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Liège Expo 1905

EXPOSITION UNIVERSELLE DE LIEGE

L'Exposition et les grands travaux publics de la ville de Liège

LA RECTIFICATION DU COURS DE L'OURTHE

RÉTROACTES ET CONSIDÉRATIONS GÉNÉRALES


La question des travaux à réaliser pour améliorer et même pour unifier le cours de l'Ourthe n'était pas neuve: depuis près d'un siècle, elle préoccupait les Pouvoirs.

Déjà, ainsi que nous le dirons, la création de la Dérivation de la Meuse avait eu pour conséquence de réunir en un lit unique les nombreux biez qui morcelaient le quartier d'Outre-Meuse.

Mais au Sud-Est de la Ville, la situation, bien que souvent examinée, n'avait été aucunement modifiée.

L'Ourthe, opérant aux Grosses-Battes, entre Chênée et Grivegnée, le partage de ses eaux, se divisait en deux bras: l'un, autrefois navigable, se subdivisant lui-même, découpait de multiples îlots l'autre, le Fourchu-Fossé, décrivant deux larges boucles, s'en allait à la Meuse, après avoir, par un biez sinueux, actionné le moulin des Aguesses ou moulin Marcotty.

Entre ces bras, se trouvaient les hameaux de Fétinne et des Vennes, jadis peu habités, mais qui, dans la seconde moitié du XIXe siècle, s'étaient développés et formaient ensemble une agglomération populeuse, comprenant d'importants établissements industriels.

Du fleuve à la rive gauche du Fourchu-Fossé, s'étendait la vaste plaine des Aguesses, formée de terrains incultes, marécageux, couverts d'oseraies, très souvent inondés.

Rivière capricieuse, d'un régime torrentueux, sujette à des crues fréquentes très violentes, l'Ourthe, en s'évacuant par le Fourchu-Fossé, avait, de tous temps, envahi les terrains des Vennes et de Fétinne, où elle causait les plus sérieux dommages.

De là, une situation critique que nous trouvons exposée dans un rapport fait le 30 Prairial, an XII (19 juin 1804), par M. Lejeune, ingénieur en chef du Service des Ponts et Chaussées de l'époque.

« C'est, écrivait M. Lejeune, à une époque très reculée, dont la date est perdue, » que l'Ourthe a rompu sa rive gauche aux Grosses-Battes et formé le Fourchu-Fossé.

Ceci devait effectivement arriver, si, dans ce temps, le cours ancien et naturel de l'Ourthe, divisé en plusieurs bras, dont l'un sert à la navigation et dont les autres sont couverts d'un grand nombre d'usines, n'était pas mieux entretenu qu'aujourd'hui, une police sévère et éclairée, en s'opposant à toute entreprise illicite, ne veillait pas à la distribution bien entendue des eaux, à répartir à chaque propriétaire d'usine la section qui peut lui être due; si le cours, en un mot, était tellement engorgé et si peu en rapport avec le volume qu'il devait recevoir lors des crues, qu'il fallait nécessairement que, dans ces circonstances, elles se frayassent un autre chemin.

Quoiqu'il en soit, la rupture une fois faite, il a fallu pourvoir à l'entretien du Fourchu-Fossé, et l'on voit que, sous les gouvernements, il a été l'objet d'une attention spéciale.

Un édit du 9 juin 1653 prescrit les mesures à prendre par les riverains pour le libre écoulement des eaux, et des mandements d'une date plus récente renouvellent les mêmes injonctions.

Les moyens de défense employés n'ont pas été assez suffisants pour préserver la rive droite des corrosions des glaces et des hautes eaux; elle a été constamment entamée, à tel point que le village de Fétinne, établi sur cette rive, a été presqu'entièrement détruit dans le siècle dernier (XVIIIe siècle).

Cette portion de lit a éprouvé beaucoup de changements dans sa direction; elle est aujourd'hui très éloignée de celle qu'elle suivait autrefois, et les divers changements qu'elle a subis ne se sont opérés que par l'envahissement des terrains précieux, qui ont été remplacés sur la rive opposée par des bancs de gravier stériles, ou propres tout au plus à la végétation de quelques osiers. Les terrains voisins qui n'ont pas encore été endommagés, sont menacés de l'être, et il est certain que si on ne s'y oppose incessamment, les terres très productives de la belle vallée qui se trouve entre les rivières de Meuse et d'Ourthe, connues sous le nom de Boverie, seront ravagées sous peu de temps; que la culture perdra un terrain vaste et inappréciable, et que beaucoup de propriétaires seront absolument ruinés. »

Comme conclusions à ces opinions alarmistes, ce fonctionnaire indiquait le remède dans les termes que voici:

« Pour prévenir ces fâcheux événements, on pense qu'il convient d'écarter le bras de rivière dont il s'agit, des terres qu'il menace d'envahir; pour cet effet, de lui creuser un nouveau lit, suivant une direction plus courte que celle actuelle et en ligne droite; par ce moyen, et en donnant à ce nouveau lit une largeur capable de contenir les plus grandes crues, celles des débordements exceptés, et réglant son fond sur une pente uniforme, qui sera d'autant plus forte que sa pente sera moindre, les eaux se rendront avec célérité dans la rivière de Meuse, et les terres qui n'ont point encore été envahies seront garanties de leur courant destructeur. »

L'an 1807, le successeur de M. Lejeune, M. l'ingénieur en chef Deschamps, reprenant l'examen de l'affaire, déclarait indispensables la suppression de l'usine et du moulin des Aguesses et le redressement du Fourchu-Fossé:

« Ce moyen, disait M. Deschamps, consiste dans l'ouverture d'un nouveau lit au bras de l'Ourthe, dit le Fourchu-Fossé, afin de conduire dans la Meuse les eaux surabondantes que ce bras est destiné à recevoir. Mais, afin que ce nouveau bras remplisse complètement son objet, il faut que, une fois établi, il ne puisse plus varier ou au moins qu'avec un entretien peu dispendieux, on puisse le maintenir dans la direction qui lui aura été donnée. Pour cela, il sera nécessaire que ce nouveau canal s'embranche sur l'ancien cours, dans une partie où il n'a pas changé depuis longtemps et où il paraît fixé; que de là, en suivant des contours aussi doux et allongés que faire se pourra, il soit conduit dans la Meuse, sous l'angle le plus aigu que possible. »

MM. Lejeune et Deschamps préconisaient donc tous deux le redressement du Fourchu-Fossé, mais selon des systèmes différents: tandis que le premier conseillait de conduire les eaux de l'Ourthe à la Meuse par le chemin le plus court, suivant une pente rapide, en ligne droite, l'autre, envisageant également le régime de la navigation du fleuve, pensait que le nouveau lit du Fourchu-Fossé devrait tracer une courbe en suivant les contours les plus doux et les plus allongés, selon l'angle le plus aigu possible.

Les rapports de MM. Lejeune et Deschamps firent l'objet de discussions à l'assemblée municipale; ils donnèrent lieu à un échange de correspondances entre le Préfet du Département de l'Ourthe, le baron Micou, le Gouvernement Impérial et l'Edilité liégeoise, mais ils n'eurent aucune suite pratique. Ce n'est qu'en 1886, que la question fut définitivement posée par l'Administration des Ponts et Chaussées d'aujourd'hui.

Dans l'intervalle cependant, les Pouvoirs Publics s'inquiétèrent des déprédations causées par le Fourchu-Fossé et parfois même firent exécuter des ouvrages qui, parce qu'il fallait une solution radicale, ne furent que des expédients et n'apportèrent qu'une amélioration partielle et à peine appréciable.

Mais à la suite des calamiteuses inondations de 1880, le Gouvernement avait institué à l'Administration des Ponts et Chaussées un nouvel organisme, le Service Spécial de la Meuse et de ses affluents, à la tête duquel fut placé en qualité de Directeur, un ingénieur éminent, M. A. Debeil, aujourd'hui Directeur Général des Ponts et Chaussées.

La mission première de ce service fut de rechercher les améliorations qu'il importait d'apporter au régime de la Meuse et aux cours de ses affluents dans le but d'empêcher que de nouvelles catastrophes puissent se produire.

La région de Liège avait constamment souffert du régime de ses rivières, la Meuse et l'Ourthe.

La multiplicité des bras de celles-ci non seulement constituait une entrave à la navigation, mais était aussi une cause de crues fréquentes dont quelques-unes eurent le caractère de véritables fléaux.

Sans rappeler les désastres de 1571, de 1643 et de 1740, dont les chroniqueurs du temps nous ont transmis l'émouvant récit, nous mentionnerons la crue de 1850, au sujet de laquelle l'ingénieur de la Ville, feu Blonden, écrit ces lignes typiques:

« L'inondation de 1850, une des plus désastreuses de toutes, a envahi près de 350 hectares de terrain, comprenant près de 1.500 maisons, et recouvert les pavés des églises Saint-Jacques, Saint-Paul, Saint-Christophe, Saint-Denis, Sainte-Foi, situées sur la rive gauche du fleuve.

On peut hardiment estimer à un million et demi les pertes que cette inondation a occasionnées.

D'un autre côté, on conçoit aisément que ces inondations périodiques et souvent prolongées ne pouvaient que compromettre gravement la salubrité publique et entraîner les conséquences les plus funestes. »

Le terrible événement émut profondément les Pouvoirs Publics qui sans plus tarder s'occupèrent de faire exécuter une série d'importants travaux, dont le plan d'ensemble avait été dressé par deux ingénieurs des Ponts et Chaussées, MM. Kummer et Houbotte.

Sans entrer dans le détail de ces travaux, disons qu'ils eurent pour effet, en ce qui concerne la traverse de la Ville de Liège, d'unifier en le redressant le bras principal de la Meuse, de lui donner 140 mètres de largeur minimum, de le rendre ainsi navigable, et de supprimer au quartier d'Outre-Meuse une série de biez et de cours d'eau tortueux et fétides, qui furent remplacés par un second bras, large de 60 mètres, servant depuis Fétinne, à l'évacuation des eaux de l'Ourthe et à la décharge, en cas de crue, du trop plein de la Meuse.

L'exécution du programme Kummer et Houbotte, complété par l'accomplissement de multiples travaux conçus dans un but d'hygiène ou d'embellissement, avait transformé l'aspect de la Cité et singulièrement favorisé son développement.

Mais - et peut-être en raison de cette dernière circonstance - on ne tarda pas à constater que, si la situation se trouvait grandement améliorée, le danger n'était pas conjuré et que le régime de nos eaux n'était pas encore parfait.

Les inondations de 1880 en fournirent la preuve.

La ville de Liège, bien que dans une situation autrement favorable qu'en 1850, grâce aux travaux préconisés par Kummer et Houbotte, eut cependant encore grandement à souffrir des eaux qui l'envahirent. Mais la situation fut terrible surtout pour les agglomérations situées à l'amont et à l'aval de la ville.

C'est pourquoi, aussitôt institué, le Service de la Meuse se mit en devoir d'étudier le régime général du fleuve dans toute la région.

Cet examen minutieux, basé sur des données techniques et comparatives, appuyé de faits précis, tenant compte des circonstances nouvelles, amena l'élaboration d'un programme d'ensemble très complet, qui fut, de la part de l'Administration des Ponts et Chaussées, l'objet d'un rapport signé par MM. Debeil, Ingénieur en chef, Directeur du Service de la Meuse, de Groote, Ingénieur Principal et Vaillant, Ingénieur.

L'importance de ce document est énorme: non seulement il a été l'origine de profondes améliorations réalisées au cours du fleuve, mais il a fait sortir des cartons la question de la Rectification de l'Ourthe, de même qu'il a indiqué une série de nouveaux travaux dont l'exécution s'impose et dont le Gouvernement d'ailleurs se préoccupe actuellement.

Nous estimons devoir donner ici un aperçu sommaire de ce rapport qui n'appartient pas encore totalement au domaine de l'histoire rétrospective.


LE PROGRAMME DE 1886


M. Debeil et ses ingénieurs eurent d'abord à se rendre compte des causes de la situation constatée en 1880, à rechercher de quel concours de circonstances celle-ci était le résultat, afin de pouvoir déterminer exactement le programme qu'il faudrait réaliser pour y porter remède et fixer la manière dont ce programme pourrait être exécuté.

C'est donc après avoir envisagé les transformations successives amenées par l'accroissement de la population et par le développement normal et rationnel de l'industrie dans les vallées de la Meuse et de la Vesdre, que ces ingénieurs dressèrent, comme préambule explicatif de leur programme, le bilan que voici:

« Les riverains de la Meuse et de l'Ourthe, disent-ils, ont été cruellement éprouvés » par la crue désastreuse survenue en décembre 1880.

Les localités situées en amont du confluent de l'Ourthe et de la Meuse ont été spécialement atteintes par cette venue d'eau aussi rapide qu'extraordinaire.

Le débordement s'étendit sur tout le fond de la vallée et le niveau des eaux dépassa en moyenne de plus de 0m70 les hauteurs constatées pendant les plus fortes crues de ce siècle.

La situation présenta une gravité exceptionnelle dans les agglomérations industrielles de Flémalle-Grande, Seraing, Jemeppe, Tilleur, Ougrée et Angleur. La zone de débordement envahie progressivement par les constructions et les remblais ne fonctionna plus comme lit auxiliaire; les eaux concentrées dans une cunette trop étroite s'élevèrent à un niveau notablement supérieur à celui qu'elles auraient atteint jadis pour le même débit.

Dans la traverse de Liège on constata une situation relativement plus favorable qu'en amont. A l'entrée de la ville, les eaux s'élevèrent, en 1880, à un niveau moindre que pendant la plus forte crue de ce siècle (1850), et, à l'extrémité aval de la ville, elles ne dépassèrent pas sensiblement le niveau de cette dernière crue.

Néanmoins, des quartiers très importants de la ville furent submergés, et les communications furent coupées en plusieurs points de la rive droite de la Meuse, tandis que la rive gauche n'échappa à une submersion complète que grâce à des travaux d'endiguement provisoires effectués en pleine crue. Cependant les points bas de la voirie et bon nombre de caves furent envahis par le reflux d'égout que le collecteur ne parvint pas à évacuer.

A l'extrémité aval de la ville, des moyens de protection provisoires préservèrent également de l'invasion des eaux l'importante commune de Herstal, et, d'une destruction certaine, les ouvrages d'art et les digues du canal de Liège à Maestricht.

Ces mesures prévinrent ainsi de grands dommages et une longue interruption de nos relations par eau avec Anvers et la Hollande.

A l'aval de Liège, où le niveau de la crue de 1880 ne dépassait guère que de 0m40 en moyenne l'altitude atteinte par la crue de 1850, les dégâts furent également considérables.

Les villages situés entre le canal et le versant de droite furent atteints par les eaux, les terres ravagées, les digues coupées ou submergées et les communications régulières interrompues pendant plusieurs jours.

Dans ce désastre général, la ville de Liège occupait en somme une situation privilégiée quant à la hauteur atteinte par les eaux.

Cette situation est due spécialement aux travaux de rectification effectués au lit de la Meuse dans la traverse de Liège, et à la substitution d'un lit unique de 170 à 180 mètres de largeur entre quais.

Les maximums de crues de ces deux rivières ne coïncidant presque jamais, elles utilisent ainsi tour à tour une partie du lit de la rivière voisine, ce qui provoque dans la traverse un abaissement du profil général des hautes eaux.

Il n'en reste pas moins vrai que la situation de Liège reste toujours éminemment critique.

En effet, les événements de 1880 peuvent se produire et se compliquer d'accidents de tout genre. D'autre part, la crue de la Meuse peut atteindre une importance analogue à celles de 1643 et 1740, et l'Ourthe elle-même peut grossir davantage.

Ces éventualités pouvant amener à Liège un niveau plus élevé qu'en 1880, ce qui équivaudrait à un véritable désastre, il est du devoir de l'Administration de rechercher le remède à cette situation.

Cette question ainsi que celles relatives à l'amélioration générale de la rivière entre Flémalle et Visé ont fait l'objet des études des ingénieurs du Service Spécial s de la Meuse institué à la suite de la catastrophe de 1880. »

Il résulte de cet exposé que si, dans le désastre général, Liège s'était trouvée dans une position relativement privilégiée et que si l'on avait pu préserver plusieurs parties de la ville, ainsi que la populeuse commune de Herstal, par des moyens de protection provisoires, par des digues construites à la dernière minute, néanmoins la situation demeurait extrêmement grave. On reconnaissait, en effet, que la Cité et toute la vallée en amont de Liège restaient exposées à un danger qui pourrait devenir une véritable catastrophe dans une éventualité telle qu'une crue simultanée des eaux de la Meuse et de l'Ourthe.

Il était également constaté, circonstance aggravante, que, par suite de l'édification incessante de constructions de tous genres, la Meuse et l'Ourthe ne disposaient plus, chacune, que de leur lit mineur.

De même, il était établi que l'inondation totale du quartier de l'Est et de la commune de Bressoux provenait particulièrement de l'Ourthe, soit par un débordement en deça du barrage des Grosses-Battes, soit par l'arrivée torrentielle de ses eaux à travers la Dérivation.

Quant à l'aval de Liège, la Meuse longeant une suite de campagnes et de prairies submersibles et y disposant encore de tout son lit majeur, le danger y apparaissait moins imminent.

Cette dernière constatation doit être mise en évidence, car elle explique et justifie l'ordre d'exécution arrêté par l'Administration des Ponts et Chaussées pour la réalisation de son programme.

En effet, les auteurs du Rapport de 1886 divisaient en quatre groupes - dont nous reproduisons ci-dessous les intitulés - les améliorations qu'ils estimaient devoir être apportées au régime de nos rivières. C'étaient:

1° les travaux à exécuter en amont de Liège;

2° les travaux à réaliser dans la traverse de Liège, à la Meuse et à la Dérivation de la Meuse;

3° les travaux à exécuter au fleuve en aval de Liège jusque Visé;

4° les travaux ayant pour but de rectifier le cours de l'Ourthe entre Fétinne et les Grosses-Battes, notamment par la suppression de ses multiples bras et biez.

De l'ensemble des faits indiqués et des explications données pour chacun des groupes de travaux, il était démontré, que, contrairement à ce que certains pouvaient croire logique, il importait de dégager d'abord le fleuve en amont et de laisser la réalisation des travaux en aval de Liège pour l'époque où aurait été effectuée la Rectification du cours de l'Ourthe.

Le rapport-programme de MM. Debeil et consorts ne fut rendu public qu'au mois de juin 1888.

Déjà, à ce moment, les deux premiers points étaient écartés de la discussion: les travaux qu'ils formulaient étaient en voie d'achèvement, le Gouvernement, soucieux des grands intérêts en cause, ayant agi avec diligence.

Quant à la question de la rectification du cours de l'Ourthe, elle avait fait, de la part du Service de la Meuse, l'objet d'un examen approfondi et un projet complet d'exécution avec plans métrés et devis estimatif avait été dressé par MM. Debeil et de Groote.


LE PROJET DE GROOTE ET LA COMBINAISON NOBLET


Le projet formulé en 1886 ne fut pas réalisé. Mais par les études de tous genres dont il était appuyé, on peut dire qu'il a ouvert les voies et servi de base au plan définitif. A ce titre donc, il y a lieu d'en faire ici un exposé sommaire.

MM. Debeil et de Groote estimaient de toute urgence un ensemble de travaux qui peuvent être répartis en deux groupes:

A. - La suppression ou l'unification des divers bras secondaires et biez de l'Ourthe, travail d'intérêt exclusivement communal, formant le complément de ce qui avait été fait de 1860 à 1870, et dont l'opportunité d'exécution devait être laissée à l'appréciation de la Ville de Liège.

Ce travail était complété par l'établissement d'une ventellerie de garde à placer à l'origine du bras devant remplacer les bras secondaires unifiés; ce bras nouveau continuerait de la sorte à être alimenté d'eau, mais uniquement pour l'es besoins des usiniers établis sur ses rives, et ne servirait plus à la décharge des eaux d'inondation.

B. - La suppression du fourchu-Fossé et son remplacement par un lit unique et direct de l'Ourthe entre les Grosses-Battes et Fétinne, travail incombant à l'Etat à raison de son caractère d'intérêt général.

Pour l'exécution de cette seconde partie du programme général, ils préconisaient la création, à travers les terrains Fétinne-Aguesses, d'un nouveau lit, dont la cunette serait d'une section suffisante pour satisfaire à l'évacuation des eaux des plus fortes crues: ce lit, qui formerait eu quelque sorte le prolongement-amont de la Dérivation de la Meuse, se raccorderait à l'Ourthe à quelque distance en aval du barrage des Grosses-Battes, à cet endroit où la rivière se divise en deux parties, le Fourchu-Fossé et l'ancien bras navigable.

L'exécution de ce lit rectificatif, en réduisant d'un tiers le parcours de l'Ourthe et en lui assurant un passage suffisant, préserverait le quartier Est de la Ville et de plus, avantage sérieux, réunirait au quartier des Vennes, les terrains des Aguesses, qui, de la sorte, pourraient être mis en valeur,

Par l'exécution de ce dernier travail, la Municipalité liégeoise non seulement pourrait étendre son réseau de canalisation souterraine, mais encore serait amenée à bref délai à solutionner la question des biez secondaires visés au 1° du programme général.

Quant aux communes de Chênée et d'Angleur, elles jouiraient, par contre-coup, d'avantages équivalents à ceux assurés à la Ville de Liège; d'autant plus que certains travaux complémentaires, tels que le dégagement des abords du pont de Chênée, le curage de l'Ourthe et l'approfondissement de son lit en amont des Grosses-Battes devaient être effectués sur leur territoire. Au reste, comme le travail de rectification ne s'étendait pas au-delà de ce dernier endroit, MM. Debeil et de Groote conservaient la boucle supérieure du Fourchu-Fossé pour servir en cas de besoin de déversoir aux eaux débordées à Sauheid dans la campagne d'Angleur.

Le devis de la dépense totale des travaux formant la seconde partie du programme général montait, d'après le Service spécial de la Meuse, à 3.200.000 francs.

Ce projet ayant été examiné et approuvé par le Conseil Permanent Consultatif des Ponts et Chaussées, le Gouvernement se préoccupa d'en assurer la réalisation.

Le Ministre de l'Agriculture et des Travaux Publics, le chevalier de Moreau, fit parvenir les plans et la notice explicative à M. le Gouverneur de la Province de Liège.

Par sa dépêche du 6 mars 1886, il le priait de saisir immédiatement de la question le Conseil provincial et les Administrations des communes intéressées. Le Ministre, en indiquant les divers avantages qui résulteraient des travaux projetés, se demandait si, « eu égard au nombre et à la diversité des intérêts en cause, la solution de cette question complexe ne résidait pas dans la constitution d'une société immobilière qui serait chargée d'exécuter les travaux dans des conditions à déterminer.»

Le 19 juillet 1888, dans une nouvelle lettre à M. le Gouverneur, l'honorable Ministre discutait la quotité de la participation financière qui devait incomber à chacun des Pouvoirs intéressés et disait vouloir l'établir en tenant compte de ce qui s'était passé dans d'autres provinces, et en s'inspirant de l'importance respective des intérêts des administrations en cause. Il concluait en disant que le coût prévu des travaux étant de trois millions cent vingt-cinq mille francs, le Gouvernement assumait la charge des deux tiers de la dépense, le surplus devant être couvert par la Province, la Ville, les communes d'Angleur, de Grivegnée et de Chênée.

Cependant, grâce à l'autorisation qui serait donnée d'exproprier par zones, il serait possible à l'entrepreneur de retirer, par la revente des terrains des Aguesses, un bénéfice supplémentaire évalué à un minimum de cinq cent mille francs, de sorte que la dépense occasionnée pourrait ainsi être réduite à deux millions six cent mille francs. Dans cette occurrence, la dépense devant être moindre, le Gouvernement accepterait d'augmenter sa part d'intervention, la fixant, non plus aux deux tiers, mais aux trois quarts.

« Si une société immobilière, disait le Ministre, se constituait dans le but d'exécuter les travaux projetés, d'approprier et de vendre les terrains devenus disponibles, et si elle ne réclamait pas, à cette fin, un subside supérieur à 2.620.000 francs, il serait tenu compte, dans ces conditions, des bénéfices à réaliser par la revente des terrains à provenir de la plus-value donnée aux zones améliorées, je consentirais alors à ne réclamer à la Province, à la Ville de Liège et aux communes d'Angleur, Grivegnée et Chênée, que le quart de la somme précitée demandée par la société pour la réalisation du projet. »

Le 19 septembre suivant, le projet de répartition financière proposée par le Gouvernement était transmis pour avis à la Ville de Liège. Celle-ci, après avoir fait étudier le dossier par l'Echevin des Travaux Publics, qui était alors M. Stévart, adressa, le 22 avril 1888, par l'organe de son Collège échevinal, ses observations à M. le Gouverneur.

Si la réponse de l'édilité liégeoise ne constituait pas une fin catégorique de non-recevoir, les termes dans lesquels elle était conçue semblaient néanmoins presque une protestation. L'ancien bras navigable de l'Ourthe était qualifié de coup d'eau absolument salubre, bordé d'habitations champêtres et de prairies » et sa suppression qualifiée de « travail de luxe auquel on ne voulait pas être entraîné ».

Quant à la Rectification entre Fétinne et les Grosses-Battes, elle serait, disait-on, surtout profitable aux communes voisines, et, bien que le projet parut sérieusement étudié, la Ville n'y souscrirait qu'à la condition d'intervenir faiblement et en répartissant sa quote-part sur plusieurs exercices.

A ce moment, l'intervention de M. Albert Noblet, ingénieur civil à Liège, fit entrer l'affaire dans une nouvelle phase. Par deux requêtes en date du 31 décembre 1888 et du 20 juin 1889, cet ingénieur saisissait le Gouvernement d'une demande aux termes de laquelle il entreprendrait les travaux de suppression de l'ancien bras navigable et ceux du redressement du cours de l'Ourthe, moyennant l'obtention, en toute propriété, d'une zone de terrains à exproprier dans le périmètre des travaux.

M. Noblet, dans ses plans, tenait compte des desiderata des divers intéressés et s'efforçait de réfuter les appréhensions antérieurement manifestées par la Ville de Liège.

Le Gouvernement ayant déclaré vouloir donner son accord, le Conseil provincial, sur le rapport fait par M. Paul Van Hoegaerden-Braconier, au nom de la cinquième section, vota le subside de deux cent mille francs sollicité.

Par convention du 30 octobre 1892, approuvée le 31 décembre suivant, par M. le Ministre de l'Agriculture et des Travaux Publics, le Gouvernement accorda la concession demandée, à la condition que les conventions qui seraient conclues par M. Noblet avec les communes intéressées, fussent soumises à l'approbation de l'Etat. Mais les négociations entamées à cette fin par M. Noblet avec la Ville de Liège n'aboutirent pas, et le 24 octobre 1894, M. Noblet déclara renoncer à sa concession.

La renonciation de M. Noblet, survenue après six années de lutte et d'efforts, allait marquer un nouveau temps d'arrêt dans la réalisation du bel ensemble de travaux conçus par l'Administration des Ponts et Chaussées. Ce n'est que par la coalition des dévouements et des bonnes volontés de quelques hommes d'action réunis et alliés à l'occasion du projet - enfin pris en considération - d'une Exposition Universelle à Liège, ce n'est, disons-nous, que sous l'empire de cette circonstance nouvelle que l'affaire fut remisé à l'ordre du jour et put, en dépit d'obstacles encore suscités, aboutir à cette solution qui doit être pour la Cité le point de départ d'une ère de prospérité, d'une période de développement et de considérables embellissements.

Si le projet, enfin définitif d'une Exposition Universelle fut la cause déterminante qui fit solutionner la question du redressement du cours de l'Ourthe, il est néanmoins juste de reconnaître qu'il trouva dans cette dernière affaire un adjuvant précieux, un auxiliaire qui contribua puissamment à lui rallier les populations et à lui concilier tout de suite les sympathies et les faveurs du Pouvoir.


NOUVELLES DÉMARCHES


Malgré l'échec de la combinaison immobilière proposée par le Gouvernement et que M. Noblet voulait exécuter, l'Administration des Ponts et Chaussées n'avait pas renoncé à l'exécution de cette partie de son programme, mais l'affaire demeurait dans l'expectative. Vers la fin du mois de décembre 1896, quelques habitants du quartier des Vennes se constituèrent en Comité de la Rectification de l'Ourthe, sous la présidence de M. L. Soubre-Fléchet. Leur but était d'obtenir la réalisation complète du plan de 1886, en vue de tirer le quartier des Vennes de son isolement et de mettre toute la partie Est de la ville à l'abri des inondations.

Cependant, certaines personnalités, qui représentaient la Ville de Liège au Sénat, à la Chambre et au Conseil provincial, continuaient à se préoccuper de la question et cherchaient à mettre sur pied une combinaison consistant à faire exécuter le projet par l'Etat avec le concours de la Province et de la Commune en abandonnant l'idée de l'opération immobilière, dont les études, faites à l'occasion du projet Noblet, avaient fait ressortir le côté très aléatoire.

A l'intervention des membres du Comité de la Rectification de l'Ourthe, un meeting fut tenu le 6 mai 1897, à la salle de la Société d'Alimentation économique, rue Libotte. Il réunissait plus d'un millier d'auditeurs et parmi les nombreuses personnalités présentes, on signalait MM. Gustave Francotte, Henri Schindeler, Rutten, Charles Magnette, Paul Heuse, Hélisée Hargot, Dreye; d'autres notabilités, telles MM. Paul Van Hoegaerden et Alfred Magis, s'excusaient de leur absence, mais adhéraient au meeting. De vibrants et très documentés discours furent prononcés, notamment par MM. G. Francotte et Ch. Magnette; l'envoi d'une pétition aux Chambres législatives fut décidé et ce document, bientôt couvert de 1.700 signatures venait d'être adressé, quand surgit le projet d'Exposition.

Le Comité de la Rectification de l'Ourthe comprit immédiatement que la situation nouvelle qui se produisait pouvait avoir pour l'avenir de ses projets une extrême importance; aussi prit-il de suite position et par une propagande ardente, continue, il sut démontrer que la plaine des Aguesses était le seul emplacement convenant à tous égards pour l'installation d'une World's Fair.

C'est dans ce sens que des conférences furent organisées, des brochures publiées, et que des souscriptions furent recueillies pour l'oeuvre.

M. Paul Tombeur dressa même un avant-projet de dispositif d'une Exposition pour laquelle il utilisait non seulement les terrains situés au-delà du Fourchu-Fossé, mais encore les Parcs de l'Acclimatation et de la Boverie qu'il réunissait directement au quai Mativa par le voutement de la Dérivation de la Meuse.

Le choix de cet emplacement fut vivement combattu au début, mais, lors de la constitution du Comité de Propagande dont nous avons parlé, ses partisans en prirent vigoureusement la défense et ils eurent bientôt la satisfaction de voir le Comité Promoteur s'y ralier en adoptant les conclusions du Comité Technique. A ce moment, d'ailleurs, le Comité Promoteur poursuivait activement ses démarches auprès du Gouvernement.

M. Léon de Bruyn., Ministre de l'Agriculture et des Travaux Publics, répondant à la Chambre et au Sénat, à des interpellations de MM. Charles Magnette, député, et Dupont, sénateur, affirmait formellement son désir d'arriver à une prompte solution de la question.

Aussitôt après cet échange de vues, le Ministre invitait l'Administration des Ponts et Chaussées à reprendre l'examen de la question des travaux de l'Ourthe et à procéder à une révision, s'il y avait lieu, du projet Debeil-de Groote.

Cette mission fut confiée à M. Emile Jacquemin, ingénieur des Ponts et Chaussées, attaché au Service Spécial de la Meuse à Liège.

On était le 6 août 1897. Quelques mois plus tard, le Conseil d'Administration de la Société d'Etudes appelait M. Jacquemin à faire partie du Comité Technique, chargé par lui de faire l'étude des emplacements possibles pour l'installation d'une Exposition.


LE PROJET JACQUEMIN


Il n'y avait pas lieu de remettre en discussion les bases essentielles du projet Debeil-de Groote, c'est-à-dire la suppression du bras navigable de l'Ourthe et le redressement du cours de cette rivière entre Fétinne et les Grosses-Battes; mais, par une étude nouvelle, par l'introduction d'éléments précédemment négligés, ce projet pouvait être complété, amplifié.

Ce fut le but poursuivi par M. Jacquemin.

Envisageant la question sous des aspects nouveaux, celui-ci estima qu'il fallait élargir considérablement le programme de 1886; et traiter à la fois la question des inondations de l'Ourthe, celle des communications entre la Ville et les localités d'amont et celle de la situation spéciale résultant du développement des quartiers Est de la Ville et particulièrement des Vennes.

Au reste, depuis la parution du programme général du Service Spécial de la Meuse, des faits nouveaux s'étaient produits, qui justifiaient pleinement de nouvelles études et parmi eux l'éventualité de la reconstruction ou du dédoublement du Pont du Val-Benoît et le projet d'une Exposition Universelle.

Dans ses études faites sous la direction de M. Fendius, Directeur du Service Spécial de la Meuse, aujourd'hui Inspecteur Général, M. Jacquemin s'occupa cependant en ordre principal du régime de l'Ourthe et du remède qu'il s'agissait d'opposer à ses débordements en accélérant l'évacuation de ses eaux. Mais tandis que dans le projet primitif, la Rectification prenait naissance aux Grosses-Battes, il jugea que les travaux devaient s'étendre jusqu'au hameau de Streupas, et comprendre la suppression ou l'unification des biez distribués aux Vennes par l'ancien bras navigable.

Cependant, par une tactique administrative, appuyée sur une très exacte observation des faits et des circonstances, il partagea en trois points son programme en ce qui concernait la rivière.

Se conformant à la thèse jadis formulée par le Ministre de l'Agriculture et des Travaux Publics, il reconnut que tout changement à la situation existant dans l'ancien bras navigable était du domaine exclusif de l'Administration communale de Liège: il devait donc, en sa qualité de fonctionnaire agissant pour le Gouvernement, se borner à conserver à cette partie de la rivière ses effets utiles tout en l'empêchant d'être par la suite une cause de calamité.

De plus, pour des motifs divers, il réserva les ouvrages à réaliser entre le pont de Chênée et de Streupas, et assigna pour objet immédiat de ses études le plan de Rectification du cours de l'Ourthe depuis son confluent avec la Vesdre jusqu'à son embouchure dans la Meuse à Fétinne. Il y comprit du reste l'utilisation au profit de la Ville de Liège, des terrains de la plaine des Aguesses et la création de nouvelles voiries qui, par l'édification de plusieurs ponts sur l'Ourthe et sur la Meuse, donneraient non seulement des communications directes avec les vallées de l'Ourthe et de la Vesdre, mais encore uniraient le quartier des Vernes à celui de Fragnée-Guillemins.

Ces considérations, nous les dégageons nous-mêmes des faits accomplis.


LES NÉGOCIATIONS EN VUE DE LA CONCLUSION D'UNE CONVENTION

ENTRE L'ÉTAT ET LA VILLE DE LIEGE


Dans l'accomplissement de la double mission dont il était investi, M. Jacquemin fit preuve d'une extrême diligence, d'une science technique profonde et d'un sérieux souci des intérêts en cause.

Quand il fut convaincu que la première Exposition ne pouvait être établie qu'aux Vennes, il est vraisemblable - et c'est une opinion qui résulte de nos souvenirs personnels -, qu'il ne prit aucun repos, qu'il ne s'accorda plus le moindre loisir avant d'avoir achevé l'étude dont le Gouvernement l'avait chargé.

De la sorte, il put remettre à son Département, le 31 décembre 1898, son projet de Rectification du cours de l'Ourthe et de création d'une nouvelle voie de communication entre Liège et Angleur, tandis que les conclusions du Comité Technique que nous avons rapportées, quant à l'emplacement de l'Exposition, étaient officiellement connues le 25 janvier suivant.

L'historien, soucieux de faire oeuvre utile, ne se borne pas à de sèches et fastidieuses énumérations; par un système de déductions et de conclusions, il s'efforce de tirer des enseignements pratiques: à cette fin, il recherche l'enchaînement des faits ainsi que les causes et les circonstances qui les ont provoqués.

Nous procéderons de semblable manière. En constatant les travaux effectués, en considérant les avantages qu'ils procurent et les conséquences qu'ils ne peuvent manquer d'entraîner, nous verrons par quelle suite d'idées M. Jacquemin a dû se laisser guider.

Saisi de l'affaire des travaux de l'Ourthe, il eut à tenir compte de ses rétroactes, notamment du premier examen qui en avait été fait et du projet Debeil-de Groote qui en était résulté.

Combien les temps étaient changés!

Aussi bien dans le domaine des faits purement matériels que dans l'ordre économique, les idées les meilleures, les plus conformes à l'intérêt de tous subissent souvent au début des échecs qui rendent par la suite leur triomphe plus éclatant.

En 1890 (1), une Exposition Universelle dans la Cité de Saint Lambert, c'est une pensée d'idéaliste, un rêve dont l'évocation n'amène, sur les lèvres des Liégeois, qu'un ironique sourire. A la même époque, la combinaison Debeil-de Groote, moins vaste et moins hardie que le projet Jacquemin, laisse indifférents, si pas hostiles, nos mandataires communaux.

Neuf ans ne sont pas encore écoulés.

De vastes conceptions ont vu le jour et tous, mandataires publics plus encore que simples citoyens, s'enthousiasment et veulent ne plus perdre un jour.

Une idée les subjugue: l'Exposition.

Une idée abstraite et si mal définie cependant que ce n'est encore qu'un mot, mais un mot qui déjà prend un aspect magique et qui bientôt, pour l'obtention de toutes les faveurs, pour l'accomplissement de toutes les transformations, pour la solution de toutes les questions, sera un Sésame, ouvre-toi, auquel nul ne pourrait résister.

Cependant le grand projet rencontre encore à Liège même, sinon des adversaires de principe, du moins des hésitants que leur scepticisme rend hostiles et qui créeront aux hommes qui poursuivaient malgré tout la réalisation du projet des difficultés, des obstacles dont ceux-ci ne triompheront qu'à force de vaillance et d'opiniâtreté. Parmi ceux qui luttèrent alors le plus vigoureusement pour cette affaire de la Rectification de l'Ourthe, il en est plus d'un dont le nom mériterait d'être conservé.

1903 devait être l'année de l'Exposition, l'année qui serait pour la Wallonie le point de départ de sa rénovation.

Cette date s'était imposée à l'esprit de tous, d'une façon implicite, et puisque 1903 était admis, puisque l'Exposition était subordonnée à l'exécution d'un ensemble de travaux publics, il fallait se hâter.

(1) Le projet d'une Exposition universelle à Liège, fut, pour la première fois, formulé par nous le 23 août 1890, dans le premier journal Liege-Exposition, où nous écrivions notamment:

« Ainsi que nous l'avons dit, l'Exposition actuelle de la Renommée ne devait être qu'un jalon pour l'organisation d'une vaste Exhibition Internationale et Universelle. Cette entreprise devait être considérée par les Liégeois comme une expérience. Celle-ci a réussi et fait prévoir quel grand bienfait une Exposition Universelle serait pour notre commerce.

Bruxelles et Anvers ont eu leurs grandes Expositions et l'on sait quel profit les négociants bruxellois et anversois en ont retiré.

Pourquoi la ville de Liège n'aurait-elle pas la sienne?

Elle se trouve, à tous les points de vue, en excellente situation pour la réussite d'une pareille entreprise. Géographiquement, elle est merveilleusement située; possédant les moyens de transport les plus sûrs et les plus rapides et au centre d'une des principales voies ferrées du continent. Chef-lieu d'un bassin industriel étendu, fécond et connu dans le monde entier, elle possède les premiers établissements métallurgiques et les fabriques d'armurerie les plus renommées.

Cette idée d'une Exposition Universelle rencontrerait, nous en sommes persuadé, de nombreuses sympathies et les pouvoirs publics ne pourraient guère se refuser à prêter, pour sa réalisation, un appui moral et même financier.

La place manque-t-elle à Liège pour une Exposition Universelle? D'aucuns le disent, mais c'est là une opinion erronée et qui connaît notre cité pourrait indiquer des espaces suffisamment vastes et se prêtant facilement à semblable destination. »

Nous avons plus tard développé le même thème dans l'Echo des Expositions, numéros du 20 novembre 1896, du 3 janvier, du 16 mai et du 6 juin 1897.

D'ailleurs, si même l'Exposition devait être retardée ou abandonnée, les travaux de l'Ourthe en eux-mêmes méritaient qu'on se hâtât.

Et l'on se hâta.

Le Conseil permanent consultatif des Ponts et Chaussées approuva le projet Jacquemin.

Les conclusions du Comité technique et l'achèvement des études de M. Jacquemin se produisant en même temps, constituaient un réel événement et marquaient nettement aux promoteurs et aux organisateurs de l'Exposition la voie qu'ils devaient suivre et le but auquel leurs efforts devaient tendre.

Les membres du Comité Promoteur et les administrateurs de la Société d'Etudes comprirent du reste, que par l'exécution préalable des travaux publics que nécessitait le choix de l'emplacement, l'un des principaux desiderata de leur programme se trouvait réalisé, à savoir que l'Exposition soit pour la ville de Liège la cause d'un embellissement et d'un développement.

Ils se mirent donc à l'ouvre; ils reconnurent que le premier rôle qu'ils avaient à remplir consistait à se faire les intermédiaires entre le Gouvernement et la Municipalité liégeoise, à exercer sur l'un ou sur l'autre une influence efficace, prépondérante. C'était une mission délicate qui exigeait une intelligente tactique et une habile diplomatie: cette mission, le Comité Exécutif, continuateur du Comité Promoteur, sut la mener à bien parce que chacun de ses membres mit au service de l'entreprise commune son dévouement, son activité, ses relations et ses influences.

D'autre part, chacune des parties intéressées, Gouvernement et Ville de Liège, apporta dans l'examen de la question et dans les discussions préalables à l'entente, un ferme désir d'aboutir promptement.

Le 1er mars 1899, M. le Ministre de l'Agriculture et des Travaux Publics, M. Léon de Bruyn, recevant les délégués du Comité Promoteur, les assurait de ses sympathies et leur promettait les faveurs de l'Etat; il disait sa volonté de faire aboutir à bref délai le projet Jacquemin, non seulement en ce qui concernait la Rectification du cours de l'Ourthe, mais aussi relativement aux travaux de voirie et à l'édification des ponts sur la Meuse et sur l'Ourthe.

De son côté, bien qu'il ne fut encore saisi officiellement d'aucune proposition, ni d'aucun projet, le Conseil communal eut à coeur de faire une démonstration de principe qui parut comme l'affirmation de sa volonté de voir s'exécuter au plus tôt les travaux de rivière, parce que de leur réalisation dépendait le sort de l'Exposition.

De l'exposé, fait par M. le bourgmestre Léo Gérard, nous détachons certains passages, qui sont des déclarations catégoriques, manifestant un sentiment que l'assemblée tout entière partagea.

« Le choix du Comité technique et de la Société d'études s'est porté sur le terrain des Aguesses, joint au plateau de Cointe. Je n'entrerai pas dans des détails à cet égard, les journaux d'ailleurs vous ont déjà renseignés. Ce sera à mon collègue des travaux publics qu'il appartiendra, lorsque nous serons saisis officiellement, de mettre sous les yeux du Conseil tous les éléments d'information nécessaires. Je me borne à rappeler simplement que l'Exposition serait dans sa partie principale installée aux Aguesses, et qu'il y aurait une annexe au plateau de Cointe. Les deux parties seraient reliées entre elles.

Je m'occuperai d'abord des Aguesses.

Pour que l'Exposition soit possible de ce côté, il est nécessaire que le travail si important de la rectification de l'Ourthe, soit chose accomplie. Il faut aussi ménager des accès à l'Exposition. Ils consistent dans l'établissement d'un pont sur la Meuse un peu en amont de la rue du Vieux-Mayeur et débouchant sur l'autre rive, vers le Rivage-en-Pot. Là, commence la dérivation de l'Ourthe qui part des Grosses-Battes. Un autre pont est établi au débouché aval de la nouvelle dérivation, et, sur la rive droite de cette nouvelle dérivation, se trouve une avenue, un quai si vous voulez, d'une grande largeur, qui va jusqu'aux Grosses-Battes. Là, il y a un nouveau pont sur l'Ourthe, donnant la jonction avec les routes établies déjà par la commune d'Angleur, de manière que cette voie soit la communication nouvelle entre la ville et les vallées de l'Ourthe et de la Vesdre.

Si j'indique toutes ces considérations, c'est que je pense qu'en ce moment, la question de l'Exposition se trouve entre les mains du Gouvernement.

S'il est décidé à agir tout de suite et d'une manière large envers la ville qui n'a pas vu grand chose se faire depuis un certain temps par les soins de l'Etat, eh bien, la ville interviendra de façon à seconder son action pour que l'Exposition puisse s'établir sur les terrains qui deviendront disponibles, et nous arriverons ainsi à un résultat.

Le Comité de l'Exposition, vous ne l'ignorez pas, a entamé des démarches actives auprès du Gouvernement, pour obtenir la rectification de l'Ourthe et l'intervention de l'Etat dans la question de l'Exposition. Ce n'est un mystère pour personne, les journaux en ont parlé, qu'une délégation de la Société d'Etudes sera reçue mercredi par le Ministre des Travaux Publics. Eh bien, je crois que c'était le moment utile pour indiquer les motifs qui militent en faveur d'une intervention très large et très rapide de la part du Gouvernement. Je ne doute pas, quant à moi, que le Ministre des Travaux Publics ne saisisse avec empressement cette occasion de faire grand, bien et vite, à Liège.

Si ce résultat est obtenu, l'Exposition sera donc en majeure partie installée sur les terrains devenus disponibles aux Aguesses. »

Par dépêche du 23 avril 1899, M. le Ministre de l'Agriculture et des Travaux Publics faisait officiellement connaître au Gouverneur de la Province, M. Pety de Thozée, le nouveau projet de Rectification du cours de l'Ourthe. En indiquant les avantages qui le différenciaient du plan de 1886, il insistait spécialement sur le fond du projet et il faisait connaître ses intentions quant à la répartition de la dépense: le Gouvernement en assumerait les trois quarts, le surplus devant être couvert par la Province et les Administrations de Liège, d'Angleur, de Chênée et de Grivegnée.

Ainsi la discussion s'ouvrit immédiatement.

Un premier résultat fut bientôt acquis: le Conseil communal de Liège, adoptant les conclusions du rapport de son échevin des Travaux Publics, M. Gustave Kleyer, approuvait le projet présenté et décidait d'intervenir mais jusqu'à Concurrence d'un dixième seulement dans le montant de la dépense.

Quelques semaines plus tard, le Conseil provincial fixait également au dixième le chiffre de sa subvention et chacune des communes suburbaines intéressées déterminait sa quote-part contributive.

La délibération du Conseil communal de Liège du 26 juin ne constituait à vrai dire qu'un vote de principe manifestant des intentions. Il ne s'agissait encore d'ailleurs que de la Rectification du cours de l'Ourthe: les propositions Jacquemin relatives à une nouvelle voirie et à la construction des ponts n'étaient pas en discussion, bien que l'honorable M. Kleyer en reconnût l'impérieuse nécessité et bien que le Comité Technique de l'Exposition en proclamât l'urgence.

Opinant dans le même sens que l'échevin, M. le conseiller Rutten se félicitait de ce que la combinaison Noblet n'eût pas abouti, puisque l'affaire pouvait être envisagée dans des conditions plus favorables pour la Ville que précédemment.

Les négociations amorcées par le Comité Promoteur, entamées officiellement dès le mois de mai, par la Société d'Etudes, se poursuivirent donc. Elles furent longues et laborieuses, à cause de la complexité et de la connexité des multiples questions soulevées comme aussi à cause de la proximité de cette date de 1903 qui exigeait une très rapide solution. Par les péripéties qu'elles subirent, il est permis de partager ces négociations en deux périodes. La première qui aboutit à la conclusion d'une convention entre la Ville de Liège et le Gouvernement. La seconde, au cours de laquelle la grande oeuvre de l'Exposition faillit sombrer, fut suscitée par la mise à exécution de cette convention même.

Puisque l'Exposition était, on le croyait fermement, fixée à 1903, ii était indispensable que les travaux publics préalables fussent commencés au printemps de 1900 et fussent continués sans désemparer. Pour ce faire, l'accord devait être établi entre la Ville et l'Etat: une convention entre ces deux Pouvoirs devait être conclue.

Réaliser cette entente, provoquer la passation de ce contrat, fut la mission première du Comité Exécutif. Dans le but de répondre à certaines observations présentées par les Administrations communales, afin aussi de satisfaire autant que possible à des desiderata formulés par le Bureau des Travaux de Liège et par le Comité technique de l'Exposition, M. Jacquemin revit ses projets et les compléta, surtout en ce qui concernait l'utilisation des terrains des Aguesses, et de la sorte put donner à son programme une ampleur plus conforme et plus favorable aux développements de l'agglomération liégeoise.

C'est, au reste, ce qui semble résulter de son rapport du 8 juillet 1899 quand il écrit très justement, en réponse à une observation de la Ville, que « si la rivière est du domaine de l'Etat, dans l'occurrence il ne s'agit pas uniquement du redressement et de la normalisation d'un cours d'eau, mais d'un vaste projet d'ensemble dont l'agglomération liégeoise retirera les plus considérables avantages ».

Des améliorations qui avaient été, par son auteur, apportées au projet de la Rectification de l'Ourthe, du renchérissement de prix que subissaient les matériaux de toutes espèces, des exigences que manifestaient déjà les propriétaires dont il faudrait acquérir les immeubles, il résultait que le chiffre de la dépense à couvrir devait être sensiblement augmenté. Nonobstant cet accroissement des frais, le Gouvernement persistait à vouloir aller de l'avant et maintenait aux trois quarts de la dépense le quantum de son intervention; la Province avait définitivement décidé; les communes voisines se refusaient à augmenter la participation qu'elles avaient indiquée.

C'était donc à la Ville de Liège à qui d'ailleurs le projet, tel qu'il était définitivement formulé, offrait de sérieux avantages, à revenir sur sa délibération de principe du 26 juin, en élevant du dixième au huitième, le chiffre de sa participation. De plus, la Ville étant appelée à effectuer elle-même l'opération immobilière qui résulterait de la revente des terrains des Aguesses, elle devrait acquérir par voie d'expropriation par zones tous les terrains nécessaires à l'exécution des travaux, et qui se trouvaient situés sur les territoires de Liège et d'Angleur. Un règlement de compte ultérieur établirait au surplus la part que l'Etat aurait à rembourser de ce chef.

Quant à la nouvelle voie de communication à créer entre la gare d'Angleur et Liége-Fragnée, notamment par la construction d'un pont sur la Meuse et de deux ponts sur l'Ourthe rectifiée, le Ministre des Finances et des Travaux Publics, le comte de Smet de Naeyer estimait, contrairement à l'avis de l'édilité liégeoise, que cette affaire était unie à celle de l'Ourthe par de tels liens qu'elle formait avec celle-ci un ensemble indissoluble.

Lier ces deux questions était bien évidemment le meilleur système à suivre dans l'intérêt de la réalisation et de la réussite de l'Exposition. Le Comité Technique l'avait déclaré et les membres du Comité Exécutif avaient opiné dans le même sens puisqu'ils poursuivaient à la fois l'exécution des travaux de rivière et l'édification des ponts.

Cette question de voiries nouvelles et de ponts soulevait d'ailleurs une double interrogation: comment en serait répartie la dépense et quelle Administration s'occuperait de l'entreprise des travaux?

Quant à ce second point, l'Administration communale de Liège se prétendait incompétente; quant à sa participation dans la dépense, elle voulait faire prévaloir cette thèse qu'il était de règle que les ouvrages de ce genre fussent intégralement à charge du Trésor Public.

Le cadre de notre récit ne nous permet pas d'entrer dans le détail des discussions qui eurent lieu à propos de ces différents objets, pas plus que sur d'autres points d'ordre secondaires, entre la Ville de Liège et le Gouvernement.

Quoi qu'il en soit, dans sa réunion du 6 octobre 1899, le Conseil communal, continuant l'examen de l'affaire, vota l'augmentation de participation nécessaire pour les travaux de l'Ourthe, mais il déclarait ne pouvoir se charger des expropriations par zones, à moins qu'une loi ne vînt modifier les limites séparatives des communes de Liège et d'Angleur.

Si par cette déclaration, un nouveau pas venait d'être fait dans la voie de l'entente, la seconde partie du projet Jacquemin demeurait en suspens.

C'est dans cette situation que l'honorable Chef du Cabinet reçut, le lundi 11 décembre 1899, en audience, les délégués de la Ville de Liège, MM. Léo Gérard, bourgmestre, Gustave Kleyer et Maurice Falloise, échevins. Les Administrateurs liégeois exposèrent par quels arguments ils justifiaient leurs prétentions; le Ministre, d'autre part, manifesta de réels sentiments de conciliation, mais prenant texte de l'avenir de la Ville et de la réalisation prochaine de la World's Fair, il maintint qu'aucune disjonction n'était possible, travaux de rivière et de voirie formant un ensemble qu'il fallait traiter dans la même convention. Néanmoins il voulut faire les plus larges concessions sur les points en litige. Il dit:

que l'Etat, supportant la moitié de la dépense dans les travaux de la nouvelle voirie entre Angleur et Fragnée, l'Administration liégeoise aurait donc à solder une charge égale, mais qu'en fait celle-ci se trouverait réduite par le subside de 10 p. c. qui serait vraisemblablement accordé par la Province;

que l'Etat abandonnerait à la Ville, à titre à demi-gratuit, le lit du Fourchu-Fossé; que le Gouvernement proposerait au Parlement le changement de limite sollicité;

enfin que l'Etat ferait procéder sans retard et à ses frais exclusifs à l'élargissement du pont de la Boverie, travail dont l'évaluation se montait à plus de deux cent mille francs.

Par une dépêche du 15 décembre, à laquelle il joignait un avant-projet de convention, le comte de Smet de Naeyer confirmait ces conditions à l'Administration communale, et voulant s'efforcer d'aplanir dans la plus large mesure toutes les difficultés, il ajoutait:

« Si votre Administration communale en exprime le désir, je suis disposé à rechercher avec elle un mode de remboursement par à-comptes des avances faites par chaque partie. »

Les propositions ministérielles furent l'objet de nouvelles discussions au Conseil communal: on s'effrayait généralement de la somme des dépenses qui allaient être imposées aux finances communales et l'on s'imaginait volontiers qu'en l'occurrence le Gouvernement se montrait moins généreux pour la Cité wallonne qu'il ne l'était pour les autres régions du pays. C'était pourtant une erreur que le Conseiller, M. Nicolas Goblet, put faire ressortir à la séance de la Commission des Travaux Publics du 22 décembre, en montrant que des travaux analogues avaient été réalisés à Gand et qu'à cette occasion le Gouvernement avait contribue pour un subside de 25 p. c. dans l'établissement d'un pont sur la Lys et par une intervention de 33 p. c. dans les frais de la voirie qui en étaient résultés.

Quant aux sentiments sympathiques du Ministre à l'égard des Liégeois et de la grande entreprise projetée, sentiments que certains aimaient à révoquer en doute, ils ressortaient une fois de plus d'une lettre personnelle dont M. Goblet fit lecture au cours de la dite séance.

Finalement, les Commissions du Conseil communal marquèrent leur accord sur les grandes lignes de la convention proposée; elles ne formulèrent que certaines observations de détail qui furent, dès le lendemain, 23 décembre, portées à la connaissance du Ministre, par une lettre du Collège échevinal.

Ces observations tendaient à obtenir:

A. qu'une clause de la convention réglât le mode de remboursement des avances faites par la Ville, stipulation à laquelle le Ministre s'était d'ailleurs déclaré favorable dans sa lettre du 15 décembre.

B. que les travaux des ponts et des voiries nouvelles fussent également exécutés par les fonctionnaires du Gouvernement.

Le Chef du Gouvernement n'hésita pas à satisfaire aux voeux qui lui étaient ainsi exprimés. Le 8 janvier 1900, il adressait au Collège échevinal le texte définitif du projet de convention, document qu'il accompagnait d'une lettre explicative, dont voici la teneur:


« Messieurs,


J'ai l'honneur de vous soumettre le texte amendé du projet de convention à conclure entre l'Etat et la Ville de Liège, au sujet de la rectification de l'Ourthe depuis Chênée et de l'établissement d'une voie de communication vers la gare d'Angleur.

Quelques changements, de nature à préciser les engagements réciproques, ont été introduits à la demande de M. l'ingénieur en chef Fendius, directeur du Service spécial de la Meuse et de ses affluents. D'autres ont pour but de donner satisfaction aux voeux exprimés dans votre lettre du 23 décembre 1899, n° 17860, quant à la participation de la Ville dans les dépenses afférentes à la dérivation de la rivière et à la création de la voirie.

Je consens, en outre, Messieurs, à entrer dans les vues de votre Collège, en confiant au Corps des Ponts et Chaussées la mise en adjudication et la surveillance de l'entreprise de la construction de trois ponts dépendant de la voie nouvelle; les travaux de terrassement et de pavage de celle-ci seraient seuls exécutés par vos soins.

Tel qu'il est libellé, l'article premier du projet suppose une entente préalable entre la commune d'Angleur et la Ville de Liège, aux fins de permettre à cette dernière d'exproprier au besoin, à ses frais, et pour son compte, les terrains situés sur le territoire de la dite commune. A défaut d'entente, la loi qui modifiera très prochainement les limites de la Ville de Liège vous permettra d'agir.

Finalement, j'ai rédigé une clause qui prévoit le règlement périodique des avances respectives (article 9).

Veuillez, Messieurs, après examen de ce nouveau texte, me faire savoir, par télégramme, si vous estimez que l'entrevue fixée à mercredi est encore nécessaire.

Agréez, Messieurs, l'assurance de ma considération très distinguée.


Le Ministre.

P. de SMET de NAEVER.


A Messieurs les Bourgmestre et Echevins de la Ville de Liège. »

Cette lettre, nous avons jugé devoir la reproduire en raison de son importance, car elle est la preuve manifeste des sentiments bienveillants dont les membres du Gouvernement ont toujours été animés pour la réussite de l'Exposition de Liège.

Le projet amendé ayant été examiné et approuvé par ses Commissions réunies, le Conseil communal discuta l'affaire en sa séance du 12 février. Les propositions de M. le Ministre des Finances et des Travaux Publics furent acceptées et par un vote unanime le Collège reçut mandat d'engager la Ville par la convention a quo.


LA CONVENTION


L'importance de ce document est telle au point de vue de l'histoire de la Ville de Liège et des communes qui l'avoisinent que nous jugeons sa place marquée dans notre ouvrage.

En voici le texte officiel:


Entre l'Etat Belge, représenté par Monsieur Paul de SMET de NAEYER, Ministre des Finances et des Travaux publics, et par Monsieur Julien LIEBAERT, Ministre ad-intérim des Chemins de fer, Postes et Télégraphes, d'une part,

Et la Ville de Liège, représentée par Monsieur Léo GERARD, Bourgmestre, et Monsieur J. COIRBAY, Secrétaire communal, agissant en exécution d'une délibération du Conseil communal du 12 février 1900, approuvée par la Députation permanente du Conseil provincial, dans sa séance du 21 du même mois et par arrêté royal du 12 avril dernier (Moniteur du 14, n° 104), d'autre part.


A été convenu ce qui suit:


Article premier. - La Ville de Liège s'engage à acquérir, en son nom et pour son compte, toits les immeubles figurés par une teinte rose et par une teinte jaune au plan ci-joint, paraphé par les parties.

Ces immeubles seront acquis, soit à l'amiable, soit par voie d'expropriation par zones, conformément aux lois du 1er juillet 1858 et du 15 novembre 1867.

La Ville de Liège et la Commune d'Angleur seront autorisées à ces fins, et les acquisitions seront entamées immédiatement et poursuivies avec diligence.

Pour les achats à l'amiable des parcelles rentrant dans les tracés teintés en rose, les prix convenus entre la Ville et les vendeurs devront être préalablement agréés par le Ministre des Finances et des Travaux publics.

Art. 2. - La Ville de Liège cédera à l'Etat Belge les terrains nécessaires à l'établissement de la Dérivation de l'Ourthe et de ses dépendances, depuis l'extrémité du territoire de cette ville aux Grosses-Battes jusqu'au confluent de la rivière et de la Meuse à Fétinne, ainsi qu'au détournement du chemin de fer du Nord dans la zone d'expropriation.

Ces terrains, teintés en rose au plan ci-annexé, seront mis à la libre disposition de l'Etat à mesure des acquisitions et après qu'il aura été procédé, par les soins de l'Administration communale, à la vente publique, à charge de démolition, des bâtiments construits sur ces terrains.

L'Etat remboursera à la Ville de Liège:

1° pour les emprises à faire dans les immeubles de la Société anonyme de Grivegnée et dans ceux de la Compagnie générale des conduites d'eau établie aux Vennes, le coût en principal et accessoires de ces emprises, tel qu'il aura été fixé dans les actes de vente ou les jugements d'expropriation, défalcation faite, le cas échéant, du produit net de l'aliénation des bâtiments à démolir,

2° pour l'ensemble des autres emprises, un prix moyen par mètre carré, calculé sur la base des sommes avancées par la Ville pour l'acquisition de toutes les parcelles comprises intégralement ou en partie dans les tracés teintés en rose au plan, après déduction, comme ci-dessus, du produit net de la vente des bâtiments à démolir.

Art. 3. - La Ville mettra gratuitement à la disposition de l'Etat les terrains de l'île des Aguesses, teintés en jaune an plan visé ci-dessus, dès qu'elle en aura fait l'acquisition, avec faculté d'y déposer provisoirement ou définitivement les déblais à provenir du creusement de la dérivation de l'Ourthe, et de les affecter aux usages temporaires que comportent l'exécution de ce travail et de ses dépendances, le détournement du chemin de fer du Nord, et le comblement d'un section du Fourchu-Fossé.

L'Etat restituera ces terrains à la Ville, dès que cette mesure sera possible sans nuire à l'exécution des dits travaux.

Art. 4. - L'Etat s'engage à effectuer dans le plus court délai possible:

a) la rectification du cours de l'Ourthe entre Chênée et la Meuse, y compris tous les ouvrages reconnus nécessaires, et convenus ou imposés comme condition de l'acquisition des emprises à faire dans les immeubles de la Société anonyme de Grivegnée et de la Compagnie générale des conduites d'eau aux Vennes;

b) la construction d'un pont-route sur la dérivation, aux Grosses-Battes;

c) le détournement du chemin de fer du Nord, dans les limites prévues au plan annexé à la présente convention.

La Ville de Liège, interviendra à concurrence d'un huitième dans le coût total de ces travaux, y compris les prix et accessoires d'acquisition ou d'expropriation des emprises et la dépense à résulter de la suppression du coup d'eau de l'usine Marcotty, aux Aguesses.

Art. 5. - En exécution de l'article trois de la loi du 9 avril 1900 (Moniteur du 11, n° 101, page 1597), l'Etat abandonnera à la Ville de Liège:

1°) L'assiette actuelle de la ligne du chemin de fer du Nord qui deviendra disponible après déblaiement, par la déviation entre le nouveau lit de l'Ourthe et le quai Saint-Vincent.

La valeur de cette assiette sera calculée sur la base des trois quarts du prix moyen auquel l'Etat aura acquis les emprises nécessaires à la déviation du railway, entre le nouveau lit de l'Ourthe et le quai Saint-Vincent:

2°) La partie à remblayer du Fourchu-Fossé située à droite de la dérivation de l'Ourthe, sauf ce qui aura été empris pour le détournement du chemin de fer.

La valeur de cette partie sera établie, eu égard à sa contenance totale, sur la base de la moitié du prix moyen auquel l'Etat aura acquis les emprises nécessaires à la dérivation de l'Ourthe, dans la traverse de l'île des Aguesses.

Art, 6. - Une nouvelle voie publique sera construite depuis la rue de Fragnée jusqu'à la gare.

Cette voie prendra la direction indiquée au plan ci-joint par des hachures noires, depuis son point initial jusqu'à la Meuse et depuis ce fleuve jusqu'au nouveau lit de l'Ourthe; elle sera établie sur la digue droite de l'Ourthe jusqu'au pont des Grosses-Battes, et suivra, à partir de ce pont, le tracé hachuré noir jusqu'à son raccordement avec la grande voirie, à proximité de la gare d'Angleur.

Elle comprendra un pont sur la Meuse, un pont sur la Dérivation de l'Ourthe à Fétinne, et un pont sur le canal de l'Ourthe, dans le prolongement de l'axe du pont sur la Dérivation de l'Ourthe aux Grosses-Battes.

Sauf ces ponts, qui seront construits par l'Etat, la nouvelle voie publique sera établie par les soins de la Ville.

L'Etat mettra à la disposition de celle-ci la digue droite de la Dérivation de l'Ourthe, dès l'achèvement des travaux de cette dérivation, ainsi que les terrains à emprendre pour le tracé de la dernière section vers Angleur: toutes les autres emprises seront acquises par la Ville.

L'Etat, de son côté, pourra disposer, pour la construction du pont sur la Meuse, des emprises destinées à former l'assiette des raccordements de la voie publique de part et d'autre de cet ouvrage d'art.

Les plans définitifs, ainsi que le cahier des charges de l'entreprise des travaux d'établissement de la dite voie à effectuer par la Ville de Liège, seront soumis à l'approbation du Ministère des Finances et des Travaux publics.

La dépense totale résultant de l'acquisition des terrains à incorporer dans la voie, depuis la rue de Fragnée jusqu'à la Meuse, depuis le fleuve jusqu'à la Dérivation, et depuis le pont des Grosses-Battes jusqu'à la gare d'Angleur, de même que le coût des ouvrages d'art visés ci-dessus et des travaux de terrassements et de pavage de toute la voie, seront supportés pour moitié par l'Etat, le surplus devant être payé par la Ville, sous déduction du subside à allouer par la Province

La Ville restera chargée exclusivement des frais de construction des égouts et de ceux des canalisations pour l'eau, le gaz et l'électricité, sauf l'allocation éventuelle des subsides auxquels elle pourrait avoir droit selon les règles admises par le Département compétent.

Un an après la réception définitive des travaux incombant à la Ville, la dite voie publique sera classée dans la grande voirie de l'Etat. Celui-ci deviendra, à partir de ce moment, propriétaire du sol sur lequel sont établis la section sise entre la rue de Fragnée et la Meuse, et le raccordement du pont sur le fleuve avec celui de la Dérivation à Fétinne.

Art. 7. - La superficie des terrains respectivement abandonnés sera établie au moyen d'un mesurage contradictoire, auquel procèderont un fonctionnaire de l'Administration des ponts et chaussées, commis à cet effet, et un délégué de la Ville de Liège.

Art. 8. - La Ville de Liège aura la faculté d'exécuter à ses frais la construction d'un siphon-égout sous le lit de la Dérivation, près du pont de Fétinne, en même temps que l'Etat procédera aux travaux de la rectification de l'Ourthe et ce, sous réserve pour la Ville de soumettre au préalable le projet détaillé du dit siphon-égout à l'approbation de M. le Ministre des Finances et des Travaux publics, qui délivrera l'autorisation aux conditions ordinaires.

Art. 9. - Il sera établi, à l'expiration de chaque trimestre, un décompte avec pièces justificatives des avances respectivement faites par l'Etat et par la Ville pour compte de l'autre partie contractante. Ces avances seront éteintes par compensation à due concurrence, et le surplus sera remboursé dans le mois, au Trésor ou à la Caisse communale, selon le cas.

Art. 10. - La Ville de Liège traitera, au besoin, de concert avec la Province et les autres communes qui sont intervenues par voie de subside dans les travaux de la Dérivation, toutes les questions relatives à l'utilisation provisoire et à l'affectation définitive des terrains visés dans la convention, à l'exclusion des emprises nécessaires à l'Etat, et elle s'entendra, s'il y a lieu, avec ses co-intéressés, au sujet de leur participation respective dans les résultats financiers des opérations et aliénations auxquelles se prêteront les terrains disponibles.

Art. 11. - Tous les frais des présentes seront supportés par l'Etat.


Fait en triple à Bruxelles, le douze mai mil neuf cent et à Liége, le quinze du même mois.

Le Ministre des Chemins de fer Le Ministre des Finances
Postes et Télégraphes. et des Travaux publics.
(s) Jul. LIEBAERT. (s) P. de SMET de NAEYER.

Le Collège des Bourgmestre et Echevins de la Ville de Liège:

La Secrétaire, Le Bourgmestre,
(s) J. COIRBAY. (s) Léo GERARD.



LE COMITÉ EXÉCUTIF A L'OEUVRE


La mission dévolue au Comité Exécutif, à son entrée en fonction, le 12 août 1897, était particulièrement ardue. Elle aurait dû consister uniquement dans l'organisation de l'Exposition; or, cette tâche ne fut pour l'instant qu'un objectif subordonné à l'obtention d'autres résultats essentiels. Par le fait qu'il devait assurer les emplacements de l'Exposition et leur faire ménager de nombreux et larges accès, il allait devoir s'immiscer dans l'administration de la Chose publique, y jouer un rôle pour lequel sa compétence n'était d'ailleurs pas établie.

Prévoyant qu'aucun temps ne pourrait être perdu, il eut à coeur de se préoccuper de tout ce qui importait à son but final; il partagea donc son activité et dirigea ses efforts dans deux ordres d'idées: la mise en train des travaux publics indispensables et l'organisation proprement dite de la World's Fair. A ce dernier point de vue, à peine constitué, il jeta les bases de son administration; et, afin de profiter de l'expérience d'autrui, il fit une rapide étude comparative des différents services des Expositions de Bruxelles et d'Anvers. De cette étude, il retira la conviction que, pour la réussite de l'entreprise, il fallait lui rallier le concours d'hommes expérimentés à des titres divers: à cet effet, il admit en principe l'institution d'une série de Commissions consultatives, dont nous parlerons au chapitre relatif à l'organisation de l'Exposition.

A l'initiative et sur les conseils de l'un de ses vice-présidents, M. Ch. Berryer, le Comité sollicita la collaboration d'un spécialiste, dont la compétence en la matière est universellement appréciée. Nous avons nommé M. Jean Gody, Directeur de Service au Ministère des Chemins de fer, Postes et Télégraphes.

M. Gody accepta. Le 7 novembre 1899, il était installé en qualité de membre-adjoint au Comité Exécutif, titre officieux qu'il échangea quelques mois plus tard contre celui de Délégué du Gouvernement auprès du dit Comité.

A partir de son installation, M. Gody s'occupa de l'oeuvre liégeoise avec une inlassable énergie, lui apportant sans cesse le concours des plus précieuses connaissances. Il fut à ce point l'une des chevilles ouvrières de l'Exposition, qu'à des assemblées d'actionnaires, M. Paul Forgeur put dire de lui:

« Il nous a rendu d'éminents services, il a guidé notre inexpérience, nous conduisant quasi par la main à travers ce dédale de difficultés qui surgissaient constamment dans notre travail préparatoire de l'organisation de l'Exposition. »

Les membres du Comité Exécutif comprirent qu'ils auraient à répartir leurs attributions en plusieurs groupes, parmi lesquels les Travaux, l'Exploitation, la Manutention, le Service Administratif, le Contentieux, le Service des Finances, la Propagande et la Publicité; mais c'était l'avenir. A cette époque, ce qui paraissait de toute urgence, c'était d'entamer des négociations avec la Ville et le Gouvernement. Dès 1897, le Conseil communal, entraîné par cet enthousiasme qui se manifeste à Liège au début de toute grande idée, avait voté une subvention de cinq cent mille francs, couverte par l'inscription d'un crédit de cent mille francs au budget extraordinaire de cinq années consécutives.

Le Gouvernement, on le savait, et M. Gody ne pouvait manquer de le répéter, est le maître absolu pour l'organisation d'une exposition. Celle-ci naît de l'initiative privée, mais quelque grands que soient les efforts de ses organisateurs, ils resteront stériles et sans aboutissements si l'Etat n'accorde pas son patronage qui, dans l'espèce, n'est pas une démonstration platonique, mais consiste dans la participation réelle, effective, constante de la plupart des organismes des grands services publics.

Le Roi avait, en plusieurs occasions, encouragé les initiateurs; les Ministres, et plus spécialement le Chef du Cabinet et le Ministre de l'industrie et du Travail, avaient affirmé leurs sympathies à l'oeuvre naissante, mais dans quelle limite était-il permis d'escompter les faveurs gouvernementales, surtout quand on songeait que l'entreprise était subordonnée à l'exécution préalable d'importants et dispendieux travaux publics? Le Comité Exécutif pouvait donc avoir des appréhensions, d'autant plus qu'à l'origine de l'affaire, M. le Ministre Nyssens, tout en s'y déclarant pleinement favorable, avait émis cette opinion qu'aucune Exposition Universelle et Internationale ne pouvait se faire en Belgique avant au moins dix ans. Dix ans, c'était 1908.

Or, les Liégeois prétendaient que l'Exposition fixée pour 1903, fût, comme celles de Bruxelles et d'Anvers, Internationale et Universelle!

Il importait donc de ne point tarder et d'obtenir du Ministre des Finances et des Travaux Publics, le comte de Smet de Naeyer, des assurances formelles quant aux avantages, qui, d'une manière générale, seraient accordés â l'Exposition.

Mais il fallait pouvoir présenter au Ministre des documents établissant qu'on était sorti de la période des préliminaires et que déjà la réalisation était commencée.

A cet effet, partant de cette hypothèse que l'Exposition de 1903 équivaudrait à celle d'Anvers par son importance et par le nombre de ses exposants belges et étrangers, il fut dressé par le Comité technique, un projet de dispositif des Halls, des locaux et des jardins à établir sur la Plaine des Aguesses. De plus, une Commission, nommée dans le sein du Comité Exécutif et présidée par M. CIh. Berryer, tint de nombreuses et longues réunions, qui eurent pour résultat l'élaboration d'un avant-projet de programme général et d'un avant-projet de budget, deux documents très étudiés, appuyés de calculs précis, inspirés de ce qui s'était passé précédemment.

Ainsi le Comité Exécutif se trouvait en situation de poursuivre son double but: l'accord entre la Ville et l'Etat relativement aux travaux et l'obtention pour l'Exposition d'un concours sérieux de la part du Gouvernement.

Les négociations furent sans doute activement menées par ceux que le Comité avait spécialement chargés de cette mission, à savoir: MM. Nagelmackers, Doreye, Dallemagne, Digneffe et Van Hoegaerden.

Dans des sphères diverses, chacun de ceux-ci apporta la plus dévouée collaboration, mais ce serait une flagrante injustice de ne pas reconnaître que leur prompt aboutissement fut dû à l'intervention particulièrement active de MM. Nagelmackers et Dallemagne, lesquels, dès les premiers jours, avaient été de fervents adeptes de l'entreprise liégeoise.

A l'appui de nos affirmations; nous prenons comme un incontestable témoignage le rapport fait par M. Digneffe, le 26 mars 1902, au Conseil d'Administration de la Société, rapport dans lequel nous sommes vraiment heureux de détacher l'hommage que voici:

« Nous nous bornons donc à citer devant vous les résultats obtenus sans y ajouter de commentaires. Votre Comité considère cependant comme un devoir de rendre spécialement hommage devant vous à deux de se membres, qui, dans ces circonstances difficiles et ingrates, ont tout particulièrement fait preuve de dévouement à l'oeuvre commune. Nous voulons parler de MM. Nagelmackers, Président du Conseil d'Administration et Jules Dallemagne, Membre de notre Comité Exécutif, lesquels se sont littéralement prodigués durant cette longue période.

On peut dire que les résultats que nous enregistrons aujourd'hui sont dus surtout à la ténacité inlassable, à l'énergie persévérante, de nos deux collègues ».

Nous avons dès les premières pages de cet ouvrage indiqué le caractère intègre de M. Nagelmackers et son dévouement à l'entreprise de l'Exposition. C'est ici le moment d'accorder quelques lignes à cette autre personnalité que nous venons de citer, qui depuis 1897 ne cessa de mettre son activité et ses grandes relations au service de l'oeuvre liégeoise, nous avons nommé M. Jules Dallemagne.

Ingénieur connu dans le monde des affaires, considéré dans le monde politique, ami du comte de Smet de Naeyer, M. Dallemagne sut, auprès de celui-ci, plaider avec succès la cause de l'Exposition et faire valoir les intérêts de la Ville de Liège dont il est maintenant un des mandataires au Parlement.

Il avait, au surplus, rendu les affaires liégeoises si sympathiques à l'honorable Ministre des Finances et des Travaux Publics, que ce fut sans la moindre opposition que celui-ci consentit à ce que Liège célébrât par une Exposition Universelle le soixante-quinzième anniversaire de l'indépendance de la Patrie.

Mais l'activité et l'influence de M. Dallemagne ne se bornèrent pas seulement à faire aboutir la convention entre l'Etat et la Ville.

Bientôt les difficultés apparaîtront, les obstacles se multiplieront, les complications de tous genres se produiront formant un chaotique fouillis, jetant le désarroi, provoquant avec le découragement de la population, le triomphe des pessimistes dont le scepticisme n'avait jamais désarmé.

Au cours de cette situation critique, l'intervention influente de M. Dallemagne fut quotidienne: il agit partout à la fois, auprès des Administrations publiques, auprès des propriétaires d'immeubles frappés d'expropriation, auprès des entrepreneurs, auprès du Gouvernement.

Nous rendons un légitime hommage à la vérité en disant que c'est pour une grande partie, grâce an dévouement et aux efforts opiniâtres de M. Jules Dallemagne que les travaux des Vennes ont pu finalement être réalisés avec cette largeur de vue qui permit de donner à l'Exposition Universelle de 1905, ce caractère grandiose qui en a imposé le succès.

Nous devons cependant ajouter que M. Dallemagne trouva toujours une collaboration sérieuse auprès de M. Gustave Francotte, qui n'était pas encore le Ministre dont nous parlerons plus loin.

M. Francotte n'intervenait, il est vrai, que dans les circonstances importantes où son concours pouvait être particulièrement utile, car selon son expression, « il se trouvait ainsi associé pour l'honneur à une entreprise dont son ami assumait la lourde charge. »

Nous avons dit comment fut conclue la convention qui décida de l'exécution de la Rectification de l'Ourthe et de l'établissement de la nouvelle voie de communication d'Angleur avec Liège. A ce propos, nous pensons qu'il n'est pas inutile de transcrire ici l'intéressant tableau d'éphémérides que voici:

Année 1899: M. Jacquemin ayant parachevé son projet de Rectification de l'Ourthe, le Ministre de Bruyn fait transmettre celui-ci aux communes intéressées qui déterminent leur intervention. Le Conseil provincial délibère également.

26 juin, 6 août, 2 octobre: Le Conseil communal de Liège fixe sa participation et formule des desiderata.

25 octobre: Le Collège échevinal sollicite une audience du Ministre des Finances et des Travaux Publics.

15 novembre: Le Ministre fait répondre que la date de l'audience sera fixée dès que l'Administration des Ponts et Chaussées l'aura mis en possession de tous les dossiers.

29 novembre: Le Ministre reçoit les dossiers.

7 décembre: Le Ministre propose de recevoir les délégués de la Ville de Liège le 11 du même mois.

11 décembre: Entrevue du Ministre des Finances avec les délégués liégeois.

15 décembre: Le Ministre confirme l'entretien du 11 et adresse au Collège un projet de convention.

23 décembre: Le Collège demande an Ministre des modifications à ce projet.

Année 1900. - 8 janvier: Dépêche ministérielle de M. de Smet de Naeyer acceptant les modifications demandées et faisant parvenir un nouveau projet de contrat.

12 janvier: Le Conseil provincial, convoqué en Session extraordinaire, vote sa participation dans les travaux du pont de Fragnée et dans les travaux s'y rapportant.

12 février: Le Conseil communal de Liège autorise le Collège à traiter avec le Gouvernement.

28 mars: Publication de la loi modifiant, selon les désirs de la Ville, les limites séparatives de Liège et d'Angleur.

12-mai: La Convention entre l'Etat et la Ville est signée.

Par le rapprochement de ces dates, il est aisé de constater que l'affaire fut traitée avec une célérité inaccoutumée, impossible même quand on doit scrupuleusement observer les formalités de la pratique administrative.

D'ailleurs, le Comité put bientôt inscrire à son actif un autre fait d'une extrême importance: l'adhésion absolument catégorique du Gouvernement non pas simplement à une Exposition à Liège, mais à l'Exposition Universelle et Internationale de Liège.

En effet, dès que les avant-projets de dispositif, de programme et de budget eurent été transmis au Ministère, les délégués du Comité purent examiner avec les membres du Cabinet les chances de la réussite de l'Exposition Universelle et Internationale projetée; en se basant sur les considérations géographiques et économiques particulières à notre région, ils établirent les titres nombreux de notre Ville à se trouver en l'occurrence classée sur un pied d'égalité avec Anvers et Bruxelles.

Le 6 avril 1900, le Chef du Cabinet, ratifiant les promesses verbales qu'il avait faites, écrivit au Comité Exécutif une lettre de laquelle nous retenons ce passage:

« Vous avez demandé que les avantages énumérés dans le relevé que vous m'avez envoyé et qui ont été accordés par le Gouvernement aux Expositions d'Anvers et de Bruxelles, en 1894 et en 1897, fussent également concédés à la Société anonyme qui s'est constituée en vue de la création d'une Exposition Universelle et Internationale à Liège, en 1903.

Après examen de votre demande par les différents départements compétents, j'ai l'honneur, Messieurs, de vous faire connaître qu'en principe il est admis qu'il sera satisfait à votre désir. Le Gouvernement accordera donc les avantages dont il s'agit à la Société de l'Exposition Universelle et Internationale de Liège, bien entendu dans les mêmes conditions qu'aux Expositions pré-rappelées d'Anvers et de Bruxelles. »

La portée de cette déclaration était très significative: elle marquait une étape; dans les heures sombres qui peu de temps après surgirent, elle dut contribuer à raffermir la foi, à relever les courages; c'était un premier bulletin de victoire à présenter à la population liégeoise. Aussi, M. Emile Digneffe, dans son rapport à l'assemblée des actionnaires, le 24 avril 1900, le fit-il ressortir en termes éloquents.


L'AJOURNEMENT DE L'EXPOSITION


L'accord qui assurait à l'Exposition la libre disposition de la Plaine des Aguesses, pouvait être considéré comme réalisé, par la dépêche du Ministre des Finances et des Travaux Publics, le 8 janvier 1900 et par le vote unanime du Conseil communal, le 12 février suivant, mais il ne fut légalement parfait qu'après l'échange des signatures, qui se fit les 12 et 15 mai 1900, MM. les Ministres de Smet de Naeyer et Liebaert, agissant au nom de l'Etat, MM. le bourgmestre Léo Gérard et le secrétaire communal J. Coirbay, signant au nom de la Ville. Cependant les Administrations intéressées et le Comité de l'Exposition n'avaient pas attendu l'accomplissement de cette formalité pour se préoccuper des mesures préparatoires à l'exécution de la Convention.

Le Gouvernement avait, au reste, prêché d'exemple: il avait fait convoquer en Session extraordinaire le Conseil provincial de Liège qui, le 12 janvier, détermina le quantum de sa participation dans le coût des travaux du Pont de Fragnée et de la voirie s'y rapportant; en outre, il avait immédiatement soumis aux enquêtes légales la question de la modification des limites des communes de Liège et d'Angleur, de telle sorte que, le 28 mars, le Moniteur publiait la loi, donnant sur ce point satisfaction au désir de l'édilité liégeoise.

L'Administration des Ponts et Chaussées qui, depuis longtemps, avait reçu des instructions formelles d'agir avec la plus extrême diligence, traitait sous la direction de

M. Debeil, des nombreuses questions relatives à la mise à exécution des travaux de la Rectification de l'Ourthe; M. l'ingénieur jacquemin rédigeait le cahier des charges d'une première adjudication, qui comprenait environ quatre mille cinq cents mètres cubes de maçonnerie et qui eut lieu le 20 juillet: M. Peduzi, entrepreneur à Namur, fut déclaré adjudicataire provisoire.

Quant aux affaires d'expropriation, on s'en occupait concurremment à la Société de l'Exposition, à l'Hôtel-de-Ville et aux Bureaux des Ponts et Chaussées.

Le Comité Technique de l'Exposition poursuivant son système primitif, obtenait des options d'achat, qui par la suite purent être traitées par le chef du Contentieux communal, M. Marcel De Puydt.

Les bureaux de l'Echevin des Travaux publics dressaient les plans des emprises à faire et préparaient le lotissement du quartier, qui, après l'Exposition, devrait être établi sur les terrains utilisables. Le 12 juillet, un arrêté royal approuvait ces plans et accordait à la Ville l'autorisation de procéder par voie d'expropriation par zones à l'acquisition des terrains nécessaires.

Mais, dans cet ordre de choses, certaines expropriations présentaient de sérieuses difficultés: elles avaient trait à la suppression du biez actionnant le moulin Marcotty, à la déviation de la ligne du Chemin de fer Nord-Belge, aux emprises à faire dans les immeubles de la Société de Grivegnée et dans ceux de la Compagnie générale des Conduites d'Eau. Leur importance était si considérable que, dès le principe, M. le Ministre Léon de Bruyn avait, dans sa dépêche du 22 avril 1899, à M. Pety de Thozée, estimé qu'il était nécessaire « d'arrêter l'accord - à intervenir avec la direction de l'usine des Vennes - avant l'approbation définitive des plans pour faire disparaître un des aléas importants du projet soumis aux Pouvoirs publics

Aussi, lors de la conclusion de la convention, M. de Smet de Naeyer avait-il consenti à décharger la Ville de la tâche de solutionner ces affaires, réservant cette mission aux fonctionnaires de son département.

Il ne nous appartient pas d'apprécier les exigences des propriétaires en cause; cependant nous devons constater qu'elles parurent à ce point onéreuses, que le Ministre crut devoir les discuter et les transmettre pour avis à l'Administration communale, dont elles devaient augmenter la quote-part de dépense. Il s'en suivit tine série de négociations nouvelles qui firent encore perdre beaucoup de temps.

Finalement, pour le biez Marcotty, un accord intervint, la Ville faisant un léger sacrifice, et l'Etat prenant à sa charge une part plus importante que celle qui avait été stipulée d'abord, en raison des procès auxquels cette transaction mettait fin.

L'entente avec la Compagnie du Nord-Belge et avec la Société de Grivegnée s'établit promptement. Il en fut tout autrement pour la Compagnie des Conduites d'Eau, qui se trouvait dans cette position singulière que le nouveau cours de l'Ourthe en traversant des terrains qui étaient ses dépendances, devait séparer ses installations en deux tronçons.

Aussi cette Société se jugeait-elle fondée à formuler et à soutenir des prétentions que l'Etat ne voulait pas accepter. Il en résulta que les négociations, poursuivies depuis 1899, furent quasiment rompues, et que le Ministre des Finances et des Travaux Publics se vit, à regret, dans la nécessité d'infirmer l'adjudication préparatoire du 20 juillet.

On était aux derniers jours du mois d'août 1900. La situation prenait un caractère aigu; en effet, si les travaux n'étaient pas immédiatement commencés, il était impossible que l'Exposition pût se faire en 1903!

La population, impressionnée par les menées des pessimistes, se désintéressait peu à peu de cette Exposition dont la réalisation lui semblait au moins problématique. A ce moment le Comité organisateur eût pu déclarer tout aboutissement impossible: l'Histoire impartiale aurait enregistré que le vaisseau de l'Exposition avait sombré, au milieu d'une tourmente, en dépit des énergiques efforts de ses pilotes, en dépit du concours le plus absolu du Gouvernement et de l'appui de la Municipalité.

Mais l'abandon de l'affaire, c'était plus que l'avortement de la Grande Idée rêvée, c'était l'ajournement indéfini de ces grands travaux d'où dépendait l'essor de la Cité, c'étaient de désastreuses conséquences morales: le découragement, la torpeur, l'abattement gagnant les esprits; il s'affirmerait en triomphateur, le préjugé que Liège ne convenait point pour les grandes entreprises. La vieille capitale wallonne en était à un tournant de son histoire: ou bien les circonstances contraires seraient vaincues, les obstacles les plus insurmontables seraient anéantis, et Liège prendrait rang parmi les grandes villes du Continent. Ou bien, épuisée de lassitude, incapable de progrès, Liège resterait ville bourgade, dédaignée de l'étranger, friande tout au plus de vulgaires kermesses.

L'instant était critique, décisif: l'avenir était entre les mains des membres du Comité Exécutif. Ils délibérèrent; ils considérèrent les solutions qui permettraient d'atteindre le but; et pénétrés de l'importance de leur mandat, dans l'intérêt de l'organisation d'une Exposition Universelle, ils résolurent de s'attacher à lever les difficultés qui s'opposaient à l'exécution des travaux décidés. Que ceux-ci fussent quelque peu différés, ce serait un fait regrettable mais non pas un mal irrémédiable, pour autant qu'ils eussent reçu un commencement d'exécution qui en rendît inéluctable le parachèvement immédiat.

Telle est, à notre sens, la pensée maîtresse qui dut inspirer les décisions du Comité Exécutif.

Déjà précédemment, envisageant combien les diverses négociations traînaient en longueur, M. Dallemagne avait suggéré l'idée de faire exécuter les travaux de rivières en une série d'étapes distinctes et indépendantes l'une de l'autre. La première eût comporté la Rectification du cours de l'Ourthe depuis Fétinne jusqu'au moulin Marcotty et la déviation de la voie ferrée avec les ouvrages d'art y relatifs, c'était la seule qu'il importait de réaliser pour l'Exposition. M. le Ministre de Smet de Naeyer avait admis cette façon de procéder pour autant qu'elle obtînt l'approbation du Service des Ponts et Chaussées; or, celui-ci, après examen, la repoussa estimant qu'il en résulterait un bouleversement complet dans l'économie financière du projet Jacquemin.

Ce système devant être abandonné et l'adjudication Peduzy se trouvant non avenue, il devenait avéré qu'en aucune hypothèse, les travaux publics ne pourraient être suffisamment avancés pour que l'Exposition put se tenir aux Vennes en 1903.

Un dilemme se posait: discuter à nouveau l'emplacement ou postposer l'Exposition.

Cette seconde partie du dilemme fut d'abord rejetée a priori: prenant texte des paroles prononcées dès 1897 par MM. De Mot et Dupret, on admettait généralement comme une certitude l'organisation d'une quatrième World's Fair à Bruxelles, en 1905.

Pour cette raison, la date de 1903 paraissait devoir être absolument maintenue et le Comité Exécutif, de commun accord avec son Comité Technique et le Service Spécial de la Meuse, discuta à nouveau de la possibilité d'installer l'Exposition à Bressoux-Droixhe.

Il ne put être longtemps délibéré à ce sujet: le rapport si documenté du Comité Technique, en 1899, était catégorique. De ce côté s'imposaient également de grands travaux préalables: la Rectification du cours de la Meuse et l'édification d'un pont aux confins nord de la ville.

Or, de l'avis de M. l'inspecteur Debeil, il ne pourrait être permis d'utiliser dans leur état actuel les terrains de Droixhe qui constituaient le lit majeur de la Meuse; quant à la construction d'un pont en cet endroit, elle exigerait plusieurs années d'études.

Dans cette conjoncture, le Comité estimant qu'il fallait s'en tenir au projet des Vennes et décidé à faire tout ce qui serait en son pouvoir pour assurer son exécution, entama des pourparlers, à titre purement officieux, avec les administrateurs de la Compagnie générale des Conduites d'Eau. Celle-ci, cédant aux instances de MM. Nagelmackers et Dallemagne, fit certaines concessions qui furent, le 20 septembre, portées à la connaissance du Ministre et qui servirent finalement de base à un arrangement définitif. Les termes de ce dernier furent arrêtés dans une suite de conférences qui eurent lieu dans les bureaux de l'Exposition et auxquelles prirent part M. Doat, pour la Compagnie, M. Jacquemin, pour l'Administration, et M. Digneffe agissant entre ces deux personnalités comme conciliateur.

Les organisateurs liégeois nourrissaient encore un faible espoir de voir réaliser le programme définitif, car, moyennant une prime qu'ils promettaient de lui faire payer par la Société de l'Exposition, ils avaient obtenu de l'entrepreneur Peduzy qu'il s'engageât à terminer son travail bien avant la date prescrite par le cahier des charges, si l'adjudication infirmée était déclarée valable.

Cet arrangement ne fut pas admis par l'Administration des Ponts et Chaussées, mais son éminent inspecteur général, M. Debeil, qui portait à l'Exposition le plus vif intérêt, proposa une solution mixte, consistant dans l'utilisation de la plaine des Aguesses telle qu'elle se trouvait, en procédant simplement au remblaiement du biez Marcotty et en faisant en sorte que le nouveau pont sur la Meuse fut mis en service pour la fin de l'année 1902. Evidemment, dans cette solution certaines dispositions seraient à prendre, en prévision de crues éventuelles pour mettre à l'abri de tous dangers les installations de la World's Fair et pour protéger les riverains, car les dix arches d'inondation ménagées sous la voie ferrée, deviendraient inutilisables et les terrains des Aguesses cesseraient d'être zones submersibles. Il faudrait donc exécuter au Fourchu-Fossé divers travaux, qui se chiffreraient par une dépense supplémentaire de quatre cent cinquante mille francs à supporter par la Société de l'Exposition, ou, ce qui ne semblait guère possible, par la Ville de Liège.

Non seulement, par ce moyen le budget de l'Exposition allait être grevé d'une forte dépense extraordinaire, mais encore les terrains, dont on disposerait aux Aguesses pour l'établissement des installations, seraient beaucoup moins étendus que ceux que l'on prévoyait disponibles par l'exécution du programme primitif de l'Administration des Ponts et Chaussées.

Néanmoins, le Comité Exécutif ayant obtenu du Ministre des Finances et des Travaux publics son adhésion éventuelle à cette façon de faire, prit l'avis de sa Commission de Techniciens, en les priant d'établir le plan d'un nouveau dispositif de l'Exposition pour l'hypothèse où la dite solution serait admise.

Les membres du Comité Technique se rallièrent à la solution proposée mais, sur les conseils de M. l'architecte Remouchamps, ils estimèrent qu'il était nécessaire, pour maintenir à la World's Fair une superficie utile suffisante, de lui annexer le parc de la Boverie ainsi que quelques hectares de terrains maraîchers qui se trouvaient situés à Fragnée et que la Ville aurait à acquérir pour se créer les accès vers le nouveau pont.

Le désir de chacun de ne pas entraver l'audacieuse entreprise liégeoise avait encore une fois, provoqué un ensemble de volontés concordantes, que nous qualifierons de légitime et très excusable moment d'égarement.

En effet, la solution préconisée par les chefs les plus autorisés de l'Administration des Ponts et Chaussées, avait toutes les apparences d'un expédient. Aussi, sa réalisation eut-elle donné une Exposition étriquée, formée de parties mal agencées, sans harmonie comme sans ensemble, présentant, malgré l'habileté de talentueux architectes, le coup d'oeil d'un bizarre délabrement et l'aspect d'une foire dont tous les morceaux seraient disséminés sur les places publiques d'un grand village.

Il est vraisemblable que, dès avant l'inauguration, les espérances de succès si longtemps caressées se seraient écroulées et que serait apparue l'inévitable assurance d'un gigantesque fiasco.

Au reste, il est juste de dire que cette solution fut adoptée par le Comité Exécutif sans enthousiasme, comme un pis-aller nécessaire. Le Comité Technique n'avait au surplus pas été unanime: de vives protestations avaient été formulées par deux de ses membres, MM. Mahiels et Hasse.

Ce dernier, qui persistait à proposer l'emplacement de Droixhe, faisait surtout valoir des considérations relatives à l'organisation d'une exposition en général.

M. l'ingénieur en chef des Travaux de la Ville de Liège, M. Albert Mahiels, tout en ne négligeant point le succès final à recueillir, se plaçait plus spécialement sur le terrain technique, déclarant « ne pouvoir se rallier au projet de la fermeture pendant plusieurs années, des arches d'inondation des Aguesses ».

De son côté, le Comité de la Rectification de l'Ourthe, craignant que l'ajournement des travaux de rivière jusqu'en 1904 ne devint une postposition sine die, se mit à protester véhémentement par voie de meeting et de pétitionnement.

Emu des considérations indiquées par M. Mahiels, peu rassuré sur l'issue finale, à cause des réserves du Comité Technique et des conseils de M. Hasse, hanté probablement par des appréhensions que ne pouvaient manquer de susciter les réflexions que nous venons de faire, le Comité Exécutif prit une résolution extrême.

Il réunit le Conseil d'administration et lui proposa l'ajournement de l'Exposition; cette décision fut unanimement adoptée après un exposé de la situation que fit M. Emile Digneffe, en un magistral rapport qui restera l'un des plus précieux documents de l'histoire de notre World's Fair.


LA DISCORDE A LIEGE


La nouvelle de l'ajournement fut diversement appréciée. Tandis qu'à l'étranger et dans la capitale on y voit de la part des organisateurs liégeois un acte de sagesse, une preuve d'habileté et de réflexion, à Liège, l'esprit local, railleur, sarcastique, reprend le dessus avec une ardeur d'autant plus grande qu'il a été plus longtemps contenu.

L'entreprise est en péril; d'aucuns la qualifient déjà de piteux échec, d'avortement, et nient toute possibilité d'aboutir.

Le Comité Exécutif conserve la foi; il sait que, sans forfaire aux intérêts de la population, le Pouvoir communal ne pourrait l'abandonner; il sait que le Chef de l'Etat approuve ses efforts et les soutient; il sait que le Gouvernement lui maintient ses sympathies et son concours, aussi il continue à agir.

Le Ministre des Finances a été pressenti; de ses déclarations, le Comité Exécutif a retiré la conviction que l'Exposition de Liège, même ajournée, conservait son droit de priorité. L'honorable comte de Smet de Naeyer a fait connaître qu'il n'a pris pour Bruxelles d'autres 'engagements que celui de nommer une Commission d'études, laquelle n'était pas même encore composée. La date de 1905 n'était donc point acquise à la Capitale.

Il importe à présent de signaler certains faits qui, dans cette situation troublée, durent au moins être regardés comme des gages d'un sérieux encouragement.

Tandis que M. Pety de Thozée, gouverneur de la province de Liège et M. Gustave Kleyer, bourgmestre, acceptaient respectivement la présidence d'honneur du Conseil d'Administration et du Comité Exécutif de la Société de l'Exposition, le Gouvernement donnait un témoignage non équivoque de sa volonté d'aider les Liégeois.

Le Ministre de l'Industrie et du Travail d'alors, le baron Surmont de Volsberghe, après en avoir conféré avec le Chef du Cabinet, se rendait à l'invitation du Comité Exécutif et consentait à venir au siège de la Société de l'Exposition.

La visite eut lieu le 31 janvier 1901; MM. Nagelmackers et Doreye s'étaient joints aux membres du Comité Exécutif qui tous étaient présents; M. Gustave Francotte accompagnait le Ministre. M. le baron Surmont de Volsberghe examina longuement les plans, entendit toutes les explications, acta les chances nombreuses de réussite de la World's Fair projetée et, en félicitant les organisateurs de leur initiative courageuse, il les engagea à persévérer, leur promettant que les faveurs de l'Etat ne leur feraient point défaut.

Si nous considérons aujourd'hui les faits qui se sont passés, nous constatons que ni le retard apporté à la mise en train des travaux de la Rectification de l'Ourthe, ni l'ajournement de l'Exposition ne constituaient une situation anormale; il en résultait simplement une sorte de perturbation dans un ordre de choses que l'on avait imaginé pouvoir réaliser avec une précision presque mathématique, en vue d'un objectif qui lui-même était commandé par la date fatidique de 1903.

Tout avait été combiné, réglé dans ce but; comme le temps pressait, les aléas avaient été négligés: les Pouvoirs en cause avaient, dans la discussion de tous les points de principe, pris un tel souci des intérêts de leurs commettants, que, l'accord étant acquis, ils méritaient les plus vifs éloges. Cependant pour entrer dans la voie de la réalisation, restaient des questions d'ordre secondaire, en apparence, mais en réalité d'une importance d'autant plus capitale, que leur solution ou bien dépendait de la volonté de tiers, ou bien était susceptible de graves controverses.

Si le Comité Exécutif, pénétré des assurances que le Ministre lui avait données, demeurait à bon droit confiant, la population perdait tout sang-froid; le scepticisme se transformait en une hostilité réelle qui se manifestait dans la presse par des polémiques acerbes, irritantes, presque malveillantes pour la douzaine d'hommes qui, depuis des années, se consacraient à cette grande oeuvre d'intérêt public. Un vent de folie, pendant plusieurs mois, souffla rageusement sur notre vieille cité: la tourmente était devenue tempête; ce n'est que par l'abnégation et le grand bon sens des hommes de l'Exécutif, ainsi que grâce à la longanimité des Ministres, que l'entreprise de l'Exposition put demeurer victorieuse et, qu'avec elle, purent triompher définitivement les grands projets auxquels son existence était attachée.

Estimant donc que le sort de l'entreprise dépendait de l'exécution simultanée de ces travaux de rivière, de ponts et de voirie, qui, dans la convention de 1900, forment un ensemble indissoluble, M. l'ingénieur Jacquemin avait élaboré, conformément aux instructions de son Département, un programme de réalisation qui permettait de conduire de pair le travail proprement dit de la Rectification de l'Ourthe, la construction des ouvrages d'art dans la plaine des Aguesses et l'édification du pont de la Meuse. Or, relativement à celui-ci, se présentait encore une complication: c'était à l'Administration communale qu'il appartenait de créer les voies d'accès de la rive gauche; à ce sujet, aucune résolution n'avait été prise. L'affaire était cependant des plus urgentes, car la hauteur de l'élévation du pont était subordonnée à la solution qui interviendrait et, tant que ce point ne serait pas élucidé, le programme des Ponts et Chaussées ne pourrait être exécuté et partant, aucune adjudication ne pourrait se faire.

Les bureaux de l'Echevinat des Travaux publics s'occupèrent de la question dès les premiers jours de 1901; bientôt furent formulés une série de projets qui tous procédaient de l'un ou de l'autre de ces systèmes:

Ou bien le quai de Fragnée serait enjambé par un large viaduc d'aspect monumental.

Ou bien le quai susdit serait raccordé au pout par des rampes assez longues qui s'étendraient en amont et en aval.

Chacune des solutions préconisées comportait évidemment une appropriation particulière des dix hectares que la Ville devait exproprier en cet endroit.

Plusieurs mois durant, la question resta pendante, d'autant plus ardue à solutionner, qu'une campagne violente était presque quotidiennement menée dans le journal La Meuse par l'un de ses principaux écrivains. Sous le pseudonyme un Vieux-Liégeois, ce polémiste partit en guerre tout à la fois contre les travaux de l'Ourthe, contre la construction du pont, et même contre le projet d'Exposition.

Il criait à la dilapidation des finances communales;

Il reprochait au Gouvernement d'avoir, par la Convention de 1900, imposé à la Ville de Liège des charges pécuniaires excessives et injustifiées;

Il protestait contre l'emplacement du pont sur la Meuse, le trouvant mal choisi, le prétendant uniquement indiqué par les intérêts de l'Etat, qui, selon lui, voulait « en l'occurrence faire une affaire aux dépens de la Ville ».

Le projet d'Exposition était l'objet des plus acerbes critiques, et ses organisateurs n'étaient pas épargnés, car, disait d'eux le polémiste, ils avaient exercé sur les Pouvoirs Publics, et sur les mandataires liégeois en particulier, une influence fascinatrice telle que l'on pouvait se demander si les délégués de la Commune, en acceptant la convention du 12 mai 1900, étaient « encore dans leur plein sens ».

Puis le Vieux-Liégeois en arrivait à conclure que la Convention a quo, se trouvant « entachée de caducité », il importait de renoncer à tous ces travaux publics, trop hâtivement admis, d'abandonner « les idées de grandeur » et ce rêve d'Exposition, « une niaiserie, une plaisanterie », d'où venait tout le mal.

Errare humanum est.

L'adage s'est vérifié, puisque le succès final a démontré l'inanité des attaques du Vieux-Liégeois de 1901. Disons de suite que celui-ci, Wallon de race, toujours heureux de ce qui peut arriver de grand à son pays s'est réjoui bien sincèrement de ce que les éléments lui ont donné tort, et depuis l'a proclamé en maintes circonstances.

Quoi qu'il en soit, cette campagne, menée de bonne foi par un homme de talent, eut de désastreux effets: de même qu'elle acheva de discréditer l'entreprise vis-à-vis des Liégeois, elle ne fut pas étrangère aux longueurs que subirent devant le Conseil communal les délibérations relatives aux affaires d'expropriation et de voies d'accès au pont, délibérations dont le retard frappait d'immobilité le Département des Travaux publics.

Ce n'est que vers la fin du premier semestre de l'année 1901 que l'horizon s'éclaircit. Dans ses réunions des 17 et 24 juin, le Conseil communal émit des votes de la plus haute importance. Il adopta pour les abords et les accès du pont de la Meuse, le projet des rampes, présenté par M. l'ingénieur A. Mahiels, plan dont la réalisation, accomplie aujourd'hui, va transformer le quai de Fragnée de la plus heureuse façon, en faisant de celui-ci la continuation de ces belles et luxueuses artères, l'avenue Rogier, le boulevard Frère-Orban, l'avenue Blonden.

Mais afin que dans les esprits aucune arrière-pensée ne put demeurer, qu'aucune suspicion ne pût être portée à la loyauté de chacun, le Conseil, qui avait été expressément avisé par le Gouvernement du devis exact et définitif du coût de tous les travaux, fut unanime pour approuver l'ordre du jour suivant présenté par M. Emile Digneffe:


« LE CONSEIL

Prend acte de la lettre adressée au Collège par le Gouverneur de la Province sous la date du 22 avril, et, persévérant dans ses résolutions antérieures quant aux accords intervenus entre la Ville de Liège et l'Etat au sujet des travaux des Vennes et de Fragnée, décide de participer aux dépenses supplémentaires annoncées par la lettre susvisée dans les proportions convenues pour l'ensemble des dépenses à résulter de l'exécution des travaux susmentionnés. »

Cet ordre du jour constituait une nouvelle ratification de la Convention, en affirmant la volonté de la voir exécuter sans délai. »

Bref, par ses délibérations successives en date des 15 et 29 juillet, l'assemblée municipale marquait son accord avec l'Etat pour la passation des contrats, avec la Compagnie générale des Conduites d'Eau, avec la Société de Grivegnée, avec le propriétaire Marcotty et la Compagnie du Nord-Belge.

Cette fois enfin, toutes les difficultés administratives étaient levées!

Nous avons estimé devoir remémorer cette période sombre de l'histoire de notre première Exposition, parce que le souci de l'impartiale Vérité l'exigeait, mais nous l'avons fait le plus succinctement possible.

C'est pourquoi nous n'avons point reproduit ni les longues et documentées correspondances échangées entre le Gouvernement, la Ville et le Comité de l'Exposition, ni les pétitionnements adressés à l'édilité en faveur de l'exécution ne varetur de toutes les clauses de la Convention, ni les protestations adressées au journal La Meuse par les membres du Comité Exécutif et par M. Paul Tombeur au nom du Comité de la Rectification de l'Ourthe.

Nous n'avons point cru que nous trouvant personnellement en cause, nous puissions rappeler nos vives mais toujours courtoises polémiques avec le Vieux-Liégeois, bien que nous ayons quelques titres à affirmer que seul dans la Presse nous soutînmes en cette année terrible la grande oeuvre liégeoise; le concours de notre organe Liege-Exposition a d'ailleurs été de quelque utilité, puisque naguère, M. Paul Forgeur a pu écrire à son propos: « il maintint l'idée de l'Exposition contre la population qui n'en voulait plus ».

Cependant le désir de faire l'oubli sur les dissensions passées, ne doit point conduire à l'ingratitude: c'est ici le moment de rendre hommage au zèle, au dévouement des membres du Comité Exécutif.

Pendant cette période troublée, ils mirent au service de l'entreprise toute leur intelligence, leur énergique volonté, leur inlassable opiniâtreté.

Ceux de ses Membres qui siégeaient au Conseil communal s'appliquèrent à faire voir que l'avenir de la cité était étroitement uni à la réalisation et à la réussite de l'Exposition. Aussi est-il permis de dire que c'est pour beaucoup grâce à l'inspiration du Comité Exécutif que furent accomplis dans la Ville d'autres travaux publics que nous indiquerons plus loin.


LA DATE DÉFINITIVE


Les grosses difficultés se trouvaient aplanies, les travaux de rivière et de voirie allaient être entrepris, il ne restait qu'à déterminer l'année de l'Exposition. De même que 1903 avait été admis implicitement dès le principe par l'accord unanime de tous, comme une conséquence de la lettre de M. le Ministre Nyssens, de même ce fut par le consentement tacite des organisateurs et du Gouvernement, de l'édilité et de la population, que l'année 1905 fut adoptée.

Le Comité Exécutif arrêta cette date après avoir acquis, dans une conférence qui eût lieu le 4 février 1902 avec les hauts fonctionnaires des Ponts et Chaussées, la conviction que les travaux pouvaient être terminés en temps utile.

Cette date, qui s'imposait par le développement logique des raisonnements précédemment tenus, était aussi dictée par un concours de circonstances heureuses.

Jadis on avait dit: Si les travaux publics sont commencés le 20 août 1900, l'Exposition se fera en 1903;

Puis, l'ajournement s'étant produit, on avait poursuivi: Retard d'un an, donc 1904 remplace 1903.

Instruits par l'expérience, tous comprirent à présent combien il était dangereux, dans des ouvrages de l'espèce, de ne tenir compte que du temps réduit, strictement nécessaire, sans prévoir aucune éventualité fâcheuse.

Puis le programme du Comité Exécutif paraissait dès ce moment devoir s'élargir; au cours de ses vicissitudes, l'oeuvre avait acquis de multiples sympathies; de nombreux concours lui venaient du pays et de l'étranger. II faudrait faire plus grand!

De plus, les initiateurs d'une nouvelle World's Fair à Bruxelles, grâce à l'intervention personnelle du comte de Smet de Naeyer, avaient postposé la réalisation de leur projet jusqu'en 1908 ou même jusqu'en 1910.

C'est ainsi qu'interpellé à la Chambre des Représentants, au sujet des intentions du Gouvernement pour l'organisation d'une World's Fair dans la capitale à l'occasion du jubilé National, le Chef du Cabinet, le comte de Smet de Naeyer, n'avait pas hésité à répondre dans les termes que voici:

« La Ville de Liège a pris les devants en vue de l'organisation d'une Exposition internationale dans le courant de 1905. Ce projet s'encadre dans un ensemble de grands travaux connexes qui intéressent à la fois l'Etat et la Ville et qui comportent de la part de celle-ci une somme de dépenses très considérable tant par son intervention dans certains travaux à effectuer par l'Etat que par l'aménagement de tout un quartier.

La préférence au point de vue de l'organisation d'une exposition revient donc à la Ville de Liège en considération des sacrifices qu'elle s'est imposés; d'autre part, son importance, sa notoriété de ville historique ainsi que sa situation industrielle commandent de lui laisser prendre son tour dans la succession des grandes expositions. »

Cette déclaration très nette, ne laissait place à aucune équivoque quant à l'appui que le Gouvernement ne manquerait pas d'accorder à l'oeuvre liégeoise: elle fit grande sensation et produisit dans le pays et à l'étranger la plus heureuse impression.

Enfin, l'année 1905 marquait un jubilé pour la patrie; la célébration du 75e anniversaire de l'Indépendance nationale: l'Exposition de Liège pourrait être de la sorte la principale et la plus importante des manifestations qui seraient organisées à cette occasion dans tout le Royaume.

Le choix de cette année 1905 avait, au reste, été précédemment envisagé; nous ne citerons point les chroniques que nous écrivîmes sur ce point, mais nous rappellerons qu'au mois d'avril 1901, lors des assemblées des actionnaires, M. Emile Digneffe en indiqua la possibilité avec une telle conviction que chacun en estimait la quasi certitude.

Cependant, au début de l'année 1902, une circonstance nouvelle se produisit, qui vint apporter une sanction au consentement tacite que nous avons remémoré, en même temps qu'elle fournit l'irréfragable témoignage de la sollicitude du Gouvernement et qu'elle montra la sage prudence du Comité Exécutif et la vigilance de son Président.

L'administration des Ponts et Chaussées s'occupait de la mise en marche des travaux; le cahier des charges pour l'adjudication de l'entreprise générale de la Rectification de l'Ourthe était presque achevé: c'est alors que, par une dépêche du 30 janvier, M. le Ministre des Finances et des Travaux Publics fit savoir au Comité de l'Exposition qu'afin de hâter l'exécution des travaux préparatoires à l'Exposition et pour rendre plus certaine l'organisation de celle-ci aux Vennes, en 1905, il consentait à ce que certains travaux de remblais, auxquels nous avons fait allusion plus haut, fussent compris dans l'adjudication que préparait son Département, à la condition que ceux-ci se fissent pour le compte de la Société de l'Exposition, à laquelle seulement ils étaient indispensables.

Ces travaux consistaient dans le nivellement de la plaine des Aguesses, à l'endroit qui devait servir d'assiette à la World's Fair, ainsi que dans le remblai nécessaire pour établir le raccordement de celle-ci avec la ligne du Nord-Belge: leur coût était évalué à 440.000 francs. C'était une dérogation aux usages habituellement suivis en matière de travaux publics, mais an point de vue du temps à gagner, c'était à l'égard de la Société une faveur appréciable.

Cependant, accepter cette clause qui constituait un décaissement à fonds perdu du quart du capital social à un moment où l'Exposition n'était encore rien moins que certaine, c'était faire courir un gros risque aux actionnaires.

Il n'est pas douteux que le Comité Exécutif eût pu, de par le mandat dont il était légalement investi, agir proprio motu et acquiescer spontanément à cette proposition, si complètement utile aux intérêts de l'entreprise. Mais tout en les considérant comme improbables, il craignait le retour de circonstances contraires. Aussi voulut-il, avant de s'engager, obtenir l'approbation des actionnaires. Une réunion extraordinaire de ceux-ci fut tenue le 22 mars.

Entre temps, comme il avait été reconnu qu'au moins une notable partie de ces travaux de remblai était dans l'avenir nécessaire pour l'établissement des artères du futur quartier, le Comité Exécutif avait cru pouvoir demander à la municipalité de prendre à son compte la totalité de cette dépense pour le cas où l'Exposition n'aurait pas lieu.

Et le Conseil communal, après un exposé fait par M. Digneffe, et un rapport favorable de son Echevin des Finances, M. Maurice Falloise, avait consenti à faire l'avance intégrale de la dépense à la condition, qu'en tout état de cause, le coût de la partie spécialement afférente à l'Exposition, soit 270.000 francs, serait remboursé à la Ville par la Société organisatrice.

A son tour, l'assemblée des actionnaires émit un vote pleinement approbatif et sur l'acceptation immédiate de ce risque et sur l'adoption de la date de 1905.

Le rapport dont, à cette réunion, M. Digneffe donna lecture, doit être signalé: il présentait, sans aucune subtilité oratoire, la situation vraie, il disait la grande confiance des organisateurs, sans manquer de faire voir qu'il pouvait survenir des mécomptes qui, détruisant des espérances bien fondées, rendraient inutiles et sans objet la dépense qu'il fallait dès maintenant engager.

L'argumentation de l'honorable Président fut hautement approuvée pour sa loyale sincérité, et le vote unanime qui en fut la conséquence, fut, pour le Comité, comme l'octroi d'un blanc-seing pour l'inciter à poursuivre ses efforts.


L'EXÉCUTION DES TRAVAUX


Nous n'entendons point écrire à propos de l'exécution des travaux publics d'inutiles chroniques rétrospectives. Nous devons cependant indiquer le plan méthodique et rationnel qui fut formulé par M. l'ingénieur Jacquemin eu vue d'en assurer l'achèvement en temps opportun pour que l'Exposition pût se tenir en 1905.

Travaux de rivière, de voirie, d'édification des ponts et autres ouvrages d'art, furent combinés pour être conduits simultanément. Ils furent toutefois l'objet de plusieurs adjudications.

La première de celles-ci eut lieu le 4 octobre 1901; elle constituait en vérité une sorte d'entreprise préparatoire; elle comprenait la construction des supports en maçonnerie des divers viaducs et du pont-rail à établir aux Aguesses pour le passage de la voie ferrée déviée, ainsi que la construction des culées du pont de Fétinne, de la culée droite du pont de Fragnée et l'établissement de deux piles de ce pont en rivière. Le tout formait un ensemble de dix-sept mille mètres cubes de terrassement et de quatorze mille cinq cents mètres cubes de maçonnerie.

Les entrepreneurs, concessionnaires de ces travaux, MM. Joseph et Victor Cousin, apportèrent à leur exécution une telle dilligence qu'ils eurent terminé avec une notable avance sur les délais assignés, à savoir: le 1er juillet, le 1er août et le 1er septembre 1902.

La seconde adjudication se fit le 20 juin 1902; elle avait trait à l'entreprise générale de la Rectification du cours de l'Ourthe entre Liège et Chênée et à l'établissement de la nouvelle voie de communication. C'était un travail considérable dont l'exécution exigeait plusieurs années; mais l'ingénieur avait eu soin de le sectionner en plusieurs groupes pour chacun desquels était fixé un délai d'achèvement qui, tout en tenant compte du temps nécessaire à son exécution, assurait la disponibilité en temps utile des terrains qui devaient former l'assiette de la future Exposition.

C'est dans cette seconde entreprise qu'étaient intercalés les travaux de nivellement et de remblai dont nous avons parlé et qui devaient s'effectuer pour le compte de la Société de l'Exposition.

Les entrepreneurs, MM. H. et R. Hottat de Bruxelles, déclarés adjudicataires, se mirent sans retard à la besogne; bientôt les anciens prés marécageux des Aguesses se trouvèrent transformés en de vastes chantiers sur lesquels étaient méthodiquement réparties des cohortes d'ouvriers.

En poursuivant ainsi l'exécution des diverses parties de l'entreprise, en procédant sur plusieurs points à la fois, au creusement du nouveau lit de la rivière, en employant à cette fin des appareils mécaniques d'un rapide rendement, tels l'excavateur, la griffe à vapeur et l'élévateur, MM. Hottat se mirent en mesure de terminer en temps voulu. Aussi apparut bientôt à tous, la certitude de pouvoir réaliser l'Exposition en 1905.

Quant au pont de Fragnée, il était entré dans la voie de la réalisation par l'adjudication du 4 octobre 1901; de plus, MM. Cousin avaient obtenu par après la concession de certains autres travaux de maçonnerie: l'installation de la culée gauche et la continuation de l'élévation des piles. Le 16 janvier 1903, une autre adjudication vint confier à la Société John Cockerill l'édification de toute la partie métallique de l'ouvrage.

Ce pont de Fragnée, dont l'importance et l'utilité sont aujourd'hui manifestes, constitue, par l'ensemble de sa technique et de son architecture décorative, un véritable monument qui impose l'admiration: il met en évidence la science de l'ingénieur et le talent de l'architecte, M. Paul Demany, à qui le Gouvernement confia la mission d'élaborer ce magnifique ensemble d'oeuvres architecturales et décoratives qui donnent à l'ouvrage son caractère monumental.

La bonne marche des travaux justifiant la confiance de tous, des manifestations officielles de la plus haute signification purent se produire au cours de l'année 1903: telles furent les visites successives aux chantiers de plusieurs Ministres, de Son Altesse Royale Monseigneur le Prince Albert et de Sa Majesté Léopold II. Ces visites, dont nous parlerons, constituèrent trois cérémonies qui eurent le plus grand retentissement.


LE COUT DES TRAVAUX


Afin d'être complet, nous nous faisons un devoir de publier ci-après un tableau officiel donnant le relevé des participations supportées par l'Etat, la Province de Liège, la Ville de Liège et les communes d'Angleur, de Grivegnée et de Chênée, dans le coût des dépenses nécessitées par l'exécution des travaux publics indispensables à la réalisation de l'Exposition.

Cependant, pour obtenir le montant exact de la dépense effectuée à charge du Trésor Public, il y a lieu d'ajouter quatre cent et vingt mille francs à la somme de sept millions quatre cent seize mille neuf cent quatre-vingt six francs soixante-sept centimes, du chef des subsides alloués par le Gouvernement pour le rachat de la concession des péages du pont de Commerce et pour la construction du pont en béton armé du quai Mativa.


LES AUTRES TRAVAUX PUBLICS A LIEGE


La Rectification du cours de l'Ourthe allait transformer l'aspect d'une partie de la Ville, et assurer la création d'un superbe quartier Sud-Est.

C'était un fait que les organisateurs de l'Exposition pouvaient d'ores et déjà noter à l'actif de leur entreprise.

Ce ne fut pas le seul.

L'élan était donné; plus la date de la World's Fair approchait, plus le succès paraissait certain. Désormais chacun subissait presque inconsciemment l'impulsion bienfaisante partie du Comité Exécutif.

Aussi, les années 1903 et 1904 furent-elles employées à la réalisation de travaux de tous genres, pour la plupart depuis longtemps préconisés ou décidés, mais dont l'urgence apparaissait tout à coup imminente.

Notre honorable bourgmestre, M. Gustave Kleyer, et le sympathique ingénieur de la Ville, M. A. Mahiels, avaient conçu le vaste projet d'un boulevard circulaire qui, serpentant le long des collines qui enserrent la ville, formerait à celle-ci comme une promenade de la corniche de notre agglomération: l'amorce de ce boulevard devait être l'installation au plateau de Cointe, d'un parc public, d'où le promeneur découvrirait une série de panoramas sans cesse renouvelés.

Malheureusement, la question financière paraissait devoir remettre à bien longtemps l'exécution de ce projet.

MM. Digneffe et R. Lamarche ayant le sentiment que l'Exposition pouvait être le levier qui ferait entrer ce grandiose projet dans la phase d'exécution, après de nombreuses démarches auprès du Chef du Cabinet, obtinrent de celui-ci la promesse d'un subside d'un million de francs à verser par l'Etat à la Ville de Liège si celle-ci voulait entamer immédiatement la création de ce boulevard circulaire.

Forts de cette promesse ainsi obtenue, MM. Digneffe et Lamarche se firent, au Conseil communal, les champions de l'idée et la question vivement poussée par eux, vint à l'ordre du jour de l'assemblée municipale.

Par ses délibérations du 12 mai et du 26 juillet 1899, le Conseil communal décidait l'établissement de ce parc, le long duquel courrait en balcon une avenue arborée, de 25 mètres de largeur; le Roi, grand admirateur de l'idée, lui donna son approbation le 26 février 1900; les travaux, confiés au début de 1903 à l'entrepreneur liégeois Reynartz-Riguel, furent activement poussés, de telle sorte qu'ils étaient presque achevés au mois de juin suivant.

Depuis le 6 juillet 1885, l'élargissement de la rue du Pont d'Avroy avait été décrété, mais, en dépit d'une urgente nécessité, ce travail demeurait en suspens; l'Administration reprit l'affaire dans le courant de 1903, les expropriations furent assez vite réalisées, et l'étranger, qui vint à l'inauguration de la World's Fair, put admirer une artère nouvelle, de grande allure, bordée de nombreuses constructions modernes, élégantes, luxueuses.

Le travail de démolition, d'élargissement et d'édification des immeubles nouveaux avait duré moins d'un an.

Les dix-neuf hectares qui composaient le parc public de Cointe devaient servir d'annexe à l'Exposition; c'est là que se tiendraient les nombreux concours agricoles, que se donneraient les festivités hippiques, aérostatiques et sportives: il semblait désirable qu'une communication directe, qui fut en même temps pour l'avenir une promenade estivale, vînt relier le plateau de Comte au champ de l'Exposition. A l'initiative de MM. Digneffe et Richard Lamarche qui, ici encore négocièrent au préalable les accords nécessaires avec le Gouvernement et avec les propriétaires des terrains à emprendre, la Ville décréta la construction d'une avenue en pente douce, qui, quittant le quai de Fragnée, à angle droit, en amont du chemin de fer vers l'Allemagne, aboutit à l'avenue des Thermes, après avoir enjambé, par un pont en béton armé, la rue du Val-Benoît et les voies ferrées du Nord-Belge.

Ce travail, y compris le pont sur le chemin de fer du Nord, fut fait aux frais de la Municipalité, mais la famille Hauzeur céda gratuitement les terrains nécessaires et le Gouvernement fit exécuter à ses frais le viaduc de 18 mètres de largeur qui assura le passage sous les chemins de fer, près de la Meuse.

Le pont sur le chemin de fer du Nord constitue un intéressant ouvrage d'art. Il fait honneur à la Société de fondations par compression mécanique du sol, qui l'a exécuté en six mois et sans la coopération de laquelle le problème qui se présentait eut été insoluble.

Une autre avenue que la Ville exécuta également pour rectifier le thier du Chera, unit l'artère que nous venons d'indiquer à l'avenue de vingt-cinq mètres du nouveau parc.

Le Gouvernement ne se borna pas non plus aux travaux qui s'accomplissaient aux Vennes en vue de l'Exposition: en 1903, il avait fait procéder, par l'entrepreneur M. Edmond Baar, à l'élargissement du Pont de la Boverie.

Faisant droit à des desiderata souvent manifestés, le Ministre des Finances et des Travaux Publics fit étudier par l'Administration des Ponts et Chaussées le remplacement du pont suspendu, ouvrage étroit, peu solide et dangereux, qui mettait en communication les diverses rues des Vennes et de la Boverie. Ce fut encore M. l'ingénieur Emile Jacquemin qui dressa les plans d'un pont de grande allure et large de vingt mètres; la dépense évaluée à quatre cent quatre-vingt-dix mille francs fut supportée par parts égales par l'Etat et par la Ville. L'adjudication fut favorable à MM. Sacré-Nottermans et Van den Busche, entrepreneurs à Liège; malgré de grandes difficultés d'exécution, ce pont fut terminé dans l'espace de quelques mois.

Lors de la discussion qui surgit à propos de l'emplacement du pont de Fragnée, il avait été grandement question des défectuosités du pont du Commerce. C'était un pont à péage, qui enjambe la Meuse entre le boulevard Frère-Orban et le jardin d'Acclimatation. Mais, grief autrement sérieux, c'était un pont au tablier de planches, d'une solidité à ce point douteuse qu'il nécessitait de continuelles réparations et que son accès était interdit aux véhicules d'un certain tonnage.

Il en résultait une situation vraiment préjudiciable pour une grande partie de la population. Le Comité Exécutif crut pouvoir s'occuper de la question. M. Frédéric Nyst eut plusieurs entrevues avec M. Greiner, Directeur général de la Société John Cockerill et M. Seyrig, ingénieur à Paris, pour discuter la possibilité de reconstruire le pont dans le court espace de temps qui restait avant l'ouverture de l'Exposition. Ces conférences firent reconnaître la possibilité de cette reconstruction et dès lors, grâce aux négociations entreprises par son président, M. Digneffe, une entente s'établit entre le Gouvernement, la Ville, la Société concessionnaire du pont, la Société des Tramways liégeois et la Société John Cockerill.

L'Etat consentait à racheter la concession de péage, l'Administration liégeoise intervenant pour 50 p. c. dans le montant de l'indemnité.

Comme l'administration des Ponts et Chaussées déclarait ne pouvoir assurer endéans le délai de temps qui restait disponible, avant avril 1905, la démolition du pont existant et l'étude de la construction d'un nouveau pont, la Société John Cockerill s'engageait à entreprendre tout le travail. La Ville en supportait la charge, mais la Société d'Entreprise générale des Travaux lui remboursait en un certain nombre d'annuités 1.200.000 francs de la dépense, car sa filiale la Société des Tramways liégeois pourrait utiliser le pont pour le passage d'une nouvelle ligne.

Nous tenons à rendre hommage ici à l'énergie de la direction de la Société John Cockerill qui, cédant aux instances du Président du Comité Exécutif, accepta d'entreprendre d'effectuer, en moins de quatre mois, l'énorme travail de la démolition de l'ancien ainsi que de l'étude et de la construction du nouveau pont.

Ce nouveau pont, construit sur les données de l'ingénieur Seyrig de Paris, constitue en Belgique une nouveauté au point de vue technique. Il fait l'admiration des connaisseurs.

La liste des grands travaux qui furent exécutés en vue de l'Exposition n'est cependant pas close; nous avons dit les principaux, mais il en est d'autres qui, par suite de leurs caractères permanents, ont une réelle importance; ce sont:

A. - Les ouvrages édifiés à titre définitif par la Société de l'Exposition, dont nous aurons à parler dans un autre chapitre, tels le Palais des Beaux-Arts, le pont Mativa, l'Entrée et la Terrasse du Parc d'Acclimatation;

B. - Les travaux spéciaux qui, bien que réalisés par le Gouvernement pour l'usage et l'exploitation de certains de ses services, n'en constituent pas moins pour la Cité des causes de développements, notamment la construction de la gare monumentale Liege-Palais, les agrandissements de la gare des Guillemins, l'établissement du réseau téléphonique souterrain, etc.;

C. - De nombreuses améliorations apportées par l'édilité communale à la plupart de ses services, comme le renforcement de l'éclairage public, l'asphaltage de nombreuses rues, etc.

D. La révision de la concession des Tramways liégeois qui assura à la fois à la Ville un développement considérable du service, et une large augmentation de la participation de la Caisse communale dans les bénéfices de l'exploitation de l'entreprise.

Nous ne pouvons cependant clore cette sommaire énumération sans rappeler que c'est encore à l'Exposition que Liege est redevable d'extensions considérables dans des tramways suburbains, extensions qui ont été si bien comprises par les sociétés exploitantes que la Ville se trouve, dès maintenant, pourvue de moyens de communication excellents, non pas seulement avec les communes immédiatement voisines, mais avec les agglomérations rurales et industrielles situées à des distances de plusieurs lieues.

Nous n'entendons point entrer dans des détails des concessions nouvelles ou des suppléments des concessions qui furent octroyés par les Pouvoirs publics; nous mentionnerons simplement à ce sujet quelques points saillants,

La Société des Railways Liège-Seraing a pu réaliser une série d'excellentes améliorations, - excellentes pour tout le public - par suite de la prorogation de sa concession et du prolongement de ses lignes, elle a pu substituer à la traction par la vapeur un service intensif au moyen de la traction électrique; elle a renouvelé complètement son matériel et par la reconstruction du pont de Seraing elle a pu pousser ses lignes jusqu'aux marches du Condroz.

La société de l'Est-Ouest est parvenue, par une suite de groupements successifs, à se former un réseau d'une extrême longueur, qui, prenant naissance à la station d'Ans, est aujourd'hui sur le point de se souder dans les campagnes du plateau de Herve aux tramways verviétois.

Jadis, le réseau déjà très important des tramways de Liège et de la banlieue pouvait être cité comme un modèle d'exploitation à raison de son intensité, de la durée de ses services, du confortable de son matériel et de la modicité de ses tarifs: à l'heure présente, par suite des développements extraordinaires qui lui furent donnés pour assurer les moyens de transport vers l'Exposition, il est devenu tout à fait remarquable; il peut avec avantage soutenir la comparaison avec les réseaux des plus grandes villes de l'Europe.


CONCLUSIONS


L'AVENIR DE LA CITÉ


L'oeuvre de l'Exposition avait été le puissant levier qui, dans le domaine strictement et directement matériel, assura les résultats que nous venons de faire connaître. A un autre point de vue que nous qualifierons de domaine moral, son influence ne fut ni moins efficace, ni moins bienfaisante.

Le contact qui s'établit pendant cette période entre les Liégeois et les étrangers de toutes races, de tous rangs, aura certainement exercé sur toutes les classes de la population l'action la plus utile. Ce n'est toutefois que dans un avenir plus éloigné que les effets de ce contact se manifesteront de tangible façon.

L'Exposition fut une victoire remportée sur l'inertie de certains Liégeois; elle fut pour beaucoup d'entre eux une véritable révélation. Les opinions, sincèrement et franchement émises par nos hôtes, auront appris à plus d'un Wallon trop sceptique la beauté grandiose de la région qu'il habite, la force de son industrie, la richesse de son sol, et le profit qu'il en peut tirer.

La Ville de Liège était, si pas absolument inconnue, assurément mal connue à l'étranger et par beaucoup mal appréciée: à l'extérieur, elle était généralement considérée comme ville quelconque de province. L'Exposition l'a mise en évidence, son nom a été prononcé dans tous les pays du Globe; les chroniques ont partout célébré le succès de sa World's Fair; en même temps elles ont exalté le pays, elles ont loué les qualités de ses habitants. Puis ceux qui furent les hôtes de la Cité wallonne, où ils ont même noué des relations d'amitié, sont retournés, emportant de leur séjour ici cette impression favorable qu'ils transmettront à leurs compatriotes et qui seront la source de nouvelles sympathies.

Au lendemain de sa première Exposition, la Ville de Liège se trouve dans une situation nouvelle assurément favorable, mais qui impose des devoirs sérieux à sa population et à ses mandataires.

Le caractère casanier et exclusif d'autrefois doit être à jamais banni: l'esprit public doit être désormais ouvert aux conceptions hardies, aux grandes initiatives. Tous doivent se persuader que la prospérité générale est la résultante des progrès matériels et moraux, et que ceux-ci sont d'autant plus appréciables, d'autant plus réels, d'autant plus productifs, qu'ils sont la conséquence de développements, d'embellissements bien compris, réalisés d'après un programme rationnel, inspiré d'idées larges.

Dans cet ordre d'idées, nombreux sont les travaux qui peuvent être encore faits et qui sont l'oeuvre ininterrompue de plusieurs générations.

Nous n'avons point la prétention de formuler un programme, nous voulons esquisser des idées personnelles.

Les travaux de l'Ourthe livrent à l'Administration communale une suite d'hectares dont l'appropriation est à faire: combien l'hygiène y gagnerait, combien la santé publique y trouverait de force et de vigueur, si, dans les décisions qui seront prises, la parcimonie, soeur de l'économie, pouvait ne pas faire entendre sa voix funeste.

Nos mandataires communaux songent, avec raison, à réaliser sans retard la suppression des derniers biez qui partagent les Vennes; combien ils feraient oeuvre sage s'ils se rendaient acquéreurs de ce magnifique et vaste bois de Kinkempois, s'ils y traçaient des routes, des promenades, ménageant les points de vue incomparables que l'on y découvre sur les plus beaux sites du pays.

Semblable résolution serait unanimement approuvée et l'Etat ne pourrait manquer de participer à une oeuvre qui semble être, par les moyens de communication actuellement existant, la suite logique, l'indispensable complément du parc de Cointe et du boulevard de la Corniche.

Si nous nous éloignons de l'Est, pour nous transporter aux confins nord, après avoir parcouru nos rues commerçantes, nos quartiers populaires, où vit, ruche bourdonnante, une si nombreuse population ouvrière, nous sommes dans cette plaine de Droixhe, plaine de quelque cent hectares, baignée par le fleuve, entourée de verdoyantes collines. Le pittoresque de l'endroit, la grandeur du paysage, et son cadre lui-même ne sont pas ordinaires; il nous semble offrir plus d'analogie avec ce décor merveilleux que présentent les anciennes Aguesses.

Nous croyons voir ici l'assiette de la future Exposition universelle, dont le patriotisme liégeois a déjà fixé la date, vers l'année 1915. Nous nous remémorons les études du Comité technique de 1899, qui fait voir les obstacles. Mais du même coup nous nous rappelons le programme de l'Administration des Ponts et Chaussées en 1886. Nous constatons que le moment est arrivé d'accomplir la dernière partie de ce plan d'ensemble, et un secret espoir nous vient, que nos concitoyens finiront de nouveau par obtenir du Gouvernement l'exécution immédiate des travaux de rivière, déclarés nécessaires en cet endroit, travaux dont une seconde World's Fair viendrait célébrer l'achèvement.

Dix ans se sont donc écoulés; Liège est en fête et en liesse, ces plaines du Nord-Est sont couvertes de nombreux palais, de multiples constructions aux architectures les plus originales; une foule cosmopolite parcourt nos rues, peuple le champ de l'Exposition; chacun reconnaît que le succès de 1905 a fécondé, qu'il a été pour la Wallonie le signal d'une marche ascensionnelle constante, qui ne peut manquer de s'accentuer encore, à raison même de la prospérité dont elle est la cause.

Tandis que nous entrevoyons une seconde manifestation mondiale, notre pensée se complaît à rêver de l'avenir de notre Cité nous imaginons la prison déplacée, reportée à nos limites, et sur son emplacement un rond-point où vient aboutir une large avenue qui en un sinueux zig-zag dévale du parc de la Citadelle. Nous nous représentons, heureusement transformée, cette partie du quartier du Nord qui s'étend de l'Hôtel-de-Ville au pont Maghin.

La rue du Pont-d'Avroy est de nouveau devenue d'une circulation difficile, l'élargissement qui a été fait des rues parallèles n'a produit qu'une amélioration tout à fait momentanée; les Pouvoirs publics ont fini par adopter une mesure radicale le boulevard de la Sauvenière a été très intelligemment modifié, à l'imitation des boulevards bruxellois: ses rangées d'arbres n'ont point disparu, mais son terre-plein est tine superbe artère carrossable et le long de ses trottoirs, disposés en vastes terrasses, se succèdent des établissements commerciaux de tous genres.

D'autre part, le boulevard Frère-Orban, dont l'importance, comme voirie, n'a cessé de croître depuis l'établissement du pont de Fragnée et la reconstitution du pont de Commerce, a été mis en communication directe avec le plein centre de la Ville par la création d'une voie nouvelle qui trouve son terminus au square de la Cathédrale.

Si Liège, désormais citée au nombre des belles et grandes villes continentales, est un lieu de rendez-vous, un but d'excursion pour les touristes des deux hémisphères, elle est demeurée un foyer industriel, un centre intellectuel où le travail est en honneur et sa population a conservé dans leur intégrité les qualités de cordialité, de franche hospitalité et de patriotique indépendance, qui distinguent la race wallonne.

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