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CHARLEMAGNE

La Chapelle Saint-Lambert à Herstal

par l'abbé J. COENEN

Ce n'est pas un petit honneur pour le Pays de Liège d'avoir été le berceau de la glorieuse dynastie des Carolingiens. Après Landen, où demeurait Pepin-le-Vieux, ce furent trois localités des environs de Liège qui servirent successivement de résidence à la famille des Pépins: Chèvremont, Jupille et Herstal.

A Chèvremont ont resté le domesticus Ansegise et sa femme Sainte Begge, fille de Pépin de Landen. Leur fils, Pepin-le-Gros, s'est fixé à Jupille, probablement au couvent actuel des chanoinesses de Saint Augustin. C'est de là qu'il fonda, d'après une charte de 687, le monastère ardennais d'Andage, qui devait prendre plus tard le nom de Saint-Hubert et deux autres diplômes de 706 et 712 prouvent qu'il y résida au moins d'une manière intermittente. (1) Serait-ce lui qui a construit le palais de Herstal, et serait-ce à cause de cela qu'on l'a surnommé Pépin de Herstal? C'est possible, mais l'histoire ne parle pas de son séjour dans cette commune. C'est son fils naturel, Charles-Martel, qui commence la longue liste des diplômes qui ont été signés à Herstal, in palatio publico, ou comme on disait plus tard, in palatio regio, au palais royal.

Après la mort de Pépin, en 714, Jupille semble avoir été abandonné, la résidence seigneuriale se transporte sur la rive gauche de la Meuse et pendant deux siècles, l'immense palais dont la « Licour » a gardé le nom et la place, va servir de séjour, au moins par intervalles, à tous les princes de la dynastie carolingienne.

La table chronologique des Chartes et Diplômes imprimés d'Alphonse Wauters résume vingt diplômes donnés au palais de Herstal, de 722 à 920. Il y en a un de Charles-Martel, un de Pepin-le-Bref, onze de Charlemagne, deux de Louis-le-Débonnaire, un de Fulrade, abbé de Saint-Denis en France, et quatre de Charles-le-Chauve.

Durant ces deux siècles, Herstal n'était pas seulement le séjour favori des princes, mais aussi un centre d'éducation. Les enfants des grandes familles de l'Empire venaient y chercher instruction et belles manières dans l'école palatine annexée à la résidence impériale, et à certaines occasions, comme au plaid général de 916, le village devint le rendez-vous « des évêques, des comtes, des grands, de tous les nobles et fidèles du roi.» Il faut croire que des constructions importantes s'élèvent à Herstal pour héberger tout ce monde.

Qu'est-il resté de tant de grandeurs? Un nom: Li Cour, c'est-à-dire la Cour, une église: Notre-Dame, souvent rebâtie, mais dont les murs actuels renferment encore des pierres marquées de caractères romains, et provenant, peut-être, de l'ancien pont de la Meuse (2), le soubassement d'une tour qui peut bien remonter, comme son nom l'indique, à l'époque de Pépin, et une chapelle menacée de ruine. C'est de cette dernière, reste précieux d'un glorieux passé, que nous allons parler.

La chapelle Saint-Lambert se trouve derrière l'hôtel de ville, sur un tertre entouré de maisons. Un terrain vide, ancien cimetière, la sépare de la rue de la Chapelle à laquelle elle a donné son nom. Vue de cette rue, elle paraît très pittoresque mais affreusement délabrée; la flèche moderne de la tour, le toit unique à deux versants, les fenêtres plus larges que hautes des murs latéraux, et la vilaine sacristie en briques, malencontreuse ajoute du XVIIIe siècle, tout cela a tellement défiguré l'ancienne construction qu'on y reconnaît à peine une église romane. Elle est romane pourtant dans toutes ses parties sauf la sacristie, et même elle fut belle un jour, tellement belle qu'elle a été déclarée monument de troisième classe pour qu'on ne puisse songer à la démolir. Si la foule passe indifférente à côté de ces vieux murs, c'est que leur délabrement actuel laisse à peine deviner leur forme primitive et c'est qu'on ignore l'intérêt historique que le petit édifice présente pour le passé de la commune. Les vieux Herstalliens d'ailleurs sont loin d'être aussi indifférents à leur vénérable chapelle; encore maintenant ils assistent nombreux à la messe qu'y célèbre tous les dimanches un des vicaires de la paroisse Saint-Lambert, et nombreux surtout sont les pèlerins qui y viennent prier Saint-Oremus, comme ils disent, pour les maux de ventre de leurs enfants.

Un haut mur soutenant le tertre sépare la rue de la Chapelle de l'ancien cimetière; de ce côté, il n'y a pas d'accès. Pour arriver au monument, on passe à droite de l'hôtel de ville par un étroit couloir qui longe les fenêtres des bureaux, et conduit à la tour qui sert actuellement d'entrée. Un vaisseau plus large que long (9m90 sur 8 mètres), un choeur plus bas et une grosse tour carrée composent l'édifice. La sacristie moderne se trouve derrière le choeur; le tout dans un état voisin de la ruine.

Le vaisseau est actuellement une grande salle a peu près carrée éclairée par quatre larges fenêtres et couverte d'un plafond, plat au milieu en appentis sur les deux côtés. Ce plafond troué par endroits est soutenu par deux colonnes informes en bois plâtré dont les sommets s'évasent très disgracieusement en entonnoir. Cet enlaidissement du petit sanctuaire est peu antérieur à la Révolution française. Ce qui le prouve, c'est le style de l'autel dont les volutes et colonnes trahissent le règne de Louis XVI déjà bien avancé. C'est donc vers 1770-1780 que la chapelle a reçu sa toilette actuelle. Avant cette époque, le vaisseau présentait l'aspect de la plupart de nos églises romanes et se composait d'une nef centrale large de 5 mètres et de deux nefs latérales de la moitié de cette largeur.

Quatre piliers carrés la divisaient sur sa longueur en trois travées et chacune de ces travées était éclairée dans les bas-côtés par de petites fenêtres en plein cintre placées dans l'axe de la travée, dans les hauts murs de la nef centrale par des fenêtres très basses ou des oculi semblables à ceux de Saint-Chistophe.

Cette disposition est indiquée par la largeur démesurée du bâtiment, par les fenêtres bouchées encore visibles à l'extérieur, et par les pilastres engagés existants encore à côté des arcades du choeur et de la tour. La largeur de ces pilastres indique celle des piliers disparus et l'abaque qui les couvre donne le point de départ des anciennes arcades des nefs latérales et par conséquent la hauteur des piliers.

Les murs goutterots ou hauts murs de la nef centrale ont disparu sans laisser de traces, mais il est certain qu'ils ont existé, car dans les églises romanes le toit n'est pas d'une seule envolée comme ici, mais chaque nef à sa couverture spéciale. Cette règle ne comporte aucune exception. On voit d'ailleurs au dessus du toit du choeur, la démarcation des hauts murs de la nef centrale.

La légèreté des murs et des piliers écarte l'idée d'une voûte, un plafond en bois couvrait tout le vaisseau, plat au milieu, en appentis sur les collatéraux.

Le choeur de l'édifice n'a pas été moins dégradé. C'est une simple travée rectangulaire, à chevet plat et séparée de la nef centrale par une large arcade cintrée. Le plafond et les larges fenêtres latérales sont modernes.

Au commencement de la guerre, lors de l'enquête faite pour le classement du monument, la Commission a découvert dans le mur du chevet, trois petites fenêtres qui avaient été bouchées (3) lors de la construction de la sacristie. Ces ouvertures très petites sont en arc outrepassé, c'est-à-dire qu'elles présentent la forme légèrement marquée d'un fer à cheval. Il est curieux de constater que la même forme se présente dans certaines façades de l'église Notre-Dame à Herstal. M. Comhaire y voit une influence mauresque et attribue cette partie de l'église de Li Cour à l'époque carolingienne. (4)

A côté de la fenêtre de droite, un peu plus bas, on voit une petite niche autrefois pourvue d'une porte en bois. Serait-ce une ancienne théothèque ou une armoire pour les Saintes Huiles ? Elle appartient à la construction primitive comme l'indique la grosse pierre placée en délit derrière l'armoire visible à l'extérieur dans le mur du chevet et nous sommes portés à croire qu'ici comme à Aldeneyck et à Odilienberg, cette niche servait à conserver le Saint-Sacrement. (5)

Ces sortes de réduits ont dû être fréquents dans les églises romanes. Plus tard, on les a remplacés par des tourelles-théothèques, et à la Renaissance par des tabernacles. Au milieu du XVIIe siècle, certaines de ces niches primitives étaient encore en usage comme il résulte d'une note de l'archidiacre concernant l'église de Herten: le Saint-Sacrement y était conservé près du maître-autel dans le mur, mais le curé dit qu'il se procurerait un tabernacle d'autel pour l'y reposer. (6)

Y avait-il à l'origine des fenêtres dans les murs latéraux du choeur ? C'est probable, mais les larges ouvertures actuelles n'en ont pas laissé de traces. Ces murs quoique plus bas que ceux des petites nefs sont plus gros: on ne peut en conclure qu'ils ont porté une voûte, car dans nos églises romanes, on ne trouve la voûte que sur des absides semi-circulaires, et elle ne se combine jamais avec le chevet plat. (7) Avant de quitter le choeur, remarquons encore l'irrégularité de cette petite construction, le mur de droite est plus long que l'autre (4m67 au lieu de 4m40) ce qui indique une origine très reculée. Beaucoup plus récente est l'arcade qui sépare le choeur de la nef, ses fortes moulures en pierre de sable annoncent le style gothique, et il est très probable qu'elle a remplacé une arcade plus étroite.

La sacristie du XVIIe siècle, aussi délabrée que le reste ne présente aucun intérêt, mais la tour qui abrite la statue de Saint-Orémus mérite d'être étudiée.

De plan carré, elle n'a ni voûte, ni escalier en pierre; ses murs assez gros sont percés sur les deux côtés latéraux d'un oculus, à l'Ouest d'une grande fenêtre gothique, tandis que le côté Est est largement ouvert sur l'église par une arcade brisée qui monte jusqu'à la voûte de la nef.

Au milieu de cette arcade, un plafond forme jubé. On y monte par un escalier en bois et un autre escalier conduit à un deuxième plancher qui donne accès aux combles de la chapelle.

L'extérieur du petit bâtiment n'est pas moins intéressant que l'intérieur, l'entrée se trouve actuellement dans le mur sud de la tour, mais cette porte est de construction postérieure. Pour la percer, il a fallu enlever l'oculus que l'on voit en entier du côté opposé. L'ancienne entrée de l'église est parfaitement visible à côté de la tour, à l'ouest du collatéral sud.

Le clocher monte d'une seule envolée sans retrait jusqu'au dessus du toit de la chapelle; au XVIIIe siècle, on l'a allongé d'un étage carré, en retrait, couvert d'ardoises et d'une flèche pyramidale à quatre versants.

Toute la chapelle est construite en grès houiller, mais ses différentes parties ne remontent pas à la même époque. La plus récente est la tour, dont le style et les matériaux plus gros se distinguent nettement de ceux du vaisseau. Entre les deux constructions, il y a solution de continuité quoique la liaison soit fort bien faite. Leur maçonnerie est disposée en assises régulières. Les murs du choeur sont beaucoup plus archaïques. Ici l'appareil est très irrégulier, les pierres sont informes, sans la moindre taille et dans le mur sud on trouve l'appareil en épi, opus spicatum ou arrête de poisson qui est un signe d'antiquité.

D'autres indices montrent que le choeur est antérieur au reste du bâtiment. La liaison fait entièrement défaut entre le choeur et les nefs, une fente assez large s'y est produite. Les fenêtres en fer à cheval, la grosseur des murs et l'irrégularité du plan, tout cela nous montre que nous avons à faire ici à une des constructions les plus anciennes qui ont été conservées, dans notre pays.

Mais avant d'établir une date, disons un mot de l'histoire de la chapelle.

*
* *

Après son glorieux martyre, Saint-Lambert avait été enterré à Maestricht, à l'église Saint-Pierre, mais le lieu de son martyre (la place actuelle de Saint-Lambert) attira bientôt les pèlerins et Saint-Hubert y bâtit sa cathédrale Notre Dame, appelée plus tard Saint-Lambert. (8)

Treize ans après la mort de son saint prédécesseur, il résolut de transférer son corps au lieu du martyre, ce qu'il fit la veille de Noël 718, au milieu d'un grand concours de peuple.

L'auteur contemporain qui a écrit la vie la plus ancienne de Saint-Lambert, nous raconte que sur le parcours de la procession, deux miracles eurent lieu, l'un à Nivelle (dépendance de Lixhe): la guérison d'un aveugle, et l'autre à Herstal: la guérison instantanée d'un paralytique.

A Herstal, le miracle eut lieu sur une place où l'on s'était arrêté pour augmenter la foi du peuple (in solium villae cujus vocabulum Charistalius, dum commorassent ibi paululum ad augendam fidem in populo).

On peut donc croire qu'il s'agit d'un carrefour où l'on s'était arrêté pour prêcher, et cette description répond bien à l'endroit où se trouve notre chapelle. Mais ce qui prouve d'une façon péremptoire qu'il s'agit bien de cet endroit, c'est que l'auteur ajoute que deux églises (basilicae) ont été élevées par des chrétiens dévots aux lieux illustrés par les miracles. Or, à Herstal comme à Lixhe, nous retrouvons dès les temps les plus anciens ce sanctuaire de Saint-Lambert. (9)

On pourrait nous objecter qu'il n'est pas certain que le récit de la translation est du même auteur que le vita, qu'il semble d'une date postérieure et que par conséquent les renseignements concernant la chapelle n'ont pas la même valeur que la biographie du Saint.

En effet, entre la biographie et le récit de la translation, il y a une soudure; après la phrase exultât cum cunctis per secula, l'auteur probablement un prêtre maestrichtois a déposé la plume, et la suite du récit des cinq miracles et de la translation) est une reprise, une ajoute postérieure, mais cette ajoute est, elle aussi, très ancienne et peu postrieure à la biographie. Ce qui le prouve, c'est qu'elle existait déjà lorsque l'auteur de la première vie de Saint-Hubert prenait la plume. Celui-ci avait également à raconter la translation, mais il ne s'étend pas sur cet épisode parce que, dit-il, les miracles de la translation sont déjà racontés dans la vie de Saint-Lambert. On peut donc admettre avec M. Balau, que la vie de Saint-Lambert a été écrite vers 718, un peu avant peut-être pour la biographie proprement dite, un peu après pour le récit de la translation. (10)

La vie de Saint-Lambert fixe donc elle aussi l'origine de notre chapelle en 718; or, elle fut écrite par un auteur contemporain des événements, par un prêtre attaché au service de Saint-Hubert, témoin de sa mort à Tervueren, le 30 mai 727. (11)

Ces premières vies des saints évêques étaient écrites, l'une et l'autre dans le mauvais latin de l'époque mérovingienne. Les chanoines de la génération suivante, initiés au latin classique de la renaissance carolingienne, trouvèrent ce langage trop barbare pour leur office, et le texte ancien fut remanié.

Cette refonte publiée par Canisius nous a donné une deuxième vie de Saint-Lambert en tout conforme à la première sauf les barbarismes. On y trouve le récit de la translation avec les deux miracles qui l'ont illustrée à Lixhe et à Herstal et la mention des deux basiliques.

Vers la même époque, une troisième église fut dédiée à Saint-Lambert, au village de Hermalle S/Argenteau et celle-ci a ravi à notre chapelle de Herstal, son titre de noblesse. Cela s'est fait dans une troisième vie de Saint-Lambert faussement attribuée au diacre Godescalc, mais écrite seulement au XIe siècle. (12) Elle place la guérison du paralytique à Herimala (Hermalle) et Herstal est oublié. Serait-ce parce que l'auteur connaissait l'église de Saint-Lambert de Hermalle et qu'il ignorait la petite chapelle de Herstal? Nous n'en savons rien, mais l'erreur devait se perpétuer et se retrouve notamment chez Sigibert de Gembloux (13) et chez tous les auteurs modernes qui se sont inspirés de Sigebert et du prétendu Godescalc.

Pourtant, quoiqu'on ne lisait plus les premières vies de Saint-Lambert, la vieille tradition de Herstal ne se perdit pas entièrement; elle survécut dans la légende. Au XIVe siècle, nous rencontrons cette légende dans toute son ampleur chez Jean d'Outremeuse, le grand conteur devant l'Eternel. Celui-ci ignore le miracle du paralytique, mais il en connaît beaucoup d'autres opérés sur le parcours de la procession, à Lixhe, à Haccourt et à Hermalle. A Herstal, on trouva un thier qui fut nommé pache (14) où l'on se reposa. Au moment du départ, le voile d'or et de soie qui couvrait le cercueil de Saint-Lambert volait en l'air et vint s'abattre à l'endroit où se trouve la chapelle. Saint-Hubert voyant cela, prit une hache qu'un paysan portait et traça sur le sol, le plan de la chapelle qu'il se proposa d'y bâtir, et aussitôt le voile allait reprendre la place sur la fierté du Saint et « la procession s'en vat avant, chantant et orant Dieu dévoltement. » (15)

De cette légende il existe une variante qui place l'événement au lendemain de la mort de Saint-Lambert, lors du transport en barquette de ses dépouilles de Liège à Maestricht. Ici, c'est une voile de la barque qui a été emportée de la Meuse jusqu'au lieu de la chapelle. De tout cela il résulte qu'à toutes les époques le peuple de Liège s'est intéressé au petit sanctuaire qu'il considérait comme une auguste relique de son glorieux patron.

Malgré les grands souvenirs qui s'attachent à l'édifice, celui-ci est toujours resté une simple chapelle dépendante de l'église paroissiale de Notre-Dame. Dans les registres des visites archidiaconales de 1784, elle est signalée comme unie à la cure: « unita pastoratui ». Comme annexe de l'église paroissiale de Li Cour, elle avait son cimetière propre et celui-ci était assez important, car une grande partie en a été enlevée par la construction de la maison communale et par la rue de la Chapelle.

Cette rue n'existe que depuis le milieu du XVIIIe siècle. Elle a été ouverte par le prince-évêque Georges Louis de Berghes après que celui-ci eut acquis du roi de Prusse, les droits seigneuriaux sur la Terre franche de Herstal (1740) (16). Avant cette date, la grande voie de Liège à Maestricht passait au nord de la chapelle par le chemin qui s'appelle encore la rue de Liège.

En 1840, le village s'étendant considérablement dans la direction de Liège, la fondation d'une seconde paroisse devint nécessaire et l'on construisit la nouvellle église Saint-Lambert, à laquelle la vieille chapelie fut annexée.

Une autre chapelle consacrée à Saint-Erasme dès 1500 se trouvait à Hayeneux. Elle fut démolie en 1860 et son petit rétable alla enrichir l'église Notre-Dame, tandis que les pèlerins, on ne sait pourquoi, se sont partagés depuis entre l'église de Li Cour et la chapelle de Saint-Lambert. Pour cette dernière, le sculpteur liégeois Léopold Harzé fit la statue de Saint-Orémus, placée sous la tour et vénérée tous les jours d'humbles ex-voto. (17)

Sur un petit tableau appendu près de la statue, on lit: L'an 1860 cette antique maison de Dieu, bâtie au 8e siècle, a été ornée des statues de Saint-Lambert, de Saint-Hubert et de Saint Avgapitus, connu sous le nom de Saint-Oremus (fête le 29 avril). Les iconopraphes signalent trois martyrs qui portent un treuil parce que leurs bourreaux leur ont arraché les entrailles au moyen de cet instrument. Ce sont les Saints: Erasme, Sérapion et Thiemand. (18) C'est le premier que le peuple désigne sous le nom d'Oremus. Il était évêque de Fourmies et fut martyrisé sous Dioclétien en 303. Sa fête tombe le 2 juin. C'est le même saint que l'on désigne en France sous le nom de Saint-Elme.

Il nous reste encore à fixer l'âge des trois parties de la chapelle. Comme nous l'avons vu plus haut, le vaisseau et la tour sont postérieurs de beaucoup au chœur. Les oculi, la moulure du larmier de la tour, et surtout l'arc brisé de la grande fenêtre et de l'arcade du clocher, indiquent la commencement du XVIe siècle, déclin du gothique.

Les motifs d'architecture du vaisseau, tels les piliers carrés, la porte murée et les fenêtres des murs latéraux sont franchement romans. Ils semblent dater du XIIe siècle, ou même d'un peu plus tard, car nous savons que l'ancien style s'est maintenu longtemps surtout dans les constructions peu importantes de la campagne. C'est ainsi que tout près d'ici, la chapelle romane du Bouxthay est contemporaine des nefs hardies de Sainte-Croix.

Le chœur de Saint-Lambert est beaucoup plus ancien. Oserait-on y voir une construction de Saint-Hubert, le fondateur indiscutable de la chapelle? D'aucuns le prétendent et ils s'appuient surtout sur les fenêtres à arc outrepassé du chevet, arc byzantin ou carolingien que l'on retrouve dans l'église de Notre-Dame de Li Cour. Le chœur, le transept, et même les colonnes de cette dernière église remonteraient également à cette époque reculée et elle aurait été construite par Pépin ou Charlemagne, avec les débris d'un pont romain situé à Chertal.

L'existence du pont de Chertal est problématique. Il est signalé pour la première fois dans une chronique du XIIIe siècle (19) et c'est en vain que l'on en a cherché les restes lors de la grande sécheresse de 1921. Le même document tardif prétend que le roi Pépin-le-Bref célébra en 759, les fêtes de Pâques à Jupille (20), qu'il a bâti à Herstal, avec les pierres du pont de Chertal, un couvent et une église en l'honneur de la Sainte Vierge (domum et ecclesiam conventualem) et qu'il I y plaça un crucifix de sa taille. (21) Ces renseignements si précis viennent malheureusement trop tard pour mériter créance, ils ont été suggérés probablement au chroniqueur par les pierres à inscription romaine qu'il a pu voir dans les murs de l'église. On fait remarquer aussi que l'église Notre-Dame a eu pour deuxième patron Saint-Charlemagne, et même en 1784, l'archidiacre ne donne d'autre titre à l'église de Li Cour que celui du grand empereur. Mais ce patronage est postérieur de plusieurs siècles à la fondation de l'église, car ce ne fut qu'en 1165 que Charlemagne fut canonisé par les évêques de Cologne et de Liège, à la requête d'un empereur schismatique (Frédéric Barberousse) et avec l'approbation d'un antipape (Pascal III). Actuellement il ne figure plus dans le calendrier des saints et le S qui précédait autrefois son nom sur le socle de la statue au fond de l'église Saint-Servais à Maestricht, a été soigneusement effacé.

L'origine carolingienne de l'église de Li Cour est donc loin d'être démontré; nous croirions plutôt que ses parties anciennes remontent au douzième siècle.

Le chœur de Saint-Lambert nous semble plus ancien. Son appareil irrégulier, ses assises en épi, la petite théothèque (si elle est originale) et les fenêtres du chevet remontent à la première période de notre art roman, c'est-à-dire au XIe siècle, et n'excluent pas la possibilité d'une date plus ancienne, mais ici, comme dans beaucoup de choses, nous devons nous résigner à ignorer. Il serait hasardeux en tous cas d'y voir la construction originale de Saint-Hubert, car on ne connaît pas un seul édifice en Belgique d'un âge aussi reculé. Il est probable que la construction primitive qui était peut-être en bois, et en tout cas couvert de chaume a été remplacée au XIe siècle par le chœur actuel. Son arc triomphal aura été élargi lors de la construction du vaisseau. La moulure de cette arcade et son matériau en pierre de sable trahissent déjà l'influence gothique qui a pénétré chez nous au commencement du XIIIe siècle.

Quoiqu'il en soit de son âge, la vieille chapelle si intimement liée à l'histoire des patrons du diocèse et de la ville de Liège mérite d'être conservée. Une prompte restauration s'impose, avec un accès convenable partant de la rue de la Chapelle vis-à-vis de la rue des Mineurs On supprimerait du coup le passage plutôt gênant des pèlerins devant les fenêtres de l'administration communale.

En 1915, grâce aux démarches de M. le Curé Bodson, la chapelle a été déclarée monument de troisième classe. C'est un premier pas dans le sens de la conservation. Mais le monument tombe en ruine. Le laissera-t-on périr? Ce serait un faute irréparable que les habitants de Herstal ne commettront jamais, ils sauront sauver ce dernier monument qui rappelle chez eux le séjour des Pépins et des Charles.

La ville de Charistalius doit cela à sa prospérité actuelle, elle le doit surtout à son glorieux passé.



(1) AMÉDÉE DE RlJCKEL. Les communes de la province de Liège. 1892 p. 272.

(2) CHARLES COMHAIRE. 60 et quelques promenades aux environs de Liège. Bruxelles ( 1918 ) p. 91, et le Pont des Romains à Herstal. Anvers ( 1906 ) p. 7.

(3) La fenêtre du milieu n'a pas été bouchée, mais simplement couverte par l'autel renaissance.

(4) COMHAIRE. Le Pont des Romains, p. 9.

(5) J. COENEN. De drie Munsters der Maasgouw. p. 57 et 151.

(6) DARIS. Notices sur les Eglises, t. V. p. 32.

Le 3 mars 1924, à la prière de M. le curé Hakin (notre notice étant déjà écrite), la Commission des Monuments et des Sites a visité une seconde fois la chapelle Saint-Lambert et nous devons avouer qu'elle ne partage pas notre manière de voir au sujet de cette armoire. Elle est d'avis que celle-ci a été pratiquée dans le mur du chevet lors de la construction de la sacristie, probablement pour déposer les Saintes Huiles.

(7) Mr l'architecte Schoenmaeckers nous signale une exception à la chapelle de Reppe sous Seilles.

(8) Le chanoine Nicolas qui écrivit vers 1150, est le premier auteur qui prétend que Saint-Lambert a été martyrisé dans une chapelle et que celle-ci était consacrée aux Saints Côme et Damien. La critique moderne a établi que le meurtre a eu lieu dans une habitation, villa ou couvent, située au Nord de la chapelle Notre-Dame qui servait d'église paroissiale au village de Liège. Cette chapelle annexée par Saint Lambert à la Cathédrale fut nommée plus tard Notre-Dame-aux-fonts et resta jusqu'à la Révolution l'église paroissiale primaire de toute la ville. Cf. Léon Lahaye Les paroisses de Liège. Bulletin de l'Institut archéologique de Liège. Tome

XLVI (1921) p. 3.

(9) J. DEMARTEAU. Saint-Théodore dard et Saint-Lambert. Vies anciennes publiées par la Société des Bibliophiles liégeois 1886 p. 173.

(10) BALAU. Les sources de l'histoire du pays de Liège. Bruxelles 1903, p. 33.

(11) Les Bollandistes AA.SS. nov., tome I p. 770. La fête du 3 novembre est l'anniversaire de la translation de Terveuren à Liège en 743. Ce transfert des reliques a probablement donné lieu à la composition du vita Sancti Huberti.

(12) AA.SS. sept., t. V., p. 580.

(13) Ibidem p. 600 et Chapeauville: Gesta pontificum Tome I, p. 433 (in villa Harmala).

(14) L'auteur avait écrit dans un premier ouvrage: La Geste de Liège: « si ont choisi 1 tiertre qui fut nommé patrache. »

(15) AD. BORGNET. Chroniques de Jean d'Outremeuse. Bruxelles 1896., t. II, p. 309.

(16) DENIS LEQUARRÉ. La Terre franche de Hertsal et sa cour de justice dans Bulletin de l'Institut archéologique de Liège, t. XXIX (1901) p. 112.

(17) Ces derniers détails nous ont été communiqués aimablement par M. Collard de Herstal.

(18) MGR BARBIER DE MONTAULT. Traité d'iconographie chrétienne. Pans 1890 (passim).

(19) Gesta episcoporum leodiensium abbreviata manuscrit de la bibliothèque royale de Bruxelles, d'un auteur inconnu.

(20) De là, la tradition de la naissance de Charlemagne à Jupille.

(21) J. BRASSINE. Les paroisses de l'ancien concile de Saint Remacle dans Bulletin de la Société d'Art et d'Histoire, t. XIV (1903), p. 287.

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