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Les Bénédictines de la Paix Notre Dame à Liège

1627 - 1797 - 1897
Centenaire de leur pensionnat


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(Note: Le Rapport Historique suit la description des festivités du centenaire)

Y a‑t‑il, en Belgique, une seule institution d'instruction féminine qui ait pu, dans ce siècle, célébrer le centenaire de ses classes ininterrompues? Nous ne le croyons pas: aussi ç'a été une fête splendide, jeudi, 27 juillet 1897, que la solennisation de cette durée du pensionnat des Dames Bénédictines de Liège.

Au dehors de leur établissement, drapeau belge et drapeau du Pape flottaient au‑dessus du fronton et du clocher de leur église, en abritant la croix dans leurs plis. A l'intérieur, partout des drapeaux, des banderoles, des tentures artistement disposées par M. Jos. Hasoppe, des plantes vertes, des fleurs.

Les vieux corps de logis de 1630, les grandes bâtisses du début du siècle, celles du milieu, celles que le développement des classes a forcé d'y joindre hier, toujours plus vastes, en sont également parés; le cloitre d'entrée est transformé en bosquet; les plus vives couleurs constellent les ciels d'arcatures de fer de la grande galerie de récréation. Qui sait si, là‑bas, dans les souterrains du cloître, les cuisinières et les fours à gaz eux‑mêmes n'ont pas reçu décoration semblable?

Monseigneur l'Evêque de Liège devait passer la journée dans la maison. C'est tout d'abord à la messe matinale, célébrée par lui, que maîtresses et pensionnaires ont reçu, de ses mains, le Dieu eucharistique.

A dix heures, Monseigneur assiste pontificalement à la grand'messe, que célèbre Mgr Rutten, entouré à l'autel de M. le doyen de Saint‑Jacques, du R. P. Collette, du Val‑Dieu, ancien aumônier de l'établissement, d'un de ses prêtres habitués, M. Chabot, et de M. l'abbé Smeets, professeur au Séminaire,

Dans le clergé qui se presse aux pieds de l'autel, on remarque les RR. PP. abbés mitrés du Val‑Dieu, et d'Affligem, le R. dom Laurent Janssens, recteur du Collège bénédictin international de Saint‑Anselme, à Borne, remplaçant le R P. dom de Hemptinne, abbé de Maredsous et primat de l'Ordre de Saint‑Benoît, retenu en Allemagne pour un chapitre général, le R. P. Henry, recteur du Collège Saint‑Servais, MM. les chanoines Wagemans, directeur de la communauté, Dupont , Saal et Warblings, les doyens de Saint­Martin, à Liège, de Bilsen, de Landen, M. le professeur Schyrgens, M. l'abbé Ronchaine, directeur du pensionnat, des curés de Liège, de la banlieue, de Tongres , des ecclésiastiques parents de religieuses. Toutes les religieuses occupent les stalles de leur choeur. Les seuls laïques attachés à l'établissement, ses généreux conseil en matière de droit ou de constructions et d'améliorations matérielles, MM. Léon Collinet et Jules Dallemagne, son médecin, M. Bidlot, et ses professeurs du cours supérieur, MM. Deliège et Demarteau, ont pu trouver place dans l'église à côté des anciennes élèves et des aînées des élèves actuelles.

C'est la chapelle des Salésiens qui, du jubé, exécute, avec son habileté connue, une messe de Palestrina.

Est‑il besoin de dire que mieux encore que les murailles du temple, l'autel avait reçu la riche décoration des plus splendides solennités, et que ce n'est pas sans émoi qu'on voit célébrer à cet autel, plus de deux fois séculaire, le Sacrifice divin de l'action de grâces ?

Il était réservé à Mgr Cartuyvels, fils lui‑même d'une élève des Dames Bénédictines d'autrefois, de caractériser, avec sa puissante et chaleureuse éloquence, les enseignements de cette pieuse réjouissance. Il prend pour texte la parole par laquelle le Sauveur avait accueilli la nouvelle de la maladie mortelle de son ami Lazarre: Infirmitas haec non est ad mortem, sed pro gloria Dei, ut glorificetur filius Dei per eam. Et c'est par une description de la mort apparente de cette maison, sous les coups de la révolution de 1793, qu'il ouvre magnifiquement son exposé. Tout ici semblait en ruine pour jamais; cette église même, dévastée, n'était plus qu'un vil grenier à foin; presque toutes les religieuses avaient dû fuir. Un petit groupe se refusa, malgré toutes les violences, toutes les privations, à s'éloigner de l'autel et du monastère auxquels elles avaient lié leur vie: son courage y restaura tout, Dieu aidant, et c'est pour remercier ce Dieu, des prospérités croissantes accordées depuis à cette ressuscitée, que se réunissent aujourd'hui Evêque, clergé, religieuses, centaines d'anciennes élèves revenues vers elle de tous les points de la Belgique et de l'étranger.

L'orateur montre alors, en ces accents vibrants et ces vastes tableaux oratoires dont il est coutumier - et jamais il n'a été plus heureux -, quel grand bienfait c'est pour une institution que la grâce octroyée à celle-ci: la grâce de la durée; quels bienfaits aussi elle a répandus autour d'elle, sur ses propres membres, sur les familles, sur la cité, sur le pays - et quelle reconnaissance est due au Ciel, pour les merveilles de sa protection, pour avoir permis que s'exerçassent si longtemps ici, avec une si persévérante vertu, les renoncements de la vie religieuse et les grands apostolats de la prière, des offices sacrés, de l'éducation chrétienne.

Tour à tour, il emporte au plus haut ou il émeut au plus profond son auditoire, en évoquant tantôt les plus nobles pages de l'histoire nationale, tantôt les souvenirs plus intimes qui se rattachent pour tant d'âmes à cette maison: souvenirs des sacrements reçus, des caractères formés, des généreux desseins arrêtés pour la vie, des voeux solennels prêtés, des consolations, des conversions, des réconforts obtenus, des innombrables bonnes oeuvres accomplies, des vies héroïques passées, des morts admirables arrivées à l'ombre de ce temple et dans ce monastère, au cours du siècle écoulé.

C'est par une péroraison enthousiaste et pleine d'onction tout ensemble, qu'il termine en appelant, au nom d'infinies reconnaissances, sur la maison cen­tenaire, toutes les bénédictions méritées par ce passé glorieux et toutes celles qui lui permettront de pour­suivre, dans le même esprit de foi, de renoncement, de dévouement, ses entreprises de salut, de lumière et d'édification, pendant des siècles encore.

Monseigneur l'Evêque de Liège entonne alors ce Te Deum, qui dès le matin ne demandait qu’à jaillir des coeurs et des lèvres, et la bénédiction du T. S. Sacrement couronne cette imposante et inoubliable cérémonie.

Les Dames, anciennes élèves, ne quittent l'église que pour se réunir dans la grande salle de récréation. Elles tiennent à exprimer à Monseigneur l'Evêque leur remerciement pour la part qu'il a bien voulu prendre, si large, à ces fêtes. Mme la baronne W. del Marmol, préside, entourée des dames du Comité organisateur, Mme Musch, Mme Piette, Mmes Collinet, Dallemagne, de Lexhy, Delwaide, Demarteau, Demonceau, Ghysens, Staes et Mlle Henoul.

Dès que le prélat a pris place, un choeur des mieux choisis est chanté avec un art parfait par un groupe de demoiselles, puis Mme Del Marmol lui dit en termes aussi délicatement mesurés que d'une parfaite bonne grâce, la gratitude qu'éprouvent et ses diocésaines à le voir présider â ces manifestations, et celles qui ne sont point de ce diocèse, à connaître et vénérer de plus près l'évêque des Congrès eucharistiques, de tant d'institutions de piété, du centenaire de saint Lambert, et du centenaire des Dames Bénédictines.

Monseigneur l'Evêque leur octroie de grand coeur la bénédiction qu'elles avaient demandée en terminant; il les remercie pour lui‑même; il tient surtout à les féliciter des sentiments dont témoignent ces fêtes et de l'éclat qu'elles ont su leur donner, comme à féliciter l'établissement d'Avroy d'avoir avivé en elles tous ces beaux sentiments, mérité si bien d'elles cette reconnaissance, et de continuer à la mériter des générations nouvelles. Il exprime l'admiration qu'a fait naître chez tous les auditeurs la parole toujours si éloquente de Mgr Cartuvvels, et conclut, à son tour, par les voeux les plus affectueusement paternels pour l'institution des Dames Bénédictines, pour toutes celles qui en ont emporté tant de lumières, de vertus, de mérites, de si puissants et chers souvenirs.

Tandis que Monseigneur l'Evêque se retire au milieu des applaudissements, les dames se rangent de rechef, autour des cadeaux qui doivent demeurer, à l'église, le monument de cette heureuse journée.

Ce sont de gigantesques candélabres, aux saintes initiales décorées de pierres brillantes, un croissant et des herses de lumière, dans le même style, offrandes splendides auxquelles les pensionnaires ont tenu, en s'en cachant, à prendre part, et les frères Dehin à donner le caractère le plus chrétiennement artistique

Madame la présidente présente ces cadeaux de la même façon, simplement charmante, à la Révérende Mère abbesse, dame Isidorine Doreye.

Elle insiste sur le bonheur que toutes goûtent en ce moment, à se retrouver, confondues autour de leurs anciennes maîtresses ou de celles qui les remplacent et les leur rappellent si bien, dans un seul sentiment de cordialité reconnaissante. C'est de cette union de leurs coeurs, c'est de leur profonde gratitude, c'est de leurs souhaits de prospérité pour la maison, pour ses  directrices et ses élèves, présentes et à venir, que ces cadeaux doivent demeurer le mémorial autour de l'autel.

La Révérende Mère remercie, avec son affabilité accoutumée, mêlée cette fois d'une émotion qu'elle ne parvient plus, dit‑elle, à contenir. Les élèves des Dames Bénédictines l'ont, dès longtemps, habituée à recevoir les témoignages les plus aimables de leur sympathie. Mais celle‑ci n'a jamais été manifestée avec autant de vivacité, d'enthousiasme et de reconnaissance. A toutes, merci et dévouement pour jamais!

On se partage alors entre les salles où doivent se donner, d'un côté, le diner offert à Monseigneur l'Evêque, et à ceux qui l'entouraient, d'un autre, le banquet des anciennes élèves: celui‑ci de 195 couverts; à côté, celui des pensionnaires. Nul reporter n'y fut admis sans doute, mais on n'en sait pas moins que ce festin a été servi fort bien par Mme Bodson; que toutes les convives ont pris un plaisir extrême à s'y retrouver aussi jeunes qu'elles s'étaient connues, il y avait de cela vingt, trente ans, un demi‑siècle peut‑être, et que si la règle du silence est prescrite d'ordinaire en ces grands réfectoires, ce n'est pas ce jour‑Ià que saint Benoît en personne eût réussi à la faire respecter.

Faut‑il ajouter, qu'à la fin du repas, la Révérende abbesse étant entrée pour offrir à chacune une image commémorative de cette journée, un toast d'un mot a suffi pour provoquer autour d'elle les plus vives accla­mations ?

Le plaisir des reconnaissances, qu'on avait largement goûté à table, s'est accru encore quand on a pu se répandre dans les jardins. Si le programme de la journée n'en avait pas prescrit l'interruption, on en eût prolongé sans fin les joies toujours nouvelles.

Mais à quatre heures avait lieu la séance organisée par les soins, et remplie surtout par l'artistique concours d'anciennes élèves. Hosannah, heureux chœur de circonstance; morceaux exquis de piano, de violon, d'harmonium, de mandolines, tantôt à part, tantôt unis; chants délicieux: prière d'Elisabeth du Tanheuser, air de l'Africaine, rêve d'Elsa de Lohengrin, la Procession de César Franck... c'était grand dommage, vraiment, qu'un critique musical n'ait pu se trouver hi pour relater en détail avec quelle perfection séduisante, quelle même et ravissante simplicité pour les exécutantes, quelle délicate jouissance pour l'auditoire, tout cela a été rendu par Mlles M. et R. Capelle, G. et C. Sancy, B. Lhoist, L. et A. Bidlot, A. Demonceau, Leunenschloss, accompagnées de Me Nyst. Mlle Doutez ou Mlle Sampaix.

Le professeur de littérature de la maison avait été chargé de mêler la note de l'histoire à celles de la musique: les souvenirs qu'il évoquait ont paru faire plaisir à l'auditoire qui l'a interrompu plus d'une fois par les marques de cette satisfaction, et Monseigneur l'Evêque a tenu avant de se retirer à se constituer, disait‑il, l'interprète de l'assistance, en assurant que celle‑ci y avait retrouvé la science d'historien, le talent d’écrivain, et la piété de chrétien de M. Joseph Demarteau.

Beaucoup eussent voulu, bien après cette séance encore, prolonger la joie de se retrouver ensemble: les trains malheureusement n'attendent pas, même un jour de Centenaire. Toutes du moins ont emporté de cette fête des impressions qui ne s'effaceront plus, et la mémoire d'une journée où tout avait été joie et bonheur.

Le lendemain, c'était aux élèves actuelles dit pensionnat et de l'externat qu'étaient offertes les festivités de la journée: un joyeux goûter et une séance musicale et dramatique, donnée avec le concours de quelques anciennes, Mlles Musch, Sancy, Marrés, qui ont interprété avec autant de naturel que d'esprit une adaptation féminine de la Grammaire de Labiche.

Le samedi, les deux cents fillettes de l'école gratuite ont eu leur tour, et servies par les pensionnaires, n'ont pas moins gaiement solennisé le grand anniversaire, à table d'abord, dans les jeux du jardin ensuite.

Le Patronage des jeunes filles de la paroisse Saint­Jacques reçoit depuis trois ans la généreuse hospitalité des Dames Bénédictines: c'est à lui qu'a été réservé le plaisir de clore par une fête semblable cette suite de réjouissances.

Elles n'avaient point pris fin qu'un télégramme de Rome est venu mettre le comble à la chrétienne satisfaction de tous. De la salle même où les anciennes élèves étaient réunies le jeudi, celles‑ci s'étaient fait devoir et plaisir d'adresser au Saint‑Père l'expression de leur vénération filiale et la demande de sa bénédiction apostolique.

Le télégramme romain répondait en exprimant les remerciements de Sa Sainteté, et en octroyant à tous la bénédiction sollicitée.

*

* *

Sa Grandeur Monseigneur l'Evêque de Liège a bien voulu joindre aux félicitations adressées par elle à l'auteur du rapport historique, présenté dans la séance de jeudi, le voeu de le voir imprimer en brochure c'est à ce voeu qu'on défère en le publiant un peu revu et complété.


RAPPORT HISTORIQUE


I.

Il y a eu, au commencement de cette année, 270 ans que se sont établies à Liège les Bénédictines du monastère de la Paix Notre-Dame. Aucune institution de religieux ou de religieuses ne se retrouve aujourd'hui occuper, d'aussi vieille date en notre ville, le lieu même où fut son berceau.

Les trois fondatrices nous étaient arrivées de Namur, jeune essaim d'une maison qui, moins heureuse que la liégeoise ne devait pas voir, elle, se reconstituer après les orages révolutionnaires de 1789, la ruche pieuse de sainte Scholastique. C'est à d'autres qu'il était réservé de raviver avec éclat dans cette maison la pratique des vertus évangéliques et du dévouement à l'instruction donnée pour la gloire de Dieu, ad majorem Dei gloriam, comme porte la devise de saint Ignace, - ut in omnibus glorificetur Deus, avait dit mille ans auparavant saint Benoît. Depuis 1831, l'ancien cloître bénédictin de la Paix-Notre-Dame de Namur est devenu, relevé par les RR. PP. Jésuites, le collège de Notre-Dame de la Paix.

Ce nom même et ce patronage heureux de la Vierge de Paix, Namur l'avait reçu en 1613, puis l'avait transmis à Liége, en souvenir filial de cette communauté de bénédictines de Douai, d'où était partie, au début du XVIIe siècle, une réforme, un peu étroite peut-être, mais opportune, généreuse et féconde, due à l'abbesse de la Paix Notre-Dame de Douai, Florence de Werquigneul.

En s'installant en notre ville, ces bénédictines réformées répondaient à l'appel du prince-évêque, Ferdinand de Bavière et de son zélé suffragant Strecheus: réponse d'autant plus méritoire que les trois fondatrices n'apportaient avec elles, pour dotation, que la promesse d'une petite pension de cent florins par tête dont leur maison-mère de Namur ne devait point tarder à se décharger leur piété courageuse, et le dessein de faire le bien.

Arrivées à Liége le 18 janvier 1627, elles se donnaient le surlendemain pour supérieure l'aînée d'entre elles, dame Nathalie Gordinne, une abbesse de 33 ans. Celle-ci était originaire de Namur, mais son frère était établi à Liége et une nièce liégeoise devait bientôt la rejoindre au cloître. En attendant que fut construit le couvent, qu'on allait édifier en Avroy, sur un terrain acquis du Séminaire de Liége, et agrandi ensuite par d'autres achats, elles s'installèrent provisoirement dans une petite habitation du Pont d'Avroy.

Un bourgeois du lieu, Jacques aux Brebis, d'une famille venue de Dinant et qui allait leur donner plusieurs de ses filles, aida tout particulièrement à cette installation.

A la fin de l'année 1629 ou au début de 1630 elles prenaient possession de leur premier oratoire; il occupait l'emplacement de la chapelle, qui continue de servir de choeur aux religieuses. Peu à peu cloître et cellules s'étendirent autour de cet oratoire.

Une dévotion que les fondatrices avaient amenée du pays de Namur, où de récents miracles venaient de lui donner une intensité nouvelle, ne contribua pas peu a rendre cette chapelle populaire à Liège et à nécessiter l'érection auprès d'elle d'une église plus accessible aux fidèles ce fut le culte de sainte Rolende (1).

Sainte Rolende était la fille d'un prince du nom de Didier, que les uns font vivre au VIIe siècle, contemporain de saint Lambert, et que d'autres croient avoir pu être ce roi des Lombards châtié par Charlemagne de ses agressions spoliatrices contre la Papauté, et mort en exil à Liége. Rolende aurait fui la maison paternelle, pour se garder toute à Dieu dans un monastère de Cologne en se dérobant à un mariage avec le fils d'un roi d'Ecosse. Dans cette fuite, la mort la surprit, épuisée de fatigues, à Villers-Poterie, entre Thuin et Fosses. Reconnaître à travers ces brumes dorées de la légende les traits historiques de cette vierge, est moins aisé que de constater sa sainteté. Celle-ci, du moins, demeure établie par le culte dont les reliques de Rolende étaient l'objet dans l'église de Gerpines, où l'on avait déposé ses restes vénérés, par la translation qu'en fit l'évêque de Liège Obert (1092­1119) et par les guérisons obtenues de Dieu, à son intervention, soit à Gerpines, soit ici. L'os de son bras, vénéré dans l'église des Bénédictines de Liège, leur a été donné en 1602 par Monseigneur Jean de Wachtendonck, évêque de Namur (2).

Invoquée contre la pierre, la gravelle, les hernies, les affections des reins, des actes authentiques de 1655, 1656, 1659, 1601, 1664, 1667, attestent qu'en recourant à l'intercession de sainte Rolende, dans la chapelle des Dames Bénédictines, le chanoine d'Otrenge, Arnould Loncin, Françoise Petriceau de Villers-la-Tour, le bourgeois de Liége Eloy Mottet, la soeur Pétronille de Franchiinont, du béguinage de Saint-Christophe, le jeune Gérard Verken, la femme Marie Dehousse, la petite Laurence de Prez, ont obtenu des guérisons non moins promptes qu'inespérées pour la science humaine. Les témoignages de ces soulagements extraordinaires, grenailles de pierre ou concrétions de la grosseur soit d'une noisette, soit d'un marron, en sont encore conservés ici. Aussi un bref du Pape Alexandre VII, du 21 octobre 1655, ratifia-t-il l'érection en la chapelle des Bénédictines reformées d'une confrérie, qu'il enrichit d'indulgences précieuses, - « sous l'invocation de sainte Rolende, ou des saints Benoît et Rolende ».

De nos jours encore, bien que ce culte ait beaucoup perdu de son éclat, des pèlerins viennent parfois implorer sainte Rolende, en l’église de la Paix Notre­Dame, comme on le faisait il y a deux siècles et demi. Le jour de la fête de la sainte, le 13 mai, il reste d'usage d'y bénir, au nom de saint Benoît, de saint Gérard et de sainte Rolende, à l'intention de ceux qui souffrent ou craignent souffrir de la pierre ou des fièvres, soit de l'eau, soit de petits pains.

Avant même que la communauté naissante n'eût quitté son logis provisoire du Pont d'Avroy, des novices s'étaient présentées. Bientôt après vinrent des pensionnaires: celles-ci étaient parfois des dames d'un certain âge; plus souvent ce furent des jeunes filles de dix, douze à quatorze ans, qui complétaient leur éducation auprès des religieuses et trouvèrent ainsi, maintes fois, une vocation monastique.

Mais le hameau d'Avroy ne se confondait pas alors avec la cité; il gardait son administration propre, comme son caractère champêtre, en dehors des remparts de Liége, séparé d'elle par un bras de la Meuse. En cas d'invasion ennemie, il n'y avait pour ses habitants qu'à se réfugier dans la ville. Ainsi durent faire, en 1636, devant les Croates de Jean de Wert, les Bénédictines d'Avroy. Le prince de Barbanson mit généreusement à leur disposition sa maison du mont Saint-Martin, en face de l'église Saint-Hubert: elles y séjournèrent un an. Rentrées dans leur monastère en 1637, voilà 260 ans qu'elles ne l'ont plus quitté, 260 ans que, de ce fort avancé de Liège la sainte, humbles mais infatigables gardiennes de la foi et de la vertu, elles font veiller avec elles, devant Dieu, sur la ville et sur le pays, la prière incessante, les immolations de la vie du cloître et tous les dévouements de l'éducation catholique.

La sécurité cependant ne s'était point rétablie par la fin de l'occupation étrangère: c'est l'époque des luttes civiles les plus ardentes (les Chiroux et des Grignoux, époque d'émeutes sanglantes, d'exécutions rigoureuses, d'assassinats tragiques tels qu'en 1637 celui du bourgmestre La Ruelle. La discorde heureusement ne franchit point le seuil de Notre-Dame de la Paix: les filles mêmes des chefs des partis en guerre y vivaient en soeurs unies, à l'ombre du même autel, et Dieu devait, une fois de plus, tirer le bien du mal. Parut-il prudent d'éloigner quelques religieuses étrangères à la principauté, comme on voit vers ce temps un rescrit du Conseil communal en exprimer le voeu? Les troubles, au milieu desquels on vivait, firent-ils désirer ô certaines soeurs une retraite moins menacée? Quelques­unes d'entre elles, lors de la dispersion passagère de 1636, avaient-elles trouvé asile près de leur famille au Hainaut, et reconnu qu'on y pourrait fonder un établissement durable? Toujours est-il que le nombre des bénédictines liégeoises s'était accru au point de leur permettre d'essaimer à leur tour en 1610 nous voyons partir pour Mons, trois professes de Liége, dame Marie de Marotte, d'Acoz, dame Marie-Euphrasie Gordinne, de Namur, soeur de l'abbesse liégeoise, et dame Florence Sclassin de Liège elles y fondent, première colonie de cette maison, le monastère de la Paix Notre-Dame, dont, successivement, toutes trois devaient être les supérieures.

Les noms cités en témoignent déjà: dès l'origine, la communauté d'Avroy avait pris ce caractère dont elle ne se départira pas: celui d'allier, dans la célébration des louanges divines, dans la poursuite de la même perfection chrétienne, et dans le même apostolat de la jeunesse, les filles des familles patriciennes les plus notables et celles de la plus fidèle bourgeoisie.

À côté des noms aristocratiques des Rex, de Binken, de Bra, de Charneux, de Colard, de Glen, de Lannoy, de Liedekerke, de Liverlo, de Loncin, de Maillon, de Marotte, de Méan, de Micheroux, de Noville, de Nunolara, d'Omalius, de Potesta, de Rosen, de Spinet, de Thier, Van den Steen, de Ville, de Villenfagne, de Wansoule, de Woot de Tinlot, nous rencontrons, dès ce premier siècle, sur la liste des religieuses, comme dans la série de leurs abbesses, des noms simplement plébéiens.


II.

Pour être reçu au chapitre des chanoines tréfonciers de Saint-Lambert, un titre scientifique valait quartiers de noblesse; ainsi, talent, a-t-il dès l'origine valu dot pour être accueilli parmi les filles de Notre-Dame de la Paix. De celles qu'on accepta, dès l'abord, dans ces conditions, la première, Jeanne Henry, savait faire le crépin, science indécise pour nous, mais fort prisée alors et qui fut une des premières ressources de la communauté. Une autre, Antoinette Desmnoulins n'entre, à 29 ans, qu'avec - son attelage de peintre -.

Fille de Jean Desmoulins, bourgeois et peintre dans la ville de Mons, elle était musicienne et brodeuse, calligraphe et miniaturiste, doreur, littérateur et architecte. Comme nos moniales du VIIe siècle, ce sont les Evangiles de l'année qu’elle copie et qu'elle illustre de décorations fleuries dans des in-folios qu'on a conservés. Elle surveille et dirige les bâtisses du monastère: « Elle a fait le plan de notre église », écrit d'elle l'abbesse Dame Lambertine Counotte, en enregistrant sa mort, â la date du décembre 1692.

Heureuse réduction, dirait-on, de celle que les Carmes liégeois venaient d'élever Hors-Château et qui sert de siège, aujourd'hui, au zèle apostolique des Pères Rédemptoristes, l'église d'Avroy, achevée (3) pour la fin de 1690, doit sans doute ses proportions et ses dispositions générales à la bonne soeur. C'est toutefois à un architecte et sculpteur, en renom chez nous à cette époque, à maitre Arnold Henrard de Dinant ou plutôt à celui qui, sans quitter sa profession artistique, avait tenu a devenir, à son retour de Rome, le frère Robert de la Chartreuse de Cornillon, que l'on a, dans la suite, attribué la façade de cette église (4)

Architecte, Antoinette Desmoulins était aussi écrivain et poète; elle composait soit à l'occasion des prises de voile des chants français de circonstance qu'on exécutait à la chapelle, soit pour les pensionnaires des dialogues en vers, généralement empruntés à la vie des saints.

Or, le plus ancien essai dans lequel on se soit servi, pour le théâtre, de notre idiome local, est une pièce de pensionnat, une sorte de moralité en partie double, mi-française, mi-wallonne.

Nous devons la conservation de cette pièce en liégeois d'il y a 250 ans, à un lettré mort en ce siècle, Simonon, poète wallon lui-mème et habitant du quartier d'Avroy. Le fait que ces pages appartiennent à notre ville et qu'elles y ont été conservées dans le quartier des Dames bénédictines; qu'elles ont été composées pour des pensionnaires comme ces Dames en tenaient, et pour un auditoire comme elles en pouvaient réunir; qu'elles recommandent particu­ièrement ce culte de l'ange gardien, toujours en honneur chez ces Dames; qu'elles datent tout juste enfin de l'époque où nous savons qu'Antoinette Desmoulins composait ses poésies pour pensionnaires et était chargée des rapports avec les ouvriers de la maison, n'est-ce pas assez pour autoriser à se demander si la Hroswitha wallonne du XVIIe siècle ne serait pas notre bénédictine.

L'oeuvre montre bien, en tout cas, qu'au XVIIe siècle, il n'était pas plus vrai qu'au XIXe, que l'éducation donnée au couvent ne se préoccupât que de susciter des vocations religieuses.

La première partie de cette moralité est écrite en vers français. On y entend dialoguer, au sujet d'une jeune mondaine de haut rang, l'âme, le monde et l'ange gardien. La seconde partie, l'acte burlesque, nous dit l'auteur même, doit servir de comique ou farce postérieure à l'acte français ci-devant écrit dans les formes. Il est rédigé en wallon (5). C'est une jeune fille du peuple, et du service de la coquette convertie, qu'on met en scène. Elle confie d'abord à la noble assistance sa peine de n'être point riche, jolie, adulée :

Bonsoir, le brave et damoiselle !

Quinne ma l'bon Dieu voulou fez belle,

Galante et rigge, comme vos estez !

Om'freu les honneur to costez,

Ensi qu'al'feye di nos madame,

Qui arreu treuze ou quatt houhame

Sill en aveu mesty d'ottan.

La fillette se plaint fort que sa mère lui prêche réserve et piété:

Gi poirreu cor bin qangyi d'veye

Quan g'sierret ossi vyle qui leye...

La mère a entendu ces propos peu rassurants, elle en reprend vivement l'écervelée. Celle-ci, de riposte en riposte, arrive è la question d'état:

Von volez don nin q'gim marreye ?

La mère ne répond point dans le langage d'Esther, que Racine n'avait, d'ailleurs, pas encore écrite à cette date; mais en patois c'est bien la même morale, gravement pratique, que Madame de Maintenon allait en ce temps-là faire entendre aux élèves de Saint-Cyr:

La vertu n'èpaiche nin l'mariégge.

Au contraire, jll donne dé corrégge

Po poirtez, à l'occasion.

Avec bonne résignation,

Le creux, le pone et le tourmin

Qu'on z'v trouve ordinairemen.

Men poss'y mett di bonne manire

Inn faa nin s'pargny le priyre,

On ny sarreu bin réussi

Sen d'mandez l'grace de St Esprit...

Preye Dieu quitt donne on vertueux,

Qui sinn seuye qu'on coeur di vo deux.

Dimandeel ben et vos l'ârrez...

L'Evangile el dit, sen bourdez :

« Quoirrez, vo trouvrez, dit l'bon Dièt,

Bouchy foire, l'ouhe si douverret. »

Et comme ces sages conseils n'agréent qu’à demi à la jeune fille, la mère en appelle elle-même à la prière:

Signeur, si vo m'avez fey mère,

Ay dy me sortini l'caractère...

A cette prière, l'ange gardien de l'enfant descend des cieux, et vient compléter la leçon. Seulement, l'auteur n'ayant pas osé faire du wallon la langue du Paradis, c'est en alexandrins français que l'envoyé céleste recommande aux jeunes filles de rechercher avant tout, sur le sujet en cause, les inspirations de leurs bons anges:

Selon l'opinion de la théologie,

Dieu nous donne â chacun un ange gardien,

Pour éloigner le mal, pout procurer le bien,

Et pout nous protéger dans le cours de la vie

Secondez leurs desseins, mes chères demoiselles,

Consultez leurs avis en tout lieu, en tout cas,

Et singulièrement pour le choix d'un état...

Il vous feront connaitre où le Ciel vous appelle.

Ce langage de la raison et de la piété, ces propos d'un franc wallon, facile et souvent pittoresque, ne seraient pas de la plume de dame Aldegonde, Antoinette Desmoulins, qu'ils n'en caractériseraient pas moins bien l'enseignement traditionnel, sans mièvrerie et sans bruit, sans faiblesse comme sans réserve outrée, chrétiennement pratique et bien liégeois, des maîtresses de la Paix Notre-Darne.


III.

La première abbesse nous était venue de Namur. A sa mort, en 1657, une Liégeoise lui succède. Issue d'une famille connue par ses fondations charitables et alliée aux Méan, elle avait nom Julienne Counotte. A quatorze ans et demi, orpheline de sa mère, elle s'était glissée subrepticement à la chapelle, un jour de vêture, parmi les pensionnaires. Elle prétend, dès lors, ne plus quitter la maison. Aussi comprend-on que le père, commissaire de la cité, ait différé quelque temps d'adhérer à une vocation si précoce et si impétueuse.

Le petit oratoire des religieuses venait à peine de s'ouvrir, quand la future abbesse Lambertine Counotte, y était ainsi entrée. A sa mort, 21 juillet 1695, elle avait reconstruit ce choeur des religieuses (6) et laissait terminée l'église, dont la générosité de ces religieuses ou de nobles familles liégeoises, et les oeuvres de nos artistes les plus prisés allaient compléter l'ameublement. Si la façade en était due à l'un des maîtres de Delcour, c'est le plus notable de ses rivaux, Arnold Hontoire, qui en sculpta le maître-autel avec ses deux belles et graves statues de saint Benoît et de sainte Scholastique. Englebert Fisen devait peindre, en 1706, la mort de ce saint et celle de cette sainte pour les deux autels latéraux; Van der Werck, élève de Hontoire, y joindre peu après les statues de saint Joseph et de l'Ange gardien. De Delcour même on conservait une vierge en bois, réduction ou modèle de la Vierge de Vinâve-d'Ile,

La troisième abbesse du monastère, une Liégeoise encore, Anne Chargeux, avait été cinq ans pensionnaire avant d'entrer au cloître à 17 ans. Orpheline et fille d'un fabricant d'armes du faubourg Saint-Léonard, elle apporta avec elle toute une cargaison « d'armes de guerre qui sont à trouver marchand pour la valeur de mille à douze cents florins ». En 1693, cinquante-deux ans après l'entrée au couvent de l'orpheline armurière, ce dépôt encombrait encore le grenier:

Qui l'eut cru, qu'on dût voir jamais

Les glaives meurtriers, les lances homicides

Briller, aussi longtemps, dans la maison de la paix !

Car on les y gardait brillants. Mais pour leur conserver cet éclat, il avait fallu charger un homme du métier, - un officier de la milice citoyenne peut-êlre, - de venir de temps à autre passer au couvent l’inspection des armes. Savait-on encore dans ce temps là, utiliser un armement vieux d'un demi-siècle?... L'anecdote établit du moins que ce n'était décidément pas ce belliqueux commerce qui se devait exercer dans le moustier de Notre-Dame.

A la pieuse fille de l'armurier, après quatorze mois d'abbatiat, succède comme supérieure, en 1696, une autre ancienne pensionnaire, une Liégeoise, et une Lambertine encore, l'affable, humble, et toute bonne héritière des Liverlo.

Une Braze d'Avernas nous conduit ensuite à une de Thier. Celle-ci, dame Louise, n'était que celerière, quand, en lui rendant visite, en 1725, son père, chevalier du Saint-Empire, deux fois bourgmestre de Liège et qui avait assisté, à ce titre, à la pose de la première pierre de notre hôtel de ville, tomba mort sur le seuil du monastère: il y reçut, comme sa pierre tombale le rappelle encore dans les cloîtres, sépulture au caveau des abbesses, où sa fille devait le rejoindre.

Là, d'ailleurs, l'avait devancé, un autre premier magistrat de la cité, Guillaume Philippe Baron de Wansoulle, qui était venu, en 1711, trouver aussi, tout près des prières de sa fille bénédictine, une tombe chrétienne et un repos bien mérité: de Wansoulle avait été quatre fois bourgmestre de Liège et avait élevé dix-sept enfants !

Dame Célestine Lancelin est élue abbesse à 37 ans, mais la mort l'emporte après deux années. Dame Constance de Micheroux, veuve avant l'âge de 18 ans de Lambert de Colard, femme de piété tout ensemble et d'administration, régit le cloître 17 ans. Dame Rosalie de Bastin, mère tendre et supérieure ferme, meurt en 1780, âgée de 75 ans, professe de 50, abbesse de 22. Elle a pour successeur la fille d'un capitaine de la citadelle de Liége, la dernière abbesse du XVIII siècle, dame Victoire Gordine.

Heureux les peuples qui n'ont point d'histoire! Plus heureuses encore les communautés religieuses qui, comme celle-ci au cours de ce XVllIe siècle, gardant leurs règles essentielles et gardées par ces règles, n'offrent que la sainte monotonie d'une vertu égale et de bienfaits répandus sans bruit !

Deux savants bénédictins de St-Maur avaient visité notre ville, en 1718: ils n'hésitent pas â signaler le cloître d'Avroy pour le premier de Liège, et n'y trouvent à reprendre qu'un point (7): « Parmi les monastères de filles, disent-ils, les Bénédictines de la Paix passent pour les plus régulières; c'est effectivement une communauté où il y a beaucoup de bien et une grande observance. Elles ont néanmoins un peu terni le lustre de leur régularité, en se relâchant, depuis quelques années, de l'abstinence de la viande qui a toujours passé dans l'ordre de saint Benoît pour un des principaux points de la règle. Aussi a-t-on remarqué que dans ce grand ordre, qui a donné à l'Eglise un nombre si prodigieux de saints canonisés, on n'en trouve aucun qui ait vécu dans les monastères où l'abstinence ne fut pas en vigueur. Mais on doit plutôt attribuer ce relâchement à une trop grande indulgence de quelques directeurs peu instruits des devoirs monastiques, qu'au défaut de ferveur dans ces bonnes religieuses qui, d'elles-mêmes, sont portées au bien et à leurs devoirs: heureuses si elles trouvaient des personnes assez éclairées et assez zélées pour leur permettre de reprendre une observance qu'elles ont quittée un peu trop légèrement et sans aucune bonne raison ! »

Peut-être, à la longue, au cours du XVIIIe siècle, un léger relâchement s'était produit, non dans la stricte moralité on la piété de la maison, mais dans l'observance de certaines sévérités de la règle. A voir, du moins, ce que chaque nouvelle religieuse apporte avec elle pour son usage personnel, en entrant au couvent: rideaux de soie, couvert d'argent, garde robe, garniture de cheminée, chaudron, coquemar même, à voir la disparition , dans les registres, de toute mention de pensionnaires, on peut se demander si les moniales de Saint-Benoît ne tendaient pas à vivre, à certains égards, de la vie d’un béguinage ou d'un chapitre de pieuses chanoinesses plutôt que de celle d'une communauté cloîtrée au sens le plus partait du mot.

L'église d'Avroy n'en restait pas moins, au dire de l'auteur des Délices du pays de Liége, « a plus jolie de toutes celles des monastères de filles de la ville et des faubourgs de Liége: on ne peut rien voir de plus propre, de plus éclairé ni de plus orné. La galerie qui règne tout autour, ses fenêtres élevées et d'une largeur proportionnée à leur élévation ne sont pas les pièces moins dignes de l'attention des curieux » (8).

Entre ces abbayes de femmes du pays, celle de ces Bénédictines était donc, à la veille de la révolution, une des plus prospères, des mieux tenues, des mieux rentées; elle était aussi la plus peuplée. Elle comptait vingt-huit religieuses, et jouissait d'un revenu de fr. 17,697 (9), soit, sans compter les dettes de la maison. - après deux siècles à peu près de ces captations, pratique affreuse, vous le savez, de tous les couvents - moins de 600 francs par personne: le prix moderne parfois d'une toilette de bal. Ce qu'il resterait de ressources disponibles pour la charité, Mesdames, et quelle prompte et facile suppression de la misère, aujourd'hui, si chacune de nos filles se pouvait contenter, pour vivre et pour taire le bien, comme ces nonnes opulentes d'autrefois, de six cent trente­deux francs et trois centimes.


IV.

Voici pourtant qu'un relâchement bien autrement formidable que celui du maigre, le relâchement de tous les liens sociaux, ouvre Liège à une révolution semblable à celle de la France. La tempête emporte l'ancien régime tout entier, l'organisation séculaire de la principauté, l'indépendance du pays, toutes ses vieilles libertés, toutes ses institutions scolaires, la plupart des fondations de la foi et de la charité, comme des ressources industrielles ou commerciales de la population: c'est le triomphe de l'oppression étrangère, de l'impiété persécutrice, des ruines et de la misère.

Le patrimoine de la Paix Notre-Dame consistait en quelques maisons dont la communauté propriétaire percevait le loyer, et en capitaux prêtés, soit à des institutions religieuses, soit à des corps politiques, soit à des particuliers. Ni de ces loyers, ni de ces rentes, presque plus rien n'est payé.

En octobre 1704 il faut, pour vivre, vendre 6,100 florins l'argenterie de l'église.

Les exactions révolutionnaires achèvent de détruire le petit patrimoine lentement amassé. Sommée de payer une taxe extraordinaire de 900 francs, dame Victoire. Gordine écrit à l'un des membres de l'administration du département (10), le 9 germinal, an IV, 30 mars 1706 :

«Votre lettre, qui m'annonce que nous sommes taxées à 900 livres, me plonge dans le plus grand désespoir: nous manquons de pain et de tous les objets de première nécessité. Voici le tableau exact de nos revenus. Que l'on juge après, s'il est en notre pouvoir de fournir 900 livres. Nous jouissons de 6,000 livres de rente, notre maison doit environ mille florins de charge, il nous en reste 5,000 pour les entretiens de nos bâtiments et la subsistance de 27 religieuses et deux filles domestiques qui font 29. Que l'on calcule ce que chaque individu peut avoir à dépenser... Si les administrateurs ne veulent pas avoir égard à ma prière, je serai dans la dure nécessité de laisser faire l'exécution militaire. Nous avons déjà été obligées de vendre nos principaux effets pour nous procurer du pain, ne pouvant nous faire payer de personne...

Epreuve plus cruelle que la faim pour des religieuses: fermée à la prière, interdite à Dieu, leur église sera transformée en magasin de fourrage: qu'elle ne serve plus qu'aux bêtes!

Vers la mi-janvier 1796 les commissaires de police et des logements du quartier se présentent à l'abbaye.

Voici le texte de l'inventaire qu'ils y vinrent dresser:

L'an 4e de la République française du mois de nivôse le 27e jour, à 4 heures de l'après midi, nous, commissaires du police et des logements, députés par arrêtés de la municipalité de Liége en dates des 17 et 19 nivôse de la dite année, à l'effet sous écrit, nous sommes transportes dans l'église et couvent, des Bénédictines sur Avroi; dépendant du quartier d'Avroi et là après avoir fait conteste de notre mission spéciale â la citoyenne Marie-Genevievre Ghequier, procureuse et sacristaine, la citoyenne Victoire Gordinne, abbesse du couvent, et la citoyenne Simon, prieure, avons, en leur présence. procédé à l'inventaire de l'argenterie et effets servant au culte qui se trouvent dans la dite église sacristie, etc., connue s'en suit:

1. Le ciboire d'argent et un calice d'argent et cuivre.

2. Quatorze devants d'autel et autant de chasubles et ce qui en dépend.

3. Dix aubes, quatre surplis, petits et grands et douze amictes, trois chappes, quatre humereaux.

4. Six grands chandeliers et six plus petits de cuivre et cinq petits chandeliers.

5. Une lampe, une sonnette et trois cloches.

6. Un orgue.

7. Trois plats et burettes d'étain.

8. Un christ, de cuivre et croix de bois.

9. Des coussins, tapis.

10. Six nappes d'église, etc.

11. Trois missels et pour les messes de « Requiem ».

12. Deux branches ou chandeliers de cuivre.

Leur avant demandé si elles n'ont point d'autres effets servant au culte, elles ont répondu que non.

Leur ayant aussi demandé si elles n'ont point lait passer ou laisser emporter en pays étranger on ailleurs de l'argenterie et autres effets du culte; elles ont répondu que non ajoutant cependant qu'elles ont vendu toute l'argenterie de l'église pour environ six mille et cent florins vers le mois d'octobre 1794, pour avoir de quoi vivre, n'étant payées de personne.

Leur ayant demandé aussi si elles n'en ont point caché ou contribué â en distraire, elles ont répondu que non.

De sorte que nous avons mis sous la garde et responsabilité des susnommées les effets ci-devant désignés à la première page, avec obligation de leur part, de les reproduire à la première demande qui leur en sera laite. En foi de quoi elles ont signé les présentes.

VICTOIRE GORDINNE abbesse bénédictine.

MARIE LAMBERTINE SIMON, prieure.

MARIE GENEVIEVE GUEQUIER, sacristaine et celerière.

N. DURANT, père, commissaire de logement.

F.-L. Duluainox, commissaire du quartier d'Avroi.

La spoliation complète est décrétée, le dépècement commence: le 3 nivôse an V, la veille de la Noel de 1796, les cloches sont enlevées pour en faire matière à canon; les saints patrons Benoît et Scolastique arrachés à l'autel seront vendus à l'encan au marché; la Vierge de la paix, mise en pièces, sera jetée à bas du fronton du temple et la croix, brisée, de son faîte.

Ah ! certes, on les réparera, au cours du siècle suivant, ces ruines sacrilèges: la croix reparaîtra triomphalement au couronnement du temple rendu au culte, et où d'autres voix d'airain, témoignage de l'affection d'augustes prélats, annonceront joyeusement les saints offices; la Vierge redeviendra là-haut l'enseigne bénie de la paix et de la piété; des mains amies rachèteront et rapporteront les chères images des vieux patrons. Restitutions longues et lentes, dont la dernière est presque d'hier!

N'est-ce pas l'an passé qu'un directeur vénéré, qui, courbé sous l'ample manteau de saint Vincent de Paul, en porte aussi le coeur toujours jeune, sonnait un soir à la porte du monastère, en montrant gisant sur le seuil... un nouveau-né recueilli sur la route? Non point: la statue retrouvée de la Vierge de Delcour. - « Elle a été dérobée aux Bénédictines, avait dit à ses héritiers le dernier possesseur laïque de la sainte image. Il faut qu'elle leur soit rendue ». Et Notre Dame, revenait, - elle est là ! - après 99 ans d'absence, pour fêter avec nous le centenaire de la réparation.

Ces pillages sacrilèges, ces spoliations matérielles avaient été peu de chose cependant, en regard des persécutions personnelles. La tyrannie enlèvera jusqu'à leur nom aux ci-devant bénédictines. Elle interdira de garder l'habit des voeux sacrés; elle prétend rompre ces voeux-mêmes, empêcher de se rendre désormais à l'appel de Celui qui a promis sa présence divine là où l'on se réunirait en son nom. Dispersez-vous, victimes du cloître, si vous ne voulez subir les pires violences, au nom de la liberté!

Epuisée par la longueur même de la résistance, cédant enfin à l'oppression et à la famine, l'abbesse ouvre, un matin, la porte de la clôture, elle part la première et va se confiner, au Val-Benoît, dans le petit quartier où elle devait mourir solitaire, oublieuse et oubliée. La plupart de ses filles ont suivi son exemple: les voilà dispersées, sans espoir de retour, sur les chemins de l'exil.

Or, la dernière des novices avait été reçue au monastère, aux jours déjà troublés d'avril 1702; 24 ans d'âge, 1500 florins de dot, 40 de revenu. C'était une jeune Française, de cette ville de Givet, jadis limite extrême de notre diocèse, évangélisée par saint Hubert. Dame Constance, Dieudonnée Greck, s'était promis d'être à Dieu: elle entendait, coûte que coûte, lui demeurer fidèle dans l'observance des conseils évangéliques.

Des dix-sept religieuses du choeur et des dix soeurs converses licenciées par leur abbesse, deux dames s'unirent à elle, avec une vieille soeur, pour ne point quitter la place. Les deux darnes n'y devaient pas demeurer jusqu'au bout; d'autres devaient y rentrer; la pauvre soeur, Thérèse Laloyaux, seule, lui restera invariablement fidèle. C'en est assez, Dieu aidant, pour tout sauver et tout relever.

A un moment donné une troupe de volontaires belges républicains avait été casernée au couvent. Son chef, du nom de P. F. Smeets, adoucissait, autant qu'il était en lui, les rigueurs de l'occupation, mais n'avait fait que passer.

Plus tard, ce cloître ayant été déclaré propriété de la nation, les vexations de tous genres se multiplient: elles ne parviennent pas à déterminer à la retraite les pieuses récalcitrantes. Un corps de soixante hommes vient derechef occuper militairement le couvent: il n'en peut déloger cet étrange ennemi, quatre femmes ! Réfugiées dans une chambre écartée, sans mobilier, sans linge, sans argent, sans provision, vivant des légumes et des fruits du jardin que secrètement on recueille ou vend pour elles, le blocus des assiégeants à beau les serrer de plus en plus près: ni les angoisses, ni les privations de ce siège ne réussissent seulement è empêcher un jour la récitation de l'office sacré,

Elles ne furent pas nombreuses à Liége les maisons religieuses où la persécution, les violences et la faim ne parvinrent pas à triompher de cette obstination féminine, invincible toujours quand elle s'appuie sur Dieu: y en eut-il, avec celle-ci, plus de deux autres? On ne sut arracher ni les hospitalières du chevet des malades de l'hôpital de Bavière, ni les Carmélites du Potay, de l'autel du Dieu eucharistique. Là veillait la foi, là veillait la charité; ici se gardait l'espérance.

Tout ici cependant semblait désespéré

La loi du 1er septembre 1796 avait supprimé tous les ordres et congrégations réguliers des deux sexes, et confisqué leurs biens au profit de la République; reçue et enregistrée à Liége quinze jours après, cette loi ne laissait plus même aux religieuses le droit de garder l'habit de leur maison.

Au dernier jour de novembre, le 8 frimaire an V, l'abbesse et ses compagnes, avaient accepté les bons de la dérisoire indemnité promise aux religieuses en retour de leur sécularisation forcée. Le 14 décembre (22 frimaire) l'enclos tout entier est affermé à un sieur Delchef, pour un loyer annuel de 1,100 francs c'était couper les vivres aux assiégées. Trois jours après, leur parti était pris: elles-mêmes sollicitaient, en vue de le racheter, la mise en adjudication du monastère. C'est à sa compagne, la celerière, dame Marie-Agnès Ghequier, que dame Constance fait prendre l'initiative de cette demande:

Je sousignée, exréligieuse du couvent des bénédictines à Liége département de l'Ourte, déclare être dans l'intention et me soumettre d'acquérir le susdit courent avec ses appartenances et un enclos consistant en environ trois boniers de Jardin et verger, lesquels biens sont affermés par bail du 22 du présent mois au citoyen Delchef pour une année, moyennant onze cent frans. Pour l'acquisition desquels biens j'offre la somme de dis huit mille florins que je soumets de payer de la manière et dans les termes exprimés en l'arretté du Directoire exécutif du 23 fructidor dernier, si je reste adjudicataire des dits biens. En conséquence, je requiers l'administration centrale du département de l’Ourte, dans l'étendue de laquelle sont situés les dits biens, de faire procéder sans délay, sur ma présente soumission, à l'estimation d'iceux et publications et adjudication nécessaires dans les délais prescrits par la loy; fait à Liége ce 25 frimaire an 5e.

MARIE-AGNES GHEQUIER, celerière.

Quelques jours après la réception de cette lettre, « l'administration de la Régie de l'enregistrement et du domaine national, commissionnée spécialement du Directoire exécutif dans les départements réunis (Belgique) pour surveiller et activer la vente des domaines nationaux », transmet, avec cette demande, l'administration centrale du département de l'Ourthe l'invitation de taire procéder sans retard à l'estimation et à la mise aux affiches des biens qui font l'objet de cette soumission. Cette estimation se fit le 28 décembre (11) et c'est ainsi que dans l'affiche: « N° 1 de la VENTE DES BIENS NATIONAUX, - 1ere séance d'enchère indiquée au premier ventose prochain an V (19 février 1797 vieux style) - adjudication définitive indiquée au 6 ventose an V (24 février 1797 vieux style, on voit figurer à l'état des biens nationaux à vendre, commune de Liège:

19. UN COUVENT, ÉGLISE, COURS, JARDINS LÉGUMIERS ET PRAIRIE DES CI-DEVANT BÉNÉDICTINES, SUR AVROY, CONTENANT UN BONNIER, SEIZE VERGES GRANDES ET QUATORZE PETITES OU ENVIRON, ESTIMÉ 20,900 LIVRES.

Mais quoi! Placée le jour sur la muraille du monastère, l'affiche était arrachée la nuit; en vain la renouvelait-on, la même main mystérieuse, dès l'ombre venue, la faisait disparaître: c'était la main de Constance Greck.

Ces légitimes et vaillants déchirements réussirent­ils à écarter la concurrence des acheteurs? ou l'abstention fut-elle due au respect inspiré par la persévérance de ces pauvres femmes? Toujours est-il qu'à l'heure des enchères, il ne se trouva pour racheter la Paix Notre-Dame que ses trois dernières religieuses. Elles l'obtinrent pour fr. 28,000. Le prix d'adjudication était modique en soi, mais combien lourd pour qui n'avait rien! On ne s'était pas encore fait un usage de commencer une bonne oeuvre, par acquérir sans capital, et par bâtir sans le sou. De qui, d'ailleurs, espérer secours alors? Les meilleurs avaient dû fuir; les plus riches étaient ruinés. Nos pauvres religieuses disposaient-elles seulement de la maigre pension assurée par la loi à celles qui se prêtaient à quitter leur cloître?

Liège avait, de misère, perdu vingt milliers d'habitants: sa population, dans cette année 1797, était tombée à 37,923, habitants vivant à peine au jour le jour. Qu'y faire pour vivre soi-même? Comment y servir Dieu?

Dame Constance, à qui l'on interdit de se nommer bénédictine, se qualifie désormais institutrice et décide d'ouvrir un pensionnat. Rien n'était plus nécessaire à Liége, rien ne semblait aussi impossible. Plus une école, ni officielle, ni libre, ni pour garçons, ni pour filles, n'y subsistait au moment où elle racheta les locaux de la sienne. La première que l'Administration y établira ne s'ouvrira que sept mois plus tard, en septembre 1797.

Les enfants grandissaient dans une ignorance et une corruption telles, que les auteurs et les chefs de la Révolution étaient eux-mêmes épouvantés de ce que promettait à la commune cette jeunesse, « tourbe d'ètres sans moeurs, avilis, dégradés, pépinière de brigands (12). Les églises restaient fermées, les cérémonies religieuses interdites au public, la plupart des ecclésiastiques sous le coup de la proscription: à la fin de l'an 1798, un seul arrêté, du 4 novembre, ordonnera encore l'arrestation au même jour, sans avis ni procès, de 779 prêtres du département. Ah les plus mauvais temps ne turent pas pour nos pères ceux de Robespierre ou de Marat: « Nulle part, écrit au sujet de nos provinces l'auteur de l'Histoire de la Terreur sous le Directoire, nulle part les commissaires du Directoire ne se jetèrent sur le clergé catholique, avec une vio­ence et un acharnement aussi fanatique. »

Les pires vexations attendaient les institutrices de cette première école libre, comme ceux et celles qui allaient, aussi hardis que peu nombreux, suivre l'exemple de dame Constance: obligatoire le dimanche, la tenue des classes était interdite le décadi, jour décimal par lequel on entendait remplacer ce dimanche; les municipalités étaient même chargées de constater chaque mois dans les écoles privées si les maîtres particuliers ont soin de mettre entre les mains de leurs élèves, comme base de la première instruction, les Droits de l'homme et la Constitution. C'était dans le texte du Credo de l'athéisme révolutionnaire qu'il fallait apprendre à lire aux enfants!

Des hommes n'eussent ni osé ni pu prendre l'initiative d'affronter de telles difficultés; pour en triompher, dame Constance comptait sans doute sur les mères de familles wallonnes. Peut-être avait-elle lu, dans le seul journal qui, publié en secret par un proscrit, eut conservé alors son franc parler: le Troubadour liégeois, peut-être avait-elle lu cette déclaration, de l'année et du mois même du rachat de sa maison:

« Les dames liégeoises, sous tous les régimes et sous tous les rapports, ont montré plus de tête, plus de tact, plus de judiciaire, plus de perspicacité, plus d'activité, plus de courage, plus de vertus, enfin plus de vrais mérites que leurs barons, leurs bonshommes ou leurs babaux ! »

C'est que, Mesdames, si Dieu n'a point remis à la femme la mission d'exposer la doctrine au temple, il lui a toujours réservé part d'honneur dans le soin de répandre cette doctrine par l'éducation chrétienne, non moins féconde en grâce souvent que la parole sacrée. La femme se taira dans l'église: à elle de parler à l'école; à elle d'ouvrir ou de rouvrir, aux époques les plus troublées, la voie du dévouement scolaire.

Au septième, au huitième siècles, nos saints patrons nationaux, les grands missionnaires épiscopaux qui achèvent la conversion de nos barbares ancêtres, s'absorbent tout entier dans le travail de la prédication, du redressement et de la direction des consciences. Ces mains rudes qui, la veille encore, ne savaient que frapper le fauve ou lancer la framée, ne se prêteraient pas à tenir la plume. Ce sont des religieuses qui copient alors sur les textes venus de Rome, nos plus anciens manuscrits de l'Evangile, des religieuses qui tiennent nos premières classes, deviennent les premières maîtresses de lecture et d'écriture de la barbarie baptisée.

Ainsi, l'on n'en saurait douter d'après ce qui s'est fait ailleurs, ainsi en fût-il dans Liege naissante, aux jours de saint Hubert. Ainsi devait-il en être encore, il y a cent ans, au lendemain, de ces invasions et de ces destructions d'une nouvelle barbarie. Et ainsi n'était-il que juste aussi, que' saint Benoît, inspirateur du premier relèvement intellectuel de nos pères, gardât l'honneur encore de l'avoir été, du second !

« J'ai commencé, écrit la courageuse bénédictine, en tête du registre destiné à recevoir la liste de ses élèves, j'ai commencé mon pensionnat le premier juin 1797. »

Et pour la première année elle y réunit cinq fillettes!


VI.

A peine déclarée adjudicataire; l'institutvice Constance Greck doit défendre son achat contre ses vendeurs; ils prétendent en livrer derechef aux enchères, le 24 vendémiaire an VI, orgues, jubé, stalles, tout le mobilier fixe de l'église Elle avait débuté par emprunter pour payer l'acquisition; il lui faut en céder une part, puis revendre, pièces à pièces, l'établissement et en solder la location, à un curé spéculateur.

Le spéculateur ruiné, force est de racheter le tout; plus tard de défendre en justice cette réacquisition, tour à tour contre des héritiers peu scrupuleux, contre un fabricant de zinc dont la fabrication faisait en 1814 périr toute la végétation des environs et eut traité de même les jeunes pensionnaires, enfin contre d'injustes exigences et les longues revendications spoliatrices de pouvoirs hostiles.

Bref, il n'y a pas douze ans que, dans cet établissement sauvé, transformé, renouvelé plusieurs fois de fond en comble, par ces religieuses, celles qui en sont triplement propriétaires sont laissées libres enfin de se croire chez elles: c'est depuis 1886 seulement, que dans la procession du Saint-Sacrement, mémorial solennel et reconnaissant du dénouement heureux de ces difficultés fiscales, territoriales, illégales de toute façon, le Dieu servi pal ces religieuses parcourt et bénit un terrain qu'on ne lui conteste plus!

Jugez, par un détail, de l'étendue des ruines amassées par la Révolution et de la peine qu'on avait à tenter de les relever. Quinze ans après l'ouverture du pensionnat de dame Constance, au 1 janvier 1812, le département de l'Ourthe, plus grand que notre province actuelle, ne comptait encore dans l'ensemble de ses établissements d'instruction féminime que cent et quinze pensionnaires, dont quatre-vingt-deux à Liège, vingt-cinq dans cette maison, la plus peuplée de toutes. Les oeuvres durables ne grandissent, comme le chêne au flanc du rocher, qu'à force de braver les orages et d'enfoncer dans la pierre la persistance de leur vitalité.

Le régime napoléonien ne fut, après la Révolution, qu'une restauration partielle et parfois persécutrice:

A l'exception des hospitalières ou soeurs de charité, écrivait le préfet de Liège au ministre des cultes, le 30 mai 1808, « toutes les autres ex-religieuses sont simplement tolérées... Depuis leur suppression il n'y a eu nulle part des novices, et nulle prise d'habit. Ces réunions ne portent nullement le caractère de corporation. Un excellent esprit d'ordre, une union réciproque et un système d'économie dicté par la modicité de leurs ressources, forment aujourd'hui la base et l'unique but de leur société. La plupart sont d'un âge très avancé. Depuis quelque temps leur nombre est sensiblement diminué. Encore quelques années et elles n'existeront plus que dans le souvenir. Rien ne paraît s'opposer à ce qu'on les laisse en paix terminer leur carrière » (13). M. le préfet ne connaissait pas la vitalité de l'Eglise et des institutions qu'elle, anime de son esprit. Lui-même, en ce qui regarde le pensionnat de l'ex-bénédictine aidait, â son insu, à préparer la restauration de l'avenir, par l'intérêt qu'il témoignait à l'oeuvre de la directrice.

En 1814 le commissaire des puissances alliées constatait aussi la bonne réputation de l'établissement dirigé par dame Constance; il ajoutait que ce pensionnat comptait ordinairement trente demoiselles, et que s'il avait « perdu de son importance depuis l'entrée des troupes des hautes puissances alliées il n'y avait pas de doute que la paix lui ferait bien vite reprendre « sa première splendeur » (14).

Le régime hollandais ne devait nous apporter qu'une liberté d'enseignement encore chargée d'entraves. Tel était cependant le dévouement de darne Constance, tel le besoin général de rétablir l'ordre par l'éducation religieuse, que les hauts fonctionnaires néerlandais se montrèrent aussi favorables à la maison que les Français de l'Empire.

Cette maison ne restait toutefois que l'établissement privé de l'institutrice Greck. C'est sur les instances de la Régence de Liège que sa directrice se décide à solliciter le privilège de la reconnaissance légale pour sa communauté. L'affaire n'avançait pas: elle va bravement trouver le roi Guillaume lui-même à La Haye, conquiert le souverain protestant. Un arrêté du 10 octobre 1822 reconnaît enfin l'institution comme établissement d'instruction publique II y avait juste vingt­cinq ans que la dernière novice du siècle précédent gardait, coûte que coûte, le monastère pour cette restauration.

Elle en avise aussitôt le petit nombre des survivantes de la dispersion de 1797. Plusieurs étaient hors d'état de revenir: deux soeurs et quatre dames sans plus répondirent à l'appel et purent abriter leurs derniers jours au moustier de leurs jeunes années. L'une était dame Magerotte. Elle vivait retirée dans sa famille, au fond des Ardennes, à Saint-Hubert, quand elle y reçut le soir, dans la nuit plutôt, l'avis de dame Constance: elle avait septante ans; au lever du jour, elle partit pour regagner son cloître.

À la suite de cette reconnaissance officielle de 1822, la sécurité était-elle enfin rendue, avec la liberté de l'existence, au pensionnat bénédictin ?

On y reprit cet habit religieux proscrit depuis trente ans et ce qu'on put des règles anciennes. Tout commençait d'y prospérer; un coup inattendu faillit tout compromettre. Dame Constance avait dû s'adjoindre d'autres institutrices que ces religieuses, vieillies par le temps et l'exil. En 1826, elle s'aidait surtout d'une jeune fille, l'aînée de quatre soeurs élevées par la générosité de sa maison. Ces soeurs annoncèrent soudain leur départ. Entraînant avec elles une partie des élèves, elles allaient fonder, à quelques pas, sur la Fontaine, une institution rivale mais laïque.

La plaie fut vive d'abord, comme celle de l'arbre auquel an arrache un rameau, pour en former un nouveau plant. Tandis pourtant qu'elle se cicatrisait ici, le jour devait venir ailleurs, en 1838 - retour providentiel - où les déserteuses ne verraient rien de plus sage à faire que de retourner vers une Communauté religieuse semblable à celle dont elles s'étaient séparées; c'est l'origine de l'établissement, Sur-la-Fontaine, des Dames de l'Instruction chrétienne de Gand auxquelles ces institutrices laïques remirent leur pensionnat (15). Permettez-moi de saluer ces proches et bonnes voisines, avec l'affection fraternelle qui, depuis longtemps, a fait place à la peine du déchirement d'autrefois. On aura toujours d'autant plus de oie à voir, chez elles aussi, l'arbre de l'éducation chrétienne porter les plus beaux fruits, qu'il ne sera jamais interdit d'y reconnaître, à la racine, quelque chose de la sève de saint Benoît.

Ainsi, dans un temps plus rapproché de nous, telle généreuse chrétienne, aujourd'hui maîtresse des plus vénérées de cette maison, devait préluder à sa mission de bénédictine, en fondant de ses deniers et de ses peines, à Blegny l'école qui, confiée par elle, à l'institutrice formée par ses soins, Joséphine Oury, devait se transformer en un nouvel institut d'enseignement catholique, la Congrégation des filles de Saint-Joseph.

Ainsi nous souviendrons-nous toujours avec bonheur que le Patronage des filles de la paroisse St-Christophe, lié ici en septembre 1888, abrita son berceau à l'ombre de ces murs.


VII.

Le buste et le portrait qu'on a conservés de Constance Greck, marquent bien que, dans ses vieux jours même, elle avait gardé tout ensemble cette bonté calme dont étaient frappes ceux qui l'approchaient et ce te fermeté de caractère visible jusque dans le pli énergique de ces lèvres fines. Lui en avait-il fallu, de cette énergie, pour tenir tête aux hommes et aux événements de la Révolution ! Aussi dans la fièvre des dernières nuits qu'elle passa sur la terre, c'étaient les souvenirs de cette époque tragique qui se retraçaient à son esprit: après quarante ans, elle en revoyait les spectacles, elle en renouvelait les débats, elle en ressentait encore, épouvantée, toutes les angoisses! Attirée alors par ses gémissements, la bonne fille, qui la veillait, s'approchait d'elle, la touchait, la ramenait à la réalité Dormez, madame, ce sont des rêves, disait­elle, ce ne sont plus que des rêves! » Et la mourante, calmée, se reprenait, en priant, à sommeiller ses derniers sommeils d'ici-bas. On était en 1836; les libertés de la prière, de l'association et de l'enseignement étaient rendues au pays; les dures réalités d'autrefois étaient bien devenues des rêves; mais combien long avait été l'horrible cauchemar! L'institution des Bénédictines d'Avroy y eùt péri, étouffée, sans l'indomptable résistance de celle qui se mourait.

Aussi fût-ce un moment de crise que le moment qui suivit la mort de cette vaillante auteur clos résurrec­ions dont vous solennisez aujourd'hui le centenaire: on s'était si bien habitué à voir tout reposer sur elle qu'on se demanda si, l'ayant perdue, il ne faudrait pas tout abandonner, répartir même ses compagnes en d'autres congrégations.

La gestion de celle qui la remplaça conjura ce malheur. Elue supérieure le 15 aout 1836, - c'est la seule vivante, dont vous me permettrez de citer le nom, - Marie-Agnes Beckers, Dame Nathalie, n'a pu, de la couche où l'âge et les infirmités la retiennent à 96 ans, percevoir au plus qu'un vague écho de ce Te Deum, d'actions de grâces, chanté pour la durée d'une maison dont elle fut, neuf ans, la direction et l'action.

Un externat avait été, depuis quelque temps déjà, ajouté an pensionnat. Aussitôt relevés les bâtiments de la Communauté et la clôture rétablie, Dame Nathalie ouvrit, en octobre 1841, â côté de cet externat payant, les classes gratuites où, depuis plus d'un demi-siècle, les petites filles du peuple de ce quartier viennent recevoir la plus libérale éducation chrétienne

« Les bâtiments actuels, écrivait en 1845, l'auteur de l'Histoire de Florence de Warquigneul, les bâtiments actuels appropriés à leur nouvelle destination forment l'un des plus eaux établissements de ce genre qu'il y ait dans la contrée: l'enclos contient deux hectares et demi.

La Communauté se compose de 14 dames de choeur, de 8 soeurs converses et de 8 novices. Les classes sont fréquentées par plus de cent élèves, tant internes qu'externes. De plus une classe spéciale est ouverte pour cent trente pauvres filles, et on reçoit dans une école gardienne cent cinquante enfants. » (16).

Que dirait l'écrivain de 1815, s'il pouvait voir ce nouveau bâtiment de classes ajouté, a partir de mai 1887, les compléments donnés l'an dernier aux logements de la Communauté, le hall de fêtes qui nous abrite en ce moment sous ces vastes berceaux de fer?

Dame Nathalie, sa tâche accomplie, avait bien le droit de céder à Dame Marie Cornelie Delhaes, une direction que celle-ci exerça, douce et ferme, jusqu'à sa mort le 5 juin 1853 (17).


VIII.

Les Dames Bénédictines du XVIIe siècle s'étaient occupées, dès leur arrivée à Liége, d'élever la jeunesse féminine, mais, sans cours suivis; elles faisaient oeuvre plutôt d'éducation que d'enseignement. N'étaient-elles pas, avant tout, instituées pour la prière? Tout était donc à refaire chez elles, jusqu'aux règles mêmes de leur vie commune,pour s'approprier à une situation, à des besoins nouveaux. Ce ne fut pas la moindre tâché des supérieures qui se succédèrent en notre siècle. De provisoire en provisoire, d'essais en essais, de saint Alphonse à saint Ignace, on en devait revenir, de plus près que jamais, à saint Benoît. Quand l'ordre réformé du patriarche de la vie monastique put se relever en Belgique, toutes choses se trouvaient disposées pour permettre aux Bénédictines de Liège de recevoir, de l'autorité de leur Evêque et des inspirations du R. dom Wolter, abbé de Maredsous, des constitutions qui allient enfin à ce qu'il faut de liberté pour se vouer pleinement à l'enseignement, l'obéissance pieuse et la régularité discrète des moniales, filles de saint Benoît.

C'était une autre difficulté, pour une institution enseignante de religieuses ainsi cloîtrées, de n'avoir qu'une maison, et d'en voir la prospérité même absorber, dès qu'elles y entraient, l'entière activité des plus jeunes novices.

Ce manque d'enseignement normal eut pu exposer des maîtresses à ne pas se tenir au courant des progrès de la science ou de la pédagogie. Dieu y pourvut, Mesdames, en attendant que l'accroissement du personnel permit l'organisation de cet enseignement normal, réservé maintenant aux postulantes et novices. Il y pourvut en suscitant, de tout temps, parmi des institutrices laïques formées aux meilleures écoles scientifiques, la vocation de lui apporter dans ce cloître ce qu'elles-mêmes ne croyaient avoir acquis de savoir et de méthode que pour des chaires moins directement religieuses.

A certains égards, pour cette maison, comme pour bien d'autres en Belgique, rien, pourrait-on dire, ne fut plus heureux que la loi de malheur: l'Etat persécuteur se trouva bientôt n'avoir formé les plus habiles et les plus généreuses de ses éducatrices que pour les faire passer au service immédiat de ce Dieu dont il voulait les contraindre â renier la foi, et pour affermir, par elles, cet enseignement libre et chrétien qu'on rêvait de renverser !

Vous souvient-il de cet officier de la république, du nom de Smeets, qui protégea ces religieuses dont on lui avait fait occuper le monastère, vers 1794? Neuf ans après son passage à Liège, une dernière enfant lui était née à Paris. Devenue femme, et femme instruite, femme lettrée de tête et de dévouement, elle s'était créé, comme directrice de pensionnat, une position enviable. Mais elle était de ces natures qui ne font rien à demi. Puis, la Providence tient en réserve parfois de ces récompenses inattendues. En septembre 1844, bien qu'âgée de 41 ans, Mademoiselle Smeets se présentait à la maison que son père avait aidé à sauver un demi-siècle auparavant; elle lui offrait son savoir, son expérience, son esprit d'initiative et l'élite de ses pensionnaires. Beaucoup d'entre vous, Mesdames, n'ont pas oublié cette bonne dame Stéphanie, dont le regard, la voix, la lèvre même, marquaient le caractère viril, mais qui joignait tant d'entrain et de bonté à cette virilité.

Existence heureuse, paisible, et pourtant fructueuse entre toutes, que celle des jeunes filles qui, à l'école de ces dévouements, se sont joyeusement préparées à remplir les devoirs sérieux de la vie. En est-il parmi ces élèves qui n'ait point gardé mémoire attendrie de quelques-unes au moins de ses maîtresses? A combien n'a-t-il pas suffi aujourd'hui de se retrouver ensemble dans ces lieux, pour se rappeler, avec la fraîcheur d'impression du jeune âge, l'éclat de ces distributions de prix qui leur semblaient si brillantes, la cordialité des réjouissances intimes, telle visite d'un évoque aimé, d'un maître de la chaire sacrée, d'un apôtre revenu de missions lointaines, d'un représentant du Saint-Père; cette inondation même de 1830 qui changea en lac prairie, cour et jardin, en îlot le pensionnat: l'intérêt qu'offraient certaines leçons préférées, le charme d'un congé conquis par un redoublement de bonne conduite, par d'instantes sollicitations ou d'habiles industries; la rare et bonne fortune obtenue une fois de Monseigneur Van Bommel, de pouvoir, pour une journée, envahir le couvent, et y vivre douze heures durant de la vie, aux lieux et places de la communauté; tant de fêtes émouvantes de l'Eglise.

C'est à l'initiative de la fille de Smeets, ce soldat protecteur de Notre-Dame de la Paix, initiative secondée par quelques zélées pensionnaires, que fut dû l'établissement de cette Congrégation de la sainte Vierge, canoniquement érigée en juin 1850. M. le chanoine Thomas, depuis doyen de Saint-Jacques, en fut le premier directeur (18). Au fond de l'âme, j'en suis sûr, la plupart d'entre vous, gardent encore de cette sodalité un souvenir réconfortant, tout parfumé de jeune et tendre piété

Comment passer auprès de la chapelle de cette Congrégation sans rappeler qu'édifiée en 1859, elle est due à la générosité personnelle d'une autre de ces femmes actives, maîtresses au regard pénétrant, aux vues élevées, qui savent du fond du cloître suivre le mouvement des esprits et des âmes dans le monde, pour mieux s'employer à tourner vers Dieu, celles de ces âmes et celles de ces intelligences dont la formation leur sera confiée: j'ai désigné Dame Aldegonde Streel.

Mais, devant combien de ces figures d'institutrices d'élite devrais-je m'arrêter, Mesdames, si cette station m'était permise. Je ne puis qu'adresser à toutes, en passant, l'hommage de la vénération et de la gratitude. Honneur à elles dans leur vie d'abnégation longue ou courte, elle fut toujours bien remplie! Honneur à elles dans leur mort!

Expirante, mais obéissante jusqu'au dernier soupir, en voici une qui ne sait mourir, que lorsque son abbesse lui en a donné licence. Cette autre, au terme d'une vie monastique de quarante-cinq ans de travail fidèle et de soumission parfaite, se redresse soudain de sa couche d'agonie pour solliciter de sa supérieure un dernier pardon, et elle meurt. - « Allons ' s'écrie une de ces vaillantes, et sur ce mot elle s'en est allée à son Dieu. - « Je n'ai qu'une inquiétude, murmure une autre moribonde, c'est de n'en pas avoir! » Une des plus humbles expire radieuse: «Je vois le ciel entr'ouvert! » Celle-là, ferme et sereine, est entrée en pleine intelligence dans l'éternité! Celle-ci, - suprême épreuve pour un esprit naguère encore si vif, si ouvert, si sensible, - assiste en quelque sorte à sa propre ruine: elle voit tour à tour s'effondrer en elle, avant le dernier jour, parole, mémoire, intelligence, volonté, humblement usés au service de la jeunesse. Combien de temps restera-t-il ici-bas souvenir de leur passage? A peine une d'elles est-elle descendue au tombeau, qu'une autre reprend sa place, reprend son nom même, de façon à ne plus permettre à l'avenir de distinguer entre elles. Ainsi le flot succède au flot, sans laisser de trace propre! Qu'importe à l'abnégation de la vraie religieuse: Dieu l'a vue, Dieu l'en récompensera la haut. Et grâce à elle, ici-bas, grâce aux dévouements auxquels le sien aura donné cours, le fleuve continuera de couler abondant, bienfaisant, et de répandre la vie.


IX.

Dieu ne pouvait manquer de départir à cette persévérance de la fidélité des maîtresses, la récompense de l'accroissement, pour les élèves et pour ces maîtresses mêmes. On lui on rend grâce aussitôt en cherchant â étendre le bien par une fondation nouvelle c'est celle du pensionnat et des écoles de Tongres, dont les locaux furent acquis le 18 avril 1864.

Le succès ne paraît pas, d'abord, répondre ni aux efforts, ni aux sacrifices qu'on s'impose: la charge assumée devient lourde, si lourde même qu'on projette quelque temps s'en défaire sur de plus fortes épaules: la Providence dispose toutes choses de telle façon qu'il la faut garder. La prospérité finit, une fois de plus, par couronner la continuité du dévouement (19).

Les temps d'épreuve ne conduisent pas moins que les jours de réussite à l'extension de l'oeuvre utile, voulue de Dieu.

Le vent de la persécution religieuse s'est levé sur la Belgique; il se déchaîne tout d'abord dans les écoles. La continuation de l'apostolat de l'enseignement, la vie sainte du cloître n'en seront-elles pas rendues trop difficiles, impossibles? Si les mauvais jours de la fin du siècle dernier revenaient à la fin du nôtre, où pourraient les filles de saint Benoît éviter une dispersion nouvelle, et poursuivre les entreprises de salut?

Une suite de circonstances providentielles les amène à acquérir, aux bords lointains de l'Angleterre, en vue d'une mer admirable, au milieu d'une végétation méridionale, sous un ciel d'une douceur exceptionnelle, le domaine de Ventnor, à l'île de Wight. Tout en s'associant aux développements du grand oeuvre du retour de l'Ile des saints à l'unité catholique, la fondation nouvelle garantit un refuge éventuel à la piété monastique, un séjour enchanteur et fortifiant aux jeunes filles désireuses d'achever à l'étranger une éducation scientifique et chrétienne. Tongres a nom La Paix Saint-Joseph: la colonie bénédictine de Ventnor, donnera à nos frères séparés La Paix du Coeur de Jésus (20).

La directrice qui remplaça dame Cornélie Delhaes, la non moins méritante Dame Célestine Keutgens, était décédée le 4 octobre 1860, au moment même où, sur l'instance reconnaissante d'un hôte chevaleresque de la maison, le vénérable Monseigneur de Mercy­Argenteau, archevêque, de Tyr, le titre d'abbesse venait d'être rendu à la supérieure des Bénéditines d'Avroy.

Ce titre, vous n'avez pas oublié avec quelle dignité unie au même zèle, dame Grégorine Lechanteur l'a porté jusqu'à son dernier jour, jusqu'au 23 juin 1883. Vous vous souvenez mieux encore de sa simple, toute maternelle, et non moins laborieuse héritière, dame Ildephonse Van Datte, et des démonstrations de gratitude désolée, au milieu desquelles, en mars 1892, les dernières bénédictions de l'Eglise sont descendues sur le cercueil de celle que toutes ses filles vénéraient déjà comme une sainte...

A cette tombe révérée, doit s'arrêter ce rapport on ne saurait poursuivre sans risquer d'offenser, - pour être simplement exact, - des modesties infiniment respectables, et de laisser trop parler les sentiments personnels de celui qui, fils, mari, père d'élèves des Bénédictines, n'a cessé de retrouver quelque chose de cette maison dans tout ce qu'il a rencontré au foyer de meilleur, de plus cher et de plus doux

Les faits et les choses au surplus, vos coeurs et vos plus frais souvenirs, Mesdames, ces salles, ces jardins, ces murs même, vous parlent assez haut et ne se tairont plus. Vous les entendez redire, aujourd'hui surtout, un nom moderne d'abbesse, nom aimé de Liège, nom catholique entre tous, nom d'un aïeul qui replaçait la croix au sommet de la nouvelle cathédrale et d'un père qui fut des Constituants de la patrie... Mais ne cédons pas au charme de taire écho à toutes ces voix... Il ne m'a pas même été donné de réserver la mention qu'eut méritée chacun d'eux, aux prêtres qui tour à tour se sont associés à la conduite de cette maison et l'ont pénétrée, jusque dans son pavé, de leur générosité évangélique. Et pourtant, paternelles toutes, austères ou souriantes, quelles figures sympathiques que celles du vieux chanoine Goffinet, du digne M. Denis ou du délicat et doux professeur M. Leloup...

Les vivants n'appartiennent pas encore à l'histoire; souhaiter qu'ils n'y entrent que bien tard, est le voeu le plus naturel et le plus cordial que, pour la conservation et l'extension du bien, nous puissions faire en faveur de ces prêtres, comme de ces maîtresses qui président ou concourent, de Liège, de Tongres, de Ventnor, à l'oeuvre religieuse d'instruction et d'éducation, de prière et de sanctification des Bénédictines centenaires de la Paix Notre-Dame!

Qu'elles continuent donc, plus largement, et plus longtemps encore qu'elles ne l'ont fait jusqu'ici, à donner de fidèles enfants à l'Eglise, des chrétiennes de coeur et d'action au pays, à l'étranger jusqu'en Russie, de bonnes filles et de bonnes mères aux familles, de bonnes religieuses aux cloîtres, au Carmel, aux hôpitaux, aux écoles - et tant que cela pourra vous agréer, mesdemoiselles, de bonnes femmes à de bons maris!...

Votre confiance, ma Révérende Mère, m'a permis de suivre, année par année, dans la chronique intime du monastère, tout ce qui s'est passé en ces lieux depuis un siècle. Combien peu de familles pourraient abandonner ainsi à l'examen tous les détails d'une existence séculaire! Votre charité me pardonnera de n'avoir pas fait meilleur usage de ces relations de tant d'actes édifiants, de tant de traits touchants. Ce qu'elle me laissera du moins attester en finissant, c'est que l'on ne saurait sortir de pareille lecture, sans sentir affermie, accrue en soi, une conviction rapportée dès longtemps de l'étude de notre histoire locale: non, vraiment, pour grande que soit la part laissée au mal, dans notre société troublée, aucun siècle ne s'est rencontré, dans le passé si beau pourtant du pays de Liège, aucun siècle où l'on ait, en somme, parmi les croyants, travaillé pour Dieu, pour ses frères et pour la vérité avec aussi peu, je ne dirai pas de défaillance, mais d'instants de relâche, avec un zèle aussi fécond et aussi persévérant, avec des vues aussi droites et aussi élevées, avec une vertu aussi pure et aussi constante qu'on l'a fait durant ce siècle, au monastère des Bénédictines, comme dans la généralité de nos maisons religieuses, dans l'élite de nos laïques, dans notre clergé, et tout d'abord dans cette suite de prélats qui les ont guidés, de Mgr Zaepfell à Mgr Van Bommel, de Mgr Van Bommel à Mgr Doutreloux!


VETURES ET DECES DU MONASTERE DE LA PAIX NOTRE DAME A LIEGE

Non transcrit


APPENDICE

Comme il a été dit dans le Rapporl historique, l'église des Dames bénédictines a été achevée en 1690: sa construction peut avoir duré six ans d'après une note de Dame Lambertine Counotte au sujet de Marie Jeusquin, admise à prendre l'habit de converse le 28 avril 1692 pour avoir « rendu de très grands services environ six ans, durant les bâtiments de notre église et parloir ».

Cette église et le monastère des Bénédictines de la Paix Notre-Dame se rattachent, par l'emplacement qu'ils occupent, à l'institution de charité peut-être la plus ancienne de Liège.

Un hôpital en faveur duquel une charte de Guy de Preneste, légat du Saint-Siège, approuve, en 1203, une fondation d'autel, mais dont les origines pourraient bien se confondre avec celles de la première cathédrale de Liège, avait été fondé dans une dépendance de cette cathédrale. Il est connu dans notre histoire locale sous le nom de Saint-Mathieu à la Chaîne. Desservi par des frères et des soeurs de charité, sous la direction d'un chapelain ou prieur, il devint à la longue une sorte de pension de retraite ou d'instruction pour ses prébendiers, autant qu'un asile pour des malades. Il possédait en Avroy, aux portes de Liège, une petite métairie, où l'un des familiers de la maison et une de ses pensionnaires, assistée d'une ou deux servantes, donnaient leur soin à la culture, à la basse-cour et aux boeufs et vaches entretenus là pour le service de l'hôpital. Là aussi les divers membres du personnel de cet hôpital, chapelains, frères ou pensionnaires, pouvaient venir prendre leur récréation à la campagne (21).

Clément VIII ayant incorporé l'hôpital de Saint-Mathieu à la Chaîne, au Séminaire qui venait d'être fondé à Liége, en exécution des décrets du Concile de Trente, les proviseurs de ce séminaire jugèrent utile de se défaire de la métairie d'Avroy. Le 3 janvier 1592, ils vendirent, ou plus exactement «rendirent à héritage perpétuellement à maître Jean Randaxhe, licencié en droit, bourgeois de Liège, une maison, jardins, situés tant devant entre la rivière de Meuse et le realle chemin que derrière entre ses joindants comme de tous temps la maison et hôpital delle Chaine l'ont cy devant insolés et possédés, contenants environs trois bonniers. » Le 14 juillet 1628, Barbe Woot de Trixhe, veuve de Jean Randaxhe, céda, aux mêmes charges et conditions, cet ensemble, dont son mari n'avait distrait que quelques parcelles, aux Dames Bénédictines. Il n'était jusqu'alors enclos que de haies: en 1643 elles l'entourèrent d'une muraille; en 1666 elles cédèrent à la Cité le terrain nécessaire à l'établissement du quai, à ériger entre la rivière et leur future église. Plus tard, aussitôt après la construction de cette église et des nouveaux parloirs et à la suite de la visite du 5 mars 1691 des Voirs jurés du cordeau, ou jugea devoir « démolir et réédifier de fond en comble le bâtiment rendu par la veuve du sieur Jean Randaxhe »

En ce moment on s'occupait de l'ameublement des fenêtres de la nouvelle église: c'est probablement de l'ancienne maison de campagne de l'hôpital de Saint-Mathieu à la Chaîne qu'on aura retiré les trois petites verrières, oeuvres délicates du début du XVI siècle, qui décorent encore aujourd'hui les fenêtres de la nef de droite de ce temple de la fin du XVlle.

Toutes trois consistent en une rondelle en grisaille d'une trentaine de centimètres de diamètre avec sujet au centre, dont l'inscription fait le tour. La plus endommagée représente un personnage assis dans un paysage agreste, et jouant sans doute d'un instrument de musique: « George lor… n at doné. ceste voerier Inr Sr 1557 »; au-dessus un blason chiffré.

Une autre, sous un blason formé d'une branche fleurie, nous fait assister au départ d'un groupe de voyageurs ou de pèlerins, en costume du XVIe siècle. L'inscription porte: Rem.cle delle Reid at .ail fa.re ceste voeriere an° Dni 1557

Dans la troisième, la plus originale, une colonnette partage en deux la composition: d'une part, deux femmes sont retirées dans une sorte de grotte où une table élégante porte une croix et deux missels; d'autre part, un homme en costume assez primitif est chasse très énergiquement de la maison, dont ii descend le seuil: une femme le frappe en le repoussant de sa chaussure, tandis que, de la fenêtre de l'étage, une autre lui verse sur la tète le liquide d'un vase; on lit autour: « Maistre Johan de Saulci Sr doupey vivengnis licentiet z. Eschevin. » Au-dessus apparaît le blason des Saulcy, avec la devise: En lombre dû saulcy.

D'autres fenêtres de l'église portaient, souvenir de donateurs moins anciens, diverses armoiries, dont il ne subsiste que des fragments; ainsi dans une fenêtre de droite, un blason chargé d'un écu à trois maillets: Arnoldus Franciscus A Bartholomei a° 1694; dans un autre, un casque avec lambrequins: Franciscus Tabolet Ecclesiae Cathedralis Leodiensis Canonicus abbas Dionantensis et Dns in Nandryn Et Frayneux. ETc. a° 1694.

De même que les abbesses d'autres monastères liégeois avaient tenu à concourrir à l'érection des fenêtres du choeur des religieuses, (voir p. 23, note I), des abbés participèrent à celle des fenêtres de l'église. Dans la grande baie supérieure de gauche, on distingue, sous ses armoiries, la devise de l'abbé de Saint-Jacques, Hubert Henrice, Ad astra volo et une inscription malheureusement mêlée avec un fragment d'une autre, d'où deux fois la date 1690: Reverendus... admo... dominus... bertus... Henrice... bbas mnry sancti Jacobi Leody anno 1690.

En face, dans la baie correspondante de droite, on ne distingue que la partie supérieure d'un blason, avec fragment de crosse, les mots incomplets alme .- stery - ncti et la devise: Cruce dulcescunt curae. Mais les trois soucis et le poisson que ce blason porte en chef, le berti 1690 qu'il y faut rapporter de la verrière d'en face, suffisent pour faire reconnaître que cette fenêtre venait de Godefroid de Salme, abbé du Val-Saint-Lambert, à la date indiquée.

Trois pierres tombales, qui se trouvaient dans le pavé de l'église ont été encastrées depuis peu d'années dans le cloître proche de cette église. Les deux premières, fort belles, sont en marbre noir, avec armoieries en marbre blanc

- Icy gist noble et très honoré seigneur Guilleaume Philippe, baron de Wansoulle, en son temps seigneur d'Agimon, Nedercanne, Beanfrupont, Otrenge, etc. et quatre fois bourguemaitre de la cité de Liéqe, lequel mourut le 11 février 1711. Et noble dame Marie Catharinne, baronne de Haxhe, laquelle mourut le 11 avril 1698. Requiescant in pace.

- Ici gist noble seigneur Louis de Thier, chevalier du Saint-Empire, seigneur du chef ban de Wathorn, de Montgauthier, Skeuvrre et Baignees, deux fois bourguemaitre de la cité de Liege, décédé le 28 février 1725, et noble Dame Barbe Isabelle d'Ogier, sa compagne, décédée le 5 Mai 1748. Requiescant in pace.

La troisième pierre tombale, plus simple, avec blason, est celle d'une famille de marchands de bois, voisins du monastère, dans lequel entra une fille de cette famille: Sépulture de M Gérard Le Roy, marchand bourgeois de Liege, décédé le 7 janvier 1700, de Madlle Marie Sorbé, son épouse, décédée le mai 1701. Et de Jean­Jacques Le Roy, leur fils. l'un des commissaires de la noble cité de Liege, décédé le 27 mai 1739, et de Mlle Marguerite Labarson, son épouse, décédée le 7 janvier 1733, et de Guillaume Le Roy, l'un de leurs fils, décédé le 17 mai 1735. Requiescant in pace.

D'autres personnes, étrangères au cloître, - ainsi le greffier Arnold Counotte au XVlle siècle, ainsi une pieuse demoiselle Walkenair au XVlIe siècle - ont reçu leur sépulture à l'ombre de Notre-Dame de la Paix.

Dans le choeur de l'église, les deux tableaux modernes, le Christ, assis, tenant la croix en montrant son coeur, et son pendant, le Sacré-Coeur de Marie, sont de Mathieu Nisen; les statues, toutes récentes du Sacré-Coeur et de Notre-Dame, placées sous un dais à l'entrée du sanctuaire, comme les deux statues de la Vierge et de saint Joseph aux autels latéraux, sont du sculpteur Rulot.

A l'entrée du fond, deux toiles, traitées en imitation de l'ancien, représentent des épisodes de la vie de saint Benoît dans l'une, il sauve de l'eau saint Placide; dans l'autre, il donne l'habit à saint Maur. Ce sont deux oeuvres de dame Hyacinthe Diet, aujourd'hui prieure à Tongres.

Le paysage, placé également an fond de l'église, et dont le centre est occupé par une minuscule Sainte Famille, est attribué au peintre Juppin, de Namur, qui vint s'établir à Liège en 1717.

On a attribué à un Liégeois du XVIIIe siècle, Riga, le grand tableau qui, dans le choeur de l'église, fait face à la grille du choeur des religieuses, et qui représente une moniale à genoux devant un Christ en croix; il provient d'un ancien monastère de femmes du voisinage.

Indépendamment des toiles du choeur, on conserve dans la sacristie ou dans le monastère d'autres tableaux de valeur diverse, Deux d'entre eux, saint Benoît et sainte Scholastique, ont été donnés par Marie-Anne de Marotte, à l'occasion de sa vêture, le 2 août 1634. D'autres pourraient être de ces copies, dont parle l'abbesse dame Lambertine Counotte, dans sa note nécrologique sur dame Bathilde (Barbe La Haie), entrée au monastère le 8 septembre 1670, décédée le 20 juillet 1690. C'était, dit-elle, un « esprit universel à tout faire, principalement à la peinture qu'elle imitoit si bien que l'on avoit de la peine à dicerner l'original dans la copie; et faisait cela avec tant de facilité comme si elle aurait joué. Elle a fait tous les paysages et beaucoup d'autres, comme on peut voir par la maison, ainsi les six vierges et tapisseries du choeur et faisoit encore très parfaictement des fleurs et fruits ».

Les orgues occupent le fond du choeur des religieuses, choeur entièrement distinct de l'église mais qui a vue à travers la grille de clôture sur celui de cette église. C'est pour le paiement de ces orgues que 1,000 florins furent prélevés, en 1730, sur la dot d'entrée de la novice Catherine-Thérèse de Wampe.

ORA ET LABORA


(1) La princesse fugitive, ou la Vie de sainte Rolende, vierge royale, par François Zutman, chanoine et examinateur synodal. - Liege. 1667, Bronckart. - Réimprimé plus tard chez Ansion. Cette pieuse biographie est dédiée à Madame Lambertine Counotte, abbesse du monastère d’Avroy.

(2) Acta Sanctorum, mai VII, 753, et mai III, 252.

(3) Dès 1675, un registre de la maison mentionne l'emplacement de notre église future. Jeanne-Marie de Méan fut la première à faire profession (24 juin 1690) dans la nouvelle église, « n'ayant lors achevés que le choeur des prètres et celui des religieuses ». Marguerite de Rosen, entrée le 10 août 1689, « ayant achevé son année de probation, a fait sa profession en la grande église ».

(Registre contenant la réception des filles et leur profession en ce présent monastère de la Paix Notre Dame, commençant l’an 1627.)

(4) J. HELBIG. La sculpture et les arts plastiques au pays de Liége, p. 161. - Notes de DARTOIS. Bulletin de l'Institut archéologique liégeois, VII, p. 237.

(5) Nous le reproduisons d'après l'orthographe du manuscrit. Bulletin de la Société liégeoise de Littérature wallonne, 2e année, 2e partie, p. 1.

(6) De petites inscriptions, parfois avec blasons, peintes sur les carreaux des fenêtres du choeur des religieuses, nous ont conservé, le nom d'abbesses d'autres monastères, et de généreux bienfaiteurs qui contribuèrent sans doute à l'achèvement de cet édifice.

Grandes fenêtres, quatre inscriptions avec armoiries: Madame Jenne d'Awans abbesse du monastère de terbecq. Anno 1690. - Noble dame, Madame de Sélis. abbesse de Robermont et dame d’Amerière. etc. Anno 1690. - Mademoiselle Stape A v de Namur 1694. - Nos Seigneurs Jean Maximien Bounam, chevalier Ere Sr Rycholl, seigneur des Bancs de Gulpen et Margraten et F e f noble dame Anne de Valzolio sa compagne. Anno 1692.

Fenêtres rondes, inscriptions sans blason: Mademoiselle Barbara Valkener 1690. - Maemoiselle Isabelle N. Vr Volarie 1690. - Mademoiselle Jeanne de Selis 1690. - Mademoiselle fille de Mons. Le baron de Ville 1690.

Inscriptions et devises relevées sur diverses fenêtres des cloîtres:

Michel aux brebis, bourgmestre de la ville de Dianant - Candide et suaviter - Mr Jean Michel marchand bourgeois de Liége 1688 - Corde et animo - Stain reses - Madame Gertrude de Mean Dame Doutrelouxhe St Jean-Sar Etg Relicte De Feu Mon de Haxhe, jadis eschevin de Liège 1672 - Révérende dame Madame Marie de Walle, abbesse du Val Benoit, Dame Temporelle d'Heur Le Romain ect. 1672 - Madame Isabelle de Méan Dame de Nandrin etc. 1672 - Pax Virginis Anno 1645.

(7) Voyage littéraire de deux religieux bénédictins de la Congrégation de Saint-Maur, pp. 196-97.

(8) SXUMERT, I, 228.

(9) THOMASSIN. Statistique du département de l’Ourthe, p. 301.

(10) La lettre officielle du même joui, adressée « Aux Citoyens président et membres du Département de l'Ourthe « donnera l'idée du langage qu'une abbesse était obligée de tenir à cette époque, pour faire agréer un refus imposé par la misère :

Liège, 9 germinal an 4.

Citoyens,

Le premier et le plus saint des devoirs que l'Etre suprême a gravés dans nos coeurs, que je sens dans le mien en traits de feu, c'est d'être prêts en tout temps à tout sacrifier pour la patrie; mais plus il est doux de remplir ce précepte sacré, plus il et douloureux de ne pouvoir subvenir aux besoins urgents qui la pressent dans les conjonctures présentes. Qu'il m'est pénible, citoyens, d'être réduite à attester l'impossibilité où nous sommes de faire la moindre offrande pécuniaire à la République, puisque nos moyens de subsistance ne nous donnoient même ci-devant, que pour vivre à la rigueur du terme. Six mille livres font toute notre fortune; 27 religieuses et deux filles domestiques composent notre communauté; vous comprenez assez, Citoyens, que sans la confiance et même la pitié compatissante de plusieurs de nos concitoyens, depuis longtemps, nous n'existerions plus, et que nous ne pouvons hélas offrir à la République que les voeux les plus ardents pour sa prospérité.

VICTOIRE GORDINE, Abbesse Bénédictine.

(11) « L'an 5e de la Répubi. franç.. une et indivisible le 7 nivôse, en exécution de la Commission à nous délivrée par l'Administration centrale du dép. de l’Ourte en date du 19 frimaire... nous somme transportés sur un bien national nommé le couvent des Bénédictines, situé sur le territoire de la commune de Liege. appartenant à la même corporation... nous avons procédé à la reconnaissance des limites dudit bien et à l'estimation des objets qui le composent ainsi qu'il suit:

Le couvent des Bénédictines situé au quai d'Avroi lez Liége, portant le n° 579, a pour Joignants du coté d'amont le citoien Nizet, plus haut le Cien Argenteau, derrière le Cien Hasselbrouck, plus bas d'avalles derrières de quantité de maisons situées dans la chaussée St Gille, jusqu'au débouché de la rue ditte des Beniquennes, qui vient terminer ses limites jusqu'au quai d'Avroi. Sa façade est de deux cent quarante deux pieds; la façade de l'église en occupe environ soizante dix; sa porte d'entrée, 2 croisées et 2 autres portes cochères, en font tout l'ornement. Du reste, un mur, fermant la cour qui se trouve en avant du bâtiment. Le couvent est formé de 13 corps de bâtiment de différentes grandeur et hauteur. Les trois principaux en forment un quarré, entre cours et jardin dont la face principal sur celui-ci a 162 pieds de longueur, celles de cotés 122 ou environs sur 36 de profondeur; ils ont sous eux des souterains.

La façade sur la rue qui ferme ce carré est de 187 pieds de 36 et 45 de profondeur dont 77 occupé par l'église, le reste forme une aile sur la basse cour de 29 pieds ou environs; cette partie a 2 étages, les 3 premiers n'en ont qu'un. l'église dont partie est comprise dans ce bâtiment sort en avant depuis 33 sur 55 pieds, elle est bâtie très solidement en pierre de taille et peut avoir dans son milieu environ 82 pieds de profondeur; au milieu de ce quarré est une cour de 83 pieds ou environs quarrée. Dans la basse cour se trouve une réunion de 6 corps de bâtiments taisant une façade de 198 pieds de longueur ou environs depuis 17 jusqu'à 25 de profondeur dont 3 faisant ensemble environs 104 pieds ont un étage, un autre de 66 en a 2, le reste sont des hangards et étables d'un rez de chaussée; à côté de ceux-ci vers la rue sont deux petits bâtiments dont un d'un rez de chaussée; l'autre un escalier montant jusqu'au grenier du corps principal.

Le reste de cette basse-cour est fermée par un bâtiment d'un rez de chaussée sans caves ni canaux de 48 pieds ou environs sur 21 de profondeur servant aux divers besoins de la cuisine.

Tous ces bâtiments sont assez solides sous quelques réparations près à faire au toit, ils sont très bons, ils ont tous, exceptés ceux désignés, des canaux en plomb et une grande partie des tuyaux en sont également. Ils occupent tous entre eux, y compris un bâtiment très vieux qui se trouve dans le jardin utile à ses besoins, une surface de 28,622 pieds quarré ou environs; les cours celle de 16,333 pieds; ils sont tous enclos - dans une espace entourés de murs dans lequel se trouve un légumier et une prairie contenant un bonier six verges grandes, quatorze petites ou environ bon terain.

Lesquels, après mur examen, et vu leur état actuel, d'après le prix commun des biens de cette nature dans la commune de Liége, nous l'avons estimé en totalité à une somme principal de vingt neuf mille livres pour être vendus en un seul lot conformément à la loi du 17 fructidor dernier et à l'arrêté du Direct. exc. du 23 du même mois.

Nous avons ensuite estimé les arbres montans existans sur ledit bien au nombre de 168, à une somme particulière de 900 livres.

De tout quoi nous avons dressé le présent procès verbal que le dit citoien commissaire du pouvoir exécutif a signé avec nous les dits jour mois et an que dessus.

DUKERS, fils, expert.

ANDRÉ DUMONT.

Le commiss. du P. exéC.

près l'Adm. mun. de Liège.

J. M. RENARD.

(12) Rapport de Lambert Bassenge, du 8 avril 1798.

(13) Conférences de la Société d'art et d'histoire du diocèse de Liége, IVe série, p. 231.

(14) Indication due, comme celle de plusieurs autres pièces précédemment citées, de l'obligeance de M. Th. Gobert, archiviste de la province.

(15) Fêtes jubilaires à l'occasion du Cinquantième anniversaire du pensionnat des Dames de l'Instruction chrétienne, Liège. - Liège, 1888. Demarteau, éditeur, p. 30.

(16) Histoire de Florence de Warquigneul, par l'abbé Parenty. - Lille 1846, p. 204.

(17) Pendant l'impression même de ce rapport Dieu a rappelé à Lui, le 9 septembre 1897, Dame Nathalie Beckers.

(18) Le R. P. Blanquaert de la Ce de Jésus, remplaça M. Thomas, quand celui-ci fut nommé doyen.

(19) Pensionnat des Dames Bénédictines, à Tongres: Instruction solide et religieuse donnée par un ecclésiastique et des maîtresses diplômées; langues française, flamande, allemande, anglaise; dessin, peinture; ouvrages de mains, coupe des vêtements. Prix de la pension 350 francs.

Pensionnat des Dames Bécédiclines, à Liege Education et instruction soignées langues étrangères, travaux d'utilité, arts d'agrément. Prix de la pension: 700 francs.

(20) Pensionnat des Dames Benedictines, Ventnor, île de Wiqht, Angleterre. Education distinguée, instruction très avancée, donnée en français et en anglais; professeurs spéciaux pour les beaux-arts. Prix de la pension 1,000 francs.

(21) V. DARIS. Notices sur les éqlises du diocèse de Liéqe, I. p. 1, et IV. p. 212: In colonia in Avroto sita debet esse unus familiaris et una begutta, cum una aut duabus ancillis, si necesse fuerit, ad providendum pecoribus; puta bobus, vaecis, et id genus similibus ad usum dicti hospitalis ibidem; possint quoque ibidem, post divina celebrata, capellani, fratres, familiares solent pro recreatione accedere, et sorores et beguttae pro suis negotiis. (Règlement du XVIe siècle.)

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