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CHARLEMAGNE

Le Denier de Charlemagne frappé à Liège et le berceau de ce prince.

par Charles PIOT

Leodico - Denier de Charlemagne pour Liège

DENIER EN ARGENT D'UN DES PREMIERS ATELIERS MONETAIRES DE CHARLEMAGNE EN 769

Une question, importante au point de vue des gloires nationales de la Belgique, a été posée, en 1855, par l'Académie royale de Bruxelles. Charlemagne est-il né dans la province de Liège? Telle fut la demande, pour laquelle un anonyme fonda un prix de 6,000 francs, destiné à récompenser le travail de celui qui la résoudrait soit affirmativement, soit négativement.

Dans son mémoire, un des concurrents prétend que Liège possédait, au commencement du VIIIe siècle, un palais, qui servait de demeure habituelle aux membres de la famille carlovingienne, et que Charlemagne a octroyé certains privilèges aux Liégeois. M. Polain chargé de faire, à l'Académie, un rapport sur les réponses des concurrents, soutient le contraire: il y a là, dit-il, autant d'erreurs que de mots, et, à son avis, l'auteur serait bien embarrassé s'il devait produire ces prétendus privilèges.

Si la solution définitive de la question du berceau de Charlemagne dépendait de celle de ces deux questions accessoires, il y aurait moyen d'arriver à un résultat positif: la numismatique fournit, pour les résoudre, des arguments décisifs. Nous prenons donc la plume, non dans l'intention de mêler notre nom à ces débats, mais pour prouver une fois de plus que la numismatique n'est pas une marotte, un simple amusement, comme le vulgaire se l'imagine, mais une science qui, envisagée à un point de vue plus élevé, peut rendre parfois des services réels dans les questions les plus épineuses d'histoire, d'archéologie et de géographie.

L'existence de Liège est constatée en 588. Saint Monulphe, évêque de Tongres, en se rendant, pendant cette année, de Maestricht à Dinant, vit de loin un petit village, nommé Legia et situé au milieu des forêts. La beauté du site le frappa tellement, qu'il y fit construire une chapelle, dédiée aux saints Côme et Damien. Saint Lambert, qui vint s'y établir, au VIIe siècle, donna à ce village la forme d'une petite ville, dans laquelle saint Hubert, en 710, transféra le siège épiscopal. L'endroit devait donc avoir déjà, vers ce temps, une certaine importance pour que les évêques en aient préféré le séjour à celui de Maestricht, l'ancien Pons Mosae des Romains. Liège ne venait donc pas à peine de naître lorsque Charlemagne vit le jour, comme le soutient M. Polain: 155 ans auparavant il était déjà mentionné.

Existait-il, vers cette époque, un palais dans cet endroit? Aucun document n'en fait mention. Au témoignage de l'évèque Jonas, qui vivait en 820, il y en avait un déjà en 745, lorsque le corps de saint Hubert fut retrouvé. Le bruit de cette découverte, dit-il, se répandit jusqu'au palais. Mais ce palais était-il situé à Liège? Aucuns prétendent le contraire, et croient que Jonas a voulu désigner le palais de Jupille, situé à une lieue et demie de Liège.

Examinons si celle opinion n'est pas en opposition manifeste avec les monuments de la numismatique. On sait positivement que, voulant porter remède aux abus du trop grand nombre d'ateliers monétaires qui existaient pendant la domination mérovingienne, Charlemagne statua, en 805 et 808, qu'à l'avenir aucune monnaie ne serait battue en dehors de ses palais. Celte mesure pouvait être très bien appliquée au numéraire royal, mais il était difficile, pour ne pas dire impossible, de la faire adopter par les villes qui, sous le règne des rois mérovingiens, s'étaient emparées du droit de battre monnaie. Cette circonstance, dont les numismates ne se sont peut-être pas assez bien rendu compte, leur a fait supposer que les capitulaires n'ont pas été exécutés.

Il existe une monnaie qui, frappée à Liège, au nom de Charlemagne, porte:

Av. CAROLVS en deux lignes;

Rev. LEODICO, en deux lignes (1).

Quelles conclusions peut-on tirer de l'existence de ce denier? Il n'y en a que trois possibles au point de vue des questions qui nous occupent: ou la monnaie doit avoir été frappée par Charlemagne avant la publication de ses capitulaires, ou elle doit l'avoir été en vertu des capitulaires, ou elle doit l'avoir été par les Liégeois mêmes.

Dans le premier cas, il y a lieu de croire que si Charlemagne a frappé monnaie avant la réduction du nombre des ateliers monétaires de son empire, il n'a fait que suivre un usage existant, et il faudrait, par conséquent, admettre que les Mérovingiens y avaient battu monnaie comme ils l'avaient fait à Maestricht, à Jupille, à Huy, à Namur et à Dinant. Or, nous l'avons déjà établi ailleurs (2), la race mérovingienne ne battait monnaie, en Belgique, que dans des établissements d'origine romaine. Liège, d'après ce système, aurait donc été un ancien établissement de ce genre; sinon il faudrait supposer que l'atelier, qui y a existé sous les Mérovingiens, fût autonome. Ces deux suppositions sont inadmissibles: ni monnaies, ni documents, ni vestiges de monuments, rien jusqu'ici n'en prouve même la possibilité. Il suit de là que l'existence d'un atelier monétaire à Liège, avant 805 ou 808, n'est nullement probable.

Charles PIOT n'avait pas encore connaissance de la future découverte de la villa romaine place Saint Lambert à Liège. Il est donc intéressant de lire son étude "Recherches sur les ateliers monétaires des Mérovingiens, Carlovingiens et empereurs d'Allemagne, en Belgique" partiellement transcrite en fin de cet étude.

Examinons la seconde hypothèse, celle où la monnaie décrite ci-dessus a été frappée en vertu des capitulaires. Dans ce cas, il n'y a plus de doute, Liège a eu un palais, puisque c'est dans le palais seulement que la monnaie peut avoir été frappée.

Si le denier n'a pas été frappé avant les édits ou ensuite de leur exécution, il doit l'avoir été par Liège même et de sa propre autorité.

Ainsi, selon la première hypothèse, qui n'est pas possible, Liège aurait été un établissement romain ou une municipalité.

Selon la seconde, qui nous semble la seule admissible, Liège possédait, sous Charlemagne, un palais et qui plus est un marché; car là où il n'y a pas de marché, sous les Carlovingiens, il n'y a pas d'atelier monétaire: l'un entraîne nécessairement l'autre. Si Charlemagne y a donc frappé la première monnaie, il s'ensuit nécessairement qu'il doit avoir doté Liège aussi d'un marché. N'est-ce pas là le privilège qu'il a accordé à cet endroit? N'était-ce pas, sous les Carlovingiens, l'usage de concéder de pareilles prérogatives avec celles d'exemption de tonlieu?

Dans le troisième cas, Liège aurait été une ville à municipalité, opinion que nous sommes loin d'admettre. Mais, en supposant qu'elle fût vraie, qui peut lui avoir assigné ce rang, si ce n'est Charlemagne lui-même?

Donc dans la troisième hypothèse comme dans la seconde, ce prince doit avoir accordé des prérogatives aux Liégeois.

C'est le premier point que la monnaie établit. Quant au second, celui de l'existence d'un palais à Liège, sous Charlemagne, il est également prouvé par le denier en question. Ce palais, dans lequel le souverain fit frapper monnaie, n'est-ce pas celui dont Jonas parle en 743, année de la naissance même du fils de Pépin (3)? Et, hâtons-nous de le faire remarquer, ce palais était précisément habité vers cette époque, sinon Jonas aurait bien pu se dispenser de dire que le bruit de la découverte du corps de saint Hubert s'était de suite répandu jusque-là. Cet argument, sur lequel nous insistons particulièrement, ne sera peut-être pas sans quelque valeur pour ceux qui soutiennent que Charlemagne vit le jour à Liège.

Si le palais, dans lequel Charlemagne fît frapper monnaie, n'existait pas avant sa naissance, il faut nécessairement supposer qu'il fut élevé par lui-même; ce qui est loin d'être prouvé. Il est au contraire à croire que, depuis la translation du siège épiscopal à Liège, la famille de Pépin aura cherché à se rapprocher autant que possible du prélat dont le diocèse s'étendait sur une grande partie de ses domaines. En sa qualité d'usurpatrice, elle était d'ailleurs dans la nécessité de chercher un appui dans le clergé: tout usurpateur qui ne s'attache pas les prêtres, n'importe le culte qu'ils professent, doit tomber. L'histoire est là pour le prouver, et la famille des Pépin, si perspicace, si adroite et si pénétrante, l'avait parfaitement deviné.

Rien d'étonnant donc si, en 769, Liège fut nommé vicus publicus, c'est-à-dire endroit qui appartenait directement au souverain et à ses domaines, et dont le bénéfice n'était concédé à personne.

En résumé, le denier frappé à Liège, au nom de Charlemagne, prouve que cet endroit jouissait déjà, à cette époque, d'une prérogative, celle de tenir un marché; il prouve aussi que, sous Charlemagne, il y avait à Liège un palais royal appartenant au fisc. Cette dernière preuve, combinée avec le témoignage de Jonas, établit, à la dernière évidence, que ce bâtiment y existait avant la naissance du grand empereur, et qu'il était habité précisément pendant l’année où il vil le jour.



(1) Leodico est la forme germanique latinisée de Liège. Elle est encore reconnaissable aujourd'hui dans la forme basse-allemande: Ludic.

(2) Voir notre article sur les ateliers monétaires des Mérovingiens, des Carlovingiens et des empereurs d'Allemagne en Belgique, Revue de la numismatique belge, 1ere série, t. IV, p. 322.

(3) Contrairement à l'opinion commune, nous croyons que Charlemagne naquit en 743, puisqu'il est mort, selon Eginard, en janvier 815 (n. st.), dans sa soixante-douzième année. On a confondu, dans la chronologie, le style de Pâques avec le style actuel.


Recherches sur les ateliers monétaires

des Mérovingiens, Carlovingiens et empereurs d'Allemagne, en Belgique.

par Charles PIOT


La question de savoir quels furent, dans les limites actuelles de la Belgique, les ateliers qu'y établirent les Mérovingiens, les Carlovingiens, les rois de la Lotharingie et les empereurs d'Allemagne, n'a pas seulement de l'intérêt pour le numismate, mais aussi pour l'historien. En la résolvant, nous donnerons peut-être au premier un guide pour le classement de ses monnaies; au second nous fournirons quelques matériaux nouveaux pour reconnaître l'origine et le développement de certains endroits sur lesquels il y a encore du doute; car, en Belgique plus qu'ailleurs, on avait tenté de donner une origine romaine à la plupart des villes, nous dirons même à un grand nombre de villages. Une réaction s'ensuivit: on abandonna les origines romaines pour adopter les origines germaniques, qu'on attribua à la presque totalité des villes belges. Selon les auteurs qui défendaient cette opinion, les Romains, malgré une domination de près de quatre cents ans, n'avaient exercé, en Belgique, que peu ou point d'influence; l'élément germanique n'avait subi, de la part de ces conquérants, aucune atteinte sérieuse; nos pères étaient toujours restés fiers, sauvages, et repoussant, avec l'énergie qui les caractérisait, la civilisation romaine.

On niait les origines romaines attribuées à tous les endroits qui n'étaient pas indiqués dans la carte de Peutinger, ou cités dans Ptolomée, dans l'Itinéraire d'Antonin, dans la Notice de l'Empire, dans Amien Marcellin, comme si ces documents étaient complets et avaient fait une nomenclature exacte de tout ce qui existait en Belgique, sous les Romains!

Il résulte de ces monuments mêmes que, loin d'être exacts, ils ont laissé des lacunes nombreuses. Nous ne mentionnerons pas les noms de tous les endroits qu'ils ont passés sous silence; nous nous contenterons de citer quelques établissements romains considérables dont on a trouvé aujourd'hui des vestiges et des restes épars sur une très grande étendue de terrains; tels sont les établissements dont on a trouvé des restes, à Elewyt, à Castres, près de Hal, à Estines, à Assche, etc. Celui d'Assche, surtout, qui était un établissement militaire, un camp qui doit avoir existé jusqu'à la fin de l'empire romain, puisqu'on y a trouvé des monnaies de l'empereur Anastase, prouve que ces documents passaient même sous silence les établissements de cette espèce. Y a-t-il un seul écrivain qui ait fait mention d'une route romaine de Limbourg vers St-Vith, ouvrage admirable construit au beau milieu des Fagnes (1) du Limbourg et découvert en 1768? La carte de Peutinger, Ptolomée, l'Itinéraire et la Notice ont-ils connu la route romaine qui passait par Assche et se dirigeait vers Bavay? On a cependant découvert, le long de cette route, des ruines et des vestiges très importants de constructions romaines dans plusieurs endroits. L'Itinéraire parle-t-il de la route romaine qui suivait la Meuse? Non seulement on a trouvé des restes d'établissements privés des Romains à Pommeroeul, à Virginal-Samme, à Nimy, à Maizières, à Ghlin, à St-Denis, à Cuesmes, à Elouges, à Flobecque, à Ellezelles, à Castiau, etc., etc., mais on en a encore découvert à Laeken et à Strombeek-Bever, villages situés dans la province du Brabant, où jusqu'ici on n'avait trouvé que fort peu de souvenirs des Romains.

Ces différentes découvertes démontrent enfin que la civilisation des conquérants du monde n'est pas restée aussi étrangère aux Belges qu'on a bien voulu le faire croire.

Si, d'un côté, il est incontestable que nos ancêtres ont dû résister mieux que tout autre peuple à la civilisation de leurs maîtres, comme le prouvent leurs différents soulèvements, il n'en est pas moins vrai aussi que quelques-uns d'entre eux ont dû subir cette influence; témoin les établissements privés dont nous venons de citer les noms.

On sait positivement que les Belges servaient dans les armées romaines. Ils apprirent donc dans les camps et dans les villes de leurs maîtres à connaître une vie plus douce et plus agréable que celle qu'ils avaient menée dans leurs forêts. Revenus dans leur patrie, ils ne pouvaient certainement reprendre complètement la vie sauvage et oublier tout à fait celle des villes ou des camps. Ils devaient nécessairement essayer d'imiter ce qu'ils avaient vu chez les Romains. Il arriva aussi parfois que des Romains épousèrent des femmes barbares, comme le prouvent des inscriptions découvertes en Belgique. Ces étrangers, en entrant dans les familles des barbares, devaient aussi y laisser quelques traces de la civilisation de leur patrie. D'ailleurs les deux villes romaines, Tongres et Tournay, quelque petites qu'elles fussent, ont dû sans aucun doute exercer une certaine influence sur le pays. N'est-ce pas dans la direction de la mer vers Tongres qu'un nombre assez considérable de villes ont été établies? A partir de Bruges et suivant pour ainsi dire la ligne droite qui aboutit à Tongres, on rencontre la fondation des villes et bourgs de Gand, Alost, Assche, Bruxelles, Tervueren, Louvain, Tirlemont, Léau et St-Trond. Et, chose remarquable, si on en excepte Assche et Tervueren, tous ces endroits sont situés sur des passages de rivières. Si Tongres n'avait pas exercé quelque influence sur le pays, pourquoi aurait-on précisément pratiqué une grande route de la mer dans la direction de cette ville? N'est-il pas aussi à supposer que toutes les villes que nous venons de nommer ont pris naissance dans les endroits où elles sont situées, parce qu'il y avait là un passage établi sur les rivières et sur la route vers Tongres (2)?

Nous pourrions en dire autant des voies de communication qui se dirigeaient vers Tournay et sur lesquelles ont également été bâties bon nombre de villes.

Ceci posé, il est évident qu'il existait, en Belgique, sous la domination romaine, plusieurs endroits et établissements qui leur devaient leur origine.

Il n'est donc pas étonnant que les Mérovingiens aient frappé monnaie dans plusieurs endroits de notre pays. Les Francs, en conquérant les Gaules, ne bâtirent rien; au contraire, ils ne firent que détruire, et se fixèrent dans les villes romaines ou dans les établissements dus à ce peuple (3). Clodion résida en Belgique, à Tongres et à Tournay. Ces nouvelles demeures avaient quelque chose de neuf et d'attrayant pour ces demi-sauvages à peine sortis de leurs forêts: dans les villes ils trouvaient des palais dans lesquels ils pouvaient imiter les Romains, auxquels ils cherchaient à ressembler le plus possible; dans les villa, espèces de fermes, ils trouvaient le moyen de satisfaire à tous leurs besoins; la vie animale ne leur coûta rien dans des exploitations agricoles, et ils pouvaient s'y livrer à leur passion favorite, à la chasse. Visiter l'une après l'autre chacune de ces villa, après y avoir consommé tout ce qui s'y trouvait, était pour eux un plaisir d'autant plus grand, que ces déplacements continuels étaient pour eux l'image vivante de leur ancienne vie nomade et d'aventures. Louis le Débonnaire, qui suivait en cela probablement ses devanciers, parcourait annuellement ses palais, et ne revenait dans la même habitation qu'après trois ans d'intervalle, et afin de laisser à ces villa le temps de produire les choses nécessaires à l'entretien de sa cour. Le monnayeur, qui faisait partie des officiers de la cour, la suivait constamment dans toutes ses pérégrinations. De là le grand nombre d'endroits différents inscrits sur les monnaies battues sous les Mérovingiens; de là aussi les changements dans les qualifications des endroits; les qualifications de vicus, castrum, civitas, curtis, villa, sont ajoutées aux noms des endroits, selon que les chefs résidaient dans des lieux auxquels ces dénominations convenaient (4).

Ce grand nombre d'ateliers monétaires diminua considérablement sous les Carlovingiens; de sorte qu'on peut conjecturer, avec quelque raison, que là où les Carlovingiens frappèrent monnaie, les Mérovingiens en avaient fait de même antérieurement.

Lorsque les provinces belges passèrent à l'empire d'Allemagne, le nombre des ateliers monétaires diminua davantage encore, à cause du peu d'action que les empereurs y exercèrent, par suite de leur éloignement et des révolutions continuelles qui bouleversèrent la Lotharingie pendant les Xe et XIe siècles. Ces révolutions, qui eurent pour résultat l'émancipation des seigneurs lorrains et la formation des petites nationalités créées en Belgique, portèrent sans aucun doute une atteinte très grave aux droits régaliens de l'empereur. Il ne faut donc pas s'étonner si jusqu'ici on n'a pas encore trouvé d'autres monnaies impériales frappées en Belgique que celles sorties des ateliers de Liège et de Huy, villes situées dans un pays où les révolutions des seigneurs lorrains se sont fait le moins sentir. Il se pourrait cependant qu'on en trouvât un jour qui eussent été frappées en d'autres localités, telles que Nivelles et Gembloux; mais en tous cas l'existence d'un atelier monétaire impérial dans ces endroits ne peut avoir été que très éphémère; car les seigneurs lorrains, qui portaient à chaque instant des coups si terribles à l'autorité impériale, auront très probablement eu soin de faire disparaître chez eux les ateliers monétaires des empereurs, qui leur auraient trop rappelé leur dépendance. Aussi, n'est-ce qu'après les révolutions et les bouleversements de la Lotharingie, que nous voyons apparaître les premières monnaies des seigneurs de ces pays.

Dans la Flandre royale, il paraît que l'autorité des rois de France sur les monnaies a exercé aussi peu d'influence que celle des empereurs dans la partie de la Lorraine, qui constitue aujourd'hui la Belgique. Leur autorité y a peut-être été même encore moins respectée, puisque, à compter du règne de Charles le Chauve, on ne trouve plus aucune monnaie royale frappée en Flandre.

Passons maintenant à la nomenclature des ateliers monétaires, d'après l'ordre alphabétique des noms des endroits où ils étaient situés. Nous donnerons en même temps la description des monnaies qui y furent frappées soit par les Mérovingiens, soit par les Carlovingiens, soit par les empereurs d'Allemagne.

...

LIÈGE.

EPOQUE CARLOVINGIENNE.

Saint Monulphe, évêque de Tongres, élu en 558, se rendant de Maestricht vers Dinant, vit de loin un petit village nommé Legia et situé au milieu des forêts. La beauté de cet endroit le frappa tellement, qu'il y fit construire une chapelle dédiée à saint Côme et à saint Damien. Lorsque saint Lambert vint s'y établir au VIIe siècle, c'était encore un petit village qu'il agrandit, et auquel il donna la forme d'une petite ville. Enfin, saint Hubert y établit, en 710, le siège épiscopal de Maestricht.

Le peu d'importance que Liège eut sous les Mérovingiens ne les a sans doute pas engagés à y frapper monnaie; il n'y avait d'ailleurs dans ce lieu aucune villa ni aucun castrum qui aurait pu les engager à y séjourner (22).

Il n'en est pas de même des Carlovingiens. Charlemagne, qui tint ses pâques à Liège en 769, y frappa la monnaie suivante:

1.

Av. CAROLUS, en deux lignes.

Rev. LEODICO, en deux lignes.

De LONGPÉRIER, p. 107, n° 233.

M. De Longpérier (23) attribue encore à cette ville les monnaies de Charles le Chauve, portant lavaca civitas, et que M. Lelewel avait attribuées à la Loeuve en rétablissant la leçon de lavaca au lieu de bavaca, comme elle avait été lue par Le Blanc.

Nous croyons, pour notre part, que l'ancienne dénomination de cette ville (Legia, Leodium, Leodicum) n'a pas assez d'analogie avec Lavaca pour soutenir une pareille attribution; et la qualification de civitas, que M. De Longpérier prétend, avec raison, désigner le siège d'un évêché, ne nous semble pas assez concluante pour voir Liège dans Lavaca,

D'ailleurs, nous ne croyons pas qu'il faut lire LAVACA; car on lit très positivement sur des monnaies très bien conservées: DAVACA.

Quoique nous refusons cette monnaie à Liège, nous croyons cependant que les rois lotharingiens y ont frappé monnaie; car autrement nous ne pourrions nous expliquer comment les empereurs d'Allemagne y auraient encore exercé ce droit.


ÉPOQUE IMPÉRIALE.

L'empereur Conrad frappe la monnaie suivante:

2.

Av …CONRAD. Profil diadèmé.

Rev. + SCS LAVS (sanctus Lambertus). Épée, la pointe au-dessous, entre quatre globules posés en croix.

KOHNE, Zeitsch., 1842, p. 345.

Il est probable que dans la suite on trouvera d'autres monnaies impériales frappées à Liège avec le nom de saint Lambert, patron de cette ville.

...


Ce sont là les seuls endroits belges auxquels on peut, avec quelque certitude, attribuer des monnaies frappées par la première et la seconde race, et par les empereurs d'Allemagne. Les monnaies des deux premières catégories sont assez nombreuses; la troisième, celles des empereurs, n'a fourni que très peu de pièces; mais il est probable que, par des découvertes ultérieures, on parviendra à l'augmenter considérablement; car il est aujourd'hui à peu près constaté que les plus anciennes monnaies de seigneurs belges ne remontent pas au delà du XIe siècle, époque vers laquelle la Lotharingie commença à se pacifier et à s'affranchir de l'autorité impériale. Il est vrai que le numéraire devait être très rare vers cette époque où les redevances se payaient en nature et où le commerce se faisait par l'échange des produits; mais, en tout cas, il devait en exister. Il n'y a donc que les empereurs seuls qui aient pu en frapper dans les pays qui dépendaient d'eux, avant que nos seigneurs n'usassent de ce droit.

Il nous reste encore à dire un mot sur le résulat de nos recherches. Nous avons suivi dans notre travail une voie toute différente de celle dans laquelle on a marché jusqu'ici.

On s'était borné à rechercher les noms d'endroits qui avaient le plus d'analogie avec celui inscrit sur les monnaies, sans s'enquérir si cet endroit était déjà connu à l'époque où elles étaient frappées, sans rechercher s'il y existait ou non un établissement quelconque dans lequel les Mérovingiens avaient l'habitude de résider ou de faire battre monnaie.

Nous avons recherché, avant tout, pour le règne de la première race, si l'endroit auquel nous rapportions une monnaie n'était pas d'origine romaine. Cette origine constatée, il devenait à nos yeux plus que probable que les chefs francs y avaient résidé; et, par conséquent, il y avait possibilité de supposer qu'ils y avaient fait battre monnaie. Si cette origine n'était pas bien constatée, nous avons fait des recherches pour nous assurer s'il n'y avait pas là un castrum, une villa, ou un établissement religieux qui aurait pu recevoir les rois francs.

Ces faits établis, nous en avons tiré la conséquence que, règle générale, les Mérovingiens ont battu monnaie dans les établissements d'origine romaine, dans les castra et dans les villae, règle qui peut sans doute avoir des exceptions, mais qu'il est toujours bon de suivre.

Quant aux endroits dans lesquels les Carlovingiens et les empereurs d'Allemagne ont fait frapper monnaie, nous avons remarqué qu'après avoir réduit singulièrement le nombre des ateliers monétaires des Mérovingiens, ils ont néanmoins très souvent continué à frapper monnaie dans ces endroits; de sorte qu'on peut à peu près poser en règle générale, que là où les Carlovingiens frappaient monnaie, les Mérovingiens en firent autant. Nous exceptons de cette règle les endroits qui, par un accroissement subit de population, ont obtenu un marché; car on peut dire aussi que là où il y a eu marché, il y a eu un atelier monétaire et vice versa.

Nous nous sommes également convaincu que là où les empereurs d'Allemagne ont concédé soit le droit de battre monnaie, soit la moneta, mot interprété diversement, il devait y avoir existé un atelier monétaire ou au moins un marché, qui entraînait avec lui, pour l'époque carlovingienne, l'existence d'une monnaie.


(22) Il paraît cependant que, sous les Carlovingiens, il y eut un palais royal à Liège; mais il devait être d'une création assez récente. Rien ne peut faire supposer qu'il existait sous les Mérovingiens.

(23) Notice sur le cabinet de M. Roussau, p. 224.

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