WWWCHOKIER



Les eaux de Chaudfontaine

LA CONNOISSANCE DES EAUX MINERALES
d'Aix-la-Chapelle, de Chaud-Fontaine, & de Spa,

Par leurs véritables principes,

Envoyée a un ami

par Werner XHROUET (CHROUET), 1729 (seconde édition)

Fontis Bilseldiani - Fontaine de Bielefeld
Exploitation de la fontaine thermale de Bilefeld en 1666, soit un an avant Sauveur à Chaudfontaine
CLIC TO ENLARGE


AVANT-PROPOS


MONSIEUR,
Lorsque j'eus le bonheur de vous rencontrer à Aix, notre converfation, comme vous pourrez vous en fouvenir ne roula prefque fur autre chofe, que fur ces Eaux chaudes qu'on y void, & qui font aujourd'hui tant de bruit dans le Monde.

Nous parcourumes tous les Bains tant de la Ville que de Borfet; on nous fit voir leurs fources; nous fimes bonne provifion de foufre au Bain de l'Empereur; & enfin notre bon Ami M… nous donna de celui qui fe trouve dans le puits de la fontaine, & de celui qu'il avoit fait ramaffer au Bain de la Rofe. Vous examinates ces foufres en plufieurs maniéres, & vous jugeâtes qu'ils étoient exempts d'acreté, & par confequent que c'étoient des foufres véritablement balfamiques. Ce qui étoit à-peu-près le jugement qu'en fit autrefois notre commun Maître feu Mr. de Maets Profeffeur dans la célébre Univerfité de Leide, après avoir fait en public plufieurs expériences fur ces mêmes matiéres. Il attribuoit, comme vous favez, cette privation d'acreté à la fermentation, qui fe fait entre les parties vitrioliques de ce minéral, & celles de quelques corps alkalins qui s'y joignent: d'où il déduifoit auffi la caufe de la chaleur actuelle de ces Eaux, fondé fur cette expérience, que lorsqu'on mêlange une grande quantité de foufre pulverifé avec une partie égale de limaille de fer, & qu'étant humectez avec de l'eau & expofez à l'air, il s'y fait une fi forte fermentation, que fouvent toute cette maffe fe met en flamme.

Nous partageâmes nos foufres en nous feparant, avec promeffe de nous communiquer reciproquement toutes les obfervations, que chacun de nous feroit en les examinant chez foi avec plus d'attention & de loifir, que nous n'avions fait étant à Aix. Je vous dirait donc, que pour être affûré que ce foufre thermal fut auffi doux que nous l'avions crû, j'entrepris d'en tirer la teinture avec l'huile de terebenthine; mais après avoir fait cette extraction, je m'apperçûs que dans la bouteille il reftoit quantité d'aiguilles vitrioliques, qui me firent foupçonner de fauffeté. cette prétendue douceur, & penfer en même tems à une autre expérience, qui verifiât ou condamnât mes foupçons. Pour cet effet je mêlangeai deux onces de ce foufre avec autant de fine limaille de fer, & les ayant médiocrement humectez avec de l'eau de pluye, le mêlange fermenta & s'échauffa tellement de foi-même, que j'avois peine à y tenir la main, ce qui dura pendant plus de deux heures. Après cela je fis fecher cette maffe, qui étoit devenue toute noire, & l'ayant pulverifée je la mis dans une cucurbite de grès, que je couvris d'un chapiteau de verre, & j'en fis fublimer les fleurs par un feu gradué. Ces fleurs ne peférent que fept drachmes, & de blanches qu'elles étoient avant leur mêlange avec la limaille, elles reprirent la couleur du foufre commun. Je remis ces nouvelles fleurs de foufre dans de l'efprit de terebenthine, pour voir fi on y découvriroit encore quelques aiguilles vitrioliques; mais il n'y parut rien, parce que quelque longue que fût la digeftion, il fut impoffible d'unir ce foufre à l'huile de terebenthine, comme j'avois fait avant de l'avoir mis en fermentation avec la limaille; ce que j'attribuai d'abord au manquement d'acides, lesquels je regardai comme enchainez dans les pores de la limaille, & qui par confequent ne pûrent fuivre les parties balfamiques, lorfque le feu les enleva en forme de fleurs à la youte du chapiteau. Pour être pleinement persuadé de la vérité de cette penfée, je fis bouillir dans une médiocre quantité d'eau la matiére qui reftoit dans la cucurbite & après avoir filtré & clarifié cette eau, j'en retirai par évaporation neuf drachmes de véritable vitriol de Mars, qui eft l'équivalent d'une demi-once d'huile acide de vitriol. Le refte étoit la limaille qui n'avoit pas été diffoute, & une drachme de terre rouge, ce qui eft bien peu de chose par rapport à la grande quantité qu'on en trouve, lorsqu'on fait ces expériences fur le foufre commun. J'examinai enfuite cette croute tartareufe, que nous avions détachée des murailles des Bains de Borfet, & que j'avois feparée auffi de notre foufre thermal avant de l'employer aux expériences, dont je viens de vous rendre compte, laquelle le Sr. François Blondel dans fon livre des Eaux d'Aix appelle flos falinus, croyant que c'est un véritable échantillon de ce chaos de fels de différente nature, comme nitre, alun, fel foffile, fel commun, &c. qu'il affûre entrer dans la compofition des eaux & être la caufe de leur chaleur, par le combat qui fe fait entre leurs particules; mais je fus bien furpris de n'y découvrir aucune de ces efpêces de fels: car cette matiére étant broyée avec du charbon de bois, & enfuite jettée dans un creufet rougi au feu, ne fit pas de detonation, & même il ne s'enlevá aucunes étincelles bruyantes, comme il arrive toûjours lorsqu'il entre du nitre dans un fujet. Cette même matiére ne gonfla pas du tout étant mife au feu comme fait l'alun, elle ne petilla pas comme le fel commun, & enfin l'ayant élixiviée, je n'en retirai aucun fel alkali, pas mêm e après l'avoir calcinée. Ajoutez à cela, qu'elle est tout-à-fait infipide, & ne laiffe à la bouche, après l'avoir machée, qu'une efpêce de mucilage: ce que le S. Blondel ayant fans doute remarqué dans fon Chaos de fels, après en avoir fait l'évaporation, prit le parti, pour prévenir les difficultez auxquelles il voyoit fon opinion expofée, de dire pag. 118. que cette matiére n'avoit qu'une médiocre acreté, parce que dans l'effervefcence les fels de différente nature s'étoient adoucis & comme mortifiez. Et dans la pag.152. que les Mineraux des eaux avoient entiérement perdu leur acrimonie, s'étoient comme mortifiez par l'effervefcence. Mais s'ils font mortifiez, & leur acreté entiérement adoucie, comment pouvoir les reconnoitre & en faire les diftinctions fpecifiques qu'il rapporte dans la pag. 116. Nous voyons tous les jours des effervefcences bien plus fortes que celles qu'il fuppofe fe faire entre les fels des Eaux d'Aix, fans que ni la nature de l'Alcali ni celle de l'Acide qu'on verfe deffus fe détruife, ni même que ces fels s'adouciffent trop confidérablement. Souvenez vous feulement de ce qui arrive à l'efprit de nitre, après l'avoir vu bouillonner avec le fel de tartre, ou à l'efprit de vitriol versé sur un fel de la même efpêce. Le prémier redevient un véritable falpetre, & l'autre un fel vitriolique, fi on en fait évaporer lentement toute l'humidité, desquels on peut retirer les mêmes efprits par la diftillation, & enfuite hors de ce qui refte dans la cornue ou reforte u n fel lixiviel femblable à celui de tartre,bque l'on avoit employé dans ces opérations.

L'abfurdité de cette opinion paroit encore davantage, fi on fait reflexion, qu'il eft inconcevable que l'acide du foufre des eaux puiffe fe conferver & se tenir comme neutre, au milieu de cette prétendue effervefcence, lui qui agit fi volontiers & qui fermente fi promptement avec toutes fortes d'Alkalis: au-lieu que le nitre, le fel commun, l'alun, & le fel foffile de notre Auteur, quel. que purs qu'on les fuppofe, font toùjours fans action entre eux, & ne fermentent jamais, ni avec la limaille de fer, ni avec aucun autre Alkali. Si vous n'étes pas abfolument perfuadé par ces démonstrations de Chymie, que la fermentation prife dans le fens de Mr. de Maets, ou dans celui du S. Blondel, ne peut être recevable pour expliquer la chaleur des eaux, n'avez qu'à Vous jetter les yeux fur le foufre du puits de la fontaine & de plufieurs bains que vous avez encore en main, pour être convaincu qu'il eft l'ouvrage d'un feu actuel, car il eft incomparablement plus rarefié dans fes parties, que ne l'est la fleur de foufre commun; il eft plus pur dans fa fubftance; & enfin il ne contient prefque point de terre; qualitez qu'il ne poffederoit pas, fi l'eau impregnée de ces prétendus fels de différente nature l'avoit diffout: car en ce cas il feroit tel qu'on le trouve dans les mines, ou tout au moins aufli charge de terre, que l'eft le foufre commun de la prémiére fonte, qui contien plus d'un tiers de fon poids de terre rouge.

Tout ceci ayant afsès prouvé la néceffité d'un feu fouterrain, il faut présfentement que je vous déclare comment il échauffe les eaux, & de quelle maniére il les impregne de cet admirable foufre, qui les rend fi recommandables dans plufieurs maladies.

Pour avoir une idée claire & diftincte de cela, je m'imagine une caverne fouterraine large de 200 pas & longue de 600, fituée horizontalement, dans le fond de laquelle (que je fuppofe pencher un peu vers le centre de la terre) il y aura une mine de foufre en feu, que ce feu pouffe fa flamme deux cens pas en avant fans être arrêtée par aucun obftacle; qu'après cela, entrant dans un autre espace de la même cavité aufli de 200 pas, elle y rencontre des fources d'eau vive qui la percent en plufieurs endroits, lesquelles ralentiffent d'abord le mouvement de la flamme du foufre mais que ce mouvement retranché au foufre ne fe perd pas, qu'au contraire fe communiquant à l'eau, il la reduit en fines vapeurs, qu'alors toutes les particules de ces vapeurs fe combinent & s'uniffent avec autant de particules de vapeurs de foufre, & qu'ainfi ayant partagé entre elles ce mouvement rapide de flammes, elles avancent fous la forme d'une fumée dans les 200 pas reftans de la cavité que je regarde comme exempte de feu & d'eau, dans laquelle perdant infenfiblement leur mouvement, elles reprenent la véritable forme de l'eau, (impregnées pourtant de petits corpufcules fulphureux, & auffi deliez qu'ils étoient fous la forme de vapeurs) où enfin elle fe partage pour être conduite par différens canaux fouterrains aux différentes fources d' Aix & de Borfet qui lui font aflignées. Comme je connois la pénétration de votre efprit dans tout ce qui concerne la Phyfique, je prévois que vous allez faire quatre ou cinq difficultez contre mon fyftême, qui paroiffent d'abord fort effentielles, & qui fe trouvent auffi entre plufieurs autres de moindre valeur dans le livre du Sr.Blondel, lorsqu'il déclare la guerre au feu fouterrain.

La prémiére eft, qu'il feroit plus facile de rendre raifon ou d'expliquer la chaleur de ces eaux en ayant recours à la fermentation des fels, qu'en préfuppofant qu'elle eft caufée par du foufre allumé, d'autant qu'on ne comprend pas, d'où pourroit venir cette grande quantité de foufre, qu'il feroit nécessaire d'avoir pour échauffer tant d'eau.

La feconde, qu'il feroit impoffible que ce foufre pût brûler, comme je le fuppofe, faute d'air.

La troifiême, qu'il eft inconcevable que l'eau & le foufre puiffent s'unir de la maniére que je l'explique.

Et la quatriême, que fi le foufre étoit la véritable caufe de leur chaleur, il s'enfuivroit néceffairement, que celles qui en ont le plus, devroient être auffi les plus chaudes. Cependant, celles de Borset, qui font chaudes à l'excès, n'ont aucune apparence de foufre, & au contraire plufieurs fources de la ville, qui ne font gueres plus que tiédes, en font fort chargées.

Le St. Blondel, qui fait de la premiére objection, la principale batterie qu'il oppofe au feu fouterrain, n'a pas prévû fans doute, qu'on peut lui retorquer la difficulté avec plus de juftice, en lui demandant à fon tour, d'où peut provenir cette grande quantité de fels de différente nature, qui felon lui caufent la chaleur des eaux? Quantité qui doit être d'autant plus grande, que nous favons par expérience, qu'avec une drachme de foufre allumé on peut caufer plus de chaleur, qu'une once de ces fels de différente nature n'en pourroit caufer, quand même on les fuppoferoit tels que la Chymie les fournit, c'est-à-dire, l'un acide rectifié, & l'autre un pur & véritable alkali, fans aucun mêlange d'eau, qui affoiblit toûjours leur action. Mais pour refoudre directementbla difficulté, je dirai que Dieu peut avoir pourvû en deux maniéres à la confervation de ce feu; ou en proportionnant la quantité de foufre à la durée du monde, ou bien en faifant renaitre par une espèce de végétation autant de cette matiére combuftible, qu'il s'en confume tous les jours, comme le croyent prefque tous les Philofophes modernes, non feulement du foufre commun, mais auffi de tous les autres minéraux & metaux; fans quoi il feroit impoffible de rendre raifon, pourquoi les Monts Vefuve, Gibel, & Hecla ,qui brûlent depuis tant de fiécles, n'ont pas dejà reduit en cendres le Royaume de Naples, la Sicile, & l'Iflande, ou pourquoi ces feux ne s'éteignent pas par le manquement du foufre?

Je répons à la feconde, que la cavité que je fuppofe ne manque pas d'air, & qu'au contraire elle en a en abondance, autrement l'eau ne pourroit fortir de terre, ce qui fe prouve affès par un tonneau empli de vin, dont rien n'en coulera, à moins qu'il n'y ait quelques ouvertures pour y laiffer entrer précifément la même quantité d'air. Appliquez cela aux Eaux d'Aix, & concluez, que puisqu'elles fortent fi abondamment de cette cavité fouterraine, l'air y entre aufli très facilement.

Je ne defignerai pas les routes qu'il prend pour y parvenir, il fuffit de dire, que la terre eft poreufe & crevaffée prefque par-tout, & que l'air eft affès fubtil & pénétrant pour y paffer. Par cette explication on peut encore refoudre une autre difficulté, que plufieurs perfonnes pourroient faire; Pourquoi le feu, ou tout au moins quelques fumées de foufre ne paffent pas par ces ouvertures? La raifon en eft, que les flammes du foufre fe vont éteindre dans les fources d'eau qui en font prochaines, & que ces ouvertures de la terre font continuellement remplies d'un air, qui fe meut impétueufement de la fuperficiede la terre vers notre foyer de foufre allumé, & qui repouffe tout ce qui fe préfente pour en fortir.

La troifiême ne vient que de certaines expériences groffiéres, qui ont donné occafion à quelques préjugez, lesquels paffent préfentement pour des axiomes inconteltables. Comme entre autres, de celles du foufre commun pulvérifé & bouilli dans de l'eau, qui ne s'uniffent jamais enfemble qu'auffi long-tems qu'on les tient fur le feu. Mais fi vous voulez en faire une autre, qui a bien plus de rapport avec ce que je viens de vous dire de l'union du foufre avec les Eaux d'Aix, vous n'aurez pas de peine à concevoir ma penfée. La voici: Prenez un tonneau percé par les deux fonds, & faites entrer par les deux trous les bouts de deux cornues de fer, dont l'une contienne dans la moitié de fa capacité trois livres d'eau, & l'autre quatre drachmes de foufre; Placez ces deux cornues dans deux fourneaux différens, dont le feu foit affès fort pour faire fumer ensemble l'eau & le foufre dans le tonneau; Continuez le feu jufqu'à tant que tout foit paffé de cette maniére dans le tonneau, & puis retirez en l'eau qui y fera paffée, laquelle vous trouverez foufrée & chaude reffemblant prefque en tout aux Eaux d'Aix. Mais ce qui vous furprendra dans cetteo pération, c'eft, que fi vous la faites avec du foufre dépouillé de fon acide, l'eau ne fera pas foufrée, & tout le foufre fe retrouvera attaché à la concavité d u tonneau: Ce qui fait voir clairement, que c'eft l'acide qui fait l'union du foufre avec l'eau; mais que cette union ne peut fe faire, fi préalablement le foufre n'a été divifé en particules fi fines & fi légères, qu'elles puiffent être portées par les particules de l'eau, & en fuivre les mouvemens qui font fa liquidité.

La flamme du foufre contribue encore d'une autre maniére à cette union, en ne permettant pas qu'il fe fublime beaucoup de cette terre rouge, qui par fa pefanteur dégageroit bientôt le foufre d'avec l'eau, mais elle contribue pourtant bien davantage à rendre ces eaux faines, en fubtilifant & attenuant tellement ces foufres, que comme un éclair ils paffent jufque dans les conduits les plus reculez du corps humain, où ils diffolvent & incifent ces humeurs groffiéres & vifqueufes, qui obftruent les vifceres, & après cela les entrainent par les voyes de l'urine.

C'eft auffi ce même foufre ainfi fubtilife, & non un Chaos de Sels mortifiez, qui pénétrant dans les membranes de l’eftomac & des inteftins, excite quelquefois à vomir & purge prefque toûjours, aidé à cela par la fermentation qu'il produit dans les humeurs morbifiques qui s’y rencontrent.

La quatriême difficulté vous paroit pompeufe, & je m'affûre quafi fans replique mais une fimple expérience vous fera connoître comment la nature fe moque de nos raifonnemens. C'eft que fi on filtre de l'eau foufrée au travers de quelque matiére alkaline, comme eft la craye, les cendres de bois, &c. l'acide du foufre s'infinue tellement dans leurs pores, qu'après cela fa partie graiffeufe ayant perdu le lien qui la tenoit attachée à l'eau, s'en fepare, & reste comme embourbée dans les mêmes matiéres qui ont abforbé fon acide. Appliquez cela à la partie de ces eaux chaudes, qui quittant notre cavité fouterraine, où je les crois toutes également chaudes & foufrées, prend la route de Borfet, & vous imaginez qu'en chemin faifant elle rencontre des matiéres alkalines, comme eft la craye, la terre à foulon ou quelque efpêce de pierre qui fermente facilement avec les acides, comme il y en a plufieurs dans le fein de la terre. Vous n'aurez aucune peine â concevoir, qu'alors fon foufre doit fubir lem ême fort, laiffant la liberté à l'eau de poursuivre feule fon mouvement progreffif vers les lieux où elle doit paroître au jour.

Mais comme l'acide de cette eau n'a pas été abforbé par ces alkalis fans fermentation, il s'enfuit de là qu'elle augmente en chaleur à proportion de la quantité de foufre dont elle fe dépouille. C'est pourquoi il n'eft plus furprenant, que celles de Borfet n'ayent pas de foufre & foient fort chaudes; que celles des Bains de la Rofe, de St. Corneille, des Pauvres, & du Puits de la fontaine, qui font dans la nouvelle enceinte de la ville d'Aix, foient fort foufrées & feulement un peu plus que tiédes; & enfin que dans la vieille enceinte celles du petit Bain, de St. Quirin, & de l'Empereur, qui ont un peu fermenté, tiennent le milieu entre les deux autres efpêces, tant du côté de la quantité du foufre, que du dégré de chaleur. C'eft de cette matiére alkaline, qui a ainfi fermenté avec l'acide du foufre, que s'eft formée cette croute tartareufe qui tapiffe les murailles des chambres de tous les Bains de Borfet, parce que la grande fermentation qu'elle a foufferte, a tellement attenué & agité plufieurs de fes particules, qu'elles ont eu affès de force pour s'élancer jufqu'aux murailles, où perdant leur mouvement elles fe font accrochées les unes aux autres, & ont formé cette efpêce de folide. La même chofe eft arrivée à la matiére alkaline du Bain de l'Empéreur , du petit Bain, & de St. Quirin, avec cette différence feulement que comme fa fermentation avec le foufre n'a été fi forte, fes particules n'ont pas auffi été affès fubtilifées, ni fuffifamment agitées, pour fe mouvoir jufques aux murailles des chambres, ainfi fentant l'air elles fe font condensées les unes fur les autres dans les canaux, de la même maniére que les moins fubtilifées & les moins émûes des Bains de Borset se sont liées & condenfées enfemble, pour former ces maffes pierreufes que l'on eft obligé de tems en tems de brifer à coups de marteau pour déboucher les canaux.

Je pourrois en fuivant ces principes rendre raifon de plufieurs autres phénomenes qui paroiffent aux Eaux d'Aix; mais j'aime mieux employer une partie de ma Lettre à vous parler d'une autre efpêce d'eau chaude, qui commence à aquerir beaucoup de réputation en ce pays; Sa fource eft fur le bord de la riviére de Veze, à deux lieues de Liége en remontant cette riviére; Sa chaleur n'eft que tiéde; L'eau en eft fort claire, fon goût eft un peu falé, & elle a une petite fenteur de vin foufré. L'endroit, qui n'eft qu'un petit hameau, porte nom de Chaud-fontaine; ce qui fait juger qu'il y a long-tems qu'elle a été découverte, cependant il n'y a que quelques années qu'on a commencé à la croire de quelque ufage pour la fanté. Peut-être l'a-t-on méprifée, & jugée inutile pour les Bains, à caufe de fon peu de chaleur, & que d'un autre côté on n'en a fait aucun cas pour l'interieur, à caufe du voifinage des Eaux deSpa, auxquelles les Médecins de Liége ont de tout tems fait attention. Je ne fai même si elle ne feroit pas encore aujourd'hui dans le mépris, fans un certain homme nommé Sauveur, qui accablé de pauvreté s'avifa d'en faire les éloges, & d'y conftruire une efpêce de chaumiere avec de petits Bains pour y gagner fa vie. II attira d'abord quelques femmes credules, & comme il vid qu'on fe plaignoit qu'ils n'étoient pas affès chauds il y remédia en faifant chauffer une partie de cette eau fur le feu.

Plufieurs perfonnes y ayant trouvé du foulagement, leur réputation s'eft tellement accrue ces derniéres années, que préfentement on y vient de tous côtez. Il y a même apparence, qu'elle ira toûjours en augmentant, puifque Meffieurs du Chapitre de la Cathedrale de Liége, Mr. le Chancelier, & Meffieurs de la Chambre des Comptes, prévoyant le bien & l'avantage qu'il en reviendra au Public, ordonnérent au Mois de Mai 1713. de creufer en terre, pour dégager la fource chaude de l'eau froide qu'on foupçonnoit de s'y joindre; ce qui ayant affès bien réuffi, fit naître l'envie à un Particulier de Liége d'aquerir le droit de la Chambre, dans l'efpérance qu'avec les connoiffances qu'il avoit du terrain il pourroit pouffer l'entreprise à une plus grande perfection. En effet ayant reconnû que cette eau venoit d'une montagne voifine, & qu'elle traverfoit une prairie qui lui appartient, il la fit couper en quatre grands puits, où il la trouva fi chaude, fi forte, & fi abondante, qu'à l'inftant il prit la refolution d'y conftruire une belle & magnifique maifon avec quarante Bains de différente grandeur, dans lesquels cette eau chaude coulera continuellement par le moyen de plufieurs pompes, qu'une roue fur un bras de la riviére fera agir; ce qui fera avantageux en plufieurs façons, parce que, fans parler de la netteté que ce renouvellement continuel apportera aux Bains on peut aifément juger, qu'elle en fera beaucoup meilleure pour l'ufage, furtout voyant qu'il ne fera plus néceffaire de la réchauffer, comme on étoit obligé de faire celle de Sauveur.

A cent cinquante pas de là, on a découvert en jettant les fondemens d'une maifon une autre fource, qui fans être tiéde, mais à peine engourdie, a eu le bonheur en naiffant d'obtenir l'approbation de Meffieurs du College des Médecins de Liége.

Approbation de la Fontaine tiede nommée vulgairement Gadot, fituée dans le Vallon de Chaud-fontaine, donnée le 13. Novembre de l'An 1711. par les Prefect Medecins compofans le College de Liege, fpecialement convoqués au lieu ordinaire, à la requête du S. de Chefsion, Capitaine de Beaufays.

Nous Préfet & Medecins compofans le College de Liege, vu? le raport des Burdo & Brofmal fpecialement deputés à la vifite de cette Fontaine nouvellement decouverte, les experiences réiterées en nôtre prefence, & celles que nous y avons adjoutées pour un entier éclairciffement. Declarons que cette fource eft impregnée du foufre & du Mars, & par confequent très utile au public. Premierement pour debaraffer par la boiffon de ces eaux les premieres voyes, retablir les levains viciés, corriger l'acrimonie des humeurs, ôter les obftructions des vifceres, & guerir plufieurs maladies de la poitrine. Secondement, nous jugeons ces eaux propres à faire des Bains pour diverfes maladies de l'exterieur. En foy de quoy avons ordonné à nôtre Greffier d'enregistrer la prefente Approbation, & d'en donner copie au dit Sieur de Chefion, & d'y appofer nôtre feel ordinaire.

Lieu (+) du Séel
A. Anraet, Greffier du College de la Medecine.

J'ai copié cette Approbation fur un exemplaire imprimé, que le Proprietaire de cette fontaine m'envoya, dans la croyance que je foufcrirois aveuglément à une décision fi authentique, & que je ferois un de fes protecteurs. Mais avant de lui donner cette fatisfaction, je voulus favoir, fi effectivement elle étoit telle que le rapport en avoit été fait, ayant un peu de peine à me mettre dans l'efprit, qu'à fi peu de distance il fe trouvât deux fontaines chaudes fi opposées par raport à leurs principes: car notez ici par parenthefe, que pour fatisfaire aux importunitez du bonhomme Sauveur, j'avois analyfé il y a plus de vingt-cinq ans les eaux de fon Bain, & il me fouvient très bien qu'étant alors nouvellement gradué, je me fis une efpêce de devoir & d'honneur d'envoyer ce que j'y avois trouvé à nos Profeffeurs de Leide, qui jugérent que c'étoit un fel fixe alkali tenant beaucoup du lixiviel. J'entrepris donc auffi d'en faire l'Analyfe, commençant par la diftillation, qui ne me donna qu'une eau claire infipide fentant un peu le foufre. Enfuite ayant fait évaporer lentement ce qui étoit refté dans la cucurbite, & filtré au travers du papier gris, j'en recueillis un peu de fel fixe alkali, & de la terre gluante, qui s'étoit arrêtée fur le papier. Après cela je voulus reconnoître, fi dans ces matiéres il ne fe trouveroit pas du Mars & du Soufre. A l'égard du prémier , je me fervis de la décoction de galles, qui au-lieu de noircir par l'addition du fel blanchit comme du lait. De plus je tins pendant un quart d'heure la pierre d'Aimant armée de fer fur ces matiéres feparément, fans appercevoir que la moindre particule s'y attacha, comme il arrive toûjours lorfqu'il s'y rencontre du fer; car vous favez que Meffieurs de l'Académie Royale des Sciences en tirent hors des cendres de bois, de l'argille , & hors de plufieurs autres fujets avec le couteau aimanté. Après cela je mêlangeai cinq grains de ce fel qui me reftoient, avec autant de fin falpetre, & après les avoir bien broyez enfemble, je les jettai fur un tuilot rougi au feu, fans qu'il y parut la moindre détonation; ce qui auroit dû arriver, fi le foufre eût été de lapartie. Vous me direz peut-être, que le foufre étant caché dans les vuides du fel alkali, le falpetre ne peut l'enlever; mais fi cela étoit, la poudre fulminante compofée de foufre, de falpetre, & de fel fixe de tartre devroit auffi par la même raison ne pas faire de détonation. Enfin pour ne me laiffer aucun fcrupule fur cette matiére, je fis les mêmes expériences fur la matiére terreftre & gluante, qui n'eurent pas un meilleur fuccès, & qui me convainquirent enfin, que cette eau ne contenoit ni Mars ni Soufre. Je ne veux pas cependant nier, que l'eau ne foit un peu impregnée de foufre, puifque j'ai avancé, que par la diftillation j'en avois retiré une eau infipide, qui fentoit un peu le foufre; mais ce qui fait cette fenteur, ce ne font à mon avis que de fines vapeurs de foufre répandues confufément dans le liquide de l'eau à-peu-près comme dans les Bains de Borfet, fans qu'il foit poffible de pouvoir les réunir & les condenfer pour en faire du foufre vifible & palpable. J'ai auffi fait paffer l'eau des quatre puits nouveaux par les mêmes épreuves. Par la diftillation je n'ai retiré auffi qu'une eau infipide , fentant un p eu le foufre, mais par l'évaporation j'y ai trouvé moins de terre, & le double plus de fel fixe alkali fort doux, qui fermente vigoureufement avec les acides, qui précipite la folution du Mercure fublimé, & enfin qui fait les fonctions d'un bon alkali. La feule différence que j'y trouve, c'eft qu'il précipite en blanc la décoction de galles, comme fait le tartre vitriolé, au-lieu que les fels fixes alkalis la changent ordinairement en rouge. L'effentiel donc de toutes ces eaux consistant dans ce fel alkali fixe, il faut, avant que je vous parle de leur vertu vous dire ma pensée sur son origine. Il n'y a pas d'Apprentif en Chymie qui ne fache, que tous les fels lixiviels, qui font d'ufage en Médecine, fe font par la calcination ou combuftion des mineraux ou des vegetaux, qu'on y veut bien facrifier. Mais tout le monde ne convient pas, que ceux qui viennent du fein de la terre doivent avoir paffé par le feu, plufieurs alleguant que puifqu'il s'y trouve des alkalis terreftres, comme eft la craye, les bols, des pierres, & des metaux qui fermentent avec les acides il fe peut auffi rencontrer entre les fels des alkalis tels par leur nature, comme eft par exemple le fel qu'on retire de l'eau du Nil en Egypte, & c. Pour moi, je crois qu'il y en a de cette efpêce, & de celui qui fe fait par l'action d'un feu fouterrain. Ce qui m'a fait avoir cette pensée, c'est la chaleur actuelle de l'eau de Chaud-fontaine, laquelle on ne peut imputer à aucune fermentation de fon fel alkali avec les acides, puifqu'en ce cas-là le fel qu'on en retire ne feroit pas alkali, mais un fel double, comme eft le falpetre, l'alun, le tartre foluble, & c. qui ne fermentent nullement avec les acides. D'ailleurs, fi la fermentation de ces fels étoit la caufe de la chaleur, il en faudroit tout au moins dix fois davantage qu'on n'en trouve dans l'eau, fans mettre en ligne de compte l'équivalent de la chaleur qui fe perd depuis l'origine de la fontaine, jusques à la fource exterieure. Il eft donc probable, qu'il y a un feu fouterrain aux environs de Chaud-fontaine, qui calcine certaine terre ou matiére terreftre, & que ces matiéres ainfi calcinées étant encore toutes chaudes font détrempées par des fources d'eau froide, qui viennent à couler par-là, à-peu-près comme les lavandieres détrempent la cendre de bois pour en faire la lexive. J'ai d'autant moins de peine à croire cela, que dans le voifinage il fe trouve de grandes miniéres de foufre, qui peuvent fournir la matiére à nourrir ce feu. Mais, me direz-vous, d'où vient que puifque c'eft du foufre allumé qui échauffe ces eaux, elles font d'une nature diamétralement oppofées à celles d'Aix? A quoi je répondrai, que fi les fources de ces eaux étoient expofées à la flamme du foufre & qu'elles la fuffocaffent, comme je l'ai dit de celles, d'Aix, elle feroit néceffairement de la même nature. Mais ces fources fe trouvant trop bas, & apparemment dans l'endroit où les cendres & terres calcinées viennent à tomber d'en haut, il s'enfuit de là, qu'elles ne peuvent emporter que le fel fixe avec quelques particules vaporeufes du foufre, que ces cendres ont entrainé avec elles, ou que l'air, qui fort avec l'eau coulante, emporte de la flamme de foufre, ce qui fait cette petite fenteur de foufre dans les eaux, & qui a fait dire fans doute à Meffieurs du College, qu'elles font impregnées de foufre. Outre les vapeurs, ce foufre lui communique auffi un peu de fon acide, parce que la cendre tirée de ce minéral fe trouvant confondue avec celles des autres matiéres alkalines, fon fel acide vitriolique en eft aufli détrempé par la même eau,& puis en même tems abforbé par le fel alkali des matiéres terreftres, ce qui l'addoucit & le fait reffembler à du tartre vitriolé, excepté que fes pores n'étant pas bien remplis, il fermente encore avec les acides.

Je ne crois pas que vous me faffiez aucune difficulté fur la maniére dont le foufre peut brûler dans le fein de la terre, tout ce que j'en ai dit au fujet de la chaleur des Eaux d'Aix pouvant être appliqué ici. Je paffe donc aux vertus.

D'abord que j'eus reconnu la qualité de l'eau de Sauveur, je conclus qu'elle étoit bonne, non feulement à s'y baigner, mais auffi à boire. Mais la difficulté étoit de perfuader le monde à en venir là. On vouloit des exemples, qui en fait de remédes perfuadent bien mieux que les raifons les plus fortes. D'ailleurs j'étois jeune Médecin, & par confequent fans grande autorité fur les Malades. Je fus donc plus de deux ans fans rencontrer perfonne qui voulut commencer le prémier. Mais enfin le hazard me fournit une occafion pour en faire l'épreuve, fans m'expofer à aucun reproche en cas de mauvais fuccès. Une Femme âgée de quarante ans étant attaquée d'une espèce d'Anafarque, avec une enflure confidérable à la region hypogastrique, ne trouvant aucun foulagement dans les remédes de la Pharmacie, me communiqua l'envie qu'elle avoit d'éprouver les Bains de Chaud-fontaine, dans la penfée que fi elle pouvoit fuer fortement, toutes fes enflures fe diffiperoient. Je pris la bale au bond, & je lui répondis qu'ils feroient merveilles; mais que pour y fuer bien fort il falloit, étant dans le Bain, avaler, comme cela fe pratique à Borfet, quelques verres d'eau prise à la fource.

Elle fuivit mon confeil, & dès le prémier jour cette eau fermenta tellement dans fon corps, qu'elle vomit pluieurs fois très copieufement. Le lendemain les gens qui s'étoient baignez avec elle, lui voyant le vifage, les mains, & les jambes à demi defenflées, l'encouragérent encore à boire & à fe baigner, & ayant continué ce manege quatre ou cinq jours elle les quitta, delivrée non feulement de fon Anafarque mais auffi de cette efpêce d'Hydropifie de matrice qu'elle y avoit apporté. Cet exemple a fervi enfuite comme de pont pour y faire paffer plufieurs perfonnes incommodées de différentes maladies, qui fans cela n'auroient jamais voulu les boire & jufques à préfent je n'en connois aucune qui fe foit repentie de les avoir bûes. Il faut pourtant que je vous avoue, que cette eau agit rarement par le haut, & que cela n'arrive que lorfque la matiére morbifique fe rencontre dans l'eftomac; elle opere plus fouvent par le bas, & ne manque jamais de paffer abondamment par les voyes de l'urine, & lorfque ces parties font chargées de viscofitez heriffées d'acretez acides, comme dans l'Ifchurie, fes effets font fi prompts & fi efficaces, que j'ai eu autrefois bien de la peine à croire, que la petite quantité de fel, qu'elle contient, fut capable de produire des effets fi merveilleux; mais ayant reflechi fur la force avec laquelle le feu fouterrain brûle & calcine les matiéres dont ce fel eft tiré & la comparan avec celle du feu artificiel qu'on employe dans la préparation du fel dont on fait la liqueur Alkaheft de Glauber, ou du fel de tartre pour en tirer la teinture, ma furprise a ceffé, & j'ai cru être en droit d'inferer, que puifque dix grains de ces fels ainfi préparez par l'art peuvent addoucir plus de deux onces du plus fort vinaigre, le fel de nos eaux, qui a quelque chofe de plus doux, pourroit bien auffi addoucir une quantité confidérable d'humeurs
acres dans les reins, dans les ureteres, dans la veffie, & puis par fa qualité detersive detacher & entrainer les vifcofitez qui les tenoient attachées à ces parties fenfibles.

Lorsqu'il y a de la néceffité de déterminer toute leur action par les felles, je charge le premier verre d'une drachme ou deux de fel Polychrefte bien préparé, ou bien j'y fais fondre trente à quarante grains de l'Arcanum duplicatum, faifant boire par deffus à diverfes reprises jufques à huit livres d'eau, & obfervant les mêmes circonstances qu'on obferve en bûvant les Eaux d'Aix.

Je ne parle pas ici des vertus de l'eau des nouveaux Puits, parce qu'elle a été découverte dans une faifon où perfonne ne fe préfente pour boire ou pour fe baigner. Mais comme elle ne differe de celle dont je viens de vous entretenir, qu'en ce qu'elle eft plus chaude & plus chargée de fel alkali, on ne peut fe tromper en concluant, qu'elle fera auffi d'un meilleur ufage tant pour les bains que pour la boiffon.

Voici la Figure du Bâtiment, auquel on travaille fans relâche, malgré la rigueur de l'hyver, afin que tout foit prêt au commencement du mois de Mai, tant pour y loger, que pour s'y baigner commodément.

Je ne puis me refoudre à quitter la plume fans vous communiquer aufli mes Obfervations Phyfiques fur les Eaux de Spa; Le travail, que j'ai employé à les faire, a été des plus penibles & m'a coûté au-delà de ce que vous pourriez vous imaginer; mais comme je ne l'avois entrepris que dans la feule vue de m'inftruire, j'ai été largement dedommagé de mes peines & de ma dépenfe, par le plaifir que j'ai reffenti d'avoir decouvert plufieurs chofes qui m'en ont fait connoître clairement la nature.

J'ai commencé par cette efpêce de terre rouge ou rubrique, que l'on trouve attachée au pavé des puits ou aux canaux par-où ces eaux minérales s'écoulent, laquelle je trouve d'autant plus digne d'attention, qu'elle paroit contenir de véritables échantillons de tous les êtres qui entrent dans leur compofition & cela parce que nous voyons qu'elle s'en fepare non pas par putrefaction ou corruption de fes parties, mais uniquement par fon propre poids, & par la diffipation des efprits qui la foutiennent. Cela eft fi vrai, que fi on expofe à l'air un verre de cette eau fortant de la fource, on y void flotter quelques momens après des corpufcules rougeâtres, qui partent tous de la fuperficie de l'eau, & qui augmentant en nombre, à proportion qu'elle perd fes efprits, vont enfin s'attacher au fond du vafe fous la forme de nôtre rubrique.

Tous ceux qui fe contentent d'en juger par les yeux, affurent que c'est une efpêce de rouille de fer; mais fa grande légérété & une certaine onctuofité, qu'elle laiffe aux doigts après l'avoir touchée, ne confirment pas ce jugement; & j'ajoûterai que bien loin de reffembler à la rouille de fer, celles des quatre ou cinq fontaines, que j'ai examinées avec foin, ne fe reffemblent que fort peu entre elles. Car celle du Tonnelet eft de couleur véritablement rouge, & d'un goût doux comme du fucre; celledu Poubon eft jaune & pique la langue; celle de la Sauveniere eft de la même couleur, mais elle approche de celle du Tonnélet par fa douceur; & enfin celle de la Geronfter eft jaune auffi, mais d'un goût qui paroit falé.

Après ces petites épreuves, j'entrepris d'en faire l'Analyfe dans toutes les formes. Je fis bouillir cinq onces de celle de la Geronfter dans huit livres d'eau de pluye, & l'ayant laiffé clarifier, & puis filtré au travers du papier gris, j'en retirai par évaporation à feu lent deux fcrupules de fel amer & fort piquant qui ne fermenta ni avec les acides, ni avec les alkalis, qui fit changer en blanc la décoction de galles, lequel se précipita au fond du verre comme du lait caillé, laiffant la liqueur furnageante d'un jaune doré: le fel broyé avec du charbon de bois, & mis fur un tuilot rougi au feu, ne fait pas de détonation, & étant calciné feul, il devient d'abord alkali fans fe bourfoufler. D'où j'infererai, qu'il n'étoit ni vitriolique, ni nitreux, ni alumineux, mais que c'étoit un fel double, reffemblant au fel vegetable des plantes, qui comme lui perdvfacilement fon acide par un petit feu, & devient alkali.

Ayant retiré & examiné le fel, je voulus reconnoître s'il s'y trouvoit aufli du foufre. Je mis donc douze drachmes de cette matiére au creufet, qui d'abord répandit une efpêce de fumée fentant le fer brûlé, & qui étincella un peu, d'où foupçonnant qu'il y avoit du foufre, j'en fis broyer avec du falpetre pour voir fi étant auffi mife au creufet, elle ne feroit pas quelque détonation; ce qui n'arrivant pas, me fit conclure que ces fumées & ces étincelles ne provenoient pas d'un foufre reffemblant au foufre commun, mais plûtôt de quelques particules de foufre métallique dégagées du fujet qu'on pourroit bien decouvrir en s'y prenant d'une autre façon.

Je fis donc bouillir douze autres drachmes de cette même rubrique dans une quantité médiocre d'eau de pluye, avec le double de fon poids de bon fel de tartre, jufques à ce que l'eau devint toute rouge; ce que je reiterai en ajoûtant toûjours du même fel, jufques à ce qu'il ne prit plus de teinture. Alors tout le foufre étant entré dans les pores du fel de tartre, je l'en précipitai en verfant fur la teinture partie égale d'eau de chaux bien filtrée. Le mêlange parut d'abord trouble & blanc comme du lait, mais infenfiblement il fe précipita au fond du vafe en forme de foufre blancheâtre, lequel j'eus foin de laver & de bien fecher. Alors étant mis fur le feu, il fuma confidérablement, & détonna un peu avec le nitre, gardant pourtant toûjours fon odeur de fer, ce qui me confirma dans la penfée, que c'étoit un véritable foufre métallique, dont quelques particules avoient été exaltées par les corpufcules ignées de la chaux, mais tellement élaboré avec fon fel double, qu'il ne lui manque que d'être uni & lié avec la partie néceffaire de terre, pour être de véritable fer; car je pense que vous étes du fentiment de ceux qui croyent, que dans le fer il n'y a que ces trois principes, comme je pourrois le démontrer par l'Analyfe de ce métal, & fur-tout vous faire voir, que le foufre & le fel, que je retire du fer, font tout-à-fait reffemblans au fel & au foufre tirez de la rubrique de la Geronfter.

Les douze drachmes, que j'avois mifes au creufet pour être examinées par le feu, diminuérent de la fixiême partie & prirent une couleur de rouge-obfcur. J'en jettai une demi-drachme fur une once de décoction de galles, qui la fit d'abord changer en beau noir. J'en pris encore une autre drachme, à qui je présentai l'Aimant, qui l'attira à foi avec une viteffe furprenante jufques à la moindre particule; ce qui fait voir, que cette matiére est du Mars parfait, fans qu'il paroiffe y avoir rien de mêlangé provenant d'autres métaux, comme plomb, cuivre, cerufe, &c. Cependant fi on la tient au feu plus d'une demi-heure, elle devient rouge comme du vermillon, & perd la faculté d'être enlevée par I'Aimant & de teindre en noir; ce qui arrive auffi à la fine limaille d'acier, fi on la calcine trop long-tems à grand feu.

Ainfi jugeant provifionellement des vertus de l'eau, d'où cette rubrique a été féparée par ce Mars pur & par ce foufre extérieur véritablement métallique, elles doivent être plus grandes que celles du fer même, d'autant que, tandis que ce foufre précieux porté par le fel fel double paffe directement dans le fang pour le ranimer, la partie métallique s'arrêtant dans les prémiéres voyes corrige les fucs trop aigris & corrobore les vifceres, ce qu'elle fait d'autant mieux, qu'étant plus finement divifée qu'il n'eft poffible à l'art de faire, elle agit fur toute l'étendue de leurs fibres.

Cinq onces de la rubrique du Tonnelet travaillée comme la précedente ne m'ont donné que dix grains de fel gras & aigre, comme de la creme de tartre; mais ayant après cela fait rougir au feu la même rubrique, j'en ai encore retiré une demi-drachme; il précipite en blanc la décoction de galles tirant un peu fur le rofé, comme fait la creme de tartre. Si on le calcine, il ne devient pas alkali, comme celui de la Geronfter, & après la calcination il n'en refte que la huitiême partie, qui fe bourfoufle comme l'alun; ce qui m e fait juger qu'il y a de l'alun dans l'eau du Tonnelet, & que c'est là peut-être une des caufes de la froidure qu'on y observe.

Cette rubrique mife au creufet jette des étincelles comme la poudre de charbon de bois, ce qui continue pendant plus d'une demi-heure, & la fumée, qui en fort, fent le véritable foufre commun, auffi étant broyée avec du nitre fait-elle une affès forte détonation. Elle diminue d'un tiers avant que l'odeur du foufre commun fe paffe, & prend une couleur pourprée; mais avec ces préparations elle ne teint pas en noir la décoction de galles, & demeure immobile à l'approche de l'Aimant, il faut le feu de fufion, pour lui faire acquerir ces deux facultez, & le continuer jufques à ce qu'elle ait pris la couleur naturelle de fer; alors la retirant du creufet, on la trouve diminuée de la moitié de fon poids, partie en maffe, & partie en groffe poudre, reflemblant en pefanteur & en couleur au fer, étant fufceptible de l'Aimant, & noirciffant la décoction de galles, comme feroit la limaille de fer. De quoi on ne pourroit rendre raifon, qu'en difant que la grande quantité de foufre commun, qui fe trouve dans cette rubrique, doit être confumée par le feu, avant que le fer puiffe fe manifester, & que profitant de la couverture de ce foufre il foutient le feu de fufion pour réunir fes parties, au-lieu que le fer, qui eft dans celle de la Geronfter, n'ayant pas de ce foufre & étant fort rarefié, ne peut fouffrir la force ni la continuation du feu fans fe détruire entiérement.

Cinq onces de celle de la Sauveniere m'ont donné trois fcrupules de fel femblable à celui du Tonnelet, & faifant les mêmes changemens à la décoction de galles. Il diminue des trois quarts dans la calcination, & ce qui refte eft infipide, ne fermentant avec aucun acide.

Je fis rougir douze drachmes de cette rubrique à un très petit feu, qui d'abord étincella très fort, & qui répandit pendant deux ou trois minutes que je la laiffai fur le feu, une odeur & une fumée de véritable foufre; lorfqu'elle ceffa, & que celle du fer commença à fe faire fentir, je la retirai du feu, diminuée de trois drachmes, ce qui me perfuada qu'elle contenoit une quatrième partie de foufre. Après cela, l'Aimant l'enleva très bien, & elle noircit auffi la galle, ce qu'elle ne fait pas, fi on la tient plus long-tems fur le feu; parce que le tiffu de fon Mars n'étant pas fort ferré, le feu en confume facilement le foufre métallique, & ainfi détruit entiérement ce métal, au-lieu que le feu ne durant qu'un moment, il ne confume que cette efpêce de foufre commun attaché exterieurement, qui par fon onctuofité empêchoit l'action de l'Aimant, à-peu-près comme l'huile ou la graiffe empêche auffi la limaille de fer d'en être enlevée. C'eft par ce foufre fuperficiel que le falpetre, qu'on y joint, fait détonation.

La rubrique du Watros donne le même fel que la Sauveniere, qui non plus que lui étant calciné ne laiffe point d'alkali fixe, mais feulement un peu de terre infipide, le furplus fe diffipant tout en fumée.

Elle fume & étincelle beaucoup au creufet pendant quelque tems, mais cette fumée ne fent pas le véritable foufre: c'est comme une fenteur de tourbes mêlée avec celle de fer, laquelle étant paffée, & celle de fer reftant feule, je la retirai du feu diminuée d'une quatriême partie, fe foulevant après l'Aimant, & teignant fort bien en noir; qualitez qu'elle perd comme la Sauveniere, fi on outrepaffe le degré de feu néceffaire.

J'ai auffi analyfé celle de la vieille Geronfter, qui eft une fontaine à quarante pas au-deffus de la nouvelle, & que plufieurs perfonnes croyent encore être meilleure ou égale à celle qui lui eft voifine; Mais on fe trompe, car de quelque maniére qu'on menage cette rubrique au feu, elle n'eft pas à beaucoup près simartiale que celle de la Sauveniere ni du Watros; elle l'eft encore incomparablement moins que celle de la nouvelle Geronfter, qui de douze drachmes n'en diminue que deux pour être fenfible à l'Aimant dans un degré fupérieur à toutes les autres.

Cinq onces de la rubrique du Pouhon m'ont donné trente grains de fel piquant, gras, & amer, qui étant expofé fur un tuilot rougi au feu, s'exhale prefque tout en fumée d'une odeur defagréable, laiffant une terre noire infipide, qui ne fermente avec aucun acide & quoique fort gras, il ne détonne pas avec le falpetre, il fait changer en blanc la décoction de galles, qui fe précipite quelque tems après en maniére de fromage frais laiffant la liqueur furnageante d'une couleur orangée. Cette rubrique étant mife au creufet avec du falpetre ne détonne pas, & même étant feule elle n'étincelle pas, comme celle des autres fontaines, mais elle exhale feulement une efpêce de fumée qui fent le fer; ce qui eft d'abord un préjugé qu'elle en eft toute compofée: Mais à l'approche de l'Aimant, de quelque maniére qu'elle ait été préparée, elle ne fait aucun mouvement; ce qui eft d'autant plus étonnant, qu'en un inftant elle noircit, très fort la décoction de galles; au lieu que celle des autres fontaines préparée & devenue fufceptible de l'Aimant, excepté celle de la Geronfter, ne la teint en noir que quelques heures après, & encore ce noir a-t-il un fond pourpré. Je fai que vous direz, que cela fe fait, parce que celle du Pouhon eft impregnée de vitriol, mais fi cela étoit, d'où vient que le fel que j'en ai retiré, n'eft pas vitriolique, & qu'il n'en fait aucune fonction? Seroit-il poffible que ce vitriol demeurât fi fortement attaché à la rubrique, que me fervant de tout l'artifice, que les ouvriers employent pour féparer le vitriol commun fortant de la mine de fes terreftreitez, je ne pourrois l'en dégager? D'un autre côté, fi vous entendez que c'eft le feu vitriolique de fer qui produit cet effet, je vous dirai, que bien loin d'être vitriolique, j'ai trouvé que c'est un fel tout-à-fait femblable à celui qu'on retire de la rubrique de la Geronfter, lequel ne noircit pas la galle, & qui auffi ne devient véritable alkali, qu'après lui avoir enlevé par le feu ce qui lui reftoit d'acide. Pour avoir ce fel vous n'avez qu'à éteindre plufieurs fois dans de l'eau froide des barres de fer rougies au feu, filtrer cette eau & la faire évaporer lentement jufques à ficcité. La caufe donc de cette grande noirceur ne pouvant être imputée ni au vitriol extérieur ni intérieur de la rubrique, il faut que je vous déclare de quelle maniére je crois que cela fe fait. Ma penfée eft, que le fer & le vitriol ne produifent ce phénomene que parce que ce font des compofez de foufre, de terre, & de fel dans une certaine proportion, & que dans cette rencontre ils agiffent, comme on le dit dans l'Ecole, à totâ fubftantia, fans qu'aucune de leurs parties prifes féparément puiffent produire cet effet; ce que l'on prouve clairement par le vitriol blanc, qui en perdant ou fon foufre, ou fon fel acide, ou fa terre, perd auffi la faculté de teindre en noir, jusque-là que le tartre vitriolé, fait felon la méthode de Tachenius, avec le vitriol blanc & le fel de tartre bouillis enfemble, bien loin de noircir la décoction de galles, la précipite en blanc. De plus, je connois deux compofitions de Chymie, qui ne font qu'un affemblage de foufre, de fel, & de terre, qui la noirciffent comme feroit le meilleur vitriol; cela étant, je dirai que la rubrique du Pouhon noircit promptement la galle, parce que c'eft du Mars fort rarefié dans le tiffu de fes élemens, & qu'ainfi il fe communique aifément à la galle; ce qui étant comme une imperfection par rapport au fer tel qu'il doit être, la prive d'une de fes plus grandes prérogatives, qui eft de fympatifer avec l'Aimant: car c'est une néceffité pour être du Mars parfait, que le tiffu de fes élemens foit tellement ferré, qu'il n'y ait aucun vuide, dans lequel l'air ou quelque autre corps étranger puiffe fe loger.

Les Drapiers nous donnent un exemple de cela, lorfque pour perfectionner leurs draps defcendans du mêtier, ils les font porter à la foulerie, où les parties fe rapprochent tellement, qu'après cela ils font véritablement draps d'ufage. Mais la chofe eft plus reffemblante chez les affineurs de fer, qui pour rendre auffi le fer fortant de la fonderie, fer d'ufage, & bien fufceptible de l'Aimant, le chauffent dans des fourneaux faits exprès, & puis le battent à coups de gros marteaux, afin fans doute qu'en chaffant les corps étrangers ils obligent les parties véritablement métalliques à fe rapprocher & à s'unir plus intimement.

Voilà tout ce que j'ai à vous dire fur ces cinq ou fix efpêces de rubrique, qui à la vérité donne quelque idée de la nature des eaux dont elles fe féparent, mais qui ne perfuade pas entiérement, à cause que l'on eft accoutumé à les regarder comme un excrement, il faut pour cela avoir des preuves tirées de l'eau même; ce que j'ai entrepris de faire en les évaporant & en les diftillant, de quoi je vai auffi vous rendre un fidelle compte.

J'ai fait évaporer à feu lent cent livres d'eau de la Geronfter, qui étant reduite à deux livres parut fort trouble & bourbeufe, mais l'ayant laiffé repofer, elle devint fort claire par la chûte d'un fediment gris, qui fe précipita d'abord au fond. Cette eau étoit rouge, & fentoit fort la lexive, & l'ayant passée à travers du papier gris, & évaporé à ficcité, j'en recueuillis trois drachmes de fel roux & très piquant, qui fermenta fort avec l'efprit de vitriol. Le fediment gris féparé d'une drachme & demie de terre glutineufe, & feché lentement, pefoit une demi-once; il parut gras étant ferré entre les doigts, détonna un peu avec le falpetre, & jetté feul au feu s'exhala prefque tout en fumée fentant le foufre mêlé de fer. Je ne pûs découvrir ni féparer de la rubrique dans cette matiére fulphureufe, ni dans ces ordures glutineufes & terreftres, qui s'étoient en partie attachées au fond du vafe, lefquelles je rejettai comme inutiles.

Cent livres d'eau du Pouhon évaporée de la même maniére m'ont donné une once de matiére fulphureuse, cinq drachmes de terre gluante, & une demi-once de fel d'une fenteur & d'un goût lixiviels, ne fermentant cependant que médiocrement avec l'efprit de vitriol, troublant la décoction de galles, & lui donnant une couleur pourprée, qui infenfiblement fe précipita au fond en forme de caillé, laiffant l'eau furnageante affès noire; ce que fait auffi le fel de l'eau de la Geronfter, avec cette différence feulement, que le caillé qui tombe au fond refte blanc, fans qu'il y paroiffe rien de pourpré comme à celui du Pouhon. Si on le calcine un peu pour le faire mieux fermenter avec l'acide, il diminue d'abord de la moitié, ce qui n'arrive pas à celui de la Geronfter, qui ne perd que la quatriême partie de fon
poids par le même degré de feu; d'où on peut inferer, que confervant mieux fon acide dans l'évaporation que celui de la Geronfter, c'eft une des raifons pourquoi l'eau du Pouhon fe garde auffi mieux que celle de la Geronfter, étant mise en bouteilles.

Cependant ces fels ainfi calcinez & dépouillez de leur acide noirciffent plus fort la galle qu'auparavant; ce qui eft une preuve, qu'une bonne partie de la rubrique des eaux s'eft cachée dans les pores de ces fels, & qu'en lui ôtant par une légére calcination un peu de foufre fuperficiel, elle eft plus en état de faire impreffion fur les galles: c'eft fans doute parce que les pores du fel fe font ainfi chargez de cette rubrique, qu'on n'en recueuille pas dans l'évaporation, & que l'eau étant reduite à deux livres eft rouge comme du fang, quoique le foufre & la terre, qui vont au fond du vase, foient fimplement jaunâtres, n'ayant aucune des qualitez de la matiére martiale.

Ce fel, avant d'avoir été calciné, fermente médiocrement avec l'efprit de vitriol, & fi après cela on évapore lentement toute l'humidité, on le trouve augmenté d'une fixiême partie; au-lieu que celui de la Geronfter, après avoir fermenté beaucoup plus fort avec le même efprit, augmente d'une troifiême partie. Par cette manoeuvre rendant à ces fels autant d'acide qu'ils en ont perdu dans l'évaporation, on ne confirme pas feulement ce que je viens d'avancer mais auffi on peut calculer par-là, combien chaque livre d'eau doit naturellement contenir d'acide dans les pores de fon fel alkali.

Le foufre étant féparé de fes ordures, fi on le jette fur un tuilot rougi au feu, s'exhale prefque tout en fumée, fentant le fer brûlé, & laiffant feulement un peu de terre & de fel alkali. Il détonne auffi un peu avec le falpetre.

Il est étonnant que ce foufre fe précipite au fond du vafe plûtôt que la rubrique, qui eft bien plus pefante; mais apparemment qu'il n'étoit foutenu dans le liquide que par des acides volatils, qui lui fervoient comme de nageoires, & qui enfin s'étant évaporez par la chaleur du feu ont abandonné ce foufre métallique à fon propre poids, tandis que dès le commencement la rubrique, qui ne tenoit à rien a été comme engloutie dans les vuides de l'alkali.

Ce foufre coagule en une efpêce de lait fort épais la décoction de galles, fans y faire la moindre impreffion de noirceur; ce qui confirme le jugement que j'ai fait ci-deffus, que le Mars s'eft incorporé dans le fel alkali, & que ce n'est fimplement que du foufre qui s'eft précipité au fond du vaiffeau.

A propos de ce fel fixe alkali & de rubrique, je ne dois pas oublier de vous dire, que la teinture rouge, qu'on retire en faifant bouillir la rubrique avec le triple de fon poids de bon fel de tartre pour en précipiter le foufre avec l'eau de chaux, étant remife fur le feu, il fe forme fur la fuperficie une écume blanche & jaune fort reluifante d'un goût affès doux, & qui étant jettée fur un tuilot ardent s'exhale toute en fumée d'une odeur fulphureufe, fort approchante de cette creme c omme émaillée de différentes couleurs, qui paroit tous les jours fur la fontaine du Pouhon avant qu'on l'ait brifée en puifant de l’eau, & qui fe forme auffi fur celle qu'on fait évaporer fur le feu. Toute la différence que j'y trouve, c'est que cette creme eft plus douce, plus diverfifiée en couleurs, & beaucoup plus brillante, & qu'étant mifé au creufet elle exhale une plus forte odeur de foufre. A cela près, elles fe reffemblent affès; car étant fechées elles paroiffent également blanches; fi on les brûle, elles fourniffent du fel fixe en même quantité; & enfin étant broyées avec du falpetre elles détonnent auffi également fort. Ce qui fait juger, que comme mon écume n'eft qu'un mélange de foufre dégagé de fa terre & du fel fixe que le feu a pouffé à la fuperficie de l'eau où ils fe font liez & incorporez comme le fel fixe & l'huile fe lient & s'incorporent en favon, lorfqu'on les cuit enfemble: la creme de l'eau n'est auffi qu'un mélange & une incorporation de ces mêmes matiéres, que les efprits acides en s'envolant hors du puits ont enlevé jusques à la furface de l'eau. Mais parce qu'il eft refté des acides dans les pores de fon fel alkali, comme nous l'avons démontré plus haut, il s'enfuit que cette creme étant plus diversifiée par le nombre de fes élemens, doit être auffi plus diversifiée par le nombre de fes couleurs.

J'ai fait auffi évaporer cent livres d'eau du Tonnelet, qui m'ont donné deux drachmes & demie de fel rouge comme du fang, qu'il fut impoffible de fecher tant il étoit gras & onctueux. Il détonna avec le falpetre de la même force & de la même maniére que fi ç'avoit été du foufre commun. Il ne fermenta que médiocrement avec les acides, & il ne le fit plus du tout après qu'il fut calciné. Ce qui me furprit fort; mais ayant remarqué qu'il fe bourfoufloit prodigieufement dans la calcination, & qu'il y blanchit, j'inferai qu'il contenoit de l'alun, & que l'acide fixe de cet alun étant pouffé par le feu, avoit rempli les pores de l'alkali, que la partie fulphureuse occupoit avant de l'avoir calciné. Il ne noircit pas la décoction de galles ni devant ni après la calcination, c omme fait celui du Pouhon & de la Geronfter; mais il la trouble fort en blanc tirant un peu fur le jaune, fans qu'il fe précipite rien au fond. Outre le fel, il y avoit cinq fcrupules de marc ou résidence terreftre, qui fuma beaucoup au creufet, qui détonna affès bien avec le falpetre, & qui après avoir été fort calcinée noircit la décoction de galles: ce qui fait juger, que la rubrique n'ayant pû être engloutie par le fel s'étoit précipitée avec les terreftreitez fulphureuses.

Hors de la même quantité d'eau de la Sauveniere je n'ai retiré qu'une drachme de fel d'une odeur & d'un goût lixiviels, qui fermenta affès bien avec l'efprit de vitriol devant & après la calcination, qui n'eft pas fi gras ni fi rouge que le précedent, & qui fe feche facilement; il détonne pourtant un peu avec le falpetre, ce qui eft une preuve qu'il y a auffi du foufre commun; il trouble en blanc grifâtre la décoction de galles, fans permettre qu'il le précipite rien au fond.

Il n'y avoit qu'une drachme de résidence, femblable en tout à celle du Tonnelet, excepté qu'elle ne fume pas tant fur le feu, & qui après cela étant bien lavée noircit auffi la décoction de galles. Ce qui eft fort oppofé aux deux autres fontaines du Pouhon & de la Geronfter, dont les marcs ou réfidences fulphureufes étant calcinées ne font que troubler en blanc la décoction de galles, fans y caufer la moindre noirceur, leurs fels poffedant feuls cette faculté. De quoi on peut rendre facilement raifon, en faifant reflexion que le foufre des eaux du Tonnelet & de la Sauveniere n'étant pas métallique comme celui des deux fontaines en queftion, mais femblable au foufre commun, l'acide qu'il contient naturellement doit le porter dans les pores du fel fixe, à mefure que ce fel s'alkalife dans l'évaporation de l'eau, où s'étant une fois logé, il bouche l'entrée à la rubrique véritablement martiale, qui eft obligée enfuite de fe confondre & de fe précipiter au fond, avec les terreftreitez fulphureufes. C'est pourquoi il ne doit pas être furprenant, que le fel, qui ne contient pas de Mars blanchiffe la décoction de galles, & que le marc, qui en contient, ayant été calciné & lavé la noirciffe, & que tout au contraire le fel du Poubon & de la Geronfter, qui contiennent le Mars, noirciffe la décoction de galles, & le marc fulphureux, qui n'en contient pas, la blanchiffe. Cependant ces quatre fortes de rubrique quittent l'eau de la même maniére, n'ayant befoin pour cela que d'être un peu chauffée & puis expofée à l'air. Celle de la Geronfter en donne 4. grains fur une bouteille, le Pouhon trois, la Sauveniere un & demi, & le Tonnelet deux.

De l'évaporation des eaux je paffai à la diftillation, pour tâcher de rendre fenfible & de découvrir la nature de ces efprits, que l'on regarde comme leur ame, & à qui on attribue la force de faire bouillir les eaux par une fimple tiédeur, d'enivrer ceux qui en boivent plufieurs verres, de caffer les bouteilles lorsqu'on les bouche immédiatement après les ávoir emplies, & de faire fauter l'eau avec impétuofité hors d'une bouteille en la débouchant fubitement après l'avoir bien agitée. Pour executer d'autant mieux ce deffein, je fis faire des cucurbites de verre affès larges & épaiffes, hautes d'environ deux pieds, recourbées en demi-cercle depuis le milieu jusques au bout, lequel je fis feeller hermetiquement, de forte qu'elles n'avoient de communication avec l'air, que par un tuyau de la même matiére que j'avois fait placer à quatre pouces de leur bafe, lequel s'élevoit trois pouces en dehors. Ce fut par ce tuyau que je fis entrer de l'eau du Pouhon dans une de ces cucurbites, jufques à deux pouces au-deffus de fon infertion, afin que la furface de la groffe colomne d'eau, qui occupoit une partie de la courge, fe trouvant élevée au -deffus du niveau de cette infertion, les efprits qui s'en enleveroient fuffent tous contraints de fe porter vers le recourbement. Et pour empêcher aufli que la petite colomne d'eau, qui étoit dans le tuyau, ne perdit fes efprits, j'eus foin de mettre dans fon petit efpace vuide un bon bouchon, que l'on couvrit & ferra en dehors avec plufieurs doubles de veffie liez par-deffus. Les chofes étant ainfi difpofées, je mis la cucurbite dans de l'eau tiéde, que j'entretins dans fa tiédeur, jufques à ce que la minérale, qui étoit dans la cucurbite, eût aquis le même degré de chaleur; alors on la vid bouillonner comme fi elle avoit été expofée fur le feu; mais cela ne dura pas long-tems, parce que tout d'un coup le verre fe brifa avec tant de force, que les piéces en furent pouffées à quatre pas de là. Ce phénomene m'ayant convaincu de l'existence & de la force des efprits, je crus que pour les obtenir, il falloit avoir recours à un diftillatoire qui pût refifter à leur impétuofité. Je fis donc faire une cucurbite d'étain, qui ne différoit de celles de verre qu'en ce qu'elle étoit beaucoup plus grande, & qu'au-lieu du recourbement pour y recevoir les efprits, j'y avois fait adapter un gros chapiteau avec un bec aveugle, long & fpacieux, qui fervoit de recipient. Le tuyau planté à quatre pouces de la bafe étoit auffi le feul endroit, par où on pouvoit y faire entrer quelque chofe, ayant en grand foin qu'on foudât tellement le chapiteau avec la Courge, qu'il n'y reftât pas la moindre Quverture.

Je fis porter ce diftillatoire à Spa le 5. Mai1713. & le même jour nous en fimes l'épreuve (de concert avec Mr. le Docteur Cocquelet refident à Spa, qui fait parfaitement bien la pratique des eaux) à la fontaine de la Geronfter, qui a la réputation d'exhaler plus d'efprits qu'aucune des autres fources. Nous y fimes entrer l'eau en la plongeant dans le puits, & nous eumes foin de la faire monter à un doigt près de l’extrêmité afin qu'il n'y eût pas d'efpace vuide entre le bouchon & la fuperficie de l'eau, pour y recevoir les efprits, & qu'ainfi ils fuffent tous obligez dans la diftillation de monter vers le chapiteau; on affûra le bouchon avec cinq ou fix doubles de veffie mouillée, & comme on avoit fait un bord plus relevé au bout du tuyau, la ligature fut bien affermie. Cela étant fait, nous commençâmes à échauffer doucement notre diftillatoire avec de l'eau tiéde augmentant la chaleur par degré jufques à la faire bouillir.

Pendant la diftillation, qui dura quatre heures, il parût un phénomene, qui exerça fort notre curiofité, & qui à la fin devint fort furprenant. C'eft qu'entre le bouchon & la veffie ainfi liée & redoublée par-deffus, il fe vint loger une affès grande quantité d'efprits, qui tendit fi fort la veffie, que nous attendions à tout moment de la voir crever, & qui continua de la même force, malgré le refroidiffement que nous procurâmes à notre machine en la plongeant dans le puits. M. le Docteur Cocquelet vouloit à toute force percer la veffie pour reconnoitre ce que ce pourroit être, mais je le priai d'attendre que nous euffions prémiérement retiré ce qui pouvoit être monté au chapiteau; ce que nous fimes en perçant le bout de fon bec, avec un petit ftilet, d'où il fortit environ deux onces de liqueur, que nous recueuillimes dans une bouteille. Mais comme les derniéres gouttes paffoient, voici cet efprit, qui s'étoit logé entre le bouchon & la veffie, qui repaffe non feulement fous le bouchon, mais qui defcend auffi au travers de cette petite colomne d'eau contenue dans le tuyau & enfuite franchiffant plus de trois pouces de la groffe colomne d'eau qui étoit dans la courge, va fe porter au haut du chapiteau, & de là paffe avec un grand fifflement au travers du petit trou, que nous avions fait au bec du chapiteau. Il n'avoit ni goût ni fenteur, & j'ai tout fujet de croire, que c'étoit de l'air enfermé dans ces corpufcules que l'on void flotter dans l'eau, & qui fentant un peu de chaleur fe met en mouvement & brife fes prifons. Auffi voyons nous, que ces corpufcules paroiffent déchirez, & qu'ils viennent tous de la fuperficie de l'eau, jufques où l'air les avoit portez avant de pouvoir s'en dégager.

L'efprit ou la liqueur diftillée, que nous avions recueuillie dans une bouteille, avoit une amertume defagréable & une fenteur de foufre très forte, il me femble même qu'on pourroit dire, que c'étoit tout le foufre en abrégé, que vingt-quatre livres d'eau contenoient dans une grande étendue, parce que l'eau, que nous vuidâmes après la diftillation hors d e la courge, n'en avoit plus aucune marque. Le lendemain nous diftillâmes de la même maniére celle du Poubon, qui ne nous donna qu'une liqueur aigrette fans aucune fenteur de foufre, & qui fut fuivie de cet air avec le fifflement qui s'étoit fait entendre à la Geronfter. La force de cet air parut encore plus fenfiblement dans une de nos cucurbites de verre, que Monfr. Cocquelet fit emplir jufqu'au tiers de la même eau, laquelle fentant une chaleur feulement tiéde s'éleva plus de quatre pouces dans le tuyau, au-deffus du niveau de celle qui étoit dans la courge. Avant cela, ce petit degré de chaleur l'avoit fait bouillonner dans une infinité de petits endroits, comme elle avoit fait dans la prémiére cucurbite qui fe caffa; ce que l'on ne peut attribuer qu'à la force élastique des particules de l'air, qui par le fecours de cette petite chaleur fe dégageant de leurs prifons, écartent prémiérement les particules de l'eau qui l'environnent en contrefaifant le bouillonnement, & puis étant toutes réunies compofent cette petite maffe d'air, qui fait monter l'eau dans le tuyau quatre pouces au deffus de fon niveau. Ces derniéres expériences m'ayant convaincu que c'étoit de l'air, & non des efprits inflammables, qui faifoit toutes ces violences dans les eaux, je crus qu'il étoit inutile de paffer à la diftillation de celles du Tonnelet & de la Sauveniere, & qu'il valoit mieux employer mon tems à découvrir la maniére, dont cet air, l'efprit acide, le mars, le foufre, & le fel, que j'y avois trouvé, entroient dans leur compofition.

Il y a plufieurs maniéres, dont les minéraux & les métaux peuvent fe joindre à l'eau dans le fein de la terre, mais je n'en connois que deux qui ayent quelque rapport à nos eaux de Spa; l'une eft, lorfque la mine étant encore toute molle, eft lavée par une eau coulante, laquelle fe charge de ce qu'elle y trouve de plus diffoluble; & l'autre préfuppofe une eau impregnée d'acide, qui rencontrant la mine dure & folide , la diffout & l'entraine avec elle. C’eft de cette derniére façon que la plupart de ceux qui raisonnent fur les eaux d e Spa, croyent qu'elles s'impregnent d'une efpêce de vitriol de Mars, qui fe fait de l'incorporation de cet acide avec la matiére métallique, & ils la prouvent par le goût approchant de celui d'une eau fimple, dans laquelle on a fondu du vitriol de Mars, par la noirceur qu'elles prenent de la galle, & par les effets qu'elles produifent dans le corps humain. J'ai été long-tems prévenu en faveur de cette opinion; mais n'ayant pû découvrir par aucune expérience ce prétendu vitriol, j'ai été obligé de prendre parti ailleurs. Vous me direzpeut-être, que l'acide, qui avoit diffout la mine de fer pour en compofer ce vitriol de Mars, eft fi fubtil, qu'il s'envole dans l'évaporation que je fais pour le retirer, & qu'abandonnant ainfi la matiére métallique, ce vitriol de Mars fe détruit. Si cela étoit, le fel alkali que j'en tire ayant fes pores beaucoup plus larges, devroit en conferver encore moins; ce qui est contraire à mes expériences, & furtout à celles que j'ai faites fur les rubriques de la Sauveniere, du Tonnelet, & du Pouhon, qui ne donnent que du fel acide fixé dans un peu de terre & de foufre. L'autre opinion, qui préfuppofe la mine tendre & molle, s'accorde mieux avec ces mêmes expériences, & peut fervir de base pour expliquer tous ces phénomenes, dont je vous ai parlé. Mais avant de l'employer je juge néceffaire de vous déclarer, comment je crois que cette mine de fer végéte dans le fein de la terre.

Suivant l'Analyfe que j'ai faite plufieurs fois de ce métal, c'eft un compofé de terre reffemblant à de l'argille, de foufre affès fixe, & d'un fel double, c'est-à-dire, moitié acide, & moitié alkali. Comme cette compofition n'a pû fe faire, fans que ces différens principes fe lient & fe pénétrent en différentes maniéres, & que d'ailleurs ils font tous fixes, excepté l'acide dont le fel eft imbu, je crois que c'est lui qu'on doit auffi regarder comme le grand mobile de tout l'ouvrage.

Préfuppofant donc, que cette terre mêlée de foufre & de fel fixe alkali exifte dans le fein de la terre, l'acide de l'air fubtil & toûjours en mouvement, venant à fe concentrer dans le fel, doit y exciter une fermentation, qui à la vérité ne peut être ni prompte ni des plus fortes, à caufe de l'obstacle que la grande quantité de terre y apporte, mais fuffifante cependant pour faire par degrez gonfler & dilater la maffe, jufques à ce que tout étant bien tiffu & uni enfemble, la fermentation vienne à ceffer. Alors cette maffe gonflée & dilatée commence à fe retirer en elle-m ême , en expulfant l'air qui étoit logé dans les vuides de fa rarefaction, & ainfi infenfiblement jusques à ce que fes particules intégrantes fe foient tellement condenfées & rapprochées les unes des autres, qu'elles puiffent devenir la propre matiere ou Marcaffite de fer. Mais fi quelque eau vient à couler au travers de cette maffe, avant qu'elle fe foit ainfi condenfée & étant encore toute molle, il est évident qu'elle doit en la fondant & la détrempant fe charger des différentes fubftances dont elle eft compofée, à favoir, du Mars déjàformé, du foufre, & du fel, que l'efprit acide de l'air commençoit à mettre en œuvre, & cela d'autant plus que cette efpêce de végétation fouterraine fe faifant fucceffivement, il eft comme impoffible que la partie de cette maffe, fur laquelle l'efprit de l'air a fait fes prémiéres impreffions, ne foit entiérement élaborée, avant que l'autre foit prefque ébauchée. Vous m'objecterez fans doute, qui fi cela fe faifoit ainsi, l’eau n'attendroit pas jufques à ce qu'une partie de cette maffe fût formée en métal, mais qu'elle devroit la laver d'abord que l'efprit de l'air l'auroit un peu rarefiée, & ainfi n'entrainer avec elle que le fel, la terre, & le foufre, & non du Mars formé. A quoi je répondrai, que la maffe ne devient pénétrable qu'après que l'air qui y étoit enfermé fe délivrant enfin de fes prifons, fait plufieurs ouvertures ou crevaffes à cette maffe, par lesquelles l'eau s'infinue dans les vuides qu'il a laiffez, où elle fe charge de ces différentes fubftances. L'air cependant n'en fort pas entiérement; car celui qui fe trouve engagé dans le Mars déjà formé y refte, fans pouvoir s'en dégager autrement qu'en entrainant avec foi le même nombre de particules métalliques, dans lefquelles il fe replie, formant autant de veficules, qui reffemblent à celles qui fe font lorsqu'on bat de l'eau dans laquelle on a fondu du favon. Cet air ainfi enfermé s'abandonne enfuite au coulant de l'eau qui vient détremper la Marcaffite, & par fa légérété y tient le métal fufpendu imperceptiblement, à caufe qu'à force d'être dilaté dans fa fubftance il est transparent; mais d'abord que l'air trouve lieu d'en fortir, ces veficules retirent & rapprochent tellement leurs parties, que la tranfparence ceffe à l'inftant, & ainfi devenant tout-à-fait fenfibles & abandonnées à leur propre poids, on les void fe précipiter de la furface de l'eau, où l'air les avoit portées avant que d'avoir pû s'en dégager.

C'eft fans doute ce même air, qui en rompant ces veficules cause ce bruyement & ce bouillonnement, que l'on void arriver à l'eau nouvellement puifée & expofée à une chaleur fimplement tiéde. Phénomenes qui font fuivis de la perte prefque totale du goût vitrio- lique & piquant, qu'avoient les eaux en fortant de la fource, & qui ont donné lieu à ceux qui ont examiné ces eaux de dire, qu'elles contiennent un vitriol de Mars volatil, & des efprits fi fins & fi pénétrans, que la moindre chaleur les diffipe, fans que par aucun artifice il foit poffible de les arrêter. Cependant tout cela ne dépend que de la deftruction des veficules martiales heriffées de quantité de pointes de notre acide aërien, qui en cet état contrefont le goût de vitriol de Mars, mais qui ceffe d'abord que l'explosion de l'air, déchirant ces veficules & les fécouant rudement, détache les pointes acides plantées dans cette fubftance mince & déliée, qui vont après cela nager confufément dans l’eau, tandis que le Mars, avec qui elles étoient combinées, va tomber au fond du vafe, où il paroit enfuite comme une efpêce d'excrement. Vous voyez donc bien, que pour boire les eaux dans toute leur force & bonté c'eft une néceffité de venir à la fource, parce que leurs vertus dépendent autant de cet admirable arrangement, dont je viens de vous expliquer le mé chanifme, que de la quantité & de la qualité de leurs différens élemens. C e qui fe prouve affês par l'exemple de la poudre à canon, qui doit toute fa force, non à la quantité de foufre & de falpetre dont elle eft formée, qui féparément font fans action, mais uniquement à la proportion & à l'union qui fe fait de l'un avec l'autre.

Vous ne manquerez pas de m'objecter encore, que cet efprit acide de l'air, à qui j'attribue tant de vertus , eft imaginaire, & qu'il faudroit, avant de le faire agir fi généralement & fi efficacement, le bien prouver. Cela m'eft facile, n’ayant qu’à vous alleguer l'exemple de la vieille chaux, qui demeurant long-tems expofée à l'air s'impregne d'un acide volatil & devient falpetre; celui des cendres de bois & de la terre brûlée, qui après cela ne contenant qu'un fel fixe alkali ne peuvent fervir à la végétation, ni former ce fel double dans les plantes qu'elles produifent, à moins que cet acide étheré ne s'y joigne. C'eff par cet artifice quevles habitans de Spa fans en favoir la raifon tendent des piéges à ce Pere de la végétation , pour l'obliger à s'arrêter fur la fuperficie de la terre, fans quoi elle eft prefque par-tout fi ingrate, qu'elle ne produiroit rien pour leur nourriture. Je vous dirai pourtant ici en paffant, qu'avec tout ce travail ils ne lui font produire que du feigle & de l'avoine, & que fi l'on y mange du pain de froment & d'épautre, il faut les faire venir d'ailleurs. Il y a encore une chose affès curieufe à l'égard de ce terroir, c'eft que la terre brûlée ne porte que deux ans, mais celle qui a été rechargée de chaux demeure en vigueur vingt-cinq à trente ans, portant indifféremment toute forte de grains; ce qui dépend à mon avis, des pores de la chaux, qui étant faite d'une matiére plus folide que le fel fixe des cendres de bois & de gazons, ne fe détruifent pas fi facilement, & font en état par confequent de fervir plus long-tems à cette espèce de magnetifme.

Après cette digreffion, je reviens aux eaux, pour tâcher par les mêmes principes de connoitre la nature de chacune d'elles en particulier, & en quoi elles different les unes d'avec les autres. Il est conftant, qu'il n'y a pas de différence effentielle entre toutes ces fources, les unes & les autres tirant leur origine du Mars ou de la matiére dont il eft formé, excepté celle du Tonnelet, qui a un peu d'alun, qui lui eft communiqué en passant fur quelque terre alumineufe. Toute la différence eft purement accidentelle, dépendant du plus ou du moins des mêmes élemens, ou de leur différente élaboration.

Dans la terre-mére de la Geronfter le fel alkali fixe étant très abondant, & plus fort que dans aucune des autres, la fermentation, qui résulte de sa jonction avec l'acide aërien, eft fi violente, qu'une partie de fon foufre en eft volatilifé, dans le même tems que celui, qui demeure accroché entre les fels fermentans, eft tissu & travaillé en véritable Mars, laiffant outre cela encore du foufre métallique & du fel double en quantité, qui n'ont pû être élaborez avec la terre pour devenir du Mars parfait, avant que l'eau foit venue les enlever. Ainfi une bouteille de cette eau eft une potion médécinale, qui fort de la terre préparée, compofée d'une grande quantité de cet acide aerien légérement attaché à nos fels, à nos foufres & à la matiére métallique, de quatre grains de Mars divifez en un million de parties, de fix grains de fel double, de fept grains & demi de foufre métallique, & d'un fcrupule d'efprit fulphureux, qui femble y avoir été ajouté tout exprès par la Providence pour fervir de correctif à la froideur actuelle de l'eau, fans parler des grands effets qu'il produit fur les caufes de différentes maladies.

Dans le Pouhon la terre & le foufre prédominant fur le fel fixe alkali quoi qu'abondant, la fermentation n'a pû y être affès forte pour faire fublimer en efprits, ni bien élaborer en métal, le foufre qui s'y rencontre, ce qui a rendu fon Mars imparfait, & a fait qu'il n'y a pas de foufre fpiritualifé comme dans la Geronfter, mais
le double davantage de foufre métallique foutenu dans l'eau par une bonne quantité de notre fel végétable; ce qui rend cette eau d'autant meilleure, que quand même elle perdroit fon Mars par la diffipation de ce peu d'air qu'elle cache dans fes véficules, elle ne laifferoit de fe conferver long-tems, fans que fes forces ni fa bonté diminuent trop confidérablement. Ainfi on peut conclure, qu'étant fi riche en minéraux & la moins chargée de matiére aërienne, elle eft la plus propre de toutes à être tranfportée; mais que la Geronfter tenant fes principales forces du Mars parfait & de ce foufre fpiritualisé, qui fe féparent fi facilement de l'eau, on doit la boire à la fource.

Tout ce que je viens de vous dire de la différente modification ou élaboration, que le foufre des eaux de la Geronster & du Pouhon acquierent par la fermentation, fe prouve clairement par ce que nous obfervons à celles du Tonnelet & de la Sauveniere, qui manquant de fel fixe alkali, comme nous l'avons remarqué dans l'Analyfe de leur rubrique, ou bien n'en ayant pas au-delà de ce qui eft néceffaire pour former un peu de matiére martiale, la fermentation avec l'acide de l'air doit ceffer après ce petit ouvrage, laiffant le foufre fans élaboration & prefque femblable au foufre commun, fur-tout celui du Tonnelet, à cause qu'étant en plus grande quantité dans cette terre-mere, il a dû fouffrir encore moins de changement. Ces deux fontaines font auffi plus rafraichissantes que les autres, non feulement parce que leur foufre n'eft ni métallique ni volatilifé, mais auffi parce que beaucoup de l'acide de l'air n'ayant pas trouvé de fel alkali pour s'incorporer, s'eft lié avec un peu de terre & de foufre, comme nous l'avons remarqué plus haut. Ainfi ce n'eft pas fans raifon qu'on les ordonne pour rafraichir le fang & pour dissoudre le fable & la pierre dans les voyes de l'urine, préferant cependant la Sauveniere au Tonnelet, tant à cause de la crudité de fon foufre, que parce qu'il s'y trouve de l'alun, dont l'adftriction m'eft fufpecte, lorfqu'il s'agit de dilater les paffages pour donner issue aux matiéres grofliéres & fablonneuses.

Outre ces obfervations, que je vous ai rapportées avec autant de vérité que vous le pourriez fouhaiter, & qui tendent toutes à vous donner une idée claire & diftincte de la nature de ces eaux, j'en ai fait un grand nombre d'autres, qui font connoitre de quoi ces différens foufres, ces fels doubles, ces rubriques, &c. font capables étant donnez dans plufieurs maladies; d'où on pourroit encore tirer des lumiéres pour étendre l'ufage des eaux, d'où ces matiéres ont été tirées; mais cela nous meneroit trop loin, fi j'entreprenois de vous en parler ici. Il vaut mieux remettre cette difcuffion à une autrefois & finir, après que je vous aurai encore entretenu un moment de ce que j'ai trouvé dans l'eau de Chevron, qui s'eft déclarée depuis quelque tems la rivale de celles de Spa, & qui prétend aujourd'hui d'en triompher abfolument.

Ses Partifans difent, qu'elle eft plus forte, plus martiale, plus légére de deux drachmes fur chaque bouteille, & qu'elle eft imbue d'un vitriol de Mars plus abondant & plus doux qu'aucune des fontaines de Spa. Meffieurs de Spa répondent, que fi tout cela étoit vrai, leur propre mérite devroit les bien établir & en procurer un bon debit, fans qu'il fût befoin pour cela d'emprunter ni le nom ni le cachet qu'on applique
ordinairement fur celles de Spa, mais que pour couper court & mettre fin à la difpute ils s'en rapportent à la décifion de Meffieurs du Collége des Medécins de Liége prononcée le 7. Octobre 1711. en ces termes.

« Nous les Medecins compofans le dit College declarons, que les eaux de Chevron prennent plus de tincture avec la noix de galle, que celle du Pouhon de Spa, à raifon d'un fel acre vitriolique & fixe, dont elles font impregnées au delà de celles de Spa, qui ont un fel de Mars beaucoup plus temperé par des parties fulphureufes qui émoussent leur activité, par-où nous les eftimons incomparablement davantage, ayant reconnu & reconnoiffant tous les jours, que les plus vitriolées, où l'acide prédomine ouvertement, ne fe prennent pas impunement par les perfonnes incommodées de maladies de poitrine, de catharres, & autres accidens, où un acide mordicant peut être nuifible &c. »

Au milieu de ces conteftations ne fachant à quoi m'en tenir, & curieux pourtant de connoitre la vérité, je crus que le plus court & le plus affuré étoit de faire la même chofe avec cette eau, que j'avois fait avec celles de Spa.

La rubrique de cette fontaine reffemble en couleur à celle de la Geronfter, & la fumée, qui en fort lorfqu'on l'expofe fur le feu, fent le fer brûlé. Elle diminue d'une quatriême partie avant qu'elle ceffe de fumer, & ce qui refte après cela eft un peu plus rouge, noircit la décoction de galles extrèmement fort, & s'attache à l'Aimant, dès qu'on l'en approche, avec autant de promptitude que celle de la Geronfter, foutenant comme elle un feu affès violent, fans perdre aucune de ces deux qualitez. Elle ne détonne pas avec le falpetre; ce qui fait voir que fon foufre eft mieux élaboré que celui du Tonnelet & de la Sauveniere. Je n'ai récueuilli que quinze grains de fel de cinq onces de cette rubrique bouillie dans l'eau de pluye, plus doux au goût & beaucoup plus foible que celui de la Geronfter, qui devient alkali à un très petit feu, en diminuant de la moitié de fon poids, & fermentant affes bien après cela avec l’efprit de vitriol.

Il trouble en blanc la décoction de galles, laquelle change en jaune doré après la féparation d'un mucilage très blanc, qui fe précipite au fond. Ainfi vous voyez bien, qu'ici comme à Spa il n'y a aucune efpêce ni apparence de vitriol voyant que ce fel ne noircitpas la décoction de galles, mais que c'eft à la matiére martiale à qui on doit attribuer cette vertu.

Cent livres d'eau évaporées à feu lent m'ont donné une drachme & demie de fel fixe alkali peu mordicant & foible, qui pourtant fermente médiocrement bien avec l'efprit de vitriol, & une drachme de foufre métallique, qui étant mife au feu fume beaucoup & fent le fer brûlé, & qui ne détonne pas avec le falpetre; outre cela, j'avois ramaffé deux drachmes de belle rubrique, qui s'étoit précipitée au fond du vafe dans le commencement de l'évaporation; ce qui fait en tout quatre drachmes & demie.

Par la diftillation, que j'entrepris avec ma cucurbite d'étain, je retirai trois onces d'une eau aigrette, qui fit rougir un peu le fyrop de violettes, mais qui n'avoit aucun goût ni fenteur de foufre, comme avoit celle de la diftillation de la Geronfter. En recompenfe il y avoit dans le chapiteau le tiers davantage de cet efprit aërien, qui fortit avec u n grand fifflement par le petit trou fait à fon bec, après que cette eau en fût écoulée.

Avec ces éclairciffemens il n'eft pas difficile de prononcer un jugement jufte & équitable fur cette conteftation. Je dirai donc, que l'eau du Chevron n'eft pas à la vérité malfaifante, mais que bien loin de furpaffer en force & en bonté celles du Pouhon & de la Geronfter, elle leur eft inférieure en plufieurs maniéres. Prémiérement parce qu'elle ne pofféde que le tiers des mêmes minéraux; 2. parce que fon fel double eft incomparablement plus foible; & enfin parce qu'elle n'eft pas animée de ce précieux foufre météorifé, comme eft celle de la Geronfter. Et que ce qui en a impofé pour la force & pour la légérété jufqu'à préfent à tout le monde, c'eft cette quantité d'air fupérieure, que l'on a toûjours pris pour un efprit minéral. Il eft vrai cependant, que cette augmentation d'air préfuppofant néceflairement une augmentation proportionnée de véhicules martiales, donne lieu de conclure, que cette fontaine eft auffi plus martiale qu'aucune des autres; mais lorsque vous confidérerez que cela ne peut aller qu'à un grain davantage par bouteille, qui efttrèspeu de chofe par rapport à cette grande quantité de foufre métallique qu'il y a de plus dans le Pouhon & la Geronfter, vous aurez plûtôt fujet de conclure, qu'elle en eft plus fujette à fe corrompre, fi on entreprend de la tranfporter, parce que tenant fes principales forces de ce Mars en véhicules, elle doit tomber en caducité, dès que pour empêcher que les bouteilles ne fe caffent, on eft obligé de laiffer échaper une partie de l'air, dont ces véficules font remplies.

FIN

PLAN DU SITE