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Egbert de Liège.

Informations extraites de Notger de Liège par Godefroid Kurth

De puella a luppellis servata dans une copie du Fecunda Ratis d'Egbert de Liège

Sous Notger, les écoles de Liège devinrent un des plus brillants foyers littéraires de l'Europe. Liège éclipsait toutes les écoles de ce côté des Alpes, sinon toutes celles du continent et l'empereur Henri II se plaisait à dire qu'il souhaitait pour les écoles de sa chère Bamberg la science de Liège et la discipline de Hildesheim.

C'est l'époque où brillèrent un Folcuin de Lobbes, un Sigebert de Gembloux; où, parmi les professeurs, on peut signaler le mathématicien Francon, le poète Adelman, le philosophe Gozechin, les théologiens Alger et Rupert, d'autres encore.

Egbert de Liège, célèbre écolâtre de l'école de la Cathédrale Saint Lambert de Liège sous l'évêque Notger, avait fait trois ans d'études élémentaires et neuf ans de Septivium, littéralement, les 7 chemins. Le Septivium était divisé en deux groupes. Le Trivium comprenait: la Dialectique, où l'Art de la pensée; la Grammaire, où l'Art de l'expression de la pensée; la Réthorique, où l'Art de la communication de la pensée. Le Quadrivium comprenait l'Arithmétique; l'Astronomie; la Géométrie et la Musique.

L'enseignement était réputé gratuit au sein des écoles de Liège. On s'y faisait une gloire de distribuer pour rien les fruits d'or de la science, et on n'y parlait qu'avec mépris des gagneurs d'argent qui retiraient quelque lucre de leur savoir. Egbert de Liège se vanta de n'avoir jamais dérogé à cette règle.

Vers 1020, alors âgé d'une cinquantaine d'années, il rédigea à l'usage de ses écoliers du Trivium, qui tremblent encore sous la férule et qu'il appelle des impubères et même des souris, un recueil de sentences à un, deux ou plusieurs vers, qui contenait en quelque sorte tout le trésor de la sagesse populaire de l'époque: le fameux Fecunda ratis, le vaisseau lourdement chargé. Celui-ci était divisé en la Prora distincta (la proue ornée) et la Puppis aerata (la poupe d'airain)

On peut s'étonner qu'il ne soit traduit qu'en allemand (Ernst VOIGT 1889), et plus récemment en anglais.

En voici deux extraits:


De puella a lupellis servata

Il s'agit probablement du texte qui a inspiré le conte du Petit chaperon rouge bien qu'à cette époque le message semble viser la protection offerte par le manteau de la foi (voir illustration ci-dessus).

DE PUELLA A LUPELLIS SERVATA
La petite fille épargnée par les louveteaux

Quod refero, mecum pagenses dicere norunt,
Ce que je rapporte, les paysans savent le dire avec moi,

Et non tam mirum quam ualde est credere uerum:
Et il faut moins s’en étonner que le croire fermement vrai.

Quidam suscepit sacro de fonte puellam,
Quelqu’un tint une petite fille sur les fonts baptismaux

Cui dedit et tunicam rubicundo uellere textam.
Et lui donna une robe tissée de laine rouge.

Quinquagesima sancta fuit babtismatis huius,
Ce baptême eut lieu à la Pentecôte.

Sole sub exorto quinquennis facta puella;
Au lever du soleil, l’enfant, âgée de cinq ans,

Progreditur uagabunda sui inmemor atque pericli,
Marche et vagabonde, sans se soucier d’elle-même et du danger.

Quam lupus inuadens siluestria lustra petiuit
Un loup s’en saisit, gagna la forêt sauvage et profonde,

Et catulis predam tulit atque reliquit edendam.
L’apporta comme gibier à ses petits et la leur laissa à manger.

Qui simul aggressi, cum iam lacerare nequirent,
Ils se précipitèrent sur elle, mais, ne parvenant pas à la mettre en pièces,

Ceperunt mulcere caput feritate remota.
Se mirent à lui caresser la tête, loin de toute sauvagerie.

'Hanc tunicam, mures, nolite', infantula dixit,
" Je vous défends, petites souris, de déchirer cette robe" dit la jeune enfant

'Scindere, quam dedit excipiens de fonte patrinus!'
" Que m’a donnée parrain à mon baptême! "

Mitigat inmites animos deus, auctor eorum.
Dieu, qui est leur auteur, apaise les esprits sauvages.


De immitibus magistris et pigris.

Les moeurs étaient rudes et parfois la dureté des maîtres dégénérait en barbarie véritable, s'il en faut croire le vieil Egbert, qui la flétrit en termes énergiques, bien qu'avec une certaine exagération.

« Il y a, dit-il, des écoles qui ne consistent qu'en verges. On frappe le corps, on ne se soucie pas de corriger l'esprit. Radamanthe est moins implacable que certains maîtres, Eaque tourmente moins cruellement les ombres des damnés, les Erynnies entourées de serpents se démènent avec moins de fureur. Il y en a parmi eux qui veulent que les élèves sachent ce qu'ils ne leur ont pas appris. Ce ne sont pas les coups de bâton qui donneront la science, c'est le travail intérieur de l'esprit. Vous casserez une forêt entière sur les épaules de vos malheureux élèves, vous n'arriverez à rien sans la collaboration de leur intelligence. De quel droit vous dispensez-vous d'enseigner ce que vous avez appris, ou voulez-vous qu'on sache ce que vous n'avez pas enseigné? Est-ce que la pauvre chair humaine a la dureté du bois ou du métal? Tremblez qu'à faire périr de malheureux élèves, vous ne périssiez vous-mêmes à jamais. Je vois maltraiter également celui qui est capable d'étudier et celui qui ne pas.

« C'est par la douceur et par les égards qu'on forme les enfants. Ce malheureux petit que vous accablez de coups, il s'en ira aussi peu formé que lorsqu'il est venu; avant I'âge, il descendra, l'obole dans la bouche, aux rives du fleuve infernal, et il mourra dans ses premières années alors qu'il eut pu remplir un rôle utile dans le monde. Tel frappe les enfants comme s'il avait soif de leur sang, ou qu'il eût à venger sur eux le meurtre de son père. Non, ce n'est ainsi qu'on forme un éphèbe: ce sera un merle blanc s'il sort bien élevé d'un pareil régime (Egbert, Fecunda Ratis, p.170 la pièce intitulée: De immitibus magistris et pigris.) ».

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