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LIEGE - LEODIUM - LUYK - LÜTTICH

Les origines du nom de la ville de Liège

par Eugène POLAIN

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Sur un sous-sol de gravier de plus de cinq mètres d'épaisseur, Liège était une vallée limoneuse, et je me demande si ce ne serait pas cette particularité topographique qui aurait donné à la ville ce nom dont l'étymologie a été discutée si âprement.

Le nom ancien de Liège ne nous est connu que sous les formes latines Legia ou Leodium, formes jumelles en somme et datant en réalité d'une époque où l'on ne parlait plus le latin chez nous, et la forme la plus antique semble être Luga. Pour les gens du pays, au XIIe siècle, la ville se nommait Lyge (Lidje). Mais il existe à la même époque, deux formes germaniques du mot: l'une est thioise, c'est-à-dire flamande, c'est Leuck ou Luck, qui se rapproche de Luga. L'autre forme est allemande et fort vieille, Luticha.

Dans la toponymie allemande de nombreuses localités portent cet ancien nom de Luticha, mais il est remarquable de noter qu'au lieu de chercher l'étymologie du nom dans un hypothétique Leudicus, comme certains liégeois l'ont fait pour Liège, les savants d'outre-Rhin interprètent Luticha, par le celtique Lutetia, contraction de Lucotetia. Il est bien évident que la graphie tia dans Lutetia se prononce facilement tya ou tcha, ce qui donne Lutitcha. Le sens de Lutetia, forme contractée de Lucotetia est celui d'endroit marécageux et limoneux, formé par la division d'un cours d'eau en branches multiples. Et tous les endroits qui portent ce nom, depuis la Lutetia Parisiorum, jusqu'à Luttwitz en Saxe, en passant par Louaige, en Suisse et Liège, présentent précisément ce caractère topographique. Or tel devait être l'aspect de cette vallée de Lidje, puisque, aux portes mêmes de la cité, on trouve les noms d'endroits comme Leuze, Lèche, Laye, Lixhe, qui tous désignent des endroits marécageux et limoneux, formés par des bras de rivière.

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La formation territoriale de la cité de Liège, Revue du Nord, N° 71, 1932, p. 162.

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On a cru pouvoir assurer que c'était en vertu d'une donation royale (mérovingienne?) et que Liège appartenait primitivement au domaine fiscal du roi.

A défaut d'une pièce officielle ou d'une indication d'historien ancien, c'est le nom latin ancien de la ville de Liège, Leodium, qui sert de preuve, tout au moins les adjectifs dérivés, croit-on, de ce nom. On trouve, en effet, dans certaines pièces Liège désignée sous les vocables leudicus vicus, leudica villa. Or, leudicus étant synonyme de publicus et publicus signifiant fiscalis, il suit que leudicus vicus ne signifie rien d'autre que fiscalis vicus. Donc Leodium ou Leudium serait une terre appartenant originairement au fisc royal et c'est du roi que la tenaient les évêques.

Cette étymologie, présentée comme un simple hypothèse par Grandgagnage (Mémoire sur les anciens noms de lieux de la Belgique Orientale), devient une vérité pour G. Kurth.

On peut y faire de très dures objections. Il est assez singulier tout d'abord que le nom propre de la ville, Leodium ou Leudium, ait pu être dérivé de l'adjectif leudicus, le contraire étant vrai d'ordinaire. Leudicus est plutôt dérivé de Leudium, mais que signifie alors ce terme? Remarquons tout d'abord que Leodium est un mot latin d'une époque fort basse, pendant laquelle le peuple ne parle plus qu'un patois dérivé du latin. Or Leodium n'est qu'une transcription latinisée du nom vulgaire de l'endroit. Quel est ce nom vulgaire? Nous l’ignorons, à moins que ce ne soit Legia (Leudjia). Mais si le nom roman nous est inconnu, nous savons que les voisins très proches de la ville l'appellent, ceux de l'Ouest et du Nord (thiois) Ludikë et ceux de l'Est (bas-allemands) Lüticha. Nous sommes fondés à penser que les assonances de ces deux noms, très semblables, devaient correspondre à celles du nom vulgaire de la ville et que ce dernier, par conséquent, se composait d'une première partie: Lüdi, Lüti et que, dans la seconde partie, se trouvait une gutturale dure k ou une chuintante suivie d’une voyelle d'appui semi muette a ou ë.

Or cela nous rapproche singulièrement de leudica et dans l'expression Villa Leudica, nous aurions non pas un adjectif dérivé de Leodium, mais le substantif Leudica, nom de la ville. Leudicus serait en ce cas un masculin s'accordant avec vicus dans Vicus Leudicus, ce qui signifierait le village leudique; or certain adjectif, un peu plus récent à vrai dire, Leodicensis semble confirmer notre hypothèse. La persistance de la gutturale k ou c dur nous éloigne sans doute de Leodium (Leudium) mais nous rapproche au contraire de Legia ou plus exactement Leggia, aboutissement des formes supposées Ledighia, Ledghia, dérivées certainement de Leudica.

On remarquera immédiatement que ce mot Leudica, dans lequel nous voyons le nom réel de la ville, se rattache exactement au Thiois Ludikë et au Bas-allemand Luticha. Or ce dernier est le nom ancien de beaucoup de localités d'AlIemagne et de cette seule constatation on peut conclure qu'il s'agit d'un terme caractérisant une certaine topographie. Les philologues allemands, dont Kurth a négligé de consulter les travaux, se trouvant devant ce Luticha n'ont, aucun, pensé à le rapprocher de leudicus ou leuticus (popularis-fiscalis ou publicus). Ils y reconnaissent un toponymique celtique dérivant la contraction, d'un primitif Lucotecia, d'où Luctetia. Lutetia, Luticha et signifiant endroit où une rivière, se divisant on plusieurs branches, forme un marécage limoneux. Or telle est la configuration topographique de tous les Luticha allemands et l'un des endroits de ce nom, Louèche-les-Bains, est une station célèbre par ses bains de boue. La plus illustre des Lutecia, celle des Parisiorum, Lutèce, fut originairement un marécage créé par les bras de la Seine; or, la vallée de Liège n'était rien d'autre avec ses îles limoneuses formées tant par les bras de la Meuse que par la jonction de cette rivière avec l’Ourthe et la Vesdre.

Il est impossible, pensons-nous, de soutenir encore, par la seule étymologie, le caractère originairement fiscal de la terre de Liège.

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La vie à Liège sous Ernest de Bavière, Bull. de l'Inst. Arch. Liégeois, t. LXII, 1938, p. 36-37.

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