Servant de Réponse à un Livre, qui a pour tître:
Deffenfe des Eaux Minerales du GADOT
par Mr J.F. BRESMAL Docteur en Médecine
M.D.CC.XIV,
MONSIEUR,
CE que vous avez prédit eft arrivé: Voilà Mr. le Docteur Brefmal qui a levé le bouclier contre moi, & qui prétend me faire tomber bientôt du char triomphal, fur lequel j'étois monté depuis l'impreffion de mon Traité de la connoiffance des Eaux Minerales, par la verité des faits qu'il raporte dans une Brochure de deux feuilles & demie, imprimées fous le titre de Deffence des Eaux Minerales du Gadot. En confcience, je ne fçavois pas que l'on m'eût décerné les honneurs du triomphe; mais puisque je l'apprens de fi bon lieu, il n'eft pas permis d'en douter: au contraire, l'amour propre me perfuade à le croire, & mon interêt m'oblige à prendre les armes pour me défendre dans un pofte d'honneur auffi diftingué que l'eft celui-là. Je ne m'arrêterai pas fur plufieurs petites invectives qu'un peu de mauvaise humeur fait dire à notre Auteur, & qui, proprement, ne portent pas coup fur le fujet. Il vaut mieux en venir aux faits, lefquels il regarde comme fes grandes batteries, qui confiftent en fept Experiences & en huit Reflexions, qu'il fait fur plufieurs endroits de mon Livre, choifis à fon gré; avec quoi il prétend fronder tout ce que j'ai dit & fait fur les Eaux de Chaud-Fontaine, foutenir la reputation des Eaux du Gadot, & venger l'honneur du College des Medecins de Liége. Voilà, me direz-vous, un deffein bien ménaçant, & qui feroit croire à bien des gens que j'ai eu l'intention de nuire à mon prochain; mais je vous protefte ici, que lors que j'ai mis la main à la plume, ce n'a été que dans la penfée de rendre service au public, ne croyant pas que des verités phyfiques pourroient jamais offenfer perfonne, lors qu'on évite les expreffions injurieuses & méprifantes, comme j'ai eu foin de faire: Je crois pourtant, qu'il n'y a que Mr Brefmal qui foit veritablement piqué de tout ceci, parce qu'il fçait dans fon ame que Meffieurs du College l'en ont crû fur fa parole, & qu'ils n'ont pas douté que fon raport ne fut jufte dans toutes fes circonftances. Ainfi, fe fentant comme caution envers eux, il fait fon poffible pour vérifier ce qu'il a avancé. Voyons comme il s'y prend.
Ses quatre prémieres experiences font faites fur le limon que l'on trouve abondanment au fond du puit de la Fontaine du Gadot, & font connoître que ce limon contient du foufre & une autre matiere, qui étant abreuvée d'efprit de nitre fait changer la décoction de galles en noir, d'où Mr Brefmal conclut, que l'Eau eft impregnée de foufre & de Mars. Sans m'arrêter ici à raporter les raifons qui me rendent l'addition de l'efprit de nitre fufpecte pour la couleur noire; Je fouhaiterois, qu'avant de tirer cette confequence, il auroit pris la peine de donner des preuves que ce limon est un vrai dépôt de l'Eau minerale; autrement je ferai toûjours en droit de lui répondre, que n'ayant eu en veuë, dans mon Analyfe, que cette Eau pure, en état d'être employée à la conservation & au rétabliffement de la fanté du corps humain, fes prétenduës découvertes ne font rien contre moi. N'ai-je pas raifon d'en agir ainsi, fachant que la plupart des Medecins qui furent envoyez à ChaudFontaine le premier de Juin 1714. par ordre de Meffieurs du Chapitre & de la Chambre des Comptes, avec deux Seigneurs députés de leur part, ayant reconnu que le puit du Gadot étoit tellement fitué que l'eau de la riviere y pouvoit entrer toutes les fois que les pluyes la faifoient groffir, ont déclaré, & entr'autres, Meffieurs les Docteurs Bemi, Malmedie, & Graffar, qu'il n'eft pas étrange qu'il y ait beaucoup d e limon dans la Fontaine du Gadot, attendu les débordemens frequens de la riviere: & Mr le Docteur Daniel, homme expert en Chymie, raporte d'avoir fait les mêmes experiences fur le limon de la riviere, que Mr Brefmal avoit fait fur cefui du puit du Gadot, & d'y avoir trouvé les mêmes chofes. D'où je conclus à mon tour, mais avec plus de raisonque Mr. Brefmal n'a conclu, que le foufre & le Mars qu'il a tiré du limon du Gadot, ne proviennent pas de l'Eau Minerale, mais de la riviere, d'autant plus que dans les puits de la fource des Bains chauds, dont je vous ai donné le plan, il ne fe trouve pas du tout de ce limon. Si Mr Brefmal avoit été affez fincere pour raporter dans fon Livre ce que je viens de dire de Meffieurs Bemi, Malmedie, Grafar & Daniel, de même que plufieurs bons éclairciffemens que Mr. le Docteur Oms donna dans fes Réponses aux Articles que l'on propofa de part & d'autre, & qu'il eût voulu faire reflexion que jamais le foufre n e s'unit à l'huile de Therebentine s'il n'eft accompagné de fon acide vitriolique, il n'auroit pas confondu le limon de la riviere avec le veritable dépôt de l'Eau minerale, & n'auroit pas non plus pris le vitriol, dont le limon eft imbu, pour du fer, tout comme fi le fer avoit feul la faculté de faire changer la decoction de galles en noir.
Mais afin de mettre la chose dans fon jour, & prévenir plufieurs difficultés qu'on pourroit faire, il eft bon que vous fachiez qu'à un quart de lieuë au deffus de Chaud-Fontaine, il y a une foufrerie, où il fe fait tous les ans une très-grande quantité de foufre. La matière qui le fournit est une espece de pierre jaunâtre tirant un peu fur le verd, que l'on tire hors de terre, prefque fur le bord de la même riviere qui paffe à Chaud-Fontaine: On brife ces pierres avant de les porter aux fourneaux; mais les petits fragmens, la pouffiere & la terre graffe qui accompagnent toûjours ces pierres, font rejettées comme inutiles, lefquelles, la premiere pluye qui furvient, ne manque pas d'entrainer dans la riviere. D'un autre côté, les pierres ou marcafites de foufre ayant passé par le feu pour en faire couler le foufre, laiffent une cendre rouge, que l'on amoncelle au pied de la montagne, pour en retirer, en la detrempant dans des manieres d'étangs, le vitriol verd, que l'on appelle ici couperouse, laquelle fert à teindre en noir. Ces monceaux de cendre restent affez long-temps exposez à l'air avant qu'on les mette en œuvre; ainfi, toutes les fois qu'il furvient de groffes pluyes, il eft inevitable qu'il n'en paffe beaucoup dans la rivière, qui fe joignant aux matieres foufreuses, dont je viens de parler, vont charger le limon de la riviere de foufre & de vitriol. Cela eft fi vrai qu'à quatre pas au-deffus des écoulemens des eaux de la foufrerie, le limon de la riviere n'est pas du tout foufreux, tandis qu'à commencer précisement dans le même endroit, il continue à l'être jusques à Chesnée qui en est distant d'une lieuë & demie, fourniffant liberalement du baume de foufre lorsqu'on le cherche avec l'huile de Therebentine, & fur tout dans le gouffre de Chaud-Fontaine un peu au-deffus des eaux Minerales, parce que le courant fe rallentiffant dans cet endroit, donne lieu au foufre de s'y arrêter plus facilement.
Les trois derniéres experiences font faites fur la refidence des Eaux évaporées; mais Mr. Brefmal se garde bien de s'en fervir pour prouver l'existence de fon foufre, fçachant bien que de quelque maniére qu'il l'y cherchât, il n'y réüffiroit pas. Il aime mieux laiffer l'efprit de fon Lecteur rempli de l'idée du foufre tiré du limon, que de lui parler de celui des Eaux. II tâche feulement de s'en fervir pour prouver l'existence de fon Mars ; mais il le fait d'une maniére fi myfterieufe, que perfonne n'y comprend rien: ce qui l'oblige à dire, que fi on s'y prennoit d'une telle & d'une telle façon, enfin on le découvriroit. Mais dans une chofe de fait comme eft celle-ci, les fuppofitions ne font pas receuës, & il en faut toûjours venir aux demonftrations. Il croit l'acide trop étroitement uni avec le fer, dit-il, pour le pouvoir découvrir. S'il avoit cette pensée, pourquoi n'a-t'il pas eu recours au feu de fufion, qui à coup für chaffant cet acide, auroit donné lieu au fer de paroître fous fa veritable forme? J'en avois donné la methode dans l'article de la Rubrique du Tonnelet, dont le fer étoit fi caché fous le foufre & fon acide, qu'il me fallut employer ce grand degré de feu pour les confumer, & donner lieu au Mars de paroître feul avec fes deux qualités effentielles qu'il avoit comme perdues, à fçavoir, de teindre en noir, & d'être enlevé par l'aimant. C'est de cette maniére qu'il auroit pû rendre auffi à la rouille de fer & au crocus ou faffran de Mars ces deux qualités, lefquelles il croioit détruites.
Il commence fa premiere réflexion par s'infcrire en faux contre ce que j'ai dit que la fource du Gadot a été découverte en jettant les fondemens d'une maison. Hé bien, je paffe condamnation pour cetrait d'histoire, & j'avouerai que ce n'a pas été en creusant les fondemens de la maison; mais bien en creufant un puit, avec obligation de corriger cette faute, s'il arrive jamais que je faffe réimprimer mon Traité. N'eft-ce pas fe mettre à la raison que d'en agir ainfi, & ne dois-je pas avoir lieu d'efperer que Mr Brefmal, qui avouë déja dans ce même article, que l'eau du Gadot n'eft ni chaude, ni tiéde , ni froide, mais enfin engourdie, pour me fervir de mes propres expreffions, entrera auffi dans les mêmes fentimens.
Dans la feconde réflexion, Mr. Bresmal me reproche que fi paffé 25 ans j'avois poussé mon analyse aussi loin qu'elle pouvoit aller, fur les Eaux du Bain de Sauveur, je n'aurois pas compromis les Profeffeurs de Leyde, ni le College des Medecins de Liége. Ce reproche ne fent-il pas plûtôt la réverie, qu'une veritable objection. En quoi, je vous prie, ai-je compromis Mrs. les Profeffeurs de Leyde, voyant que le fel, que je leur envoiai alors, fait toujours les fonctions de fel fixe alkali comme il faifoit alors, fermentant avec les acides & précipitant la folution du fublimé? n'ai-je pas plus de raifon de reprocher à Mr. Brefmal, que fi passé 3 ans, étant député du Collège avec Mr. Burdo fon adjoint, & allant gagner de l'argent au Gadot, il avoit poufsé fon Analyfe auffi loin qu'il étoit obligé de faire, il n'auroit pas compromis ces Meffieurs; mais il leur avoit fait connoître dans fon raport, qu'au lieu de foufre & de mars, ces eaux contenoient du fel qu'il a ignoré jufqu'à préfent, mais pourtant qu'il vient reconnoître, en avouant que ces eaux en font impregnées, avec cette difference qu'il le nomme androguin, afin de ne pas paffer tout-à-fait pour avoir copié les endroits de mon livre où je parle de cette découverte.
Il promet enfuite qu'il fera une analyse de l'eau chaude, pour la mettre en paralelle avec celle de Gadot. Je n'ai pas bonne opinion du jugement qu'il en fera, puisqu'il temoigne affez ici le penchant qu'il a pour la préference des eaux du Gadot fur celles de la fource chaude: Car il dit, mais fans fondement, comme je l'ai déjà prouvé, qu'elles ont plus de foufre, & paffe fous filence cette quantité de fel que la chaude a de plus. Silence pourtant qui prouve que ce que j'ai dit dans mon Traité de cette fuperiorité de fel, eft veritable; autrement il n'auroit pas manqué de s'infcrire encore en faux contre moi. D'autre part, il excuse leur froideur, en difant qu'elles paffent dans une carrière de marbre, qui prive cette eau de fa chaleur actuelle, comme fi le marbre êtant une fois échauffé, pourroit refroidir une eau chaude qui pafferoit continuellement par deffus. Ces raifonnemens font propres pour amufer des femmes & des enfans, mais pas du tout pour contenter des gens qui cherchent de la folidité.
Je ne fçais que penser de l'aveuglement de Mr. Brefmal dans fa reflexion, où il m'accufe d'avoir ignoré que le fel de ces eaux participoit de l'acide, après m'en avoir fi clairement expliqué dans mon Livre à la fin de la page 33., & au commencement de la 34., que je transcrirai ici, pour ne pas vous donner la peine de le chercher ailleurs.
« Outre les vapeurs, ce foufre lui communique auffi fon acide, parce que la cendre tirée de ce mineral fe trouvant confondue avec celle des autres matiéres alkalines, son sel acide vitriolique en est auffi absorbé par le fel alkali des matiéres terreftres, ce qui l'adoucit, & le fait reffembler à du tartre vitriolique, excepté que fes pôres n'êtant pas bien remplis, il fermente encor avec les acides. »
Vous voiez donc manifeftement que je n'ai pas ignoré cet acide mais bien au contraire, que j'en ai parlé mieux que lui, & avant lui, puis que je dis d'où il vient, de quelle nature il eft, comment il s’unit à l'alkali, l'effet que produit cette union, & enfin la raifon pourquoi ce fel ne ceffe pas de fermenter avec d'autres acides qu'on verfe deffus. Au lieu que Mr. Bresmal fe fert d'une feule experience fort douteuse & équivoque, n'êtant pas affeure fi c'eft l'acide qui quitte les pôres de ce fel mineral, pour fe joindre à celui de tartre, ou bien fi c'eft la chaleur du feu qu'il fait fentir à fon mélange, qui le fait dilater & gonfler dans le vaiffeau. Après cela a-t-il raison de m'infulter, en difant que la connoiffance de ce fel m'auroit épargné bien de la philofophie perdue pour expliquer la chaleur actuelle des eaux? Je foûtiens encore, que quand je lui accorderois que ces eaux contiennent fix fois plus de fel qu'on n'y en trouve par l'évaporation, & que tout ce fel feroit faturé ou rempli d'acide, comme eft le tartre vitriolé, il feroit impoffible que la fermentation qui auroit refulté de cette union, pourroit donner à l'eau le même dégré de chaleur que nous trouvons à celle de Sauveur. C'est donc une neceffité d'avoir recours au feu foûterrain, puisque la fermentation des sels n'a pas lieu ici, à moins que Mr. Brefmal ne m'indique un troisième moien, qui ne foit ni la fermentation ni le feu actuel, pour échauffer les eaux dans le fein de la terre.
Voions présentement pourquoi je continue à nommer ce fel alkali fixe, & pas fel double, commele veut Mr. Brefmal; car fans cela il pourroit me dire, que fi je n'ai pas peché contre la realité de la chofe, je l'aurois pourtant fait contre le nom.
Vous favez qu'on appelle alkalis les fels qui ayant passé par le feu, font devenus pôreux, & tellement difpofez dans leur fubftance, qu'ils font en état de recevoir dans leurs pôres ou bien dans leurs vuides les liqueurs acides qu'on verfe deffus avec effervefcence, comme fi un feu les faifoit bouillir. Que ce nom d'alkali leur refte jufqu'à ce que ces pôres foient entiérement remplis par ces acides; qu'alors l'effervefcence ceffant, ils prennent le nom de fel double, fel concret, fel neutre &c., à cause qu'ils participent de l'acide & de l'alkali. Mais je ne crois pas qu'il fût jamais venu dans l'efprit de qui que c e fut, de donner le nom de fel double à un fel alkali, qui n'a que la 4. partie, ou tout au plus le tiers de fes pôres remplis d'acides, comme je l'ai trouvé par experience au fel de Chaudfontaine. Ainfi lors qu'il s'eft agi de parler de ce fel, j'ai crû que le nom d'alkali lui convenoit d'autant plus, que c'est une maxime reçue d'un chacun, que à potiori parte debeat fieri denominatio, & que d'ailleurs j'apréhendois que quelque railleur ne me vînt demander fi on peut dire qu'un jufteaucorps eft doublé, lors que la doublure ne s'étend pas au délà des manches.
Les cinq derniéres reflexions ne font qu'une efpece de repetition de ce qu'il a avancé jusqu'à préfent, auxquelles je ne m'arrêterai pas, pour n'être pas obligé moi-même de repeter ce que je vous ai déjà dit. Il y a feulement un endroit fur lequel je ferai encore une petite apoftrophe avant de quitter la plume. Il nous dit à lapage 45., qu'en débouchant des bouteilles remplies de l'eau du Gadot, après les avoir gardé longtems à la cave, le foufre a paru plus fenfible au goût & à l'odorat. Que prouve-t-il par cette experience, finon qu'il avoit fi bien bouché les bouteilles, que les vapeurs de foufre, que j'accorde à toutes les eaux de Chaudfontaine, fe font bien confervées; mais s’il ne prouve pas pour l’établiffement de ce foufre vifible & palpable, dont il eft question. Ainfi, son experience à la bien prendre, prouve contre lui-même, foûtenant d'ailleurs que fi cette eau en bouteilles avoit une plus forte fenteur de foufre qu'elle n'avoit en les empliffant, cela ne pourroit venir que de ce que les vapeurs de foufre s'êtant infenfiblement dégagées de l'eau, le font venues loger & réunir dans le goulot de la bouteille, pour en fortir en foule & avec impetuofité lors qu'on vient à le déboucher. Jugez fi j'ai raifon, & croyez que je fuis &c.