Belge valeureux, etc.


Mais d'où viennent ces bataillons

Et ces flots de guerriers bataves?

Pour qui sont les fers, les canons

Que traînent ces hordes d'esclaves?

Belge valeureux, etc.


Et toi, peuple dégénéré,

Va-t-en, retourne dans tes villes:

Hollandais, ton sang abhoré

Souillerait nos plaines fertiles.

Belge valeureux, etc.


Pour vaincre le Belge irrité,

Guillaume, laisse-là tes armes

Fais qu'à ses yeux la liberté

Apparaisse avec tous ses charmes.

Belge valeureux, etc.


Belge, en cet instant solennel,

Entends la voix de la patrie,

Et viens jurer sur son autel

De lui sacrifier ta vie.


Belge valeureux

Pense à tes aïeux

A leur noble courage!

Que de sages lois

Défendent tes droits;

Repousse l'esclavage.

Ces couplets, préférables à ceux de Ramoux, tant pour le fond que pour la forme, eurent pendant quelques années une véritable popularité: aujourd'hui ils sont tout à fait oubliés.


(1) Rouget de l'Isle et la Marseillaise par Fréderic de Sezanne.

(2) C'est en répétant ce chant que les Liégeois se signalèrent dans les différents combats qu'ils eurent à soutenir en 1790. V. Relation de l'affaire de Zutendael, par un volontaire, 1790 broch. in-8°. - Correspondance littéraire secrète, n° 52 de 1790, etc.

(3) Jean Remy de CHESTRET, baron DE HANEFFE-DONCEEL, né le 15 mai 1739, entra d'abord au service impérial et prit part à la guerre de sept ans. Elu en 1784 Bourgmestre de Liège par le peuple, il fut encore appelé au même poste, lors de la révolution Liégeoise en 1789. Nommé commandant de la garde patriotique et colonel commandant la garde municipale soldée pour la défense du territoire, il remplit un rôle considérable dans les événements de cette époque. Sous la domination française, il fut élu membre du corps législatif et remplit les fonctions de secrétaire de cette assemblée. Réélu en 1809, à l'expiration de son premier mandat, il mourut à Paris le 3 juillet de la même année. Ann.uaire de la noblesse Belge pour 1852, p. 137. - Nous avons vu sur une copie manuscrite du chant Liégeois le nom de Chestret remplacé par celui de Donceel qui prit aussi une part active à notre révolution. A. G. J. chevalier de Donceel était en 1789 général-major commandant les troupes nationales et patriotiques Liégeoises; l'année suivante, il fut élu par le peuple bourgmestre de la Cité.

(4) Ramoux (G. J. E.) naquit à Liège le 21 janvier 1750. Jeune encore il fut nommé principal et professeur de rhétorique au collège que le prince de Velbruck venait de fonder à Liège pour remplacer celui des Jésuites. Plus tard il contribua beaucoup à fonder la société libre d'Émulation. En 1784, il quitta Liège pour aller prendre possession de la cure de GIons, qu'il conserva jusqu'au 8 janvier 1826, date de sa mort. Nous ne rappellerons ici ni les vertus de ce digne ecclésiastique ni les services éminents qu'il a rendus et qui lui ont valu le surnom de législateur de Jaër: Nous renvoyons pour plus de détails à l'intéressante notice que M. Ch. de Chênedollé a publié sur Ramoux (Liège 1826 in-8°), notice qui se trouve reproduite dans la compilation que M. le comte de Bec-de-Lièvre-Hamal a fait imprimer sous le titre de Biographie Liégeoise.

(5) Depuis soixante ans, on a écrit, sur l'air national un nombre considérable de chansons politiques et autres tant en wallon qu'en français: bien qu'elles soient généralement fort faibles au point de vue littéraire il en est plusieurs qui ne manquent pas d'un certain intérêt historique. Nous comptons en faire connaître quelques-unes dans le Recueil des chants et chansons politiques Liégeoises que nous nous proposons de publier prochainement. - M, Aug. Dupont d'Ensival a composé pour piano une Fantaisie sur le chant populaire Valeureux Liégeois, dédiée à Melles Hortense et Octavie Orban, Liége, Gout (février 1846), in-4° de 17 f., 2e tirage. Liège, L. Muraille (1850), in-4° de 17 f. En 1814, le comte de Zinzendorff, commandant des chasseurs Tyroliens, vint loger chez le curé Ramoux. L'étranger ayant entendu parler du chant composé par son hôte, le pria de le lui faire entendre, ce quoi Ramoux se prêta très-gracieusement. Le commandant applaudit beaucoup, trouva l'air harmonieux, mais il avoua qu'il ne comprenait pas les paroles: Ramoux improvisa en ces termes la traduction du refrain

Agite sodales,

Incolae fideles,

Volemus ad victoriam!

Libertas in focis

Vestram ditabit gloriam.

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