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Eglise Saint Jacques à Liège


Une gravure rare de Notre Dame de Saint Remy à Liège

par le Chanoine Edmond POCHET.


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La dévotion à Notre-Dame de Consolation fut très développée en l'église Saint-Remy à Liège et, après la destruction de celle-ci, en l'église Saint-Jacques où la statue fut transportée (1). Le curé Jean-Henri Manigart, qui fut à Saint-Remy de 1641 à 1682, contribua à l'extension de ce culte (2). Nous connaissions plusieurs gravures représentant cette madone vénérée, spécialement la gravure au titre de l'ouvrage « Diva... Consolatrix afflictorum… » publié en 1657 par J.-H. Manigart.

Nous avons eu la bonne fortune de voir à une vitrine d'antiquaire et de pouvoir acquérir une gravure plus ancienne que nous ne connaissions pas. Après l'avoir étudiée, voici ce que nous pouvons en dire:

La gravure n'est pas grande: 130 x 170 mm. La date: 1645. Le titre: « La célèbre image de Notre Dame de Consolation en l'église de S. Remy à Liège ». Les auteurs: la signature est «Mel Ponceau delineavit MN Fec.» Qui est ce Michel Ponceau? Dans BÉNÉZIT, Dictionnaire des peintres, sculpteurs, dessinateurs et graveurs, vol. 6, p. 759, nous lisons: « Ponteau ou Pontiau ou Ponceau Michiel (ou Michel) appelé en Italie Pontiani ou Ponciani, né à Liège vers 1588, mort à Liège vers 1650, élève de Bertus Hoyoux. Il y avait deux tableaux de lui dans l'église des Carmélites à Liège et un dans l'église Saint-Martin en Ile.» Que signifient le M et le N accolés, MN, indiquant le nom du graveur? Miche! Natalis? Bénézit indique que cette signature abrégée était utilisée par Natalis. Michel Natalis, né en 1600, voyagea en Italie, à Paris, revint à Liège en 1642 où il mourut en 1670. Nous sommes arrivés à la conviction que cette gravure est bien de Michel Natalis.

On peut se demander si Ponceau avait fait seulement un dessin ou s'il a fait un tableau pour l'église. Nous pensons que ce fut seulement un dessin. En 1645, la reconstruction de l'église n'était pas achevée. Les tableaux viendront plus tard. Nous savons que le tableau au-dessus du maitre-autel fut commandé au peintre Walthère Damery par le curé Manigart. Il représentait Jésus-Christ portant sa croix. Le 20 mai 1662, ce peintre déclara « avoir mis en place le tableau d'autel et celui d'en haut ». Le tableau de Damery fut envoyé à Paris par Defrance (3).

Abordons la description détaillée de la gravure. Nous sommes dans le chœur nouvellement construit, avec son abside en cul-de-four, de l'église Saint-Remy à Liège. Sur le maitre-autel, trône la statue de Notre-Dame de Consolation. Si nous comparons la gravure à une photographie de la même oeuvre, nous constatons que l'artiste a pris certaines libertés avec la réalité. La figure et l'habit de la Vierge sont modifiés. La position du corps du Christ n'est plus horizontale, etc. L'image est un peu « modernisée ». Au-dessus de l'autel, une croix nue et deux anges portant des instruments de la Passion. De part et d'autre de l'abside, au-dessus des pilastres, deux blasons: à gauche celui de l'évêque du lieu, Ferdinand de Bavière; à droite, celui du pape régnant Innocent X (J. B. Pamfili). Sous la petite corniche faisant le tour de l'abside, pend et des ex-voto, mains, jambes, poupées d'enfants emmaillotés, etc.; en haut, à droite de l'autel, une lampe du sanctuaire, à gauche, un très grand cierge et deux plus petits; debout, de part et d'autre de l'autel, deux évêques: à gauche, saint Lambert, reconnaissable au rational; à droite, saint Remy, croix d'archevêque, pallium et ampoule d'huile apportée par une colombe. Au pied de l'autel et vus de dos, deux enfants. Agenouillés, à droite et à gauche de l'autel, deux séries de personnages. Certains, surtout a gauche, semblent des portraits.

Quelle est l'explication de cette gravure? A quelle occasion a-t-elle été gravée? Au premier examen, trois éléments nous ont frappé: la date 1645, le titre: « Notre Dame en l'église de S. Remy à Liège » et la présence de deux enfants avec des béquilles au premier rang devant l'autel. Ces détails font penser au premier ouvrage de Jean-Henri Manigart, intitulé: « Miracles ou Faveurs grandes... par l'intercession de Notre Dame de Consolation en l'église Saint Remy à Liège ». Aucun exemplaire de cet ouvrage ne nous est parvenu, mais le texte en a été transmis dans un manuscrit contemporain qui est en même temps un registre authentique, écrit par un notaire. Examinons donc l'objet de notre étude à la lumière de ce document. D'après le manuscrit le livret relatait, en ordre principal, les guérisons avec attestations d'experts, de deux enfants. Le premier, Pierre du Chasteau, âgé de 6 ans; fils de Jean du Chasteau. Le procès-verbal de la guérison est daté du 23 février 1645. Le deuxième enfant s'appelle Jehenne, âgée de 7 ans, fille de David Ponsard. Ce procès-verbal est daté du 25 mai 1645 (Mss pp. 25 et 26). Près des enfants, sur la plateforme de l'autel, on voit un livre et une barette. Ce livre est vraisemblablement ce registre authentique et la barette du curé Manigart. A propos du grand cierge, à gauche de l'autel, voici ce que dit le manuscrit: « Son Altesse Sérénissime Electeur de Cologne, Prince-Évêque, ... envoya plusieurs pèlerins pour prier à son intention..., en 1644, il commanda.., de faire faire une grosse chandelle de grand prix pour être posée devant l'image douloureuse de Notre Darne... ce qui fut fait le 31 juin [1644] auquel jour, le grand Vicaire Chockier bénit la chandelle, célébra la messe qui se chanta, en musique, par les principaux musiciens de la ville. »

Le texte de ce livret nous donne aussi une clé pour tenter d'identifier les personnages représentés, Liégeois du XVIIe siècle. Voici une liste de noms cités: le Prince-Évêque, le grand Vicaire de Chockier, l'auteur J.-H. Manigart, le nonce du pape à Cologne. « On a approché Messieurs les docteurs et professeurs tant de la Sacrée Théologie que de la Médecine: M. L. Fromond, docteur en la S. Théologie, professeur, doyen de Saint-Pierre à Louvain; M. Jacques Pontanus, dr en la S. Théologie et professeur Louvain; M. Fr. Piroulle, président du Séminaire de Liège, professeur en la S. Théologie; M. N. Proenen, licencié en la S. Théologie; le R.P. Mathias Hauzeur, liseur jubilé en la S. Théologie; le R.P. Carolus de Soy, gardien des Récollets; le R.P. Barthélemy d'Astroy, liseur en la S. Théologie; le R.P. Roberti, S.J.; le R.P. Jean Gaen, SJ.; le R.P. Albert de Hasque, S.J.; M. Michel Ophemius, docteur et professeur en médecine à Louvain; M. V. P. Pemplius, docteur et professeur en médecine à Louvain; M. Pierre Dorlix, docteur et professeur en médecine à Louvain. » Nous en citerons encore quelques-uns plus bas.

Tentons maintenant d'en reconnaître l'un ou l'autre. Commençons par les personnages de gauche. Le premier nous a beaucoup intrigué: homme imposant d'âge mûr, grande tonsure, croix pectorale, aumusse et rochet: ce doit être un ecclésiastique de haut rang. Il ne ressemble pas au Prince-Évêque dont on a le portrait. Ni à son Auxiliaire, Richard Stravius (son portrait figure dans DARIS, Biographies du Comté de Looz, t. I, p. 35). Jean de Chockier ne portait pas la croix pectorale. Serait-ce le nonce à Cologne, Flavio Chigi, le futur pape Alexandre VII? D'après un portrait, c'est exclu. Serait-ce le pape régnant, Innocent X (J.-B. Pamfili)? Nous avons vu une photo de son buste en bronze au Museo Civico de Bologne (5). C'est fort possible; cependant le buste est vu de face; sur la gravure, le personnage est de profil.

Le deuxième à gauche nous paraît le plus certain. Ce doit être l'auteur du livret, le curé J.-H. Manigart. C'est un homme jeune; en 1645, le curé est âgé de 31 ans. Sa place en deuxième position près du personnage portant la croix pectorale indique son importance dans la situation représentée et c'est lui qui du doigt attire l'attention sur la statue de Notre-Dame.

Qui est le troisième? La figure ressemble au précédent, mais ce n'est pas une indication. Serait-ce le président du Séminaire, François Piroulle, qui a fait pour le livret une longue dissertation théologique sur les guérisons? Daris nous apprend qu'il est né vers 1585. Serait-ce le portrait d'un homme de 60 ans? (DARIS, Notices sur les églises..., t. IV, pp. 180 et 181). Libert Fromond est né en 1587. Proenen et Pontanus sont peu connus. La question reste pendante.

Le quatrième, le capucin? Qui est-il? Ce n'est pas Hauzeur. Nous avons vu un portrait de lui en 1675 et il y paraît plus jeune que celui-ci en 1645. Est-ce de Soy, le gardien des récollets ou d'Astroy? ou encore le P. I. Beaufrère, dont il est question ci-dessous? Les deux suivants sont trop flous pour que nous tentions une identification.

A droite, les figures féminines. Seul le manuscrit peut nous aider. Nous lisons à la page 14, le récit suivant à la date de 1643: «le R.P. Ignace Beaufrère, confesseur au couvent du Saint-Sépulcre condist des bons enfants et Révérende Soeur Margarite Broekem, prieure dudit couvent, Soeur Margarite Jardon, dicte Petri, religieuse du même couvent native de Verviers… depuis 6 semaines, de vives douleurs de bras, jambes, avait été autrefois impotente… …déclaré en ce couvent du St Sépulcre, en présence de Vénérable Guilhaume Bouvegnistier, prêtre et bachelier en la Sacrée Theologie, Roland du Chasteau, curé de Slyns... » Les deux premières personnes seraient-elles la Rde Prieure Soeur Broekem et Soeur Margarite Jardon? Les autres figures féminines sont plus floues. Serait-ce les mamans des enfants? Qui le saura?

Résumons maintenant l'intérêt de cette gravure:

1) C'est une (belle) gravure, inconnue, de Michel Natalis.

2) Elle nous donne une vue intérieure de l'église Saint-Remy en 1645.

3) C'est la gravure la plus belle, la plus ancienne, la plus « circonstanciée » et la plus rare de Notre-Dame de Saint-Remy. (Nous ne connaissons pas d'autre exemplaire.)

4) Nous y avons le portrait certain de J.-H. Manigart, curé de Saint-Remy, auteur de plusieurs ouvrages de piété et de théologie.

5) Elle nous donne plusieurs autres portraits liégeois, d'identification plus malaisée, mais pour lesquels nous tenons certains éléments.

6) Cet exemplaire est la preuve que le livret de J.-H. Manigart dont on ne connait aucun exemplaire, a bien été édité puisque nous tenons sa « gravure au titre ».

Ajoutons quelques notes sur les autres représentations anciennes de Notre- Dame de Saint-Remy. Dans l'ouvrage de J.-H. Manigart, Diva... Consolatrix afflictorum…, publié chez Bald. Bronckart en 1657, l'image au titre est signée Voet A. Voet Alexandre est né à Anvers en 1613 et mort à Anvers en 1689. D'après Bénézit, c'est un élève de P. Pontius. La gravure qui sert de frontispice à ce livre est la gravure de 1645 mais simplifiée. Tous les personnages sont remplacés par deux anges avec encensoirs. C'est plus conventionnel. La statue est «modernisée» comme en 1645. Le dessin est moins fin et moins ferme que celui de Natalis. Dans l'ouvrage « Les dévotions exquises » de Manigart, édition de 1680 (les exemplaires des éditions précédentes sont rarissimes et nous n'avons pu les voir), il y a deux images représentant Notre-Dame de Consoation. La première, au titre, est copiée de celle de Voet mais inversée. Elle est signée H. Spies. Hubert Spies est un graveur liégeois. Il y a une gravure de lui dans la collection Capitaine. Elle a pour titre: « Le repos de la sainte Famille. » La deuxième dans le même ouvrage, représente le même motif, non inversé, plus petit, sans l'autel, ni les anges.

Le 4 décembre 1803, la statue de Notre-Dame de Saint-Remy, qui avait été cachée pendant la période révolutionnaire, fut transférée dans l'église Saint-Jacques. A cette occasion, furent éditées des images sur soie et sur papier, datées du 4 décembre 1803, non signées. Le dessin en est original; il ne reprend nullement la gravure de Natalis. Il est plus conforme à la réalité de la statue. Le corps du Christ est à l'horizontale. Le décor est un paysage. Ce dessin sert aussi d'image au titre du livret publié en 1807: Traduction de quelques pièces du livre intitulé Diva Leodiensis Consolatrix afflictorum..., par le T.R. J.-H. Manigart, curé de Saint-Remy à Liège. D'autres images et photos furent faites plus tard mais offrent moins d'intérêt.


1. L'église Saint-Remy était l'église paroissiale, toute proche de l'abbaye Saint-Jacques et dépendante de celle-ci. Elle fut désaffectée en 1797, vendue et démolie en 1798. La statue de Notre-Dame de Consolation fut conservée et déposée en l'église Saint-Jacques en 1803, peu après le Concordat. Voir: L. HENDR!X Notre-Dame de Saint-Remy, Liège, 1925.

2. Jean-Henri Manigart, né à Liège en 1614, curé de Saint-Remy de 1641 à 1682, date de sa mort. Il est l'auteur de plusieurs ouvrages dont Diva Leodiensis Consolatrix afflictorum..., Liège, Bronckart, 1657, et d'autres. Voir L. HENDRIX, O.C., ET E. POCHET, J.-H. Manigart, curé zélé de St-Remy à Liège, texte dactylographié, à la Bibliothèque du grand Séminaire et à la Bibliothèque de l'Université à Liège, 1975.

3. L. Hendrix, Notre-Dame de Saint-Remy, pp. 11 et 15.

4. Le titre complet est celui-ci: « Miracles ou faveurs grandes qui se sont faictes par l'intercession de la très glorieuse Vierge Marie honnorée en son image soubs le tiltre de Nostre Dame de Consolation en l’église paroissiale de sainct Remy en la Cité de Liège. Publié par l'authorité de Monsieur le grand Vicaire et imprimez à Liège chez Jean Tournay, imprimeur juré.» On ne connaît aucun exemplaire de cet ouvrage. Le manuscrit qui contient le texte est la propriété de la paroisse Saint-Jacques à Liège et est depos à la Bibliothèque du grand Séminaire. Ce texte a été reproduit par la Gazette de Liège du 30 juillet 1883.

5. A. Haidacher. Geschichte der Pâpste in Bildern, édit. Kerle, Heidelberg, page 598.

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