WWWCHOKIER


CHARLEMAGNE

APPENDICE
de Charlemagne d'après les traditions liégeoises

par Ferdinand HENAUX

Charlemagne et pepin le bossu - Annale Fulda


NOTE I

LA FRANCIE OU FRANCE ANCIENNE


Les écrivains Français modernes ont essayé d'expliquer comment la Gaule centrale a pris le nom de France.

Ce fut sans raison historique.

Le motif qu'en donne Sismondi n'est guère sérieux. « Les Gaulois, dit-il, ne voulant point renoncer à la gloire qui, pendant plus de trois siècles, s'était attachée aux armes des vainqueurs de leur Pays, prirent pour eux-mêmes en latin le nom de Franci, et nommèrent leur Pays Francia (1) ».

Ce fut longtemps après l'an 843, que l'on en vint à désigner par le nom de Francia ou Francie les parties de la Gaule qui formèrent le lot de Charles-le-Chauve, en suite du Traité de Verdun.

« C'est à cette année 843 que commence proprement la France moderne, qui est un démembrement de l'ancien Empire des Francs ou de la Monarchie de Charlemagne. Charles-le-Chauve est donc, à vrai dire, le premier Roi de France, et c'est par lui, en 843, qu'il faudrait commencer la suite des Rois de ce Pays (2) »

Cette Francie nominale n'est devenue tout à fait un État particulier et indépendant qu'en 987.

C'est donc de cette année 987 que date la France actuelle.

Tous les Français ne se sont pas toujours glorifiés de cette appellation nouvelle de leur Pays.

Au temps de la République française de 1794, des Citoyens adressèrent à la Convention Nationale une pétition, par laquelle ils demandaient qu'on rendît à la France son vrai nom, celui de Gaule (3).

En 1831, un excellent esprit, Charles Nodier, était aussi de ce sentiment. Il écrivait:

« La véritable gloire historique des Peuples consiste dans la longévité de leurs institutions et de leur nom. Voilà ce qui grandit le souvenir des Égyptiens, des Assyriens, des Hébreux, des Perses, des Romains. Nous ne sommes, nous autres, qu'une cohue brillante de force et de génie, mais tumultueuse, confuse et sans cohérence. Ce n'est pas un Peuple compacte, ce n'est pas une Nation. Notre nom même ne nous est pas connu; et qu'est-ce, grand Dieu! Qu'une race d'hommes qui ne sait pas son nom!... II n'y eut jamais de grand Peuple dénommé par son vainqueur. Le titre de François, comme celui de Normand, ne rappelle qu'une calamité publique, puisqu'il consacre une conquête et qu'il reconnoît explicitement l'abolition de toute civilisation précédente. Je ne trouve dans ma mémoire aucune société qui se soit soumise à cette humiliation, quand elle a pu s'en affranchir, et qui ait gardé depuis une place honorable dans l'histoire. Une révolution contre l'usurpation Franque, les Rois qu'elle avoit imposés, la Noblesse héréditaire qui en étoit sortie, une Révolution Gau­» bise étoit une Révolution légitime. » C'étoit l'objet latent de la nôtre, et personne ne l'a compris. Aussi, a-t-elle été manquée à tout jamais, quoi qu'il arrive. Le jour où nous aurions repris notre nom de Gaulois avec sa couleur et ses insignes, étoit le véritable jour de notre restauration sociale. Nous n'y avons pas pensé... (4) ».


NOTE II

LES PIPPINS


Selon la vieille coutume Barbare, les trois Pippins, qui furent successivement Maires du Palais, n'ont ni prénom ni surnom (5).

Il faut, souvent, faire effort pour les distinguer l'un de l'autre.

Une simple qualification caractéristique y aiderait.

Leur Histoire même peut aisément la fournir.

On aurait ainsi:

Pippin de Hesbaye, qui s'intitulait, en 623, Duc de Hesbaye (6);

Pippin de Jupille, qui mourut en 714 dans le Manoir de Jupille (7);

Pippin de Herstal, qui se constitua définitivement comme légitime Roi des Francs en 752.

Les Chroniques de Liège donnent parfois à ce troisième Pippin le surnom de Herstal, parce qu'il en avait réédifié le Manoir. On rapportait ainsi ce fait au XIVe siècle:

Anno Domini 758, Pippinus rex celebravit pascha in Joppilia palatio regio; qui destructo ponte lapideo in Cerretale supra Mosam, de ejusdem lapidibus edificavit domum regiam et ecclesiam conventualem in honore perpetue Virginis Marie in Harstallio, ubi magnum crucifixum sue stature collocavit (8).

« Lan VIIe et XLV, vient Pipin en son Palais à Jupilhe. Sy y celebrat la Fieste del Pasque. En chi temps li roy Pipin fist abatre Ii pons de Cherat, et fist des pires quilh en oistat fondeir une engliese à Herstal et uns Palais royal; et fist faire le crucefis del engliese de herstal de son grandeche (9). »

D'après les Annales contemporaines, Pippin résida dans le Manoir de Jupille pendant l'hiver de 758. Ii y célébra la solennité de Pâques en 759, le dimanche 2 avril (10).

II se trouvait dans le vieux Palais de Herstal en 752. Il y signa un diplôme le mardi 25 avril: Data mensis aprilis die vigesimo quinto in anno primo regnante Pippino rege. Actum ad Arestalio palatio publico (11).

A cette heure, on ignore tout à fait l'emplacement du Palais de Herstal (12).


NOTE III

LES NOMS EN USAGE DANS LE LIGNAGE PIPPINIEN


Dans l'ancien système Romain, toute personne notable avait ses tria nomina: un praenomen, un nomen, et un cognomen.

Il n'en est pas ainsi dans le Lignage Pippinien.

Le cognomen, ou nom de Famille, n'y existe pas (13).

Chaque individu n'a qu'un seul nom, un prénom dans le sens moderne.

Pour les hommes, c'est Pippin, Bernard, Charles; pour les femmes, c'est Landrade, Gertrude, Adélaïde (14).

Beaucoup de vieux noms Francs disparurent avec les vieilles Religions.

Avec le culte des Saints de l'Église Chrétienne primitive, les noms Hébreux, Grecs et Romains furent connus, souvent imposés lors du baptême, puis, par devotion, adoptés de préférence (15).

Voici une petite liste des noms usités dans le Lignage Pippinien, de l'an 620 à l'an 820. On leur laisse la forme Latino­Germanique qu'ils ont dans les documents du temps; à côté, il y a la forme Française actuelle.

Adalhardus. Adalard.

Agilfredus. Elfride. Alfred.

Bernhardus. Bernard.

Carlus. Charles.

Karolus.

Carolomannus. Carloman.

Chrodegandus. Chrodegand.

Dodo. Odo. Otton.

Grimoaldus. Grimoald.

Gundelandus. Gondeland.

Hildebrandus. Childebrand.

Hruodlandus. Roland.

Ingorammus. Ingram. Ingerand.

Lotharius. Lothaire.

Ludowicus. Ludovic. Louis.

Pippinus. Pippin.

Sigrammus. Sigram. Sigerand.

Theodericus Thierry.

Theodoaldus. Théodoald.

Wala. Wala.

Adallindis. Adélinde.

Adheleidis. Adhélaïs. Adélaïde.

Adalthrudis. Adeltrude. Altrude.

Alpaidis. Alpaïde.

Atula. Adoule.

Begga. Begge.

Bertrada. Bertrade.

Berta. Berte. Bertine.

Berthaidis. Bertaïde.

Chiltrudis. Chiltrude.

Fastrada. Fastrade.

Gertrudis. Gertrude.

Gisla. Gisèle.

Guntrada. Gontrade.

Hildigarda. Hildegarde.

Hiltrudis. Hiltrude.

Hrotrudis. Rotrude.

Hruodhaidis. Rodaïde.

Hruothildis. Rothilde.

Irmingarda. Ermengarde.

Itta. Ida.

Landrada. Landrade.

Liudgarda. Ludgarde.

Mathildis. Mathilde.

Plectrudis. Plectrude.

Regina. Régine. Reine.

Theoderada. Théodrade.

Waldruda. Waldrude.



NOTE IV

LIGNAGE PIPPINIEN

Charlemagne - Lignage Pippinien



NOTE V

ALPAIDE


D'après de vieilles ressouvenances, la noble et digne Alpaïde serait née à Liège, dans la Seigneurie d'Avroi.

Au dire de quelques érudits du XVIIe siècle, elle devait être originaire de la Communauté d'Ans, ex Antio, pago vicino Leodico (16).

Il y a soixante ans, on donnait encore, en effet, le nom de Parc d'Alpaïde à une ferme située à Ans, sur la Chaussée, un peu plus haut que l'église.

C'était le nom de cette ferme qui avait, sans doute, induit à supposer que le lieu natal d'Alpaïde était Ans.

En 678, Alpaïde épousa Pippin de Jupille (17), et fut mère de Charles Martel et de Childebrand; elle mourut vers 690 (18).

Alpaïde avait un frère, nommé Odo ou Dodo. Les Chroniqueurs savent cela: Dodo frater ipsius AIpaidis (19).

Dodo était riche en biens et en vassaux, comme Seigneur d'Avroi. Un légendaire du IXe siècle en touche ce mot: In diebus illis erat Dodo, domesticus supradicti Principis Pippini, et erant ei possessiones multae et in obsequio ejus pueri multi (20).

Il vivait encore en 722. C'est lui, semble-t-il, qui, au Manoir de Herstal, a soussigné du nom d'Odo un diplôme de Charles Martel: Actum Herestallio villa publica... Signum Illustris Viri Karoli majoris domus, qui hanc donationem fieri et affirmari rogavit. Signum Karolomanni filii ejus. Signum Gariaonis. Signum Odonis.... (21).

En 710, Dodo s'était trouvé à la tête des Païens, dans un combat contre les Chrétiens (22). Ceux-ci avaient été défaits, et saint Lambert avait été tué d'un coup de lance (23).

Pendant le premier Moyen-Age, le monde sacerdotal eut Dodo en horreur.

La Population Liégeoise vécut sous l'influence de ces haines et de ces mépris religieux.

Au XIVe siècle, dire à quelqu'un qu'il était de la race de Dodo, ex vadice pravi Dodonis, c'était une grave injure (24)

A notre époque aussi, à cette heure même, dans le Quartier d'Avroi, être violent et braillard, c'est être de la race des Dodo.

Il y a une trentaine d'années, on voyait encore sur Avroi, rue Bas-Laveu, à quelques pas au-delà du viaduc, les ruines d'une antique demeure qui devait avoir été entourée d'épaisses murailles: c'étaient les derniers restes du manoir de Dodo.


NOTE VI

LE PALAIS CAROLINGIEN DE LIÈGE


Lorsqu'ils eurent conquis le Pays, les Romains fortifièrent le Burg de Liège comme tête du Pont qui traversait la Meuse (25).

La partie de la Ville qui est aujourd'hui renfermée entre les rues de la Rose, Potiérue, Quai de Cheravoie, et les rues de la Régence, de la Basse Sauvenière, Degrés de St-Hubert, Agimont, Derrière le Palais et Hors-Château, constituait, paraît-il, l'enceinte de ce Castrum (26).

Au VIe siècle déjà, Liège était une des plus importantes localités situées sur la Meuse. On le voit apparaître, sous sa forme phonétique de Lîge, sur le carnet du Géographe de Ravenne (27).

Aux VIle et VIIIe siècles, Liège était une Ville Libre. Les documents du temps la qualifient de Vicus Publicus, de Villa Publica.

Les Pippins, les Chefs du Pays, habitaient le Palais romain, le Castellum. Cela explique pourquoi cet édifice s'est appelé Palatium, et pourquoi il nous est arrivé sous ce nom de Palais (28)

A partir du IXe siècle, les Chroniques notent avec quelque soin les séjours du Chef de l'Empire au Palais de Liège.

Le vaste Palais était alors entièrement occupé par l'Empereur et par sa suite nombreuse.

Voici la liste, assurément très incomplète, des successeurs de Charlemagne qui vinrent loger dans le Palais durant le Moyen-Age (29).

Louis le Débonnaire. 814. 823. 831.

Lothaire I. 852. 853. 854 (30)

Louis II, le Germanique. 874.

Charles le Chauve. 876.

Otton I. 946.

Otton III. 993.

Henri II. 1012. 1018. 1019 (31).

Conrad II. 1024. 1026. 1028 (32).

Henri III. 1046.

Henri IV. 1061. 1064. 1071. 1080. 1103. 1106 (33).

Henri V. 1107. 1122. 1125 (34).

Lothaire II et Richulde sa femme. 1131. Le dimanche 29 mars, ils sont couronnés dans la Cathédrale par le Pape Innocent II (35). (35).

Conrad III. 1139.

Frédéric I. 1156. 1171 (36).

Henri VI 1192 (37).

Otton IV. 1200 (38).

Frédéric II. 1241.

Guillaume. 1248 (39).

Vers l'an 1000, les Évêques de Liège, devenus Princes du Pays, s'étaient installés dans le Palais. Ils y tinrent leur Cour, et en datèrent leurs chartes.

Lorsque l'Évêque-Prince hébergeait l'Empereur, il allait, par courtoisie, se loger dans un hôtel du voisinage.

Le dimanche 20 juillet 1794, le Palais cessa d'être une demeure princière, et, à l'occasion, une Résidence Impériale.


NOTE VII

ROLAND

Dans sa Vita Karoli Imperatoris, Éginard a rappelé incidemment, en quelques mots, la destruction de l'arrière-garde de Charlemagne à Roncevaux (40).

Il nomme seulement parmi les tués: Anselme, Eggihard, Roland.

Ces Capitaines étaient, sans doute, célèbres entre tous, pour mériter une telle distinction.

La renommée de Roland, comme chrétien zélé et vaillant guerrier, resta fameuse, glorieuse même, durant tout le Moyen-Age.

Aujourd'hui, elle est bien grande encore.

Sa biographie Liégeoise se réduit à ceci (41).

Roland appartient au Lignage Pippinien (42).

Il était neveu de Charles.

Il avait pour mère Berte, fille naturelle de Pippin de Herstal (43).

Il était né en 740 (44).

En 772, Roland apparaît comme Comte Palatin: c'était être Juge et Capitaine tout à la fois (45).

Il soussigna, en cette qualité, dans le mois de mars, au Manoir de Herstal, un diplôme de son oncle Charles (46).

En 777, en septembre, il soussigna encore un diplôme, toujours au Manoir de Herstal, comme Comte Palatin (47).

Roland résidait à Liège. D'anciennes dénominations autorisent même à placer sa demeure à l'extrémité du Vinâve de la Sauvenière, sur la pente de la colline où il y avait les Vignes Roland. Le pied de cette colline, que venait battre la Meuse, se nommait, naguère encore, Roland-Goffe (48). (Note webmestre: C'est courrir à la française! voir Notice de Th Gobert sur la véritable origine de ce lieu dit).

En 778, Roland était Capitaine du littoral Britannique, c'est-à-dire Margrave des Pays bordés par l'Océan (49).

En cette année 778, le printemps venu, il prit part à la mémorable expédition au­delà des Pyrénées (50).

Charles réussit à conquérir, avec sa rare célérité, la Navarre entière et l'Aragon jusqu'à l'Ebre.

Après y avoir assuré sa domination, il s'en revint au Pays. -

Le mardi 16 juin (51), son armée retraversa les Pyrénes (52). L'arrière-garde, commandée par les Capitaines Anselme, Eggihard et Roland, défilait péniblement dans la vallée de Roncevaux, lorsque, à la tombée du jour, elle fut surprise par les Basques insurgés (53). Ceux-ci, légèrement armés, et favorisés par les difficultés du terrain, exterminèrent, jusqu'au dernier, tous les Francs (54).

Roland avait valeureusement combattu.

Resté presque seul, il s'était acculé contre une roche, et s'était défendu longtemps avec sa terrible épée. Désespéré, il saisit son cor, et il en sonna d'une telle force, qu'il se rompit les veines du cou. II expira, après une courte agonie (55).

Le Roi avait entendu ces appels de détresse. Il avait ordonné aussitôt un mouvement rétrograde. Il ne trouva plus dans la vallée que des morts et des mourants. L'ennemi avait fui (56)

Après avoir fait, avec piété, tous les enterrements, il ramena son armée sur les bords du Rhin, et la remercia. Dans les premiers jours de septembre, il rentrait au Manoir de Herstal (57).

Le souvenir du désastre de Roncevaux attrista longtemps Charles (58). Il regrettait de vieux amis, des amis d'enfance (59).

Son parentage avait eu d'égales afflictions.

Au dire des Chansons (Romanicae Cantilenae) du bas Moyen-Age (60), Roland avait pour compagnon d'armes un jeune guerrier, Olivier, son cousin, dont il devait épouser la soeur, nommée Alde (Adèle) (61).

Alde mourut de désespoir, en apprenant, de Charles même, le trépas de son fiancé.

Une Chanson du XIe siècle raconte ainsi ce touchant épisode:

« Comme Charles entrait dans la salle de son Manoir, Alde, la noble demoiselle, court lui en s'écriant: Où est le Capitaine Roland, qui m'a juré de me prendre pour sa compagne? Charles, saisi de douleur, se mit à pleurer en tirant sa barbe blanche (62), et dit: Soeur, chère amie, c'est d'un homme mort que vous me parlez! Je vous en donnerai un autre, mon fils Louis, qui sera mon héritier... Alde répond: Quelles paroles étranges! Ne plaise à Dieu, ni à ses Saints, ni à ses Anges, que je survive à Roland! Elle pâlit, tombe aux pieds de Charles, et meurt. Dieu ait pitié de son âme! »

Voici ces vers:

Li Empereres est repairet d'Espaigne

E vient à Ais (63), al meillor sied de France.

Muntet el palais, est venut en la sale:

As li Alde venue, une bele damisele,

Ço dist al Rei: « O est Roilanz le Cataine,

Ki me jurat cume sa per à prendre? »

Carles en ad e dulor, e pesance,

Pluret des oilz, tiret sa barbe blance.

« Soer, cher amie, de hume mort me demandes!

Jo ten durai mult esforcet eschange:

Ço est Loewis. Mielz ne sai à parler:

Il est mes filz, et si tendrat mes marches. »

AIde respunt: « Cest mot mei est estrange!

Ne place Deu, ne ses Seinz, ne ses Angles,

Apres Rollant que jo vive remaigne! »

Pert la culor, chet as piez Carlemagne,

Sempres est morte. Deus ait mercit de lanme!

On avait rapporté à Liège le cor de Roland ainsi que son épée, nommée Durandal, présent de Charlemagne (64)

Cette épée et ce cor du célèbre Palatin furent suspendus dans le choeur d'une église. Nos pères les virent et les révérèrent pendant de longs siècles (65).


NOTE VIII

L'ÈRE CHRÉTIENNE


Dans les temps antiques, en Occident, il n'existait pas une ère générale, une époque remarquable d'après laquelle on pût dater les actions publiques et privées.

Chaque Pays gardait mémoire, comme il le pouvait, de ses faits nationaux.

Ces faits, après la disparition des témoins, tombaient bientôt dans le vague traditionnel, puis dans l'oubli (66).

Lorsque les Rois des Francs prédominèrent, on data de chaque règne les documents et les évènements (67)

L'Histoire ne continua pas moins à être un ramas confus de faits et d'anecdotes sans dates (68)

En Italie, des Chrétiens s'étaient mis à dater leurs souvenirs religieux d'après une nouvelle ère, qu'ils firent commencer à l'année mémorable de la naissance du Christ.

Cette Ère Chrétienne fut adoptée par les Fidèles de Rome.

C'était au milieu du sixième siècle, vers l'an 540.

Un prêtre Anglo-Saxon prodigieusement instruit, Beda, qui florissait en 730, fit usage de cette manière de dater, pour dresser diverses Chronologies sacrées et profanes (69)

Cette innovation fut aussitôt accueillie par les Chrétiens de la Germanie.

En 743, on se mit à dater des actes ou documents religieux d'après l'Ère Chrétienne (70).

Charlemagne comprit que ce système dataire devait être un élément de civili­sation.

Dès 787, il voulut qu'on enseignât le Comput nouveau dans les Écoles (71).

Il ne s'arrêta point l.

II fit rédiger par ses scribes des Annales Palatii, véritable histoire politique et morale de son temps, commençant à l'an 741 de l'Incarnation du Christ, et devant se continuer indéfiniment (72).

Sur son ordre, dans chaque Monastère, les plus savants d'entre les Religieux furent chargés de chronologiser, en cette Ère sainte, les évènements notables anciens et récents, batailles, désastres, famines, conversions des Païens (73).

Ainsi prévalut, pour supputer les temps, l'Ère Chrétienne (74).

Réforme pieuse, sans doute; mais, sans contredit, d'une importance scientifique indiscutable.

A l'heure présente, dans toute l'Europe Occidentale, on se sert encore de l'Ère Chrétienne, dite Vulgaire, que l'on considère comme le fondement réel de la Chronologie historique.


NOTE IX

LANGUES MATERNELLES DE CHARLES


Le Latin, longtemps même après l'expulsion des Romains, était resté la langue officielle et savante dans tout l'Occident de l'Europe.

Charles apprit et parla le Latin.

Son Biographe le dit en termes des plus nets: « Charles ne se contenta pas de savoir la langue de son Pays. Il s'efforça d'apprendre les idiomes étrangers; entre tous, le Latin lui devint si familier, qu'il le parlait aussi aisément que son propre Patois. »

Nec Patrio tantum sermone contentus, etiam peregrinis Linguis ediscendis operam impedit; in quibus Latinam ita didicit, ut aeque illa ac Patria lingua orare sit solitus (75).

D'autre part, par les mots Patrio sermone, Patria lingua, le Biographe n'entend pas seulement le tixhon, mais aussi le wallon; c'est-à-dire, le tudesque et le gaulois-roman (76).

Le tudesque, en effet, était aussi bien la langue maternelle de Charles que le roman.

Tous les membres de son Lignage parlaient également ces deux antiques dialectes (77).

Deux faits peu apparents montrent bien cela.

Le pieux Chrodegand, cousin-germain de Charles (78), comme lui né en pleine Hesbaye, avait été à l'école tixhonne du monastère de Saintron. Il mourut, en 768, Évêque de Metz.

Sachant parfaitement le roman et le latin, Chrodegand s'était montré fort éloquent dans la chaire. Fuit eloquio facundissimus, tam Patrio quamque etiam Latino sermone imbutus (79).

Pour être compris des Messins, évidemment Chrodegand s'exprimait en leur patois, en roman, le Patrius sermo (80).

Adalard, un autre cousin-germain de Charles (81), parlait avec une même facilité le roman et le tudesque.

Ces lignes d'un contemporain l'attestent: « Quand Adalard prêchait en langue vulgaire, sa parole s'insinuait toute gracieuse; si c'était en tudesque, sa phrase était saisissante de clarté tout comme une phrase latine. »

Quem si Vulgo audisses, dulcifluus emanabat, si vero idem Barbara, quam Teutiscam dicunt, lingua loqueretur, preeminebat claritatis eloquio, quod si Latine (82)

En somme, Charles, comme ses parents, comme son entourage, avait pour langues maternelles le Tixhon et le Wallon; surtout le Wallon, le Vulgo de son cousin Adalard, le roman littéraire du beau monde de la Francia.


NOTE X

DU GOUT DE CHARLES POUR LES LETTRES


Charles était instruit, lettré même.

Il était beau discoureur, et contradicteur subtil.

Son Biographe est précis là-dessus:

Erat eloquentia copiosus et exuberans; poteratque, quicquid vellet, apertissime exprimere... Adeo quidem facundus erat, ut etiam didascalus appareret (83)

Charles tenait note de ses idées.

En 881, dans un Concile assemblé près de Reims, on invoqua le témoignage d'anciens Conseillers de Charles, pour le montrer réglant tout par lui-même, et inscrivant soigneusement sur son carnet les choses à dire et à faire.

C'est ce qui fut rapporté en ces mots bien explicites:

« Comme plusieurs de nous l'ont entendu raconter par ses anciens Conseillers, Charles avait été le Roi le plus instruit que les Francs eussent jamais eu. Il avait toujours à la tète de son lit ou de son fauteuil des feuillets et des crayons. Pendant le jour, pendant la nuit, il prenait des notes sur la discipline de la Sainte Église ou la police du Royaume. Il discutait ensuite ses projets en Conseil. »

Voici le texte: Sicut quidam nostrum ab illis audivit qui interfuerunt, Karolus, magnus imperator, qui... sapientia tam in sanctis scripturis, quam et in legibus ecclesiasticis et humanis, Reges Francorum praecessit...: ad capitium lecti sui tabulas cum graphio habebat, et quae, sive in die, sive in nocte, de utilitate sanctae Ecciesiae, et de profectu ac soliditate Regni meditabatur, in eisdem tabulis annotabat; et cum eisdem Consiliaris, quos secum habebat, inde tractabat (84).

Ainsi, Charles in tabulis cum graphio annotabat: il était toujours à griffonner des réflexions, des observations sur ses tablettes.

Il y a plus.

Charles, déjà âgé, avait tout à coup désiré d'exprimer littérairement sur le papier ses pensées. Il avait voulu écrire, temptabat scribere, au dire d'Éginard.

En d'autres termes, il s'essaya à être Auteur, mais trop tard. Sed parum successit labor, praeposterus ac sero inchoatus, comme le remarque son judicieux Biographe.


NOTE XI

LA REACTION PAÏENNE


Charlemagne avait dû combattre pendant plus d'un quart de siècle, pour substituer aux religions locales la foi orthodoxe du Christ




(1) Histoire des Français, édition de 1821 t. III, p. 10.

(2) Koch. Tableau des Revolutions de l'Europe dans le Moyen-Âge, édition de 1814; t. I, p. 67.

(3) Cette pétition est insérée dans la Revue rétrospective, t. VI, p. 145.

(4) Dans les Oeuvres de Charles Nodier, t. V, p. 35.

(5) Le nom de Pippin est écrit en latin du VIlle et du IXe siècles: Pipinus, Pippinus; en roman du XIIe siècle: Pepin, Pippin, Pipyn.

On prononçait, sans doute, à la manière de nos Liégeois d'Outremeuse: Pipingne. De là, cette orthographe phonétique d'un document du temps, de l'an 765: Datum mensis juliis dies XII. anno XIIII. regnante domino nostro PIPN0 rege. (Dans Zeuss, Traditiones possessionesque Wizenbirgenses, p. 254.)

(6) En 623 Pippin signait: Pippinus majordomus Dux Hasbaniae. Voir ci-devant, page 32, note 1.

(7) Pippin mourut dans le Manoir de Jupille, après une longue maladie, le 16 décembre 714. Anno ab incarnatione Domini 714. aegrotante Pippino in lopila villa publica quae sita, est super fluvium Mosam... In pace obiit decimo septimo kalendas januarii. (Annales Mettenses, dans les Monumenta Germaniae historica, t. 1, p. 322, etc.)

(8) Lewis, Chronicon Leodiense, p. 31; Magnum Chronicum Belgicum, dans les Rerum Germanicarum Scriptores de Pistorius, t. III, p. 35, etc.)

(9) Les Chroniques de Liège de Jehan Des Preis; t. II, p. 484, etc.

(10) Hoc anno 759 celebrarit Rex Pippinus Pascha in lopila; neque extra Regni sui terminos aliquod iter fecit. (Annales Palatii, dans les Monumenta Germaniae historica, t. I, p.143; voir aussi d'autres Annales, ibid., p. 142, 333, etc.)

(11) Dans l'Amplissima Collectio, t. I, p. 26, etc.

(12) Au siècle dernier, vers 1730, quelques Antiquaires supposaient que, au VIIIe siècle, Herstal et Jupille formaient un seul et même Domaine, où il n'y avait qu'un Palais, celui de Jupille. (Les Délices du Pays de Liège, t. IV, p. 44, etc.)

Par une conjecture, on semble insinuer que Haristallium n'est pas un nom de lieu, mais une appellation, équivalent à Résidence souveraine. Or, dans les Annales du IXe siècle, on lit nettement: Heristallium Villam, In Villa Heristallio, etc.

Les Princes Carolingiens festoyaient encore in Heristallio ad Mosam palatio en 842, 870, 874, etc. (Leibnitz, Annales Imperii Occidentis, t. I, p. 501, 689, 729, etc.)

(13) Les noms de Famille, nobles ou roturiers, apparaissent dans notre Pays seulement au XIe et au X1Ie siècles.

(14) On ignore comment les vieux noms Francs se prononçaient alors dans le dialecte wallon. Aujourd'hui, comme au Moyen-Age sans doute, Charles se prononce Tchòle ou Tchâle; Gertrude devient Giètrou, etc.

(15) Nos vieux noms Francs ne sont pas tombés tous en désuétude. A Liège, on trouve fréquemment pour prénoms: Charles, Bernard, Louis, etc.; Anais, Ritta, Gertrude, Gisèle, etc.

(16) En 1658, un érudit étranger mentionnait ainsi cette croyance: Quidam auctores dixerunt Alpaïdem in vico Antio Leodico proximo natam esse. (Valesii Rerum Francicarum, t. III, p. 383.)

(17) Comme on l'a vu plus haut, page 33, Pippin de Jupille avait eu simultanément plusieurs épouses, notamment Alpaïde et Plectrude.

La polygamie était alors permise, du moins pour les Grands. Sed eodem tempore consuetudo vigebat, ut Reges duas aut tres uxores simul haberent. (Eckhart, Commentari de Rebus Franciae Orientalis, t. I, p. 289.)

(18) Charles-Martel, né en 679, a dû épouser Rotrude vers 704; elle mourut en 725, suivant de vieilles Chroniques: Anno 725. Hrotrudis mortua. (Annales, dans les Monumenta Germaniae historica, t. I, p. 24, 25, etc.)

Ceci est à noter.

On ignore quel âge avaient à leur décès les différents membres du Lignage Pippinien. Les chiffres donnés par quelques Annalistes ne peuvent être, assurément, que des à peu près.

Charlemagne est le premier qui ait eu un état-civil certain. Ça été un progrès, comme tant d'autres petites choses de ces misérables temps.

(19) Sigeberti Chronica, dans les Monumenta Germaniae historica, t. VI, p. 328, etc.

Albaidis Dodonis soror, quam Pipinus legitime uxoris subduxerai. (Annales Sancti Jacobi Leodiensis. Ibid., t. XVI, p.636, etc.)

Dodo aux six doigts (à siz deus), comme on dit encore. Les Dodo, selon la tradition vulgaire, avaient un doigt surnuméraire à la main droite.

(20) Godescalci Vita sancti Landeberti, dans les Acta Sanctorum Ordinis S. Benedicti de Mabillon, t. III, p. 65.

Divers détails de cette Vita indiquent qu'elle a été récrite, au Xe siècle peut-être, par un légendaire étranger au Pays Liégeois.

(21) Dans les Diplomata Belgica de Miraeus, t. I, p. 491.

(22) Les compagnons de Dodo étaient cuirassés et casqués, et armés d'épées, de lances, de hachettes et d'arbalètes. Et erat multitudo copiosa Virorum pugnatorum ad bellandum, et erant induti loricis et cassidis, clipeis et lanceis, gladiisque praecincti, et sagittas cum pharetris habentes. (Godescalci Vita sancti Landeberti. Ibid., p. 66.)

Cette troupe obéissait à des ordres venus du Palais. Iniquissimi Viri de palacio regio missi, écrit-on dans le vieux Martirologium Ecclesie Leodiensis [folio 39' de notre Mst, du XlIIe siècle], probablement d'après une tradition hostile à Pippin.

(23) Les vainqueurs forcèrent l'Église ou maison d'assemblée, domus ecclesie, où s'étaient retranchés Lambert et ses Chrétiens. Tous furent tués, et Lambert l'un des premiers. Et ingressi domum interfecerunt in ore gladii omnes quos ibidem invenerunt; unus autem ex ipsis, in ictu teli jaculavit Landebertum. (Godescalci Vita, etc., p. 66.) Improvise conclusus intra domum ecclesie occiditur. (Martirologium Ecclesie Leodiensis, fol. 39'.)

Tout semble indiquer que ce local [ecclesia], où s'assemblaient les Chrétiens, se trouvait en Vesquecour, entre Neuvice et Potiérue, au bord de la Meuse. Ecce subito venerunt Impii ad ostium domus ejus... In Villa cui vocabulum est Leodio, sita super fluvium qui vocatur Mosa. (Godescalcus. Ibid., p. 65.) - His diebus trucidatus est praedictus pontifex Lambertus in Nova Valle juxta Leodium sive Legiam, a Dodone quondam principe. (Vita sanctae Odae, dans les Acta Sanctorum Belg, t. VI, p. 523.)

(24) C'est ce que raconte le chanoine Mathias de Lewis, qui écrivait en 1360, en son Chronicon Leodiense, p. 132, etc.

(25) Au moyen-âge, c'était de tradition que Liège avait été fondé par les Empereurs Romains, a Romanis Imperaoribus condita. (Dans les Gesta Pontificum Leodiensium, t. III, p. 185. Voir aussi notre Histoire du Pays de Liège, t. I, chap. 6, etc.)

(26) En 1859, lors de la reconstruction du Pont des Arches, on retrouva, le long de la Ribuée, des vestiges d'une muraille qui avait bordé la Meuse.

Des restes de cette vieille fermeté se voyaient encore, au XIVe siècle, entre la Batte et Féronstrée. On les mentionne ainsi dans un document de 1330: « Item. Doit Maroiis Wike del Vesque Curt por les Murs del Viez Fermeteit derier sa maison, trois solz et siz deniers. - Item. Hanes Sculteaus li boulengiers por laisemenche des Vies Murs en le Vesquc Curt ensi que sa maisons sestent, quatre solz. - Item. Ilh meismes por une pieche de terre joindante à Vies Murs del Fermeteit en le Vesquc Curt, quatre sols. - Item. Colins Flokeles pour laisemenche des Murs del Vies Fermeteit derier le maison Signeur Makaire qui fut le poindant, etc. » (Dans le Liber Cartarum Ecclesie Leodiensis, n° 660.)

En 858, en mai, la muraille longeant la Meuse, au pied de la Sauvenière, avait été fortement endommagée par une crue subite du fleuve, produite par de grosses pluies. Mense maio [858], in Vico Leudico, in quo corpus sancti Landberti quiescit. tanta subito pluviarum inundatio effusa est, ut domos et muros lapideos seu quaecumque aedificia cum hominibus et omnibus quaecumque illic invenit, usque ad ipsam ecclesiam memoriae sancti Landberti violenta irruptions in Mosan» fluvium praecipitaverit. (Prudentii Trecensis Annales, dans les Monumenta Germaniae historica, t. I, p. 452.)

Comment cet Annaliste étranger, mort en 861, avait-il eu connaissance de cette inondation désastreuse? Par un témoin oculaire? Par le bruit public, notre Ville ayant de la notoriété?

Ce fait-Liège de 858, acté par le savant Prudence, est aussi mot pour mot dans les Annales Aureaevallenses; ibid., t. XVI, p. 682.

Aucune Chronique de Liège de ces vieux temps, du IXe ou du Xe siècle, ne nous est parvenue.

(27) Ce voyageur Italien ne mentionne pas la Meuse, quoiqu'il cite les Villes qui sont sur ses bords, Dinant, Bouvigne. Namur, Huy, Liège, Maestricht. Sous sa plume un peu Toscano-Tixhonne, ces noms deviennent Dionantis, Oim, Namon, Heoii, Ligo, Trega. (Ravenatis Anonymi Cosmographia; Berlin, 1860; p. 233.)

(28) II y a une vingtaine d'années, en creusant çà et là, à l'Ouest du Palais, on mit au jour des morceaux de colonnes en style romain, etc. Tout cela provenait de la construction primitive, d'un très Vieux Palais. Dans un document de 1237, on mentionne une maison située au coin du Marché, dont « li murs derrier doit estre sor le viez fondement ki se joint at mur del Viez Palais... » (Dans le Liber Cartarum Ecclesie Leodiensis, n° 255.) - Nec non Palatium Vetus, dit aussi, à l'an 1185, Gilles d'Orval, qui compilait en 1230. (Dans les Gesta Pontifium Leodiensium, t. II, p. 128.)

Tel qu'il est encore aujourd'hui, le Palais est une construction étrange, qui appartient à différentes époques. Voici ce qu'en disent quelques archéologues:

« Le Palais est un grand édifice bâti dans le moyen-Age. Sa cour est entourée d'une galerie à arcades qui reposent sur des colonnes. Cette cour présente un caractère véritablement persan; les colonnes, d'une pierre bleuâtre, ont la forme d'un candélabre; la partie inférieure de leurs fûts est ornée différemment, et les arcades, placées sur les chapiteaux, ont tout à fait la configuration de l'arc persan... » (De Wiebeking, Architecture civile; Munich, 1829; t. V, p. 453.)

« Tous les monuments de la Renaissance portent, à peu d'exceptions près, un cachet de similitude qui laisse facilement deviner leur origine commune, l'étude des monuments antiques, et l'application de leurs principes aux édifices nouveaux. C'est ce que nous prouve l'architecture des XIVe et XVe siècles en Italie, celle du XVIe en France et en Allemagne, comme aussi la Renaissance espagnole... Parmi les monuments qui font exception à la règle générale, nous devons ranger le Palais épiscopal de Liège. Il est fort remarquable par l'originalité de son style et l'étrangeté de plusieurs de ses détails. Il est le seul et unique de son genre... On remarque dans la cour des colonnes isolées de la conception la plus bizarre et la plus fantastique. Ces colonnes, d'un style si excentrique, ne trouvent point d'analogie avec aucune de celles que nous connaissons en Europe. Elles ressemblent à quelques colonnes employées dans des monuments de la presqu'île de l'Inde... » (Gailhabaud, Monuments anciens et modernes; Paris. 1850, t. III.)

(29) Nous citerons quelques lignes de vieux textes, de ceux-là surtout qui sont dans le style du IXe siècle.

Il était admis que l'Empereur avait droit à être logé dans le Palais, lui et sa suite.

Si Rex Germaniae veniat Leodium, divertet ad Palatium, et inposterum sub ejus nomine judicabitur, ique Praetorem constituet, etc. (Inclytae Civitatis Leodiensis Delegatio, p. 37, etc.)

(30) Un diplôme de Lothaire, du 25 février 853, est cloturé ainsi: Actum Leodico, Vico Publico, in Dei nomine feliciter. Amen (Dans l'Amplissima Collection, t. I, p. 129; Hontheim, Historia diplomatica Trevirensis, t. I, p. 187, etc.)

En 854, les trois petits-fils de Charlemagne convinrent de s'assembler à Liège pour traiter de la paix. L'Empereur Lothaire et le Roi Charles-le-Chauve se trouvèrent seuls au rendez-vous, chacun avec une suite nombreuse et brillante.

Carolus super fratris sui Hludowici fide suspectus, ad Lotharium in Vico Leudico venit, ubi diu de communi amicitia atque indissolubili tractantes, tandem coram omnibus qui

aderant, etc. (Prudentii Annales, dans les Monumenta Germaniae histonica, t. I, p. 448, etc.) Les Grands de l'Empire invoquèrent ce Parlement solennel en 856:... Cum his quae in Leodico cum fratre vestro HIotario adnuntiastis, etc. (Ibid., Lequm t. I, p. 447.)

(31) Anno 1012. Heinncus rex pascha celebravit Leodii. (Dans les Monumenta Germaniae historica, t. III, p. 94; t. IV, p. 18, etc.) - L'Empereur se trouvait encore à Liège le dix-sept mai de cette année 1012; ce jour-là, il y avait à sa Cour: l'Évêque de Worms; l'Archevêque de Cologne; l'Évêque de Metz, frère de l'Impératrice; l'Évêque d'Utrecht; le Duc de Lorraine; le Duc de Mosellane, etc.

(32) Conrad, élu Empereur le 8 septembre 1024, arrive à Liège peu de temps après. Il y signe, le vendredi 2 octobre, un diplôme qui est ainsi daté: Data VI° nonas octobris, anno dominice incarnationis M. XXIIII, indictione VIII, anno gloriosissimi Regis Cuonradi primo. Actum in Civitate Legia feliciter. (Dans le Liber Cartarum Ecclesie Leodiensis, fol. 75.)

1026. Rex (Conrad) natale Domini Leodii celebravit, et Heinricum, filium suum ex Gisla, regem fecit.

1028. Imperator natale Domini Leodii celebravit. (Dans les Monumenta Germaniae histor., t. VI, p. 676, 677, etc.)

(33) 1064. Heinricus rex natalem Domini Coloniae celebravit, diem paschae autem Leodii. (Dans les Monumenta Germaniae historica, t. V, p. 272, etc.)

1071. Regalis Curia condicta erat Legiae celebrari... Illic omnes qui habebant causam judicii jussi sunt convenire de singulis partibus Romani Imperii, etc. Un diplôme que Henri IV signa à Liège le mercredi 11 mai, constate qu'il est donné en présence de l'impératrice Berte, de l'Archevêque de Cologne, des Évêques d'Utrecht, de Verdun, de Bamberg, de Cambrai, de Verceil, des Ducs de Lorraine, d'Allemanie, de Bavière, etc. (Voir les Gesta Poncificum Leodiensium, t. II, p. 12, 547; le Liber Cartarum Ecclesie Leodiensis, n° 8, etc.)

1080. Heinricus rex pascha celebrat Leodii. (Annales Sancti Jacobi Leodiensis, dans les Monumenta Germaniae historica, t. XVI, p.639, etc.)

(34) Anno 1125. Heinricus Imperator Leodii pascha Domini cetebrat. (Anselmi Gemblacensis Chronica. Ibid., t. V, p. 380, etc.)

(35) Rex autem Lotharius Leodium cum Principibus totius regni, Archiepiscopis, Episcopis, Ducibus, Marchionibus, Palatinis Comitibus, et etiam coeteris Nobilibus ad Curiam condictam venit. Advenientem ibi Papam Rex magnifies suscepit. (Dans les Rerum Germanicarum Scriptores de Pistorius, t. I, p. 471.) - Dominica in medio quadragesimae, Innocentius cum curribus et redis ab aecclesia sancti Martini in Publico Monte, quasi Ramae via triumphali, usque ad Capitolium sancti Lamberti ascendit, missam celebrat, Regem et Reginam coronat, etc. (Anselmi Gemblacensis Chronica, ibid., p. 383.)

Trente-deux Évêques et cinquante-trois Abbés, au nombre desquels se trouvait saint Bernard, assistèrent à cette cérémonie. (Voir Gilles d'Orval, dans les Gesta Pontif. Leod., t. II, p. 75, etc.)

(36) Anno 1156. Imperator prima quadragesimali Leodium venit... (Annales Laubienses, dans les Monumenta Germaniae historica, t. IV, p. 23 etc.)

(37) Anno 1192. Imperator Henricus Leodium venit. (Albrici Chronica. Ibid., t. XXIII, p. 869.)

(38) Itaque regalibus acceptis de manu Ottonis Regis, qui tunc forte Leodii praesens erat... (Gilles d'Orval, ibid., p. 196.)

(39) Wilhelmus calendis novembris die dominico in Regem Alemanniae consecratur. Hic veniens Leodium, etc. (Historia Monasterii S. Laurentii Leodiensis, dans I'Amplissima Collectio, t. IV, p. 1103.)

(40) Einhardi Vita Karoli Imperatoris, c. 9.

(41) Il y aurait quelque utilité de faire des notices, au point de vue Liégeois, sur les Pippins, sur Charles-Martel, Carloman, Chrodegand, Bernard, Ogier, Aymon, Adalard, Wala, etc.

Tous les membres du Lignage Pippinien devenaient, semble-t-il, de hauts officiers, des personnages.

(42) En ce moment, il existe encore à Liège et à Herstal de modestes et anciennes Familles Roland et Olivier.

Maintes de nos Grandes Familles (celle de Méan, par exemple, qui vient de s'éteindre) ont des aïeux qui figurent dans des documents du XIe siècle.

(43) Longtemps avant son mariage avec Bertrade, Pippin avait eu d'une de ses maîtresses une fille nommée Berte, qui fut la mère de Roland. Le pseudo-Turpin, entre autres, écrit (c. 12): Rolandus dux exercituum, nepos Caroli regis magni,... natus Bertae sororis Caroli. - Cette Berte fit bâtir à Visé une chapelle, y vécut recluse et y mourut. Telle était, dans cette ville, au moyen-âge, la tradition, laquelle est ainsi consignée dans une Vita Sancti Hadelini (saint Hadelin est le patron de Visé) inédite, écrite vers 1350: Ubi illa sancte memorie Berta ipsius Karoli regis soror sepulta est. C'était aussi une croyance à Visé, vers 1330, que cette église avait reçu des présents de Charles: magnifici regis Karoli... cujus rei geste devotio Poptuli Christiani jam perpetuavit memoriam, disait Adolphe de la Marck, Évêque de Liège, dans une charte de 1338. (Dans le Liber Cartarum Ecclesie Leod., n° 725.)

(44) Roland était âgé de trente-huit ans, lorsqu'il mourut en 778. Rothtandus obiit anno etatis see XXXVIII. (Albrici Chronica, dans les Monumenta Germaniae historica, t. XXIII, p. 724.)

Le Chroniqueur a dû prendre ce renseignement dans l'épitaphe métrique du Palatin, où on lit: Sex qui lustra gerens, octo bonus insuper annos. (Dans Fabricius, Bibliotheca Latina mediae et infimae aetatis, t. I, p. 346, etc.)

(45) Les attributions du Comte Palatin étaient nombreuses et variées. In aula, judiciis regiis praesidebat, caeterisque ministerialibus praeerat, dit Eckhart, Commentarii de Rebus Franciae Orientalis, t. I, p. 303. Voir aussi Struvius, Corpus Juris publici Imperii Germanici, édit. de 1738, p. 740, etc.

Le Comte Palatin est parfois appelé Praefectus, Capitaneus, etc. En 807, Charles statue que ses féaux Capitaines doivent toujours arriver avec leurs hommes au lieu qui leur sera indiqué. Onnes itaque Fideles nostri Capitanei cum eorum Hominibus, etc. (Dans Georgischi, Corpus Juris Germanici antiqui, p. 735.)

(46) Dans ce diplôme de 772, les principaux témoins sont rangés ainsi: Tunc nos una cum Fidelibus nostris, id est, Hagino, Rothlando, Wichingo, Frodeqario, Comitibus... (Dans le Codex Laureshamensis diplornuticus, t. I. p. 9.) Ce diplôme, non daté, n'est pas de 775 ou 776, comme on le croyait, mais du mois de mars 772 , selon M. Pertz. (Monumenta Germaniae historica, t. XXI, p. 344).

(47) Vingt et un témoins ont soussigné par une croix symbolique, selon l'usage des Chrétiens, ce diplôme de 777. Voici quelques noms: Signum Karoli [un monogramme] gloriosissimi Regis. Ego Andacrus jussus et ordinatus a domino meo Fulrado scripsi et subscripsi. + Signum Teoderici comitis. + Signum Rotlani comitis. + Signum Harihardi comitis. + Signum Anselmi comitis Palatii... (Dans la Revue d'Alsace, t. X, p. 315.)

Ces témoins ne sont pas tous des personnages inconnus.

Le comte Tierri (Teodericus comes Palatii) avait épousé la cousine de Charles, Théodrade, fille de Bernard. - Le Comte Anselme mourut à Roncevaux avec Roland. Au mois d'août de cette année 777, il avait encore apposé sa croix à un acte: Actum publice Haristalio, anno nono et quarto regnante Carolo gloriosissimo rege Francorum et Langobardorum atque patricio Romanorum... Signum + Anselmo Comite Palatii .... (Dans Mabillon, De Re Dipbomatica. Specimen scripturae, p. 449.)

(48) Dans le Necroloogium Leodiense recompilé vers 1280. fol. 46, on lit: V idus maii. Commemoratio Albrici presbiteri pro quo habemus quinque solidos de vinea que fuit Rolandi. - Dans le relevé, fait en 1330, des rentes de la Cité, on lit: « Item, li hoir dame Katrekine doit pour le vigne Colin le Bastrenier sor Rolangoffe, douze deniers. » « Item, Marenette de Gives pour le vigne Beauduin del Fontenne sor Rolangoffe, siz deniers. » (Dans le Liber Cartarum Ecclesie Leodiensis, fol. 328, etc.)

De nos jours, la Meuse a été éloignée de vingt minutes de cette colline, et la jeune génération ignore tout à fait ce qu'on appelait encore, il y a quarante ans à peine, les Vignes Roland et Roland Goffe. Ainsi s'oblitèrent les souvenirs historiques par la transformation des lieux, quand les dénominations locales ou les documents n'en gardent pas mémoire.

(49) C'est le Brittannici littoris Praefectus d'Éginard. (Vita Karoli Imperatoris. c. 9.)

Cet Officier résidait sans doute à Gand ou Anvers, chefs­lieux de Pays dont les Seigneurs féodaux portèrent le titre de Marquis.

(50) Cette expédition dut s'effectuer vers le milieu du mois d'avril.

Avant de pénétrer dans les Pyrénées, Charles s'était arrêté en Aquitaine. Il célébra la fête de Pâques à Casseneuil, près d'Agen. Idcirco Rex pascha in Aquitania apud Casinoillum celebrarit. (Annales Palatii, dans les Monumenta Germaniae historica, t. I, p. 159.) - Les Pâques tombaient cette année, le 19 avril.

(51) Cette indication précise du 16 juin se lit dans le pseudo-Turpin: Eodem die, scilicet sexto decimo calendas julii. (Historia de Vita Caroli Magni, c. 25.) Cette date est très acceptable, car des messes anniversaires se célébrèrent en divers lieux pro salute eorum qui in Hispania obierunt. Un Chroniqueur du XIIe siècle mentionne ces messes pro illis qui mortui fuerant in Runcia Valle. (Albrici Chronica, dans les Monumenta Germaniae historica, t. XXIII, p. 727.)

L'expédition, promptement menée, à la manière de Charles, n'avait pas duré deux mois.

(52) Des cinq vallées qui coupent les Pyrénées, celle où s'engagea l'armée de Charles était la plus courte, n'ayant qu'environ dix lieues de traverse dans les montagnes. - L'arrière-garde fut surprise et détruite à deux lieues en-deça du bourg actuel de Roncevaux, là où le chemin était escarpé et difficile. (Feller, Dictionnaire géographique; Liège, 1793; t. II, p. 265, etc.)

(53) In cujus summitate, Wascones, insidiis conlocati.s, extremum agmen adorti, totum exercitum magno tumultu perturbant... (Annales Palatii. Ibid., t. I, p. 159.)

(54) Usque ad unum omnes interficiunt... In quo proelio Eggihardus regiae mensae praepositus, Anselmus comes Palatii, et Hruodlandus, Brittannici limitis praefectus, cum allis conpluribus inter ficiuntur. (Einhardi Vita Karoli Imperatoris, c. 9.)

Ainsi, des divers chefs qui succombèrent à Roncevaux, Eginard n'a cité que Eggihard, Anselme et Roland. Il aurait été peu convenable d'en énumérer d'autres, dont les noms étaient, sans doute, bien moins honorables.

Vers 850, un Biographe néglige de donner les noms des personnages tués, parce que des livres en parlent spécialement: Quorum, quia vulgata sunt, nomina dicere supersedi. (Anonymi Vita Hludowici Imperatoris, dans les Monumenta Germaniae historica, t. II, p. 608.)

Ce Biographe fait évidemment allusion une Chronique circonstanciée de l'affaire de Roncevaux.

A Liège, on conservait, peut-être, une telle Chronique dans un manuscrit du XIIe siècle, in-4° sur vélin, de 29 feuillets, rubriqué: Incipit Historia Runcie Vallis, « où les Troupes de Charlemagne reçurent un échec, » ajoute le rédacteur du Catalogue de la Bibliothèque de la célèbre Abbaye de St-Jacques de Liège; 1787, in-8°; p. 75, n. 179.

Cette Historia Runcie Vallis est perdue.

(55) Cette agonie de Roland tient une grande place dans les Chroniques chevaleresques. - Le pseudo-Turpin (c. 24) décrit ainsi les éclatantes sonneries qui amenèrent la mort du Palatin: Deinde proprio cornu coepit altisoni, rocibus tonitrare .... Tunc tanta virtute tantaque fortitudine tuba sua eburnea sonuit, quod vente oris ejus tuba illa per medium scissa, et venae colli ejus et nervi rupti fuisse referantur. (Édition de Ciampi, p. 68.)

(56) Et hostis propter notitiam locorum, statim in diversa dilapsus est. (Annales Palatii. Ibid., t. I. P. 159.)

(57) Ipse caeteris copiis dimissis, Heristallium villam, in qua hiemare constituerat, venit. (Annales Patatii. Ibid., t. I, p. 159.) - Post cladem in Pirenaeis acceptam, Heristalli natalem et pascha agit Carolus. (Fisen, Historia Ecclesiae Leodiensis. Chronologiae t. I, p. 26, etc.)

On voit, par cette souscription d'un diplôme, que Charles avait dû rentrer au Manoir de Herstal avant le 24 septembre [778] Data VIII kalendas octobris anno XI et V regni nostri. Actum Heristallio palatio publico in Dei nomine féliciter. (Dans Wenck, Hessische Landesgeschichte, t. II, p. 7.)

La présence de Charles au Manoir de Herstal est signalée au 24 septembre par Böhmer, Regesta chronologico-diplomatica Karolorum, p. 12, et par Sickel, Acta Regum et Imperatorum Karolinorum, t. II, p. 35.

(58) Cujus vulneris acceptio magnam partem rerum féliciter in Hispania gestarum in corde Regis obnubilavit. (Annales Palatii. Ibid., p. 159.) - La Chanson dite de Roland peint mieux les soucis de Charles par ce mot:

« Deus! dist li Reis, si penuse est ma vie! »

Et cependant il était revenu vainqueur. Karolus... in Franciam victor revertitur, quamvis in ingressu Hispaniae, fraude Wasconum, plerique Aulicorum per insidias interfecti essent. (Annalistae Saxonis Chronicon, dans les Monumenta Germaniae historica, t. VI, p. 559.)

(59) On a attribué à Charles une épitaphe métrique sur Roland.

Dans ce sixain, le neveu de Charles est un Héros antique christianisé. Par sa mort, y dit-on, Roland est remonté au ciel, qui est sa patrie; il a rejoint Dieu; son retour dans le Paradis a fait gémir le Monde.

Cette épitaphe a été publiée par Fabricius dans sa Bibliotheca Latina mediae et infimae aetatis, t. I, p. 346, etc.

(60) La Chanson de Roland est l'une des plus belles Cantilènes du Moyen-Age. Elle date, semble-t-il, de l'an 1050. On n'en possède, en ce moment, que des copies plus ou moins exactes. Nos extraits sont empruntés à la version qui a été publiée par Muller; Gottingue, 1863; p. 69.

Elle a pour auteur, paraît-il, un Brabançon, qui s'est inspiré d'anciennes Cantilènes thioises, comme l'a si bien démontré M. Bormans: La Chanson de Roncevaux, fragments d'anciennes rédactions thioises, p. 61.

(61) Dans les Cantilènes, on ne sépare jamais Roland d'Olivier.

Ainsi fait également le moine Renier, né à Liège en 1155. En parlant des prouesses du Comte de Looz à la bataille de Steppes, en 1213, il dit: Set Comes non discimilis Rolando et Olivero, se tuebatur clipeo et gladio. (Reineri Annales Leodienses, dans les Monumenta Germaniae historica, t. XVI, p. 668.)

(62) Les Trouvères, dans leurs compositions poétiques, supposent toujours que Charles, à l'époque de l'expédition d'Espagne, est Empereur et vieillard; pour eux aussi, ses enfants sont constamment des hommes faits, d'un âge mûr.

(63) Ceci est un petit prochronisme de seize ans, Charles n'ayant établi sa résidence à Aix qu'en 795.

Ce n'est pas seulement la Chanson, qui raconte ainsi que « li Empereres est repairet d'Espaigne e vient à Ais »: le pseudo-Turpin dit également: Tunc Carolus rex Aquisgranum versus Leodio perrexit. Or, tous les documents l'attestent, Charles revint à Herstal, où vraisemblablement l'attendaient sa famille et la soeur d'Olivier « el palais, en la sale. »

(64) Cette épée de Roland, selon les Chroniqueurs et tes Trouvères, était nommée Durandal. C'était un présent de Charles: Quem patruus magnus Karolus huic dederat, dit un poète qui écrivait en 1115. (Dans les anciens Mémoires de l'Académie des Inscriptions, t. XXI, p. 141, etc.)

(65) C'est ce que nombre de savants ont répété pendant les deux derniers siècles. En 1667: Gladius Rolandi Durenda et tuba ejus eburnea, ostenditur juxta Leodium; - en 1755: In Caenobio quodam Leodiensi, etc. (Dans Schmincke, De Vita et Gestis Caroti Magni; Utrecht, 1711, p. 55, etc.)

(66) Partout il y avait manque d'Annales historiques.

Il semble que dans notre Pays Liégeois, avant la domination des Francs, on comptait les années par les Fastes des Consuls ou Empereurs Romains. C'est ce qu'on peut induire de ces mots de Hariger, qui compilait, en 997, la série chronologique de nos Évêques: Qui quorum vel Imperatorum vel Consulum claruerint temporibus... nec a nobis lectoris alicuius requirat exactio. (Harigeri Chronica, dans les Gesta Pontificum Leodiensium, t. I, p. 23, et dans les Monumenta Germaniae historica, t. VII, p. 171.)

(67) Aujourd'hui encore, en Angleterre, les actes officiels sont datés de l'année de l'avènement du Souverain, et non d'après l'Ère vulgaire, comme dans tous les autres États de l'Europe.

(68) C'est ainsi que Grégoire de Tours a écrit, en 590, son historia Regum Francorum.

Le Moine de Saint-Gall a écrit aussi ses Gesta Karoli Imperatoris dans la vieille manière Païenne: il ne donne aucune date à son fastidieux pèle-mêle des faits et gestes de Charles.

(69) Le Vénérable Beda (Baeda presbyter), mort en 735, écrivit, entre autres ouvrages chronologiques importants, une Historia Ecclesiastica Gentis Anglorum, et un Epitome Historiae Anglorum. (Dans ses Opera omnia; Bâle, 1563, in-folio; t. III, p.1, page 204, etc.)

(70) Art de vérifier les Dates, édition de 1818, t. I, p. 7, etc.

(71) Charles, en 787, ramena de Rome des savants pour enseigner le Comput, c'est-à-dire, tout ce qui avait rapport à la Chronologie nouvelle. Et domnus rex Carolus iterum a Roma Artis Grammaticae et Computatoriae magistros secum adduxit in Franciam, et ubique studium literarum expandere jussit. (Annales Laurissenses, dans les Monumenta Germaniae historica, t. I, p. 171, etc.)

Comme conséquences de sa réforme, Charles fit partout commencer l'année le jour natal du Christ, à la Noel., le 25 décembre. Il régularisa la division de l'année en mois: le mois se composa de quatre semaines, et chaque semaine s'ouvrit par un dimanche. Grands et petits eurent à célébrer le dimanche, aussi bien chez eu qu'à l'église. Statuimus quoque, ut opera servilia diebus Dominicis non agantur... Sed et ad Missarum solemnia ad Ecclesiam undique convenient, et laudem Deum in omnibus bonis quae nobis in illo die fecit... Ut dies Dominica a vespera usque ad vesperum servetur.... (Dans Georgisch, Corpus Juris Germanici antiqui, p. 571, 592, etc.)

(72) Les Annales Palati commencent à l'an 741, et s'arrêtent au milieu de l'an 829. Elles sont insérées dans les Monumenta Germaniae historica, t. I, p. 135-218.

A vrai dire, ce n'est qu'après l'introduction de la fameuse Ère Chrétienne, qu'on trouve en Germanie des Annalistes Nationaux. Chaque Monastère en a fourni une succession très suivie jusqu'à la Renaissance du XVIe siècle, époque où les Laïcs se vouèrent aux études historiques.

(73) Les Annalistes eurent quelque peine de rapporter à la chronologie sacrée, à l'Ère Chrétienne, les évènements consignés dans les Chronologies profanes.

De là, l'absence ou l'incertitude des dates pour nombre de faits antérieurs à l'an 741. Ainsi, à Liège, par exemple, on ne peut savoir, d'une manière précise, en quelle année saint Lambert a été élu Évêque, ni en quelle année il a été tué; quand saint Hubert a été élu Évêque, etc.

(74) Chose singulière. Charles n'introduisit pas l'Ère Chrétienne dans sa chancellerie pour dater les actes officiels. Ses diplômes continuent à être datés de l'année de son avènement au trône des Francs (768); puis des années de la conquête de la Lombardie (774), et même des années de la création de l'Empire (801).

L'Ère nouvelle n'apparait qu'en avril ou mai 811, dans l'acte de partage de l'Empire, qui est ainsi daté: Anno ab incarnatione Domini nostri lesu Christi 811, anno vero Regni ejus in Francia 43 et in Italia 36, Imperii autem 11. (Einhardi Vita Karoli Imperatoris, c. 33.)

(75) Einhardi Vita Karoli linperatoris, c. 25.

Les mots d'Eginard, In quibus peregrinis Linguis, Latinam ita didicit, sont à remarquer.

Ainsi, pour notre Pays, pour la Germanie, pour toute la Francia généralement, la langue latine est une langue étrangère.

(76) Sur la frontière de langue tixhonne ou allemande, notre dialecte roman était plus exactement désigné sous le nom de Wallon.

Cette locution de Wallon était en usage dès le milieu du XIe siècle.

Les lignes suivantes l'indiquent assez: « En 998, les Moines de Saintron élisent pour abbé un clerc qui ne sait pas le tixhon, et ne parle que ce roman que les Allemands appellent Wallon. » Anno Domini. 999 successit Adelardus, nativam linguam non haben Theutonicam, sed quam corrupte nominant Romanam, Theutonice Walonicam. (Rudolfi Gesta Abbatum Trudonensium, dans les Monumenta Gerrnaniae historica, t. X. p. 225.) - Ce Chroniqueur, né vers 1070, avait fait ses études à Liège. Voir Paquot, Mémoires pour servir à l'Histoire Littéraire des Pay-Bas et de la Principauté de Liège, t. XII, p. 34.

(77) Tout comme les parents de Charles, saint Lambert, qui fut élu Évêque de Liège vers la fin du VIIe siècle (670-680?), parlait nos deux idiomes: Beatus Lambertus teutonicae linguae peritus erat, et sine interprete sermo conserebatur. (Nicolai Vita sancti Lamberti, dans les Gesta Pontificum Leodiensium, t. I, p.389.)

Au siècle dernier encore, les gens d'église, de loi et de négoce possédaient ces deux idiomes.

Au moyen-âge, il en était ainsi des Gentilshommes Hesbignons. On en a des exemples, entre autres, dans le Miroir des Nobles de Hesbaye de Hemricourt (1390): « Messire Johan d'Oreilhe, Sires de Vellerous, estoit tres sage Chevalier, et de grande eloquence en romans et en tiexhe... »

(78) Chrodegand était fils de Sigram et de Landrade, soeur de Pippin de Herstal. - Pipini regis ex sorore nepos Crodegangus. (Gesta Treverorum, dans les Monumenta Germaniae historica, t. VIII, p. 165.)

(79) Pauli Warnefridi Gesta Episcoporum Mettensium. Ibid. t. II, p. 267.

(80) Charles respectait également tous les Patois. Ses prédicateurs se faisaient ainsi comprendre, en tous lieux, par les grands et par les humbles.

En 794, il statue ceci: « Que personne ne croie qu'on ne peut prier Dieu que dans trois langues. Dieu accepte en toute langue la prière de l'homme, si l'homme demande une chose juste. » Ut nullus credat, quod non nisi in tribus linguis Deus orandus sit; quia in omni lingua Deus adoratur, et homo exauditur, si justa petierit. (Dans Georgisch, Corpus Juris Germanici antiqui, p. 596.)

(81) Qui cam esset regali prosapia, Pippini magni regis nepos, Caroli consobrinus augusti. Adalard, comme Wala, était fils de Bernard, frère de Pippin de Herstal. Bernardi filius fuisse, fratris magni Pippini regis. (Radberti Vita Adalhardi, dans les Monumenta Germaniae Historica, t. II, p. 525.530.)

(82) Radberti Visa Adalhardi. ibid., p. 532.

(83) Einhardi Vita Karoli Imperatori, c. 25.

(84) Concilium apud Sm Macram [près de Reims] IV nonas apriles [2 avril] anno Christi DCCCXXCI. (Dans les Acta Conciliornm de Harduin, t. VI, p. I, p. 362.)

Au siècle dernier, il y avait dans la Bibliothèque impériale de Vienne un manuscrit des Évangiles, ayant, çà et là, des corrections: elles étaient écrites, disait-on, de la main de Charles. Ce manuscrit, peut-être, existe encore.


PLAN DU SITE