WWWCHOKIER


GENS DE LIEGE

Pierre l'hermite

Un ancien manuscrit

par Joseph GRANDGAGNAGE ALIAS GGGG


Les moindres circonstances qui se rattachent à la mémoire d’un grand personnage historique sont de nature à inspirer l'intérêt. C'est à ce titre que je vais présenter quelques notes sur l'homme extraordinaire qui prêcha la première croisade, et dont la tombe ignorée honore inutilement notre oublieuse patrie: Pierre l’hermite

Ces notes sont extraites d'un ancien manuscrit qui m'appartient aujourd'hui, mais qui, d'après des indications certaines, appartenait autrefois à l'ancienne abbaye du Neuf-Moustier, près de Huy. On sait que Pierre l'hermite fonda ce monastère vers l'an 1102; or, diverses circonstances que j'aurai l'occasion de mentionner dans le cours de cette notice, m'autorisent à croire que le manuscrit a été fait du temps du fondateur, peut-être par son ordre ou du moins sous ses auspices.

Il se compose de quatre parties distinctes. La première partie contient le règlement fait pour les chanoines en 816, à Aix-la-Chapelle, sous l'autorité de Louis le Débonnaire: capitulaire ou concile, appelé ordinairement la règle d’Aix-la-Chapelle. Faisons remarquer d'abord que c'est un chapitre de chanoines que Pierre l'hermite avait institué dans son monastère.

La seconde partie est le martyrologe de Bède. On y trouve quelques notes marginales, quelques interlignes, quelques passages surchargés. Il est permis de supposer que le copiste avait transcrit le martyrologe d'une manière exacte et fidèle, mais que par la suite le chapitre du Neuf-Moustier, voulant s'approprier ce recueil à l'exemple de beaucoup d'autres communautés religieuses, fit faire sur la copie les additions et les changements qui pouvaient s'accommoder à ses convenances.

La troisième partie est un nécrologe, un registre aux commémorations, aux anniversaires, qui paraît avoir été principalement destiné à consacrer la mémoire des bienfaiteurs de l'abbaye. On y voit annoté le décès de Pierre, prêtre et hermite. C'est l'une des plus anciennes annotations du nécrologe; tout annonce qu'il faut la reporter à la date même de la mort de Pierre, à l'an 1115. La dernière annotation est de l'année 1787. Il est curieux de voir celte longue série de décès et de commémorations, qui embrasse une période de près de sept cents ans, marquant parfaitement toutes les variations de l'écriture, et présentant plusieurs détails caractéristiques des différentes époques. Aux noms francs de Théobald, Hodebold, Francon, Boson, Hermengarde, Alpaïde, on voit succéder peu à peu les modernes dénominations. Après les dons faits à la primitive abbaye, de trois ou quatre deniers de rente, de quelques sols de Liège, d'un exemplaire des Saintes Écritures, d'un calice, d'un livre de musique, on voit venir les muids d'épeautre, les bonniers de terre, et enfin ces sortes de bienfaits diminuer dans les derniers temps d'une manière quelque peu sensible.

La quatrième partie du manuscrit renferme l'exposition de la règle de Saint Augustin. C'est à cette règle que le fondateur du Neuf-Moustier avait soumis les religieux de son monastère.

L'acte de décès de Pierre Thermite est trop important pour ne pas être textuellement reproduit. Il est écrit à l'encre rouge. Une ligne superposée à l'encre noire donne l’année 1115.

- JULII - ANNO DOMNI MCXV

- VIII - id - OBIIT DOMNUS PETRUS PIE MEMORIE VENERABILIS SACERDOS ET HEREMITA QUI PRIMUS PREDICATOR SANCTE CRUCIS A DOMNO MERUIT DECLAR.ARI- IIIC POST AQUISITIONEM SANCTE TERRE- CUM REVERSUS FUIT AD NATALE SOLUM- AD PETIONEM QUORUMDAM VIRORUM NOBILIUM ET IGNOBILIUM FUNDAVIT ECCLESIAM ISTAM- IN HONORE SANCTl SEPULCHRI ET BEATI JOHANNIS BAPTISTE- IN QUA IDONEAM ELEGIT SIDI SEPULTURAM.

« Le huitième des ides de juillet, est décédé dom Pierre, de pieuse mémoire, vénérable prêtre et hermite, qui mérita d'être le premier élu du Seigneur pour prêcher la Sainte-Croix. De retour au pays natal après la conquête de la Terre Sainte, il satisfit à la demande de plusieurs hommes nobles et non nobles, en fondant cette église en l'honneur du Saint Sépulcre et de Saint Jean-Baptiste. Il y choisit le lieu de sa sépulture. »

De retour au pays natal, Pierre fonda cette église: de ces termes de l'acte résulte une assez grave présomption que le fondateur était né aux environs de Huy dans le pays de Liège; et même les prédilections de patrie ne se révèlent-elles pas dans le choix du lieu de la fondation comme de la sépulture? Or voit aussî (et ce fait est généralement reconnu) que le mot hermite est inscrit dans l'acte, non pas comme nom, mais comme qualité: Petriis, venerabilis sacerdos et heremita; Pierre, vénérable prêtre et hermite.

L'annotation rapporte en style simple et précis l'origine du Neuf-Moustier et le décès de son fondateur. Cependant, s'il faut en croire quelques historiens, la fondation de ce monaslère a quelque chose de plus poétique. L'hermite Pierre, en revenant de la Palestine avec le comte de Montaigu, le comte de Clermont et quelques autres croisés, fut assailli dans la traversée d'une effroyable tempête. Au milieu du tumulte des vents et des flots, ses compagnons de voyage élevèrent leurs voix vers le ciel, faisant voeu, s'ils échappaient à la mort, d'édifier une église. La tempête fut aussitôt calmée; et Thermite Pierre fonda le Neuf-Moustier.

Aucune mention de ce miracle n'est faite dans l'annotation que nous avons transcrite; et pourtant le religieux du Neuf-Moustier qui en est l'auteur était selon toute vraisemblance contemporain du fondateur. Eût-il manqué, si la vérité l'eût permis, de signaler cette sainte et miraculeuse origine qui attachait au ciel le berceau de son monastère? Pierre avait rapporté de Jérusalem des reliques du Saint Sépulcre et de Saint Jean-Bapliste, qu'il tenait du patriarche Arnulphe. A la demande de quelques fidèles, il bâtit une église en l'honneur du Saint Sépulcre et de Saint Jean; il y déposa les reliques; et de même qu'à Jérusalem, il confia la garde de ces restes précieux à une communauté de chanoines réguliers de l'ordre de Saint Augustin. Le retour en Europe de l'homme qui avait délivré le tombeau du Christ, ne pouvait être plus vivement caractérisé que par cette imitation des établissements religieux de la cité sainte. Mais, au grand regret de certains chroniqueurs, il n'y avait plus rien de merveilleux dans ce récit tout simple et tout naturel de la vérité.

Le nécrologe contient une autre annotation, faite en mémoire de la translation du corps de Pierre Thermite. Elle est conçue en ces termes:

NOVEMBRIS-

- XVII- K- COMMEMORATIO TRANSLATIONIS DOMNI PETRI SACERDOTIS DICTI HEREMITE.

Plusieurs écrivains nous ont transmis le récit de cette translation, mais sans donner tous les détails que contient une note marginale du manuscrit de l'abbaye du Neuf-Moustier. Cette note est, en quelque sorte, le procès-verbal de la cérémonie, rédigé manifestement par un témoin oculaire. En voici la substance:

« En l'an de l'incarnation du Seigneur 1242, indiction quinzième, le dix-septième des calendes de novembre, l’abbé Herman et toute la communauté du Neuf-Moustier, touchés d'une inspiration divine, résolurent de transférer dans l'intérieur de leur église les restes de Pierre L'hermite, qui, par un effet de son humilité, avait été inhumé au dehors dans un cercueil de pierre, recouvert ensuite d'un marbre tumulaire. Un prêtre leva du cercueil la dépouille mortelle en présence de l'abbé et de tous les religieux du monastère, faisant cercle à l'entour. On trouva que la tête avait la tonsure cléricale à la manière des moines, les cheveux blancs et crépus abondamment répandus autour de la couronne. Un ciliée, qui nous a paru tissu de poils de chameau, enveloppait les reins. On transporta ces restes avec pompe, et on les descendit dans la crypte de l'église au bruit de toutes les cloches, avec solennité de messes, l'abbé et le prieur célébrant en personne les offices des morts. D'après l’antique usage, on plaça dans la tombe un calice de plomb plein de vin pur, en signe du sacerdoce. »

- Anno dominice incarnationis- M- CC- XLII indictione- XV- XVII- kl novembris- hermannus abbas sacerdos- totusque hujus ecclesie conventus- divino usi consilio-transtulerunt reliquias domni pétri venerabilis sacerdotis dicti hermite- a loco extra ecclesiam silicet a stilicidio ipsius templi versus australem plagam- contra altare beati stephani prothomartiris- ubi olim causa humilitatis in sarcophago lapideo- tumba marmorea desuper constructa decenter humate fuerant- et in cripta ejusdem ecclesie ante altare apostolorum philippi et jacobi cum missarum sollempniis- pulsantibus signis- abbate et priore exequias peragentibus- cum calice plumbeo vini meri pleno in signum sacerdotii ut mos est aptosito honorifice tradiderunt sépulture- evolutis enim a die obitus sui annis ferme- C- XXX- cumque ut prediximus vite venerabilis pétri a quodam sacerdote de tumulo levarentur reliquie abbate et conventu circumstantibus inventum est caput ad modum monachi tonsuram habens clericalem- atque crines canos et crispos circa coronam habundanter aspersos- sicut et cilicium ut credimus de pilis camelorum contextum circa lumbos inventum est- ut ipse cum esset in carne tanquam fidelis servus et prudens quem constituit domnus super familiam suam non immemor fuit illius precepti domni dicentis- sint lumbi vestri precincti-

Ainsi que nous l'apprend Gilles d'Orval dans une note marginale de sa chronique, ce fut par les soins de Maurice, chanoine du Neuf-Moustier, que la translation s'opéra, après que ce studieux et savant chanoine eut lu les actions mémorables de Pierre dans certains ouvrages venus des pays étrangers. On peut donc présumer que, avant cette époque et dans ces temps d'ignorance, le grand nom de Pierre l’hermite avait perdu de son éclat au sein même de l’abbaye qu'il avait fondée. Ayant été chargé d'exécuter la translation, ce fut probablement Maurice qui en rédigea la notice que nous venons de rapporter, comme ce fut sans doute par lui que le corps fut levé du cercueil: à quodam sacerdote, dit l'annotateur, en s'abstenant par humilité de mentionner son propre nom. On conçoit que les religieux du Neuf-Moustier avaient choisi, pour diriger la solennité, le plus distingué de leurs frères et celui-là même qui venait de remettre en honneur la mémoire de leur illustre fondateur. Rappelons à ce sujet que ce fut au même Maurice, le savant chanoine, que Gilles d'Orval dédia et adressa son livre avec prière de le corriger. — Chapeauville, Gesta pontificum leodiensium, tome 2, pages 1 et 2.

Villenfagne, dans ses Recherches sur l’Histoire de la ci-devant principauté de Liège, tome 2, page 446, avait déjà conjecturé que la note de Gilles d'Orval, relative à la translation du corps de Pierre Thermite, lui avait été communiquée par Maurice. Aussi cette note n'est, pour ainsi dire, qu'un extrait de celle de notre manuscrit, laquelle était restée jusqu'à ce jour inédite. Un mot encore sur ce chanoine, dont peut-être nos historiens se sont trop peu occupés. On a pensé avec raison qu'il avait été le continuateur de la chronique d'Albéric, l'une des chroniques les plus intéressantes du moyen âge. Plusieurs notes historiques de notre manuscrit, écrites en marge du nécrologe ou insérées dans le texte même de certaines commémorations, peuvent fournir de nouveaux arguments à l'appui de celte opinion. — Villenfagne, Recherches, etc., tome 2 , page 433.

Quelques auteurs ont avancé que Maurice avait été abbé du Neuf-Moustier. Chapeauville les a réfutés, en disant que Gilles d'Orval lui donne simplement le titre de chanoine dans son épitre dédicatoire. Mais cette raison paraît peu concluante; car Maurice, simple chanoine à la date de cette épître, a pu devenir abbé dans la suite. Au surplus, et s'il restait un doute à cet égard, il serait entièrement levé par une annotation du même manuscrit, laquelle mentionne la mort de Maurice, Mauritii sacerdotis, sans autre qualification, tandis que le nécrologe, en rapportant le décès des abbés du Neuf-Moustier, indique constamment leur titre et même leur rang chronologique.

Pour revenir au manuscrit qui fait l'objet de cette notice, tout nous porte à croire, ainsi que nous l'avons dit plus haut, qu'il a été fait du vivant de Pierre l'hermite, peut-être même sous sa direction. Et d'abord on ne peut douter qu'il ait été écrit par un religieux du Neuf-Moustier. Les deux parties principales dont il se compose sont la règle d'Aix-la-Chapelle et la règle de Saint Augustin; or, nous lisons dans le nécrologe l'annotation suivante: Commemoratio johannis diaconi fratris nostri qui scripsit regulam hanc. C'est donc un diacre du Neuf-Woustier, appelé Jean, qui est l'auteur du manuscrit.

Ultérieurement, d'après la forme de son écriture, on peut le reporter au onzième ou douzième siècle, c'est-à-dire, au temps de Pierre l'hermite. Celui-ci, en érigeant son cloitre, dut commencer par y établir la discipline et régler tout ce qui concernait l’ordre intérieur. C'est une communauté de chanoines qu'il avait fondée au Neuf-Moustier; il devait donc lui donner le règlement sur la profession canoniale: première partie du manuscrit. C'est la règle de Saint Augustin qu'il lui avait imposée; il devait encore lui faire copier cette règle et lui en présenter une exposition assez étendue: autre partie du manuscrit. Quant au nécrologe, la nécessité s'en démontre d'elle-même. Chaque abbaye avait son nécrologe. Il en fallait un au Neuf-Moustier dès son origine, dès la première mort qui devait y arriver, dès le premier anniversaire qu'on pouvait avoir à y célébrer. Le martyrologe de Bède était un livre également nécessaire; car on en faisait dans les anciens monastères une lecture quotidienne. Mais il est une circonstance qui nous paraît surtout à remarquer. On trouve dans le corps du manuscrit deux cantiques notés en plein-chant, l'un à la fin de la règle des chanoines, l'autre à la fin du nécrologe. Ce sont la première et la cinquième lamentation de Jérémie sur les malheurs de Jérusalem. En les lisant, on croit entendre Pierre l'hermite s'écrier lui-même à l'Europe entraînée:

« La cité sainte est veuve: la reine des nations est tombée sous le joug... Sion est dans les larmes; car il ne vient personne aux solennités de son temple... Voyez, Seigneur, quel est notre opprobre: notre antique héritage est aux mains de l’étranger... »

C'est bien là sans doute le cachet de Pierre l’hermite, de celui qui avait contribué si puissamment à sauver Jérusalem des mains des infidèles. Qui sait même? Nous hésitons à le dire; mais enfin nous remarquons que l'écriture de ces deux cantiques est d'une main tout autre que celle du corps du manuscrit. Pierre, retiré au fond de son monastère, se serait-il plu dans ses derniers jours à consigner lui-même par écrit cet éloquent souvenir? Posséderions-nous, en un mot, un autographe de Pierre l'hermite ? S'il en était ainsi, nous aurions dans les mains un trésor que nous envieraient beaucoup de curieux, d'amateurs et même d'antiquaires. Quoi qu'il en soit, d'après cet ensemble de circonstances, nous croyons pouvoir conclure avec confiance que le manuscrit est contemporain de la fondation du Neuf-Moustier, rédigé par les soins et composé sous les yeux de son célèbre fondateur.

Le monastère du Neuf-Moustier n'est plus: l'église a disparu: la main de 93 a violé la sépulture du vénérable Pierre. De la primitive abbaye une aile seulement et quelques arceaux d'un vieux cloître sont demeurés debout. L'art moderne a eu la prétention de rajeunir ces restes, de les arranger, de les embellir avec beaucoup de soin. L'antique retraite de l'hermite Pierre se trouve convertie en fraîche et riante villa, artistement encadrée dans les massifs de verdure d'un jardin à l'anglaise. A travers les constructions nouvelles et l'éclat des peintures, vous distinguez encore deux ou trois ogives et les fûts bizarrement cannelés de quelques colonnes du moyen âge. Dans le jardin, au milieu de la verte pelouse, on montre au voyageur un caveau en forme de croix grecque, où furent déposés les restes du héros sacré de la première croisade. Mais le caveau est vide: aucune inscription: aucune tombe: la pierre tumulaire a été renversée et brisée. Cependant un saint respect vous saisit en visitant le souterrain désert. Les Belges, trop longtemps oublieux de leurs grands souvenirs, se réveillent enfin dans leur indépendance: le moment n'est-il pas venu de consacrer de nouveau ces lieux, où vécut et mourut un homme extraordinaire? Oui, nous l’espérons au moins; bientôt le voyageur, en pénétrant dans cet antique caveau, lira ces mots écrits en lettres d'or sur une table de marbre :

ICI

DANS LA CRYPTE DE l'ÉGLISE QU'IL AVAIT FONDÉE

REPOSA PENDANT SIX SIÈCLES

LE CORPS DE PIERRE L’HERMITE.

C'est encore trop peu, selon moi; et je déclare souscrire pour cent francs aux frais de la statue que la ville de Huy, aidée de la province et du gouvernement, ne peut manquer d'ériger un jour à la mémoire de son héroïque fils.




Pierre l’Hermite

par Joseph GRANDGAGNAGE ALIAS GGGG

Dans un précédent article, j'ai cherché à revendiquer pour la province de Liège l'honneur d'avoir donné naissance à Pierre l'hermite; et je m'appuyais non seulement sur une ancienne tradition locale qui le fait naître aux environs de Huy et qui est attestée même par un auteur français, mais encore sur un document historique qui m'avait paru de haute importance (1). Je veux parler du nécrologe de l'abbaye du Neuf-Moustier, près de Huy, où mourut Pierre l'hermite: nécrologe où se trouve inscrit ce qu'on peut appeler son acte de décès, portant que Pierre l'hermite, de retour au pays natal, fonda le Neuf-Moustier. Dès l'année 1855, je m'étais occupé de cette recherche en publiant dans les Bulletins de l'Académie le document dont je viens de parler. Si, en 1855, je revins une seconde fois à la charge, ce fut par suite de la décision prise quelque temps auparavant dans la ville d'Amiens d'ériger une statue à l'illustre prédicateur des Croisades. De nouvelles circonstances se sont même présentées depuis. La Commission chargée de l'érection du monument fit une adresse à l'autorité communale de Huy pour lui demander son concours; elle donnait pour motif de sa démarche que, si le territoire d'Amiens avait été le berceau de Pierre l'hermite, le territoire de Huy l'avait vu mourir et possédait sa tombe. L'honorable magistrat de la ville de Huy daigna me communiquer la lettre de la Commission: je pensais qu'on ne pouvait s'associer à un acte qui me semblait contrarier nos traditions nationales indépendamment de nos titres.

Inutile de rappeler les témoignages de sympathie que ma note sur ce sujet a obtenus en Belgique. Mais il paraît aussi qu'elle a produit quelque peu de sensation en France: témoin la lettre écrite par un savant français sous la date de Paris, 31 décembre 1853. Cette lettre (de M. Henri Hardouin) se trouve insérée dans le Bulletin de la Société des Antiquaires de Picardie, année 1853, page 107. Elle est une réponse à une première lettre publiée dans le même recueil par M. Léon Paulet, qui, après avoir mentionné mon article et parlé en termes fort agréables de la croisade que je prêche, dit-il, contre Amiens, finit son épître en ces termes:

« Pierre l'Hermite est-il Picard? Est-il Liégeois? Est- il né à Amiens? Est-il né à Huy? A défaut des chroniqueurs qui se taisent, la Commission devrait bien, avant l'inauguration de la statue, faire des recherches dans quelques dépôts d'archives, afin que l'on ne nous appelle pas voleurs de grands hommes. Nous en avons assez pour ne dépouiller personne; et la vérité est une trop belle chose pour craindre de la dire même aux dépens de l'amour-propre. »

M. Henri Hardouin s'est donc constitué le champion, et, nous devons le dire, le très redoutable champion de la Commission chargée du monument. Il me fait l'honneur de me combattre corps à corps; mais d'abord cependant il s'attaque à M. Léon Paulet et se récrie vivement contre cette assertion de son correspondant que les chroniqueurs se taisent au sujet du lieu où naquit l’apôtre des Croisades. M. Henri Hardouin s'empresse d'annoncer qu'il va choisir quelques indications parmi beaucoup d'autres. Il choisit trois chroniques; et de l'expression même dont il se sert nous devons inférer qu'il arrêtera son choix sur les trois autorités les plus concluantes. Nous allons les examiner avec lui.

L'affaire devient plus sérieuse qu'on ne pense. Il est fort à propos, comme on va le voir, d'avertir au moins nos voisins que nous sommes sur nos gardes, que nous veillons à la conservation de nos titres, que nous sommes prêts à soutenir et au besoin à ressaisir les droits de la Belgique.

Nos lecteurs n'apprendront pas sans quelque surprise (pour ne pas exprimer un autre sentiment) qu'il ne s'agit plus seulement du berceau de Pierre l'hermite. Voici ce que nous lisons dans le même Bulletin de la Société des Antiquaires, année 1853, page 50:

« M. d'Herbinghem, après avoir remercié la Société de son admission, rappelle les différents points qui unissent l'histoire de Boulogne dont il est originaire, et la ville d'Amiens où il s'est établi, et qui ont donné naissance à deux célébrités picardes: Godefroy de Bouillon, l'un des principaux chefs des Croisades, et Pierre l'Ermite qui en fut le premier apôtre. » —

L'appétit vient en mangeant, dit le proverbe vulgaire. Mais laissons notre imprenable Godefroid et sauvons Pierre l’hermite.

M. Henri Hardouin cite en premier lieu Albert ou Albéric, chanoine d'Aix-la-Chapelle, au diocèse de Liège, qui écrivait durant la période qui s'écoula depuis la conquête de Jérusalem et le retour d'une partie des Croisés, jusqu'à l'année 1122: la fondation de Neufmoustier par Pierre l’Hermite, sa retraite d'environ douze ans et sa mort dans cette abbaye, en 1118, datent précisément de la même période (2).

Voici le passage d'Albéric:

SACERDOS QUIDAM, PETRUS NOMINE, QUONDAM EREMITA, ORTUS DE CIVITATE AMIENS.

Ce texe est positif; Pierre est natif d'Amiens.

Mais M. Henri Hardouin, avec cette impartialité qui distingue le véritable savant, s'est chargé lui-même d'affaiblir et même peut-être d'annuler presque entièrement la portée du passage. Il reconnaît, il déclare que le mot Amiens n'a pu figurer dans le texte primitif du chroniqueur, puisque ce texte date des premières années du XIIe siècle, époque à laquelle le latin Ambiants était seul usité. Il se voit donc obligé de dire que le mot Amiens a été introduit par quelque copiste inconnu.

Nous pourrions demander d'abord qui oserait nous répondre de la fidélité de l'auteur de ce changement; à ce propos nous aurions à citer les innombrables erreurs, même parfois volontaires, dont les copistes ont été reconnus coupables. Il y a eu ici d'autant plus de place à l'erreur, que le copiste s'est en outre permis le rôle de traducteur; et qui nous garantit que sa traduction a été fidèle? On nous dit qu'il s'est borné à traduire le mot Ambianis par le mot Amiens; mais ce n'est là qu'une pure supposition; où est la preuve que le mot Ambianis se trouvait dans le texte? Il y a plus: M. Hardouin nous fait remarquer le soin minutieux du chroniqueur à rappeler maintes fois l'origine, la patrie de ses héros de prédilection. Or, comme nous le verrons tout-à-l'heure, il y a eu certainement du doute, même chez les contemporains de Pierre l'hermite, sur le lieu de sa naissance; qui nous dit que le chroniqueur, dans son zèle d'exactitude, n'avait pas laissé en blanc dans son texte la patrie de Pierre, sauf à combler cette lacune sur de nouvelles recherches que la mort aura arrêtées? Ce ne serait pas la première fois qu'un texte primitif de chronique aurait présenté un blanc de cette nature. Sera venu ensuite le copiste d'Albéric qui aura rempli le blanc en français de son autorité privée; car on ne voit pas trop pourquoi il aurait placé le mot français Amiens dans un texte tout latin, qu'il copiait en latin, et où se serait trouvé le mot latin Ambianis.

M. Henri Hardouin sait mieux que personne les erreurs grossières qui se rencontrent parfois: nous n'avons pas besoin de sortir de son article pour en signaler quelques-unes qu'il constate ou suppose. En citant, par exemple, à l'appui de ses trois autorités capitales certaines autorités subalternes, il rappelle ce passage du religieux d'Huissen: « Petrus de pago Ambianensi ». Une première édition portait Aloianensi; voilà donc une grosse faute. Nous ne connaissons aucun texte qui dise: « Petrus de pago, de urbe Hoyensi (de la ville de Huy) », et nous n'irons pas jusqu'à remarquer qu'entre les mots Hoyensi et Aloianensi il y a certaine analogie; mais si la chronique d'Albéric, au lieu d'avoir en blanc le lieu de naissance, avait eu Hoyensi, on voit, par l'exemple cité, qu'il n'y aurait rien de bien extraordinaire dans le remplacement de ce mot par celui d'Amiens sous la main d'un copiste. Nous allons reconnaître tout de suite que M. Hardouin suppose des altérations bien autrement énormes.

« Petrus de Acheriis, dit Orderic Vital en parlant de Pierre l'hermite. » De Acheriis! voilà un mot qui doit à son tour faire peur à la ville d'Amiens et qui cause réellement une certaine alarme à mon honorable contradicteur; car il convient avec son ordinaire bonne foi qu'il s'agit ici de l'indication d'une localité, qu'il s'agit ici de la naissance de Pierre, non plus à Huy, non plus à Amiens, mais dans un lieu appelé Acher, Achères ou Achery. Eh bien! à côté de la supposition qu'il fait à ce sujet, notre Aloianensi pour Hoyensi, notre Amiens même pour Hoyensi ne seraient pas de bien grandes hardiesses. « Ne faut-il voir, dit-il, dans la singularité de ce de Acheriis, que l'altération des mots de Ambianis sous la plume du copiste? » Oh! oui, pauvres copistes, vous en êtes bien capables. Mais si vous n'avez pas failli, et puisqu'enfin nous trouvons un Petrus de Acheriis, même un Pelrus de Acherio suivant une autre édition, c'est le cas peut-être de nous écrier dans la barbare imitation d'un fameux distique:

Gens Hoyi, gens Acherii, gens Ambianorum,

De patriâ certant undiquè, Petre, tuâ.

Quoiqu'il en soit, il demeure certain que le passage invoqué de la chronique d’Albéric n'est point parfaitement pur. Le mot Amiens n'est pas du chroniqueur. Ce passage est suspect. Il y reste plus qu'un doute; et le doute va s'accroître notablement par la deuxième autorité que M. Henri Hardouin nous oppose, celle de Guibert de Nogent.

« Quem urbe, nisi fallor, Ambianensi ortum , dit Guibert, autre contemporain. »

On le voit; cette autorité fléchit sous elle-même; le nisi fallor l'ébranle et peut la renverser.

M. Henri Hardouin l'a parfaitement senti; et voici comment il s'arrange pour sauver le chroniqueur de cette espèce de suicide: « Guibert, dit-il, avait remplacé, comme abbé de Nogent sous Couc , Geoffroy, le vieil évêque communal. Son monastère n'était séparé d'Amiens que par une distance à franchir en deux journées de marche, et se trouvait d'ailleurs à proximité de la résidence habituelle d'Enguerrand de Coucy, Suzerain féodal du Comté d'Amiens. La constatation d'une particularité telle que la naissance de Pierre l'Hermite dans la même ville, fut d'autant plus facile à Guibert, qu'il ne cessa d'y entretenir, surtout durant la période de 1109 à 1115, des relations avec les partisans du Comte qui luttait à main armée contre la Commune. La précision des détails de localité dans lesquels entre, à ce sujet, l'abbé de Nogent, ne permet pas d'ailleurs de douter qu'il ne connût parfaitement Amiens. J'ajoute qu'il avait entendu Pierre l'Hermite, et qu'il fit du célèbre prédicateur, un portrait plus conforme aux exigences du goût du vulgaire pour le merveilleux qu'à celles de la vérité. »

M. Hardouin a tout à fait raison. En partant de l'idée que Pierre l'hermite était né à Amiens, reconnaissons que personne assurément n'était plus à portée que le chroniqueur Guibert d'être parfaitement renseigné sur le fait; mais c'est précisément à cause de cette facilité, de cette proximité des renseignements, que le doute émis par le chroniqueur devient des plus graves. « Pierre, dit-il, né, si je ne me trompe, à Amiens.... » Mais si Pierre était réellement né dans la ville d'Amiens, pouvait-il y avoir du doute à cet égard pour l'historien qui constatait les faits de son époque, qui était contemporain de Pierre, et qui même, dans l'hypothèse, eût été en quelque sorte son compatriote? Le doute ici devient, pour ainsi dire, la négation.

Est-ce sérieusement que M. Henri Hardouin prétend énerver le nisi fallor, en disant que Guibert de Nogent s'est complu dans son livre sur la Croisade à substituer au langage de tous, eloquium humi serpens, le style qu'il appelle garrulitas poetica? Pour mon compte, je l'avoue, j'aurais beaucoup de peine à trouver dans le nisi fallor autre chose que le langage de tous, autre chose que l'expression banale et vulgaire, eloquium humi serpens, pour exprimer un doute. Je ne vois dans le nisi fallor, ni une image poétique, ni un gazouillement de poëte, garrulitas poetica, mais tout simplement le mot d'un homme qui n'est pas sûr de ce qu'il dit. Ajoutons, avec M. Henri Hardouin, que Guibert de Nogent est en même temps l'historien de la commune d'Amiens: or, on sait que les historiens sont un peu sujets à caresser, à honorer le héros, le pays, la ville , dont ils racontent les faits, et qu'ils sont au contraire très peu disposés à émettre un doute sur leurs titres à la gloire, à moins que ce doute ne soit bien réel et bien légitime.

Ainsi, la deuxième autorité, invoquée contre nous, laisse à son tour la question douteuse. Guibert de Nogent n'attribue le berceau de Pierre l'hermite à la ville d'Amiens qu'en disant bien prosaïquement: Sauf erreur. Et qui sait si ce n'est pas là, dans la chronique de Guibert, que le copiste d'Albéric aura puisé la permission de dire sans biaiser que Pierre était d'Amiens? Ainsi se fait l'histoire. Les exemples abondent. Un historien commence par émettre un doute. Puis un copiste ignorant ou infidèle affirme, en glissant un mot dans un texte. Enfin arrivent tous les successeurs qui se copient l'un l'autre et répètent le mot dans une éternelle inexactitude.

Guillaume de Tyr est la troisième autorité que cite M. Henri Hardouin.

« SACERDOS QUIDAM PETRUS NOMINE, DE REGNO FRANCORUM, DE EPISCOPATUS AMBIANENSI, a dit cet historien. »

M. Hardouin fait observer lui-même qu'il ne s'agit plus d'un contemporain; le livre s'arrête à l'année 1184. Il prévoit aussi l'objection qui peut lui être faite, à savoir que Guillaume de Tyr vivait beaucoup trop loin du pays de Liège pour en bien connaître les habitants; et il se borne à répondre que, même en 1182, le nom du prédicateur n'était pas totalement ignoré en Orient; que son origine put y être connue, ne fût-ce que de ses descendants; qu'il en existait au moins un, l’évêque de Bethléem, Albert; et que le loisir ne manqua certes pas à Guillaume de Tyr pour interroger le même Albert, puisqu'il se rendit avec lui, de Palestine en Italie, vers 1178, pour assister au Concile tenu à Rome cette année-là.

Cette réponse est-elle satisfaisante? Longtemps après la mort de Pierre l'hermite, bien loin de son pays, pouvait-on savoir le lieu de sa naissance plus sûrement que des contemporains et, pour ainsi dire, des compatriotes?

Mais il est du reste une objection plus grave. La chronique porte simplement que Pierre l'hermite était un prêtre de l’évêché d'Amiens, au royaume des Francs. Où était-il né, ortus? La chronique ne le dit pas. C'était un prêtre de l'évêché d'Amiens, voilà tout. Or, n'est-il pas dans l'usage de désigner ainsi tout prêtre, chanoine, bénéficier, religieux, hermite, exerçant dans l'étendue d'un diocèse, quelque soit le lieu de sa naissance? Et ce qui peut servir à confirmer cette explication toute simple et naturelle, c'est le passage suivant d'un autre écrivain, Jacques de Vitry, cité par M. Hardouin dans un ordre subsidiaire, et d'où il résulte que l'apôtre des Croisades avait pratiqué la vie d'hermite au diocèse d'Amiens (3).

Telles sont les trois autorités principales qui nous sont opposées. « Voici donc, tout compte fait, dit notre honorable contradicteur, trois chroniqueurs qui ont parlé. » Oui, ils ont parlé; mais leurs paroles sont-elles concluantes? Un mot suspect dans le premier: le doute dans le second: rien dans le troisième. Comment pourraient-ils étouffer la voix du religieux du Neuf-Moustier (près de Huy) qui rédigeait l’acte de décès de Pierre l'hermite, qui le rédigeait à la date même de la mort, qui le rédigeait, pour ainsi dire, sur le corps de l'illustre croisé, dans l'abbaye qu'il avait fondée et où il avait vécu nombre d'années, qui le rédigeait avec la mention expresse que Pierre l’hermite avait fondé cette abbaye de retour au pays natal. Et si de cette mention du nécrologe du Neuf Mouslier nous rapprochons la tradition, fortifiée encore par la chronique de Saint-André de Bruges où il est dit que Pierre l’hermite était natif de la Germanie inférieure dont Huy avait fait partie, mais non pas Amiens (4), il faudra reconnaître que le pays de Liège, pour revendiquer l'apôtre des Croisades, a aussi ses titres parlants et assez haut parlants.

M. Hardouin me demande si j'ai découvert un nécrologe qui aurait échappé aux investigations non seulement de Chapeauville et de Gilles Boucher son collaborateur, mais encore du religieux d'Huissen. Eh, oui, vraiment, je crois avoir eu ce bonheur; et je prie instamment l'honorable savant qui me fait la question de venir s'en assurer par lui-même. Si mes yeux me trompent, si mon esprit s'aveugle, j'espère que de nouvelles observations de sa part dissiperont mon erreur. Je ne cherche comme lui que la vérité; mais jusqu'à présentée dois le dire, il ne m'a pas convaincu.

On ne manquera pas de remarquer, à la simple vue de ces notes, que je ne suis pas sorti de l'article même de l'honorable savant pour y donner réponse. Sans doute, j'aurais dû faire des recherches, ouvrir des livres, consulter les sources. Mais hors le temps de nos vacances, cela m'est impossible. D'ailleurs j'avais affaire à un véritable érudit du bon temps et de la bonne espèce, à un digne contradicteur qui ne dissimule aucune objection, à un noble et courtois chevalier qui m'offre de sa propre main des armes. Je l'en remercie.

Un peu plus tard, je pourrai prendre les miennes. Nous rentrerons, s'il y a lieu, dans la lice. Nous combattrons l'un et l'autre pour le triomphe de la vérité; et si je suis vaincu, je lui tendrai la main, en disant: « Le grand prédicateur des Croisades appartient à l'humanité tout entière; et Liégeois ou Picards, nous sommes tous des hommes. »


(1) Voyez ma notice sur Chaudfontaine et le Bulletin de l'Institut archéologique liégeois, tome 1, 2e livraison.

Mes recherches pour restituer à la province de Liège le berceau de Pierre l'hermite paraissent avoir échappé au Journal de la province de Liège qui a néanmoins consacré à mon travail sur Chaudfontaine un article plein d'impartialité, de bienveillance, de convenance et de patriotique sympathie. Voir le Journal de la province de Liège du 27 avril 1853, n° 100.

La discussion étymologique et historique sur les Nutons, Lutons et Lutins, ne paraît pas non plus avoir préoccupé le Journal de la province de liège, mais elle n'a pas été dédaignée par le célèbre Jacob Grimm de Berlin, par le savant Diefenbach de Francfort, dont je conserve les lettres comme le précieux témoignage d'un encouragement venu de l'étranger.

(2) Le nécrologe du Neuf-Houstier que je possède assigne l'année 1115 à la mort de Pierre l'hermite.

(3) M. Léon Paulet, entre autres choses fort risquées et sur lesquelles nous pourrons revenir un jour, disait dans sa lettre que Pierre l'hermite avait habité, dès sa jeunesse, les environs de Huy dans un petit hermitage que l’on montre encore et que l’on appelle dans le pays la grotte de l'hermite. Il argumentait de cette circonstance pour expliquer comment le religieux du Neuf-Moiistier, rédacteur de l'acte de décès de Pierre l'hermite, avait pu confondre cette habitation de jeunesse avec le lieu de naissance.

Mais personne ici ne connaît, ni cet hermitage, ni cette grotte de l'hermite, ni l'historien (si ce n'est peut-être le romancier d'Outreman) racontant ce temps de jeunesse que Pierre serait venu passer loin de son pays dans cet hermitage. Et cette observation, un autre l'a faite avant nous à M. Léon Paulet; nous voulons parler de M. Charles de Thier qui a publié plusieurs excellents articles dans l'Organe de Huy pour soutenir, confirmer, fortifier notre opinion. Nous sommes heureux de ce concours, et nous remercions le jeune écrivain de l'appui qu'il veut, bien nous prêter avec tant d'âme et de talent.

(4) Octave Delepierre, Chronique de l'abbaye de Saint-André, page 8. — Cette chronique est du XVe siècle.




Pierre l'Ermite est-il Hutois?

Communication de M. Fernand Discry, archiviste de Huy.


Il y a un siècle, un débat s'est institué autour du lieu de naissance de Pierre l'Ermite. Seul Grandgagnage a défendu les droits de la ville de Huy, au moment où la ville d'Amiens prétendait consacrer ses titres de patrie ou berceau de Pierre en lui érigeant une statue. Les érudits picards furent rejoints par Polain dans leur prétention et, en 1883, le savant allemand Hagenmeyer apporta l'appui de son érudition à la thèse amiénoise en malmenant les tenants de la thèse hutoise. Les derniers historiens de Pierre et du Neufmoustier, L. Halkin, H. Grégoire, Ch. Dereine se rallient à la thèse amiénoise, sans nouvel examen.

Aucun de ces auteurs n'a relevé le fait que, dans le nécrologe du Neufmoustier, on a inscrit l'obit de Pierre lui-même et de sa mère avec la rente de 3 sous qui en paye les offices. Cette rente est perçue sur une maison sise à Huy, en Rioul, et qui se désigne sous le nom de « maison de Pierre le déchaussé ».

En établissant que Pierre - et sa mère - ont pu séjourner à Huy avant 1095, que Pierre revenu de la croisade est considéré comme rentré au pays natal, il faut renverser la position des Amiénois qui rejettent la thèse de l'origine hutoise en recourant à la possibilité d'une confusion entre le lieu du décès (Huy) et le lieu de naissance (Amiens). Comme la thèse de l'origine hutoise peut seule rendre compte des fondations religieuses qui ont suivi le retour de Pierre et du privilège accordé par le patriarche de Jérusalem à ces fondations, il est plausible d'admettre que la confusion a été faite au profit d'Amiens où un domaine a porté le nom de notre ville mosane. Si le souvenir de l'origine de Pierre s'est vite perdu, c'est principalement à cause des changements survenus en 1130, 1150 et 1208 dans la nature de ses fondations hutoises alors qu'Amiens ne peut en rappeler aucune.

PLAN DU SITE