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LES EAUX A LIEGE

LEKENNE

Limites de l'innondation de la Meuse au 1er janvier 1926

Commentaires extraits de "Liège, Etude de géographie urbaine" 1930, Ph. Lecouturier.

Limites de l'innondation de la Meuse à Liège en 1926

L'irrégularité du régime de la Meuse, dépend avant tout de l'alimentation fluviale si différente l'été et l'hiver.

L'été est, chez nous, la saison la plus pluvieuse et le plateau ardennais d'altitude élevée accuse un maximum sensiblement supérieur à celui des autres régions belges.

Malgré la plus grande abondance des précipitations estivales, c'est à cette saison précisément que correspondent des maigres prononcés. L'évaporation et la végétation absorbent en effet la plus grande partie de l'eau tombée.

En hiver, par contre, l'infiltration, seule cause de perte des eaux, est plus réduite encore sur ce sol imperméable.

La déclivité du terrain provoque un écoulement rapide et il en résulte des crues fortes et soudaines.

C'est là un phénomène général à tous les affluents de la Meuse en Ardenne; les moins importants d'entre eux peuvent accuser d'énormes variations de débit. Ainsi « le débit de la Lomme à Rochefort, souvent inférieur à un demi mètre cube par seconde, atteint lors des crues jusque 80 mètres cubes par seconde » (9).

On ne s'étonne pas, dans ces conditions, de ce que le rapport entre le minimum et le maximum de débit du fleuve lui-même soit de 1/20, de beaucoup supérieur à celui du Rhin qui ne se chiffre que par 1/6.

Le bassin français de la Meuse n'exerce qu'une influence très réduite sur le régime du fleuve en Belgique.

Pierrot fait tout d'abord remarquer que les hauteurs de pluies recueillies dans la partie centrale du bassin sont bien plus fortes que celles relevées dans la partie méridionale de ce bassin (10)

Bien que la moitié environ du bassin drainé par la Meuse en amont de Liège soit en territoire français, l'importance des crues nées en France est amoindrie par suite de la perméabilité ou de la semi-imperméabilité du sol. Jusqu'à Mézières, elles conservent « les caraéères de modération propres à l'hydrologie des calcaires lorrains » (11).

Elles n'ont donc que peu de retentissement sur la montée des eaux à Liège, qui dépend presque exclusivement des crues des affluents ardennais.

La Meuse et l'Ourthe ont ainsi produit, au cours de l'histoire, de redoutables inondations qui ont maintes fois ravagé la ville.

Tous, nous avons encore présent à la mémoire le terrible désastre provoqué dans toute l'agglomération liégeoise par la crue, particulièrement dévastatrice, du 1er janvier 1926.

De nombreux travaux de rectifications et d'endiguements, exécutés à la suite d'inondations antérieures, devaient, croyait­on, protéger les Liégeois et les délivrer du menaçant fléau. La catastrophe récente a prouvé que le fleuve n'avait pu encore être définitivement dompté.

Le plan (12) ci-contre montre l'importance de la zone inondée qui correspond assez exactement à la plaine alluviale.

D'une façon générale, le lit majeur s'est étendu jusqu'aux collines qui bordent le fleuve, sauf à l'aval de Liège-Fonderie où l'inondation s'est arrêtée au canal de Liège à Maestricht.

On a pu évaluer à 345 millions de mètres cubes la quantité d'eau emmagasinée sur les deux rives du fleuve dans l'agglomération liégeoise.

Le territoire inondé représentait, pour la ville seule, 425 hectares, dont, 215 sur la rive gauche de la Meuse et 210 sur la rive droite.

La crue de 1926 a dû son extraordinaire violence au caractère très pluvieux de décembre.

Les précipitations atmosphériques avaient été assez abondantes au cours de tout le mois, de sorte que le sol se trouvait saturé d'eau lors de la reprise des pluies à la fin de l'année. Ces dernières ont été exceptionnellement intenses et leur hauteur totale a dépassé en 5 jours, la moyenne du mois entier pour la Belgique.

La situation s'aggrava par le fait que ces pluies s'étendirent à la plus grande partie du bassin hydrographique de la Meuse, et qu'elles furent accompagnées d'un brusque relèvement de la température.

Ces précipitations torrentielles provoquèrent une crue rapide et violente des affluents - crue qui, par suite de la différence de pente, précédait le passage du flot de la Meuse au point de confluence. Ainsi le flot de l'Ourthe a devancé le maximum de la Meuse et de l'Ourthe réunies, à Liége-Fonderie, d'une trentaine d'heures.

Le décalage semble avoir été moindre cette fois que lors des précédentes grandes crues, ce qui a contribué à l'ampleur extraordinaire de la montée des eaux à Liège.

Le matin du 1er janvier, au moment du maximum de la crue, la cote du fleuve atteignait, à Liége-Fonderie, 62 mètres, soit 4 m. 70 au-dessus de l'étiage. On a estimé que le débit du fleuve devait être alors de 2950 mètres cubes à la seconde, alors que le Service des Ponts et Chaussées français ne renseigne que 1500 m sec. à Givet, le 31 décembre à 18 heures.

Le graphique ci-contre (p. 39) donne très bien l'allure de la crue à Liége-Fonderie. Il fait ressortir la vitesse de la montée et la durée plus longue de la décrue.

A dessein, nous nous arrêtons assez longuement à ce désastre de 1926 parce qu'il présente réellement tous les caractères des crues calamiteuses de la Meuse. Nous pouvons les résumer ainsi: inondations hivernales brusques, souvent imprévues, avec montée rapide du flot, courtes mais intenses et très dévatatrices.

La plupart des grandes crues de la Meuse et de l'Ourthe ont été des crues d'hiver: 22 décembre 1880, février 1850, décembre 1740, janvier 1643, février 1571, débâcles d'hiver encore en 1543, 1533, 1408.

En 1880 comme en 1926, l'amplitude exceptionnelle du flot de la Meuse à Liège, était due à la crue du fleuve, aggravée par celle de l'Ourthe et de ses affluents, surtout la Vesdre. Ce sont uniquement des pluies persitantes qui avaient provoqué le désastre.

M. l'Ingénieur en Chef Debeil écrivait à ce sujet « Une pluie abondante et parfois torrentielle qui ne cessa de tomber depuis la nuit du samedi 18 jusqu'au lundi 20 décembre au matin, ne tarda pas à faire sentir son influence sur le régime des eaux. Tous les affluents de la Meuse gonflèrent avec une telle rapidité que le mardi 21 décembre au matin, la Vesdre et l'Ourthe atteignaient leur niveau maximum » (13).

L'écluse d'Avroy renseignait le 19 décembre à 8 h. du matin 61.00, et le 22 décembre à 3 h. du soir 63.72.

En 1850, alors que les travaux de dérivation de la Meuse (14) n'étaient pas effectués, « les quartiers d'Avroy et du Centre situés sur la rive gauche et le quartier de l'Est situé sur la rive droite, étaient non seulement submergés, mais subissaient en outre les effets nuisibles d'un flot rapide s'engouffrant sans relâche dans toutes les rues et ruelles » (15).

Les crues sévissaient plus cruellement encore aux époques reculées. Sous Reginard, de grands travaux furent effectués pour défendre la cité contre les eaux courantes (16).

Nous savons, par l'Histoire, que l'inondation de 1643, la plus forte dont les Annales aient transmis le souvenir, emporta le pont des Arches et le pont d'Amercœur.

Gobert (17) nous retrace les nombreuses vicissitudes de ce dernier que l'Ourthe, démesurément grossie par des pluies abondantes ou par la fonte des neiges, détruisit maintes fois au cours des siècles.

Les chroniqueurs nous disent que des crues exceptionnelles en 896 et 1314 renversèrent églises et maisons, ensevelirent les vivants et déterrèrent les morts (en 1185) (18), obligèrent à naviguer dans les rues (en 1374 et en 1540 notamment) (19).

Les liégeois ont noté à certains édifices publics, quelques hauteurs d'eau atteintes lors des grandes crues anciennes.

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C'est ainsi qu'un pilier de la Cathédrale St-Paul, porte des traits gravés dans la pierre. On peut y comparer le niveau des eaux en 1571, 1643, 1740, 1850 et 1926. Ces hauteurs, mesurées au-dessus du pavement atuel, sont respectivement de 0 m 83, 1 m 30, 1 m 20, 0 m 83 et 1 m 10. On se figure aisément l'importance de la nappe d'eau qui recouvrait alors tout le quartier de l'Ile.

A l'annexe de l'Hospice des Orphelins, rue du Vertbois, un trait sur l'un des jambages d'une porte montre le niveau de la crue de 1740 à 1 m. 43 au-dessus du seuil. Le 1er janvier 1926, l'eau atteignit au même endroit 1 m 49.

La ville a donc été bien des fois submergée par les eaux depuis l'époque moderne, l'a même été, encore, après l'exécution des travaux de rectification et d'endiguement de la fin du 19e siècle, que la crue récente de 1926 vient de révéler nettement insuffisants.

Aussi tout un programme nouveau, déjà en voie d'exécution, a-t-il été élaboré pour faciliter l'écoulement des eaux de crue: rectification de la Meuse à l'aval de Liège, endiguement des deux rives depuis le pont d'Ougrée jusqu'à Liège-Fonderie.

C'est un peu à regret que l'on voit disparaître le beau fleuve derrière de nouvelles et longues digues de béton, si élevées le long de certains quais (20) qu'elles masquent entièrement la vue de l'eau.

Notons encore:

L'approfondissement du fleuve qui fera disparaître le relèvement du fond provoqué par les apports abondants dus au régime torrentiel de l'Ourthe.

« Le fond du fleuve présente une bosse s'étendant du pont du Val St-Lambert au pont de Wandre et dont la hauteur atteint environ 1 m 50 Liége-Avroy " (21).

La création en Ardenne et dans les vallées des affluents de la Meuse de barrages-reservoirs pouvant retenir partiellement et temporairement les eaux de crue.

Ces barrages-réservoirs offriront de plus l'avantage de régulariser le débit de la Meuse et d'augmenter son débit d'étiage.

« En amont de Liège, dans le bassin indutriel qui s'étend jusqu'au delà du pont du Val St-Lambert, les inondations sont devenues de plus en plus fréquentes et graves à la suite des affaissements consécutifs au déhouillement ».

En 1925-1926, les eaux d'inondation ont atteint 5 m 50 de hauteur dans la rue principale de Seraing (22).

A Liège même, l'affaissement est beaucoup moins marqué, car il y a très peu de terrains concédés dans la plaine alluviale. La présence d'épaisses couches de graviers empêchait l'exploitation à l'origine.

Plus tard, lorsque les procédés pour traverser ces couches perméables ont été découverts, la ville était déjà trop importante pour que l'on put songer à exploiter dans la plaine alluviale, mais on l'a fait dans une très large mesure à l'amont et même à l'aval.

Ph. Lecouturier
Docteur en Géographie


(9) F. KRAENTZEL et P. MAHY, Géographie de la Belgique et du Congo. Bruxelles, Office de Publicité, 1925, p. 33.

(10) J. A. PIERROT, Le Bassin de la Meuse. Etude hydrologique et Géologique (Annales de l'Association des Ingénieurs sortis des écoles spéciales de Gand, 1890-91). p. 55.

(11) DEMANGEON, V, Op. cit., p. 8

(12) Ce plan nous a été très aimablement communiqué par M. Van Wetter, Ingénieur en chef, Directeur des Ponts et Chaussées, à Liège. Il a bien voulu nous autoriser aussi à prendre connaissance des rapports relatifs à la crue de 1926, rédigés par les ingénieurs de son service et adressés à M. le Ministre des Travaux Publics. C'est à cette faveur particulière que nous devons les renseignements précis que nous donnons à ce sujet.

(13) Rapport sur la crue du 22 décembre 1880 par M. DEBEIL, Ingénieur en Chef des Ponts et Chaussées, à Liège.

(14) La dérivation de la Meuse a notablement diminué l'impétuosité des eaux dans la traversée de la ville.

(15) M. DEBEIL, rapport cité.

(16) E. M. O. DOGNEE, Liège: Origines, Histoire, Monuments, Promenades. Bruxelles, 1888, page 44.

(17) Th. GOBERT, Liège a travers les âges, t. II, 1925, p. 38 et 39.

(18) E. M. O. DOGNEE, Op. Cit., p. 8.

(19) Annales Sancti Jacobi Leodiensis, p. 45.

« Tanta inundatio aquarum facta est Meuse Aprili in civitate Leodiensi in ea parte que dicitur extra castrum, ut multos submergeret, et mortuorum corpora diluvium aque de sepulchris erueret ».

(20) C'est le cas, p. ex., au quai de la Ribuée, près du Pont des Arches et au quai de Rome (ancien quai de Fragnée). A Seraing, les digues montent jusqu'au niveau du 1er étage des maisons.

(21) Commission Nationale des Grands Travaux. 2e Sous‑Commission. Aménagement de la Meuse et de la Sambre. Rapport du 6 avril 1927.

(22) Commission Nationale des Grands Travaux. Note du 31 mars 1927.

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